[O] Premier livre d'Architecture de
MARC VITRUVE POLLION, A CESAR
AUGUSTE.

PROEME DE L'AUTHEUR.

[LO] COnsiderant que vostre divine conduicte et majesté, o Cesar Empereur alloit soubzmettant a sa puissance l'Empire universel du Monde, et que par vostre vertu invincible {inuicible} subjugant plusieurs ennemys, les Citoyens de Rome se glorifioient en voz triumphes et victoires, mesmes que toutes nations surmontées au moyen de voz louables conseilz et ouvertures, estoient promptes d'obeyr a voz commandemens: je n'avoye pas la hardiesse entre tant d'occupations de mettre en lumiere ces miens livres d'Architecture, a grand labeur composez et mis en ordre, doubtant que par interrompre voz negoces, et ne choisir le temps propice, j'offensasse vostre majesté. Mais apres avoir advisé qu'elle n'a seulement le soing de la vie de chacun Citoien, ensemble de l'administration de la Republique, ains aussi bien de la commodité des Edifices publiques, pour faire que la Cité ne soit, sans plus, par vostre pourchas amplifiée de pays et provinces, mais avec ce, que la dignite de l'Empire puisse avoir souveraine louenge {louuenge} en ses bastimens: j'ay pensé qu'il ne seroit honneste de differer plus longuement a vous manifester ceste science, a raison que par son moyen j'en fu premierement congneu de vostre Pere: la vertu duquel me rendit plus affectionné pour luy en faire profit et service. Dont a ceste heure que par le decret des Dieux il est colloqué aux sieges d'immortalité, et son domaine escheu entre voz mains: ceste mienne affection enracinée en sa memoire, a faict que je me suis entierement dedié au service d'icelle vostre majesté, laquelle me commanda prendre garde avec Marc Aurele, Publius Numidicus, et Gneus Cornelius, a l'appareil des Arbalestes ou Bricoles, ensemble des Scorpions ou Bacules, et au renouvellement des autres machines de Guerre: a quoy je me suis tousjours rendu prompt et obeyssant: de sorte que j'ay ordinairement, aussi bien comme ilz ont, esté payé de mon estat. Et la premiere foys que vostre dicte majesté me le feit delivrer, elle eut souvenance de la recommendation que sa Seur luy avoit faicte en faveur de moy. A ceste cause congnoissant combien je vous suis obligé pour une liberalité si grande, qui me rend asseuré de n'avoir jamais povreté: je commenceay a vous escrire ces livres, jugeant en mon esprit, qu'encores que vous ayez basty beaucoup de maisons de belle marque, et en bastissez de present, mesmes que vous aurez le soing de faire qu'il soit par cy apres memoire des Edifices tant particuliers que publiques a l'occasion de {dé} leur grande magnificence: je vous ay d'avantage pourtraict les figures perfectes, afin qu'en les voyant puissiez quelque fois considerer voz oeuvres premieres, et discerner en vostre sens, comment vous devrez gouverner en celles que pourrez edifier a l'advenir: car je declaire en ces volumes toutes les raisons et doctrines qui concernent cest art de bien bastir.

PREMIER LIVRE
QUE C'EST QU'ARCHITECTURE, ET QUELE
doit estre l'institution des Architectes.
Chapitre premier.

[LO] ARCHITECTURE est une science qui doit estre ornée de plusieurs disciplines, et diverses eruditions: car par le jugement de ceste la sont examinez les ouvrages qui se font par tous Artisans, aussi elle provient de fabrique, et discours, ou communication que les ouvriers ont aucunesfois ensemble.
Fabrique, n'est autre chose que commune et continuele meditation de l'usage: et ceste la se faict manuelement de toutes especes de matiere qu'il est besoing de mettre en oeuvre: pour venir au poinct de la formation. Discours est le moyen par lequel on peult monstrer et donner a entendre comment les choses se doivent faire par industrie, en gardant bonnes proportions.
Les Architectes donc qui se sont vouluz exerciter aux oeuvres manueles, sans avoir congnoissance des lettres, n'ont sceu tant faire par leurs labeurs, qu'ilz ayent acquis grande reputation: ny les autres aussi qui se sont arrestez aux lettres seules, ou demonstrations par paroles: car ilz ont (ce semble) suyvy l'umbre et non le neu de la besongne. Mais ceulx qui ont eu l'un et l'autre, comme gens garniz de toutes armes, sont plustost, et avec plus grande reputation, parvenuz au but de leur entente: a raison qu'en toutes choses, et par especial en Architecture, il y a deux poinctz principaulx et necessaires, asavoir ce qui est signifié, et la matiere qui signifie. Or ce qui est signifie, est la chose proposée dequoy l'on parle: et ce qui signifie, est une demonstration expliquee par bonnes doctrines. A ceste cause il semble que celuy qui veult faire profession d'Architecture, doit estre exercité en chacune de ces parties: et pourtant est requis qu'il soit de bon entendement, et docile en toutes disciplines: d'autant que l'entendement sans doctrine, et la doctrine sans bon jugement, ne sauroient faire un perfect Architecte.
Il est doncques besoing qu'il soit lettré, expert en pourtraicture, savant en Geometrie, non ignorant de Perspective, bien instruict en Arithmetique, ayant congnoissance de plusieurs Histoires, diligent en la lecture des Philosophes, exercité en Musique, practiq en Medecine, et aux traditions des Jurisconsultes, puis tant usité en Astrologie, qu'il ayt intelligence du cours et mouvement des Cieulx.
Les causes qui me meuvent a luy desirer ces particularitez, sont, qu'il fault avant toute oeuvre, qu'il ayt des lettres, afin que par lire souvent les bonnes choses, il puisse rendre sa memoire plus ferme.
Il est besoing qu'il sache bien pourtraire, {poutraire} a ce que par ces deseingz ou figures, luy soit loisible de representer toute forme d'ouvrage a ceulx que bon luy semblera.
Au regard de la Geometrie, elle fait plusieurs grans secours en cest endroict: car par la bonne disposition des lignes, elle apprend l'usage du compas, au moyen duquel sont plus a l'ayse expediées les descriptions des Edifices sur les terrasses ou plattes formes: et s'en font plus justement les conduictes et directions des traictz, pour les reduire a Regle et a Nyveau.
Par la Perspective l'Architecte entendra comment il fault avec bonne raison donner le jour a ses edifices, et le faire venir de certaines parties du Ciel.
Et au moyen de l'Arithmetique saura dresser le compte de tous les fraiz d'un bastiment: puis avec les methodes ou brieves narrations de Geometrie, pourra exposer la raison des mesures, ensemble les questions difficiles concernantes les symmetries.

Mais ce qu'il fault qu'il sache beaucoup d'histoires, est pource que souventesfois les Architectes designent plusieurs enrichissemens en leurs oeuvres, dont ilz doivent rendre raison quand on leur demande qui les a meuz de ce faire: Comme si quelq'un en lieu de colonnes, mettoit des statues de marbre portant representation de femmes vestues, que lon nomme Caryatides, et posoit sur leurs testes des Modillons et Cornices: si lon luy demandoit qui le meut, il pourroit respondre en ceste sorte:

Carya ville de Peloponnese, ou selon aucuns de la Moree region d'Asie la mineur, feit jadiz alliance avec les Persans communs ennemys de la Grece: parquoy les Grecz estans retournez victorieux de ceste entreprise, et a leur singulier honneur delivrez de ce grand danger, d'un commun accord denoncerent la guerre aux Caryens: puis leur ville prise a force d'armes, les hommes meurdriz sans aucune mercy, et la ville entierement razee, les vainqueurs emmenerent femmes et filles en servitude, et ne leur voulurent permettre de despouiller leurs habitz de dames, afin qu'elles ne feussent menees en un seul triumphe, ains pour eternel exemple de captivité, estant chargees d'injures et opprobres, feussent veues porter la peine de leurs parens, alliez, et mariz. A l'occasion de quoy, ceulx qui pour le temps d'adonc estoient Architectes, meirent en leurs edifices publiques les images de ces dames comme destinees a supporter le faix, afin que la punition du forfaict des Caryens, feust congneue, et serveist d'exemple a toute la posterité.

