SIXIEME LIVRE D'ARCHITECTURE
DE MARC VITRUVE
POLLION.

[LO] IL se lit dedans les histoires de Grece, que le Philosophe Aristippe de la secte de Socrates, estant par un Naufrage poussé en la terre des Rhodiens, trouva quelzques figures de Geometrie sur la Greve: quoy voiant, escria ses compagnons, et les admonesta de prendre bon courage, parce (disoit il) qu'il y avoit apparence de trasses d'hommes: et incontinent se meit a chemin pour aller en la ville: ou estant pervenu, s'adressa devers la maison des Estudes, et lá se print a disputer en Philosophie, telement qu'a la fin les auditeurs luy feirent de grans presens, non seulement pour se remettre en bon equipage, mais avec ce pour rabiller ses compagnons, et les pourvoir de commoditez necessaires a la vie. Quelque temps apres sesdictz compagnons enquirent de luy s'il vouloit point retourner au pays, ou pour le moins y mander quelque chose: et adonc pour response, les pria de dire a ses amys qu'ilz ne sauroient mieulx faire que de donner moyen a leurs enfans d'acquerir teles possessions, qu'elles se puissent sauver avec leurs personnes, si d'avanture ilz venoient a eschapper d'un Naufrage: voulant conclure par cela, que les vrayes richesses de ceste vie sont celles a qui les violentz tourbillons de Fortune, la mutation des affaires publiques, et la ruyne avenant par les guerres, ne peuvent porter prejudice ny dommage. Theophraste aussi confermant ceste sentence, pour nous induire a plustost amasser bonnes doctrines, que nous fyer a ces biens transitoires, dict que toutes contrees sont comme pays naturel a l'homme pourveu de quelque industrie, et qu'il n'est jamais avolé en lieu ou il se treuve, nonobstant qu'il feust denué de tous meubles, consideré qu'il ne peult estre povre d'amys, ains se faire bourgeoys en toutes les villes ou sa volunté sera de resider. Un tel homme (a la verité) ne se doyt gueres soucyer des assaultz de Fortune: mais ceulx qui s'estiment heureux en la terre par estre garnyz de richesses, et non de science ou aucun art, cheminent ordinairement sur des voyes glissantes, ou jamais ne sont asseurez de leurs vies, ains a toutes heurtes molestez et batuz par les mutations soudaines causees par accidentz inopinez. Voyla pourquoy Epicure disoit aussi que la Fortune donne peu de ses biens aux hommes de bon entendement, pource que les plus grandes choses de dessoubz le Ciel, sont subgettes aux discours de leurs pensees. Sans point de doubte plusieurs autres grans Philosophes, et Poetes escrivans des Tragedies Greques, ont affermé que cela est ainsi, principalement iceulx Poetes, lesquelz en prononceant leurs Poesies dedans les Scenes, ont dict des propoz conformes aux precedens: et en ce nombre sont Eucrates, Chionides, Aristophanes, et Alexis, qui maintenoit que les Atheniens estoient louables, pource que les loix et ordonnances de tous les autres peuples de la Grece, contraignoient les enfans a norrir leurs peres et meres en vieillesse: mais iceulx Atheniens y faisoient distinction, ne voulans que tous peres et meres jouyssent de ce privilege, ains ceulx sans plus qui auroient faict aprendre a leurs enfans quelzques sciences en jeunesse, pour s'en prevaloir au temps de la necessité: car les tresors que Fortune preste aux hommes, sont par trop soudain repetez quand il luy plaist: mais les disciplines vertueuses inserees dedans les memoires humaines, ne peuvent aucunement perir, ains demeurent fermes et en asseurance jusques au dernier poinct de la vie. A ceste cause je ren graces immorteles a mes parens, lesquelz suyvant la susdicte loy d'Athenes, ont mis peyne de me faire instruire en cest art, auquel on ne peult pervenir (au moins jusques a perfection) sans le moyen des bonnes lettres, et sans une Encyclopedie, c'estadire intelligence de toutes sciences, qui ont tele affinité ensemble, qu'elles s'expliquent l'une par l'autre.
Me trouvant donc par la solicitude et vigilance de mes parens, avec les bonnes instructions de mes precepteurs, moyennement garny de disciplines, je commenceay a me delecter en la Philologie, autrement art de bien parler, ou mettre par escrit: et puis de la Philotechne, {Philotechme} ou curiosité des bonnes sciences, ensemble de l'interpretation des escritures: et de cela preparay la possession a ma pensee, sachant que le fruict qui depend de ces vertuz, est n'avoir plus indigence d'aucune chose, et que le propre de richesse est ne rien desirer, ains estre content de ce que lon possede. Je say bien toutesfois, qu'il est assez de gens qui estiment la congnoissance de tant de choses, estre de petite valeur a celluy qui l'acquiert, et reputent seulement sages ceulx qui ont des biens en abondance. A la verité quelzques uns de ceulx lá qui pour leur but se sont proposez les richesses, ont par le moyen de leur avoir, et avec leurs entreprises audacieuses, finablement acquis quelque peu de lumiere. Mais au regard de moy (Sire) je ne me travaillay jamais d'estudier en esperance de gaigner de l'argent, ains l'ay faict seulement pour acquerir bonne renommee, aymant mieulx avoir peu avec elle, que beaucoup de biens sans reputation. et ceste chose a faict que j'ay esté jusques a present incongneu, neantmoins j'espere quand ces miens livres seront divulguez par le monde, qu'ilz me donneront quelque estime, a tout le moins entre ceulx de nostre posterité. Mais pour vous donner a entendre les raisons pourquoy je n'ay point encores esté employé, c'est que tous autres Architectes cherchent les moyens et practiquent tout ce que leur est possible, afin de se faire mettre en besongne: et j'ay apris de mes instituteurs que l'ouvrier se doyt faire prier pour prendre la conduitte d'un bastiment, et non solliciter qu'on la luy baille: car celluy qui est de bonne et honneste nature, vient a rougir de honte quand il demande une tele charge, et faict entrer en doubte le personnage qui veult bastir, a savoir mon s'il en pourra venir a bout, ou non: car ceulx qui peuvent ayder a un besoing, sont cherchez et requiz a grande instance, non pas les autres qui ont necessité que lon leur ayde. Quele chose pouvons nous donques penser que jugent de noz suffisances les chefz de maison a qui nous voulons faire despendre argent, sinon que c'est pour gaigner sur eulx, et faire bien noz besongnes a leurs despens? Pour ces raisons (Sire) noz devanciers souloient bailler leurs ouvrages a faire aux Architectes de bonne race, et qui avoient bien dequoy: mesmes enqueroient avant la main, s'ilz estoient bien et deuement instituez en leur profession, et s'ilz se monstroient modestes, ou superbes, d'autant qu'ilz ne vouloient commettre leur substance en mains de gens presumptueux et opiniastres, ains s'en fyer a ceulx qu'ilz trouvoient decorez de louable vergongne. Aussi (certes) les bons maistres de ce temps la, n'apprenoient leur art sinon a leurs enfans ou neveux, mais ilz en faisoient des gens de bien, et telz que lon pouvoit commettre a la fidelité de leur parole, de l'argent innumerable, sans avoir doubte qu'ilz en feissent tort d'un seul denier. et maintenant je voy des ignorans qui ne savent sans plus que veult dire Architecture: mais (qui pis est) sont malhabiles a ouvrer de la main, et toutesfois ilz se ventent d'estre grans en cest art. Parquoy je ne puis assez louer aucuns bons peres de famille de ce siecle, lesquelz estant devenuz rusez par l'exercitation des bonnes lettres, regardent quand ilz veulent faire ung bastiment, s'ilz se doyvent fier a telz idiotz ou non, pource qu'ilz les jugent plus dignes de consumer leur bien suyvant leur propre fantasie, que despendre celluy d'aultruy par mauvaise opinion, en ne faisant chose qui vaille. Or n'y a il personne qui tasche d'exercer en sa maison aucun mestier vulgaire, comme de Cordonnier, Foullon, et autres faciles: mais lon y veult bien apprendre l'Architecture: et dela vient que ceulx qui se disent Architectes, ne sont rien moins que cela, car ilz n'entendent point le vray art, et par tant sont a tort et sans cause appellez ainsi. A raison dequoy il me print volunté de traicter le corps de ceste science, et d'exposer diligemment toutes ses parties, parce que je jugeay en mon esprit, que tel labeur seroit agreable a toutes nations. Puis donc qu'en mon Cinquieme j'ay parlé de l'oportunité des bastimens publiques, en cestuy cy je deduiray les particuliers et tout d'une venue donneray les mesures de leurs proportions et symmetries.

