Histoire/Genre/Migration

Sessions du Mardi 28 mars matin. Amphithéâtre Jules Ferry, École Normale Supérieure, 29 rue d'Ulm, 75 005 Paris

Résumés des communications

 

8 h 30 – 10 h 30 Engagements et mobilisations/Taking sides

Discutante : Caroline Douki, Université Paris-VIII (Paris, France)

• Claudie Lesselier, Responsable du projet « Traces, mémoires et histoire des mouvements de femmes de l’immigration », Aux origines des « mouvements de femmes de l'immigration » en France. [The Creation of Migrant Women’s Movements.in France durign the last third of the XXth century]. [Texte]

Les associations et mouvements de femmes “ de l’immigration ” ont été l’objet de nombreux travaux sociologiques, à partir des années 1990 surtout. Mais la dimension historique est encore peu explorée, alors que c’est à partir du début des années 1970 que des femmes étrangères, immigrées ou exilées, vivant, temporairement ou durablement, en France ont constitué des groupes ou des associations et pris des initiatives collectives.
Ces “mouvements de femmes de l’immigration” présentent l’intérêt de mettre en scène des femmes comme actrices et sujets d’initiatives collectives et d’élaboration de points de vue et de revendications, et de se situer au croisement des dynamiques des mouvements de femmes et de celles des mouvements de l’immigration. Cette relation comporte un apport réciproque mais aussi des conflits, méconnaissances ou marginalisation.
Ils se situent aussi dans un espace entre “là bas” et “ici”, ces groupes et leurs animatrices pouvant être des passeuses d’informations, d’idées et de débats entre pays ou entre continents. C’est dans un double rapport, avec la France et avec le pays “ d’origine ” qu’ils se constituent.
Une démarche historique permet aussi de mettre en lumière les évolutions de ces mouvements. Elles sont à replacer dans le contexte démographique, sociologique et politique (français et international) et dans une interaction avec les autres mouvements sociaux. Elles sont à mettre en relation aussi avec les parcours de leurs militantes et, comme pour tout mouvement social en grande partie informel ou composé de petites structures, il faut suivre les filiations, les réseaux, les disséminations des pratiques, idées et revendications. En outre les représentations qui sont construites de ces femmes et de leurs mouvements sont à prendre en compte.
Cette démarche permet aussi de mettre en évidence la diversité des actrices et de leurs trajectoires (y compris, mais pas seulement, géographiques), la référence à “ l’immigration ” étant en réalité complexe : migrantes ou immigrées (venues en France enfants ou adultes), exilées ou réfugiées, étudiantes étrangères (dont le séjour est parfois temporaire, parfois durable ou définitif), filles de familles immigrées, enfants de couples “ mixtes ”, constituent un milieu militant composite, auquel il faut ajouter souvent des femmes “ françaises ” (ou du moins ne se revendiquant pas elles mêmes dans l’expérience, ou l’héritage récent, de la migration), membres d’associations de solidarité, féministes, travailleuses sociales, qui apportent un appui à ces groupes et à ces initiatives. On peut aussi prendre en compte le rôle de “ personnalités ” (écrivaines, journalistes, artistes…) qui même si elles ne sont pas engagées dans une action militante “ au quotidien ” expriment dans l’espace public et culturel des aspirations et des problématiques qui ne sont pas éloignées de celles portées par les mouvements collectifs et leur font écho.
Je m’efforcerai de traiter ces questions en me centrant sur une dizaine d’années (milieu des années 70 milieu des années 80) qui constituent un tournant bien repéré dans l’étude historique de l’immigration et des mouvements de l’immigration, et sont particulièrement révélatrices pour éclairer les problématiques évoquées ci-dessus.
