CINQUIEME LIVRE D'ARCHITECTURE
DE MARC VITRUVE POLLION.

[LO] CEULX (Empereur) qui par plus amples livres ont mis en lumiere la conception de leurs pensees, et de ce forme certains preceptes, ont donné a leurs escriptz des authoritez grandement authentiques: chose qui pourroit advenir de ce mien estude, asavoir que par aucunes ampliations il acquerroit beaucoup plus grande prerogative qu'il n'a. mais cela ne se conduit pas ainsi comme lon pense: car nul ne peult escrire en Architecture ainsi comme en Histoire ou Poesie: a raison que le propre d'icelle Histoire est de tenir les lecteurs attentifz, par les affections qu'ilz ont d'entendre le succes de plusieurs choses a eulx nouvelles: et la Poesie par ses nombres, mesures, disposition artiste, gentil chois de termes, sentences convenables aux personnes qu'elle introduict, et prolation distincte, donnant bonne grace a ses vers, attire sans aucune moleste et avec delectation les courages des auditeurs jusques a la fin qu'elle pretend.
Cela (Sire) ne se sauroit faire en la tradition de ceste doctrine, pourautant que les vocables engendrez de la propre necessité de l'art, et la facon de parler, autre que l'ordinaire, rendent une obscurite bien grande aux entendemens de ceulx qui le poursuyvent. Consideré donc que ses motz ne sont usitez ny congneuz, mesmes qu'ilz se treuvent estranges entre les communs, aussi que les escritures qui en ont este faictes, sont longues a merveilles, il me semble que qui ne les abregeroit, les expliquant en peu de paroles, et par preuves evidentes, cela rendroit les apprehensions des lecteurs obfusquees et incertaines. Pource donc qu'il me convient user de nominations occultes si je veuil exprimer les choses requises en cest endroit, specialement pour deduire la mesure et proportion des membres requiz en edifices: je me delibere n'y employer grande parole, afin qu'on les puisse mieux retenir en memoire, cognoissant que la brievete les rendra moins difficiles, et plus aisees a comprendre. Aussi je voy ceste Cité pour le present occupee en divers negoces tant particuliers que publiques, qui me fait juger estre besoing d'escrire succinctement, a ce que les Citoyens selon leur petit loisir puissent soudainement concevoir ce que je preten leur faire entendre.

LE plaisir de Pythagoras, et de ceulx de sa secte, estoit qu'il falloit escrire les traditions des sciences soubz certaines loix Cubiques: et constituerent le Cube du nombre de deux cens seize vers: disant qu'il n'en fault sinon trois pour decider amplement toute matiere qui se presente.
Or est ce Cube un corps de six costez ou faces, egalement uny et quarré en chacune de ses parties: et quand on le gette sur quelque chose platte, il demeure immobile sur la face ou il s'est assis, pourveu qu'on ne le bouge plus. De tele sorte font les Dez dont les Joueurs s'esbatent au Tablier. Et semble que lesdictz Pythagoristes aient pris leur fondement sur ce, que le nombre des vers qu'ilz ordonnent, est equiparable a ce Cube: car en quelque sens qu'il se pose, il rend la stabilité de la memoire, solide, et immobile. Aussi les poetes Grecz Comiques, c'estadire compositeurs de farces, divisoient les intervalles du narré de leurs jeux, interposant certains Motetz chantez par une troupe de gens duitz a ce faire: et ainsi par le moyen de ceste raison Cubique soulageoient les loquences de leurs personnages.
Consideré donc que ces choses ont esté introduictes par les Antiques suyvant la voye de Nature, et que je congnois qu'il me fault escrire a plusieurs ouvriers beaucoup de choses obscures et inusitees, afin que mes traditions se puissent plus facilement inserer dedans les memoires des lecteurs, je suis d'advis qu'il ne seroit pas bon de m'arrester a grande superfluité de langage: car si je suis brief, mes preceptes en seront plus aptes a estre entenduz, veu mesmement que je les ay redigez par ordre, a ce que ceulx qui les vouldront chercher, n'ayent peine de les cueuillir separement, ains que tout en un corps ensuyvant l'ordre des volumes ilz y puissent trouver les explications convenables a toutes les particularitez de ce negoce.
J'ay desja (Sire) declaré en mes Tiers et Quatrieme, les enseignemens pour bastir selon le devoir toutes maisons sacrees: parquoy en cestuy cy je diray de quele ordonnance doivent estre les edifices communs, et preallablement l'Hostel de la Ville, pource que les polices des affaires particuliers y sont de jour en jour decidees par la conduitte des Seigneurs qui en ont la superintendance.

DE L'HOSTEL DE LA VILLE. Chap. I.

[LO] LEs Grecz bastissent leurs Hostelz de Ville en quarré: et y font des galleries doubles assez spacieuses, qu'ilz enrichissent de plusieurs colonnes de pierres de taille ou de marbre: sur lesquelles posent leurs Architraves pour soustenir les planchers commodes a se promener. Mais en noz villes d'Italie la raison ne veult pas qu'il se face ainsi, pource que si nous voulons suyvre les coustumes de noz Ancestres, il fault donner les pris aux Gladiateurs, ou joueurs d'espee, et autres gens exercitans les armes, en la grande place estant devant ceste maison. A ceste cause est expedient de distribuer environ le pourpris ou telz esbatemens se doyvent faire, les entrecolonnes de largeur bien aysee, et al'entour des allees establir les boutiques des Orfevres, Merciers, et autres gens de mestier, mesmes faire des loges de boys, ordonnees par si bonne practique, qu'elles soient duysantes a l'usage de ceulx qui vouldront y entrer, et puissent rendre deniers au proffit de la Ville.
Au regard de la grandeur d'icelles places communes, il la fault faire selon la multitude des habitans, afin que le pourpris n'en soit trop petit pour recevoir le peuple quand le besoing s'y offrira. Aussi ne le fault il faire si grand qu'il semble trop vague quand il y auroit peu de gens.
Pour bien ordonner donc la largeur de son estendue, il fault preallablement que la longueur soit divisee en trois parties, et que deux en soient assignees a ceste largeur: parainsi l'edifice en sera longuet: au moyen de quoy sa disposition se rendra plus utile et commode pour le peuple lors qu'on y fera quelques choses de joyeuseté.
Les colonnes du second estage doyvent estre d'une quatre partie moindres que celles du premier, pource que la raison veult que les basses soient plus grandes et plus grosses que les haultes, afin de mieux supporter le faix: et en ce fault imiter la nature des arbres croissans hault et droict, comme sont l'Avet, le Cypres, et le Pin: chacun desquelz est tousjours plus gros par aupres du pied que paramont, aussi en prenant leurs croissances, ilz se rapetissent naturelement par proportion egale jusques a leur coupeau. Si donques la Nature des choses vegetales nous monstre qu'il le fault faire ainsi, je dy que ce sera raisonnablement ordonné de faire les choses haultes moindres en grosseur et haulteur, que les plus prochaines de terre.

Il fault retenir lieu aupres de ceste place commune, pour les Basiliques ou maisons Royales ausquelles conviennent les Magistratz afin d'y administrer justice au Peuple: et les convient situer devers les plus chauldes parties du Ciel que lon pourra, a ce que durant les yvers, les negociateurs, et autres qui pour lors y auront afaire, puissent non obstant le mauvais temps, y aller quand le besoing le requerra.

Les largeurs de ces maisons ne soient jamais ordonnees plus amples qu'une demie longueur de celle place commune, ny moindres que d'une tierce partie. Cela s'entend si la nature du lieu le peult permettre, et si elle ne contrainct la juste symmetrie a se changer en autre maniere. Mais si le lieu est plus estendu en longueur, la raison veult que lon face au long de ses extremitez certaines Chalcidiques, Causidiques ou Parquetz a playder, comme celluy qui est en la bourgade Aquilienne.

Les colonnes de ces Basiliques soyent pour le moins aussi haultes que les allees seront larges: et le Portique ou promenoer qui doyt estre au mylieu de ce pourpris, soit faict d'une tierce partie de sa longueur. Les autres colonnes du second estage soyent moindres que celles du premier, comme il est cy dessus escrit. Le piedestal continue, dict Pluteum, servant d'appuy sur la Cornice, ayt une quatre partie de la haulteur de son estage, afin que ceulx qui chemineront sur son plancher, ne puissent estre apperceuz par les negociateurs qui se promeneront en bas.

