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Les universités littéraires face à Internet

Daniel Béguin
Cellule Informatique littéraire
École normale supérieure
Juin 1998
Courriel : Daniel.Beguin arobase-anti__spam ens.fr

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Résumé : En France, les universités littéraires, à la différence de leurs homologues scientifiques, ne se sont mises à pratiquer Internet et les réseaux que depuis peu de temps ; certaines même ne sont pas encore équipées. Ce retard s'explique par le fait que les locaux littéraires sont traditionnellement équipés en matériel informatique après ceux des scientifiques, que les locaux informatiques des départements littéraires sont faiblement utilisés et bénéficient d'un moindre suivi technique, et enfin parce qu'il convient de déployer des efforts spécifiquement adaptés à la mentalité des littéraires pour convaincre ceux-ci d'employer l'outil informatique dans l'enseignement et la recherche. En outre, la pratique d'Internet varie fortement selon les publics : les enseignants-chercheurs et les étudiants ont des besoins différents, et le matériel informatique présent dans les cellules informatiques des départements ne remplit pas la même mission que dans les bibliothèques. Pour combler ce retard, l'État doit promouvoir une politique d'équipement des universités littéraires conçue à l'échelle nationale, afin d'éviter toute forme de développement individualiste qui aboutirait à des inégalités entre elles dans leur accès à Internet.
 
 

Summary : The French universities of arts, unlike the universities of sciences, have been using network services and Internet for only a short time, and network services were not brought yet into some of them. We might explain this slow development by the fact that universities of arts are usually fitted out with computers and network services after universities of sciences, that computer rooms belonging to their teaching departments are not filled with a lot of people and have not an enough high technical support, and that it is advisable to make an effort suited to the mentality of literary people in order to persuade them to use computers in teaching job and research work. Furthermore, different people use Internet differently : teachers, researchers and students expect from Internet to be connected to different Web servers, and network services don't fulfil the same purpose in teaching departments and in academic libraries. The universities of arts might have access to network services as quickly as possible if the state follows a policy of fitting out them on a national scale. By letting them to manage things themselves in an individualistic and erratic way, it might cause an uneven and unequal development of their network capacities.



 
  • I. Changements, permanences et pesanteurs universitaires
  • A. Un besoin de repères stables dans un paysage mouvant
  • B. Les individus en avance sur les institutions ?
  • II. Pour une politique cohérente de raccordement à Internet
  • A. N'oublier personne, n'oublier aucune étape, réfléchir à l'avenir
  • B. Accompagner les utilisateurs dans leur apprentissage d'Internet
  • C. Faire prendre conscience des nouvelles possibilités
  • III. Aspects actuels de la pratique d'Internet
  • A. Conceptions passive et active d'Internet
  • B. Deux stratégies de développement individualiste
  • C. Généraliser l'initiation aux outils informatiques
  • IV. Quels équipements pour quels besoins ?
  • A. Les bureaux d'enseignants
  • B. Les salles communes d'informatique pour les étudiants
  • C. Les cellules d'informatique des U.F.R. et départements
  • D. Les postes informatiques dans les bibliothèques
  • V. Conclusion


    I. Changements, permanences et pesanteurs universitaires

     

    A. Un besoin de repères stables dans un paysage mouvant


    Dans l'article intitulé Les antiquisants face à l'informatique et aux réseaux que nous avons publié en novembre 1996 et qui est encore disponible sur le serveur Web de l'École normale supérieure[1], nous nous étions attaché à énumérer un certain nombre d'adresses Internet où les chercheurs antiquisants de diverses disciplines pouvaient trouver des sources d'informations utiles à leur activité scientifique. Moins d'un mois après la publication de ces renseignements, plusieurs des adresses indiquées n'étaient déjà plus valables, soit que les pages HTML correspondantes aient été retirées, soit que le chemin d'accès pour les atteindre ait été modifié, soit que leur serveur ait disparu. Parallèlement, beaucoup d'autres serveurs mettaient en ligne d'autres sources d'informations qui auraient mérité de figurer dans notre article, notamment des catalogues de bibliothèques et des pages concernant la paléographie grecque ou latine.

     Le paysage Internet se caractérise donc par une grande mobilité, les sites Web et les pages HTML apparaissant et disparaissant quasiment du jour au lendemain, en sorte qu'il semble tout à fait vain d'espérer en dresser un panorama pertinent à l'aide des outils traditionnels que sont les annuaires ou répertoires sur papier. En revanche, les gateways, ces serveurs dont le but consiste à présenter des ressources Internet, classées et commentées, susceptibles de répondre aux besoins d'un public précis, ont une existence plus durable et jouent le rôle d'annuaires ou de répertoires électroniques. À condition qu'ils soient gérés par des personnes ayant la possibilité de les maintenir à jour fréquemment et régulièrement, ils représentent des points de repère précieux pour les débutants et même pour des utilisateurs chevronnés qui souhaitent gagner du temps en visualisant, d'un coup d'oeil, une page de catalogue listant les ressources électroniques fondamentales dans tel ou tel domaine. La quantité gigantesque d'informations déversée sur Internet par ceux qui la produisent ne serait guère accessible aux utilisateurs, sauf à une minorité de passionnés et de débrouillards, s'il ne venait s'interposer, entre les émetteurs et les récepteurs, une masse d'intermédiaires qui, inlassablement, collectent, filtrent, classent et présentent les informations sous une forme plus accessible à un public dont les compétences scientifiques dans tel ou tel domaine du savoir ne s'accompagnent pas nécessairement de compétences d'un niveau comparable en informatique documentaire. Il s'est constitué, pour ainsi dire spontanément, une fonction de documentalistes électroniques qui contribuent, souvent à titre bénévole, mais de façon décisive, dans l'ombre, modestement, et sans reconnaissance officielle de la nature de leur fonction, à l'efficacité de la circulation des informations sur Internet.