Les premiers groupes dans les années 70 ont été formés principalement par des étudiantes ou de jeunes intellectuelles, des exilées politiques, des militantes de gauche, inspirées à la fois par l’essor du féminisme, le contexte de contestation en France et sur le plan international et les luttes sociales et politiques concernant leur pays d’origine. Ainsi les “ groupes femmes ” latino-américaines, marocaines, algériennes, la Coordination des femmes noires cherchent à construire une action et une réflexion “ en tant que femmes ”, autonome par rapport aux organisations politiques (ce qui suscite de très vifs débats sur les relations entre “ luttes des femmes ” et “ luttes de classes ” ou “ anti-impérialistes ”) et promouvant une exigence d’émancipation des femmes (contestation du code de statut personnel ou des projets de code de la famille au Maroc ou en Algérie par exemple, de la polygamie ou de l’excision en Afrique subsaharienne). La préoccupation pour la situation des femmes “ immigrées ” est à ce moment-là au second plan, non qu’il n’y ait pas de femmes dans l’immigration économique, mais l’image du “ travailleur immigré ” se décline avant tout au masculin et les femmes restent le plus souvent dans l’ombre.
Au tournant des années 80, un contexte nouveau et l’engagement de nouvelles actrices (en particulier de jeunes femmes de parents immigrés ou venues très jeunes en France) favorisent l’élargissement de ces perspectives, l’essor des groupes et associations de femmes qui se comptent par dizaines au milieu des années 80 (associations maghrébines et africaines subsahariennes surtout mais aussi portugaises et sud-américaines), et une implication bien plus grande des femmes dans les mouvements de l’immigration, que ce soit dans les grands mouvements collectifs (Marche contre le racisme et pour l’égalité…) ou les associations locales. Des femmes s’organisent pour parler de leurs identités multiples, de leur rapport à leur famille, des parcours de leurs parents, mettre sur pied des projets sociaux et culturels, agir avec les femmes et les familles de l’immigration sur le terrain social (aide à l’insertion professionnelle, permanences juridiques, activités avec les enfants…) ou contre les violences faites aux femmes. Certains groupes se constituent face aux enjeux politiques et législatifs de l’heure. Ainsi le Collectif femmes immigrées ou le collectif de femmes maghrébines “ Les Yeux ouverts ” revendiquent la régularisation des femmes sans papiers et le “ statut autonome ” pour les femmes immigrées venant en France par le regroupement familial. Les “ Mères des victimes des crimes racistes ” sont un autre exemple d’implication des femmes. Les organisations de soutien aux immigrés (FASTI, Cimade) appuient la création de groupes ou de commissions femmes immigrées.
À partir de la fin des années 80, les mouvements de femmes de l’immigration se déploient particulièrement sur le terrain de la vie locale et d’une action de proximité sur des thèmes très divers, mais aussi face à de nouveaux défis d’ordre politique ou religieux, français ou internationaux, et dans un cadre en partie normé par les politiques publiques qui attribuent aux femmes un rôle d’ “ intégration ” ou de “ médiation ”. C’est une autre situation qui ne sera pas examinée dans le cadre de cette communication.
Cette communication sera basée sur des entretiens avec des actrices de ces mouvements et des documents d’archives (qui sont, bien entendu, l’objet d’une étude critique en fonction de leur nature et de leur condition de production), principalement des documents produits par ces groupes, complétés par des articles parus dans la presse principalement associative ou spécialisée sur l’immigration. Elle s’inscrit dans un travail plus large, conduit avec le soutien du FADILD et de l’ATF (Association des Tunisiens en France) et nommé “ Traces, mémoires et histoire des mouvements de femmes de l’immigration ”. Ce travail a donné lieu notamment à une exposition “ Trente ans d’histoire des mouvements de femmes de l’immigration ” présentée à Paris et dans d’autres villes depuis mars 2004. Toujours dans ce cadre j’ai rédigé des notices consacrées aux associations et collectifs aujourd’hui disparus (une trentaine pour la seule région parisienne) et à une partie de celles et ceux toujours en activité, qui seront en ligne sur le site dédié à cette recherche, histoire-femmes-immigration.fr, qui ouvrira fin 2005.

