Histoire/Genre/Migration

Sessions du Mercredi 29 mars après midi Amphithéâtre Jules Ferry, École Normale Supérieure, 29 rue d'Ulm, 75 000 Paris

Résumés des communications

13h45 – 16h Réfugié(e)s/ Refugees and Exiles

Discutante : Natacha Lillo, Université Paris-VII (Paris, France)

Sylvie Aprile, Université François Rabelais, CEHVI (France), De l'exilé à l'exilée, une histoire sexuée de la proscription politique outre manche et outre atlantique sous le second Empire, [A Gendered History of French Exile, 1848-1870]

Peut on être une exilée ? La grande figure de référence de l’exil au XIXème siècle est celle d’une femme : Mme de Staël. Pourtant -mais est ce un paradoxe ?- l’histoire de l’exil ne s'intéresse guère aux exilées et aux proscrites. Plus encore que pour les hommes, on semble perdre leur trace après la répression et leur départ. Or au même titre que l'immigrée, l'exilée contredit l'image stéréotypée d'un éternel féminin voué au foyer et donc à l'immobilisme. Cette mobilité féminine n'inverse pas le propos et il reste que c'est plutôt l'homme qui tente l'aventure, qu’elle soit politique ou économique. Pourtant une multiplicité de trajectoires individuelles permettent d'identifier trois figures féminines définies par l’histoire des migrations et appliquées ici à l’exil. La première est celle de l’épouse, la ´ femme qui reste ª mais qui n'est pas passive, assumant en partie le rôle de l'homme et partageant l’opprobre qui entoure l’exilé. C’est elle qui assure la survie matérielle et psychologique de la famille pendant que son mari est contraint à résider à l’étranger. Les hommes proscrits, surtout dans les premiers temps, partent seuls en raison des contraintes du passage clandestin et parce que l'exil ne semble pas devoir durer. Leurs femmes apparaissent souvent seulement dans leurs correspondances et sous la plume de leurs biographes comme les gardiennes du foyer, réclamant souvent de l'exilé qu'il rentre, même en s’humiliant par la grâce.
La seconde figure féminine qui se dégage est celle de la ´ suiveuse ª, selon le terme employé par Nancy Green, dont le rôle est également à réévaluer dans la structuration et le maintien des réseaux familiaux et ici politiques. Accompagner son époux représente une contrainte d'autant plus forte que le départ n’est pas un choix. L’image magnifiée de la compagne qui adoucit la peine d’exil devient un topos mais a contrario la femme toujours jugée plus fragile supporte moins bien l’exil : les privations matérielles mais aussi la séparation d’avec sa famille entraïnent une autre représentation tout aussi négative et passive, celle de la femme qui sombre dans la nostalgie voire le suicide. La palette des expériences professionnelles à la lecture des correspondances féminines et des sources de la loi de réparation de 1881 montre une plus grande capacité d'adaptation que ne le disent les récits d'exilés. Sans statut politique, les épouses ou filles de proscrits peuvent aussi rentrer et sortir de France se chargeant de conserver la trame d'un tissus politique souvent souterrain et méconnu.
La dernière figure est celle de l'exilée proprement dite, émigrante à part entière, condamnée ou proscrite volontaire partant seule comme les migrantes célibataires. Inquiétées à égalité avec les hommes au lendemain du 2 décembre 1851, ces femmes partent s'installer à l'étranger et sont même passibles des mêmes peines. La loi de réparation nationale reconnaît même à certaines d'entre elles les mêmes droits à une pension à titre personnel. De ces figures de militantes déçues par la politique telle qu’elle est pratiquée en France et dont les hommes les ont exclues émergent une circulation spécifique des idées et des reconversions militantes qui rendent aussi peu audibles leur parole.
L'éloignement ancre ainsi l'ancienne activiste française, Jenny d’Héricourt, installée à Chicago, dans un mouvement féministe international, médiatrice des relations entre les Américaines et les Françaises. Pour d’autre c’est vers le champs de l’abolitionnisme ou le spiritualisme que se déplacent leurs réflexions et actions.
Ces trois figures ne permettent pas seulement de repenser l'importance politique de la migration féminine, elles permettent de réinterroger les catégories du temporaire et du permanent et les questions qui touchent aux formes l'engagement et du désengagement, à la division des sphères publiques et privées.