     Certes, le novice qui souhaite devenir un utilisateur expérimenté ne pourra se dispenser d'apprendre le fonctionnement des principaux indexeurs et moteurs de recherche (Alta Vista, Yahoo, Excite, etc.) pour atteindre les informations intéressantes de manière autonome et en ayant la certitude de dénicher même les serveurs qui ne sont répertoriés nulle part. Mais la bibliothèque planétaire que constitue Internet reproduit à une échelle plus vaste un phénomène qu'on a déjà observé dans les bibliothèques et centres de documentation traditionnels : entre les demandeurs d'information et le gisement ultime de l'information la plus rare et la plus spécialisée, il convient d'interposer un nombre considérable de catalogues et répertoires triant et classant les informations en fonction de domaines et d'angles d'approche les plus variés possible.
     

    B. Les individus en avance sur les institutions ?


    Depuis 1996, le nombre de personnes sensibilisées à Internet s'est manifestement accru, grâce à l'incessant travail d'information mené par les médias, en sorte que même ceux qui n'ont jamais approché un ordinateur connecté au réseau savent à peu près de quoi il s'agit. La pénétration d'Internet semble s'effectuer plus aisément au niveau individuel et familial qu'au niveau institutionnel, grâce à la démocratisation des modems (internes ou externes) et à la multiplication des prestataires de services offrant une gamme d'abonnements plus diversifiée, à des prix plus modiques (généralisation des coûts de connexion forfaitaires ou au tarif des communications locales), et même avec des performances techniques supérieures (liaisons réseau via Numéris ou, plus récemment, via le câble à fibre optique, ainsi que le propose la Lyonnaise-Câble dans certaines villes de certaines régions).

     Le retard universitaire ne s'observe pas seulement en matière d'équipements : la manière d'envisager l'utilisation d'Internet se situe en retrait par rapport aux capacités du réseau. Par exemple, l'Université de Paris IV qui, depuis la parution de notre premier article, s'est dotée d'une adresse électronique[2], fait jouer pour le moment à son serveur Web le rôle d'un fournisseur d'informations dont l'utilisateur n'est que l'observateur passif, comme s'il se trouvait en présence d'une version électronique des brochures de présentation de tel ou tel département d'enseignement ou service administratif. Seule est prévue la possibilité de contacter par courrier électronique les responsables de la conception des pages Web ou des départements et services mentionnés, en vue d'améliorer la lisibilité et l'aspect « presse et communication » du serveur[3]. Alors qu'Internet a été fondamentalement conçu selon une architecture interactive dans laquelle chaque intervenant peut être tour à tour émetteur et récepteur d'informations, certaines universités françaises l'utilisent conformément au modèle informatique qui a précédé Internet : celui dans lequel des sites centraux envoient unilatéralement de l'information vers des terminaux passifs.


    II. Pour une politique cohérente de raccordement à Internet

    Au risque de paraître trivial, il convient de rappeler qu'il ne sert à rien de disserter sur la nécessité de pratiquer Internet si l'on n'assure pas d'abord, dans le cadre professionnel, l'accès matériel et logiciel de tous les ordinateurs au réseau. C'est parce que cette règle préalable est transgressée sous des formes diverses qu'il existe actuellement un retard, non seulement matériel, mais aussi intellectuel, dans le comportement des universités littéraires françaises vis-à-vis du phénomène Internet. Ce retard est d'autant plus inadmissible que les universités scientifiques sont câblées et pratiquent assidûment le réseau depuis des années.
     

    A. N'oublier personne, n'oublier aucune étape, réfléchir à l'avenir


    La première étape consiste à câbler la totalité des locaux appartenant à l'institution désireuse d'accéder à Internet, ce qui implique de n'oublier ni les sous-sols et les greniers, s'ils sont occupés par des bureaux ou des salles d'enseignement ou de recherche, ni les dépendances, si les activités sont réparties entre plusieurs bâtiments. On voit trop souvent les méfaits d'une politique d'équipement qui, sous prétexte de répartir les coûts dans le temps, adopte un plan par tranches : le début en est certes réalisé, mais la programmation des tranches suivantes, élaborée suivant un calendrier peu précis, ou ajournée pour diverses raisons, finit par pérenniser une situation dans laquelle certains départements, services ou secteurs sont bien équipés dès le début, tandis que d'autres doivent se contenter de la promesse de l'être... un jour. Ainsi, l'École normale supérieure de la rue d'Ulm a oublié, voici quelques années, de faire passer le câblage par certains bureaux situés en sous-sol et dans les combles aménagés, et cet oubli n'a toujours pas été réparé. Une telle situation crée artificiellement des conditions néfastes générant un développement inégal de l'usage d'Internet en réseau, sans compter le ressentiment éprouvé par les personnels sacrifiés envers ceux qui ont été correctement équipés.