Wendy Pojmann, Siena College (USA), « We're right here! » The Invisibility of Migrant Women in European Women's Movements: the Case of Italy . [L’invisibilité des migrantes pour le mouvement féministe. Le cas de l’Italie d’après 1945]. [Texte]

This presentation traces the history of the relationship between migrant women and Italian feminists through an examination of women's associations. Very few studies have attempted to connect the influence of migration to European women's movements or to consider how migrant women have challenged gender theories based on western European models. Using the Italian case as an example, it will be argued that a major failure of European feminism has been that of neglecting to recognize the value of the consistent and growing presence of migrant women. When European feminists began in the 1980s to acknowledge failures in gender theories that did not consider differences of ethnicity, race or class, they sought relationships with women from non-European countries, especially with non-western and third world women. European women traveled around the world and brought guest speakers to them from India, Guatemala, and elsewhere to introduce European feminists to diverse cultures, conceptualizations and activist strategies. Sadly, in most cases, European feminists did not see the non-western women living right beside them and as a consequence did not recognize what could be learned about the impact of globalization on gender from talking to women living in their own nations. The problem of invisibility has contributed to the development over the past 30+ years of distinct organizations for women – those created by natives and those created by migrants. This presentation will trace the separate, parallel development of women's associations in Italy and consider their significance to migration and feminism.
In the 1960s and 1970s when the first immigrant women were arriving in Italy, Italian women had been struggling for women’s emancipation for more than two continuous decades. Italian women were focused especially on equal rights for women before the law and on improving conditions for women as workers and mothers. The 1970s saw particular emphasis on women acquiring power through the financial security of working outside the home, having greater control over childbearing, and increasing their social visibility. In these early years, Italian women benefited from the growing numbers of migrant women by hiring them to perform the domestic duties many Italian women needed to be freed from to enter the workforce. There was little or no discussion of the relationship of migrant women to their Italian employers. Studies of gender that confronted race, ethnicity, religion, or nationality were minimal. Where they did exist, they were often superficial and did not consider the impact of migration to Italy. Meanwhile, migrant women were just beginning to adjust to life in Italy. Taking care of basic needs and finding access to services generally outweighed any consideration of joining the Italian women’s movement. When migrant women did begin to organize, it was nearly always on the basis of national and/or ethnic identities.
By the late 1970s, migrant women’s associations sprang from the informal networks that had guided them in their early years in Italy. Italian institutions, the Church, and NGOs had failed them. Mixed-sex migrant associations did not meet all their gender-based needs. At the same time, another shift was apparent within the Italian women’s movement. Small women’s centers, often called women’s cultural centers, emerged throughout Italy as an alternative to traditional political maneuvering. Political parties had failed them. Large women’s associations could not meet all their issue-based needs. There was little or no interaction between Italian and immigrant women’s associations. The reasons behind their development were similar though. The government, the parties, the Church, mixed-sex immigrant associations and mixed-sex extra-parliamentary groups failed to recognize and incorporate difference. Small structures organized around specific identities presented other options and allowed groups outside the dominant power structure to create their own identity-politics and act as their own agents. It was not until the late 1980s that migrant and Italian women first came together. In these initial meetings, there was clear evidence of a power imbalance. Italian women, now convinced they had achieved key components of liberation, looked at migrant women as gendered bodies in need of assistance and guidance. Migrant women were victims of poverty, war-stricken nations, and backwards gender roles. They needed language classes, job training, health services and freedom from veils, genital mutilation, and pimps. An inability to communicate contributed to the formation of stereotypes and misunderstandings that characterized the early relationships between Italian and migrant women’s groups. However, the women did not back down from the hard work of examining the intersections of race, ethnicity, and class, and by the late 1990s several multicultural groups had projects underway to deal with difference without allowing it to hinder their commitment to striving to eradicate gender oppression.


1) I recognize the problems associated with using terms such as non-western or third world women and will address them in my presentation.