DE DIVERSES QUALITEZ DE REGIONS, ENSEMBLE DE
plusieurs aspectz celestes selon lesquelz fault disposer les edifices. Chap. I.

[LO] LES maisonnages seront ordonnez bien et adroit, si lon advise avant toute oeuvre en queles parties et soubz queles influences du monde ilz doivent estre situez, car il les fault d'une sorte en Egypte, autrement en Espagne, autrement au pays de Pont qui est en Asie la mineur, autrement en ceste ville de Rome, et ainsi consequemment en toutes autres provinces selon leurs inclinations natureles, suyvant lesquelles fault bastir en diverses manieres. La raison est, que la terre est par un costé battue du cours de Soleil, de l'autre il en est bien loing, et en son mylieu elle est plus temperée. A ceste cause ainsi que la constitution du ciel est par differentes qualitez naturelement colloquee sur ceste masse assubgettie aux influences du cercle dict Zodiaque par ou le Soleil faict son cours ordinaire: ainsi semble il que lon doyt conduire les assiettes des bastimens suyvant les diversitez du ciel, et la proprieté des regions ou lon les veult avoir.
Soubz le Septentrion donc, par aucuns appellé le Pole, et par d'autres le Nort, ou Transmontane, les bastimens doyvent estre voultez, cloz de bonne muraille, sans gueres d'ouvertures, et encores celles la estroittes, et tournees devers les chauldes parties du Ciel.
Au contraire, ou le Soleil est violent, comme aux regions Meridionales, qui sont tourmentees de la chaleur, ces ouvertures se veulent tenir amples, en grand nombre, et tournees devers ledict Septentrion, {Septetrion} ou le vent Aquilon que lon appelle Bize, afin de subvenir par industrie a ce que Nature blesse de son bon gré.
Semblablement en tous autres climatz et provinces les maisonnages se doyvent temperer selon que le Ciel est disposé pour y envoyer ses influences: et fault considerer cela en examinant le naturel des choses, et en observant les membres des personnes: car aux pays ou ledit Soleil gette moyennement ses vapeurs, il y conserve les corps en bonne temperature. mais en ceulx qu'il cuyt et quasi brule par faire son cours trop prochain de leurs terres, il en succeant attire la temperature de leurs humeurs: qui au contraire ne sont dessechees par sa violence en regions froydes, pource que leur situation est fort esloignee du Mydi, dont il advient qu'un air plein de rosee, faisant penetrer son humidité dedans les corps, par ce moyen les rend de stature plus grande, et les sons de la voix plus gros.
Qu'il soit vray, il se norrit soubz le Septentrion des gens de corpulence excessive, blancz de charnure, ayans les cheveux pendans, roux ou blondz, les yeux pers, et qui d'avantage sont fort sanguins: choses qui procedent de ce qu'ilz sont garniz de repletion d'humeurs causees par les refroydissemens du Ciel. Mais les autres approchans l'aysseau du Mydi, et habitans soubz le cours du Soleil, sont de petite stature, de charnure brune bazannee, ayans les cheveux crespes et frizez, les yeux noirs, les jambes debiles, et bien peu de sang dedans les vaisseaux de leurs veines, telement qu'ilz sont timides a merveilles, par especial d'estre navrez de fer, mais ilz supportent sans aucune crainte les ardeurs du Ciel, et les ebullitions des fievres, pour estre leurs membres sustentez de chaleur ordinaire.
Ces corps donques lesquelz naissent soubz le Septentrion, ont peur des fievres, parce qu'ilz sont imbecilles a y resister: mais a raison de leur grande abondance de sang, ilz ne se soucyent d'estre blessez de ferremens.
Aussi l'entonnement de la voix selon les nations des hommes, a plusieurs qualitez differentes, au moyen que la termination d'Orient et d'Occident par la ligne de l'Equateur divisant la terre en deux parties, asavoir superieure et inferieure, semble naturelement rendre sa circuition toute egale: qui fait que les Mathematiciens la nomment horizon, c'estadire juste moytié de la circumference, que lon dict autrement Hemisphere.
Puis donc que la chose est ainsi, faignons ou imaginons en nous mesmes qu'une ligne soit tiree depuis le poinct constituant la region Septentrionale nommé le Pole Arctique, jusques a l'autre Pole de Mydi, ou Antarctique: et de cestuy la une autre oblique ou courbe, remontant jusques a ce pivot environ lequel tournoyent les estoilles dudict Septentrion: ce faisant nous apercevrons sans doubte que cela represente en ce Monde une figure triangulaire pareille a l'organe ou instrument que les Grecz appellent Sambycen, et nous une Harpe.

[FIGURE]