Colonnes Caryatides. [FIGURE]

CHAP. II.

[LO] LE peuple de Lacedemone n'en feit moins aux Persans: consideré qu'apres que son capitaine Pausanias natif d'Agesipoli, aiant en la campagne de Platea mis en route une infinité d'iceulx Persans avec petit nombre de Grecz, et qu'il en eut triumphé en grande louenge de victoire: ces Lacedemoniens dresserent dans le portique, gallerie, ou promenoer nommé Persique, un trophee des despouilles de leurs ennemys, pour exalter la vertu de leurs citoiens, et donner congnoissance de tele victoire a ceulx qui viendroient apres eulx. A ceste cause ilz y meirent les remembrances des vaincuz ornees et pompeuses d'accoustremens barbares: et pour mieux donner a entendre que l'orgueuil pernicieux estoit puny de peine convenable, les ordonnerent a soustenir les couvertures des maisons: voulans que le reste des ennemys ainsi chastiez, eussent horreur des forces de Lacedemone: et que les habitans du pays voyans l'exemple de si grande vertu, feussent elevez en gloire, et tousjours appareillez a defendre leur liberté. Voyla d'ou est venu que plusieurs Architectes ont mis des statues Persanes a soustenir les epistyles, c'est a dire architraves et autres ornemens d'edifices: et de cela ont esté augmentees plusieurs belles diversitez dans les ouvrages, dont fault necessairement que l'Architecte ayt congnoissance pour son devoir.

Colonnes Persanes.
[FIGURE]

CHAP. III.

[LO] AU regard de la philosophie, elle rend l'Architecte plus consommé, de hault courage, mais non pas arrogant, ains traictable et modeste, juste, loyal, et sans tache d'avarice, qui est un poinct singulier entre les autres: car (a la verité) nul ne sauroit faire un oeuvre en perfection, s'il n'est fidele, et pur de conscience.
IL ne fault point aussi qu'il soit ambitieux, ny ententif a recevoir presens, mais qu'avec une meure gravité il contregarde sa reputation, et cherche d'acquerir bonne renommee. Voyla que veult philosophie: laquelle oultre toutes ces particularitez luy fait entendre la nature des choses, que les Grecz nomment physiologie, et qu'il est force a un tel homme de savoir, pource qu'elle fait souldre plusieurs et diverses questions natureles, qui surviennent aucunesfois de la conduicte des eaux, qui en leurs cours tiennent des voyes toutes contraires les unes aux autres, veu qu'elles coulent autrement par les plaines qu'a travers les pays montueux. Chose qui vient seulement par les impulsions des espritz naturelz, aux violences desquelz nul ne sauroit mettre remede, s'il n'a par la philosophie congneu les principes des choses. Et qui liroit les livres de Thesbias, Archimedes, et autres qui ont escript de matieres semblables, il ne sauroit accorder avec eulx, s'il n'est preallablement institué en ces speculations au moyen de la philosophie.
IL fault aussi que l'Architecte entende la Musique, afin qu'il congnoisse la raison reguliere et la valeur des quantitez, telement qu'il en puisse faire bien et adroit les temperatures des Arbalestes ou Bricoles, Fondes, Bacules, et autres instrumens de traict: car en leurs boutz a dextre et a senestre sont les pertuys ou coches a semitons, par ou les cordages de nerfz entortillez sont bandes a leurs chevilles, et ne les arreste lon aucunement jusques a ce qu'on les ayt tant montez, qu'ilz rendent certains sons egaux, aggreables aux oreilles de l'enginier. adonc les braz ou branches de leurs arcz qui se cambrent quand on les tend, doivent en un mesme instant et tout ensemble jetter le traict quand on les delasche. et s'ilz n'estoient tirez aussi fort l'un que l'autre, jamais ne pousseroient leur charge ainsi droict comme il est necessaire. Pareillement fault que les vaisseaux d'arain qui se mettent aux chambrettes voultees soubz les degrez des Theatres, y soient assiz par raison de Mathematique, a ce que les differences des tons (que les Grecz nomment Echeia) soient accordantes aux harmonies et doulx accens de Chantres, et que le Diatessaron, Diapente, et Diapason, soyent divisez justement au compas, si que la voix s'espandant par la Scene, puisse resonner en dispositions convenables, de sorte qu'en rencontrant ses objectz, elle s'accroisse et amplifie, se rendant neantmoins plus claire et plus doulce en entrant dedans les oreilles des assistans.
Un ouvrier ne sauroit semblablement faire des machines hydrauliques, c'est a dire engins mouvans et resonans en l'eau, ny autres semblables a leurs organes, s'il ne scait les raisons de Musique.
Il fault davantage qu'il congnoisse quelque chose en Medecine, a ce qu'il sache discerner les regions du ciel, que les Grecz appellent climatz, et par especial le bon ou mauvais air des contrees, pour juger lequel est salutaire ou dangereux: et que par une mesme voye il discerne de queles eaux les habitans devront user ou non: car s'il n'a toutes ces particularitez en soy, jamais ne pourra ordonner bastiment ou il face bon demourer.
Oultre plus est de necessité qu'il ayt quelque intelligence des loix, pour savoir decider comment il fault bastir les murailles des edifices qui sont communes ou moytoyennes: aussi pour asseoir les gouttieres, ordonner les receptoires des immundices, et bien percer les fenestrages. Avec ce il est besoing qu'il entende le cours des eaux, et toutes les choses concernantes ceste practique, afin qu'avant commencer a bastir, il prenne garde a ne mettre les voysins en proces quand sa besongne sera toute achevee: mesmes que par la prudence des loix il garde d'entrer en debat le proprietaire et son locatif. chose qui sera facile a faire, pourveu que les conventions d'entr'eux soient si loyalement escrites, que l'un ne puisse estre trompé ny circumvenu de l'autre.
Par les canons d'Astrologie l'Architecte congnoistra l'Orient, l'Occident, le Septentrion, le Mydi, les mouvemens du Ciel, l'Equinocce, le Solstice, et les cours des Estoilles. Et s'il estoit ignorant de ces choses, jamais ne sauroit avenir a justifier les Quadrans et Horloges.
Puis donc qu'il fault que ceste Architecture soit ornee de tant d'eruditions si diverses, je ne me sauroye persuader qu'a bon droit un homme se puisse nommer Architecte en peu de temps, si ce n'est que des son enfance il soit allé montant l'un apres l'autre, par les degrez de ces disciplines, acquerant l'intelligence de plusieurs sciences et artz, si bien, qu'il ayt peu parvenir au souverain temple d'Architecture.
Mais (a mon advis) il pourra sembler estrange et merveilleux aux gens peu experimentez, qu'un homme naturel puisse aprendre et retenir en sa memoire un si grand nombre de doctrines. Toutesfois quand ilz viendront a considerer que tous les artz ont certaine affinité et communication parensemble, lors pourront facilement croire que cela est faisable et possible, veu mesmement que l'Encyclopedie (ou doctrine circulaire) est ne plus ne moins comme un corps composé de tous ses membres: et de la vient que ceulx qui sont de leur jeune aage instruictz en sciences diverses, congnoissent par mesmes characteres les elemens de toutes les doctrines, et par ce poinct viennent plus aisement a l'intelligence des choses. A ceste cause entre les vieulx Architectes Pythius, qui en la ville de Priene edifia magnifiquement le temple de la deesse Minerve, dict en ses commentaires, qu'il fault que l'Architecte puisse plus faire en toutes disciplines, que ceulx qui par leurs exercitations et industries ont amene les choses une a une a la lumiere ou lon les voit de present. Ce neantmoins je ne veuil dire qui l'Architecte doive ou puisse estre aussi perfect Grammarien, que jadis fut Aristarchus: mais pour le moins qu'il ne soit sans Grammaire. Je ne preten aussi qu'il soit tel Musicien comme Aristoxenus, ains qu'il entende la Musique. Et ne requier pas en luy qu'il soit autant excellent en paincture, que jadis estoit Apelles: mais qu'il saiche assez bien pourtraire. Je ne desire semblablement qu'il besongne aussi bien de stuc ou incrustature, que Myron ou Polycletus: mais qu'il en congnoisse passablement la practique. De rechef je ne cherche pas qu'il soit fondé en medecine autant que fut jadis Hippocrates, ains qu'il en tienne les principes. Et ne quier pour conclusion qu'il soit en toutes les doctrines homme excellent, ou singulier sur tous autres, mais que du moins il y entende quelque chose: pource qu'il n'est creature vivante, qui en tant et si grandes diversitez puisse attaindre a la perfection, consideré mesmement qu'il ne tumbe en puissance humaine de povoir congnoistre et percevoir seulement leurs termes et propos communs. Dont ne fault dire que les Architectes seulz entre les mortelz ne peuvent en toutes choses parvenir au souverain degré: car ceulx la mesmes qui separement font profession d'un art, si bien qu'ilz en practiquent les proprietez, ne peuvent tant faire qu'ilz puissent parvenir a en avoir louenge unique. A ceste cause si aux doctrines separees les artistes qui s'y emploient, non pas tous, mais certain petit nombre, peuvent par le cours de leurs vies a grand peine acquerir le bruyt de bons ouvriers: comment pourroit un Architecte, qui doit estre meslé de beaucoup de sciences, se faire grand et admirable en toutes, si bien qu'il n'y ait que redire, ains surmonte tous autres artisans, encores qu'ilz ayent continuelement employé leurs estudes en doctrines distinctes, et mis une extreme diligence a en savoir ce qu'il en fault? Il est maintenant bon a voir que Pythius a failly en sa tradition, pource qu'il n'a bien regardé que tous les artz sont composez de deux choses, asavoir de l'oeuvre, et de son discours: desquelles fault necessairement que l'une soit propre a ceulx qui s'exercitent en une seule science: et cela est ou l'effect de l'ouvrage, ou l'autre, qui est commune a tous hommes doctes, que j'ay desja dicte, discours: comme seroit entre les Medecins et les Musiciens, quand les uns parlent du poulx des veines, et les autres des temps de leurs mesures. Ce neantmoins s'il fault medeciner une playe, ou tirer un patient de peril, le Musicien n'en fera pas l'office, pource que c'est le propre du Medecin: lequel en semblable pour donner plaisir aux oreilles par la doulceur de ses chansons, ne rendra pas melodie de sa voix, mais sera le Musicien. Pareillement il y a dispute commune entre les Astrologues et iceulx Musiciens, fondee sur la sympathie ou convenance des estoilles, et la symphonie ou modulation des accens, en quadratz, trigones, diatessaron, et diapente. Puis encores y a controverse entre les Geometriens et les dessus nommez Astrologues sur le poinct de la veue, qui est dict par les Grecz Opticos, c'est adire Perspective. et ainsi en tous autres savoirs: car toutes choses, ou la pluspart, sont communes seulement en termes de dispute: mais les principes des ouvrages qui par l'artifice de la main ou ordonnances de l'ouvrier doivent parvenir au poinct de beaulté, sont propres et particuliers a ceulx qui sont instituez en l'art, si bien qu'ilz savent par ou en venir a bout. Cestuy la donques semble avoir assez faict, qui a moyenne congnoissance des doctrines, chacune en son endroit, ensemble de leurs raisons et parties, specialement de celles qui sont requises pour l'Architecture, afin que s'il est besoing de juger ou prouver quelques choses qui concernent cela, il ne faille comme ignorant: car ceulx a qui nature a tant donné d'industrie, vivacité d'esprit, et fertilité de memoire, qu'ilz peuvent avoir perfecte congnoissance de Geometrie, Astrologie, Musique, et toutes autres disciplines, telz certainement passent le but d'Architectes, et deviennent Mathematiciens: de sorte qu'il leur est loysible de disputer a l'encontre des sciences, pource qu'ilz sont armez et bien garniz de plusieurs bastons pour offendre et defendre. Mais lon en treuve peu de ce qualibre, a tout le moins qui soient semblables a Aristarchus de Samos, a Philolaus et Archytas de Tarente, a Apollonius de Pergame, a Eratosthenes de Cyrene, a Archimedes et Scopinas de Syracuse, et autres grans personnages qui ont laissé a la posterite plusieurs instrumens organiques et gnomoniques inventez par force de nombres, et depuis expliquez par raisons natureles. Puis donc que telz entendemens ne sont par la nature concedez ordinairement a tous hommes, mais seulement a peu de gens, et que l'office de l'Architecte est d'estre moyennement exercité en toutes especes de disciplines, mesmes que pour l'amplitude et grandeur de la chose, raison ne veult que l'homme s'efforce d'attaindre a la sublimité des artz, ains se contente d'y tenir le moyen: je vous requier, o Cesar, et tous autres qui lirez ces miens livres, qu'il me soit pardonné si lon y treuve quelques choses non distinctement declarees suyvant les reigles de Grammaire: car je ne me suis mis a les escrire comme Grammarien exercité, ny ainsi que grand Philosophe, ou Rhetoricien bien emparlé, mais comme Architecte enrozé seulement de ces doctrines. Toutesfois je prometz par ces volumes de faire entendre non seulement a ceulx qui bastiront, mais aussi bien a tous hommes de savoir, quele est la force de ceste practique, et en quelz termes on en doit proprement parler, esperant que je donneray a mes escriptz asses force et authorité par raisons et demonstrances infallibles.