Patrick Farges, Université de Bourgogne, Département d’allemand (France), « Nous les Camp Boys » : Constructions de la masculinité dans les récits des « réfugiés internés » † au Canada (1933-2003) [« We the Camp Boys ». The Construction of Masculinity in Canadian Camps, 1933-2003]

La migration forcée due à la mise en place du régime nazi en Allemagne et à son extension en Europe a conduit environ 5000 à 6000 personnes de langue allemande, menacées en raison de leur appartenance raciale, religieuse ou politique, à trouver refuge au Canada. Cette translation géographique, culturelle et sociale est couramment appelée « exil ». Après avoir longtemps privilégié les personnalités culturelles et politiques, les études sur l’exil « Exilforschung » ou « Exile Studies » – se sont depuis plus d’une dizaine d’années recentrées sur « l’exil des petites gens » (1) et sur les processus d’intégration et d’acculturation. La présente communication s’inscrit dans le cadre d’une recherche de doctorat sur l’acculturation au Canada de ces exilés, c’est-à-dire sur l’adaptation de normes, valeurs et pratiques culturelles entraînée par la migration.
Parmi ces exilés se trouvaient un groupe d’environ 1 000 hommes, âgés en 1940 de 16 à 60 ans. Il s’agissait de réfugiés du nazisme, des Juifs d’origine allemande ou autrichienne pour beaucoup, qui avaient trouvé refuge en Angleterre. Au printemps 1940, répondant à une opinion publique qui craint la présence d’une « cinquième colonne » sur le sol britannique, Churchill fait interner certaines catégories de « ressortissants d’un pays ennemi » (enemy aliens) (2). En juin, quelques milliers d’hommes sont envoyés, au hasard des listes, dans des camps d’internement canadiens et australiens, où ils resteront entre plusieurs mois et plusieurs années, les dernières libérations ayant eu lieu en 1943. Dans le cas canadien, ces hommes, « déportés par erreur » sont devenus des « immigrants accidentels » (3) qui ont dû (re)commencer une existence au Canada. Souvent considérés comme des immigrants modèles, dont l’assimilation aurait été parfaite, les « Camp Boys » ont conservé tout au long de leur vie des réseaux d’amitié informels et des pratiques commémoratives discrètes.
Dans le cadre de notre projet, nous avons procédé depuis 2002 à une trentaine d’entretiens d’histoire orale. Ces sources orales sont par ailleurs complétées par la collecte, dans des fonds d’archives locaux ou privés, de diverses sources écrites à caractère autobiographique : mémoires, correspondances et autres « ego-documents ». S’il est nécessaire de tenir compte des problèmes liés à la fiabilité des sources orales et autobiographiques, l’intérêt de ce corpus est peut-être justement de déplacer le regard vers les stratégies narratives mises en œuvre, et d’essayer d’en comprendre les raisons. Ces stratégies narratives sont éminemment genrées. Nous montrerons notamment en quoi les divers « ego-documents » sont un moyen de réinsérer un destin personnel construit comme masculin dans un cadre collectif intelligible. Une expérience vécue ne devient un événement biographique qu’après qu’il a été repensé, reformulé, approprié. Cette reformulation est nécessairement informée par des catégories collectives, par des scripts disponibles dans une société donnée, sans lesquels une expérience n’est pas socialement communicable. En effet, une narrativité s’instaure nécessairement, avec ses codes et ses contraintes. On ne raconte pas ce qui s’est passé, mais il s’est passé ce qu’il est possible de raconter. L’objet de la communication est de mettre en évidence le croisement entre les stratégies narratives à l’œuvre dans les récits des anciens « Camp Boys » et les discours sur la masculinité dans la société canadienne d’après-guerre, mais aussi dans l’historiographie sur l’exil.
L’expérience d’internement et le confinement « entre hommes » sur une période de plusieurs mois ont a ici joué un rôle déterminant. Pour de nombreux « Camp Boys », l’internement par la Grande-Bretagne succédait à un internement en camp de concentration en Allemagne (à Dachau ou Oranienburg), consécutivement à la Nuit de Cristal. Véritable microcosme, condensé de la société, mais aussi première instance d’acculturation et matrice de la constitution d’une certaine masculinité, le camp d’internement, ressenti rétrospectivement comme un vacuum biographique, foisonnait d’activités et de pratiques. Le camp d’internement a parfois joué le rôle de sas transitionnel entre deux cultures : il a nettement densifié le moment de « passage » (4). Nous nous intéresserons particulièrement aux rites, aux débats et aux hiérarchies internes, mais également à l’exercice du pouvoir sexuel en fonction de l’âge. Si de nombreux témoignages et documents attestent de l’existence d’une économie homosexuelle au sein du camp, les mémoires et récits de vie tentent d’en effacer les traces.
Nous aborderons ensuite le problème des attentes en matière de rôles genrés dans l’exil, telles qu’elles sont racontées dans les récits de vie. Si la recherche sur l’exil des personnes fuyant le nazisme a récemment mis l’accent sur le point de vue des femmes en exil, montrant que les femmes étaient dans l’ensemble plus à même de s’adapter aux nouvelles conditions de vie, il convient conjointement de reconsidérer les rôles sociaux modifiés qu’ont joué les hommes en exil. Comment les « Camp Boys » ont-ils vécu le clivage entre le rôle qu’ils « auraient dû » jouer en exil et leur situation dans le « no man’s land » de l’Histoire : internés, séparés de leurs familles, coupés du monde.
Enfin, nous présenterons en quoi les « ego-documents » récoltés contribuent à transmettre une mémoire spécifique. Cette mémoire n’est pas en accord avec le « grand récit » d’une « success story » migrante d’après-guerre. La réussite sociale visible des « Camp Boys » au Canada, maintes fois soulignée, n’en dissimule pas moins un hiatus, relevé par la seconde génération. Pour diverses raisons que nous présenterons, les « Boys » ont bien souvent occulté l’expérience de leur internement. Certains enfants de réfugiés-internés n’étaient pas au courant du passé de leurs pères : c’est ce que thématise notamment le documentaire de Wendy Oberlander, Nothing to Be Written Here (5).