     Dans la deuxième étape, il convient d'implanter les « passerelles » et les « hubs », ces coffrets électroniques permettant à des parcs de micro-ordinateurs (Macintosh ou compatibles PC) d'accéder au trafic du réseau qui, lui, est géré par un ou plusieurs serveurs, généralement des stations UNIX. En l'absence de ce matériel, le câble a beau passer à proximité des utilisateurs : ils ne pourront pas profiter d'Internet et devront se contenter, au mieux, des petits réseaux locaux (LocalTalk pour Macintosh ou Novell pour les compatibles PC). Suivant le principe selon lequel ce qui n'est pas fait immédiatement ne le sera jamais, mieux vaut prévoir simultanément l'implantation des passerelles et le programme de câblage des locaux.

     La troisième étape consiste à disposer les prises auxquelles se connectera le matériel destiné à profiter des services du réseau. Il est souhaitable de prévoir un nombre de prises légèrement supérieur aux besoins actuels, de façon à s'assurer une marge de manoeuvre pour faire face sans douleur à une possible extension des équipement dans un avenir proche. Beaucoup de négligences sont commises à ce stade, génératrices de gênes qui paraîtront légères au début, mais qui s'aggraveront avec le temps. Il est fréquent de voir, par exemple, que dans tel département ou tel service, certains locaux sont équipés de prises et non certains autres ; ou encore que le nombre de prises est inférieur à celui des micro-ordinateurs, ce qui oblige les utilisateurs à faire du courrier électronique ou du Web sur certaines machines, tandis que d'autres restent dévolues à des activités monopostes ; ou encore que l'on n'a pas prévu de prise pour raccorder l'imprimante, en sorte qu'il faut la partager au travers d'un réseau local lent, alors que le réseau câblé aurait pu (par exemple grâce au protocole Ethernet pour les Macintosh) garantir des débits sensiblement plus rapides. Il est même possible de voir actuellement (avril 1998), dans une salle informatique gérée en commun par les Universités de Paris IV et de Paris V, un superbe « hub » trôner sur un des murs, avec son câblage inachevé, et une dizaine de micro-ordinateurs stationner à proximité : version électronique du supplice de Tantale qui, affamé, voit se dresser devant lui un arbre chargé de fruits, sans pouvoir l'atteindre.
     

    B. Accompagner les utilisateurs dans leur apprentissage d'Internet


    Une fois que les prises sont en place, prêtes à recevoir les cordons de connexion en provenance des micro-ordinateurs et des imprimantes, rien ne garantit que les utilisateurs vont s'y connecter. En effet, la manière de raccorder le matériel au réseau varie selon sa nature (micro-ordinateurs ou imprimantes) et son modèle : certains micro-ordinateurs, par exemple, qui sont déjà équipés d'une carte électronique adéquate, n'auront besoin que d'un cordon pour se brancher sur la prise ; d'autres modèles devront être équipés de ladite carte ; d'autres enfin, trop anciens ou d'entrée de gamme, acquerront la capacité de se connecter grâce à un boîtier externe. Si, dans une institution, les services techniques qui supervisent le câblage global des locaux sont étrangers aux départements, services ou laboratoires, lesquels jouissent d'une autonomie dans leur équipement technique, ou dépendent d'autres services techniques, il risque de se produire un hiatus entre la phase où l'ensemble des locaux est câblé et celle où des entités plus petites et autonomes doivent prendre la relève pour assurer l'accès effectif des utilisateurs au réseau. Ainsi, à l'École normale supérieure, il s'est écoulé plusieurs mois entre le moment où le câblage global a été achevé et celui où les départements ont effectivement connecté leur parc informatique au réseau. La situation n'est paradoxale qu'en apparence, car savoir comment créer un câblage et savoir comment raccorder du matériel à un câblage sont deux formes différentes de compétences techniques. Il importe donc de veiller, à l'intérieur de l'institution, à ce que les services techniques concernés par ces deux catégories de compétences existent tous deux et qu'ils se passent le relais au moment voulu.

     Ensuite, quand les machines sont convenablement connectées et que les logiciels gérant les différents services du réseau (courrier électronique, fax, Web) sont opérationnels, rien ne garantit, une fois de plus, que les capacités disponibles seront réellement employées : encore faut-il connaître les utilisateurs et songer à les former. À ce stade, plusieurs sortes de dysfonctionnements s'observent dans les universités littéraires. Lorsque les micro-ordinateurs disponibles sont en nombre insuffisant, certains établissements sont tentés d'en réserver l'accès aux seuls enseignants : l'inconvénient est que les bénéficiaires n'en seront peut-être pas les utilisateurs les plus assidus ni les plus dynamiques, et que le matériel restera sous-employé, pour ne pas dire inutilisé. D'autre part, quand le responsable du parc informatique est un informaticien peu familiarisé avec la psychologie des littéraires, il commet l'erreur de croire qu'il suffit de placer les micro-ordinateurs bien en évidence, munis de leurs logiciels en libre-service, pour que les utilisateurs, attirés comme des mouches par du miel, viennent spontanément s'asseoir devant les écrans et manier les programmes sous la conduite de leur intuition ou de quelque science infuse.