De queles choses est composee Architecture.
Chap.
IIII.

[LO] ARchitecture donc est composee d'ordonnance, que les Grecz appellent Taxis: de disposition aussi par eulx nommee Diathesis: d'Eurythmie, c'est a dire bonne convenance des parties d'un bastiment: de Symmetrie, qui signifie proportion et mesure: puis de decoration et distribution, laquelle semblablement parmy ces Grecz est dicte Oeconomie.
Or n'est ordonnance autre chose fors une commodité des membres de l'ouvrage, et un gect ou modelle faict apart correspondant en symmetrie a toute la masse du bastiment: et cela se compose de quantité, que les Grecz disent Posotis.

[FIGURE]

Quantité est un effect convenant a la grandeur et largeur de tout le corps de l'oeuvre, et a toutes les particularitez des membres.
Disposition est une bonne et raisonnable collocation d'iceulx membres, et un moyen qui donne grace a toute qualité d'ouvrage. Les especes de ceste disposition, qui sont dictes en Grec Idées, sont celles dont les noms ensuyvent, Ichnographie, Orthographie, Scenographie.
Ichnographie donques est l'usage ou practicque de la regle et du compas, par laquelle on faict sur le plan ou terrasse les descriptions et lineamens des plattes formes.

[FIGURE]

Ortographie est la representation de la figure ou relief du bastiment, pour demonstrer quel et comment il doit estre.

[FIGURE]