Par cela je veuil conclure que les nations plus prochaines du Pole Antarctique, a cause de la brieve haulteur qu'il y a depuis la superficie de la terre jusques au Ciel, rendent un son de voix subtil et graile au possible, ne plus ne moins que faict en une Espinette la corde plus prochaine du coing: et selon ceste regle se gouvernent toutes les autres: car celles qui habitent au mylieu de la Grece, font leurs tons de voix moyens et plus moderez: mais en montant par ordre depuis cedict mylieu jusques aux extremes parties Septentrionales, qui sont les plus esloignees de la haulteur du Ciel, la nature leur faict getter des sons plus graves: et cela nous faict juger que toute la machine du monde est par la temperature du Soleil, et pour l'inclination qu'il luy donne, concordablement composee pour faire une perfecte harmonie. A ceste cause les nations qui sont entre le Pole de Mydi et celluy du Septentrion, ont communement un son moyen de voix et de parole, comme lon veoit que les cordes font en instrumens de Musique: et celles qui tendent le plus au Septentrion, pource que leurs distances depuis la terre jusques au Ciel, sont plus haultes que des autres, mesmes qu'elles ont les organes de la voix repletz d'humeur, et entonnez depuis le Hypatos jusques au Proslamuanomenos, la nature les contraint a rendre des sons plus graves. et par ceste mesme raison les gens qui tendent le plus devers le Mydi, font le son plus subtil, comme celluy de Paranete. Mais pour experimenter si ceste proposition est veritable, asavoir que les choses se rendent plus graves par les lieux humides, et plus grailes par les chaultz, lon en peult faire l'espreuve par ceste voye.
Prenez deux vaisseaux egalement cuytz en une fournaise de mesme poix, et mesme son. Plongez l'un dedans l'eau, puis le retirez, et apres les sonnez tous deux, et vous y trouverez de la difference grande, mesmes qu'ilz ne seront plus egaulx en pesanteur. Ainsi entre les corps des hommes lesquelz sont de semblable espece en leur forme, et creez par la seule conjonction du ciel avec la terre, les uns en battant l'air de leur voix, font un son merveilleusement delicat, a cause de la vehemente ardeur du pays ou ilz habitent: et les autres rendent graves qualitez de voix, a raison de l'excessive abondance d'humeur dont ilz sont pleins. Aussi les nations meridionales pour amour de la subtilité de l'air, et au moyen de la chaleur qui les bat continuelement, sont plus promptes et agiles d'esprit pour trouver inventions, et consulter le bien de leurs affaires que toutes autres. Mais les Septentrionales enrosees de la grosse vapeur du ciel, et refroidies par les humiditez de l'air, ont les entendemens tardifz: chose que la nature des Serpens nous peult facilement donner a cognoistre: car quand le refroidissement de leur humeur est desseché par le temps d'Esté, adonc se meuvent ilz impetueusement: mais en yver, et durant les bruynes, ilz estant refroidiz par la mutation du Ciel, deviennent pesans et presque immobiles: et pourtant ne se fault emerveiller si l'air chault rend les entendemens plus penetrans, et au contraire si le froid leur cause celle tardiveté.
Toutesfois non obstant que lesdictes nations meridionales soyent pourveues de grande vivacité d'esprit, et par ce moyen tant habiles et prudentes en leurs affaires qu'il n'est possible de plus, si est ce que quand ce vient a mettre force contre force, elles sont incontinent vaincues, acause (comme j'ay dict) que la vigueur de leurs membres est trop dessechee par les attractions du Soleil. Mais celles qui naissent et vivent en regions froides, sont plustost appareillees a la violence des armes, et par grande force conjoincte a merveilleuse impetuosité, se ruent sans crainte contre leurs ennemys: et neantmoins pource qu'elles sont tardives d'entendement, se gettent dans le peril sans consideration: et a cause que leurs conseilz s'executent sans ruze, lon les refrainct facilement.
Puis donc que les choses sont ainsi ordonneés en ce Monde par la Nature, asavoir que toutes nations sont differentes en qualitez, a l'occasion de leurs mixtions inegales, le plaisir d'icelle Nature fut que nostre peuple Romain eust son domaine situé au beau mylieu des Provinces qui sont entre les grandes estendues de la Terre. et de la vient que par estre leur demourance temperee de l'une et l'autre d'icelles, les habitans d'Italie sont competemment douez de force corporele, et de vivacité d'esprit: car comme l'estoille de Jupiter est temperee pource qu'elle faict son cours entre celle de Mars, qui est ardante, et celle de Saturne merveilleusement froide, tout ainsi et par mesme raison le pays d'Italie pour estre situé entre le Septentrion et le Mydi, acquiert par ses mixtions temperees des louenges innumerables, au moyen de ses dons de grace. Qu'il soit vray, par la prudence de ses conseilz il adoulcit et amodere les furieuses impetuositez des Barbares: et par la puissance de ses armes dissipe et aneantit les cauteleuses finesses des peuples Meridionaulx, si que voyant cela, chacun peult dire que la Providence divine a faict asseoir et fonder la Cité de Rome en une contree noble, et de singuliere temperature, afin qu'elle obteinst la domination de l'Empire universel du Monde.
S'il est donques ainsi que par les inclinations ou influences du Ciel, les Regions ayent esté assorties de qualitez contraires, mesmes que Nature ayt voulu y faire naistre des peuples diversifiez en formes de corsages, et dissemblables d'entendemens: il ne fault doubter que lon ne doyve faire les edifices et distribuer leurs parties selon qu'il est requis pour toutes nations, consideré que devons suyvre icelle Nature, qui nous en produit plusieurs demonstrations apparentes.
J'ay diffiny raisonnablement et expose selon ce que je puis congnoistre, les proprietez des payz ainsi qu'elles ont esté disposees: puis enseigné qu'il est expedient de diversifier les qualitez des maisonnages, en les accommodant au cours du Soleil, a l'inclination du Ciel, et aux commoditez des Populaires. Parquoy en poursuyvant je diray a peu de paroles, et soubz certains ordres distinguez, queles convenables symmetries lon doyt garder en chacune sorte de bastiment.

DES PROPORTIONS ET MESURES QUI APPARTIENNENT
AUX EDIFICES PARTICULIERS.
CHAP. II.

[LO] L'Architecte ne doyt avoir plus grande sollicitude en soy, que de donner ordre a ce que ses edifices ayent exactement et par proportions convenables, une concordance de tous membres avec la totalité de la masse. Puis quand il aura deliberé de queles mesures il se vouldra servir, le devoir de son esprit sera de considerer la nature du lieu, et avec ce l'aysance ou la beauté que lon vouldra donner a la maison: et suyvant cela devra par additions ou soustractions faire ses temperatures, afin si quelque chose estoit distraicte de la symmetrie, qu'il semble que cela ayt esté faict pour bonne cause, et avec une grande raison. Toutesfois il s'y doit conduire en sorte que la veue n'y puisse rien desirer: car chacune espece a toute autre apparence en bas, qu'elle n'a en hault: et si ne semble pas en lieu couvert tele, qu'elle se monstre ou le jour donne tout a plain.
Parquoy convient en ces occurrences premediter avec sage discours, comment l'effect s'en ensuyvra quand la besongne sera toute achevee: veu mesmement que les yeux des hommes ne font pas tousjours leur rapport veritable, ains decoyvent souventesfois la fantasie. Et qu'il soit ainsi, lon veoit ordinairement aux Scenes, certains arondissemens de Colonnes, des saillyes de Modillons, et des figures de personnages ou autres choses qui semblent de relief, et toutesfois ce n'est que platte paincture, faicte en toile, ou sur des tableaux de boys, applanyez au rabot par le moyen de l'equierre. Semblablement quand les Avirons des vaisseaux de marine ou de riviere sont plongez en l'eau, encores qu'ilz soyent droictz, si semblent ilz courbes: et du plus tost qu'ilz reviennent audessus, ilz se monstrent telz comme ilz sont. Cela se faict pource qu'estant iceulx Avirons mis dedans l'eau, dont la nature est subtile et transparente, ilz renvoyent quelzques reverberations de leurs corps, lesquelles viennent a nager en la superficie de ceste liqueur, ou elles sont telement agitees par le tremblement des undes, qu'ilz semblent courbez, comme j'ay desja dict. et tele abusion provient ou de la dicte reverberation de leurs apparences, ou (comme disent les Naturalistes) de l'esparpillement des rayons de noz yeux. Quoy qu'il en soit, nous voyons par l'une et l'autre raison qu'il est ainsi: et pourtant fault conclure que nostre regard a des jugemens faulx.
Or puis qu'ainsi va que les choses vrayes nous apparoissent faulses, et que par experience d'autres sont trouvees contraires a ce que la veue nous rapporte, je ne pense point que lon doyve doubter qu'il faille faire les additions ou soustractions selon la nature des places qui seront eleues pour bastir, toutesfois (comme j'ay dict) en tele sorte que lon n'y puisse rien blamer.
A la verité ces choses la se font non seulement par les doctrines acquises, mais aussi par la vivacité de l'esprit des ouvriers. A ceste cause avant passer oultre, fauldra premierement determiner la raison des symmetries, sur laquelle ceste mutation se pourra prendre sans crainte de faillir: et puis nous parlerons de la longueur et largeur du parterre d'un bastiment que lon vouldra faire, pourveu que lon ayt unefois arresté son pourpris. Consequemment nous poursuyvrons a dire quel doyt estre l'appareil propre a la decoration ou embellissement de l'ouvrage, a ce que l'object de l'Eurythmie ne mette en doubte les contemplateurs pour decider s'il est ou bien ou mal. et de cela diray je ma sentence, n'oubliant a monstrer les raisons pour la faire ainsi qu'il appartient. Pour y commencer donc, je traicteray en premier lieu des Basses Courtz, et donneray les moyens pour les faire de bonne grace.

