Vous n'avez certainement pas pu échapper à
la récente campagne de publicité du site communautaire www.caramail.com
dans le métro : cette publicité promet aux voyageurs bien
seuls dans l'anonymat du métro parisien une companie permanent nombreuse
et sympathique rien que par les vertus de l'Internet, bref leur promet
un endroit où il y a toujours "des gens" prêts à parler
et à partager leurs passions. Quelles est la réalité
de cette promesse marketing ?
Ce que démontre cette
publicité, c'est que l'Internet est perçu comme un endroit
où l'on est jamais seul et où l'on peut nouer des contacts,
parler de choses et d'autres avec des inconnus, une espèce de grande
agora à l'échelle de l'humanité. Est-ce que cette
perception correspond à une quelconque réalité ?
Quelle sociabilités pour quelles communautés
virtuelles ?
-
De la Communauté d'intérêt
à la conversation virtuelle...
Le point de départ
de l'idée de sociabilité sur l'Internet est que celui-ci
remplace par des liens d'intérêts une logique de proximité
géographique qui fait les communautés "réelles".
-
Le réseaux substitue des liens d'intérets
à la logique traditionnelle de proximité géographique.
Deux des pères d'Arpanet,
Liclider et Taylor prévoyaient dès 1968 l'apparition de communautés
virtuelles reliées par ordinateur. Ils caractérisent ces
communautés comme des communautés de parage d'intérêts
qu'ils opposaient aux communautés de proximité plus classiques.
Aussi peut-on dire avec Rheingold, que ce sont des communautés de
choix et non de tradition.
Communautés virtuelles
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Communautés Réelles
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Intérêt
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Proximité
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Choix
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Tradition
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Voici quelques exemples de ces
communautés d'intérêts :
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Une sociabilité de "processeurs d'information"?
de questions/réponses utilitaires ?
On pourrait penser que, certes,
il y a communautés mais que c'est en quelque sorte une communauté
utilitaire, orientée sur la recherche d'information, l'échange
de savoir et finalement la recherche d'un contenu utile et véridique.
Exemple :
En effet, les utilisateurs vont
sur les forums en tant que "processeurs d'information" pour se renseigner
sur tel ou tel sujets, acquérir tel ou tel savoir, comme comment
configurer ce logiciel, ou finir ce niveau de jeu,...) C'est l'usage le
plus évident des outils communautaires et celui qui correspond me
mieux à cette logique d'intérêt. Mais est-ce le seul
?
Car doit-on considérer
les communautés virtuelles comme une "heureuse surprise" venant
donner du prix à des regroupement d'individus à vocation
purement utilitaire ? Ou bien est-ce vraiment une nouvelle forme de sociabilité,
un nouvel "art de la conversation" , qui instaure une relation interpersonnelle
qui ne veut en quelque sorte n'exister que pour elle-même ? Les communautés
acquièrent-elles par là une vie propore, gratifiante en elle-même,
affranchie de toute référence à un contenu utilitaire
?
-
Les Communautés virtuelles sont-elles
"une heureuse surprise" ? ou bien peut-on dire avec N. Negroponte "la véritable
valeur d'un réseau réside moins dans l'information qu'il
transporte que dans la communauté qu'il forme." ?
Pour répondre à
cette question on peut comparer un certains nombre de pratiques qui ont
été décrites et codifiées par les anthropologues
du début du siècle comme Tarde et Simmel qui ont étudié
les protocoles de conversation et les usages mis en lumières sur
le réseau. (1)
-
Dans la conversation, on accorde
une grande importance à l'égalité qui est supposée
régner entre les personnes qui participent à une conversation
sociable. Simmel dit ainsi : "il s'agit d'un jeu au cours duquel "on fait"
comme si tous étaient égaux, comme si l'on honorait chacun
spécialement." L'ambiance qui régne sur les forums et la
"Netétiquette" correspond bien à cette exigence d'égalité
supposée dans l'art de la conversation.
-
Le jeu de sociétés
ou de cartes est mis en avant dans les pratiques traditionnelles de la
sociabilité et se retrouve à une place de choix dans ces
nouvelles pratiques de sociabilité.
-
Enfin, une des caractéristiques
de la conversation sociable, qui n'existe que pour elle-même et non
pour le contenu informatif qu'elle véhicule est le changeent rapide
de sujet, le passage du coq à l'âne. Or c'est bience qui se
passe sur les forums ou dans les chatrooms où les utilisateurs effleurent
un sujet pour en aborder un autre.
Aussi, sommes-nous bien dans
un modèle de sociabilité qui peut être autonome et
non toujours médiatisé par un échange de savoir. Pour
reprendre une phrase d'utilisateurs "entendue" sur le réseau : Connectivity
is its own reward.
Voici quelques illustrations
:
Oscoda
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Craigslist
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Le site d'une petite ville américaine où
l'on vient discuter comme sur la place du village. Plus aucune autre raison
de participer à la conversation que celle d'entretenir un réseau
de relation et la vie d'un village. |
L'exemple du passage d'une communauté "utilitaire",
axée sur la résolution de problèmes concrets dans
la région de San Francisco, à une communauté sociable
à la vie autonome où les échanges ont lieu pour eux
mêmes. (cf. partie "community" du site) |
-
Un seul village planétaire ou une "ultime
métropole" (P. Lévy)
Mais comment se structurent
ces communautés ? Qu'est-ce qui les fait émerger, tenir et
se développer ?