Selected bibliography

Andall, Jacqueline (2000) Gender, Migration and Domestic Service: The Politics of Black Women in Italy, Hampshire: Ashgate Publishing.
Campani, Giovanna (2002) Genere, etnia e classe. Migrazioni al femminile tra esclusione e identita`, Pisa: Edizioni ETS.
Danese, Gaia (1998) “Enjeux et limites du mouvement associatif immigré en Italie,” Migrations Societe’ 55, pp. 67-74.
Kofman, Eleonore (1999) “Female ‘Birds of Passage’ a Decade Later: Gender and Immigration in the European Union,” International Migration Review 33, no. 2 (Summer), pp. 269-287.
Lenz, Ilse and Helen Schwenken (2003) "Feminist and Migrant Networking in a Globalizing World - Migration, Gender and Globalisation," In Crossing Borders and Shifting Boundaries. Gender on the Move, Opladen : Leske & Budrich, pp. 147-178.
Schwenken, Helen (2003) “RESPECT for All: The Political Self-Organization of Female Migrant Domestic Workers in the European Union.”
Tarrow, Sidney (1995) “The Europeanisation of Conflict: Reflections from a Social Movement Perspective,” West European Politics 18, n. 2 (April), pp. 223-251.


Marcella Bencivenni, City University of New York, Hostos Community College (USA), The Voices of Italian Immigrant Radical Women in the United States, 1890-1930 [Des voix radicales. Militantes italiennes aux Etats-Unis durant la première moitiée du XXe siècle]. [Texte]

This paper rediscovers the “lost” texts of first-generation Italian immigrant women who became involved in the radical movement in the United States during the early twentieth century. Very little has been published on Italian immigrant women’s radical activities, practically nothing on their contributions to radical literature and arts. Luckily, scholars have begun to uncover some of the stories of Italian women’s immigrant radicalism, but stereotypical images of Italian immigrant women as “amoral familists” incapable of collective action continue to persist. (1) Even within radical histories, women are typically relegated to minor roles, appearing as marginal actors or mere supporters of men’s activities.
Yet, contrary to popular perception, Italian women constituted a critical component of the American working class of the early twentieth century, playing an important role in all major strikes of the time – notably the Lawrence textile strikes of 1912 and 1919, the Paterson silk strike of 1913, and the New York City longshoremen’s strikes of 1907 and 1919. They also made important contributions to American labour unions, especially the revolutionary Industrial Workers of the World and the garment and needle-trades labour unions. But above all, they were active in their neighbourhoods on a local level, as fundraisers for solidarity campaigns, as community organizers, and as educators. In some cases, they even organized their own radical groups in which they discussed not only political ideologies but also feminism, calling into question power and authority within the larger society as well as within their families and communities.
This paper will relate the stories of several exceptional Italian immigrant women in the United States who, far from being invisible, apathetic, or apolitical, fought actively, both within and outside organized social movements, to bring forth social change and equality. For this presentation, I have chosen to focus on those radical women who used writing as a powerful tool of propaganda and education. Socialist Bellama Forzato Spezia and anarchist Virgilia D’Andrea are probably the best examples of these extraordinary women. In addition to being active politically, they composed poetry, gave lectures, and wrote articles for labor and radical newspapers, in which they denounced women’s double oppression – by capitalism and by men.
The recovery of these narratives is essential to a better understanding of migrants’ political, social, and cultural experiences. These forgotten stories and texts allow us to challenge gendered stereotypes of Italian immigrant women as blank sheets or mere supporters of radical men, and explore the different ways they participated in radical movements to bring about a better society. Finally, the experiences of Italian immigrant radical women reveal the complex interconnections between ethnicity, gender, class, and radical activism, showing that the desire to overcome gender oppression proved in some cases more important than the gender limitations imposed by ethnic identity.
(1) See for example the work of Donna Gabaccia, Jennifer Guglielmo, Colomba Furio, Vincenza Scarpaci, and Elizabeth Ewen.

Despina Papadopoulou, Université d’Athènes, Laboratoire de l’étude de la migration et de la diaspora (Grèce), Les femmes grecques à Paris à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Rapports de genre et engagement dans la vie publique [Greek women in Belle Epoque Paris. Gender and Social Life]. [Texte]

Notre intervention se propose d’examiner l’expérience migrante des femmes grecques et les rapports du genre à Paris pendant la seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècle. Notre intérêt porte sur le rôle des femmes dans une communauté à dominante masculine (par ailleurs peu nombreuse), qu’il s’agisse des femmes qui font partie de ladite élite de cette première communauté grecque de Paris ou bien de celles qui proviennent d’autres couches sociales. Dans cette problématique, nous examinons le fonctionnement, en rapport avec les femmes, de deux pratiques sociales, l’intermariage et la philanthropie, qui nous aident à repérer les chemins communs et divergents des divers groupes de femmes grecques à Paris.