Puis Scenographie est l'adumbration ou renfondrement avec la racourcissure du front et des costez d'un Edifice, faicte par lignes qui respondent toutes a un Centre et cela se nomme communement Perspective.
Toutes ces especes naissent de la vertu Imaginative, et de l'invention de l'homme.
Or est imagination un soing esmeu par desir affectionné, qui apres avoir bien exercite la pensée et l'industrie, acquiert souverain contentement, si l'effect de la chose proposée s'en peult ensuyvir ainsi que lon desire.
Mais invention est laisclaircissement des difficultez obscures, et raison manifeste de la chose nouvellement trouvée par la vigueur de l'Ame mouvante. Voyla que les sont les fins de ces dispositions. Puis pour determiner les autres.
Eurythmie est une belle espece et commode representation de la structure des membres: et ceste la se faict quand les particularitez correspondent a toute la masse, par especial la haulteur a la largeur, et la largeur a la longueur, comme lors que toutes choses conviennent en bonne proportion.
Symmetrie {Symmetiere} est un consentement et concordance des membres particuliers de l'oeuvre, et pour mieulx dire, correspondance d'iceulx, distinguez d'avec la totalité de la masse: comme lon voit au corps de l'homme, que le bras, le pied, la main, les doys, et toutes les autres parties ont leurs offices chacune a part, dont elles s'entr'aident pour le bien et service de la personne. Cela pour vray s'appelle Symmetrie, {Symmetiere} laquelle doit estre gardée en la perfection des oeuvres, mais specialement en la fabrique des Temples sacrez, ou il fault prendre garde a la convenable grosseur des colonnes, au Triglyphe, a l'Embater, ou trou de l'Arbaleste, que les Grecz appellent Peritriton, et qui dans les Navires est par noz Latins appellé Interscalmium, et par les Grecz dipichaice, qui signifie la juste distance laissée entre les avirons: et ainsi en tous les autres membres par lesquelz se treuve la raison de la Symmetrie.
Decoration est la belle apparence de l'oeuvre, composée de choses bien approuvées, et avec bonne authorité. Ceste decoration se faict en eslisant la situation d'un lieu que les Grecz disent Thematismos, ou par coustume, ou par Nature. Et pour donner exemple de ceste situation, c'est quand les Edifices pour Jupiter, pour son Fouldre, pour le ciel, pour le Soleil, ou pour la Lune, sont bastiz a descouvert et a l'air, a raison qu'en ce Monde inferieur nous voyons les especes et effectz de ces Dieux, manifestement et a veue d'oeueil. Mais quand lon edifie a la facon Dorique pour Minerve, Mars, ou Hercules, il fault que ce soit sans mignotize: autrement cela repugneroit a la force et vertu de leurs divinitez. Si c'est pour Venus, Flora, Proserpine, ou quelques Nymphes de Fontaines, qu'il faille edifier des Temples, ilz requierent la mode Corinthienne, d'autant qu'elle en ses proprietez est garnie des delices convenables a ces Deesses, veu mesmement que pour exprimer leurs natures delicates, on fait toutes ses parties plus simples et moins fortes que les precedentes, et d'avantage lon les orne de fleurs, feuillages, volutes ou tortillemens, en quoy la grace et juste decoration est observée. Si c'est a Juno, a Diane, a Bacchus, et autres semblables, lon leur fera des temples Ioniques, afin de tenir le moyen: car l'ordre Ionique temperera aucunement la severité du Dorique, et la mignardise de celuy de Corinthe: et par ainsi sera entretenue bonne et vraye proprieté. Mais ou il fault accommoder le bastiment a l'usage: la decoration se faict quand les parties interieures sont magnifiques et les avantportailz convenables, monstrans une belle apparence: car si le dedans du logis estoit triumphant, et l'entrée povre ou mal honneste, il n'y auroit point de decoration. Pareillement si dedans les Architraves Doriques, specialement en leurs Cornices, l'ouvrier mettoit des Modillons ou Dentilles: ou bien si dedans les chapiteaux Ioniques pulvinez, autrement garniz de coyssins, ou dedans leurs Architraves, il entailloit des Triglyphes, transferant sans raison les proprietez d'un ouvrage a l'autre, la veue en seroit offensee, et diroit on qu'il vouldroit amener des coustumes toutes nouvelles.
Quant a la decoration naturele, elle sera bien poursuyvie, si en la situation de tous temples on prend garde que les regions soient salutaires, et qu'il y ait des fontaines d'eau vive: principalement si c'est pour Esculapius, pour la Santé, et autres puissances par la vertu desquelles on voit guerir plusieurs maladies: car quand ce vient a transporter les personnes attainctes de perplexitez, d'un lieu infect en un air salutaire, mesmes ou lon a grand usage de bonne eau de fontaines courantes, il n'y a point de doubte que les langoreux en retournent plustost en convalescence: qui fait que ces Deitez augmentent par la nature du lieu, les opinions du populaire, telement qu'on les en tient en beaucoup plus grande reverence, que lon ne feroit autrement.
Ce sera davantage la decoration de Nature, si pour Chambres et pour Estudes on recoit le jour de la part d'Orient: pour les Estuves, et demeures d'yver, de l'Occident: pour Garderobes, et autres places ou est requise une lumiere egale, du Septentrion, a cause que celle partie du Ciel n'est jamais plus claire ny plus obscure par le cours du Soleil, mais demeure certaine et immuable, gardant tousjours sa lumiere en mesme estat, sans varier.
Au reste, distribution est une certaine administration tant du lieu que de la matiere, et une temperance modeste a l'endroict des fraiz de l'ouvrage. Ceste la sera bien conduitte, si l'Architecte ne demande les choses que lon ne peult recouvrer, ou qui coustent trop a mettre en oeuvre: car il ne se treuve par tout de l'Arene de fosse, du Cyment, de l'Avet, du Sapin, ny du Marbre en abondance, mais une chose en un pays, et l'autre en l'autre: qui fait que les fraiz en sont excessifz, et encores n'en a lon pas a son aise. Parquoy en default d'Arene de fosse lon peult user de Sable de Riviere, ou de Greve marine, pourveu qu'elle soit diligemment lavee: et ou lon n'auroit de l'Avet, ou du Sapin, prendre du Cypres, du Pouplier, de l'Orme, du Pin, ou semblables, et s'en aider a son affaire. Encores sera ce un autre degré de distribution, si on elieve les edifices des peres de famille autant seulement que leur argent se peult estendre, et non plus, y gardant une majesté d'ouvrage conjoincte avec belle apparence: car il fault autrement bastir les simples maisons de ville, que celles de ceulx qui ont rentes de leurs possessions champestres: et ne fault pas que celles des Publicains, Changeurs, et autres qui prestent a usure, soient comme les logiz des Gentilzhommes, et autres personnages vivans en delices. Mais pour les principaux du peuple, par le conseil et ordonnance desquelz la Republique est gouvernee, lon bastira selon qu'il est requis a leurs qualitez: prenant sur toutes choses garde a ce que les distributions soient bien commodes a toutes manieres de personnes.

DES PARTIES D'ARCHITECTURE EN LA DISTRIBUTION des bastimens publiques et privez: puis de la raison Gnomonique, c'estadire
reguliere ou demonstrative, ensemble de la manifacture. Chap. V.

[LO] IL est trois parties d'Architecture, asavoir Edification, Regularité, et Manifacture.
L'edification est divisee en deux pars, dont l'une concerne la collocation des murailles et des oeuvres communes qui se bastissent en lieux publiques.
L'autre dicte Gnomonique ou reguliere, est l'ordonnance des edifices particuliers. Mais ou il est question des publiques, necessairement fault qu'il y ait trois distributions, dont la premiere est pour la defense de la ville, la seconde pour les Eglises et maisons de Religion, et la tierce pour la commodité des habitans.
Celle qui est pour la defence, consiste en la bonne collocation des murailles, ensemble des tours et des portes. Ceste la fut inventee pour repousser les assaultz et impetuositez des ennemys.
L'autre appartenante a la Religion, est celle qui comprend les contours des edifices ou temples dediez aux Dieux immortelz, avec les autres maisons sacrees.
Puis la troysieme servant a l'usage du Commun, est la disposition ou bonne ordonnance de tous les lieux publiques, comme sont portz, halles, portiques ou places a se promener, baingz, estuves, theatres, et autres semblables, qui pour appartenir a l'utilité du populaire, sont destinez en lieux communs. Ceulx lá se doivent faire en sorte qu'ilz soient fermes, durables, et plaisans a la veue. Sans point de faulte ilz ne sauroient estre que bien solides, si lon cave les fondemens jusques au tuf, ou lict de terre ferme, et si lon fait bonne et curieuse election {electiom} de la matiere que lon y devra mettre, sans l'espargner par avarice.
Ilz seront utiles et durables, si leur disposition ou assiette est si sagement ordonnee, qu'ilz n'empeschent aux autres places qui sont en usage, et si leur distribution est tele, que chacun d'eulx soit mis en quartier ou region propre a sa qualité.
Pareillement ilz se monstreront beaux, si la facon de leur ouvrage est agreable aux regardans, et que la mesure des membres ait ses justes raisons de symmetrie.

DE L'ELECTION DES LIEUX SALUTAIRES. QUE
les choses nuysent a la santé, et de queles parties du Ciel fault recevoir
dans les maisons la lumiere du jour.

Chap. VI.

