HUITIEME LIVRE D'ARCHITECTURE
DE MARC VITRUVE POLLION.

[LO] LE Philosophe Thales natif de Milete en la Region de Carie, qui est d'Asie la mineur, et lequel fut l'un des sages de Grece, a voulu maintenir que l'Eau est commencement de toutes choses. Heraclite d'Ephese que c'est le Feu. Les Prestres des Persans nommez en leur langue Magi, c'estadire sages, ont dict que l'Eau avec icelluy Feu sont cause de la generation et corruption de toutes choses. Mais Euripide auditeur d'Anaxagoras, que les Atheniens surnomment Philosophe Scenique, attribua cest effect a l'Air et a la Terre, disant que ladicte Terre conceoit et prend semence des Pluyes et Rosees du Ciel, et qu'elle en a ainsi produit en ce Monde le genre des hommes et de tous autres animaux: mesmes que ce qui est provenu d'elle, alors qu'il vient a se dissouldre par la necessité du temps, retourne en pouldre, sans recevoir extermination, mais (sans plus) changement, parce qu'il se reduict en la proprieté qu'il souloit avoir en son principe. Toutesfois Pythagoras, Empedocles, Epicharme, et plusieurs autres grans personnages tant Physiciens comme Philosophes, ont proposé quatre commencemens, asavoir le Feu, l'Air, l'Eau, et la Terre, asseurant que ceulx la estant allyez en la formation naturele, causent les qualitez de toutes especes differentes.
Or nous avons advisé pardessus, que les choses qui ont essence, ne sont seulement procrees de ces quatre, mais que rien du Monde ne peult estre substanté sans leur puissance, non (certes) croistre, ny se conserver: car les Corps animez d'Esprit, ne peuvent avoir fruytion de vie, si l'Air influant ne faict ses aspirations et respirations en son enclos, dedans lequel s'il n'a suffisante proportion de chaleur, l'Esprit ne peult vivifier, ny la composition demourer solide, consideré que les viandes, cause de l'alliance, seroient sans concoction temperee. Or s'il est que les membres d'un Corps ne soient soustenuz de substance terrestre, force sera qu'ilz defaillent en peu de temps, et ce par estre destituez de la mixtion du principe de Terre. Pareillement si aucuns autres animaux sont sans puissance humide, privez de Sang, ou tariz de la liqueur de leurs principes, ilz ne tardent point a estre dissipez.
A ceste cause la Providence divine n'a faict les matieres requises aux humains, cheres, ny difficiles a recouvrer, ainsi comme les Perles, les Pierres precieuses, l'Or, l'Argent, et autres, non appetees du Corps, ny de l'Ame, ains a semé abondamment par tout le Monde, voire quasi mis entre les mains des Creatures raisonnables, toutes les choses sans lesquelles leur vie ne sauroit consister: telement que si d'avanture quelqu'ne de celles la default au Corps, l'Esprit ou Air assigné pour la restitution, y satisfaict au possible. Aussi a la verité l'appareil propre a ayder la chaleur naturele, est la vigueur du Soleil, avec l'invention du feu, qui conserve la vie plus seurement qu'elle ne seroit sans luy. Pareillement les fruictz de terre prestans abondance de norriture, continuelement repaissent les vivans et subviennent a la superfluité de leurs desirs. Aussi l'Eau de sa part, tant agreable, ne concede seulement la commodité de boire, ains apporte avec ce, des utilitez infinies, tant pour noz necessitez, que recreations ordinaires. Et de la vient que les Prestres du pays d'Egypte voulans monstrer en leurs cerimonies que toutes choses acquierent leur essence par la grande vertu de l'humeur, quand ilz emplissent et puis couvrent leur Hydrie, c'estadire Vase a tenir l'eau, qu'ilz par grande observance de Religion reportent en leur Temple, tous se prosternent le visage contre terre, et lievent les mains devers le Ciel, pour rendre graces a la bonté divine des inventions qu'il luy a pleu donner aux hommes.

DES MANIERES POUR TROUVER L'EAU.
Chap. I.

[LO] PUis donc qu'il est determiné par les Naturalistes, Philosophes, et Prestres, que toutes choses ont leur origine par le moyen de l'Eau, il me semble que pour avoir en mes Sept Volumes precedens suffisamment exposé les raisons de bastir tous Edifices, il est besoing que je parle en cestuy cy de l'invention de ladicte Eau, donnant a entendre queles proprietez elle peult avoir selon la nature des lieux ou elle faict ses sources: puis par queles practiques on la peult conduire a noz commoditez: et comment lon doyt esprouver si elle est salutaire ou non, consideré mesmement que sa liqueur est tresnecessaire, tant pour nostre vivre, que pour noz delectations et usages.

Elle sera facile a conduire, si les Fontaines sont en pleine veue, et coulantes. Mais si elles cropissent, il en fault chercher les sources soubz la terre, et les assembler toutes en un Canal. Parquoy voulant ce faire, sera requis user de ceste industrie.
Avant le lever du Soleil le Fontainier se couchera tout plat sur le Ventre emmy la place ou il vouldra chercher, et lá tenant son menton pres de terre, soustenu de quelque appuy, yra speculant ceste Campagne. parainsi si veue ne s'en yra vagant plus hault que le devoir, parce que sondict menton demourra immobile, ains gardera une haulteur nyvellee a la proportion qui sera necessaire.
Adonc ou il appercevra des humeurs sourdantes et s'entrebrouillantes en l'air par tourbillons, face fouiller ses Pionniers: car c'est signe que cela ne sauroit proceder de lieu sec.

[FIGURE]