Au regard des Architraves, Frizes, Cornices, et autres membres du bastiment, il

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les fauldra conduire selon les proportions des colonnes, comme nous avons desja dict en nostre troysieme.
Ces Basiliques peuvent avoir souveraine dignité et belle apparence, si elles sont faictes comme celle que je fey a Fanestri, maintenant Fano, pres de Senegaille, qui est une colonie de Julia, et dont les symmetries sont teles:
La voulte et place du mylieu environnee de colonnes, est de six vingtz piedz en longueur, et de soixante de large. Son portique ou promenoer estant au droict de ceste voulte, entre les colonnes et la muraille, n'a que vingt piedz de diametre: les colonnes ont de haulteur, en comprenant leurs chapiteaux, cinquante piedz de mesure, et cinq de grosseur. Chacune d'elles a derriere soy des Parastates ou pilastres quarrez de vingt piedz de hault, et de deux et demy de large, mesmes font espoiz d'un pied et demy, et ceulx la soustiennent les sommiers sur lesquelz est fondee la charpenterie des portiques. Sur ces pilastres il y en a encores d'autres de dixhuict piedz de hault, ayant aussi deux piedz de large, et un pied d'espoisseur: et ceulx la portent pareillement les poultres qui soustiennent les toictz des portiques declinans en pente plus bas que n'est ladicte voulte. Les autres espaces entre iceulx Pilastres et les corps des colonnes, sont reservez pour les lumieres.
En la largeur de ceste voulte il y a quatre colonnes, a compter celles de ses extremitez, assizes tant a droict comme a gauche: et en sa longueur qui aboutit a la place commune, il y en a huict, a comprendre celles des coingz de l'edifice: et six de l'autre part, comptant tousjours ces angulaires. Toutesfois il en fault deux sur le mylieu de la face principale: et sont omises afin qu'elles n'empeschent la veue de la maison d'Auguste, situee viz a viz d'icelle Basilique, laquelle de l'autre part a veue sur le Marché, et sur le Temple de Jupiter. En ce costé la y a un Tribunal faict en forme de demycercle, toutesfois de moindre cambrure, et sentant son ovale: le front duquel en sa circumference contient quarantesix piedz de large, et la ligne droitte ne s'estend que de quinze, qui est afin que ceulx qui assisteront autour des magistratz, n'empeschent les autres negociateurs practiquans en la Basilique.

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Sur les colonnes il y a des sommiers faictz de trois poultres lyees ensemble, ayant chacune deux piedz d'espois: et ces sommiers regnent tout al'entour de l'edifice: mais depuis les troysiemes colonnes en dedansoeuvre, ilz retournent jusques aux Pilastres de la face de devant, et touchent les courbes du {d + Blanc} demy cercle tant a droict comme a gauche. Sur ces sommiers, aplomb des chapiteaux, il y a {Blanc} des tronches de boys de trois piedz en haulteur, et larges de quatre en tous sens, audessus desquelles posent en ligne perpendiculaire, de gros pilliers de charpenterie, qui portent des poultres enclavees a groz crampons de fer, et regnantes du long de la Frize jusques sur les contrefors des coingz, et tant que dure la muraille du devant de l'edifice qui est pour soustenir le grand toict de la Basilique, et pareillement l'autre plus elevé, assiz sur le mylieu de la principale face du bastiment: parainsi tele double ordonnance de pignons, asavoir du toict par dehors, et de la voulte par dedans, rendent une apparence belle, et de bonne grace: non obstant que les Architraves ne soyent enrichiz de moulures, mais seulement la disposition des Piedestalz continuez, et des colonnes, faicte par bonne symmetrie: car cela peult de beaucoup avancer un ouvrage, et encores espargner grand partie des fraiz. Si est ce que lesdictes colonnes toutes d'une haulteur jusques au dessoubz du sommier servant a soustenir la voulte, monstrent bien que la despence n'y a esté aucunement espargnee, et si donnent singuliere authorite a la besongne.

DE QUELE MANIERE FAULT ORDONNER LA TRESORERIE,
LA PRISON, ET L'AUDITOIRE A PLAYDER. CHAP. II.

[LO] LA Tresorerie, la Prison, et l'Auditoire, {lA'uditoire} doivent estre aupres de la place commune: mais il fault que chacun de ces bastimens soit si bien ordonné, que la grandeur de leur symmetrie corresponde a la dicte place: et est besoing entre autres choses, que l'Auditoire soit faict selon la dignité de la Jurisdiction de la ville. Et si d'avanture il est quarré, fauldra prendre garde a luy donner une fois et demye autant de hault comme il aura de large. Mais s'il se treuve de proportion plus longue, de ceste longueur et largeur soit faict une mesure, la moytié de laquelle soit donnee a la haulteur de l'estage jusques au plancher: puis soit le dedansoeuvre environné d'une ceincture ou cornice de Stuc, et blanchie de fleur de Chaulx, icelle cornice justement assize au mylieu de la muraille: car sans cela les voix des Advocatz seroient portees jusques en hault, ou elles s'espartiroient de sorte que les auditeurs ne les pourroient entendre si bien qu'il est requis. Mais si le dedansoeuvre est ainsi tournoyé d'une Cornice, les loquences des hommes seront rabatues avant estre elevees en l'air, et dissipees comme dict est, si bien qu'elles pourront distinctement parvenir aux oreilles des escoutans.

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DU THEATRE. CHAP. III.

[LO] APres celle place commune ordonnee, fauldra elire un lieu pour le Theatre, en la plus saine partie qu'il sera possible le trouver: et la se joueront les jeux pour donner passetemps au Peuple durant les jours de feste consacrez aux Dieux immortelz. Et pour ne faillir a le bien disposer, sera bon d'avoir recours a ce que j'ay dict en mon premier livre, au traicté de la collocation des murailles: car en ces jeux les habitans de la ville assiz pres de leurs femmes et enfans, demeurent en grand contentement: qui faict que les corps esmeuz de volupté, sont attentifz et immobiles, ayans les pores des veynes entr'ouvertz, si qu'ilz peuvent recevoir les bouffees des Ventz: lesquelz s'ilz viennent de regions marescageuses, ou autres malsaines, apportent quant et eulx un air corrompu, qui nuyt merveilleusement aux personnes. A ceste cause si lon choisit par bon soing et industrie une place commode pour ce Theatre, les dangers seront evitez.
La raison veult que lon prenne garde a ce qu'il ne soit subgect aux impetuositez du Mydi, pource que quand le Soleil emplit sa circumference, l'air enclos la dedans, et qui n'a pouvoir d'en sortir, va cherchant yssue de toutes partz, au moyen dequoy il se rend plus chauld que l'ordinaire, en sorte qu'il cuyt, voire quasi brule les assistans, et diminue les humeurs, qui sont la substance de leurs corps.
Pour ces causes donc, et autres que lon pourroit dire a ce propos, il est requis d'eviter sur toutes choses, les parties du Ciel malsaines, et choisir les bonnes. Si donc la place vient a se trouver en quelque montagne, les fondemens en seront beaucoup plus aisez a faire. Mais si d'avanture lon estoit contrainct de l'edifier en lieu plat, ou marescageux: pour l'asseurance et fermeté d'iceulx fondemens, fauldra suivre la practique par moy donnee en mon troysieme livre, ou j'ay parlé de la situation des Temples.
Audessus de ces fondemens sera requis lever les degrez pour asseoir le Peuple, et les faire de pierre, ou de marbre: puis tenir les Paelliers de haulteur correspondante a l'equipollent du Theatre, et prendre garde a ne faire les elevations d'iceux degrez plus haultes que lesdictz Paelliers auront de largeur pour servir de passage: car si elles excedoient cela, les voix en seroient poussees contremont, et si ne sauroient distinctement arriver aux oreilles de ceulx qui seroient aux plus haultz degrez oultre le dernier ordre. Parquoy en somme l'Architecte se doyt conduire en cest endroict de sorte qu'estant une ligne ou cordelette estendue depuis le plus bas degré jusques au plus hault, elle vienne a toucher toutes les arestes des sieges: ce faisant, les voix ne trouveront chose qui les empesche.
Davantage est besoing qu'il y ait plusieurs entrees et saillies assez spacieuses: mais que celles de dessus ne se r'encontrent avec celles de dessoubz, ains que de tous costez y ait montees droittes, sans contournement ny destour, afin que le peuple a l'yssue des jeux, ne soit foulé par trop grande presse, ainsi ayt de toutes partz ses eschappatoires separez, et sans porter nuysance les uns aux autres.
En oultre fault adviser que le lieu ne soit sourd de sa nature, mais que les voix puissent clairement resonner parmy son pourpris: et cela se pourra faire, s'il est eleu tel que la loquence n'y soit aucunement empeschee.
Or n'est la voix sinon un esprit fluant, perceptible a l'ouye par la verberation de l'air. Ceste voix s'en va tournoyant par infinies circuitions de cercles, tout ainsi que quand lon gette une pierre ou autre chose en une eau dormante: car adonc il se fait sur les undes plusieurs grans cercles, qui procedent tous d'un seul centre, et se vont estendant en grande largeur, si le lieu trop estroict ne les destourbe, ou si quelque autre object ne s'y oppose, gardant que les impressions faictes sur l'eau, ne puissent arriver jusques ou elles se pourroient estendre. A la verité quand il y a de telz rencontres, les premieres figures qui sont repoussees, desvoyent les desseingz des autres qui ensuyvent. Aussi la voix s'en va tout de mesme, faisant ses mouvemens en rondeur: mais les cercles qui s'engendrent sur l'eau, se peuvent amplifier tant que la nature du lieu le permet, parce qu'ilz treuvent une planure egale, ou la voix en montant contremont, ne se peult elargir que de degré en degré. Comme donques il advient a l'impression des undes, que si les premieres ne treuvent point de resistence, toutes vont jusques au but ou elles doivent, d'autant que la premiere n'empesche la seconde, ny celles qui suivent, aux autres avenir: ainsi la voix sortant de son organe, si elle ne treuve object qui la retarde, faict que son premier ton se va estendant jusques ou il doit aller, pareillement le second, et tous les autres qui ensuyvent. mais s'il y a destourbier, ilz parviennent sans distinction aux oreilles des auditeurs assiz aux plus haultz et plus bas degrez du Theatre. A ceste cause les Architectes antiques voulans en leurs ouvrages imiter la Nature, apres avoir examiné les effectz de la voix, feirent les degrez des Theatres montans les uns apres les autres: puis chercherent par regles de Mathematique, et raisons de Musique, a faire que toutes les voix saillantes des personnages du jeu, se rendissent plus claires et entendibles en arrivant aux oreilles des escoutans. Et tout ainsi comme les instrumens de lames d'Arain, ou de Corne, sont faictz suyvant la proportion nommee par les Grecz Diesis (qui est la premiere apprehension du son incontinent qu'il sort de son organe) afin de donner plus d'harmonie aux cordes: ainsi furent par les antiques establies les facons des Theatres, pour augmenter la voix, et la rendre plus resonnante.

