La Sociabilité sur les Réseaux
Bérengère CHAINTREAU
Institut d’Etudes Politiques de Paris
L’internet : Enjeux de théorie politique
Conférence de Paul Mathias 

    Vous n'avez certainement pas pu échapper à la récente campagne de publicité du site communautaire www.caramail.com dans le métro : cette publicité promet aux voyageurs bien seuls dans l'anonymat du métro parisien une companie permanent nombreuse et sympathique rien que par les vertus de l'Internet, bref leur promet un endroit où il y a toujours "des gens" prêts à parler et à partager leurs passions. Quelles est la réalité de cette promesse marketing ?

    Ce que démontre cette publicité, c'est que l'Internet est perçu comme un endroit où l'on est jamais seul et où l'on peut nouer des contacts, parler de choses et d'autres avec des inconnus, une espèce de grande agora à l'échelle de l'humanité. Est-ce que cette perception correspond à une quelconque réalité ?

Quelle sociabilités pour quelles communautés virtuelles ?

  • De la Communauté d'intérêt à la conversation virtuelle...

  •     Le point de départ de l'idée de sociabilité sur l'Internet est que celui-ci remplace par des liens d'intérêts une logique de proximité géographique qui fait les communautés "réelles".
     

    • Le réseaux substitue des liens d'intérets à la logique traditionnelle de proximité géographique.

    •     Deux des pères d'Arpanet, Liclider et Taylor prévoyaient dès 1968 l'apparition de communautés virtuelles reliées par ordinateur. Ils caractérisent ces communautés comme des communautés de parage d'intérêts qu'ils opposaient aux communautés de proximité plus classiques. Aussi peut-on dire avec Rheingold, que ce sont des communautés de choix et non de tradition.
       
       

      Communautés virtuelles
      Communautés Réelles
      Intérêt
      Proximité
      Choix
      Tradition

          Voici quelques exemples de ces communautés d'intérêts :
       

      StarTrek.com
      Libération
     
     
    • Une sociabilité de "processeurs d'information"? de questions/réponses utilitaires ?

    •     On pourrait penser que, certes, il y a communautés mais que c'est en quelque sorte une communauté utilitaire, orientée sur la recherche d'information, l'échange de savoir et finalement la recherche d'un contenu utile et véridique. Exemple :
       

      Bibelec.com

          En effet, les utilisateurs vont sur les forums en tant que "processeurs d'information" pour se renseigner sur tel ou tel sujets, acquérir tel ou tel savoir, comme comment configurer ce logiciel, ou finir ce niveau de jeu,...) C'est l'usage le plus évident des outils communautaires et celui qui correspond me mieux à cette logique d'intérêt. Mais est-ce le seul ?

          Car doit-on considérer les communautés virtuelles comme une "heureuse surprise" venant donner du prix à des regroupement d'individus à vocation purement utilitaire ? Ou bien est-ce vraiment une nouvelle forme de sociabilité, un nouvel "art de la conversation" , qui instaure une relation interpersonnelle qui ne veut en quelque sorte n'exister que pour elle-même ? Les communautés acquièrent-elles par là une vie propore, gratifiante en elle-même, affranchie de toute référence à un contenu utilitaire ?

     
    • Les Communautés virtuelles sont-elles "une heureuse surprise" ? ou bien peut-on dire avec N. Negroponte "la véritable valeur d'un réseau réside moins dans l'information qu'il transporte que dans la communauté qu'il forme." ?

    •     Pour répondre à cette question on peut comparer un certains nombre de pratiques qui ont été décrites et codifiées par les anthropologues du début du siècle comme Tarde et Simmel qui ont étudié les protocoles de conversation et les usages mis en lumières sur le réseau. (1)
       

        1.     Dans la conversation, on accorde une grande importance à l'égalité qui est supposée régner entre les personnes qui participent à une conversation sociable. Simmel dit ainsi : "il s'agit d'un jeu au cours duquel "on fait" comme si tous étaient égaux, comme si l'on honorait chacun spécialement." L'ambiance qui régne sur les forums et la "Netétiquette" correspond bien à cette exigence d'égalité supposée dans l'art de la conversation.
        2.     Le jeu de sociétés ou de cartes est mis en avant dans les pratiques traditionnelles de la sociabilité et se retrouve à une place de choix dans ces nouvelles pratiques de sociabilité.
        3.     Enfin, une des caractéristiques de la conversation sociable, qui n'existe que pour elle-même et non pour le contenu informatif qu'elle véhicule est le changeent rapide de sujet, le passage du coq à l'âne. Or c'est bience qui se passe sur les forums ou dans les chatrooms où les utilisateurs effleurent un sujet pour en aborder un autre.


          Aussi, sommes-nous bien dans un modèle de sociabilité qui peut être autonome et non toujours médiatisé par un échange de savoir. Pour reprendre une phrase d'utilisateurs "entendue" sur le réseau : Connectivity is its own reward.