D'avantage luy est besoing considerer le naturel du pays, veu mesmement qu'il en est aucuns la ou elle s'engendre, et d'autres qui n'en ont comme point.
Qu'il soit vray, en Croyeres elle provient simple, sans grande abondance, et n'est de gueres bonne saveur.
En Sable fondant soubz le pied, elle y est debile. Encores si on la rencontre en lieux bas, elle sera limonneuse, et fade a savorer.
En terre noire on y treuve bien quelzques sueurs et gouttes rares, lesquelles s'y assemblent des Pluyes et Neges de l'yver, et cropissent aux endroitz solides. Celles la sont d'assez bon goust.
En la Glaire lon y treuve des veynes moyennes, et non certaines, mais aussi elles sont accompagnees d'une plaisante suavité.
En Sablon Masle, c'est a dire aspre et tirant sur le brun, et pareillement en l'Arene, et au Carboncle, elles y sont plus certaines et plus durables, voire (qui vault mieulx) de bien bon goust.
En Roche Rouge il y en a de bonnes et abondantes, a tout le moins si ce n'est qu'elles s'espanchent par aucunes crevasses.
Soubz les racines des Montaignes, et dedans les Roches bises, elles y sont beaucoup plus copieuses et affluentes, mesmes plus froydes et plus saines que les autres.
En sources champestres on les treuve sallees, pesantes, tiedes, et fades, si ce n'est qu'elles tumbent des Montaignes, et passent pardessoubz la terre, puis viennent a s'escrever emmy un champ, ou elles soyent encourtinees de la ramure des arbres: car en ce cas elles sont aussi delicates que les propres sources qui naissent des Montaignes.
Maintenant donc les signes pour congnoistre en quelz quartiers de terre il y aura de l'Eau, oultre la practique cy devant declaree, seront telz.
S'il y naist de la menue Jonchee, du Saule sauvage, de l'Aune, de l'Osiere, des Roseaux, du Lyerre, et autres semblables especes qui ne peuvent provenir ny estre alimentées sans humeur.
Toutesfois il en croist bien au long de quelque Mare ou Fosse recevant la liqueur des Pluyes, et celle qui coule des Campagnes la ou elle cropit, et pouramour de sa concavité se conserve plus longuement qu'en autre lieu. Ce neantmoins il ne s'y fault arrester, mais la doyt on querir en territoires ou ces herbes et arbustes proviennent sans semer ny planter, ains naturelement par eulx mesmes.
Puis aux places ou ces signes n'apparoistront, fauldra user de teles experiences.
Soit faict une Fosse en terre non moins large que de trois piedz de tous costez, ny moins profonde que de cinq, et la dedans, environ le coucher du Soleil, mettez y un vaisseau d'Arain, ou de Plomb, ou bien quelque Bassin si le povez plustost avoir. Oignez le d'Huyle pardedans, puis le renversez la gueule contrebas. apres couvrez la superficie de ceste Fosse, ou de Roseaux, ou de Feuillars, et gettez de la terre pardessus. Le jour ensuyvant allez la descouvrir: et lors si vous trouvez en vostre vase des petites gouttes de sueur, sachez qu'il y a de l'eau en cest endroit.
Pareillement si vous mettez dedans icelle Fosse un pot de terre non cuyt, et le couvrez comme le devant dict, quand vous viendrez a r'ouvrir la Fosse, s'il y a de l'eau soubz la terre, vostre pot sera humide, ou paravanture fellé a l'occasion de la liqueur.
Plus si vous y gettez une Toyson de laine, et que le jour d'apres en faciez sortir de l'eau en la tordant, soyez asseuré qu'il y en aura grande abondance en ce lieu la.
D'avantage si une lampe pleine d'huyle et allumee est mise la dedans, et le jour ensuyvant n'est tarie, ains ayt de la Meche et de l'Huyle de reste, mesmes qu'elle se treuve humide: ce sera signe qu'il y a la de l'Eau en son fons, consideré que toute tiedeté attire les humeurs a soy.
Finablement si vous faictes du feu en celle place, tant que la crouste de la terre se brulle et s'en eschauffe interieurement, de maniere qu'il en sorte une Vapeur nebuleuse, croyez qu'il y a dessoubz ce que vous desirez.
Quand toutes ces choses auront esté experimentees, ou a tout le moins une d'icelles, s'il se monstre aucun des signes dessusdictz, vous ferez la creuser un Puy. Mais si de fortune lon rencontroit que ce feust une source d'eau, plusieurs autres Fosses devront estre fouyes environ, et par trenchees moyenné qu'elles respondent toutes en un lieu.
Ces Eaux se doyvent principalement chercher aux Montaignes, et devers les regions Septentrionales, a raison que pour estre opposees au cours du Soleil, on les y treuve plus savoreuses, plus saines, et en plus grande abondance, consideré que ces parties sont fort peuplees d'Arbres et de Boccages: aussi que les Montaignes ont leurs umbres empeschantes que les rayons dudict Soleil ne perviennent directement sur la terre, si qu'ilz ne peuvent succer ny attirer les humeurs qui en sortent.
Et oultre ce les espaces d'entre icelles Montaignes sont propres a recevoir les Eaux. Encores pour amour de l'espoisseur des Forestz, les Neges y sont plus long temps conservees par l'umbrage des Arbres et des Montaignes: puis quand elles se viennent a fondre, leur humeur coule atravers les veynes de la terre, telement qu'elle arrive aux plus basses racines desdictes Montaignes, d'ou s'escrevent les bouillons des Fontaines courantes.
Mais au contraire, parmy les Campagnes on n'y peult avoir gueres d'Eau: et encores s'il y en a, elle ne sauroit estre saine, a cause que la vehemente impetuosité du Soleil, n'estant empeschee d'aucune resistence d'umbres, succe leur humidité, et les espuyse par sa chaleur, telement que s'il y en a qui se monstrent a plain, l'Air en attire la substance plus legiere, subtile et salutaire, puis l'espart soubz la grande concavité du Ciel: et ce qui est gros, terrestre, et de mauvaise saveur, est laissé dedans les Fontaines Champestres.

DES EAUX DE PLUYE.
Chap. II.

[LO] LEs eaux donc qui se recueuillent des Pluyes, sont plus saines que toutes les autres, a raison que c'est de la plus pure et plus delicate vapeur qui ayt sceu estre choysie en toutes les Fontaines, Rivieres, Mares, et autres lieux semblables, mesmes qui apres son attraction, avant que retourner a la terre, a esté exercitee parmy la spaciosité de l'Air, puis distillee par les orages.
Aussi lon ne veoit gueres souvent qu'il s'amasse des Eaux de Pluye parmy les Campagnes, mais bien dedans ou aupres des Montaignes, et ce pource que les humeurs esmeues au matin par l'advenement du Soleil, quand elles sont sortyes de terre, en quelconque partie du Ciel qu'elles se tournent, vont poussant et agitant l'Air, sibien qu'apres estre elevees en lieu vuyde, elles recoyvent des bouffees d'Air ensuyvantes et cela faict que tele violence chassant les vapeurs qui la precedent, engendre les espritz des Ventz, avec leurs tourbillons qui croyssent et augmentent.
Or en quelque partie qu'icelles humeurs amassees en nuages, soyent portees par les Ventz, tousjours sont elles provenues de Fontaines, Fleuves, Paluz, et Marine, par la tiedeté du Soleil, qui les a elevees contremont: ou estant confuses avec les undees du susdict air, quand elles viennent a rencontrer aucunes Montaignes qui les repoussent, incontinent sont dispersees, et se resolvent en liqueur, pour amour de leur repletion et gravité, si qu'elles se respendent en Pluyes ou Bruynes sur les terres.
Mais la raison prouvante que les vapeurs et nuages naissent de la terre, semble estre tele, asavoir que sa masse contient en soy des chaleurs estouffees, des exhalations horribles, des refroydissemens, et une grande abondance d'eau: choses qui font que quand l'air se refroydit sur la nuyt, les soufflemens d'icelluy Vent s'engendrent quant et les tenebres: mesmes alors sortent les nuages des lieux humides, et s'elievent contremont: puis aussi tost que le Soleil revient a se monstrer sur la terre, et qu'il la touche de ses rayons, l'air qui en est preallablement eschauffé, attire les humeurs avec la Rosee. et de ce peult on veoir l'exemple dedans les Estuves: car il n'y en a point de chauldes qui puissent naturelement avoir des Fontaines froydes sur leurs voultes: et toutesfois quand leur concavité est eschauffee par la vapeur du feu vagant dessoubz, elle attire l'eau du pavé, et la faict attacher contre sa cambrure, ou elle est soustenue en petites gouttes: dont ne se fault esmerveiller, pource que toute exhalation chaude se pousse tousjours contremont: et n'est incontinent rabatue, a cause de sa subtilité. Mais quand elle a faict grand amas d'humeurs, cela ne peult estre soustenu, a cause de sa pesanteur, ains distille sur les testes de ceulx qui se lavent ou estuvent.
Pareillement et par mesme raison quand l'air celeste se treuve eschauffé du Soleil, il attire de toutes pars les humiditez a soy, puis les assemble et brouille en nuages.
Aussi quand la terre est batue de chaleur, elle jette ses humiditez, ne plus ne moins que le corps d'un homme faict sa sueur. Et de ce rendent les Ventz indice manifeste, specialement ceulx d'entr'eulx qui viennent des regions froydes, comme Septentrion et Aquilon, car leurs aleines sont seches et extenuees. Mais Auster, et les autres qui exercent leurs impetuositez soubz le cours du Soleil, c'estadire au Midy, sont naturelement humides, et tousjours apportent de l'eau, a raison qu'il passent atravers des contrees chauldes, ou ilz sont eschauffez, et en venant attirent de toutes terres les humiditez, qu'ilz respendent a la fin sur les parties Septentrionales.
Encores peuvent porter tesmoignage de ce, les sources et commencemens des Rivieres, mesmes monstrer qu'il se faict ainsi, consideré que toutes Chartes de la terre pourtraictes par Chorographie, ou curieuse representation de la menue particularité des Provinces, et par les authoritez de plusieurs escritures, lon voit ordinairement que les plus grans Fleuves qui soyent, viennent des payz Septentrionaulx.
Premierement Ganges, et Inde, (lequel faict porter son nom a la region par ou il passe) sortent de la Montaigne Caucase.
Dela Syrie, maintenant Judee, partent le Tigre et l'Euphrates: d'Asie, et du pays de Pont, procedent le Borysthene, l'Hypan, et le Tanais: de Colchos, le Phasis: de Gaule ou France, le Rosne: de la Belgique, le Rhin: deca les Alpes, le Timave et le Pau: d'Italie, le Tibre: et de Maurusie, que noz Romains appellent Mauritanie, maintenant Barbarie, celluy de Dyris, qui sort du mont Atlas, specialement de son costé Septentrional, d'ou il coule devers l'Occident par le Lac Eptabole, ou il change de nom, et s'appelle Nigir. puis sortant de ce Lac, passe pardessoubz des Montaignes desertes, et par contrees Meridionales se va jetter dedans le Palu Coloé, qui ceinct l'Isle de Meroé, Royaume des Ethiopiens Meridionaulx: et apres laissant ce Palu, traverse parmy les fleuves Astasoban, Astaboran, et plusieurs autres, si qu'il pervient a une Cataracte de Montaignes, qui est ouverture par ou il se precipite de hault en bas: et adonc tenant son chemin devers les regions Septentrionales, il arrive entre Elephantide, Syene, et les Campagnes de Thebes en Egypte, ou il est dict le Nil.
Mais ce qui donne a cognoistre que sa premiere source vient en Mauritanie, est que de l'autre costé du mont Atlas, il y a des Fontaines qui coulent a l'Ocean Occidental, aux Eaux desquelles naissent aussi bien que dedans ledict Nil, des Ichneumons, qui sont bestes de la grandeur d'un Chat, et quasi de la forme d'un Rat, avec Crocodiles, et autres semblables bestes d'estranges natures de Poissons, excepté des Hippopotames, ou Chevaulx de Riviere.
Ce consideré donc, et attendu que tous les plus grans fleuves de la Terre se voyent sur les descriptions des Chartes, sortir du costé de Septentrion, mesmes que les Campagnes d'Aphrique situees soubz le Mydi, et subjettes au cours du Soleil, ont quasi toutes leurs humeurs cachees, peu de Fontaines, et des Rivieres encores moins, il s'ensuyt que lon treuve des sources beaucoup meilleures devers les parties de Septentrion et Aquilon, qu'en toutes autres, si ce n'est qu'il y eust des veynes de Soulphre, d'Alun, ou de Betum, qui est Cyment naturel: car en ce cas la raison change, pource que les Fontaines de teles places jettent des Eaux chauldes ou froydes qui sont de mauvaise odeur, et meschant goust. Toutesfois il n'y a jamais aucune Eau laquelle saille chaulde de sa propre nature, ains est preallablement froyde, mais en passant par des lieux ardans, s'eschauffe, et sort ainsi par certaines crevasses, en bouillonnant sur la Terre, ou elle ne conserve longuement sa chaleur, mais se refroydit en peu d'espace: et si elle estoit naturelement chaulde, jamais ne se refroydiroit. Bien est vray que sa saveur, son odeur, et sa coleur ne se peuvent restituer en leur premier estat, pource que la qualité acquise par accident, est si bien meslee avec la substance, qu'elle n'en peult estre separee, a cause de la subtilité de sa nature.

