Introduction
Le
concept d'identité est dans la vie de chacun lié tout d'abord
à la réponse immédiate à la question "qui suis-je?",
déclinée en identité civile. Mais cette
réponse n'est pas unidimensionnelle et renvoie à
des composantes culturelles et historiques multiples telles que la nationalité,
la religion, une opinion politique etc. qui viennent compléter la
définition de la personne par elle même et par les autres.
L'origine latine du mot ("idem" le même, de même) renvoie au
postulat de la permanence et la stabilité de ces composantes.
Les
analyses dites " post-modernes" de l'identité envisagent également
le procès de la construction des représentations d'une
définition du soi élaborées par l'individu concerné
en interaction avec le groupe auquel il se reconnaît appartenir,
qui le reconnaît comme sien, mais aussi par les "out-groupers",
censés apporter un regard plus subjectif . L'interaction, l'intersubjectivité
et le partage des valeurs communes tiennent ainsi un rôle de premier
ordre dans la formation de la conscience du "moi" et des contenus que l'on
peut y inclure.
Une
premier paradoxe interne de l'analyse identitaire se dégage ainsi
entre le postulat de la permanence et le flou des représentations
qui la construisent en mouvement et en évolution perpétuelles.
L'analyse postmoderne s'attache ainsi à étudier la multiplicité
des déclinaisons identitaires - "le moi dans tous ses états".
Les
nouvelles technologies d'information et notamment l'internait, évoluent
dans un cadre caractérisé par la fluidité et l'éphémère,
caractéristique essentielle pour l'étude de la manifestation
et de l'évolution de l'identité dans le cyberespace. L'internet
est-il uniquement un intermédiaire et un espace de plus où
des revendications identitaires se manifestent ou bien sa spécificité
et ses pratiques remettent-ils en cause une notion d'identité éclatée
?
I.
L'internet comme outil de diffusion et d'affirmation identitaire qui rend
compte de l'évolution des rapports socio-politiques actuels.
Un
moyen de communication en dehors des contraintes spatio-temporelles où
des identités diverses s'expriment.
Le
caractère non-territorial et ouvert de l'internet permet une manifestation
plus libre de l'identité pour les utilisateurs. Il offre une possibilité
de proclamer, chercher et affirmer son identité à l'échelle
de globe en favorisant des solidarités nationales et autres qu'il
s'agisse des individus, des groupes ou des réseaux constitués
à partir d'une cause commune. Lorsqu'on cherche à proclamer
sa différence, trouver des personnes ayant les mêmes repères
religieux,
idéologiques
ou ne serait-ce que
les mêmes
loisirs, la création d'un chat
ou
d'une page web permet de mettre en avant les éléments constitutifs
de cette identité et de s'y reconnaître. Un échange
direct avec un milieu constructif est ainsi remplacé par un lien
de texte ou hypertexte mais la transmission de valeurs peut bien avoir
lieu et d'un manière plus performante encore.
En
ce qui concerne les particuliers, les pages voire sites
personnels ou familiaux offrent une possibilité pour l'individu
lambda, caractérisé pour le vaste public par son nom et son
prénom, de fournir plus d'informations sur la définition
du soi par exemple en créant des liens hypertexte renvoyant à
des pages proches de ses centres d'intérêt.
Les
diasporas nationales trouvent ainsi une moyen d'exprimer leur unité
de par le monde dans le sens exact du terme. Les personnes concernées
peuvent accéder en même temps à des informations qui
les concernent; lire la presse de leur pays d'origine - vivre la vie de
leurs semblables. Ce lien permet en même temps de souligner son appartenance
et la définition de soi positive ( p.ex. je suis polonaise en France,
je me tiens au courant de le vie du pays)
que de mettre en avant une différenciation avec les sociétés
ou milieux environnants.
Ce
moyen de faire entendre son identité et de mettre en avant
ses spécificités est particulièrement important pour
les communautés et groupes revendicatifs, comme les indépendantistes
basques
ou les féministes. L'espace
virtuel leur offre toute étendue qui souvent reste limitée
dans la vie social et politique réelle d'autant plus que la censure
est difficile, voire impossible à mettre en place sur l'internet.
Communautés
et solidarités en réseau.
La
communauté en sciences sociales, selon la définition de Tönnies,
se caractérise par un lien de solidarité spontanée
autour d'une cause et de valeurs communes entre les individus qui la composent.
Pour Gellner et Anderson, la nation n'est qu'une "communauté imaginé"
dans laquelle une institutionnalisation des représentations de soi
et du groupe d'appartenance commune a eu lieu, sur la base des intérêts
communs.