[LO] AVant que commencer les murailles, premierement est besoing d'elire un lieu propre et salutaire. Mais pour le mieux specifier, je dy qu'il le fault un petit relevé, comme sur un tertre, non en gros air, ny subgect a bruynes, mais regardant les regions du ciel non trop chauldes, ny trop froides, ains temperees: semblablement non voysin de maraiz: car quand les petitz ventz du matin, qui se lievent avec le Soleil, parviendront jusques a la ville, et les nuees yssues des Vapeurs, se seront joinctes avec eulx, mesmes que les alaines infectes des bestes marecageuses, meslees avec ces nuages, viendront a rencontrer les corps des habitans, elles les rendront subgectz a grieves maladies. Pareillement si lesdictz murs sont situez au long de la marine, et qu'ilz regardent vers Mydi ou Occident, ilz ne seront point salutaires, a cause que durant l'esté, la partie meridienne du Ciel se commence a eschauffer des que le Soleil se lieve, et brule environ le Mydi. Mais celle qui regarde a l'Occident, se faict tiede au lever du Soleil, s'eschauffe sur le Mydi, et brule presque sur le vespre. Ainsi par les mutations de chaleur et froidure, les corps residens en ces lieux, sont molestez et corrompuz. Cela peult on asses congnoistre par les choses inanimees: car aux celliers ou caves ou lon garde le vin, il n'y a personne qui face les souspiraux ou conduictz des lumieres, du costé de Mydi, ny d'Occident, mais de Septentrion, pource que ceste partie du Ciel n'est jamais subjecte a mutations (comme dict est) ains tousjours immuable, et en un mesme estat. Aussi les greniers qui regardent au cours du Soleil, changent soudain leur bonté. Mesmes les fruictz et viandes qui sont mises en la region du Ciel opposite au cours dudict Soleil, ne se gardent gueres longuement, a raison que toutes et quantes fois que la chaleur est en force, elle diminue la vigueur des choses aeriennes de nature: et dessechant les vapeurs chauldes (qui sont leurs vertuz natureles) fait qu'elles viennent a se dissouldre et consumer. puis quand elles se mollifient, peu a peu se rendent imbecilles, et en fin de nulle valeur: comme lon peult veoir par le fer: car non obstant qu'il soit dur de nature, s'il est chauffé dedans une fournaise, il deviendra si malleable par la vapeur penetrante du feu, que lon le pourra facilement forger en toutes formes pendant qu'il sera mol et ardant. mais si lon le laisse refroidir, ou qu'on le trempe dans l'eau froide, il se rendurcira, et retournera incontinent en sa premiere proprieté. Lon peult aussi congnoistre qu'en la saison d'Esté toutes creatures sont par le chault rendues lasches et debiles, non seulement aux lieux mal sains, mais aux salutaires, et de bonne temperature: et en yver les contrees dangereuses et subjectes a maladies, se font saines, et de bonne habitation, pour autant qu'elles sont restrainctes et consolidees par le froid. A ceste cause les corps qui se transportent de pays froidz en regions chaudes, n'y peuvent durer, mais y fondent et diminuent peu a peu: ou ceulx qui vont des chaudes aux froides et Septentrionales, non seulement ne sont malades par le changement de l'air, ains en deviennent plus sains et plus gaillardz. Qui vouldra donc convenablement faire son assiette de murailles, il se devra garder sur toutes choses de les mettre en lieux qui peuvent battre les habitans de vapeurs chaleureuses, a raison que estant les corps des hommes composez de chaleur, humidité, terre, et air, que les Grecz en un seul mot appellent Stoicheia, c'est adire commencemens de tout, et que par ces mixtions avec temperature naturele sont toutes qualitez d'animaux formees en ce monde, chacune selon son espece: quand par fois la chaleur est excessive en aucun de ces corps, elle tue la creature, dissolvant et annichilant par sa vehemence toutes les autres parties de la premiere composition. Or est il que le Ciel extremement chault en aucunes contrees, est cause efficiente de ce mal: car il penetre par les pores, autrement ouvertures des veines, plus qu'il ne seroit convenable, et dissipe les mixtions faictes par temperature naturele. Pareillement si l'humeur trop abondant vient a occuper les concavitez des veines, tant qu'il les rende enflees et mal pareilles, tous les autres commencemens sont suffoquez et noyez par la corruption de ceste liqueur excessive, en sorte que les vertuz de la composition sont dissoultes et confondues. Aussi (certes) advient il beaucoup d'inconveniens aux personnes tant par les refroidissemens des humeurs, que par les changemens ou du vent, ou de l'air: et par mesme voye, quand les compositions aerienne et terrestre se viennent a augmenter ou diminuer en un corps naturel, car cela debilite tous les autres principes, asavoir la terrestre par la repletion des viandes, et l'aerienne par une trop pesante disposition du Ciel.
Si donc quelq'un se delecte a considerer plus subtilement ces choses, Je suis d'avis qu'il examine la nature des poissons, oyseaux, et bestes vivantes en la terre: et en ce faisant il verra les differences des temperatures, mesmes que l'espece des oyseaux a sa mixtion propre, celle des poissons la sienne, et les bestes terrestres une autre toute differente. Qu'il soit vray, les oyseaux en leur composition ont beaucoup d'air, peu de terre, moins d'humidité, et de la chaleur temperement: qui fait que le voler leur est facile parmy l'impetuosité de l'air, comme estant composez de subtilz et legiers principes. Les poissons ont une chaleur temperee, beaucoup d'air, beaucoup de terre, et bien petite portion d'humeur. Ainsi d'autant qu'ilz en ont moins, d'autant durent ilz plus aisement en l'eau: et de la vient que quand on les attire a terre, ilz perdent la vie quant et l'humidité. Mais pour dire des bestes terrestres, leurs principes sont temperez d'air et de chaleur. Elles ont peu de terre, et force humidité: qui est cause qu'elles ne peuvent gueres vivre en l'eau. Or puis que ces choses sont teles comme nous les avons ja deduittes, et que les corps des animaux se treuvent composez des principes que leur avons assignez, si bien qu'ilz souffrent merveilleusement, voire jusques a dissolution, quand ilz ont faulte ou trop grande abondance d'aucune de ces parties: je ne doubte point qu'il ne faille chercher a toute diligence d'habiter en lieux qui ayent le Ciel bien temperé, aumoins si nous voulons demourer sains dedans l'enclos de noz murailles. Et pour ce faire, fault tascher a revoquer la raison des antiques, lesquelz apres avoir sacrifié des bestes qui pasturoient aux lieux ou ilz vouloient fonder leurs demourances, ou asseoir pour quelque temps leurs Tentes et Pavillons en passant pays, ilz regardoient les entrailles de ces bestes: et si les premieres se monstroient comme meurdries ou corrompues, incontinent en sacrifioient d'autres, pource qu'ilz ne savoient a la verité si les foyes et intestins estoient interessez par maladie, ou vice du pasturage. Ainsi apres avoir faict plusieurs de ces espreuves, s'ilz venoient a trouver la disposition d'icelles entrailles saine, et non corrompue par l'eau, ny par le pasturage, ilz faisoient lá leurs stations. Mais si par indice apparent ilz les trouvoient gastees, s'en alloient chercher autre demeure, jugeans qu'il en pourroit autant advenir aux corps humains par la mauvaise nature des eaux et pasturages norrissans les bestes dont ilz auroient a prendre leur substance. Voyla qui les faisoit changer contrees, pource que sur toutes choses ilz desiroient a vivre en bonne santé. Or que lon puisse juger de la proprieté de la terre par les pastures et viandes qui en proviennent, cela se preuve par aucunes campagnes de Crete, voysines du fleuve Pothere, lequel passe entre deux citez, asavoir Gnosos, et Cortyne: car d'une part et d'autre de ce fleuve plusieurs troupeaux de bestes y pasturent: et celles qui sont du costé de Gnosos, ont bien de la rate en leurs entrailles: mais les autres de la part de Cortyne, n'en ont ne peu ne point, au moins qui apparoisse. A ceste cause les Medecins enquerans du motif de cest effect, trouverent une herbe en ce lieu, laquelle estant mangee par les bestes, leur faisoit diminuer la rate: et de ceste herbe qui fut nommee Asplenion par les habitans de l'isle, iceulx Medecins garissoient les personnes molestees du mal de la rate. Cela peult donner a congnoistre que les proprietez des lieux sont naturelement dangereuses ou saines par le boire et manger qu'elles produisent.
Semblablement si les murailles sont edifiees en lieux marescageux, et que lesdictz maraiz soient situez aupres de la marine regardans vers Septentrion, ou entre Septentrion et Orient, mesmes que ces Paluz soient plus haultz que la rive de la Mer, lon pourra dire que lesdictes murailles seront lá situees avec bonne raison: car il ne fault que faire des trenchees pour escouler les eaux en la Mer: laquelle venant a enfler par aucuns orages et tempestes, ses regorgemens esmeuvent l'eau residente aux Paluz, et la mixtion de l'amertume sallee empesche qu'il n'y peult provenir des bestes marescageuses: et que celles qui en nageant y arrivent des lieux superieurs, sont incontinent suffoquees par l'inaccoustumance de la salure: chose dont les paluz de Gaule nous peuvent donner bonne preuve, au moins ceulx qui sont aupres d'Altin au territoire de Venise, de Ravenne, d'Aquilee, et autres villes assizes en ces lieux, prochaines des paluz et marescages, pource que a ceste occasion elles sont salutaires au possible. Mais celles ou les estangz cropissent, et qui n'ont aucunes yssues pour s'escouler, ny en fosses, ny en rivieres, comme en la region de Pont, soudainement viennent a se pourrir, et evaporer en ces lieux des humeurs pestilentes et dangereuses. Pareillement au pays de l'Apulia pres d'une ville fort antique nommee Salapia, que Diomedes bastit en retournant de Troie, ou (selon que d'autres escrivent) un certain Elphias Rhodien: les habitans qui ne failloient point d'estre tous les ans malades, vindrent quelquefois en l'obeyssance de Marcus Hostilius, auquel publiquement requirent que son plaisir feust leur elire un lieu pour restablir de nouveau leur habitation. a quoy ce gentil Capitaine voulant bien donner ordre, chercha par grand prudence place convenable a ce faire: et trouva sur la coste de la marine une possession en lieu fort sain, qu'il achapta pour tel effect. puis demanda licence au Senat et peuple de Rome de pouvoir transferer ceste ville: ce qu'il obtint: et apres designa l'enclos des murailles, divisa les portions des habitans, a chacun desquelz imposa un denier sesterce de censive: et apres feit par des trenchees tumber le Lac jusques dedans la Mer: et de ce Lac feit le port de la ville: telement que les Salapiniens estant montez de quatre mille plus hault que leur vieille cité, habitent maintenant en lieu salutaire et bien disposé.