DES EAUX CHAULDES, ET DES VERTUZ QU'ELLES
apportent en passant par diverses veynes de Metaulx, ensemble de la proprieté naturele
de diverses Fontaines, Fleuves, Lacz, et autres reservoers d'humidité.
Chap.
III.

[LO] IL se treuve aucunes Fontaines chauldes, dont il sort de l'Eau de tresbonne saveur, et si doulce a boire, que lon ne desireroit en son lieu de celle du boys des Camenes ou Muses, qui est hors la porte Capene: ny de la Martiale antiquement dicte Aufeia, sourdante de la Fontaine Piconie, aux dernieres montaignes des Peligniens: puis passant par le pays des Marsans, et atravers le Lac Fucin, d'ou estant sortye, tend a Rome. Ceste eau chaulde est ainsi faicte bonne par la Nature, suyvant ceste raison.
Quand il s'allume un feu au fons de Terre, soit par Alun, Betum, ou Soulphre, l'ardeur eschauffe les parties qui luy sont plus prochaines, et faict exhaler une vapeur chaulde qui monte en hault, ce pendant s'il y a quelzques Fontaines d'eau doulce qui sourdent en ces lieux superieurs, leurs Eaux estant rencontrees de ceste vapeur, bouillonnent entre les veynes de la terre, et ainsi vont coulant sans que la saveur en soit corrompue.
Il est aussi des Fontaines froydes, qui n'ont bon goust, ny bonne odeur. celles la naissent quasi pres du fons d'icelle terre, et passent parmy des lieux ardans, puis apres avoir couru grand pays, estans refroydies, sortent en apparence, et apportent leurs saveur, odeur, et coleur, corrompues: comme faict le fleuve Albula, lequel passe au long de la voye Tyburtine: et les sources froydes dictes Sulfurées, qui sont en la Campagne d'Ardea, distante de la Mer seulement de soixante et dix stades, et de ceste ville par vingt mille ou environ: mesmes en plusieurs lieux semblables.
Or nonobstant {nonbstant} que leurs Eaux soyent froydes, si semble il a les veoir, qu'elles bouillent. la raison est, que quand elles sont cheuttes de hault en quelzques endroitz ardans, l'Humeur et le Feu venans a se rencontrer, excitent un bruyt vehement a merveilles, en maniere {manie e} qu'il s'en engendre des bouffees de Vent fort impetueuses, dont elle estant enflee, est contraincte a bouillonner, et a sortir ainsi en la superficie de la terre.
Entre lesdictes Eaux, celles qui n'ont point de passages ouvertz, mais sont arrestees par quelzques rochiers ou autres empeschemens, sont contrainctes d'estre poussees atravers certaines veynes estroittes jusques au coupeau des Montaignes: parquoy ceulx qui pensent trouver en ceste grande haulteur aucunes sources de Fontaines, se voyent abusez quand ilz viennent a faire leurs fosses plus larges: car tout ainsi comme un vaisseau d'Arain qui n'est plein jusques aux bordz, mais contient seulement en sa capacité, de trois pars les deux d'Eau, quand il est muny de son couvertoer, et mis sur le Feu qui le penetre de sa chaleur ardante, et contrainct l'Eau a s'eschauffer, elle pour amour de sa subtilité naturele recoit en soy un enflement excessif causé par la chaleur, si que non seulement elle ne comble tout le vaisseau, ains par les bouffees qui en procedent, faict lever ledict couvertoer, et croist si desmesurement qu'elle regorge pardessus: et adonc si tost que lon vient a oster ce couvertoer, et qu'elle peult envoyer ses exhalations en l'Air, incontinent retourne a son premier estat: ne plus ne moins, et par mesme moyen, quand icelles sources de Fontaines sont contrainctes de passer par des conduictz estroitz, les espritz de l'Eau bouillonnante s'elievent contremont: et aussi tost qu'ilz sont elargiz, la subtilité de la vertu liquide se rassiet, et retourne en son lieu, de sorte qu'elle est reintegrée en la proprieté de sa mesure, ainsi qu'elle souloit estre avant l'eschauffement.
Toute Eau chaulde est medicinale, pourautant qu'elle est cuytte par ses rencontres, qui luy font recevoir une autre vertu pour noz usages. Et qu'il soit vray, les Fontaines Sulfurées, guarissent les morfontures et refroydissemens de nerfz, en les reschauffant au moyen de leurs proprietez chauldes, et attirant des corps les humeurs corrompues et depravees.
Celles qui sont pleines d'Alum, proffitent grandement aux Paralytiques, et autres qui ont leurs membres mutilez, pource qu'elles oeuvrent les porositez des veynes, puis purgent les parties affligees, et par la force de leur chaleur en chassent hors la maladie contraire, si bien que les langoreux en sont souventesfoys restituez en leur premiere santé.
Le bruvage des Bitumineuses ou garnyés de Cyment liquide, a coustume de guarir les doleurs interieures, en purgeant les personnes molestees de mauvaises humeurs.
Aussi est il une espece d'Eau froyde Nitreuse, comme a Pinne, a Vestina, et en la bourgade appellee Cutilia, ou selon aucuns Cotiscolia, du territoire des Sabins, et en autres lieux semblables, laquelle purge les gens qui en boyvent, et diminue les tumeurs ou enflures des Escrouelles.
Lon treuve semblablement assez de fontaines d'ou lon tire de l'Or, de l'Argent, du Fer, de l'Arain, du Plomb, et autres choses semblables, mais celles la sont expressement dangereuses, car leurs qualitez sont du tout contraires a l'Eau chaulde qui jette le Soulfre, l'Alun, ou le Cyment, consideré que quand ces minerales sont receues en un corps par bruvages, et qu'elles viennent a toucher les Nerfz et Arteres en passant par les veynes, ilz en endurcissent et enflent, comme aussi font consequemment les membres: et iceulx Nerfz engrossiz par l'enflure, se retirent avec le temps, si que les hommes en deviennent ou Goutteux Arthretiques, ou Podagres, a raison que la subtilité de leursdictes veynes est attaincte par des sustances froydes, espoisses et dures le possible.
Il y a d'avantage une autre espece d'Eau, qui encores qu'elle ne soit gueres claire, si en sort il une Escume coloree comme une fleur vermeille ou verde tainct en Pourpre, laquelle nage sur ses undes. Ceste la se peult veoir singulierement en Athenes, car aux lieux d'environ, comme en Asty, et au port de Pyree, il y en a quelzques sources, toutesfois personne n'en boyt pour ceste raison la. Bien est vray que les habitans s'en servent a laver, et a plusieurs autres usages, mais ilz boyvent de l'Eau des Puys, et parainsi evitent les inconveniens qui leur en pourroient advenir. Si est ce que a Troezene ilz ne s'en sauroient garder, pourautant qu'il n'y en a point d'autre, s'ilz ne la font apporter de Cibdele: et de la vient que tous ceulx de celle Ville, ou lapluspart, sont goutteux Podagres.
Or en Tarso Cité de Cilicie, il y passe un fleuve nommé Cydnos, dedans lequel si les susdictz Podagres vont laver leurs jambes, ilz guarissent en peu de temps.
Aussi en est il en autres divers pays maintes especes qui ont leurs proprietez particulieres, comme en Sicile la Riviere Himera, laquelle au saillir de sa source, incontinent se divise en deux parties, dont l'une, asavoir celle qui tend devers Ethna, pource qu'elle passe par une doulce veyne de terre, est pourveue d'infinye doulceur: et l'autre coulant atravers les Campagnes ou lon fouille le Sel, a une saveur fort sallee.
Pareillement aupres de Paretoine, autrement dicte Ammonia, situee dedans les desers de Lybie, sur le chemin tendant au Temple de Jupiter Ammon, et joignant Cassio sur la voye d'Egypte, il y a certaines Eaux marescageuses, qui sont tant sallees qu'elles ont de grosses croustes de Sel congelees sur leurs undes.