Que
ce soit au niveau individuel ou celui du groupe, on peut affirmer que l'internet
favorise la création de solidarités spontanées et
l'émergence virtuelles de communautés, qu'elles aient un
équivalent dans la vie réelle ou pas. L'existence de
chats, de newsgroups spécialisés et les actions de solidarité
par rapport aux causes communes, tel le
sort des femmes en Afghanistan, en témoignent. Leur impact sur
la réalité de la vie politique et sociale reste souvent mitigé
mais l'internet permet de fédérer les personnes qui soutiennent
la même cause en rendant ainsi plus facile la mise en place d'un
réseau dans la vie réelle. De l'e-mail et rencontres en ligne
au courrier traditionnel et à l'organisation d'un forum, le pas
est à franchir. Ou peut-être assistons-nous à l'émergence
d'une " nouvelle communauté imaginaire" des utilisateurs du web?
Le
réseau des réseaux de par cette structure même reflète
la fragmentation, la segmentation des appartenances et des allégeances
individuelles. Si les relations sur l'internet sont pour la plupart celles
de l'individu à l'individu et la mise en relation d'une cause particulière
avec ses militants immédiate, l'intensité de ces échanges
peut prendre le pas sur l'identité spatialement définie,
par exemple sur le lien national. On n'est plus citoyen d'un pays uniquement,
on est également et peut-être avant tout un écologiste
fonctionnant en réseau pour pouvoir entamer un dialogue avec
quelqu'un qui, malgré les différences géographiques
et culturelles, partage les mêmes préoccupations quant à
la survie de la planète.
L'internet
et l'ordinateur deviennent ainsi un interface technologique indispensable
et essentiel au développement des affinités et à l'affirmation
su soi dans son milieu idéologique naturel.
Le travail en réseau pose
également le problème du rapport
au passé individuel
et à l'histoire, élément crucial pour la définition
de son appartenance. La conscience de partager un passé commun,
mise en valeur par les monuments aux morts etc. par les autorités
nationales pour renforcer la cohésion nationale, peut paraître
éloignée des préoccupations d'un cyberespace relevant
du domaine de l'immédiat. Ainsi, la transmission des valeurs
communes risque de se trouver au sein d'une contestation continue, où
la compétition d'idées peut conduire non seulement à
la multiplicité mais à un brouillage total des éléments
venus de nulle part et se valant mutuellement. Mais en même temps,
l'assurance du lien entre les requêtes et les réponses à
l'utilisateur constituent une entrée nouvelle dans la construction
de la "mémoire du lien".
L'internet
apparaît comme un moyen de diffusion de valeurs et de composantes
identitaires diverses qui y trouvent un refuge ou une confirmation; un
individu est susceptible de trouver sur le réseau les clés
pour sa définition et les moyens de retrouver ses semblables. On
peut également avancer que les réseaux contribuent à
rapprocher leurs utilisateurs du fonctionnement selon le mode d'un village
global où chacun est immédiatement "connectable" aux autres
et où l'espace réel et le milieu environnant ne constituent
pas d'obstacle à la formation et à l'affirmation des identités
et des allégeances multiples. Mais les possibilités offertes
par cette technologie d'interaction virtuelle posent également les
enjeux de la définition d'un individu., lorsque la réponse
à la question "qui suis-je?" devient "celui que j'ai envie d'être".
II.
Multiplicité identitaire virtuelle ou l'internet comme un espace
d'expérimentation de la pluralité des êtres.
L'internet
offre la possibilité d'être autre, d'être plusieurs...
Peut-on parler d'une schizophrénie du moi en réseau?
Liberté
et arbitraire absolu de la définition du soi sur un MOO.
Dans
la vie réelle certains paramètres de l'identification de
l'individu liés notamment à son aspect matériel restent
difficilement muables. Dans le cyberespace tout est possible, comme en
témoigne l'expérience de Sherry
Turkle avec les MOOs et les MUDs.
Bien que les thèses ede l'auteur soient empreinte d'un psychologisme
quelque peu outrancier, on ne peut éviter l'intérrogation
sur l'unité du moi en réseau qui devient créateur.
L'internet permet-il à l'homme dêtre enfin Dieu?
lorsqu'on
parle des MOOs, il s'agit d'une manière générale des
programmes de jeux en réseau à utilisateurs multiples où
l'on peut naviguer, faire la conversation, construire son monde et le partager
avec les autres. Le premier pas d'un "nouveau connecté" consiste
à décrire l'identité de son personnage. Ainsi,
on peut changer de sexe, d'occupation, de caractère etc. étant
totalement libre dans la description. Certains MUDs sont visités
par des programmes qui prennent les caractéristiques d'un personnage
(des "bots"), souvent pour collecter les informations sur le fonctionnement
de jeu en question; plusieurs personnes peuvent jouer un seul personnage.