Afin d’esquisser le profil des femmes grecques qui viennent s’établir à Paris durant la seconde moitié du XIXe siècle, nous avons eu recours à deux catégories de sources : les statistiques basées sur les dénombrements de la Statistique générale de la France, et les registres paroissiaux de l’église orthodoxe grecque de Saint-Stéphane à Paris. Les résultats statistiques des dénombrements témoignent d’une augmentation progressive du nombre des femmes grecques en France. Malgré cette augmentation, nous constatons un déséquilibre : le nombre des hommes est presque le double de celui des femmes jusqu’en 1891, quand la différence devient beaucoup plus grande encore.
Si nous considérons la répartition par âge des femmes grecques à Paris en 1901, nous trouvons les plus grands effectifs dans les tranches d’âge de 20 à 39 ans. En 1911 nous rencontrons un grand pourcentage chez les femmes âgées de 20 à 34 ans et des effectifs importants pour les catégories de 40 à 54 ans. Dans leur majorité, les femmes sont jeunes. Cependant, ce que nous constatons pour le dénombrement de 1901 par rapport à celui de 1911, c’est que le nombre des femmes plus âgées devient plus important, avec une augmentation significative dans le groupe de 50 à 54 ans. Sans doute, il s’agit là d’un indice d’une installation plus permanente des immigrées arrivées à la fin du XIXe siècle.
Notons par ailleurs que l’endogamie dans la colonie des Grecs de Paris, notamment en ce qui concerne les femmes, reste plus forte par rapport aux autres nationalités méditerranéennes (Italiennes, Espagnoles) présentes en France, pour lesquelles nous disposons d’éléments pendant la même période.
Pour ce qui est de l’âge moyen du premier mariage, il s’élève à 23 ans et 5 mois et il bien inférieur à l’âge moyen des hommes grecs de Paris ; ceci peut s’expliquer par l’expansion du modèle du mariage précoce pour les femmes qu’on rencontre également dans d’autres colonies grecques de l’époque en Europe.
Le nombre des femmes grecques qui obtient la naturalisation française est, comme on pouvait s’y attendre, très limité, en valeur absolue et en comparaison des hommes grecs. Notre répertoire comprend toutes les naturalisations accordées aux Grec(ques) pour une période qui s’étend à peu près en un siècle, de 1831 à 1918.
La statistique sur les origines régionales des Grecques à destination de la France, dressée sur la base des registres paroissiaux de Saint-Stéphane, l’église orthodoxe grecque de Paris, rend immédiatement perceptible la dispersion géographique des lieux d’origine des immigrées. Des dizaines de Grecques originaires surtout de l’Asie Mineure, de Constantinople, du Péloponnèse, d’Athènes et des îles Ioniennes, mais aussi certaines en provenance des Cyclades, de Crète, de Macédoine, de Thrace et même du Dodécanèse prennent le chemin de la France pendant la seconde moitié du XIXe et au début du XXe siècle.
Il est important de signaler l’absence, au moins déclarée, d’occupation professionnelle chez les femmes, en contraste avec les hommes de la communauté. C’est une remarque généralement valable à peu d’exceptions près : dans les livres de mariages, de baptêmes et de décès de l’église orthodoxe grecque nous n’avons dépouillé que cinq femmes exerçant une activité professionnelle ; il s’agit de trois domestiques et de deux couturières. Il paraît que dans la plupart des cas nous avons affaire à une immigration de familles où la femme reste en général au foyer. Si l’on voulait retracer à grands traits le groupe des femmes grecques de Paris, selon des éléments démographiques et sociaux, on dirait qu’elles viennent en France jeunes, de plus en plus nombreuses, attirées par un mari.
Voyons maintenant une distinction que nous avons remarquée au sein de ce groupe des femmes. Pour les femmes qui font partie de l’élite de la colonie, notamment membres de familles des négociants Grecs, le domaine du travail reste, tout comme pour les autres femmes grecques de la communauté, un champ privilégié des hommes. Ce n’est pourtant pas le cas de l’accès à l’éducation. Il est caractéristique qu’elles sont envoyées aux pensions des jeunes filles françaises « pour obtenir, outre l’accent, les bonnes manières françaises ».
De plus, certaines de ces femmes sont engagées dans une activité de philanthropie et de mécénat. Nous les rencontrons parmi les membres de la Société Hellénique de bienfaisance, créée en 1899 autour de l’église orthodoxe grecque de Paris. Quelques-unes de ces femmes participent aussi au financement des revues grecques publiées à Paris pendant la même période. A travers leurs activités et leur financement les femmes de l’élite grecque assument un rôle assez important et très en vue au sein de la communauté grecque.
Les mariages parmi les membres de l’élite grecque de Paris témoignent d’une vieille tradition d’intermariage. Ces alliances matrimoniales permettent aux membres de ces familles de consolider leur appartenance à l’élite sociale. Dans la même période, le choix restreint du futur mari est aussi constaté dans un groupe d’artisans grecs, présents à Paris à partir de la fin du XIXe siècle : il s’agit des fourreurs originaires de la ville de Castoria en Macédoine. Dans les deux cas, malgré les différences apparentes, c’est la cohésion à l’intérieur de chaque groupe qui prévaut.