DES BASSES COURTZ. CHAP. III.

[LO] CEs Basses Courtz sont distinguees en cinq especes, asavoir, Tuscane, Corinthienne, Tetrastyle ou garnye de quatre colonnes, Displuviee (ou telement descouverte que l'eau de la pluye peult tumber dedans) et Testudinee, c'estadire voultee a Berceaux ou a Retubes autrement dictes culz de four.

LA Basse Court donques sera Tuscane, dont les Solives traversantes l'Avantlogis (que noz Latins disent Atrium) lequel est en la forme d'un Jeu de Paulme, auront leurs saillyes posantes sur de souspendues: et pour recevoir les pluyes, certains cours de tuyles faistieres ou canaulx, continuez tout au long des murailles, puis declinans sur quatre pilliers de boys dressez aux coingz du quarré, desquelz par Eviers couvers de planches, l'eau se pourra couler en la Cisterne practiquee audessoubz du plant.

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La Corinthienne aura ses Solives tout de mesme, et son Pourpris pareil: mais ces Saillyes {Sail yes} poseront sur des Colonnes ordonnées tout al'entour.

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La Tetrastyle sera celle qui soubz les sommiers aboutissans aux quatre coingz de ses paroys, aura des colonnes pour les soustenir: chose qui est singulierement profitable, et de grande fermeté, pourautant que lesdictz sommiers ne sont contrainctz a porter tout le fardeau, et si ne sont chargez de souspendues.

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La Displuviée aura ses pilliers soustenans le coffre ou reservoer de pluyes, regnant sur les quatre murailles, et par iceulx pilliers se vuyderont les eaux. Ceste mode faict durant les yvers, de grandes commoditez aux domestiques, pource que leursdictz receptoers de pluyes elevez, ne donnent aucun empeschement a la lumiere des salles destinees a menger, que nozdictz Latins appellent Triclinia. Mais d'autre part il y a ceste incommodité, que tele mode est souvent subgette a estre reparee, pource que les Gargoules mises au long de ses paroys, ne recoyvent les eaux si tost comme il seroit besoing, au moyen dequoy est force qu'elles regorgent, et cela par succession de temps faict pourrir les murailles par le pied, et davantage corrompt par moysissure les fenestrages, menuyseries, et tous autres enrichissemens ordonnez pour la decoration du dedansoeuvre.

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La Testudinée ou voultee se pourra faire en lieux non subjectz a grandes impetuositez, comme Trepignemens de piedz de plusieurs personnes, Concussions de grosses Enclumes, et autres teles violences qui font separer les panneaux de joinct hors des voultes. Sur celle la se font des Terrasses amples et spacieuses, qui donnent de grandes commoditez aux domestiques et survenans.

DES AVANTLOGIZ DICTZ ATRIA, ENsemble
de leurs flans ou costieres, qui sont Portiques ou Promenoers, autrement
Estudes ou Comptoers, avec leurs mesures et symmetries.
Chap.
IIII.

[LO] LEs longueurs et largeurs desdictz Avantlogiz se distribuent en trois manieres. La premiere est, qu'estant cest longueur divisee en cinq parties, trois en sont donnees a sa largeur.
La Seconde, apres que la susdicte longueur est compassee en trois, lon en retient deux pour la largeur.
Et la Troysieme est, quand d'icelle largeur se faict un quarré perfect, puis qu'il se couppe d'une ligne Diagonale, dont l'estendue en est baillee pour longueur a cest Avantlogis.

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La haulteur de ces edifices doyt estre a une quarte partie pres aussi grande que leur dicte longueur, a prendre depuis le rez de chaussee jusques au dessoubz {dessou z} des solives, et le reste employé aux planchers dictz Lacunaires, et au Coffre ou receptoire des eaux dont cy dessus est faicte mention.
Si la longueur d'icelluy Avantlogis est de trente a quarante piedz, la largeur pour les flans ou costieres qui sont Portiques tant a droict comme a gauche, sera d'une tierce partie de ceste mesure. Mais si elle est de quarante a cinquante, soit icelle longueur divisee en trois parties et demye, l'une desquelles soit donnee ausdictz flans. Si elle monte de cinquante a soixante, la quarte soit pour lesdictes costieres. Plus si ceste longueur s'estend de soixante a quatre vingtz, il la fauldra diviser en quatre portions et demye, et en donner une a la largeur des flans susdictz. Finablement si elle arrive de ces quatre vingtz jusques a cent piedz, estant ceste dimension compassee en cinq, une cinquieme sera justement la largeur convenable.

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La haulteur des sommiers, c'est adire des Fronteaux, comme Architraves assiz sur iceulx Portiques, soit egale a leur largeur.
Si ledict Avantlogis n'a que vingt piedz de large, prenez en une tierce partie, et l'employez en l'espace de l'Estude ou Comptoer. Mais s'il a de trente a quarante piedz, la moytié de la largeur d'icelluy Avantlogis soit donnee a icelle Estude. S'il a de quarante a soixante, ceste largeur soit divisee en cinq parties, deux desquelles soyent aussi contribuees a ce Comptoer, consideré qu'il fault que les moindres corps de logis ayent tele raison de symmetries, comme les plus gras: car quand nous vouldrions en ces grans user de la proportion des petitz, ces Estudes et costieres n'y sauroient avoir place dont on sceust faire proffit. Pareillement si nous usions de la mesure des grans en ces moindres, les membres s'en trouveroient excessifz et mal proportionnez. A ceste cause je suis d'opinion qu'il est convenable de declarer les moyens que lon doyt tenir en chacune sorte de ces bastimens, pour les rendre utiles, et agreables a la veue.
La haulteur donc du Comptoer soit d'une huitieme partie de la largeur plus grande qu'il n'y a depuis le rez de chaussee jusques au sommier desja specifie: et son plancher soit elevé d'une tierce de la largeur adjoustee a ceste haulteur.
Les ouvertures ou entrees de ces moindres Avantlogiz appellez Atria, ayent de largeur une tierce partie d'iceulx Comptoers: et celles des grans, la moytié toute entiere.
Les Images, Statues, ou remembrances des hommes vertueux qui seront mises pour decoration en ces places, soyent avec leurs ornemens de dessus et de dessoubz, faictes aussi haultes comme auront de diametre les Portiques servans de costieres.
La largeur des Huysseries ou clostures soit correspondante a la haulteur des portes, lesquelles si elles sont Doriques, soyent ces huysseries faictes a la mode Dorique: et si elles sont Ioniques, a l'Ionique semblablement, selon ce que j'ay dict en mon Quatrieme livre ou j'ay parlé des Thyromates, en exposant la raison de leurs symmetries.
La lumiere du plant de la Bassecourt recevant les eaux, ne soit laissee plus ample qu'ne tierce partie de la largeur de l'Avantlogis dict Atrium, ny moindre qu'ne quarte, mais sa longueur soit faicte a l'equipollent aussi bien comme celle du susdict Atrium.
Au regard du Peristyle ou ceincture de Colonnes, il est besoing le tenir d'une tierce partie plus long sur le travers que sur les costez du dedans, et prendre garde a ce que ses colonnes soyent aussi haultes que le Portique aura d'espace dedans oeuvre, et leur entredeux non moindre que le diametre de trois d'entr'elles, ny plus large que de quatre. Toutesfois s'il convient les faire Doriques, fauldra prendre leurs modules sur ce que j'en ay mis par escrit en mon Quatrieme livre, et selon ces modules disposer les situations des Triglyphes, avec leurs Metopes.