     En réalité, l'utilisation des outils informatiques, contrairement à ce qu'affirme une publicité qui souligne abusivement le caractère intuitif de l'interface graphique et la prétendue simplicité des logiciels (alors que même l'aide en ligne exige un apprentissage pour être compréhensible), requiert une formation préalable. En milieu universitaire, les enseignants, les étudiants et le personnel administratif constituent autant de publics différents, approchant les micro-ordinateurs sous des angles différents et avec des motivations différentes. Ils doivent donc être formés dans des stages séparés et à contenus différenciés, même si on leur fait manipuler des logiciels identiques. Ainsi, à part le courrier électronique qui semble d'une égale utilité pour tous, le personnel administratif utilisera plutôt les logiciels de navigation (Netscape Navigator ou Internet Explorer) pour s'abonner à des listes de discussion rassemblant des personnes qui débattent de leurs problèmes professionnels (par exemple biblio-fr pour les bibliothécaires et documentalistes). Les étudiants, quant à eux, chercheront plutôt des serveurs Web affichant les pages d'informations d'universités, étrangères ou françaises, susceptibles de les accueillir durant leur cursus, ou leur fournissant de la bibliographie et des monographies utilisables dans leurs travaux universitaires. Enfin, les enseignants, qui sont en même temps des chercheurs, aiment se connecter aux catalogues électroniques de bibliothèques pour vérifier ponctuellement telle ou telle référence bibliographique ou se constituer une bibliographie pour un cours d'agrégation ; dans certains domaines, comme la géographie, il leur est même possible de récupérer via Internet des documents d'une importante valeur scientifique plus facilement et plus rapidement que s'ils voulaient les obtenir sur support papier[4].

     Une fois passé le stade de la formation initiale, l'encadrement pédagogique continue sous une autre forme. Lorsque les micro-ordinateurs se trouvent dans des bureaux, à la disposition d'utilisateurs individuels et familiarisés avec eux, les besoins d'assistance se réduisent à ceux de la maintenance technique. Mais quand les machines sont placées dans une salle en libre-service, il y arrive des personnes novices ayant besoin qu'on leur mette le pied à l'étrier. Des salles de ce type doivent être placées sous la surveillance d'une personne remplissant plusieurs missions simultanées : vérifier que le matériel reste en état de marche et en signaler les pannes éventuelles au technicien compétent, guider les débutants dans l'emploi de tel ou tel logiciel, donner un supplément d'information aux non-débutants qui souhaitent approfondir l'utilisation de leurs logiciels favoris. Pour éviter que cette personne ne soit obligée de répéter indéfiniment les mêmes instructions, il est souhaitable qu'elle se confectionne un jeu de notices servant de modes d'emploi succincts aux différents logiciels. Ces notices seront reproduites en de multiples exemplaires, que les utilisateurs pourront consulter sur place et emporter. En effet, lors du premier contact avec l'informatique, la majorité des gens, encore aujourd'hui, aime à être formée oralement, mais quand leur appréhension est surmontée et qu'il leur vient l'envie de se débrouiller par eux-mêmes, une documentation courte et claire est la bienvenue. Il faut donc éviter deux écueils : laisser des salles en libre-service sans surveillance, et placer les salles sous la surveillance d'une personne démunie de toute documentation à distribuer. La fréquentation et la satisfaction maximales sont atteintes quand le public trouve simultanément une assistance humaine et une documentation écrite à consulter et à emporter.
     

    C. Faire prendre conscience des nouvelles possibilités


    Un dernier point mérite d'être souligné, qui n'est pas le moins important : lorsqu'une institution est fréquentée par des individus qui n'y viennent que rarement ou ne passent pas suffisamment de temps ensemble, les informations y circulent mal. Ainsi, dans une grande école, presque tous les élèves finissent par savoir, de bouche à oreille, qu'un nouvel équipement informatique vient d'être installé ici ou là. Mais, à l'institut de grec de l'Université de Paris IV, il existe une petite salle en libre-service équipée de quelques Macintosh et d'un CD-ROM dont l'existence est ignorée de la quasi-totalité des étudiants, et que les enseignants n'utilisent guère, tout simplement parce que la publicité concernant cette salle n'est pas faite de manière systématique. De même, les différentes sections de l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes possèdent des micro-ordinateurs munis de CD-ROM et connectés à Internet : mais comme les chercheurs continuent de percevoir cet établissement comme un lieu où l'on consulte des microfilms, microfiches, catalogues, répertoires, monographies concernant les manuscrits (ce qui reste d'ailleurs sa vocation fondamentale), et que l'existence des nouveaux équipements informatiques n'est pas suffisamment visible aux yeux des visiteurs, ces équipements, malgré leur qualité, ne sont utilisés que par une minorité de personnes.

     Lorsqu'on annonce que de nouveaux équipements sont disponibles, les intéressés se demandent souvent quelle en est l'utilité et considèrent qu'ils peuvent fort bien s'en passer en conservant leurs méthodes de travail traditionnelles. Or, ce comportement existait avant la naissance de l'informatique. Il convient donc de donner envie aux gens de prendre contact avec les nouveautés, en faisant porter le message, non pas sur le matériel et les logiciels, mais sur les besoins que ces derniers sont capables de satisfaire. Cela ne s'obtient pas en énumérant sèchement, et souvent dans un langage ésotérique, les noms du matériel et des logiciels, mais en citant des exemples de besoins concrets habituellement ressentis par le public concerné et en montrant comment les outils informatiques peuvent les résoudre plus facilement et plus rapidement que les anciennes méthodes. Par exemple, au lieu d'annoncer vaguement « Faites de l'Internet avec Netscape Navigator (ou Internet Explorer) », il serait plus habile de présenter les choses ainsi : « Consultez sans vous déplacer les catalogues auteurs et matières de la bibliothèque X sur Internet », ou encore ainsi : « Un manuel de paléographie grecque disponible à tout moment grâce à Internet ».