(1) Il s’agit de la traduction du titre de l’ouvrage programmatique, centré sur l’histoire du quotidien des exilés et dirigé par l’historien allemand Wolfgang Benz (éd.) (Das Exil der kleinen Leute. Alltagserfahrungen deutscher Juden in der Emigration, Munich, Beck, 1991).
(2) Cf. David Cesarani & Tony Kushner, The Internment of Aliens in Twentieth Century Britain, Londres, Frank Cass and Co., 1993.
(3) Cf. Paula J. Draper, « The Accidental Immigrants: Canada and the Interned Refugees », Thèse de doctorat, Université de Toronto, 1983 ; Id., « The Camp Boys. Refugees from Nazism Interned in Canada, 1940-1944 », in Enemies Within: Italians and Other Internees in Canada and Abroad, éds. F. Iacovetta et al., Toronto, University of Toronto Press, 2000, pp. 92-111.
(4) Cf. Nancy L. Green, « Trans-frontières – Pour une analyse des lieux de passage », in Socio-anthropologie 6.2. (1999), pp. 33-48.
(5) Wendy Oberlander, Nothing To Be Written Here, documentaire, 47’, Studios Video In, Vancouver, 1996.

Laurence Brown, University of Manchester, Department of History (Angleterre), Gender, Race and the Construction of Refugee Identity in the Revolutionary Caribbean, 1814-1815 [Le genre, la race et la construction de l’identité du réfugié dans les Caraïbes au temps des révolutions, 1814-1815].

This paper examines the flight of over five hundred refugees from civil war in Venezuela to the neighbouring British colony of Trinidad in 1814. While British authorities initially attempted to block the immigration of black refugees from the Spanish Main, this state policy was transformed by the mass arrival of women and children fleeing a brutal guerrilla war.
Beginning in mid November 1814, Afro-Caribbean women and their infants were the first refugees that reached Trinidad. Government policies towards these refugees were powerfully shaped by the visions of gender and race which had been formed during the two previous decades of imperial wars and slave revolts. During the early 1800s, black refugees from slave revolutions in the French Antilles and British Windward Islands had arrived in Trinidad, increasing white fears about the possibility of race war and domestic insurrection. The Afro-Caribbean refugees from Venezuela entered a slave society that was already marked by the spectre of the Haitian revolution and in which both black women and men faced escalating persecution and prejudice.
The arrival of the 1814 refugees coincided with the British imposition of slave registration on their Caribbean colonies as means to force the amelioration of slave conditions. While these measures were strongly contested by white elites in Trinidad, they also directly shaped the registration of refugees from Venezuela. Reflecting official concerns with public order and the revolutionary threat of black refugees, the register of arrivals detailed their origins, their employment in Venezuela, their connections to the war, their claims to free status, and family or friends in Trinidad. The 1814 register therefore provides a unique window into the lives and movements of Afro-Caribbean women across the revolutionary Caribbean.
One hundred and sixteen black women are recorded in the 1814 register which highlights the impact of gender and family networks in shaping their experiences of migration. Many of these women had already fled the revolutionary wars of the 1790s in Guadeloupe, Martinique, St Vincent and Grenada (See Table 1). Their movements as refugees were heavily influenced by family connections, as most female refugees had been accompanied by family members to the Spanish Main, and many had family in Trinidad. While existing research has emphasized the significance of family networks in shaping white refugee movements from the Greater Antilles to the North American mainland during the 1790s, this research highlights how black women were active agents in negotiating movements between the slave societies in the Southern Caribbean. (1) Compared to other refugee flows of 1790s, the high numbers of children which accompanied these women reveals their success in maintaining family structures despite their repeated experiences of forced emigration.