          Voici quelques illustrations :
       

      Oscoda
      Craigslist
      Le site d'une petite ville américaine où l'on vient discuter comme sur la place du village. Plus aucune autre raison de participer à la conversation que celle d'entretenir un réseau de relation et la vie d'un village. L'exemple du passage d'une communauté "utilitaire", axée sur la résolution de problèmes concrets dans la région de San Francisco, à une communauté sociable à la vie autonome où les échanges ont lieu pour eux mêmes. (cf. partie "community" du site)
       
  • Un seul village planétaire ou une "ultime métropole" (P. Lévy)

  •     Mais comment se structurent ces communautés ? Qu'est-ce qui les fait émerger, tenir et se développer ?
     

    • Chacun dans son monde parmi ses semblables ?

    •     Certes, le réseau crée des communautés et une sociabilité autour de ces communautés, mais n'existe-t-il pas un risque, ou du moins un problème ! ces communautés communiquent-elles entre elles ou catégorisent-elles les individus dans des boîtes plus ou moins étanches ? Exemples pour apprécier
       
       

      Matchmaker Quepasa.com Kids Online   Senior.net
      Site communautaire de rencontres, organisé selon un cerain nombre de critères (région mais aussi, religions, mode de vie,...) Site pour la communauté hispanophone des Etats-Unis Sites portails "générationnels" avec tous les infos et services pour la population considérée.

          Certes, la plupart des communautés sont "ouvertes" mais il y a toujours un risque de ghetto si chacun ne fait que chercher ses semblables. La recherche de "compagnie" se muerait alors en recherche du même à l'exclusion de tout autre. Sur les portails pour enfants par exemple se créent parfois un monde autonome interdit aux grands, ou plutôt inaccessible, avec ses propres règles, ses propres mots et référents (abréviation et smileys dans les chatrooms par exemple...). On serait alors loin de l'idée d'un village unique dans lequel l'humanité prendrait conscience d'elle-même, mais plutôt dans une métropole globale organisé en quartier se murant les uns les autres...

    • Des communautés d'identité et pas des communautés d'individu...Dangers et intérêts de l'ubiquité.

    •     Mais plusieurs éléments atténuent ce risque. En effet, il est une caractéristique fondamentale de ces communautés virtuelles qui ne doit pas être oublié : ce ne sont pas des regroupement d'individus mais des communautés d'identité.

          Essayons de comprendre cette idée exprimée par certains sociologues :

            - certes, ces communautés ne sont pas des communautés d'individu physiques
            - mais plutôt d'une des facettes, voire d'une des identité d'un individu physique qui tape sur un clavier.


          Aussi, il n'y a pas, ou plus correspondance entre l'identité et l'individu. Il est vrai que cela pose le problème de la multiplicité des identités et de la facilité de se glisser dans la peau d'un autre, de prendre le masque et de se gorger une identité nouvelle, mais au delà de cette question, cette dissociation identité-individu permet quelquechose : finalement ce n'est plus l'individu en lui même qui appartient à telle ou telle communautés, mais une facette de lui-même parmi plusieurs, une partie de cet individu.

          Dans la ville réelle, le ghetto naît du fait que les gens ne peuvent pas être dans deux quartiers à la fois, et que finalement ils se voient obligés de réduire la richesse de leur personne à une dimension. Mais nul besoin de cela dans les communautés virtuelles : que vous soyez abonné à Senior.net ne vous empêche pas d'être membre de Bousorama ou d'intervenir sur le forum tarte au chocolat... l'ubiquité que procure la virtualité permet donc de se trouver en plusieurs endroits du réseau, de recouper et recroiser ces centres d'intêrêts pour appartenir à autant de communautés qu'ils sont divers, pour se promener sur le Net en étant tout et rien à la fois, à l'inverse de la logique de proximité qui structurent les communautés traditionnelles et la sociabilité qui va avec.

          Finalement on pourrait même penser à une sorte de déploiement de la richesse des individus par toutes les les facettes différentes, toutes les communautés à laquelles un seul individu peut appartenir, alors que dans une logique de proximité, il ne peut être que dans un seul lieu. La pratique des réseau ne serait plus alors une recherche du même, mais de la diversité et diversité de soi en premier chef.
       
       

    Aussi pour revenir à la publicité Caramail, il est sûr qu'il y a une certaine réalité derrière ces promesses marketing de "compagnie" et de "conversation" permanent, nombreuse et sympathique. La sociabilité de l'Internet a ceci d'interessant que pour bien des aspects elle recrée voire amplifie les situations de conversation traditionnelles, sans être comme on pourrait le croire toujours médiatisé vers la recherche d'information.

    Il n'en reste pas moins que cette sociabilité pose un certain nombre de problèmes : techniques et pratiques d'abord, puisque ces outils que sont les forums, les chatrooms et les newsletters qui entretiennent les communautés font partie d'une pratique expert des réseaux et ne sont pas le fait de l'internaute lambda; problèmes sociaux ensuite si la logique d'intérêt aboutit à une persistance des logiques d'exclusion à l'oeuvre dans la société ; problèmes politiques enfin, car les communautés virtuelles créent un jeu d'identité et dissocie l'identité de l'individu.

    Mais, face au risque de ghetto, elles offrent la possibilité  de participer à autant de communautés qu'il y a de facettes dans un personnage...Au lieu de fédérer le monde dans un grand village planétaire, elle permettraient alors à chacun de faire du monde son propre village, dans la richesse et la diversité des individus.