10 h 45 – 12 h 45 Politiques du genre et politiques migratoires/ The Politics of Gender and Migration

Discutante : Manuela Martini, Université Paris VII (Paris, France)

Emmanuel Blanchard, CNRS-ministère de la Justice, Centre d’études sociologiques du droit et des institutions pénales (Paris), Police des mœurs, identités de genre et construction de l'altérité : les migrants algériens au regard des policiers parisiens (1944-1962), [Police, Gender and Building Otherness. Algerians Migrants and the Paris Police (1944-1962)].

Les institutions étatiques contribuent à la construction des rapports de genre et leurs agents ont des pratiques professionnelles qui s’inscrivent doublement dans la perpétuation d’identités sexuées. Dans le cas de la police, une définition de la masculinité est ainsi au cœur de l’identité professionnelle des agents de la force publique tandis que les « clientèles » policières sont très souvent perçues au travers de leur distance par rapport à une définition idéalisée des rôles masculins ou féminins. Dans le cadre de cette présentation, nous voudrions ainsi contribuer à une étude des relations entre la police parisienne et l’immigration algérienne qui mette l’accent sur l’importance de représentations et pratiques professionnelles qui tirent leurs origines dans des constructions et perceptions identitaires ayant le genre pour fondement. Plus précisément, ce travail ayant pour origine la recherche des conditions de possibilité d’une violence policière extrême à l’encontre d’une population en ayant été la cible principale, il s’agira de voir comment, dans un contexte de domination coloniale, la stigmatisation de pratiques sexuelles supposées et la dépréciation d’une masculinité non conforme aux canons policiers en la matière contribuent à construire une altérité essentialisée

Linda Guerry, Université d’Avignon, Laboratoire d’histoire : territoires, pouvoirs, identités (France), Le genre de la naturalisation : l'exemple des Bouches-du-Rhône (1918-1939) [Gender and Naturalisation in the Bouche-du-Rhône (France) Between the Two World Wars]. [Texte]

Le projet de thèse présenté lors de cette conférence envisage l’histoire de l’immigration par le prisme du genre, c’est-à-dire la différence socialement construite des sexes. Cette recherche portera sur la région de Marseille entre 1918 et 1939. Le département des Bouches-du-Rhône est un de ceux qui comptent le plus d’étrangers dans la France de l’entre-deux-guerres et la proportion de femmes y est remarquable : près de la moitié de la population étrangère pour les nationalités les plus représentées (Italiens et Espagnols). Ce projet se décline en trois principaux axes de recherches :

-Un discours « genré » de l’immigration

Les représentations d’un féminin et d’un masculin « en immigration » conduisent à s’interroger sur la production sociale des représentations, leurs usages et leurs effets. La période de l’entre-deux-guerres et ses enjeux démographiques et économiques s’avère être intéressante quant au discours « genré » de l’immigration (chez les géographes, les juristes, les démographes, les journalistes…).