[FIGURE]

DES GRANDES SALLES POUR MENGER, SALLETTES, EXEdres
ou Parloers garniz de sieges, Pinacotheces, autrement Cabinetz: et des mesures
que ces membres doyvent avoir. Chap.
V.

[LO] LA longueur de ces Salles devra estre deux fois aussi grande que la largeur. Aussi les haulteurs tous conclaves qui seront barlongz, doyvent estre faictes par tel art, qu'estant les mesures des longueur et largeur mises ensemble, soit prise la moytié de ceste estendue, et elle fera justement la haulteur qu'il leur fault. Mais si lesdictes Exedres et Sallettes sont quarrees, la moytié de la largeur adjoustee a leur haulteur, fera leur convenable elevation.
Les Pinacotheces ou Cabinetz se doyvent faire spacieux et amples aussi bien que les Exedres.
Les Sallettes Corinthiennes, Tetrastyles, ou autrement Egyptiennes, doyvent avoir leurs longueurs et largeurs suyvant ce qui a desja esté escrit en la symmetrie des grandes Salles pour menger: mais a raison des colonnes que lon y met, celles la doyvent tousjours estre tenues plus spacieuses qu'aucun des autres membres, entre lesquelz il y a difference de ceulx que lon dict Corinthiens, avec les Egyptiens, pource que iceulx Corinthiens ont leurs colonnes toutes simples, ou dressees sur le petit pan de mur nommé Piedestal continué, ou bien posantes sur le rez de chaussee, et pardessus ont leurs Architraves et Cornices faictes de Charpenterie ou de Stuc: puis encores pardessus icelles Cornices, sont les planchers faictz en Berceaux, et compartiz avec le compas.
Mais en telz logiz a l'Egyptienne, il y a bien sur les Colonnes leurs Architraves soustenans le Lacunaire ou le plancher uny, s'estendant jusques aux pans de muraille qui font le circuyt du dedansoeuvre: et sur ce plancher est mis un lict d'aix syez, puis le pavé de quarreau plombé ou autre matiere, qui est a descouvert comme une Terrasse, afin que lon se puisse promener tout al'entour.
Audessus de cest Architrave lon y dresse de rechief en ligne perpendiculaire, des Colonnes moindres d'une quarte partie que celles de bas: puis sur leurs Architraves et autres ornemens lon assiet le second plancher uny, soubz lequel en leurs entredeux sont faictz les fenestrages amples et magnifiques, telement que cest edifice resemble mieux a une Basilique ou maison Royale, qu'a un simple logis a l'Egyptienne.

DES LOGIZ POUR BANQUETER, FAICTZ
a la mode Greque. Chap. VI.

[LO] LOn faict aussi des logiz pour banqueter, qui ne sont point a la facon d'Italie, et ceulx la sont nommez par les Grecz Cyziceniens, c'estadire a la guyse de Cyzene ville des Milesiens en la region Propontide. Lon tourne leurs veues devers le Septentrion, autrement Pole Arctique, et specialement sur les Jardins. Leurs portes sont sur le mylieu, et l'estendue de leur longueur et largeur est tele, qu'il peult avoir en leurs pourpriz deux grandes salles viz a viz l'une de l'autre, avec leurs promenoers environ, lesquelles salles ont a droit et a gauche leurs lumieres de fenestrages doubles, afin que les gens estans a couvert, puissent avoir plus ample veue sur iceulx Jardins. La haulteur de ces logiz se faict sur l'espace de la longueur, a laquelle on adjouste la moytié de la largeur.

[FIGURE]

En ceste maniere de bastiment fault observer toutes les raisons de symmetrie les moins empeschantes que lon pourra: et en premier lieu si les ouvertures des lumieres ne sont obscurcyes ou rendues troubles par la haulteur des paroys, elles seront bien et beau colloquées. Mais si elles estoient obfusquees par le destroict de la place ou autres incommoditez: en ce cas sera necessaire que les soustractions ou additions des symmetries se facent par {per} bon jugement, afin que les parties de beaulté requises pour le contentement de la veue, soyent du moins vrayessemblables, si du tout ne peuvent estre veritable.

DEVERS QUELES REGIONS DU CIEL
toutes especes d'edifices doyvent regarder pour estre commodes
et saines aux habitans. Chap.
VII.

[LO] J'Exposeray maintenant par queles proprietez toutes manieres de bastimens doyvent estre conduytz, et queles regions du Ciel est necessaire qu'ilz regardent pour estre commodes et salutaires.
Les Salles ou lon menge durant L'yver, ensemble les Bagnoeres ou Estuves, doyvent avoir leurs fenestrages percez du costé de l'Occident d'yver, a raison qu'il se fault servir de la lueur du Vespre, et pource aussi que le Soleil quand il se va coucher, gette ses rayons celle part, et l'eschauffe en sorte qu'elle en est plus tiede sur le soir.
Les Chambres et Librairies regarderont l'Orient, puis que l'usage requiert la lumiere du matin: et d'avantage les livres n'y moysiront point, si noz ouvertures se font ainsi. Mais aux tournees devers le Mydi et Occident, ilz y seroient facilement corrompuz de Tignes, et de Vermoulure, pourautant que les ventz humides venans de ces costez lá, engendrent ces manieres de bestes, et par l'exhalation de leurs aleynes portans humidité, ternissent la blancheur des volumes.
Les Salles a menger au Printemps, et en Autonne, doyvent aussi regarder cest Orient, a cause que quand les lumieres sont opposees au cours qu'il faict en Occident, il les rend temperees, singulierement en ceste saison la, ou les hommes ont accoustumé se recreer en sa tiedeté.
Celles de l'Esté seront bien tournees devers le Septentrion, pour amour que ce Climat est ordinairement fraiz, ce que ne sont les autres qui durant le Solstice du moys de Jun, deviennent ardans par la chaleur qui les bat, mais non pas cestuy la, d'autant qu'il est opposé au cours dudict Soleil, chose qui le rend sain, et donne volupté a l'usage des personnes.
Semblablement les Cabinetz, Contrepointeries, Broderies, et Boutiques de Paintres, doyvent estre exposees audict Septentrion, afin que les coleurs que telz ouvriers appliqueront en leurs besongnes, demeurent en immuable qualité, qui sera causee par la constance de la lumiere laquelle est tousjours egale de ce coste lá.

DES PLACES PROPRES ET CONVENABLES
aux edifices tant communs que particuliers, ensemble des facons requises
pour toutes manieres de personnes. Chap.
VIII.