DE L'HARMONIE. Chap. IIII.

[LO] HArmonie est une practique ou science Musicale, obscure et difficile, principalement a ceulx qui n'entendent rien aux lettres Greques. Et si je la veuil expliquer, il est force que je me serve de termes Grecz, pourautant que certaines choses concernantes mon intention, n'ont point des noms Latins. A ceste cause je l'interpreteray le plus clairement qu'il me sera possible, suivant les traditions du Philosophe Aristoxenus: et si en feray une figure determinant les qualitez des sons, ainsi qu'il les nous a faict entendre, afin que tout homme qui sera studieux, les puisse facilement comprendre, et s'en ayder.
Quand la voix se va flechissant par changemens ou muances, aucunesfois son ton s'en rend plus subtil ou plus grave. Elle est esmeue en deux manieres: l'une desquelles a ses effectz continuez, et l'autre distans par intervalles. Celle qui est continuee, ne consiste en finitions ny aucun lieu, ains rend ses terminations non apparentes. mais les temps du mylieu sont manifestes a noz ouyes: comme si quelq'un disoit jour, feu, fleur, nuyct: certainement ce sont paroles qu'on n'entend point ou elles commencent, ny ou elles finent, d'autant qu'elles ne sont de subtiles faictes graves, ny de graves subtiliees, selon le rapport de noz oreilles. Mais c'est tout le contraire quand il y a quelque distinction, consideré que quand ladicte voix se vient a tourner en muance, elle mesme s'assubgettit a terminer en quelque son que ce soit, et de cestuy la en un autre: au moyen dequoy par ses divers flechissemens puis deca puis dela, elle se fait reputer inconstante par les ouyes des auditeurs, principalement quand ce vient a chanter: car quand les sons se haulsent ou baissent, les hommes font plusieurs accordz differens. Quand donc icelle voix est forcee a rendre des sons distinguez, lon entend bien ou elle a commencé et finy: toutesfois les temps du mylieu sont aboliz par ces extremitez.
Or est il trois especes de resonance. La premiere, que les Grecz nomment Harmonia, c'estadire composition ou accord. La seconde Chroma, qui signifie diminution ou fredonnement: et la tierce Diatonos, interpretee haulte et claire. Ceste doulceur d'Harmonie a esté conceue et trouvee par art: qui a faict que tout chant lequel en est orné, engendre une delectation agreable et bien estimee. L'espece Chromatique donques subtiliee par industrie de passages mignonnement fredonnez, rend la melodie delicate et gracieuse le possible.
La tierce dicte Diatonos, pource qu'elle est naturele, se treuve facile a estre conduicte en la prolation de ses accens. Voyla d'ou vient que les Tetrachordes instrumens de Musique, sont differens de tons, selon qu'ilz sont faictz et accommodez a l'un ou a l'autre de ces genres.
L'Harmonie en iceulx Tetrachordes, emporte deux tons et deux Dieses: et n'est Diese autre chose que la quarte partie d'un ton: parquoy s'ensuyt qu'n Semiton vault deux d'icelles Dieses.
Au Chroma il s'y treuve deux demytons composez par bon ordre, et encores un troysieme temps, qui est sans plus l'intervalle d'iceulx demytons, c'est a dire un Souspir.
Le Diatonos ce sont deux tons continuez, et le troysieme demyton acheve la grandeur du Tetrachorde. Parainsi en ces trois genres de Musique les Tetrachordes sont faictz egaulx au moyen de deux tons et un demy. Mais quand on les sonne ou escoute separement chacun en son espece, ilz rendent une proportion de temps tout dissemblable. a quoy lon peult congnoistre que Nature a divisé en la voix les differences des tons, demytons, et Tetrachordes, mesmes qu'elle a determiné leurs estendues, par mesures distinguees selon la quantité qu'elles peuvent avoir: et constitué leurs qualitez par certains moyens de distances: suivant lesquelz ceulx qui font les Orgues et autres instrumens de Musique, usent des choses par elle ordonnees: car ilz distribuent leurs sons par accordz convenables.
Les sons donques en Grec appellez Phthongi, sont dixhuict en nombre pour chacune de ces especes: et huict d'entr'eulx sont permanens et perpetuelz en tous les trois genres dessus mentionnez: mais au regard des autres dix, quand ce vient a les chanter, ilz se treuvent communement vagans en maniere de fleuretiz. Les permanens et stables sont ceulx qui estant mis entre les mobiles, contiennent la conjonction du Tetrachorde: et en ces differences de genres sont permanens en leurs limites ordinaires. Ceulx la se font appeller ainsi,
Proflamuanomenos, c'estadire A. re. Hypate Hypaton, B. my. Hypate meson, E. la. my. Mese, A. la. my. re. Nete synemmenon, D. fol. re. le bas. Paramese, B. fa. b. my. Nete diezeugmenon, E. la. my. et nete Hyperboleon, A. la. my. re. le hault.
Les mobiles sont ceulx qui estans en un Tetrachorde disposez entre les immobiles, muent de places en certains genres et lieux, parquoy se font appeller comme sensuyt, Parhypate hypaton, C. Fa. Ut. Lichanos hypaton, D. Sol. Re, le hault. Parhypate meson, F. Fa. Ut. Lichanos meson, G. Sol. Re. Ut. Trite synemmenon, B. Fa. b. my. Paranete synemmenon, C. Sol. Fa. Trite diezeugmenon, C. Sol. Fa. Ut. Paranete diezeugmenon, D. La. Sol. Re. Trite hyperboleon, F. Fa. Ut. Paranete hyperboleon, G. Sol. Re. Ut.
Davantage ces sons qui se meuvent, recoivent d'autres proprietez, d'autant qu'ilz ont des temps, ou poses croissantes, telement que Parhypate qui en harmonie differe de Hypate Diesis, quand il vient a se changer en Chroma, porte seulement un demy ton, et en Diaton un tout entier. La note dicte Lichanos, ou D. Sol. Re. est differente de Hypaté, pource que ce n'est fors demyton: et quand on la transmue en Chroma, elle vault bien autant que deux demyz: mais en regle Diatone elle s'eloigne dudict Hypate par trois demytons.
Voyla comment ces dix notes a cause des changemens en leurs especes, font trois diversitez de consonance.
Or y a il cinq Tetrachordes, dont le premier est grave: aussi les Grecz le nomment Hypaton. Le second moyen, qui par eulx est appellé Meson. Le tiers conjoinct, en leur langue Synemmenon. Le quatrieme desjoinct ou separé, dict Diezeugmenon: et le cinqieme hault et clair, dont il a gaigné le tiltre de Hyperboleon.
En apres les sortes de consonances dont la nature de l'homme peult rendre melodie, se nomment entre lesdictz Grecz Symphonies, et sont six de compte faict, asavoir Diatessaron, Diapente, Diapason, Diapason et Diatessaron, Diapason avec Diapente, puis Disdiapason. Celles la ont tiré leurs vocables des membres dont elles sont composees, pource que quand la voix demeure en une finition de son, puis que soudain elle se mue pour arriver a une quarte, lon la dict Diatessaron. Si c'est en une cinqieme, on la nomme Diapente: en l'octave, Diapason: en une huictieme et demye, Diapason et Diatessaron: en une neufieme et demye, Diapason et Diapente: et en une quinzieme, Disdiapason: {Disdiapson} car quand il se fait un son de corde ou chant de voix entre deux espaces, les consonances ne se peuvent bonnement faire, non plus qu'en une tierce, en une sixieme, ou en une septieme: ains (comme j'ay dict par cy devant) ces Diatessaron et Diapente tenant ordre jusques au Disdiapason, ont certaines melodies de bonne grace en nature de voix harmonieuse, et celles la s'engendrent d'une conjonction de sons que les Grecz signifient par Phthongi.