Des fondemens des murailles. Chap. VII.

[LO] PUis que par les raisons susdictes lon cognoist qu'il fault meurement pourvoir a la situation des murailles, si lon desire la santé des habitans, je dy en oultre, que la region ou contree doit estre abondante en fruictz et victuailles pour la norriture du peuple, et que les voyes ou grans chemins, commoditez de rivieres, et cours de la marine, doivent estre faciles, pour y pouvoir apporter toutes provisions; et encores en poursuyvant matiere, je diray par quel art se pourront faire les fondemens des tours et des murailles. C'est que lon les creuse jusques a la terre ferme, s'il est possible la trouver, et sur ceste fermeté lon les face de largeur tele que le besoing de l'oeuvre le requiert, asavoir plus ample que pour la muraille qui doit estre levee sur terre: et l'ouverture soit remplie de bon moylon, bloccage, ou pierre dure. Au regard des tours, il les fault getter en dehors, afin que quand l'ennemy vouldroit impetueusement venir jusques a la muraille, il en puisse estre chassé a coups de traict par les costez d'icelles tours ouvertz autant a droict qu'a gauche. Et fault sur toutes choses adviser a ce que lon ne puisse facilement venir a forcer la dicte muraille, ains doit on tout a l'entour caver des grans fossez, et lieux ruineux, mesmes donner ordre que les entrees des portes ne soient droictes, ains gauches ou tortues: car si lon faict ainsi, le costé droict de l'assaillant qui ne sera couvert de sa rondelle, se trouvera prochain de la muraille dont il pourra estre offensé. Il ne fault aussi faire les assiettes des villes en quarré, ny d'angles trop saillans en dehors, mais tournoians, afin que de plusieurs endroictz lon puisse choisir l'ennemy. Et a la verite celles qui sont d'angles trop estenduz, sont mal aysees a defendre, pource que le coing sert plus a l'ennemy qu'il ne fait au citoyen.

[FIGURE]

Je suis d'opinion que lon face la grosseur du mur tant espoisse, que les gens de guerre allans et venans par dessus, puissent passer sans empeschement les uns des autres: et que dedans ceste espoisseur y ait pres a pres des barres d'Olivier brulees, et entr'enclavees a fiches du mesme boys, afin que les deux frontz de la muraille lyez et estrainctz l'un a l'autre comme par ranguillons de boucles, puissent avoir fermeté perpetuele: car tempeste, moysissure, ny vieillesse ne peuvent endommager tele matiere, ains soit ou couverte de terre, ou plantee en l'eau, elle demeure a jamais sans empirer. parquoy non seulement tel mur, mais aussi ses fondemens, ou autres parois que lon vouldroit faire de mesme grosseur, ne seront de long temps ruynees si lon les fait lyer en ceste sorte.
Au regard des intervalles ou distances des tours, elles se doivent disposer par tel ordre, que l'une ne soit assize a plus d'un gect d'arc de l'autre, afin que si l'une estoit assaillye, les ennemys peussent estre repoussez a coupz de traict, et autres machines gettees des tours qui seront a droict et a gauche. Et la partie de chacune tour regardante devers la ville ou forteresse, doit avoir aussi grande espace, que porte la ligne de son diametre. Et pour passer de l'une a l'autre, fault qu'il y ait seulement des pontz volans, ou planches non clouees ny attachees, a ce que si ledict ennemy occupoit quelque costé de la muraille, ceulx qui luy resisteront, la puissent regaigner en combatant. Et a la verite s'ilz y donnent bon et brief ordre, jamais ne permettront qu'il enfonse dedans les autres parties des tours et de la muraille, s'il ne se vouloit d'avanture getter luymesme du hault en bas.
Il fault donc faire ces tours rondes, ou de plusieurs faces: car si elles sont quarrees, les machines offensives les en ruineront beaucoup plustost, pource que par force de heurter les Beliers demolissent les angles. mais quand elles sont en rondeur, ilz n'y peuvent faire gueres de mal, ains seulement chassent les pierres devers le centre, comme un maillet pousse des coingz. Pareillement les defenses des tours et des murailles conjoinctes aux rampars, en sont beaucoup plus fortes, et mieux asseurees, par ce que ny Beliers ne Mines, ny autres sortes de machinations ne les peuvent grever.
Toutesfois il ne fault pas se mettre en peine de faire des rampars en tous endroictz, ains seulement a ceulx ou lon peult de quelque lieu hault par dehors la forteresse arriver de plain pied pour forcer la muraille. A ceste cause en lieux de tele qualité fault preallablement faire des trenchees fort larges et profondes, puis encores caver dedans le fondement du mur, et le faire de tele espoisseur, que l'amas de terre mis dessus pour Boulevert, soit facilement soustenu. Davantage le costé de ce fondement qui regardera devers la ville, doit avoir beaucoup plus grande saillye que celluy de dehors, afin que les gens de guerre mis en bataille puissent demourer a la defense sur ceste largeur.
Quand les fondemens auront esté ainsi edifiez, et de la distance ou espace que dict est, encores y fauldra il enclaver des Arboutans traversans et conjoinctz a la masse principale tant par dedans que par dehors, et les ordonner ainsi que dentz de pignes ou de syes: car quand cela sera bien faict, la grande charge de la terre estant distribuee en petites parties, et toutes les choses pesantes que lon pourra mettre dessus, ne sauront tant presser le fondement, qu'elles (en aucune maniere que ce soit) puissent faire dementir ou ebouler la lyaison de ladicte muraille.