Table 1: Afro-Caribbean Refugees from Venezuela to Trinidad, 1814-1815


The 1814 register also provides considerable detail about how these Afro-Caribbean refugees were able to reconstruct their lives in Venezuela, after their initial emigration in the 1790s. Arriving on the Spanish Main, many women became cotton planters, while others worked as hucksters, seamstresses and washerwomen. Although black women tended to dominate these latter occupations in slave society, their rapid engagement in small farming provides a very different vision to that based on the free black communities in the urban ports of the Caribbean. The extent of intra-island marriages between these immigrants is also striking.
Through constructing detailed life histories this paper seeks to show how gender shaped state policies towards black refugees and its impact on migrant experiences of mobility, family and work. The racialisation of gender took on a heightened resonance during the early 1800s when white authorities were obsessed with the “loyalty” and “insubordination” of both free and enslaved blacks. Moving between these revolutions, Afro-Caribbean women crossed between rural and urban worlds in their efforts to maintain their families’ freedom.


(1) R. Darrell Meadows, “Engineering Exile: Social Networks and the French Atlantic Community, 1789-1809”, French Historical Studies, 23, 1, 2000, pp. 67-102.

Aurélie Audeval, Université Paris VII, Les réfugiées allemandes et autrichiennes vues par l'administration française de 1936 à 1942 : enjeux nationaux, enjeux sexués [Female Austro-German Refugees as Seen by the French Administration, 1936-1942]. [Texte]