Et pour ne trop particularizer le tout, il y a en plusieurs autres contrees des Fontaines, des Fleuves, et des Viviers, lesquelz pour passer atravers d'aucunes Salines, necessairement en deviennent sallez.
D'avantage il s'en treuve de telz qui en coulant parmy des veynes de terre grasse, apportent une liqueur huylee, comme le fleuve Liparis courant au long de la Ville de Solos en Cilicie, dont ceulx qui se baignent ou nagent en ses Eaux, semblent au sortir estre frottez d'huyle. Le semblable {semblabe} font un Lac d'Egypte, et un autre des Indes, qui quand le Ciel est serain, produit une copieuse abondance d'huyle: et en Carthage y a une Fontaine sur laquelle flotte de l'huyle portant odeur d'Escorce de Citron, dequoy lon gresse les bestes contre la Rongne.
A Zacynthe, qui est une Isle de la mer Adriatique, a Dyrrachio, maintenant Raguze, et en Apollonie, Cité de Hongrie, aujourdhuy dicte la Vallone, se voyent des Fontaines qui vomissent grande abondance de Poix avec leur Eau, comme aupres de Babylone le Lac de merveilleuse estendue, qui se nomme Limne Asphaltis, maintenant la Mer morte, qui soustient en sa superficie du Betum ou Cyment flottant, et d'icelluy Betum avec de la Brique, la Royne Semiramis feit premierement ceindre la ville de muraille.
En Joppé de la region de Syrie, la plus antique ville du Monde, edifiee des devant le Deluge, mesmes en la partie d'Arabie que tiennent les Numidiens, il y a des Estangz spacieux et tresamples, qui jettent des masses desmesurees de Betum, lesquelles ceulx qui habitent environ, attirent a bord: mais cela n'est pas esmerveillable, a raison qu'il se treuve en ceste contree lá plusieurs Perrieres de Betum endurcy, et quand la force de l'Eau vient a passer parmy la terre Bitumineuse, elle en attire de grans quartiers avec soy: puis estant sortye de dessoubz ladicte terre, s'en depart, et ainsi rejette le Betum a ses rives.
Plus en Cappadoce region d'Asie, sur le chemin qui va de Mazaca apresent Cesaree a la Tane, se treuve un grand Lac, dedans lequel si lon y plonge une partie de quelque Roseau, ou du boys d'autre espece, et que le jour ensuyvant on l'en retire, la partie qui aura demouré hors de l'Eau, gardera bien encores sa propre qualité: et l'autre que lon en tirera, sera convertie en pierre.
Pareillement en Hierapoli de Phrygie, il y a une source d'Eau chaulde bouillonnante, laquelle on faict par trenchées aller al'entour des Jardins et des Vignes, et au bout de l'An se tourne en crouste de pierre, si que les habitans font toutes les années des fossez tant a droit comme a gauche environ leurs possessions, et ainsi les ferment de bonnes clostures. A la verité il semble que cela se face naturelement, pource qu'en ces lieux il naist une substance dedans la terre, qui a vertu de se cailler: parquoy quand ceste proprieté mixtionnée sort de terre par le moyen des Fontaines, elle est contraincte a secher par la force du Soleil et de l'Air, ne plus ne moins que lon veoit faire aux Aires des Salines.
En oultre il y a des Fontaines qui saillent de Terre, lesquelles par son amertume deviennent merveilleusement ameres: et ainsi en prend il au fleuve Hypanis, qui depuis sa source jusques a environ Quarante mille de long, va courant avec saveur tresdoulce: mais quand il est pervenu en un lieu distant de la bouche par ou il entre en la Mer, d'environ Cent soixante mille, une petite Fontaine se vient mesler parmy son Eau, et rend son abondance toute amere, pource que sa liqueur passe atravers quelque veine de Terre d'ou lon tire la Sandaraque, autrement Orpin rouge ou Massicot, et en acquiert ceste amertume.
Ces choses differentes en goust, proviennent du naturel de la Terre, aussi bien comme la seve des Arbres fruyttiers, desquelz si les racines, et en pareil des Vignes, mesmes de toutes autres semences, ne prenoient substance en la vertu des territoires, et les fruictz ne s'en sentoient aucunement, les saveurs de tout seroient en chacune contree d'une pareille qualité. Mais nous voyons que l'isle de Lesbos porte le Vin ou Malvaisie Protyre, autrement Protrope, c'estadire Moust, qui coule de la grappe avant que la vendange soit {foit} foulee. Le Pays de Mysie ou Meonie donne celluy qui est dict Catacecaumenos, signifiant rosty, pour amour que la Terre en est toute cendreuse, a cause du feu qui souloit estre dessoubz, lequel est maintenant du tout estainct, et nonobstant ne produit autre arbre que la Vigne. La Lydie engendre le Tmolique, ainsi nommé d'une de ses montaignes. Cestuy la n'a point de grace estant seul, mais quand il est meslé parmy du doulx, sa durté se tempere, et se garde longuement. La Sicile baille le Mamertin, qui est du cru de Messine, et combat tous les meilleurs Vins d'Italie. La Campagne de Naples preste le Falerne. Puis Terracine et Fundi ministrent le Cecube, qui prend son nom d'un Terroer estant pres de Gayette.
Mesmes au reste des autres provinces croist innumerable multitude de Vins, tous differens en qualitez et vertuz. Choses qui ne se sauroient faire si la proprieté de l'humeur terrestre n'infundoit ses saveurs dedans les racines, et ne norrissoit un matiere laquelle montant jusques aux extremitez de ses objectz, engendre une seve convenable aux lieux et aux especes. Que si la terre n'estoit differente en ses humeurs, il ne naistroit seulement dans les Roseaux, Joncz, et toutes herbes de Syrie et d'Arabie, des odeurs doulces et soeves, ne les arbres portans l'Encens et le Poyvre, n'y germeroient les Bacces ou grains tant requiz, avec les petites gouttes de Myrre, ny la Region de Cyrene voysine d'Afrique et situee contre sa partie gauche, ne produiroit le Benjoin dedans les tiges ou tuyaux de l'herbe dicte Silphion par les Grecz, et Laser ou Laserpitium entre noz Latins: mais en toutes les contrees de la Terre toutes choses sauldroient de mesme goust et genre.
Certainement tele diversité est causee sur les Climatz par les influences du Ciel et du Soleil, qui en faisant son cours plus prochain ou plus esloigné d'eulx, moyenne que les humeurs de la Terre deviennent teles que nous les avons. Ce neantmoins icelles qualitez ne se voyent sans plus sur les choses ja specifiees, ains aussi bien les peult on discerner entre les tropeaux des grandes et petites bestes de pasture: et n'est a croire que ces effectz peussent advenir dissemblables, si les proprietez de tous payz n'estoient temperees par la puissance dudict Soleil. Qu'il soit vray, il y a en Beotie (Region de ceste nostre Europe regardant trois Mers, asavoir du Peloponesse maintenant la Moree, celle de Sicile, et l'Adriatique ou Venitienne) les fleuves Cephysus et Melas, pareillement en Lucanie, a ceste heure la Prusse ou Brusse, au Territoire de Naples, celluy de Crates, a Troye le Xanthus, et aux domaines des Clazomeniens, Erythreans, et Laodiceans peuples d'Asie, se treuvent des Fontaines et Rivieres de tele proprieté, que quand lon veult preparer les tropeaux a conception et generation, chacun jour on les y meyne boyre, dont il advient qu'encores que les bestes soyent blanches, si en engendrent elles en certains lieux de cendrees ou grises, en aucunes places d'enfumees, et en autres quartiers de noires comme Veloux, ou plumes de Corbeau. Parainsi quand la vertu de la liqueur entre dedans les corps subgectz, elle y seme la qualité substancieuse de chacune sienne espece dont elle est imbibee. A ceste cause, et pource qu'environ les rivages du fleuve Scamander qui passe atravers la campagne de Troye, il y naist des engeances de bestes rousses et cendrees, les habitans d'Ilion luy donnerent le nom de Xanthus, qui signifie Rousseau.