[FIGURE]

Il ne fault pas determiner en cest endroict de quele matiere on la pourra bastir, pource que ne pouvons recouvrer en tous pays ce que nous desirerions bien: parquoy se fauldra servir et accommoder de pierres dures esquarries, de caillou, de bloccage, de brique, de gazeau, de motes, et autres choses semblables selon que produira la nature aux lieux ou nous edifierons: car on ne fait pas par tout comme en Babylone des murailles de brique, massonnees de Betum ou Cyment liquide, mais en son lieu lon use de chaulx et de sable avec de la tuyle broyee. Ainsi toutes regions et pays peuvent selon leurs proprietez natureles avoir tant de commoditez faisantes un mesme effect, que chacune a moyen de bastir des clostures bonnes et vallables, qui durent a perpetuité, ou pour le moins beaucoup d'annees.

DE LA DIVISION DES OEUVRES QUI SONT DEdans
l'enclos de la muraille, et de leur disposition pour eviter les mauvais
soufflemens des Ventz.

CHAP. VIII.

[LO] EStant faict l'enclos des murailles ainsi comme il est ordonné, fault venir a la division des maisons pour les habitans, aux places, rues, carrefours, et a leur assiette convenable selon les regions du Ciel.
Or seront elles proprement ordonnees, si les Ventz sont par bon advis et prudence destournez des voyes et chemins publiques, pource que s'ilz sont froidz, ilz blessent. s'ilz sont chaultz, ilz corrompent: et s'ilz sont humides, ilz nuysent grandement. A ceste cause semble qu'il est bien raisonnable d'eviter ces inconveniens, et qu'il fault prendre garde a ne suyvre ce que lon fait coustumierement en plusieurs villes, par especial comme a Mitylene, qui est magnifiquement et en grande sumptuosité bastie en l'isle de Lesbos, mais inconsiderement situee: car quand le vent Auster y souffle, les habitans en sont malades. quand c'est Corus, ilz toussent: et quand c'est le Septentrion, ilz retournent en convalescence, et neantmoins ilz ne sauroient demourer ny aux rues, ny aux places communes, a cause de la grande impetuosité du froid. Aussi (sans point de doubte) le Vent n'est autre chose fors une undee d'air coulant, menee par incertaine redondance de mouvement. et cest esprit s'engendre quand la chaleur rencontre l'humidité, et que la violence d'icelle chaleur contrainct et chasse la force dudict esprit soufflant. Lon peult juger ceste chose estre vraye par les Aeolipiles d'arain, autrement boules a souffler feu, par lesquelles, et autres inventions artistes, lon peult comprendre les occultes raisons du Ciel, voire a peu pres dire et exprimer quele peult estre l'essence divine. Qu'il soit ainsi, lon fait ces boules d'arain creuses, qui ont un petit trou fort estroit, par lequel on les emplit d'eau, puis les met on devant le feu: et avant qu'elles s'eschauffent, n'en sort aucun vent ny alene: mais aussi tost que le chault les penetre, elles font un soufflement impetueux et puissant a merveilles.

[FIGURE]

Voyla comment par une petite experience lon peult juger des grandes et excessives raisons du Ciel, ensemble des Ventz, et de la Nature. Si donc iceulx Ventz sont destournez, cela ne rendra seulement un lieu salutaire aux creatures qui l'habiteront, mais davantage s'il y a quelzques maladies qui par autres inconveniens y soyent engendrees, et qui en autres lieux salutaires sont curables par medecines contraires: lá, pour la temperature, et destournement des Ventz, elles seront plustost gueryes. Or les maladies de difficile curation aux pays dessus specifiez, sont, Pesanteur de teste, Goutte arthretique, Toux, Pleuresie, Phtisique, Crachement de sang, et autres qui ne se guerissent par diminutions purgeantes, mais par remplissemens et restaurations aux corps des personnes affligees. Et ce qui rend ces maladies de difficile guerison, est premierement parce qu'elles sont engendrees de froid: puis que les forces des malades estant diminuees par l'aspreté de la douleur, encores l'air qui est batu de l'agitation des Ventz, vient a s'en rendre plus subtil, de sorte qu'il attire la substance des corps pleins de mauvaise humeur: et parainsi les fait plus maigres. Mais au contraire l'air doulx et un petit grosset, qui n'est gueres batu des Ventz, et n'a pas beaucoup de redondances, norrit et refait les personnes extenuees de ces maladies, et vient a augmenter les membres par le moyen de sa stabilité non subjecte a mutation. Quelzques autheurs ont voulu dire qu'il n'y a sinon quatre Ventz, asavoir en l'Orient equinoctial, Solanus: a Mydi, Auster: en l'Occident equinoctial, Favonius: et en la partie Septentrionale, celluy qui est nommé Septentrion. Mais d'autres qui ont plus curieusement cherché, afferment qu'il y en a huict, entre lesquelz principalement est Andronicus Cyrrhestes: lequel pour en donner exemple, feit en Athenes une tour de marbre octogone, ou de huict faces: en chacune desquelles estoit taillee de relief la figure d'un Vent, et posee du costé dont ce soufflement venoit. puis au dessus de la tour feit aussi de marbre un pignon poinctu, sur lequel asseit un Triton d'arain, tenant en sa main une verge: mais l'artifice en estoit tel, qu'il se mouvoit avec le Vent, et tousjours avoit le visage tourné contre celluy qui lors souffloit: dessus la teste duquel il tenoit sa verge, pour servir de monstre aux regardans.

[FIGURE]

Ceulx la donc qui mettent huict Ventz, assignent Eurus du costé d'orient d'yver, entre Solanus et Auster. Puis de la part de l'occident d'yver logent Aphricus, entre Auster et Favonius. Apres boutent Caurus, que plusieurs appellent Corus, entre Favonius et Septentrion. Consequemment assyeent Aquilon entre Septentrion et Solanus. qui me semble expression suffisante du nombre, des noms, et des contrees d'ou les Ventz procedent.
Maintenant pour trouver leurs regions et naissances, il y fauldra practiquer par ceste voye: Soit mise sur quelque perron, ou autre chose que lon vouldra, une table de marbre bien applaniee a la reigle et au nyveau: ou bien faictes ce perron tant egal, que n'ayez aucun besoing de table de marbre. puis au centre mettez y un gnomon ou ayguille d'arain propre a monstrer les umbres. Ceste ayguille est entre les Grecz appellee Sciatheras. Lors environ la cinqieme heure de devant Mydi, merquez d'un poinct le fin bout de l'umbre de vostre ayguille. apres mettez une des jambes du Compas sur le centre ou pose l'ayguille, et l'autre sur le poinct de son umbre: et de cela faictes un rond pour enclorre la longueur de l'umbre. Ce faict, observez apres Mydi l'accroissement de l'umbre d'icelle ayguille: et quand vous la verrez toucher jusques a la circumference, de sorte qu'elle sera l'umbre d'apres Mydi pareille a celle du devant, vous merquerez lá un autre poinct: et apres diviserez ce rond en parties egales mesurees avec le Compas, et tirerez une ligne droicte de l'un de ces poinctz jusques a l'autre, en passant par dessus le centre, afin de cognoistre les regions de Mydi et de Septentrion: puis prendrez la sezieme partie de toute la circumference, et mettrez le centre en la ligne de Mydi qui touche la rondeur du cercle, et merquerez sur ceste lá des poinctz a dextre et a senestre: et autant au Mydi et au Septentrion. puis de ces quatre poinctz vous tirerez des lignes correspondantes d'une extremité jusques a l'autre, en passant par dessus le centre: et par ce moyen vous aurez la huictieme partie de la designation qui doit estre entre Auster et Septentrion. et pour accomplir les parties restantes, vous en distribuerez egalement trois a droict, et trois a gauche, en sorte que la division des huict Ventz principaux soit justement designee en la description. puis vous verrez comment devront estre conduictes et menees les exhalations d'iceulx Ventz par les angles estans entre deux de leurs situations. Et par ceste division ainsi raisonnablement faicte, la force ennuyeuse de ces Ventz sera destournee des maisons et des rues: car quand les places de la ville seroient droittement tournees au soufflement impetueux, recommenceant souventesfois, et procedant de la spacieuse concavité du Ciel, s'il se trouvoit clos dans les destroictz des rues, il pousseroit de beaucoup plus grande vivacité. Parquoy fault tourner les entrees et yssues de ces rues a l'encontre de la venue de ces Ventz, afin que leurs violences soient repoussees et aneanties par les coingz des maisons insulaires, c'est a dire qui ne touchent en rien aux autres.