     Des outils nouveaux font naître des besoins nouveaux et permettent de résoudre aisément des problèmes qu'on avait pris l'habitude de considérer comme insolubles. Il est donc tout à fait judicieux, de la part d'un documentaliste électronique, de repérer quelques difficultés devant lesquelles les méthodes de travail traditionnelles sont peu efficaces ou inexistantes, et de signaler aux utilisateurs potentiels qu'Internet résout ces problèmes avec une facilité déconcertante. Ainsi, un helléniste sera heureux d'appendre que, grâce à Internet, il peut consulter le dictionnaire complet grec-anglais Liddell-Scott-Jones en ligne[5], bénéficier d'un analyseur automatique de la morphologie des noms et des verbes grecs[6], ou encore interroger par mots-clés grecs un fonds documentaire de papyrus[7]. Une fois mis en confiance et familiarisés avec ces nouveaux outils, leurs utilisateurs se chargeront de les employer à résoudre les anciennes difficultés, ainsi qu'à répondre aux besoins qu'ils feront naître.


    III. Aspects actuels de la pratique d'Internet


    En France, les universitaires français littéraires accèdent actuellement à Internet par des voies différenciées, symptômes d'une inégalité d'accès aux nouvelles technologies. Lorsque des collectivités sont incapables d'assurer la disponibilité d'Internet aux individus qui les fréquentent, ces derniers doivent mettre en oeuvre des solutions individuelles, qui sont fortement inégalitaires car elles dépendant du niveau de fortune et de connaissances de chacun.
     

    A. Conceptions passive et active d'Internet


    Lorsque les institutions se lancent pour la première fois dans l'aventure Internet, c'est généralement pour y présenter des pages Web d'information sur les départements, laboratoires et services qui les composent. Cette démarche revient à utiliser le réseau comme un support de communication interne ou externe, à en faire l'équivalent électronique d'une brochure de renseignements. C'est assurément mieux que rien, mais l'utilisateur est confiné à un rôle passif, puisqu'il lui est impossible de créer ses propres pages Web sur le serveur, et que le courrier électronique se réduit à une formule du type « boîte à suggestions » qui vous autorise seulement à contacter les responsables de la mise en page ou des départements, laboratoires et services, pour leur donner votre sentiment sur la présentation et le contenu des informations.

     D'autres institutions, comme les grandes écoles et certaines universités, surtout scientifiques, font jouer à leurs utilisateurs un rôle pleinement actif. En plus de leurs pages d'information, elles disposent d'un système de comptes électroniques permettant à leurs élèves ou étudiants de faire du courrier électronique et de créer leurs propres pages Web. Mieux encore, certaines institutions, comme l'École normale supérieure, pour montrer aux élèves (littéraires et scientifiques) des nouvelles promotions combien la pratique d'Internet est devenue incontournable, leur créent d'office des comptes dès la rentrée et leur proposent des stages d'initiation à la pratique du réseau. Par la suite, la présence de salles informatiques en libre-service où se côtoient les élèves des différentes promotions concourt à l'émulation générale qui pousse chacun à acquérir une véritable formation, nourrie à la fois par les stages, le bouche à oreille et le travail personnel.
     

    B. Deux stratégies de développement individualiste


    Certains départements ou laboratoires, que la lenteur et l'inertie de l'institution gênent dans leurs activités scientifiques, peuvent être tentés de s'équiper par leurs propres moyens. Cela leur est possible grâce à l'autonomie financière, qui est la règle en milieu universitaire, et grâce au dynamisme de leurs patrons. Il s'agit certes de solutions spécifiques à tel ou tel établissement et qui ne sont pas transposables telles quelles ailleurs, mais il importe de souligner que cela s'est déjà produit. Ainsi, en 1991, à l'École normale supérieure, le département de sciences sociales, qui entretient des contacts étroits avec une multitude de chercheurs et d'établissements étrangers (d'où son besoin de courrier électronique) et qui doit employer des moyens de calculs puissants pour des statistiques, dépouillements d'enquêtes et autres tâches analogues (d'où son besoin de stations de travail UNIX connectées en réseau), a conclu avec l'I.N.S.E.E. un contrat selon lequel il s'engageait à dépouiller d'énormes quantités de données brutes provenant d'enquêtes, à les analyser et à en tirer un rapport circonstancié. À titre de rétribution, il a obtenu le financement d'un petit parc de stations UNIX et l'extension jusqu'à ses locaux du câblage déjà présent depuis de nombreuses années dans les départements scientifiques. Il a ainsi été, durant presque cinq ans, le seul département littéraire de l'École à être relié à Internet. Le succès et les conséquences heureuses d'une telle opération ont servi d'exemple et, aujourd'hui, la quasi-totalité de l'École littéraire est câblée. Tout est bien qui finit bien, mais dans d'autres circonstances, ou dans d'autres institutions, cette situation aurait pu donner lieu à un développement inégal et anarchique des différents départements : en l'absence d'une politique claire et courageuse d'équipement global, il pourrait naître un esprit d'individualisme, qui inciterait chaque département, laboratoire ou service à ne compter que sur sa débrouillardise pour remédier à l'ambiance d'inertie générale et pour s'en sortir mieux que les voisins.

     Cette attitude, qui ne manque jamais de se manifester dans un système caractérisé par la pénurie de certains biens ou services, s'observe aussi à l'échelon individuel. Ainsi, plusieurs enseignants latinistes et hellénistes de l'Université de Paris IV, lassés de l'absence ou de la rareté des micro-ordinateurs équipés de CD-ROM (pour l'interrogation de corpus de textes) ou connectés à Internet, ont fini par s'équiper à leurs frais et à domicile. Moyennant un modem et un abonnement à un prestataire de services[8], ils maintiennent avec leurs collègues (surtout étrangers) des contacts plus étroits que s'ils n'étaient pas équipés et, en règle générale, les différentes formes d'équipement informatique leur donnent des atouts dans la concurrence scientifique qui anime le monde universitaire. Ils estiment que leurs dépenses sont non seulement nécessaires, mais encore rentabilisées par une meilleure production scientifique, la création de relations professionnelles plus diversifiées, et les conséquences extrêmement bénéfiques que tout cela entraîne pour leur notoriété et leur carrière.
     