[FIGURE] Entiere congregation harmonieuse de l'espece Diatonique.

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DES VASES OU VAISSEAUX DU THEATRE
Chap. V.

[LO] PAr les investigations ou cherchemens des choses, et suyvant certaines raisons de mathematique, lon fait des vaisseaux d'Arain a l'equipollent de la grandeur du Theatre: qui sont conduictz par artifice tant industrieux, que quand la voix les touche, ils retentissent entr'eulx, et font entendre un Diatessaron et Diapente, puis ainsi consequemment jusques au Disdiapason.
A ceste cause dedans les sieges du Theatre, observant les regles de Musique, lon y laisse de petites chambrettes ou on les loge, mais toutesfois en sorte qu'ilz ne touchent aucunement aux parois, ains sont leurs places vuydes tout al'entour: puis au plus hault degré lon les tourne les gueules contre bas: et devers la partie qui regarde la Scene, ilz ont soubz leursdictes gueules des quarreaux de fer, non moindres de demy pied en haulteur: mesmes en leurs chambrettes sont laissees les ouvertures contre les frontz des degrez d'embas, longues de deux piedz, et haultes d'un demy.
Mais pour bien donner a congnoistre comment et par quele practique ces vases doyvent estre appliquez, je diray presentement ce qu'il m'en semble.
Si le Theatre n'est de grandeur gueres ample, sa haulteur soit par le travers de son mylieu divisee d'une ligne perpendiculaire, suyvant laquelle soyent faictes treze chambrettes voultees, distantes en egalitez pareilles, afin que ces vases retondissans et resonnans jusques a Nete hyperboleon, c'estadire la plus haulte note de la Game, soyent assiz dedans les chambrettes aux extremitez des cornes ou boutz du Theatre, autant d'une part que d'autre. Les secondz soyent posez par tel art qu'ilz puissent resoner depuis les extremitez de Diatessaron jusques a Nete Diezeugmenon: les troysiemes depuis Diatessaron jusques a Nete Parameson: les quatriemes jusques a Nete Synemmenon: les cinqiemes depuis Diatessaron jusques a Meson: les sixiemes depuis Diatessaron jusques a Hypate Meson: la trezieme, asavoir celle du mylieu, fault qu'elle estende son harmonie depuis icelluy Diatessaron jusques a Hypate hypaton.
Et si ces vases sont disposez ainsi, la voix procedant de la Scene comme d'un centre, en tournoyant parmy ses cercles, mesmes frappant de son attouchement toutes leurs concavitez, excitera une resonance claire et agreable le possible, sique par son retondissement elle engendrera une harmonie convenante a soy mesme. Toutesfois s'il estoit que la grandeur d'icelluy Theatre feust plus ample, lors il fauldra diviser sa haulteur en quatre parties, afin qu'il y ait trois ordres de chambrettes, dont l'une sera pour l'harmonie, l'autre pour le Chroma ou Fleuretiz, et la tierce pour le Diaton.
Cela faict, la premiere du fons soit colloquee comme il est cy dessus escrit en la proportion du petit Theatre: et en celle de la region du mylieu, mesmes en l'extremité des cornes tendantes devers ledict Chroma, soient assiz et posez les vases qui auront le son Hyperbolique ou plus clair.
En la seconde apres, ceulx dont le Diatessaron s'estendra jusques au Chroma Diezeugmenon. En la tierce les autres entonnez jusques a Chroma synemmenon. En la quarte sera le Diatessaron jusques au Chroma Meson: puis aux cinqiemes icelluy Diatessaron jusques a Chroma Hypaton: et aux sixiemes, ceulx qui seront entonnez sur le Parameson: pource que le Diapente a certaine communité de consonance avec le Chroma Hyperbolique, et le Diatessaron avec le Chroma Meson.
Au mylieu n'y fauldra rien mettre, pourautant qu'en l'espece Chromatique nulle autre qualité de son ne peult avoir concordance de melodie. Mais en la plus haulte division et region desdictes chambrettes seront miz dedans les angles ou cornes du Theatre, les vases assignez au Diaton Hyperbolique, et qui auront expressement esté fonduz pour cela. Aux secondes, ceulx qui s'estendront depuis le Diatessaron jusques au Diaton Diezeugmenon. Aux tierces, les propres pour le Diapente jusques au Diaton synemmenon. Aux quartes, ceulx de Diatessaron jusques au Diaton Meson. Aux quintes les entonnez de Diatessaron jusques au Diaton Hypaton: et aux sixiemes ceulx qui seront gettez pour le Diatessaron, jusques au Proslamuanomenos: puis au mylieu, les accommodez au Meson, pource que ceste region lá tient certaine affinité de melodie tant avec le Proslamuanomenos Diapasonné, qu'avec le Diaton Hypaton, et avec le Diapente.
Si donc quelqu'n veult bien conduire un tel ouvrage jusques a sa deue perfection, fauldra preallablement qu'il se renge a la figure designee par raison de Musique, et mise a la fin de mon livre: car c'est celle qu'Aristoxenus mesme nous en a laissee, apres avoir par songneuse industrie et grande vivacite d'esprit divisé les modulations en propres genres et especes. A ceste cause, si quelque ouvrier ou Architecte se fonde en ces raisons, il n'y a point de doubte qu'il perviendra beaucoup plus aisement qu'n autre, a la perfection desdictz Theatres, et donnera autant de resonance a la voix, qu'elle en a de sa nature: mesmes fera sentir un grand contentement aux oreilles des auditeurs.
Si est ce que lon me pourra dire en cest endroit, qu'il se fait tous les ans plusieurs Theatres en ceste ville de Rome, ausquelz ne s'observe rien de tout cela. Veritablement qui le dira ainsi, sera bien abuzé, et fauldra lourdement, a raison que tous lesdictz Theatres publiques se font de charpenterie, revestue de plusieurs aix ou planches de bois, qui resonnent d'elles mesmes. et qu'il soit vray, lon en peult veoir l'experience, quand les Chantres et Menestriers voulans pousser jusques au plus hault ton, se retournent contre les portes de la Scene, car ilz en recoivent quelque secours servant a la consonance de leurs voix ou instrumens.
Mais si lon fait des Theatres de matiere sourde et solide, comme de pierres de taille, de Marbre, ou teles choses lyees et conjoinctes avec du cyment, il n'y a point de doubte qu'elles ne peuvent resonner: parquoy fault en ce cas suyvre ceste mienne practique. Mais qui vouldroit enquerir de moy, en quel Theatre de ceste ville, ce que j'ay dict, a esté observé, je confesse qu'il ne seroit en ma puissance de le monstrer: neantmoins il s'en treuve assez de telz par les contrees d'Italie, et en plusieurs citez de la Grece.
Puis nous avons pour bon et suffisant tesmoing Lucius Mummius, lequel apres avoir ruyné de fons en comble le Theatre de Corinthe, feit apporter les vases d'Arain a Rome, et comme despouilles d'ennemys, les dedia au temple de la Lune.
Semblablement beaucoup d'Architectes de bon savoir qui ont basty des Theatres en quelzques petites bourgades, estant par la povreté des habitans contrainctz de recourir a l'industrie, en lieu de vases d'Arain se sont prevaluz de terre cuitte, et les ont si bien ordonnez suyvant la maniere cy dessus exposee, qu'il en est ensuyvy des effectz honorables et profitables.

DE L'EDIFICATION DU THEATRE. CHAP. VI.

[LO] MAintenant pour bien conduire l'edification du Theatre, il y fauldra proceder en ceste sorte: C'est, qu'autant que devra estre grand le pourpris de son parterre, apres que l'Architecte aura faict un centre au beau mylieu, soit tiree au cordeau une ligne de circumference, sur laquelle soient designez quatre Trigones ou Triangles de pareilz costez et intervalles, touchans a la ligne d'icelle circumference, comme les Astrologues veulent qu'il se face en la description des douze Signes du Zodiaque, pour representer l'Harmonie celeste.

[FIGURE]

De ces triangles celluy qui aura le costé plus prochain de la Scene, en la region par ou il coupe la ligne de la circumference, fera le front de celle Scene, duquel en passant pardessus le centre, fauldra tirer une ligne parallele ou equidistante, afin de faire la separation du Poulpitre d'avec l'Orchestre, ou lieu propre a danser.
Ce faisant, icelluy Poulpitre sera beaucoup plus ample que ne sont ceulx des Grecz: comme raison veult qu'il le soit, a cause que les Artisans y font leurs fainctes et autres negoces pour la decoration du jeu.
En ceste Orchestre sont les sieges des Senateurs ou gouverneurs de la Republique: et pourtant ne fault que ce Poulpitre excede cinq piedz de mesure en haulteur, a ce que lesdictz personnages d'authorité qui seront en leurs sieges, puissent a l'ayse veoir tous les actes et gestes des joueurs.
Au regard des passages pour le Peuple, il les fault compartir en sorte que les coingz des triangles touchans a la ligne de la circumference, facent la conduitte des escalliers pour monter jusques au premier ordre des degrez.