Lon treuve aussi des cours d'Eau dangereux et mortiferes, pour avoir receu en passant par les veynes de la terre maleficiee, une puissance venimeuse accidentale, tele comme lon dict que souloit avoir la Fontaine de Neptune aupres de Terracine, dont ceulx qui en beuvoyent par inadvertance, mouroient incontinent suffoquez: a l'occasion dequoy les antiques la comblerent de terre.
En Thrace y a le Lac Cychros, qui ne faict sans plus mourir les personnes qui en boyvent, mais qui s'en lavent seulement.
En Thessalie aussi se voit une Fontaine coulante dont aucune beste n'oze gouster, ny qui plus est (de quelque genre qu'elle soit) en approcher: toutesfois aupres de sa source il y a un arbre qui porte des fleurs vermeilles comme Pourpre.
Pareillement en Macedoine, au propre lieu ou Euripides le Poete Tragique est enterré, a droit et a gauche de sa Sepulture courent deux ruysseaux qui s'assemblent au pied, pres l'un desquelz tous voyageurs passans incitez de la bonte de son Eau, ont accoustumé de s'asseoir pour repaistre: mais en celluy qui est a l'autre costé, homme ne s'y oze arrester, pourautant que lon estime sa liqueur venimeuse.
Item au pays des Nonacriens estant de l'appartenance d'Arcadie, saillent d'un Roc en une Montaigne quelzques gouttes d'humeur extremement froyde, qui se nomme en Grec Stygos Hydor, c'estadire Eau de pleur, ou de Melancholie, laquelle ne peult estre conservee en vaisseaux d'Argent, d'Arain, ny de Fer, ains les felle en peu d'heure, et sort par les crevasses: mais on la peult bien retenir en un ongle de Mule: et dict on qu'Antipater en feit apporter par Iollas son filz, en un lieu ou il estoit a la suytte du grand Alexandre, et que finablement il feit mourir son Roy par ceste poyson.
Aussi entre les Alpes qui divisent la France de l'Italie, au Royaume ou Seigneurie de Cotti, ne contenant que douze Citez, qui ne se monstrerent onques ennemyes du nom Romain, il y a une Eau de tele nature, que si quelqu'n en boyt, incontinent il tumbe mort a Terre.
Pareillement au Champ Falisque en Etrurie, maintenant pays des Fleurentins, sur le chemin pour aller a Naples, en un Boys joignant la Ville de Cornete, sourt une Fontaine en laquelle se voyent ordinairement plusieurs os de Coleuvres, Lezardes, et autres manieres de Serpens.
Plus se rencontrent en maintes places diverses Fontaines d'Eau tirante sur l'aygre, comme a Lynceste en Macedoine, a Virene en Italie, voysine de la Campagne de Naples, et a Theano en icelle mesme Campagne, puis en beaucoup d'autres endroictz, lesquelles (a ce que lon dict) ont puissance de rompre les pierres qui naissent en la Vessie, si lon en boyt par quelzques jours: et semble que ce goust leur soit naturel, pour estre leur fons ou lict muny d'une substance aygre, dont les Eaux sourdantes sont infuses, telement qu'elles en apportent ceste aygreur, qui estant avallee en un corps pierreux, dissipe et aneantit ce qu'elle rencontre de limonneux amasse par la bourbe des autres bruvages, et depuis cuyt et converty en pierre par la Nature. Mais si nous voulons enquerir par quele voye la formation de ces pierres est destruitte au moyen des choses aygres, ainsi pourrons nous en trouver la raison.
Si un Oeuf demeure longuement en du Vinaigre, sa Coquille s'amollira, et a la fin sera brisee: mesmes si le Plomb, qui est de nature lente et grave, est mis en un vaisseau dedans lequel soit surfondu du Vinaigre, et puis qu'on l'estouppe diligemment, cela sera cause de faire dissouldre ce Metal, et le reduire en Ceruse. Semblablement l'Arain qui est encores de nature plus solide, estant acoustré en ceste sorte, s'en diminue, et devient Verd de gris. Aussi s'en delayent les Perles: et d'avantage les Cailloux si tresdurs que le Fer ny le Feu ne les peult rompre, s'il est qu'on les eschauffe de Feu vif, puis que lon jette du Vinaigre dessus, ilz s'esclattent en moins de rien, et les faict on ainsi voler hors de leur assiette naturele.
Si donques nous voyons a l'oeuil que ces choses se facent en tele maniere, nous pouvons conjecturer par mesmes raisons, qu'il est necessaire que par l'aygreur infuse dedans les substances, les personnes molestees de la pierre, peuvent estre naturelement gueryes, et restituees en leur premiere santé.
En cas pareil il y a des Fontaines qui ont une saveur vineuse, et de celles la s'en treuve une en Paphlagonie, dont ceulx qui en boyvent, s'enyvrent sans Vin.
Mais a Equicoli Bourgade situee entre Norsia, la Marque d'Ancone, les Sabins, et les Latins, tout au long d'Italie jusques en Sicile, et dont la partie droitte regarde la Mer Tyrrhene, et la senestre l'Adriatique ou Venitienne, mesme dedans les Alpes, au lieu ou est la nation des Medulliens, il y a un certain genre d'Eau de laquelle ceulx qui en boyvent, deviennent Goytreux, c'est a dire, ont le gros gosier.
Aussi en Arcadie se treuve une Cité assez fameuse appellee Clitore, qui en son territoire a une Fosse dont il sourt une veyne d'Eau de tele nature, que ceulx qui en boyvent, sont faictz Abstemiens, qui vault autant a dire comme hayans le Vin, de maniere qu'ilz ne le peuvent seulement sentir. Encontre ceste source y a un Epigramme Grec trassé en pierre, dont la sentence porte que l'Eau n'en est pas propre a s'y bagner, mesmes qu'elle monstre inimitié aux Vignes, accident qui luy advint quand Melampusle grand Augure purgea par sacrifices la fureur enragee des filles de Pretus, et les restitua en leur bon sens. L'Epigramme est de semblable teneur:
Si la soif te contrainct, Pasteur, et ton tropeau,
De venir a Mydi de Clitorus a l'Eau,
Estains la: puis aupres des Nymphes te repose,
Et tes bestes avec: mais ton corps n'y expose,
Qu'il ne soyt enyvré du Vent lequel en sort.
Fuy ma liqueur, qui hayt les Vignes a la mort,
Depuis que Melampus y purgea de la rage
Les Pretides, ostant l'infect de leur courage,
Ainsi comme il passoit d'Arges pour s'en venir
En ces sauvages montz d'Arcadie tenir.
Item en l'Isle de Chio, qui est en la Mer mediterrane, entre Samos et Lesbos, se treuve une Fontaine dont si quelqu'n boyt par inadvertance, il devient soudain troublé de son entendement. Tout joignant y a un autre Epigramme engravé, contenant en sentence, que la saveur en est assez gaye, mais que qui en boyt, a soudain la Cervelle dure comme une Roche: et les Vers sonnent ainsi:
Fraiche et plaisante au goust se peult trouver ceste Eau,
Mais dur comme un Caillou elle rend le Cerveau.
Encores en la ville de Suse, Metropolitaine du Royaume de Perse, y a une petite Fontaine qui faict perdre les dentz a ceulx qui en boyvent: parquoy audessus est aussi un Epigramme escrit, signifiant que l'Eau en est singuliere pour laver, mais que si lon en boyt, les racines des dentz tumbent aussi tost hors des gensives: si que les vers en disent ce que s'ensuyt:
Amy tu veoys une Eau qui est a craindre,
Dont un chacun peult laver sans se faindre:
Mais qui en veult avaller un petit
En l'Estomach provoqué d'appetit,
Si seulement des levres de sa bouche
Le malheur faict que (sans plus) il y touche,
En moins de rien les dentz luy tumberont,
Et vuydes lors les places laisseront.