    C. Généraliser l'initiation aux outils informatiques


    La principale difficulté qui s'oppose à ce que l'ensemble de la population estudiantine soit familiarisée avec les micro-ordinateurs et les réseaux, est l'absence d'intégration des outils dans l'enseignement et l'initiation à la recherche. Il nous paraît évident que la majorité des étudiants littéraires n'aura jamais besoin d'apprendre un langage de programmation, et que la façon dont l'informatique est abordée chez les scientifiques leur est inadaptée. En revanche, il nous semble fondamental qu'au cours de leur cursus, tous les étudiants littéraires prennent l'habitude d'utiliser un traitement de texte, un gestionnaire de bases de données, un tableur, un logiciel de dessin, un logiciel de courrier électronique et un navigateur Internet. En maîtrise ou en DEA, il serait normal que les étudiants sachent se servir de logiciels d'interrogation de CD-ROM pour retrouver les occurrences de tel ou tel mot dans des corpus littéraires, consulter des banques de données bibliographiques sur CD-ROM ou sur Internet, et explorer les pages Web pour dénicher par leurs propres moyens une source de renseignements qui n'est répertoriée dans aucun catalogue ou annuaire.

     À l'École normale supérieure, il existe une cellule informatique littéraire dont les enseignants assurent, à la rentrée, des stages d'initiation à l'informatique pour la nouvelle promotion, et, durant l'année, des séances de formation aux logiciels, aux CD-ROM et à Internet. En outre, les élèves disposent à la fois de salles communes en libre-service et de salles propres aux différents départements et laboratoires, dans lesquelles ils ont accès à des logiciels, des CD-ROM, au réseau, à des imprimantes, parfois à un scanner. Dans un tel environnement, ils finissent par considérer l'informatique comme un outil usuel, s'équipent à titre personnel pour plus de confort, et trouvent normal de recourir à l'ordinateur dans leurs tâches de recherche, d'enseignement, ainsi que dans leurs relations professionnelles et personnelles.

     L'ambiance est tout autre en milieu universitaire. Ce ne sont pourtant ni la volonté ni les initiatives qui manquent. Par exemple, le C.I.E.S.-Sorbonne[9] organise, chaque année, des stages destinés aux étudiants-moniteurs, où sont abordés tous les aspects de l'informatique : notions de base, logiciels bureautiques, multimédia, CD-ROM de grec et de latin, didacticiels, logiciels de langues vivantes, Internet. Pendant que les étudiants-moniteurs, provenant de différentes universités parisiennes, sont rassemblés pour la durée des stages, ils disposent du matériel et de l'environnement adéquats. Mais trouveront-ils toujours sur leur lieu de travail habituel de quoi mettre en pratique leurs connaissances acquises ? Faute d'une pratique régulière, qui suppose des équipements permanents, la compétence obtenue risque de ne pas porter de fruits. De plus, ces étudiants-moniteurs pourront, dans le moins défavorable des cas, utiliser leur savoir à titre personnel, mais ils ne trouveront pas les conditions matérielles qui leur permettraient de former à leur tour des étudiants.


    IV. Quels équipements pour quels besoins ?


    En milieu universitaire, il existe différents endroits, fréquentés par des usagers différents, et dans lesquels la pratique d'Internet est différente.
     

    A. Les bureaux d'enseignants


    Bien que l'enseignant universitaire français moyen d'aujourd'hui considère encore souvent le micro-ordinateur comme une machine à écrire améliorée, Internet réussit à pénétrer dans les bureaux. La raison première en est généralement la nécessité de pratiquer le courrier électronique. Quand leurs collègues universitaires (surtout étrangers) pratiquent habituellement le « courriel » (comme disent les Québécois) et sont désormais difficilement joignables par les moyens de communications traditionnels, les retardataires français sont bien obligés de se hisser à leur niveau. En outre, il devient de plus en plus fréquent de diffuser par courrier électronique les appels à communications pour les colloques, au détriment des circulaires sur papier. Or, comme ces deux activités sont incontournables dans la vie professionnelle de tout universitaire qui fait de la recherche, il devient nécessaire, simplement pour rester dans la course, d'utiliser les mêmes outils informatiques et les mêmes méthodes de travail que ceux qui mènent actuellement la course.

     Le courrier électronique étant, pour le moment, la principale utilité d'Internet aux yeux de la majorité des universitaires, il convient d'avoir, dans chaque bureau, au minimum un micro-ordinateur équipé d'un logiciel offrant un tel service. Cependant, il convient de savoir qu'en cas de partage d'un même logiciel de courrier électronique par plusieurs personnes sur une même machine, il est certes possible de gérer plusieurs boîtes aux lettres électroniques simultanément, mais que la confidentialité de chacune d'elle n'est pas toujours correctement assurée[10]. Même si, pour des raisons budgétaires, plusieurs collègues d'un bureau partagent le même micro-ordinateur, il est souhaitable que chacun ait au plus vite sa machine personnelle.