[FIGURE]

[FIGURE]

Audessus de ce premier ordre soit faicte l'allee, aire, ou paellier du mylieu pour monter au second. Et quant aux ouvertures situees sur le plant, qui sont sept en nombre, la ligne courbe de six d'entr'eulx, soit estendue en une longueur droicte, et ceste la fera la largeur de la face de la Scene: mais il en fauldra oster celle du mylieu, pour faire les entrees et saillyes principales: parainsi ne resteront que cinq, dont deux et demye doubles tant a droict comme a gauche, monstreront, ou, et de quele espace fauldra dresser les loges pour la retraicte des estrangers: puis les deux aboutissantes contre les extremitez de la ligne droicte, regarderont sur les voyes communes d'environ lesdictes Scene et Theatre.
Chacun reng d'iceulx degrez sur quoy les gens seront assiz pour veoir les jeux, ne soit moins hault que d'un pied quatre poulces, ny plus que d'un pied et six doys, et leur largeur n'excede plus de deux piedz et demy, ny se tienne plus estroicte que de deux.

DE LA COUVERTURE DU PORTIQUE DU
THEATRE. CHAP. VII.

[LO] LA couverture du Portique d'icelluy Theatre, qui doyt estre au sommet de tous les ordres des degrez, se face a l'alignement de la haulteur de celle de la Scene, a ce que la voix en montant contremont, et s'estendant parmy la spaciosité de l'air, puisse egalement parvenir jusques au plus hault d'iceulx degrez, et en oultre jusques a leur toict, duquel qui ne rendroit la couverture equipollente a l'autre, tant moins auroit l'edifice de haulteur, et tant plustost seroit la voix poussee jusques a sa sublimité, ou il est force que finablement elle arrive.
L'Orchestre soit respondante a nyveau du plus bas reng des degrez: puis prenant une sixieme partie de son diametre, les sieges d'embas soyent taillez sur ceste mesure, puis posez environ les cornes ou coingz dudict Theatre. Apres ou le premier ordre d'iceulx degrez fauldra, lá soient faictes les aires ou paelliers par ou le Peuple puisse aller et venir. ce faisant, ilz auront assez bonne haulteur et competente.
La longueur de la Scene doit estre deux foys aussi grande que le diametre de l'Orchestre: et le Petit mur ou Piedestal continué soustenant les premieres colonnes, respondre a l'alignement du Poulpitre, y comprenant sa Cornice avec sa Cymaise: et doit avoir de hault une douzieme partie de la ligne droitte d'icelle Orchestre.
Audessus du dict Piedestal continué soient assizes les colonnes, lesquelles a compter leurs bases et chapiteaux, ayent de haulteur une quatrieme partie d'icelluy diametre: puis les Architraves et autres membres regnans dessus, une cinqieme.
Le Petit mur du second estage avec sa Cornice et sa Doulcine, ayt seulement la moytié de celluy dessoubz: et les colonnes qui poseront dessus, soient moindres d'une quarte partie que les inferieures: mesmes leurs Architraves et autres membres d'une cinqieme.
Encores s'il est question d'y faire un tiers estage, son Piedestal continué n'ayt qu'ne moytié de la haulteur de celluy du mylieu, et ses colonnes soyent aussi d'une quarte partie moindres que les moyennes: pareillement leurs Architraves, Frizes, et Cornices n'ayent sinon une cinqieme partie de ceste haulteur. Toutesfois je ne veuil pas dire qu'en tous {tons} Theatres lon doyve observer les mesmes symmetries, ains doyt l'Architecte adviser avant toute oeuvre queles proportions il doyt suyvre, les accommodant a la nature du lieu, et a la grandeur ou petitesse de l'ouvrage.
Si est ce neantmoins qu'il est des choses lesquelles en tous Theatres tant grans que petiz il est besoing tenir d'une mesme grandeur, a cause de l'usage, comme sont les degrez, leurs Diazomes ou ordres, les Piedestalz continuez, les Aires ou Paelliers, les Montees, les Poulpitres, les Tribunalz ou sieges des Magistratz, et teles autres choses, ausquelles la necessité contrainct a se departir de symmetrie, pour ne corrompre la commodité de l'usage.
Semblablement s'il y a quelque default de matieres, comme de pierres de taille, de Marbre, de Merrien, et pareilles, dont lon se sert en l'ouvrage, ce ne sera point mal faict d'en adjouster, ou retrencher, pourveu que cela ne se face trop inconsiderement, mais par bon advis et prudence. Et certes cela se pourra bien faire selon le devoir, si l'Architecte est ruzé en l'usage, vif d'esprit, et pourveu de bonne industrie.
Au regard des Scenes, il est requis qu'elles soient disposees de sorte que sur leurs portes du mylieu soit le logis Royal pour les Princes et grans Seigneurs, et tant a droit comme a gauche les retraictes des Estrangers. Puis aux espaces ordonnez pour les decorations du Jeu, que les Grecz appellent Periactous, a cause que la dedans se treuvent les engins assiz sur des pivotz a trois faces, mouvans a la volunté d'un conducteur qui faict les fainctes, sera bon qu'ils y ait trois diversitez de paremens, lesquelles toutes et quantes fois qu'il sera besoing changer de matiere, ou que quelque Dieu devra descendre avec fouldres et tonnoirres inopinez, leur face changer d'apparence, par se tourner si subtilement, que lon ne l'appercoyve, en maniere qu'elles ne se recongnoissent.
Environ ces places lá seront les voyes par ou lon peult venir a la Scene tant du Marché que d'autres lieux de dehors.

DES TROIS GENRES OU ESPECES DE
SCENES. CHAP. VIII.

[LO] OR est il trois manieres d'icelles Scenes, asavoir Tragique, Comique, et Satyrique: dont les parures sont dissemblables, et aussi leurs maisonnages differens.

Ceulx de la Tragique s'enrichissent de Colonnes, Frontispices, Statues, et autres appareilz sentans leur Royaulté ou Seigneurie.

[FIGURE] SCENE TRAGIQUE.

Ceulx de la Comique representent maisons d'hommes particuliers, et ont leurs fenestrages et ouvertures faictes a la mode commune.

[FIGURE] SCENE COMIQUE.

Mais la Satyrique est ornee d'Arbres, Cavernes, Montagnes, Rochiers, et pareilles choses rurales, formees d'Ozier entrelassé en maniere de paniers ou de clayes, et couvert dessus ainsi qu'il est requis.

[FIGURE]

Aux Theatres des Grecz tous ouvrages ne se doivent faire selon ces raisons, pour autant qu'en leurs pourpriz ou parterre, conduictz en rond aussi bien que ceulx de noz Latins, designez par quatre Triangles, il y a quatre quarrez, dont les angles touchent la ligne de la circumference: et par ou le costé de celluy qui est le plus prochain de la Scene, couppe la courbure du compassement, lá se designe l'espace nommé Proscenium, qui est une allee ou passage entre les assistans et les joueurs. Puis de lá se tire une ligne Parallele jusques a l'extremité de la cambrure de la susdicte rondeur, pour en faire le front de la Scene: et en passant dessus le centre de l'Orchestre, lon meine encores une autre ligne Parallele: et ou ceste la couppe le traict de la circumference, lon y fait des centres, qui se merquent en ses deux boutz a droict et a gauche. Apres estant le Compas ou cordeau mis sur le centre de la droitte partie, lon circuyt depuis son bout jusques a la senestre du passage entre iceulx assistans et les joueurs: et autant de l'autre costé. Parquoy estant trois centres constituez suivant ceste description, les Grecz en font leur Orchestre plus ample, leur Scene plus recullee, et leur Poulpitre (qu'ilz appellent Logeion) moins advancé, mais plus large que le nostre: chose qu'ilz font expres, pource qu'entr'eulx les Comiques et les Tragiques recitent en un mesme temps les sommaires de ce qui doyt estre joué.