[LO] ENcores que les bastimens soyent tournez devers les regions du Ciel ainsi que nous avons enseigné, si fault il d'avantage penser a bien situer les habitations des peres de famille, et adviser comment les membres communs et particuliers devront estre disposez: car il n'est pas licite a toutes gens d'entrer en ceulx qui sont reservez pour les Maistres, comme Chambres, Salles, Estuves, et autres de semblables usages, mais seulement a ceulx qui y sont invitez.
Les communs sont ou chacun a liberté d'aller et venir de sa propre authorité sans que lon l'y appelle, comme Avantportailz, Basses courtz, Peristyles ou Galleries, et toutes autres de pareil usage. A ceste cause il n'est requis bastir des Avantportailz, Estudes ou Comptoers, ny Avantlogiz magnifiques pour personnages de modeste fortune, consideré que ceulx lá font la court aux riches, afin d'acquerir leur amytié, comme ces riches font aux superieurs, pour entrer en leur bonne grace, et estre secouruz de leur faveur au besoing.
Semblablement ceulx qui font mestier et marchandise des fruictz de la terre, doyvent avoir a l'entree de leurs maisons, Estables et Boutiques, puis au dedans quelzques Chambrettes voultees, ensemble des Greniers, Celliers, Caves, et teles aysances, plus propres a garder iceulx fruictz, que mignotees pour la beaulté.
Pour Banquiers, Usuriers, Publiquains, Changeurs, et autres qui prestent argent a interest et sur gage, il est expedient de faire leurs maisons commodes, belles, et asseurees de l'aguet des larrons.
Pour Conseilliers, Advocatz, Procureurs, et gens de Practique, il les fault pompeuses et amples, afin de recevoir le grand nombre des personnes qui ont ordinairement a faire a eulx.
Mais pour les Nobles constituez en dignitez honorables, dont ilz doyvent subvenir aux Citoyens et menu Peuple, fault dresser des Avantportailz a la Royale, des Avantlogiz superbes, des Peristyles ou Galleries de grande estendue, des touches de Boys ou Buyssons pleins d'umbrage, et des Promenoers de grande spaciosité: toutes lesquelles choses doyvent estre si bien conduittes et perfettes, qu'elles ayent monstre de grande magnificence. Puis encores oultre tout cela leur fault de belles Librairies, des Cabinetz, des Basiliques ou Pallais de singularité non moindre que les ouvrages des maisons communes, pource que bien souvent dedans les maisons d'iceulx Nobles, se tiennent les Conseilz publiques, ou s'y font les jugemens particuliers, et les appointemens des causes qui se mettent en arbitrages.

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Si les maisons donc sont pour toutes qualitez de personnes conduittes et ordonnees selon mes preceptes, il n'y aura que reprendre, veu mesmement qu'elles auront leurs commoditez bonnes et bien entendues pour servir a l'usage de toutes choses ordinaires.
Or ne seront sans plus ces raisons observees en la ville, mais semblablement aux villages, ou si les Avantlogiz dictz Atria ont accoustumé d'estre en la ville devant la porte, lá (par expres aux habitations des peres de famille) les Peristyles des basses courtz se trouveront au premier front, et les Avantlogiz apres. Toutesfois ilz auront entour eulx des Portiques pavez, regardans sur les lieux des Palestres, et devers les Promenoërs ordinaires.
J'ay suyvant ce que j'avoye proposé, sommairement et au mieux qu'il m'a esté possible, escrit les raisons des bastimens de ville.

DES EDIFICES CHAMPESTRES, ENSEMBLE
la description de plusieurs leurs parties avec leurs usages.
Chap.
IX.

[LO] MAintenant je traicteray de ceulx des champs, et diray comment il les fault ordonner pour les rendre commodes a l'usage.
Avant toute oeuvre lon doyt prendre garde a les mettre en lieux salutaires, et se renger sur ce qui a esté dict en mon premier livre, au chapitre de l'assiette des murailles: car il fault considerer les regions du Ciel, puis bastir les maisons champestres ainsi qui je voys dire.
Leurs grandeurs ou pourpris soyent selon la quantité de la terre labourable qui sera de leur appartenance, et selon les fruictz qui en pourront provenir.
L'enclos des courtz et leur estendue soit aussi selon le nombre du Bestail qui devra estre norry en la maison, et selon les Charues necessaires pour le labourage.
Dedans ceste court soit la Cuysine situee au plus chault lieu qui se pourra choysir, et les Estables des Beufz mises tout aupres, les Craiches ou mengeoëres desquelles regarderont devers le Foyer, et la partie d'Orient, pource que lesdictz Beufz en voyant la lumiere et le feu, ne deviennent jamais farouches. A ceste cause les paysans qui ne congnoissent les regions du Ciel, ne sont d'advis que les Beufz regardent en autre partie qu'a celle ou le Soleil se lieve.
Les largeurs d'icelles Estables ne doyvent estre moindres de dix piedz, ny plus amples que de quinze, et leur longueur tele que chacune paire de Beufz ne tienne moins de sept piedz de place.
Les Estuves ou Bagnoeres doyvent aussi estre aboutissantes a la Cuysine: car au moyen de cela le service rustique pour le lavement ne sera gueres loing.
Le Pressoer soit joignant la Cuysine. ce faisant, le maneuvre requis aux divers fruictz dont lon tire des huyles, ne sera incommode ny mal aysé.
Le Cellier a Vin soit voysin d'icelluy Pressoer, et ses fenestrages regardent a la partie du Septentrion: car s'ilz estoient d'un autre costé ou le Soleil peust battre et eschauffer, le vin qui seroit leans, se trouveroit grevé de la chaleur, telement qu'il perdroit beaucoup de sa force.
L'Huylerie doit avoir sa lumiere du Mydi, et des autres parties chauldes, pour garder que l'huyle ne se gele, ains se purifie par la tiedeté de la chaleur. Le pourpris de ce membre lá doyt estre faict selon les fruictz que lon recueuille d'ordinaire, et selon le nombre des vaisseaux qui s'y doyvent tenir: lesquelz s'ilz sont Culeaires, c'est a dire tenant chacun mille six cens livres de liqueur, leur mylieu doyt occuper quatre piedz d'espace de terre.
Au regard du susdict Pressoer, s'il n'est tourné a viz par dedans une Escroue faicte en la grosse poultre, ains pressé a leviers et a planches, il ne luy fault moins de quarante piedz de long: et s'il en a autant, l'espace pour iceulx leviers sera d'estendue suffisante. Aussi sa largeur ne doit estre moindre que de seze: et par ce moyen les Pressoeriers y pourront bien et commodement faire leurs ouvrages. Mais s'il falloit deux Pressoers en un lieu, et soubz une mesme couverture, le plant soit de vingt et quatre piedz de large.
Les Bergeries, et Estables des Chevres, se doyvent faire de tele grandeur, que chacune des bestes ne tienne moins de quatre piedz et demy de place, ny plus de six pour sa commodité.
Les ouvertures des Greniers haultz, soyent tournees devers le Septentrion, ou le vent Aquilon, qui est la Bize: et par ce moyen les grains ne se pourront tost eschauffer, ains estant rafraichiz par le soufflement de ces ventz, se garderont long temps sans aucun dommage. Mais si lesdictes ouvertures sont exposees aux autres regions du Ciel, il est certain qu'il s'en engendrera des Charantons, Cussons, et autres vermines qui ont accoustumé de gaster les grains.
Les Estables pour les Chevaulx se doyvent faire en places chauldes, specialement aux villages: mais il fault donner ordre a ce qu'elles ne regardent le Foyer: car quand ces bestes sont logees pres du feu, elles deviennent farouches et umbrageuses.
Les Craiches aussi ou mengeoeres pour les Beufz, qui se font a l'air contre la muraille de la Cuysine, et regardent vers l'Orient, ne sont pas inutiles: car quand en la saison d'yver, durant les jours serains, lon y amene les Beufz au matin pour ronger au Soleil, ilz en deviennent plus netz, et plus poliz.
Les Reservoers de toutes manieres de provisions domestiques, comme Feniers, Moulins, Boulengeries, et autres semblables, doyvent estre hors du Village, afin que les maisons ne soient en danger du feu.
Mais s'il convient edifier quelzques choses plus delicates en iceulx Villages, il les fauldra telement ordonner suyvant les symmetries determinees pour la Ville, qu'elles ne soyent nullement empeschantes aux utilitez du Labourage.
Semblablement fault pourveoir a ce que toutes maisons soyent claires, et non sombres. Toutesfois il est plus facile d'avoir de la clairté au Village qu'en la Ville, pource qu'il n'y a muraille de voysin qui empesche: ou en icelle Ville, les haulteurs des paroys communes, ou les logiz trop a l'estroict, causent des obscuritez ennuyeuses, pour ausquelles remedier se fauldra servir de ceste practique.
Soit en la partie d'ou se devra tirer le jour, tendue quelque corde depuis le hault de la paroy qui semblera porter nuysance, jusques au lieu ou lon vouldra que la lumiere donne. lors si en regardant contremont suyvant icelle corde, lon peult veoir le Ciel tout a plain, lá se pourra faire l'ouverture, pource qu'elle ne sera obfusquee d'aucune chose. Mais s'il y avoit des Poultres, Sommiers, Fronteaux de Portes, ou bien planchers qui empeschassent, il faudra ouvrir le dessus pour en attirer la clairté.
Somme il se fault gouverner en sorte, que de quelzconques parties on pourra veoir le Ciel, lá soient assignees les places des fenestres: et en ce faisant, les edifices auront assez de jour. Toutesfois si aux Salles pour menger, et en tous autres conclaves ou les hommes conversent, est requise ample lumiere pour leurs usages: elle n'est moins necessaire aux passages communs, ny aux Montees, pource que souventesfois les uns y rencontrent les autres estans chargez: et s'il n'y avoit du jour a suffisance, il en pourroit advenir de grans inconveniens.
J'ay (ce me semble) exposé au long et par le menu, comment se doyvent conduire les maisonnages de noz Romains, afin que ce ne soit chose obscure a ceulx qui auront affection de bastir: parquoy maintenant je deduiray en bref, par quele voye s'ordonnent les edifices a la Greque, a ce qu'ilz ne soyent ignorez.