-
Chacun dans son monde parmi ses semblables ?
Certes, le réseau
crée des communautés et une sociabilité autour de
ces communautés, mais n'existe-t-il pas un risque, ou du moins un
problème ! ces communautés communiquent-elles entre elles
ou catégorisent-elles les individus dans des boîtes plus ou
moins étanches ? Exemples pour apprécier
Matchmaker |
Quepasa.com |
Kids Online
Senior.net |
Site communautaire de rencontres, organisé selon
un cerain nombre de critères (région mais aussi, religions,
mode de vie,...) |
Site pour la communauté hispanophone des Etats-Unis |
Sites portails "générationnels" avec tous
les infos et services pour la population considérée. |
Certes, la plupart des communautés
sont "ouvertes" mais il y a toujours un risque de ghetto si chacun ne fait
que chercher ses semblables. La recherche de "compagnie" se muerait alors
en recherche du même à l'exclusion de tout autre. Sur les
portails pour enfants par exemple se créent parfois un monde autonome
interdit aux grands, ou plutôt inaccessible, avec ses propres règles,
ses propres mots et référents (abréviation et smileys
dans les chatrooms par exemple...). On serait alors loin de l'idée
d'un village unique dans lequel l'humanité prendrait conscience
d'elle-même, mais plutôt dans une métropole globale
organisé en quartier se murant les uns les autres...
-
Des communautés d'identité et pas
des communautés d'individu...Dangers et intérêts de
l'ubiquité.
Mais plusieurs éléments
atténuent ce risque. En effet, il est une caractéristique
fondamentale de ces communautés virtuelles qui ne doit pas être
oublié : ce ne sont pas des regroupement d'individus mais des communautés
d'identité.
Essayons de comprendre cette
idée exprimée par certains sociologues :
- certes, ces communautés
ne sont pas des communautés d'individu physiques
- mais plutôt d'une des
facettes, voire d'une des identité d'un individu physique qui tape
sur un clavier.
Aussi, il n'y a pas, ou plus
correspondance entre l'identité et l'individu. Il est vrai que cela
pose le problème de la multiplicité des identités
et de la facilité de se glisser dans la peau d'un autre, de prendre
le masque et de se gorger une identité nouvelle, mais au delà
de cette question, cette dissociation identité-individu permet quelquechose
: finalement ce n'est plus l'individu en lui même qui appartient
à telle ou telle communautés, mais une facette de lui-même
parmi plusieurs, une partie de cet individu.
Dans la ville réelle,
le ghetto naît du fait que les gens ne peuvent pas être dans
deux quartiers à la fois, et que finalement ils se voient obligés
de réduire la richesse de leur personne à une dimension.
Mais nul besoin de cela dans les communautés virtuelles : que vous
soyez abonné à Senior.net ne vous empêche pas d'être
membre de Bousorama ou d'intervenir sur le forum tarte au chocolat... l'ubiquité
que procure la virtualité permet donc de se trouver en plusieurs
endroits du réseau, de recouper et recroiser ces centres d'intêrêts
pour appartenir à autant de communautés qu'ils sont divers,
pour se promener sur le Net en étant tout et rien à la fois,
à l'inverse de la logique de proximité qui structurent les
communautés traditionnelles et la sociabilité qui va avec.
Finalement on pourrait même
penser à une sorte de déploiement de la richesse des individus
par toutes les les facettes différentes, toutes les communautés
à laquelles un seul individu peut appartenir, alors que dans une
logique de proximité, il ne peut être que dans un seul lieu.
La pratique des réseau ne serait plus alors une recherche du même,
mais de la diversité et diversité de soi en premier chef.
Aussi pour revenir à la publicité
Caramail, il est sûr qu'il y a une certaine réalité
derrière ces promesses marketing de "compagnie" et de "conversation"
permanent, nombreuse et sympathique. La sociabilité de l'Internet
a ceci d'interessant que pour bien des aspects elle recrée voire
amplifie les situations de conversation traditionnelles, sans être
comme on pourrait le croire toujours médiatisé vers la recherche
d'information.
Il n'en reste pas moins que cette
sociabilité pose un certain nombre de problèmes : techniques
et pratiques d'abord, puisque ces outils que sont les forums, les chatrooms
et les newsletters qui entretiennent les communautés font partie
d'une pratique expert des réseaux et ne sont pas le fait de l'internaute
lambda; problèmes sociaux ensuite si la logique d'intérêt
aboutit à une persistance des logiques d'exclusion à l'oeuvre
dans la société ; problèmes politiques enfin, car
les communautés virtuelles créent un jeu d'identité
et dissocie l'identité de l'individu.
Mais, face au risque de ghetto,
elles offrent la possibilité de participer à autant
de communautés qu'il y a de facettes dans un personnage...Au lieu
de fédérer le monde dans un grand village planétaire,
elle permettraient alors à chacun de faire du monde son propre village,
dans la richesse et la diversité des individus. |