[FIGURE]

[FIGURE]

Le reste des Artisans est a faire ses negoces en l'Orchestre: et pourtant sont ilz appellez les uns Sceniques, et les autres Thymeliques, c'estadire partie attentifz aux decorations du jeu, et partie a la Musique de Harpes, Violons, Haulboys, Trompettes, et teles sortes d'instrumens. La haulteur de ce Logeion, ou chaire a prescher, n'ayt moins de dix piedz, ny plus de douze pour sa mesure.
Les portes pour montees estant faictes au long du premier reng des sieges, audroit des angles des quarrez, soient conduictes jusques a la fin du premier ordre: et de la, sur le plant de son Paellier servant de passage, soyent aussi distribuees les autres pour aller a l'ordre du mylieu: et consequemment pour autant de telz ordres qu'il y aura, autant de foys soient faictes sur leurs aires, les ouvertures des Escalliers par ou le Peuple aura moyen d'aller aux places ordonnees selon les qualitez des personnes.
Quand ces choses auront esté examinees avec grand soing et bonne industrie, encores fauldra il mieulx prendre garde a elire lieu ou la voix puisse retenir doulcement, si que n'estant rabatue ny resaillante, elle ne raporte aux oreilles des choses incertaines, c'estadire autrement entendues que proferees: car il y a des lieux en la terre qui naturelement empeschent ses mouvemens, ainsi comme aucuns dissonans, ou mal entonnez, que les Grecz nomment Cacechountes: d'autres circunsonans, appellez entr'eulx Periechountes: aucuns resonans, qu'ilz disent Antechountes; et quelques autres consonans, exprimez par Synechountes. Pour lesquelz mieulx donner a congnoistre, je dy que les dissonans sont ceulx qui quand la premiere prolation a esté poussee en hault, elle se trouvant offensee de certains corps solides superieurs, et rabatue devers la terre, vient a opprimer et suffoquer l'elevation de la suyvante.
Les circunsonans sont ceulx ausquelz ladicte voix va divagant parmy l'air, et puis par contraincte se resoult en l'espace du mylieu, de sorte qu'elle esclatte sans aucuns rencontres deca ny dela: parquoy soudainement est estaincte et confondue, laissant aux oreilles des escoutans l'intelligence des paroles incertaine, et mal entendue.
Les resonans font ceulx ausquelz icelle voix venant a rencontrer aucuns corps solides, tressault, et exprime quelzques barbotemens, faisant ses derniers accens doubles, et par ce decevant l'ouye.
Les consonans aussi sont ceulx ou elle est aidee en montant de bas en hault, si bien qu'elle en acquiert accroissement, voire entre dedans les oreilles avec une intelligence de parole distincte et singulierement bien formee.
A ceste cause si au choix des lieux l'Architecte use de la consideration requise, l'effect de la loquence sera par sa conduitte pur et nect parmy la spaciosité des Theatres, et ne s'en perdra une seule syllabe.
Au regard des figures, pour congnoistre leurs differences, celles dont les plantz seront trassez par quarrez, appartiendront a la mode Grecque: et les autres designees par Trigones ou Triangles egaulx, a l'usage et commodité de noz Latins: et qui vouldra suivre ces ordonnances, fera les establissemens des Theatres perfectz, et sans aucune reprehension.

DES PORTIQUES OU GALLERIES A SE PROMENER
derriere la Scene. Chap. IX.

[LO] LOn doit tousjours faire un Portique derriere la Scene, a celle fin que si une soudaine pluye vient a troubler les jeux, le Peuple ait lieu pour se retirer a couvert, et les entrepreneurs du Jeu y treuvent aisance pour dresser un Bal.
Ces Portiques soient faictz ainsi comme ceulx de Pompee, ou d'Eumenes en Athenes, ou comme le Temple de Liber pater, autrement le dieu Bacchus: et fault que les gens qui sortiront du Theatre, rencontrent a main gauche un Odeum, c'estadire Salette pour les Chantres, de la facon de celle que Pericles feit bastir en Athenes, laquelle estoit voultee sur colonnes de pierre, et couverte de Mastz et Vergues des navires qu'il avoit conquises sur les Persans.
Toutesfois ledict Odeum fut brulé durant la guerre de Mithridates: mais le Roy Ariobarzanes en feit refaire un semblable en la ville de Smyrne, et le nomma Strategeum, signifiant lieu pour tenir les armes et despouilles des ennemis. Si est ce que le peuple Trallian, qui est en Asie la mineur, avoit ses Portiques a chacun des costez de la Scene, excedans un stade en longueur, qui estoient six vingtz cinq piedz du moins: et tout ainsi en avoient les autres Citez fournies de bons Architectes. Aux environs donques de ces Theatres sont necessaires les Portiques, qui me semblent devoir estre ordonnez comme s'ensuit, asavoir qu'ilz soyent a doubles rengz de colonnes, dont celles de dehors seront de facon Dorique, avec leurs Chapiteaux, Architraves, et autres ornemens requiz a la symmetrie de cest ordre.
La distance d'entre iceulx deux rengz de colonnes, soit aussi grande comme seront haultes celles de dehors, a prendre depuis leur assiette jusques a celles du dedans: qui seront aussi autant eloignees de la ceincture de muraille environnante le portique, comme elles auront de haulteur. et si fault qu'elles surmontent celles du dehors, d'une cinqieme partie, consideré que leur forme doyt estre Ionique, ou Corinthienne. Toutesfois il ne fault pas que leurs proportions soient faictes de mesmes celles des Temples dont j'ay tant escrit par cy devant: car celles la doivent avoir une majesté venerable: et les autres destinees a Portiques ou semblables ouvrages, une esgayeure toute differente.
Ainsi donc si elles sont Doriques, leurs haulteurs, compris les chapiteaux, soient divisees en quinze parties: et l'une sera le module convenable a mesurer toute l'oeuvre.
La grosseur de cesdictes colonnes ayt de diametre par embas deux de ces mesures: l'entrecolonne cinq et demye: et la haulteur sans y comprendre le chapiteau, quatorze.
Ce chapiteau aura de hault un de ces modules: et sa largeur deux avec une sixieme d'avantage. Et quant aux autres particularitez de l'ouvrage, il les fauldra conduire selon ce que j'en ay ja ordonné en mon Quatrieme ou j'ay traicté des maisons sacrees.
Mais s'il fault que les colonnes se facent Ioniques, leur tige {tigé} non compris la base, ny le chapiteau, soit divisé en huict egalitez et demye: l'une desquelles soit donnee au diametre d'embas: dont la base avec son plinthe auront justement la moytié pour leur haulteur: puis la facon pour faire icelluy chapiteau, soit observee ainsi que je l'ay escritte en mon Troysieme.
Mais si la colonne est Corinthienne, son bout d'embas et sa base soient semblables a l'Ionique: puis son chapiteau faict selon la practique contenue en mon Quatrieme: et l'enrichissement du Piedestal qui se fait par moulures saillantes, soit formé sur la description aussi deduitte en mon Troysieme.
Au regard des Architraves, Cornices, et autres membres qui regnent sur les colonnes, et se conforment a leur proportion, je dy qu'il les fault faire suyvant l'art que j'en ay donné en mes livres precedentz.

[FIGURE]

Il me semble que les entredeux de ces portiques descouvertz, et partant exposez a l'air, doyvent estre plantez de beaux arbres, a raison que telz promenoers sont grandement salutaires, specialement a la santé des yeux: car quand ledict air est subtilié par le mouvement des branches et des feuilles, et qu'il entre ainsi dedans noz corps par les pores ouvertz, au moyen de l'agitation il purge et nettoye nostre nature: du moins en ostant les humeurs grosses de devant noz veues, il les rend plus subtiles et plus agues. Davantage puis qu'il est ainsi que l'air s'eschauffe en promenant, ledict air venant a succer les humeurs des membres, diminue les repletions, et en les dissipant extenue ce qui est superflu, et que le corps ne peult soustenir: chose qui se preuve par ceste raison, asavoir que s'il y a des Fontaines soubz le couvert de quelzques toictz, ou bien quelzques regorgemens de Maraiz soubz la terre, il ne s'en elieve point d'exhalations nebuleuses: mais c'est tout le contraire en lieux ouvertz et aerez: car incontinent que le Soleil commence a battre la Terre, il excite et faict sortir les humiditez de teles places, puis les attire en hault par grosses bouffees. Pareillement consideré que les humeurs molestes sont dessechees de noz corps par l'attraction de l'air, singulierement en lieux a descouvert, et que lon en veoit les similitudes en la Terre, je ne pense qu'aucun me veuille contrarier en cest endroit, et dire qu'il n'est point de necessité d'avoir dans les villes de telz promenoers amples et bien ornez de verdure. Parquoy qui les vouldra tousjours tenir secz et non fangeux, fauldra qu'il y procede en ceste sorte.
Soient d'une part et d'autre faictes des trenchees les plus basses que lon pourra, revestues de bonne et forte matiere. Apres dedans les paroys d'iceulx promenoers, soient miz des Canaulx ou Egoustz declinans en pente dedans icelles trenchees: et cela faict, remplissez le lieu de Charbon: puis quand vous aurez bien applanyé la terre, afin de la rendre commode a se promener, gettez du Sablon pardessus, et l'ouvrage s'en portera tresbien: car au moyen de la nature d'icelluy Charbon, qui est rare et subtiliee, mesmes a cause des Canaulx desgorgeans dedans les trenchees, les eaux survenantes en abondance, seront tousjours receues, et parainsi les promenoers se trouveront ordinairement secz et sans humeurs.
D'avantage en ces lieux ainsi garniz d'arbres, noz predecesseurs ont tousjours mis l'espoir du secours d'une ville au temps de la necessité: car quand lon est assiegé, toutes les autres provisions sont plus faciles a faire que la munition de boys: aumoins lon se garnyt facilement de Sel avant le siege: et quant aux grains, il s'en faict amas beaucoup plus a l'ayse, tant pour les greniers publiques, que pour les particuliers: et encores s'il en est indigence, lon se defend de la famine avec des chairs, herbes, et legumaiges, en attendant que ledict siege soit levé.
Et si la disette d'eau presse le Peuple, lon fouyt force puyz en la terre: ou bien lon conserve en des Cisternes celle qui chet des pluyes et orages. Mais ladicte provision de boys, requise et necessaire pour faire cuyre les viandes, ne se fait pas si de legier, a raison que lon n'en peult apporter si tost ne si facilement comme il seroit requis: oultre ce, lon en consume beaucoup plus que d'autres fournitures: parquoy advenant le mauvais temps, lon abbat les arbres plantez en iceulx promenoers, et baille lon du boys a chacun chef de famille selon le train de son mesnage. Dont je dy que ces promenoers apportent deux commoditez belles et singulieres, l'une de santé en temps de Paix, et l'autre de secours en temps de Guerre. Et ainsi je veuil conclure que telz bastimens peuvent tousjours apporter grand proffit aux villes, non seulement s'ilz sont establiz derriere les Theatres des Scenes, mais aussi bien aupres des Temples et maisons de Religion.