DE LA DISPOSITION DES BASTIMENS
a la Greque, ensemble de leurs parties, et de la difference de leurs noms,
assez divers des usages et coustumes Italiennes. Chap.
X.

[LO] POurce que les Grecz ne bastissent a nostre mode, et ne font point d'Avantlogiz dictz Atria, ains ordonnent certaines allees estroictes, commenceantes des l'entree de leurs portes, aux costez desquelles mettent d'une part les Estables, et de l'autre les logiz des hostes survenans, et lá finent icelles allees ou espaces entre deux portes, que lesdictz Grecz nomment Thyroreion, puis lon entre incontinent dedans leur Peristyle, lequel a ses Portiques divisez en trois parties, dont l'une qui est a Antes ou Pilastres, regarde sur la region de Mydi: lesdictz Pilastres sont de beaucoup separez l'un de l'autre, et pardessus lon assiet des sommiers, puis on mesure combien il y a d'espace entre deux, afin de donner ceste largeur au plant ou parterre du dedans, a une tierce partie pres. Ce lieu se nomme par aucuns Prostas, et par les autres Parastas. Mais dedans le pourpris que ces Peristyles environnent, lon y fait de grans logiz, ou les Meres de famille resident avec leurs servantes, qui besongnent en laine, et autres ouvrages de femmes.
Aux costez droict et gauche de ces Prostades, sont les chambres dont l'une est appellée Thalamus, et l'autre Amphithalamus, c'estadire a un lict, et a deux.
Puis environ lesdictz Portiques se treuvent les Salles de l'ordinaire, avec des chambres et Garderobes familieres. Ceste partie de maison s'appelle Gyneconitis, pource qu'elle est destinee aux femmes.
A celle la sont joinctz les plus grans corps de logis, environnez de Peristyles plus larges, et ou il y a quatre Portiques d'une mesme haulteur, si ce n'est que lon veuille faire celluy qui regarde le Mydi, plus relevé, et de plus grandes colonnes. mais quand il advient ainsi, lon appelle tout ce circuyt de Peristyles, Rhodien.
Ces corps de logis lá ont de beaux Avantportailz, et des portes convenables a leurs ordres, representantes une grande majesté.
Les dedans de ces Peristyles sont enrichiz de planchers tous uniz, faictz de Stuc, et garniz de menuyserie sur les flans: puis aux parties qui regardent le Septentrion, sont les Salles Cyzicenes, avec les Cabinetz: devers l'Orient, les librairies: les Exedres ou Parloers pleins de sieges, a l'Occident: et en la region de Mydi, de grandes Salles quarrées, de tele spaciosité, que lon y peult aysement dresser et servir quatre tables, au mylieu desquelles on peult jouer des jeux sans empeschement de personne.
En ces grandes Salles se font les bancquetz des hommes, pource qu'il n'a pas esté institué d'antiquité que les meres de famille assistent ou ilz bancqueteront. Aussi ces pourpriz de logis sont pour ceste cause nommez Andronitides, c'estadire ou les hommes conversent sans importunité de femmes.
Oultre tout cela il se faict des petites maisons tant a droict comme a gauche, qui ont leurs entrees toutes propres, avec leurs salles et chambres commodes, a ce que quand les hostes y surviennent, ilz ne soient receuz dedans les Peristyles, mais en ces logiz ordonnez pour eulx. Chose qui est venue de ce que quand les Grecz estoient riches, et delicatz pardessus toutes nations, il leur pleut ordonner pour les amys survenans, telz logiz garniz de Salles, Chambres, Garderobes et Celliers, pourveuz de ce qu'il appartenoit. Toutesfois pour la premiere journee ilz les convioyent a soupper avec eulx: mais si ces Estrangiers estoient pour y faire sejour, le lendemain leurs hostes leur envoyoient des Poulletz, Oeufz, Herbes, Fruictz, et autres vivres de leurs Metairies: ce que les Painctres voulans representer en leurs painctures, nommerent cela tout en un mot Xenia. Et par ceste facon de faire les Seigneurs des maisons ou Peres de famille ne sembloient estre chargez de gens de dehors, et si gardoient leur liberté, par estre les logiz de leurs hostes separez des leurs, ainsi comme dict est.
Entre ces Peristyles et les logiz des survenans, il y a des passages qui s'appellent Mesaulae, c'estadire voyes communes entre deux salles: mais noz Latins les disent Andrones: qui est une chose esmerveillable: car cela ne peult convenir en Grec, ny en Latin, pourautant que les susdictz Grecz ont accoustumé de nommer Andrones les corps de logis ou les hommes bancquettent les uns avec les autres, et ou les femmes ne peuvent assister.

[FIGURE]

Il y a aussi des choses semblables que noz dictz Latins confondent, comme Xyste, Prothyron, Telamons, et autres: car Xyste en signifiance Greque est un Portique d'ample largeur, auquel les Athletes ou lutteurs s'entr'espreuvent en yver, et iceulx noz Latins usurpent ce mot pour un promenoer a descouvert, que les Grecz appellent Peridromide.
Semblablement Prothyre qui est un Avantportail, nous le disons Diathyra, combien que ce soit une barriere de charpenterie devant la porte.
Plus s'il y a quelzques statues d'hommes qui soustiennent des Modillons ou Cornices, iceulx noz Romains les baptizent Telamons, combien qu'il ne se treuve en aucunes histoires la raison qui les meut a cela, car les Grecz les nomment Atlantes, pource qu'Atlas est par les Imagiers formé soustenant le Monde: chose qui est faincte de luy pour avoir esté le premier qui par la vivacité de son esprit et sa grande industrie feit congnoistre aux hommes les raisons du cours du Soleil et de la Lune, avec les montans et decours de toutes les Planetes. bien faict (certes) qui a induict les ouvriers a le figurer en ceste maniere, et qui a esté cause que ses filles dictes par iceulx Grecz Atlantides ou Pleiades, et par nous Vergilies, ont esté colloquees au Ciel entre les Estoilles. Je ne dy pas (toutesfois) cecy afin que lon change de langage, ou accoustumance de parler, mais pource qu'il m'a semblé estre bon d'en toucher un mot en passant, pour satisfaire aux Philologues ou gens qui se delectent en la proprieté des paroles.
J'ay amplement discouru comment se font les Edifices tant a la mode Italienne que la Greque, sans oublier les proportions convenables a leurs symmetries: et pource que cy dessus a esté faict assez de mention de la beaulté et enrichissement des ouvrages, a ceste heure je parleray de leur fermeté, en deduysant par quele maniere on les peult rendre sans vices, et durables jusques a bien longue vieillesse.