ENCORES DE LA PROPRIETE DE QUELZques
payz, et Fontaines. Chap.
IIII.

[LO] OUltre tout cela, il y a des Fontaines en certains lieux lesquelles causent a ceulx qui naissent environ, des voix bonnes et resonantes pour chanter, comme a Tarse de Cilicie, a Magnesie en Asie, et assez d'autres de ceste nature. Pareillement a vingt mille pres de Zama Cité d'Afrique, ou le Roy Juba feit faire double ceincture de muraille, et y bastit sa maison Royale, se treuve une bourgade appellee Ismuc, le territoire de laquelle a ses finages tant merveilleux qu'a peine le pourroit on croyre: car nonobstant que le pays d'Afrique soit producteur et norrissier de bestes crueles au possible, et singulierement de Serpens, il n'en sauroit naistre une mauvaise en toute la Campagne subgette audict Ismuc: et qui plus est, si lon y en apporte de quelque autre province, elles y meurent en moins de rien: et ne faict la terre seulement tel effect en ce domaine, ains en toutes regions la ou elle est portee.
Lon dict aussi qu'il y en a de semblable vertu aux Isles Baleaires, voysines de la Sardaigne. Mais encores a ceste terre d'Ismuc une puissance plus admirable, comme je l'entendy par Caius Julius filz du Roy Masinissa, au temps qu'il suyvoit Cesar a la guerre en la compagnie de son pere. Ce prince lá en povoit bien parler a la verité, pource que la seigneurie en estoit sienne. Or estoit il logé en ma maison, ou nous mengeions ordinairement ensemble, et ce pendant se mouvoient aucunesfois des propoz de Philologie, qu'il falloit necessairement debatre jusques au bout. Une fois donc entre les autres, ainsi comme nous devisions des Eaux, et de leurs puissances natureles, il me deit qu'en sa terre d'Ismuc y avoit des Fontaines qui causoient resonnances de bonnes voix pour chanter, a ceulx qui naissoient aux environs, et que pour ceste cause les Marchans d'oultre mer y venoient achapter de beaux jeunes hommes soubz condition servile, ensemble de belles jeunes filles en aage de marier, et les faisoient coupler ensemble, afin que les enfans qui en proviendroient, ne feussent seulement douez de bonne voix, mais avec ce d'une agreable forme corporele.
Puis donc qu'il est ainsi qu'ne tele diversité de choses est distribuee par la Nature, et que le corps humain est terrestre en aucunes parties, mesmes qu'il a en soy plusieurs differences d'humeurs, comme de Sang, Laict, Sueur, Urine, et Larmes, s'il se veoit en portion tant petite, une si grande contrarieté de saveurs, ce n'est pas de merveille si en une tant excessive spaciosité de Terre, il se treuve innumerables varietez de substances, par les veynes desquelles la force de l'Eau courante en est tachee avant qu'elle pervienne aux sources de ses Fontaines.
Veritablement de cela, et pour amour de la difference des lieux, ensemble des qualitez des regions, et des vertuz dissemblables des Terres, il s'en faict plusieurs Fontaines variantes et contraires en leurs propres especes, et de celles la j'en ay moymesme veu quelzques unes en voyageant, mais le reste je l'ay trouvé parmy les livres de ces auteurs Grecz, asavoir Theophraste, Timee, Possidone, Hegesie, Herodote, Aristide, et Metrodore, lesquelz par leurs escritz composez avec extreme soing et estude infiny ont declaré les proprietez des lieux, les vertuz des Eaux infuses par les mouvemens du Ciel, et les qualitez des Regions distinguees ainsi comme dict est: choses que j'ay suyvies et recitees en ce mien livre autant qu'il m'a semblé necessaire pour exprimer les effectz divers de ceste liqueur, afin que par mes traditions tous hommes puissent plus facilement elire les sources commodes a leurs usages, et les conduire dedans leurs Citez, Bourgades, ou demeures: car entre toutes les choses de ce Monde il n'y en a point qui semble estre plus necessaire a la vie, que ladicte Eau: et qu'il soit vray, encores que la nature de tous humains feust privee de l'usage du Froment, des fruictz provenans des Arbustes, de Chair, de Poysson, et autres teles substances nutritives, si pourroit elle se conserver en vie: mais sans Eau, il n'y a corps d'Animal quel qu'il soit, qui peust vivre: ny aucune espece de mengeaille naistre en la Terre pour nostre norriture: mesmes quand il en proviendroit, le moyen seroit osté de l'appareiller.
A ceste cause il est requis de chercher avec curieuse diligence et industrie, des Fontaines qui soient salutaires pour la vie et entretenement des hommes. Les espreuves donques de leur bonté ou mauvaistié se feront en ceste sorte.

DE L'EXPERIENCE DES EAUX.
Chap. V.

[LO] PRemierement si les Fontaines sont a l'ouvert et coulantes, avant que commencer a faire leurs conduitz pour les mener ou lon s'en vouldra servir, fault regarder de quele disposition sont les habitans d'alentour. Et si lon voit qu'ilz soyent sains et alegres, de coleur pure, et non maleficiez de Jambes, ny Louches, ou Bigles, ce sera signe que la liqueur est bonne.
Item si une Fontaine nouvelle est fouye en la terre, et son Eau est mise en un vase estamé a la Corinthienne, ou en autre qui soit de bon Arain, et elle n'y faict point de tache, cela signifiera qu'elle est fort saine.
Pareillement si lon faict bouillir de ceste Eau en un Chauldron bien net, ou lon attend qu'elle se refroydisse, puis que lon vienne a la respandre, s'il n'y demeure point au fons de Gravelle ny de Limon, elle sera bien approuvee.
Plus si lon met au feu des Legumages, comme Poix, Feves, ou autres semblables, pour cuyre en un pot avec ceste Eau, s'ilz cuysent vistement, ce sera vray indice qu'elle est salutaire.
D'avantage si on la veoit en sa source nette et luysante, mesmes qu'en quelque lieu qu'elle flue, il ne s'y engendre point de Mousse ny de Jonc, et que son Canal ne soit souillé d'aucune ordure, ains conserve une plaisante purité, ces signes lá denoteront sa substance estre subtile et singuliere.

DE LA CONDUITTE ET NYVELLEMENT DES
Eaux, ensemble des instrumens requiz a ce negoce. Chap. VI.