Dans cette proposition de contribution, je vais revenir sur l’épisode assez célèbre de l’exil germanophone en France de 1933 à 1945 mais en parler sous l’angle du rapport de l’Etat français aux allemandes et aux autrichiennes. En effet, si l’épisode de l’exil est sorti de la sphère allemande de l’Exilforschung et a fait l’objet d’études qui l’ont inscrit dernièrement dans le cadre de réflexion plus global qu’offre l’histoire de l’immigration en France, il n’a jamais été traité (dans le cas de la France) dans une problématique de genre. Les femmes exilées sont passées sous silence, disparaissent sous la geste des figures phares de l’exil que sont par exemple Brecht, Thomas Mann, Feuchtwanger, et Max Ernst. Pourtant la réalité de cet exil en France, qui débute avec l’arrivée de Hitler au pouvoir en janvier 1933, est tout autre. Parmis les 50.000 personnes environ qui ont fait le choix de la France, 80% sont juifs, 40% sont des femmes et la majorité ont moins de 35 ans. Nous sommes loin des figures phares. Cet état de fait vient aussi des sources. Presque sans surprise, elles offrent le constat désolant mais assez récurrent, d’une présence lacunaire des femmes. Signe de cette invisibilité, le manque d’études sur l’internement des femmes, alors que les travaux au sujet des camps se multiplient.
Pourtant, au delà même de leur propre histoire, l’arrivée de ces femmes allemandes est intéressante dans ce qu’elle va provoquer au sein de l’administration française. En effet, toute une série de circulaires leur est spécialement dédiée. Ainsi, je vais me concentrer ici sur le rapport qu’entretient l’administration avec ces réfugiées, ou plus précisement sur les représentations administratives qui sous-tendent les politiques entreprises à l’encontre de ces femmes. C’est à dire de replacer l’administration française dans son rôle de protagoniste subjectif, comme une instance produisant un discours marqué par un ou des discours idéologiques. Or, si cette dimension subjective a déjà été mise en avant dans d’autres études, elle ne l’a été que sur les problématiques concernant les cadres national/étranger ou opposant politique/intérêt d’Etat. La dimension de genre est restée occultée. Il est donc intéressant de ce pencher sur la question ; comment l’administration française se positionne-t-elle idéologiquement en terme de genre face à ces femmes migrantes ? Quel rôle va-t-elle jouer à partir de ses prises de positions? Dans quelle mesure la question du genre modifie-t-elle la question nationale ? Ou bien d’autre facteurs entrent-ils ici en jeu comme l’antisémitisme, l’appartenance politique ou bien encore la question allemande ? Bref, il s’agit ici, de tenter de saisir ce qui a été déterminant parmis la multiplicité d’altérités portés par ces migrantes. En mettant en avant l’idée que ces migrantes sont comme un miroir permettant à l’administration de se définir par rapport à elles, et de tisser un discours où finalement en parlant de l’autre elle parle d’elle même, cela nous permettra de tenter une esquisse de l’identité de cette même administration et de la comparer avec celle éventuellement obtenue par d’autres chercheuses ou chercheurs sur d’autres migrations.
Afin de tenter de répondre à ces questions, je vais développer deux exemples précis. Le premier concerne la période de la troisième République et plus particulièrement la question du mariage entre allemandes et étrangers. Pour le second, je vais m’attarder sur le centre d’émigration féminin de Bompard à Marseille dans les années 1940-1942. Ce centre, qui fait partie du maillage des camps d’internement, n’a, à ma connaissance, fait l’objet d’aucune étude, bien qu’il permette notemment une compréhension de l’internement en terme de genre. Autour de ces deux exemples, il sera possible de tracer les contours d’une politique administrative genrée de l’immigration .
La question du mariage est essentielle quand il est question d’immigration des femmes en France. En effet, c’est le chemin classique vers l’intégration nationale. Du fait d’une législation napoléonienne qui faisait dépendre identitairement les femmes de leur mari, une française est avant tout l’épouse d’un français. C’est à dire qu’une étrangère épousant un français devenait française, et une française épousant un étranger, devenait étrangère. Ceci dure jusqu’à la loi de 1927, où les femmes françaises peuvent garder leur nationalité originaire. Ceci signifie qu’à partir de cette date, un sujet féminin devient autonome quant à son identité nationale. Il s’agit d’une véritable avancée mais qui paradoxalement va s’avérer problématique pour les exilées. En effet si la loi de 1927 ne concerne que les françaises, l’idée d’une autonomie identitaire des femmes perdure et les allemandes semblent être les premières étrangères à être vues comme étrangères avant d’être vues comme des femmes suceptibles de devenir mères et épouses de français. Cela va même plus loin, elles sont considérées comme potentiellement ennemies de la nation française, leur identité d’allemande primant alors sur celle de femme. Se pose dès lors le problème de l’intégration nationale qui semble dangeureuse pour la nation. De fait, à partir de 1937, celles voulant se marier avec un français sont suspectées par l’administration et toute une série de circulaires précise les modalités du mariage avec des ressortissantes du IIIè Reich. Les mariages mixtes de ce type sont soumis au visa du conseil d’Etat. C’est dire l’importance accordée à ces faits qui sont traités comme des affaires d’Etat. L’intégration tant vantée et souhaitée des étrangers, afin de leur faire perdre leur dangerosité d’étranger, semble devenir au contraire un danger plus grand. L’administration tient à garder cette marque d’étrangeté sur l’ensemble des réfugiés d’Allemagne. Paradoxalement, les femmes deviennent plus suspectes que les hommes exilés qui, ne pouvant pas devenir français par le mariage, sont rassurants car ils restent identifiables en tant qu’étrangers.
Il est intéressant de noter, à propos de l’internement, que va se mettre en place une structure identique à celle notée sur le mariage. Le centre d’émigration de Bompard, censé facilité l’émigration vers d’autres pays, ouvre à Marseille en juillet 1940. La majorité des femmes internées ont leur mari aux Milles et se retrouvent dans la situation de gérer les papiers nécessaires à leur émigration commune. Pour ce faire, il leur était possible de se rendre en ville pendant la journée. Cette relative liberté a pour incidence de les rendre suspectes car non identifiables pendant quelques heures. Cette identification semble donc être devenu un problème central pour l’administration dont l’enjeu final est le contrôle. C’est là que la dimension genrée de l’administration ressurgit : en effet, mis à part celles qui ont la chance d’émigrer, les seules qui sortent et qui sont laissées en liberté à Marseille, sont celles qui ont une garantie masculine française de préférence militaire. Comme si une mise sous tutelle masculine reconnue était nécessaire et que, pour les femmes internées n’en possédant pas, l’administration se voit comme leur responsable masculin. A ce titre, il est intéressant de souligner la négation du caractère masculin des maris étrangers. Ce contrôle sur les corps est de fait lié à la sexualité, et il n’est d’ailleurs pas innocent que ces femmes soient suspectées pour beaucoup de prostitution et que des prostituées soient également conduites dans ce centre. L’enjeu de fond semble se jouer autour de la sexualité des femmes étrangères, menaçante pour la nation française, synonyme de désordre et de corruption.
A travers l’exil des allemandes et des autrichiennes, c’est donc effectivement le visage sexué de l’administration qui apparaît. Une administration qui se veut garante d’un certain ordre masculin et où ces étrangères apparaissent comme le plus grand danger. Etrangères qui doivent donc être d’abord clairement identifiées et de préférence porter les stigmates de leur altérité, pour être mieux contrôlées par un protagoniste masculin reconnu, qu’il s’agisse d’un homme ou de l’administration. Dans ce système, le camp apparait alors comme une excellente garantie.