DE LA FERMETE DES FONDEMENS
en maisonnages. Chap. XI.

[LO] Si {SSi} les fondemens des Edifices qui devront estre a rez de chaussee ou fleur de terre, sont faictz selon ce que j'ay dict en mon Premier livre aux chapitres des murailles et du Theatre, il n'y a point de doubte qu'ilz seront fermes et durables pour longtemps. Mais si lon y veult des chambres souterraines, ou des voultes, les fondemens de ces membres lá se devront faire plus espois que de ceulx des estages superieurs: et fault que leurs Paroys, Pilastres, et Colonnes, correspondent en ligne perpendiculaire ou aplomb du mylieu de ceulx d'embas, pour estre solides ainsi qu'il appartient: car si les charges d'icelles Paroys ou Colonnes sont en pendant, elles ne pourront avoir longue duree.
Davantage il n'y aura point de mal de mettre soubz le seuil et sur le claveau des portes, quelzques poultres ou sommiers de bon boys, posantes sur les Jambages et Pilastres des deux costez: car autrement quand iceulx claveaux {claueanx} ou dessus de portes, sont fort chargez de massonnerie, ilz se cambrent par le mylieu, telement qu'ilz font rompre la clef et les panneaux de joinct de l'Arc assiz sur iceulx Jambages. Mais quand il y a de ces Consolateurs de boys, ilz ne permettent que les solives de l'estage de dessus viennent a s'affaisser contre ledict Arc en voulte, si qu'ilz en facent desmentir ses panneaux, comme dict est.
Aussi fault il donner ordre a ce que plusieurs Arches faictes en la muraille, aydent a supporter le faix, et ce par bons panneaux de joinct, tous respondans au centre de la clef qui les fermera: car quand il y aura de telz soustenemens entre les solives de l'estage de dessus et le demyrond de ladicte porte, la matiere soulagee de son fardeau ne se cambrera point, et (qui plus est) si ladicte paroy se commence a gaster par vieillesse, on la pourra facilement racoustrer sans estansonnemens.
En oultre, aux edifices qui se font par Piles, c'estadire par estages ornez de Pilastres ou Colonnes, ou bien a Arches faictes a panneaux de joinct respondans a un centre comme dict est, les Piles et soustenemens d'embas doyvent tousjours estre les plus massives, afin que par le moyen de leurs forces, elles puissent resister au fardeau, encores que lesdictz panneaux de joinct venans a estre pressez par la charge des paroys, foulassent leurs panneaux de couche, et poussassent hors tant d'une part que d'autre les clefz des Voultes, ou leurs Impostes qu'on dict Assiettes.
Pareillement si les contrefors des coingz sont longz et gros, ilz par tenir estroittement les lyaisons des murailles ensemble, causeront une grande fermeté, a tout le moins si lon prend garde a les faire ainsi curieusement que le cas le requiert.
Encores fault il sur toutes choses adviser a faire que les estages de massonnerie s'entreaccordent en lignes perpendiculaires, et ne penchent d'un costé ny d'autre. Mais le principal est des fondemens, ausquelz l'esboulement de la terre apporte souventesfois de merveilleuses incommoditez: chose qui vient de ce que ladicte terre ne peult tousjours estre du mesme poix qu'elle est au temps d'Esté, ains venant a recevoir grande abondance d'eaux en la saison d'yver, fault necessairement qu'elle augmente de pesanteur et de masse: au moyen dequoy elle rompt et met hors de lieu les clostures des bastimens. Mais pour y remedier fauldra faire comme je voys dire.
Premierement l'Architecte doyt prendre garde a faire le fondement si espois que l'esboulement de la terre ne le puisse mouvoir: et tout d'une venue en le faisant fortifier d'Anterides ou Erismes, qui sont contrefors autant distans les uns des autres, que la haulteur d'icelluy fondement pourra estre grande: et aussi espois par le pied que sa masse aura de large. Ces contrefors commenceront a monter depuis le Tuf ou lict de terre ferme, et yront en restrecissant petit a petit jusques au bout d'enhault, auquel devront avoir autant de massif que la muraille aura de diametre, laquelle devra estre assize sur icelluy fondement.

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D'avantage par dedans oeuvre et contre le terrain, fault que le costé du susdict fondement soit faict a dentz de Sye, et que chacune ayt autant de ressort, comme la masse devra avoir de haulteur, mesme qu'elle soit autant espoisse pour le moins, que sera le pied de la muraille que lon devra poser dessus.
Finablement apres avoir mesuré en la partie de dedans, depuis les arestes des coingz autant que montera la haulteur du fondement, et que lon aura merqué cela, soyent suyvant ces merques faictes des couches de massonnerie en forme diagonale, et du mylieu de la muraille deux autres menees a leurs extremitez. Ainsi faisant, icelles couches diagonales ne permettront que toute la force de l'esboulement de terre puisse esbranler la masse, ains dissiperont son impetuosité en resistant a sa pesanteur.
J'ay dict et donné a entendre comment un ouvrage se doyt conduire sans faultes, et a quoy ceulx qui commenceront a bastir, doyvent prendre garde: chose que j'ay traictee pource qu'il y a beaucoup plus d'affaires a renouveller des fondemens, qu'a changer Tuyles, Poultres, Solives, Planches, ou teles autres particularitez, qui estant corrompues sont facilement renouvellees: et si ay donné la maniere de les bastir fermes et solides. Mais il n'est en la puissance d'un Architecte de dire toutes les matieres dont on se peult servir, pource que toutes les sortes que lon y employe, ne proviennent pas en tous payz, comme j'ay desja dict en mon Cinquieme: et aussi il est en la volunte du Seigneur de l'oeuvre, d'edifier de Brique, de Bloccage, ou de Pierre de taille, ainsi que bon luy semblera.
Les approbations donques de tous maisonnages se considerent en trois qualitez, asavoir en la subtilité de la manifacture, en la magnificence, et en la disposition: de sorte que si un ouvrage se veoit sumptueusement accomply, tous hommes puissans en louent la despense: et s'il y a de belle manifacture, les ouvriers en sont bien estimez. Mais s'il est de belle representation, et que les symmetries y soient gardees au devoir, cela cause un grand honneur a l'Architecte, lequel pourra conduire le tout en perfection, s'il veult aucunesfois croire le conseil tant d'iceulx ouvriers, que simples gens de la contree: car tous hommes, non seulement les Architectes, peuvent priser ce qui est beau et bon: mais la difference d'entre iceulx Architectes, et ces simples gens, est que si le simple homme ne veoit la chose faicte, il ne peult juger comment elle doyt estre, ou l'Architecte soudain qu'il aura preveu en sa pensee ce qu'il devra edifier, avant que jamais il y ait rien de commencé, verra comment l'ouvrage devra succeder tant en belle apparence, commodité d'usage, que decoration de symmetrie.

Or ay je dict toutes les particularitez qui m'ont semblé necessaires et profitables en edifices particuliers, mesmes ay le plus ouvertement qu'il m'a esté possible, escrit comment on se doyt conduire en les faisant. Parquoy en ce mien livre suyvant je traicteray de leurs polissemens convenables, et enseigneray la practique pour rendre les oeuvres plaisantes a la veue, et les faire durer sans se corrompre quasi jusques a perpetuité.

FIN DU SIXIEME DE VITRUVE.