[LO] JE parleray maintenant de la facon que lon doyt tenir pour les conduire dedans les habitations et encloz de murailles, et diray queles practiques il y fault observer.
La premiere chose est le nyvellement, qui se faict par Dioptres, instrumens Geometriques propres a guigner si une chose est droitte ou non, ou par Balances aquatiques: ou par Chorobates, au moyen desquelles on faict mieulx et plus seurement que par Dioptres ny Balances, pourautant que ces deux instrumens lá decoyvent souventesfois les Nyvelleurs.
Or est Chorobate une regle d'environ vingt piedz de long, laquelle en ses extremitez a des arrestz ou anches egales et quarrees, adjoustees justement par mortaises: mesmes entre icelle regle et ces Anches, a des traversans merquez de lignes perpendiculaires droittement incisees, et des plombetz aussi pendans a ladicte regle de chacun costé, lesquelz quand la regle est assize, s'ilz correspondent en egalité, et battent sur les lignes droittement incisees, donnent asseurance que le Nyveau est droict.

[FIGURE]

Mais si le vent les faisoit branler, telement que par ses emotions les lignes et plombetz ne peussent estre d'accord, ny donner a congnoistre la signifiance certaine de ce que lon desire, en ce cas est necessaire qu'il y ait en la superficie de ladicte Regle une feuillure longue de cinq piedz, large d'un Doy, et profonde d'un demy, qui soit emplye d'Eau: et si elle en touche egalement les bordz, lon saura par lá que le Nyveau est posé comme il doyt estre.
Apres donc que le Fontainier aura nyvellé avec ceste Chorobate, il pourra facilement savoir de quele haulteur sera ladicte Eau.
Toutesfois les studieux des livres d'Archimedes diront icy (paravanture) que lon ne sauroit faire vray nyvellement de ceste liqueur, pource que son opinion est qu'elle n'a figure platte, ains spherique ou ronde, a raison dequoy son centre est au propre lieu de celluy du Globe de la Terre. Quoy qu'il en dise, encores que ladicte Eau soit plaine ou spherique, si est il de necessité que les deux arrestz ou extremitez de la feuillure faicte en nostre Chorobate, soustiennent l'Eau egalement: car si l'une estoit plus haulte que l'autre, son humeur ne sauroit toucher aux bordz de la partie qui tendroit contremont, comme elle feroit a celle qui auroit tant soit peu de pente, d'autant que la Nature veult qu'en quelque lieu que l'Eau se verse, qu'elle soit enflee et courbe en son mylieu, mais aux deux boutz a droit et a gauche tienne pareille egalité. La figure donques de ceste Chorobate sera pourtraicte en mon dernier livre. Si est ce que pendant je diray que si l'Eau a cheute de bien hault, son cours en sera de beaucoup plus facile: et s'il se trouvoit des fosses en son chemin, lon y pourra remedier en les comblant de masses de pierre bien cymentees.

EN COMBIEN DE MANIERES SE CONDUIsent
les Eaux. Chap.
VII.

[LO] LA conduitte de ceste liqueur se fait en trois sortes diverses, dont la premiere est par Fossez ou trenchees, la seconde par Canaulx de pierre bien cymentez, et la tierce par gouletz de Plomb ou tuyaux de terre cuytte. mais les moyens que lon doyt tenir en chacune de ces trois, sont telz.
Si lon se sert de fossez ou trenchees, il fault que la massonnerie du fons a glaciz, et des costez, soit solide et bonne le possible, et que ce fons ayt en cent piedz de longueur, pour le moins huict poulces de pente: mesmes que le Canal soit puis apres voulte de bonne et forte matiere, afin que le Soleil ne puisse penetrer jusques a l'Eau.

[FIGURE]

Ceste liqueur estant venue jusques aux murailles de la Ville ou Bourgade, il luy fauldra faire une Escluse ou receptoer, et tout joignant une grande Auge vuydante par trois Gargoules.
En ceste Escluse doyvent estre miz trois tuyaux egalement divisez, et continuans du long de l'Auge, afin que si la liqueur venoit a surabonder plus une fois que l'autre, elle se puisse desgorger par celluy du mylieu: contre lequel soient appliquez les autres gouletz, qui devront vuyder dedans tous les reservoers, dont l'un sera destiné aux Bagnoeres des Estuves, afin qu'il en puisse tous les ans venir proffit au Peuple: l'autre aux maisons particulieres: et que le tiers ne faille jamais au commun. A la verité lon ne pourra aucunement desvoyer l'Eau, si elle a des conduictz propres commenceans a certains tuyaux. Parquoy la cause qui me les faict diviser en ce point, est a ce que ceulx qui en vouldront avoir en leurs maisons, payent aux Officiers commiz en cest estat certaines sommes pour l'entretenement du cours.
Mais s'il y avoit quelque Montaigne entre la source de la Fontaine et l'enclos des murailles, il y fauldra pourvoir ainsi.
Soient faictes des Cavernes en icelle Montaigne a l'equipollent de la pente que lon devra donner a l'Eau, comme il est escrit cy dessus. Toutesfois s'il se rencontroit du Tuf, ou de la Roche, soit atravers faicte une trenchee pour un Canal. Mais si ce n'estoit fors terre ou sable, faictes des coffres de massonnerie atravers voz Cavernes, si bien que la puissiez conduire par ceste voye jusques ou vous la desirez avoir. Et s'il est que veuillez creuser des Puys, donnez ordre qu'il y ait pour le moins entre deux, un Acte, qui est une sente de quatre piedz en largeur, et six vingtz en longueur.

[FIGURE]

Si vous conduysez vostre dicte Eau par des Gouletz de Plomb, faictes une Escluse ou reservoer tout encontre la source: puis soyent les lames d'iceulx Gouletz ordonnees selon l'abondance de l'Eau, et ces Gouletz conduictz depuis ceste premiere Escluse jusques a l'Auge qui sera pres des murailles.
Les Gouletz de Plomb ne soyent fonduz moindres que de dix piedz en longueur: et s'il en fault Cent pour un reng continué, chacun d'eulx soit de douze Cens livres pesant.
S'il y en fault seulement quatre vingtz, chacune partie de ce Goulet poyse pour le moins neuf Cens soixante.
S'il n'en est requis que cinquante, leur poix soit de cinq cens seulement.
Quand il n'en fauldra que Quarante, advisez a ne leur donner sinon Quatre cens quatre vingtz de pesanteur.
Ou ce seroit assez de Trente, le poix de Trois cens soixante suffira pour chacun.
Pour Vingt, il ne les fauldra que de Deux cens quarante.
Pour Quinze, de Cent quatre vingtz.
Pour Dix, de Six vingtz.
Pour Huict, de Quatre vingtz et six.
Et pour Cinq, de Soixante seulement.
Ces lames de Plomb portent leurs noms acquiz de la largeur des doytz ou poulces qu'elles ont avant estre tournees en rondeur: car si une d'entr'elles a cinquante poulces de large premier qu'estre mise en Goulet, on l'appelle cinquantainerie, et ainsi consequemment toutes les autres.
La conduitte de l'Eau donc qui devra estre faicte par des Gouletz de Plomb, se peult expedier en ceste sorte, asavoir que s'il y a pente depuis la source jusques aux murs de la ville, non empeschee de montaignes entredeux, en ce cas fauldra bastir les coffres de massonnerie, et leur donner les glaciz ou taluz suyvant ce que j'ay dict en parlant des Fossez ou trenchees. Mais s'il n'y avoit gueres longue voye entre icelle source et l'Escluse faicte joignant la muraille, il sera convenable de la faire aller par circuytions ou tournoyemens.
Toutesfois si lesdictes vallees sont de perpetuele descente, c'est a dire continuee, soit le cours adressé devers leurs declinemens: et quand les Eaux seront arrivees au fons, ne les contraignez pas a remonter trop hault, afin que leur Glaciz soit le plus long que faire se pourra, et sur le mylieu cambrez le en dos d'Asne, ou comme un ventre que les Grecz appellent Koilian: puis faictes que quand l'Eau regorgera contre la pente opposite, elle s'eslieve contremont, pour amour du long espace de ce dos d'Asne qui se cambre petit a petit: car sachez que si vous ne faictes en ces vallees, coffres ou canaulx nyvellez ainsi qu'il appartient, mais sans plus un gauchissement a la semblance d'un genouil ployé, la force de l'Eau viendra de tele impetuosité qu'elle rompra et desjoindra les souldures des Gouletz.
Notez aussi qu'il fault faire a ce Ventre des souspiraulx par ou la force de la vapeur de l'Eau puisse exhaler, et se resouldre en air.