Maintenant pource qu'il me semble que j'ay assez amplement traicté ce discours, je voys poursuivre les bastimens des Estuves, demonstrant comme on les doit faire pour estre bonnes.

DE LA DISPOSITION DES ESTUVES, ET DE
LEURS PARTICULARITEZ NECESSAIRES.
CHAP. X.

[LO] AVant toute oeuvre il fault elire un lieu chault de sa nature, comme sont les opposez au Septentrion, et au vent de Bize. Apres est besoing que les retraictes ou lon sue, et les tiedes ou lon reprend aleine, aient leurs fenestres et lumieres du costé de l'Occident d'yver. Mais si la nature de la place y repugnoit, fauldra qu'elles regardent vers le Mydi, pource que le temps de se laver, est ordonné depuis le myjour jusques au vespre. Encores doit on prendre garde a ce que les Estuves des femmes, et celles des hommes soient conjoinctes, et situees en mesmes regions: car en ce faisant, les eaues tiedes d'icelles Estuves propres a nettoyer les corps apres l'ejection de la sueur, seront communes aux uns et aux autres.
Sur le fourneau seront assiz trois grans Vases d'Arain, ordonnez en sorte que le plus bas soit plein d'eau chaulde, le moyen de tiede, et le plus hault de froyde, afin qu'autant qu'il en coulera du tiede dans le chault, autant en rentre il du froid dedans le tiede.
L'une et l'autre d'icelles Estuves soyent chauffees d'un mesme fourneau.

[FIGURE]

Ces vases dont j'ay parlé, doyvent estre suspenduz en tele maniere, que preallablement le Solier ou parterre de l'Estuve soit pavé de tuyles d'un pied et demy en longueur, et decline en pente devers le forneau, telement que si lon gettoit une boule ou autre chose ronde dessus, elle n'y peust tenir ferme, mais tousjours retournast devers l'autel du four. Ce faisant, la flamme pourra plus facilement courir pardessoubz la dicte suspension. Apres fauldra faire des piles ou masses de Brique portant huict poulces de long, lesquelles soyent establies de sorte que d'autres tuyles de deux piedz en longueur, puissent poser dessus. Ces piles soyent massonnees d'Argille meslee de bourre, ou ligature pareille: et pardessus soyent assizes les tuyles de deux piedz dont j'ay faict mention, et celles la soustiendront le pavement.
Au regard des voultes des Estuves, si elles sont faictes de bonne massonnerie, elles en seront plus durables. mais si elles sont de charpenterie, il fauldra mettre dessoubz des quarreaux d'ouvrage de poterie: pour lesquelz disposer comme appartient, fauldra suyvre ceste practique.
Soient forgez de bons barreaux de fer en maniere d'Arc, attachez a gros crampons de ce metal, fichez pres a pres l'un de l'autre contre ce plancher de boys. Mais ces barres soient telement ordonnees, que chacun des quarreaux de potier puisse porter sur deux ensemble: mesmes que toute la voulture s'appuyant dessus le fer, soit assemblee et joincte en perfection. Apres pardessus ces quarreaux soit placqué du mortier faict d'argille et de bourre: et la partie inferieure qui regardera le pavé, soit enduitte de bon cyment meslé de Brique en pouldre. Ceste crouste soit blanchie de fleur de Chaulx, ou de Marbre pilé. Et si ces voultes estoient doubles, elles n'en vauldroient que mieulx, pourautant que l'humidité sortant de la vapeur, ne pourroit corrompre la matiere de charpenterie, ains s'en iroit consumant entre ces deux espaces.
Quant a la grandeur des Estuves, il la fault selon la multitude des personnages lesquelz y doyvent frequenter. Et soit leur composition tele, que la largeur se tienne a un tiers pres aussi grande que la longueur, sans y comprendre le lieu qui est devant le Lavoer ou Bagnoere, auquel les gens qui se veulent laver, attendent que ceulx qui se lavent, en soient sortiz.
Ce dict Lavoer se doyt faire en lieu clair, afin que les personnes qui viendront al'entour, ne puissent empescher la lumiere.
La place donc audevant dudict Lavoer, doyt estre assez spacieuse, a ce que quand les premiers personnages auront occupé la Bagnoere, et seront apres a se laver, ceulx qui attendront, puissent demourer debout sans y estre trop empressez.
La largeur de ce dict Lavoer, entre la paroy de l'edifice, et le petit mur de closture, ne soit moindre que six piedz d'estendue, afin que le degré d'embas servant de siege aux laveurs, en ayt deux pour sa part, et qu'il en demeure quatre vuydes dedans oeuvre.
Le Laconique, ou Poele faict a la facon de Lacedemone, et la retraicte pour suer, doyvent estre aupres de la chambre tiede. Ces places lá soyent aussi haultes comme larges, a prendre depuis le pavé jusques au bout de la cambrure de la voulte faicte en hemisphere ou moytié de rond: au mylieu de laquelle soit laissé un trou percé a jour, auquel sera pendu a une chaine un vaisseau d'Arain faict en cul de four, lequel par estre abaissé et remonté, soit cause de faire la temperature des sueurs. Il fault que ce vaisseau soit arondy au compas, a ce que la force de la vapeur de la flamme puisse egalement aller depuis son mylieu tout al'entour de la circumference.

DE L'EDIFICATION DES PALESTRES ET
Xystes, c'estadire lieux propres a exerciter les forces et agilitez du
corps et de l'esprit en diverses manieres.
Chap.
XI.

[LO] JE suis en opinion qu'il me fault a ceste heure amplement traicter de l'edification des Palestres, nonobstant qu'elles ne soient usitees en Italie: mais c'est pour monstrer comment on les bastit en Grece. La facon donques de les faire, est, qu'en trois Portiques ou galleries s'ordonnent certaines hexedres ou lieux spacieux environnez de sieges, ausquelz les Philosophes, Rhetoriciens, et autres qualitez d'hommes qui se delectent des lettres, peuvent disputer a leur aise.
En icelles Palestres y a des circuiz de colonnes quarrez ou barlongz, dont l'estendue contient deux stades en longueur, pour avoir ample commodité de se promener. Ceste espace est par les Grecz communement appellee Diaulos: et en icelle sont compris trois Portiques simples.
Mais il y en a un quatrieme exposé au Mydi, lequel est double, ou a deux rengz de colonnes l'un contre l'autre, pour obvier que quand les pluyes sont venteuses, l'eau ne puisse penetrer jusques en la partie du dedans.
En icelluy Portique double sont les membres des logiz ensuivans. Premierement tout au mylieu est la place dicte Ephebeum, ou s'exercitent les jeunes gens sans barbe. Ceste la est assez spacieuse, garnie d'un grand nombre de sieges, et plus longue d'une tierce partie qu'elle n'a de largeur.
A main droitte est le Coriceum, c'est a dire lieu ou les jeunes filles exercent leurs coustures, et autres oeuvres feminines.
Tout joignant est le Conistere, ou les persones nues apres avoir oingt leurs corps d'huyle, se frottent de poussiere, afin que les prises en soient plus fermes.
Pres de ce Conistere en un des coingz du Portique se treuve certaine retraicte nommee par les Grecz Loutron, servant a se laver d'eau froide: et a main gauche du susdict Ephebeum, est l'Eleothesium, auquel les corpz prestz a s'exerciter, sont frottez d'huyle meslé avec de la cire fondue.
De la on entre dedans le rafraichissoër, atravers duquel on passe pour aller au Propnigeum, ou chambre tiede, situee sur l'autre coing du Portique.
Aupres de ce rafraichissoër, en retournant au dedans de l'edifice, est l'Estuve chaulde propre a suer, voultee comme le devoir le requiert, deux fois aussi longue que large. Ceste la en un de ses angles a le Laconique, autrement Poële, faict en la mode cy devant escritte: contre lequel est le lavoer d'eau chaulde.
Voyla comment les Peristyles ou circuitions de colonnes ont leurs ordonnances et distributions commodes.
Par le dehors de ces Peristyles sont encores trois autres portiques. L'un pour recevoir ceulx qui en sortent, et les deux autres tant a droict comme a gauche stadiez, c'estadire couvertz, ou les Athletes et Lutteurs se peuvent entr'esprouver quand il fait mauvais temps.
Celluy de ces deux la qui regarde vers le Septentrion, est deux fois aussi grand que l'autre, et d'une largeur assez ample.
L'autre simple a par dehors la muraille de l'edifice, et semblablement contre les colonnes oppositez, deux Levees ou voyes, chacune de dix piedz de large pour le moins: l'entredeux desquelles est cavé si qu'il y a deux degrez de descente, qui font pied et demy de profond depuis l'uny desdictes Levees jusques au parterre creusé. Ce parterre n'a pas moins de douze piedz dedans oeuvre: et est cela faict en ceste mode, afin que les gens vestuz passans pardessus icelles Levees, ne soyent empeschez par ceulx qui s'exercitent a lutter.
Ces Portiques ainsi bastiz comme j'ay dict, sont par les Grecz appellez Xystes, c'estadire ou les Athletes et lutteurs s'entr'espreuvent en Yver soubz lieu clos et couvert. Et (a mon jugement) ilz doivent estre ordonnez en tele maniere, qu'il y ait des Touches ou Complans de boys entre deux Portiques, afin que lon se puisse promener soubz les arbres, joignant lesquelz y ait des loges de Feuillee pour se retirer a passetemps.
Encores entre ledict Xyste et le Portique double soient situez les promenoërs essorez ou exposez a l'air, que ces Grecz nomment Peridromides, et noz Latins Xystes: afin que les Athletes quand ilz verront le temps beau en Yver, se puissent esprouver au sortir du couvert, contre lequel y ait un Stade, ou Terrasse dressee par tele practique, qu'un bon nombre d'assistans puissent a leur aise veoir les Athletes quand ils se combateront.
Je pense avoir dict a suffisance les parties qui m'ont semblé necessaires dedans lenclos des murailles d'une ville, et par quel art il les fault ordonner.