[FIGURE]

Paravanture ceulx qui cognoissent plus grand nombre de ventz, s'esmerveilleront de ce que je ne parle que de huict: mais quand ilz viendront a considerer qu'Eratosthenes Cyrenien a trouvé par le cours du Soleil, umbres de l'ayguille equinoctiale, inclination du Ciel, raisons de Mathematique, et Methodes de Geometrie, que la circuition de la terre n'a sinon deux cens cinquante et deux mille stades, qui font trois cens fois quinze cens mille pas, ilz ne se devront esbahir si un vent vagant par si grand espace, fait en ses revolutions tant de diversitez de soufflemens: car environ Auster a droict et a gauche, ont accoustume de venter Leuconotus et Altanus. environ Aphricus, Lobonotus et Subvesperus. environ Favonius, Argestes, et en certaines saisons les Etesies. A costé de Caurus, Circius et Corus. environ Septentrion, Thrascias et Gallicus. A la part droite et gauche d'Aquilon, Supernas et Boreas. environ Solanus, Carbas: et en certain temps les Ornithies. aussi aux costez d'Eurus, qui est en l'extremité de l'Orient d'yver, Cecias et Vulturnus. Il y a davantage plusieurs autres ventz qui prennent leurs noms de divers lieux, comme de Fleuves, Cavernes, et montagnes. Et qui plus est, il y a les respirations du matin, que le Soleil quand il vient de dessoubz terre, fait sortir de l'humidité de l'air, en les poussant de sa vigueur, sibien qu'il esmeut les soufflemens qui sourdent avant l'aube du jour: lesquelz s'ilz durent apres son lever, tiennent le reng du vent Eurus, qui pour estre aussi engendré des vapeurs du matin, est nommé des Grecz Euros, comme la matinee suyvant le soir, est entr'eulx dicte Aurion, a cause des fraicheurs qui l'accompagnent. Je scay bien qu'aucuns nyent qu'Eratosthenes ait peu colliger la juste mesure de la terre. Mais quoy qu'il {qui'l} en soit, ceste mienne escriture ne peult estre taxee de ne bailler les deues limites des regions dont les ventz procedent. et s'il est ainsi, la certitude ou incertitude de la mesure d'icelle terre, ne fait autre chose en cest endroit, sinon que les portees des ventz en sont plus ou moins longues ou courtes. Et pourautant que ceste matiere est par moy brievement exposee, afin que lon la puisse mieulx entendre, j'en feray a la fin de mon livre deux figures, l'une en tele sorte, que lon pourra congnoistre d'ou sortent certaines bouffees de vent: et l'autre pour monstrer par quele maniere lon peult eviter par opposites directions de rues et places, leurs soufflemens dangereux. Mais pour en donner la practique, Sur une table bien unie soit faict un centre merqué par A, et l'umbre de l'ayguille de devant Mydi, par B. puis du centre A, en compassant jusques au signe de l'umbre, tirez une ligne ronde, apres remettez vostre ayguille ou elle estoit, et attendez jusques a ce que l'umbre descroisse, et face en croyssant derechief l'umbre d'apres Mydi semblable a celle de devant, si qu'elle touche la ligne du rond, et lá merquerez le C. adonc depuis les signes B, et C, faictes avec le compas en forme de X, un poinct signe par D. apres de ce poinct marquez de nouveau en forme de X, l'autre costé du cercle, et tirez de ces deux poinctz une ligne a plomb passant pardessus le centre, laquelle cetterez en ses deux extremitez par E, et F. et ceste ligne monstrera les regions du mydi et Septentrion. Apres prenez avec le compas la sezieme partie de la rondeur: puis en mettez l'une des jambes sur la ligne de mydi ou est la lettre E. et signez a droict et a gauche G. H. Plus en la partie de Septentrion posez aussi le compas sur la ligne ronde, ou est la lettre F, et notez a droit et a gauche I et K. lors depuis G jusques a k, et depuis H jusques a I tirez des lignes traversantes en passant atravers le centre. Ce faict, l'espace qui demourra entre G et H, sera la region du vent Auster, et la partie de Mydi. puis l'autre qui se trouvera entre le I. et le K, sera pour le Septentrion. Les autres parties, trois a dextre, et trois a senestre, se doivent diviser egalement: et celles du costé d'orient, estre merquees L, et M. puis les autres de la part d'Occident, designees par N et O, tirant des lignes croysantes depuis M jusques a O, et autant depuis L jusques a N. Voyla comment vous trouverez egalement l'espace des huict ventz en vostre circuition. Et quand vous les aurez ainsi constituez, adonc vous recommencerez en chacun des angles de l'octogone, ou cercle a huict faces. Entre Eurus et Auster sera la lettre G. entre Auster et Aphricus H. entre Aphricus et Favonius N. entre Favonius et Caurus O. entre Caurus et Septentrion K. entre Septentrion et Aquilon I. entre Aquilon et Solanus L. entre Solanus et Eurus M. Cela faict, vous mettrez l'ayguille au parmy des angles de vostre octogone: puis suyvant ceste doctrine, distribuerez les douze partitions des places et rues de la ville.

DE L'ELECTION DES LIEUX POUR LE
commun usage des habitans. Chap. {Cap.} IX.

[LO] APres les rues divisees, et les places constituees, il fault traicter de la distribution du parterre pour la commodité et usage tant du commun peuple, que des Temples, maisons de Religion, Halles, Marchez, et autres lieux publiques. Si les Murs donc sont du long de la marine, il fault elire aupres du Port une place pour faire le Marché. Mais si la ville est mediterranee, c'est a dire loing de la Mer, il fault que ce Marché soit tout au beau mylieu. Puis les Temples et maisons sacrees, qui sont dediees aux Dieux protecteurs de la Cité, comme Jupiter, Juno, et Minerve, doivent estre au plus hault endroit, telement que lon puisse de lá veoir la plus grande partie des murailles. Si c'est pour Mercure, en plain Marché: ou comme a Isis et a Serapis, au lieu qu'on peult nommer la Bourse, ou les Marchans font leurs traffiques. Si c'est pour Apollo et pour Bacchus, fault bastir au pres du Theatre. Mais si c'estoit pour Hercules, et qu'en la ville n'y eust point de lieux d'exercices ny d'Amphitheatres, fault eriger son temple au Cirque, ou place destinee aux jeux. Si c'est pour Mars, le sien doit estre hors la ville, pourveu qu'il y ait quelque beau champ. Si c'est pour Venus, a la Porte: d'autant qu'elle luy est dediee par la discipline des Aruspices Hetruriens, qui veulent que ces deitez, asavoir Venus, Vulcan, et Mars, soient reverees hors l'enclos des murailles, afin que les jeunes enfans et meres de famille ne s'accoustument aux voluptez luxurieuses, et que par la force de Vulcan icelles voluptez soient interdictes ou mises arriere du pourpris de la Religion, et des sacrifices, si que les edifices semblent estre delivrez de la crainte et danger du feu. Semblablement que si la deité de Mars est servie hors la ceincture des Murs, lon estime qu'il ne sourdra aucune mutinerie ou dissension entre les Citoiens: mais que sa puissance leur servira de Boulevert contre les assaultz des ennemys, et si les pourra delivrer du peril de la guerre. Si c'est pour Ceres, son vray lieu est hors la ville, a raison que les hommes n'ont jamais besoing d'aller a son temple si ce n'est pour sacrifier. Aussi doit il estre maintenu par religion en toute purité, et coustumes louables. Finablement pour tous les autres Dieux il fault faire des edifices en places commodes a la proprieté de leurs cerimonies. Mais quant a ce qui concerne les logis de gens de Religion, ensemble la division de leurs places, j'en rendray raison en mes tiers et quatrieme livres, pource qu'en mon second il me semble qu'il fault traicter de la diversité des matieres propres a bastir, et dire leurs natures et vertuz: puis poursuyvre les mesures et ordres des maisons, sans oublier aucunes especes de symmetries, les exposant livre apres autre.

FIN DU PREMIER DE VITRUVE.