Silvia Salvatici, Université de Teramo (Italie), The English Government and European Women Refugees after World War II [Le gouvernement anglais et les femmes réfugiées après la seconde guerre mondiale]. [Texte]

Recent studies have criticized the preference given to analyses of the refugee phenomenon focusing essentially on the problem of humanitarian disaster, since this eventually devolves into the question of providing assistance, overlooking the original understanding of the necessity to mobilize against the violation of human rights. The refugee problem thus undergoes a process of “depoliticization," i.e., a loss of the collective awareness of the extremely profound political, social and cultural reasons underlying the situation. This approach transforms the refugees - and women refugees in particular - into powerless actors, the inevitable result of temporary crises, people seen as having needs rather than rights.
Restoring sufficient historical depth to the understanding of the refugee problem constitutes a necessary first step in laying bare the loss of political significance and restoring a complexity to the refugee question as it came to be understood in the course of the 20th century, starting with the establishment of a system of nation states, followed by the advent of two world wars and then the process of decolonization. In this sense, the conjunction between historical analysis and a gender-based approach seems especially useful since the emphasis placed by public discourse on the prevalence of women among the refugee population seems intimately connected to the process of "depoliticization" in discourse about refugees. In other words, a strong interaction emerges between the socio-cultural construction of feminine gender and the figure of the refugee insofar as they are considered non-political subjects, needing merely assistance and protection.
On this basis I propose to pursue a specific focus on the millions of women who at the end of World War II populated the numerous refugee camps of Germany, Austria and Italy (countries under Allied occupation), examining three aspects of the situation in particular:
a) the relationship between the international political situation (beginning with the events and outcomes of the global conflict, then followed by the Cold War) and the causes of the most serious refugee crisis experienced in Europe. This relationship also influences the gender component of the refugee populations, which were predominantly masculine when the population consisted primarily of disbanded armies (e.g., the Polish refugee population), but predominantly feminine in situations involving civilians compelled to flee advancing combat fronts (e.g., Baltic communities).
b) the connection between gender identity, national identity and the experience of exodus in the context of post-war Europe, which points to the re-establishment of an order based on nation states and the introduction of an element of destabilization in the enormous mass of refugees. The political strategies undertaken by the authorities to resolve the question of the refugees are different for men and for women, given that they perpetuate the gender imbalances of citizenship which characterize western societies.
c) the way in which international agencies pursued, at first, a program of return and then a program of resettlement (as constrained by the Cold War). The specific implications of gender significantly influenced the development of resettlement programs, which in their first attempts saw the English government take on thousands of women refugees from the Baltic countries as sanatorium attendants («Balt Cygnet Operation», 1946-1947). The British experience of the «Balt Cygnet» serves as a kind of laboratory testing the effects of both the political and the social meaning of resettlement and the idea of integration. It reveals a western Europe dedicated to rebuilding national democracies that receive refugees without recognizing their story or their rights. As the hereby proposed paper intends to point out, this kind of integration coincides with a push towards boundaries determined by the type of employment, by ethnic group but most of all by gender identity.

16 h 15 – 17 h 45 Conclusion

Leslie Page Moch, Michigan State University (USA), « Provinciaux et provinciales à Paris sous la IIIe Republique », [Men and women from the «Provinces» in Paris at the End of the Third Republic »]

• Vers une analyse du genre. [Conclusion] Nancy Green, Ecole des hautes études en sciences sociales, Centre de recherches historiques (Paris, France), Nicole Fouché, Centre national de la recherche scientifique, Centre d’études nord-américaines de l’Ehess (Paris, France), Conclusion du colloque.

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