Sherry Turkle s'est aussi retrouvée devant son sosie informatique
sur un MUD...
Ainsi,
non seulement une personne peut vivre dans le vaste univers virtuel plusieurs
vies parallèles et plusieurs expériences auxquelles elle
n'aurait jamais accès dans la vie réelle (par exemple un
rapport sexuel dans lequel une femme joue un homme sans savoir si par exemple
son partenaire n'est pas en réalité un homme qui joue une
femme...). Souvent elle devient autre: plus jeune, plus âgée
etc. elle réagit en fonction de cette nouvelle identité crée
de toutes pièces.
Ici
Mme Turkle pose le problème psyhcoogique. Les personnages
joués sont-ils des émanations inconscientes voire conscientes
des composantes de la personnalité refoulés, qui feraient
la joie des psychanalystes (Dr. Turkle est psychologue-psychanalyste elle-même)?
- les MUDs constitueraient un canapé de cabinet virtuel permettant
au sujet de s'appréhender comme un tout et de vivre pleinement toutes
les phases de son développement psychologique, souvent a posteriori.
Dans le cas contraire, d'une création et créativité
individuelle, nous sommes en présence d'une auto-définition
du sujet dans le monde, un sujet qui se libère de ses possibilités
limités et qui peut oeuvrer pour son développement personnel.
Entre
le virtuel et le réel: quelle "véritable" identité?
Les
personnes ayant une pratique soutenue des MUDs parlent souvent de
la vie réelle comme d'une "fenêtre de plus"... Comme si le
réel et le virtuel fusionnaient dans la perception du monde de l'individu.
Souvent, cet état de fait résulte d'une insatisfaction de
la vie réelle trop éprouvante ou qui ne correspond pas aux
souhaits de la personne concernée. Ainsi, l'on peut arriver
à avoir des difficultés non seulement pour répondre
à le question "qui suis-je?" mais également à celle
"où suis-je?", les deux étant intimement liées. Or,
si le milieu exerce un rôle puissant dans la formation identitaire,
un conflit peut apparaître entre la perception et le représentation
de l'entourage réel de la personne et une meilleure, une plus confortable
identité dans le monde virtuel. Ne pas pouvoir mettre en valeur
cette identité peut être un source de malaise considérable
et d'une désaffection de la personne par rapport à ses obligations
sociales réelles, qui enferme l'individu dans une "tour d'ivoire"
relationnelle alors que sa sociabilité se développe sur le
réseau.
Cette
problématique apparaît comme particulièrement grave
lorsque c'est un enfant ou un adolescent qui pratique les MOOs ou les chats.
Si se sont les autres qui doivent contribuer à la formation de l'identité
de chacun, comment se fier aux interactions qui non seulement
ne mettent pas en scène les personnes réelles mais aussi
peuvent aller jusqu'à n'être que celles avec une machine simplement?
Quelles sont les valeurs qui sont transmises par cette pratique et qui
permettent d'avancer dans la vie sociale?
La
question des valeurs est d'autant plus intéressante à soulever
ici que l'espace virtuel où des joueurs se rencontrent ne connaît
pratiquement pas de limites autres que la nettiquette et le pouvoir
de sanction est quasi nul. Ainsi, se demander si tout est permis
et si par exemple un viol sur un MOO en est-il un et comment y réagir?
La notion du bien et du mal, essentielle dans la conception classique de
l'identité et du rapport au monde se pose avec encore plus de force
dans un environnement de connexion spontanée. Il ne s'agit pas simplement
d'une mise en scène du problème de Dr Jeckyll et de Mr. Hyde
mais de savoir si les moyens technologiques qui la rendent possible sont
capables de réinstaurer la confiance dans les rapports à
l'autrui qui doit être formatrice pour l'individu.
Conclusion
L'internet
offre un nouvel moyen d'affirmation et de mécanismes identitaires
s'appuyant sur l'identification avec un groupe qui se libèrent
des contraintes spatiales. Souvent, le réseau peut également
libérer du souci de la vie réelle et de la réalité
de son être qui peut se révéler dépaysant voire
destructeur. Comme souvent, l'approche individuelle de la pratique de l'internet
de chacun est seule susceptible de faire de cet outil un auxiliaire d'une
recherche appuyée sur des valeurs positives. En effet, si "je suis
internaute sur un chat" est la seule réponse où l'on se reconnaît
à la question essentielle citée de nombreuses fois, on pourrait
dans certains cas parler d'une restriction au lieu d'une multiplicité
enrichissante de la définition du "soi"...