[FIGURE]

Voyla comment ceulx qui vouldront conduire l'Eau par ces Gouletz de Plomb, pourront suyvant ces practiques faire convenablement leurs decours, tournoyemens, Ventres, et souspiraulx necessaires.
Et si tant est qu'il y ait pente depuis la source jusques aux murailles, ce ne sera chose inutile de colloquer entre deux cens Actes de voye, certaines Escluses et Reservoers, a ce que s'il se rompoit ou gastoit aucune chose en quelque lieu, tout l'ouvrage ne soit perdu, ains que lon puisse facilement trouver l'endroit ou la faulte sera survenue.
Toutesfois il n'est besoing de faire icelles Escluses sur le decours ou Glaciz en la planure du Ventre, ny contre les Remontemens, ny mesmes dedans les Vallees, ains en plaine Campagne.
Et si nous voulons amener l'Eau a moins de fraiz, il y fauldra proceder en ceste mode:
Faictes des Tuyaux de terre cuytte dont l'espoisseur de tous costez ne soit moindre que de deux poulces, et les tenez plus menuz par un des boutz, si que l'un puisse entrer en l'autre, et se joindre ensemble au plus pres du juste, comme s'ilz estoient entez: apres sarcissez leurs joinctures de Chaulx vive empastee avec de l'huyle: puis a la pente du Ventre soit mise une pierre de Roche rouge, et colloquee a l'endroit par ou il fauldra que l'Eau tourne: et soit ceste pierre cavee telement, que le dernier Tuyau de la pente se puisse emboyster justement en elle: et en cas pareil le premier du Ventre nyvellé, par mesme mode en la pente opposite le dernier Tuyau de ce Ventre nyvellé joingne a la concavité de ceste pierre rouge: et tout {tou + Blanc} de mesme le premier de l'expression ou Remontement y soit enté ainsi qu'il est requis. Ce faisant, la planure nyvellée des Tuyaux, du Glaciz, et du Remontement, ne se haulsera oultre le devoir: chose qui advient souventesfois en la conduitte des Eaux: car il en sort un Esprit ou Air si vehement, qu'il peult rompre et brizer les pierres: a quoy lon remedie si du commencement la liqueur est admise a sortir de la source lentement et par le menu: mesmes si les Genouillieres par ou il fault que l'Eau tourne, sont bien lyees ou tenues fermes par expresse pesanteur de laittage: et demourant fault faire en la practique de ces tuyaux de Terre comme vous avez entendu aux Gouletz de Plomb.
Mais il est a noter que du commencement que lon laisse couler l'Eau de la source atravers iceulx tuyaux, fault qu'il y ait de la faville ou cendre dedans, afin que si les joinctures ne sont assez estoupees, elles s'estoupent par ceste voye.
La conduitte qui se faict par iceulx tuyaux, a les proprietez ensuyvantes, asavoir que s'il survient aucune brizure en l'ouvrage, tout homme la peult ramender en peu de temps.
Plus la liqueur coulante atravers d'eulx, est beaucoup meilleure et plus saine que celle qui passe parmy les Gouletz du Plomb, a raison qu'elle en semble devenir maleficiee, d'autant que la Ceruse naist de Plomb: et lon dict qu'icelle Ceruse est nuysante aux corps humains. A ceste cause si ce metal engendre en l'Eau quelque substance, elle est vicieuse et mauvaise, consideré qu'il n'y a point de doubte que luy mesme ne soit mal salutaire. Et de ce povons nous prendre exemple sur les ouvriers qui exercent ordinairement la Plomberie, pource que leurs tainctz de visages sont tousjours bazannez et palles: qui advient du soufflement lequel se faict en la fonte dudict Plomb: car il s'en elieve une vapeur latente en sa masse, laquelle penetre dedans leurs personnes, et en les brulant peu a peu de jour en jour, chasse hors de tous leurs membres la vertu naturele du Sang. A l'occasion dequoy semble qu'il n'est pas bon de faire couler l'Eau par des Gouletz de Plomb, aumoins si nous la desirons avoir saine, veu que l'usage du vivre quotidian monstre qu'elle est plus savoreuse en passant par des tuyaux de Terre: car non obstant que plusieurs grans personnages ayent leurs Buffetz d'Argent, si veulent ilz, pour amour de la bonne saveur, tenir leur Eau en des Cruches de terre.
Mais s'il n'y a point de Fontaines dont nous puissions amener le cours en noz mesnages, la necessité contrainct a fouiller des Puys: au maneuvre dequoy la raison n'est a rejetter, ains doyt on avec grand exercice d'Esprit et Industrie, considerer le naturel des choses, specialement de la Terre, qui a diverses qualitez et especes en soy, pour estre aussi bien que les autres Elemens composee de quatre principes. Premierement elle est terrestre. secondement elle est humide, a cause des Fontaines d'Eau qu'elle contient en son ventre. tiercement elle est chaulde: et qu'il soit vray, de ses chaleurs s'engendrent le Soulphre, l'Alum et le Betum ou Cyment. et quartement elle est aerienne, consideré qu'il en sort par fois des bouffees de Vent si violentes et grieves, que quand elles peuvent arriver jusques a l'ouverture des Puys au moyen des veynes fistuleuses par ou leur subtilité passe, si elles rencontrent lá des hommes fossoyans, incontinent par vapeur naturele viennent a estoupper leurs Espritz de vie dedans leurs narines et autres conduitz propres a aspirer et respirer, si que ceulx qui ne s'en peuvent legierement fuyr, en estouffent, et tumbent mortz en moins de rien. Pour remedier donques a tel inconvenient, fauldra faire ce que s'ensuyt.
Soit allumee une Lanterne, puis devallee au fons du Puy: et si elle y demeure ardante, les hommes y pourront descendre sans peril. mais si la lumiere est estaincte par la force de la vapeur, faictes fouyr des souspiraulx a droict et a gauche de vostre Puy, par ou la force des bouffees pourra sortir ainsi comme par des Narines: et cela faict, quand voz ouvriers seront arrivez jusques a l'Eau, faictes al'entour de la Fosse une ceincture de muraille par tel art que les veynes de l'Eau ne soient point estoupees. Et s'il eschet que le lieu soit dur, ou qu'il n'y ait aucunes veynes au plus bas, adonc ordonnez lá un lict de Repous de tuyles concassees, puis donnez ordre que les Eaux de Pluye distillantes des toictz et d'autres lieux superieurs, tumbent en icelle Fosse, en maniere qu'il y en puisse avoir quantité.
Mais pour bien faire cest ouvrage de Repous, ayez premierement preparé du gravier net et aspre, puis concassez du caillou dur, si menu, que la plus grosse pierre ne poyse plus d'une livre: et apres gaschez de la plus forte Chaulx que pourrez trouver, telement que cinq parties du Sable correspondent a deux de ladicte Chaulx: et quand ce mortier sera faict, meslez vostre Repous parmy, puis de cela faictes une ceincture de muraille en vostre Fosse, et la tenez au nyveau de la haulteur que verrez convenable, en la batant et pilant avec bons Pilons de boys, ferrez par le bout, ainsi que la raison requiert.
Adonc quand ceste ceincture de muraille aura esté curieusement pilee, ce qui sera de terrestre au mylieu, soit creusé jusques a l'assiette du fondement: puys quand le plant sera mis a l'uny, faictes encores la dedans de ce mesme mortier et Repous, un pavé de l'espoisseur qui pourra estre determinee. Et si ces lieux sont ou doubles ou triples, c'estadire s'il y a trois Caves un peu plus haultes l'une que l'autre, si que les Eaux se puissent affiner par coulemens sur les Glaciz, leur usage en sera beaucoup meilleur et plus sain: car quand le limon aura lieu pour se rasseoir, la liqueur en deviendra plus claire, et conservera sa bonne saveur sans corruption de mauvaises odeurs. Toutesfois si elle ne se peult ainsi faire, pour le moins fauldra il jetter du Sel en l'Eau, afin qu'elle se subtilie et purifie.

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J'ay mis en ce Volume tout ce qui m'a esté possible de dire touchant la vertu et divers effectz de l'Eau, ensemble les utilitez qu'elle apporte, et par queles practiques on la peult conduyre ou lon veult, mesmes esprouver si elle est bonne: parquoy en ce suyvant j'escriray des choses Gnomoniques, et de la raison des Horloges.

FIN DU HUITIEME DE VITRUVE.