     Lorsque l'enseignant-chercheur est familiarisé avec le courrier électronique, et qu'il cherche à connaître les autres services qu'Internet est susceptible de lui offrir, il est principalement intéressé par les catalogues en ligne que proposent de plus en plus de bibliothèques dans le monde. Pour s'y connecter, il lui faut un logiciel de navigation, grâce auquel il fera progressivement connaissance avec les services accessibles par le Web.
     

    B. Les salles communes d'informatique pour les étudiants


    Quand un établissement universitaire commence à s'équiper en matériel mis à la disposition des étudiants, il est rare que l'opération se fasse à l'échelon de l'U.F.R. ou du département, car les moyens financiers à mettre en oeuvre sont importants, et il n'est pas simple d'obtenir que tous les U.F.R. et départements d'un établissement s'équipent en même temps. La solution généralement adoptée consiste à créer une petite cellule informatique en libre-service, placée sous la surveillance d'un personnel rattaché au service informatique de l'établissement, et accessible à l'ensemble des étudiants.

     Si l'établissement ouvre pour ses étudiants des comptes permettant d'accéder au courrier électronique, les problèmes de confidentialité, évoqués plus haut à propos des enseignants comme des risques potentiels, vont se poser de façon certaine, car l'anonymat qui règne dans une salle en libre-service offre de multiples tentations aux personnes malintentionnées ou à la moralité chancelante. C'est pourquoi, il est préférable de faire gérer, dans un tel environnement, le courrier électronique par un serveur UNIX, qui offre de meilleures garanties en matière de protection et de confidentialité du réseau. Les usagers, au moment de consulter leur boîte aux lettres électronique, se connecteront au serveur grâce à un login et un mot de passe, qu'ils taperont soit sur une station de travail UNIX, soit sur un micro-ordinateur communiquant avec le serveur à l'aide du protocole Telnet.

     En revanche, l'emploi d'un logiciel de navigation pour consulter des pages Web ne nécessite aucune précaution spéciale. Afin de montrer l'utilité de telles consultations, il est judicieux de placer dans la barre de menu du logiciel des signets[11] prédéfinis pointant vers des adresses intéressantes, afin de rendre celui-ci immédiatement utilisable par un novice. Une fois familiarisés avec les navigateurs, les étudiants se montrent généralement plus entreprenants et plus curieux que les enseignants, et n'hésitent pas à rechercher ce que le Web peut receler de plus rare ou de plus original. Beaucoup se mettent à créer des pages Web à l'aide de l'éditeur intégré au navigateur et en apprenant le langage HTML.

     On pourrait penser que les salles communes d'informatique constituent des solutions transitoires destinées à répondre aux besoins des étudiants tant que les U.F.R. et départements ne disposent pas de leurs propres cellules informatiques, et qu'elles seront définitivement condamnées le jour où la dernière U.F.R. ou le dernier département se seront enfin équipés. Cependant, l'exemple de l'École normale supérieure montre que ces deux types de locaux peuvent coexister en remplissant des fonctions complémentaires : les cellules informatiques des départements sont équipées avec du matériel correspondant aux besoins spéciaux de chaque discipline, tandis que les salles communes proposent des environnements hétérogènes (micro-ordinateurs et stations de travail munis de différents systèmes d'exploitation) permettant aux usagers d'avoir un aperçu des différentes gammes de matériel informatique, et ainsi de manipuler des appareils ou des logiciels que l'U.F.R. ou le département dont ils dépendent n'ont pas jugé bon d'acquérir.
     

    C. Les cellules d'informatique des U.F.R. et départements


    Il est nécessaire que les U.F.R. et départements des universités littéraires aménagent leurs propres locaux informatiques pour la raison fondamentale que les spécialistes de chaque discipline font un usage spécifique de l'informatique, et n'utilisent pas le même matériel et les mêmes logiciels que les autres, ou bien utilisent le même matériel et les mêmes logiciels d'une façon différente. Pour cette raison, il convient que les besoins en équipements de chaque U.F.R. et département soient définis par des personnes appartenant à ces entités, qui soient à la fois compétentes dans leur discipline et en informatique, afin de pouvoir décider avec pertinence de la nature des équipements à réaliser. Par exemple, il existe désormais un nombre important de CD-ROM destinés à la recherche scientifique et de contenu très différents (corpus de littérature ancienne ou moderne, fonds de cartes, etc.) : mieux vaut que l'acquisition et la consultation de cette multitude de CD-ROM soit décentralisées au niveau des U.F.R. et départements plutôt que d'être confiées à un serveur central qui les rendrait accessibles en réseau à tout le monde, ce qui serait très coûteux à réaliser et à maintenir en état de marche. Selon le même principe, la décentralisation de l'accès à Internet permet de l'adapter aux besoins de chacun : par exemple, les logiciels de navigation peuvent être équipés de signets permettant aux personnes de telle U.F.R. ou tel département de se connecter rapidement aux serveurs Web dont le contenu intéresse spécialement cette U.F.R. ou ce département.

     L'autonomie en matière informatique doit être assumée sous tous ses aspects, et notamment il incombe à chaque U.F.R. ou département de s'assurer la présence sur place d'une ou plusieurs personnes capables d'assurer la formation des utilisateurs et la maintenance du matériel. L'expérience a montré que si le parc informatique est décentralisé, mais que l'assistance technique reste centralisée (par exemple en demeurant de la seule compétence d'un Centre de calcul ou d'une organisation analogue), le manque de personnel qui en résulte a pour conséquence que certains U.F.R. ou départements sont implicitement considérés comme prioritaires tandis que d'autres souffrent de retards chroniques mis à remédier aux pannes qui surviennent nécessairement et fréquemment. Or, un équipement informatique qui n'est pas maintenu en état de fonctionnement régulier ne vaut guère mieux que pas d'équipement du tout : non seulement il fait fuir les utilisateurs, mais il jette le discrédit sur l'U.F.R. ou le département qui se montre publiquement incapable de l'administrer correctement.
     