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DES PORTZ, HAVRES OU MOULES, ET AUTRES
structures qui se peuvent faire en l'eau. Chap. XII.

[LO] IL ne fault pas (a mon advis) oublier a faire un discours de la commodite des Portz: ains est raisonnable que je dye par quelz moyens ilz gardent les Navires en seureté durant la fureur des tempestes.
Si ces Portz donques sont naturelz, c'estadire faictz sans artifice d'homme, et qu'ilz ayent quelzques montagnes ou Capz de terre s'estendans en la Mer, courbes en maniere d'un arc, ilz font en ceste disposition des profitz et commoditez merveilleuses.
Environ ces Portz fault bastir les Atteliers pour charpenter ou raccoustrer les vaisseaux de marine: et est de necessité que lon puisse aller de lá aux rues et places marchandes.
Plus est expedient que de tous les deux costez du Port, autant a main droitte qu'a main gauche, y ait des Tours ou Boulevertz dont lon puisse avec un engin estendre une chaine pardessus l'eau, pour fermer le Port quand l'occasion le requerra.
Mais qui n'auroit le lieu naturelement commode a cela, ny bien suffisant a garder les Navires de danger, il y fault mettre remede en ceste sorte, asavoir que s'il n'y a quelque riviere ou cours d'eau qui empesche, et il se treuve une Plage ou Greve de l'une des parties: en ce cas fauldra faire en l'autre qui n'en aura point, quelque Levee, Chaussee, ou Terrain, et la dessus fonder sa fermeture.
Consequemment pour decider comme se doyvent faire les bastimens en l'eau, Soit pris force Sable de celluy qui se treuve entre la ville de Cuma pres de Naples, et le Promontoire ou cap de Minerve. Apres soit meslé parmy de la Chaulx vive, asavoir deux parties de Sable contre une de Chaulx, ainsi que pour faire du mortier commun. Cela despeché, soit ceste composition mise en des Casses ou Cataractes de boys de Chesne, espoysses, fortes, et bien bandees a grosses barres de fer, mesmes attachees a chaines de semblable metal. Apres devallez les au fons de l'eau, en la place ou vous entendez faire le Moule: et prenez garde sur tout a ce qu'elles soyent fermement assizes, et rendues immobiles. Plus en leur entredeux fichez plusieurs bons gros pieux de boys, dont les sommitez respondent al'alignement desdictes Casses ou Cataractes: et puis mettez peyne d'espuyser l'eau: car quand vous l'aurez mise a sec, facilement pourrez bastir de Pierres, Cyment, ou Mortier, sur la Greve, suyvant la practique exposee cy dessus, et combler l'entredeux d'icelles Cataractes de bonne et forte massonnerie, parce que le Sable pris en la region de Cuma, tient la prerogative de Nature que je vous ay desja specifiee.

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Toutesfois si a cause du Flot, ou par l'excessive impetuosité de la Mer, ces Cataractes ne povoient demourer fermes, vous ferez sur le rivage un Moule de bonne lyaison, la superficie duquel aura moins que sa moytié de planure toute unye: puis le reste prochain du Port se conduira en Glaciz ou Taluz jusques au bord du rivage. Apres entre l'eau et les costez de ce Moule, soyent faictes des ceinctures de massonnerie d'environ pied et demy de large, respondantes a l'alignement de la planure cy dessus mentionnee. Adonc comblerez icelluy Glaciz d'Arene ou Gravier, si bien que le rendrez egal a la ceincture et superficie dudict Moule. puis leverez dessus, une Pile de massonnerie, aussi materiele et ample comme il sera determiné, laquelle vous laisserez secher par deux moys entiers, car plustost ne le sauroit perfectement estre: et au bout de ce temps viendrez a trencher la ceincture qui soustient l'Arene du remplissage: et quand les undes l'auront attiree en l'eau, cela fera trebucher vostre Pile en la Mer. Voyla comment toutes et quantesfois qu'il en sera besoing, pourrez edifier en l'eau.

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Mais aux lieux ou il n'y a point de Sable pareil a celluy de Cuma, vous devrez prevaloir de ceste industrie, asavoir qu'estant voz Casses ou Cataractes faictes de bonnes grosses planches, bien bandees et lyees a chaines de fer (comme dict est) devallez les au lieu qui sera determiné: puis faictes resercir leurs joinctures de Croye et de Houille ou herbe de Maraiz, par Manouvriers chaussez de Perons, ou bottes a Marinier: et quand cela aura esté bien estouppé, adonc par Lymasses a viz, Roues, Tympans, et autres manieres d'engins propres a espuyser eau, mettez a sec le lieu qui sera circuy de ces Cataractes, dedans lequel creusez voz fondemens jusques au Tuf, ou lict de terre ferme, si tant est que le fons en soit terrestre: et les tenez plus larges que la muraille qui devra estre assize dessus, laquelle doyt estre de bonne matiere massonnee a Chaulx et a Sable.
Mais si le fons se treuve mol, comme d'une Crouliere, pilotez le d'Aulne, d'Olivier, de Chesne, ou autres pieux semblables, qui soient pointuz et brulez par les boutz: mesmes emplissez de charbon leurs entredeux, ainsi comme j'ay enseigné en la fondation des murailles de Ville, et des Theatres.

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Apres edifiez vostre mur de fondement, de bonne pierre de taille, et continuez ses panneaux de joinct ou lyaisons assez longues, si que le dedans soit tenu bien serré par ces enclaveures. mais n'oubliez a le remplir de bon bloccage, et parainsi vous pourrez bastir dessus une Tour, ou tel autre edifice que bon vous semblera.
Estant tous ces ouvrages curieusement accompliz, pensez de l'Attellier pour la charpenterie ou racoustrement des Navires, ensemble de leur Canal ou retraicte asseuree.
Ceulx la ferez vous regardans la partie de Septentrion, pource que celle du Mydi au moyen de ses chaleurs engendre Vermoulure, Tingnes, Tavellieres, et autres bestions qui dommagent le boys, mesmes (qui pis est) les norrit et conserve. A ceste cause en ces edifices n'entrera de Merrien sinon le moins que vous pourrez, de peur du feu. Et quant a leur Pourpris, je n'en veuil determiner aucune chose, pource qu'il doyt estre le plus spacieux qu'il est possible, pour la commodité des Navires, afin que s'il y en arrivoit de grans, et en grand nombre, ilz puissent lá reposer sans estre en presse.

JE pense avoir traicté suffisamment en ce volume des choses qui me sont venues en la memoire, et m'ont semblé necessaires pour l'usage des lieux publiques, ayant dict comment on les doit bastir: parquoy en mon suivant je deduiray la facon des edifices particuliers, specifiant de quele proportion et symmetrie on les doit conduire.

FIN DU CINQUIEME DE VITRUVE.