    D. Les postes informatiques dans les bibliothèques


    Alors que les salles communes et les cellules informatiques propres aux U.F.R. et départements doivent proposer à la fois le courrier électronique et l'accès aux serveurs Web, les postes informatiques installés dans les bibliothèques n'ont besoin d'assurer à leurs usagers que l'accès au Web[12]. Dans la mesure où une multitude de serveurs offrent la consultation en ligne de différents types de catalogues de bibliothèques (auteurs, matières, périodiques, spécialisés par disciplines, etc.) ou de bibliographies raisonnées sur tel ou tel sujet, et même le téléchargement du texte[13] des oeuvres complètes de tel ou tel auteur, dans sa langue originale ou en traduction, Internet devient un outil d'informatique documentaire qui prend sa place dans les bibliothèques, à côté et en complément des dictionnaires, encyclopédies et collections de textes sur papier.

     Il y a dans la plupart des bibliothèques universitaires une ou plusieurs personnes qui, bénéficiaires d'une formation ou simplement autodidactes, possèdent des compétences en documentation électronique, sont passionnées par ce sujet, et se désolent du manque de moyens budgétaires dont disposent les bibliothèques françaises pour rester au niveau de ce qui se fait en Europe et aux États-Unis, ou de l'inertie dont font preuve certains bibliothécaires, alors qu'il faudrait adapter nos moyens et nos méthodes de travail aux transformations profondes qui s'effectuent en cette fin du XXe siècle. Ceux qui pourraient devenir les artisans de cette modernisation et de ce progrès n'ont pas voix au chapitre.

     Des bibliothèques s'équipent néanmoins en matériel informatique, le plus souvent au hasard des initiatives individuelles ou des opportunités qui s'offrent à elles d'acquérir telle machine, tel logiciel ou tel CD-ROM. On voit ainsi apparaître le profil qui sera celui des postes informatiques en usage dans les bibliothèques de demain. Lorsque les micro-ordinateurs sont encore rares, ils remplissent par nécessité des tâches polyvalentes, mais dès que leur nombre s'accroît, une tendance à la spécialisation apparaît : certaines machines sont réservées à la consultation, en monoposte, de CD-ROM placés dans des lecteurs à tiroirs multiples, tandis que d'autres sont consacrées à Internet. Il est également possible d'utiliser, notamment à la section latine de l'I.R.H.T.[14], des micro-ordinateurs entièrement connectés en réseau et qui peuvent tous effectuer, au choix, une consultation de CD-ROM ou d'Internet.

     De tels équipements requièrent une gestion particulière, relevant de la compétence de documentalistes électroniques. Il faut, entre autres, mener une politique cohérente d'achat de nouveaux CD-ROM, suivre les abonnements aux CD-ROM à renouvellement périodique, veiller à ce que les caractéristiques techniques des machines, les versions des systèmes d'exploitation et celles des logiciels restent compatibles, suivre en permanence la naissance, les changements d'adresse et la disparition des serveurs Web. Les nouveaux outils ne génèrent pas seulement de nouvelles façons de travailler, ils concourent aussi à la création de nouveaux profils professionnels.


    V. Conclusion


    On ne peut nier que l'équipement des universités littéraires françaises s'effectue progressivement, mais on peut déplorer qu'il le fasse avec un certain retard et sous la pression d'événements extérieurs : universitaires étrangers déjà connectés, personnalités universitaires françaises souhaitant trouver sur leur lieu de travail le même matériel qu'à domicile, extension d'Internet aux départements d'enseignement et de recherche après équipement préalable des services administratifs de l'Éducation nationale.

     Ces tâtonnements ne sont peut-être pas une spécificité française. Sans doute les Américains, inventeurs d'Internet, ont-ils connu des problèmes analogues. Mais les inventeurs ont le privilège de mener leur propre équipement à leur guise et à leur rythme, tant que la concurrence est inexistante dans le domaine concerné. En revanche, quand on se trouve forcé d'adopter une innovation répandue par d'autres, il est préférable de traîner et de trébucher le moins possible.

     Le câblage et l'équipement informatique nécessaires pour permettre l'accès à Internet exigent des investissements qui dépassent largement les budgets alloués aux départements et U.F.R. pour le simple fonctionnement ou l'équipement en petit matériel à un échelon réduit. En outre, pour qu'Internet devienne une réalité dans l'ensemble des universités françaises, il convient d'envisager le raccordement au réseau en terme de couverture nationale. Il paraît logique que l'État, qui exerce sa tutelle sur l'ensemble des établissements relevant de l'Éducation nationale, fasse preuve de souveraineté en montrant qu'il possède une politique claire et cohérente en ce domaine. Le raccordement à Internet de l'ensemble des universités françaises doit être harmonisée afin d'éviter que ne se développent des initiatives anarchiques, et que le souci d'intérêts particuliers ne l'emporte sur l'intérêt général.
     
     

    Daniel Béguin
    Cellule Informatique littéraire
    École normale supérieure
    Juin 1998
    Courriel : Daniel.Beguin arobase-anti__spam ens.fr
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