-Femmes et hommes en immigration

Ce deuxième axe de recherche s’attèle à réfléchir au genre du phénomène migratoire. En quoi les motifs de départ des hommes et des femmes diffèrent-ils? Existe-t-il une chronologie différente des migrations masculines et féminines? Quels sont les processus à l’œuvre concernant la catégorisation de la main-d’œuvre et l’intégration au marché du travail des hommes et des femmes étrangers ?

-Le genre de la naturalisation

Le genre des individus joue-t-il un rôle déterminant dans l’acquisition de la nationalité française ? C’est à partir de dossiers de demandes de naturalisation que je propose une analyse comparative des critères d’acceptations, d’ajournements et de refus de la naturalisation pour les hommes et les femmes. Le cas de la naturalisation par mariage à partir du décret-loi du 12 novembre 1938 qui concerne uniquement les femmes de nationalité étrangère sera également étudié.

Amelia Lyons, University of Illinois, Department of History (USA), Gender and Decolonization : The Politics of Welfare and Algerian Immigration in France, [État social et migrants algiériens dans la France d’après 1945].

As anyone familiar with immigration studies in France knows, there has been a surge in interest in the history of this previously non-existent topic of research in the past thirty years. Yet, until recently—this conference being a terrific sign that things are beginning to change—there has been little interest in the history of women, gender, and family settlement in France, especially where non-European migration is concerned. This has been the case for several reasons. First, the traditional historiography has been dominated by the notion that the French need for (male) labor during the trentes glorieuses explained all immigration patterns and polices. While it is certainly true that the Cold War economic boom depended, in large measure, on migrant labor, the methodologies employed by most scholars have obscured both the origins of family settlement and the messy process of decolonization. In addition, a small but growing number of scholars have begun to examine the experiences of female immigrants in France. Yet, they have generally looked at the most contemporary period and often closely examine the lived experience of a limited number of women. This type of research is certainly invaluable and furthers our understanding of immigrants’ everyday experiences. Unfortunately, it usually does not help to place how the French state has approached immigrant communities into the broader historical context.
By using gender as a category of historical analysis, as Joan Scott famously pointed out in the 1980s, my work seeks to highlight the complex policies and attitudes put forth by the part of the French welfare state that concerned itself with the small population of Algerian immigrant families in France during the era of decolonization. In this paper, I will examine the origins of three important social welfare institutions in order to examine (1) how Algerian families began to settle in France at the height of the Algerian War of Independence and (2) how the French government attempted to cope with the possibility that it could lose control of this most prized imperial possession.

The Service Social Familial Nord Africain (SSFNA, now L’ASSFAM), a private association born of the social Catholic tradition, the Société nationale d'économie mixte pour la construction de logements destinés aux français musulmans originaires d'Algérie et à leurs familles (SONACOTRAL, now SONACOTRA), a housing company jointly owned by private and public interests, and the Fonds d’Action Sociale (FAS), which oversaw funding for services provided to Algerians in France, together provide an overview of the kinds of services and bureaucratic procedures that were slowly put into place from the early 1950s until Algerian independence in 1962. SSFNA, which began serving Algerian families in Paris in 1950, had about a dozen offices in France a decade later. It provided a range of educational and material aid directly to women and helped them navigate the larger welfare system to obtain services for which they were eligible as citizens. The SONACOTRAL, established in 1956, is certainly better known for the housing it provided to male workers. Upon closer inspection, however, it becomes clear that the SONCACOTRAL’s housing policies were inflected with particular gendered assumptions. It provided segregated, dormitory services for men and established several filial public housing companies, known in French as HLMs, whose mission was to provide permanent homes to Algerian families that integrated them into the general population. The FAS, established by the Fifth Republic, was charged with streamlining services and determining which private and public organizations would receive subsidies. Control of the purse allowed the FAS to influence approximately 150 agencies’ agendas. In the final three years of the war, fifty percent of its resources targeted women and families—a group that represented only about twenty percent of the entire Algerian population in France.
Briefly examining how these institutions functioned, interacted with one another, and developed as the war in Algeria intensified, paints a picture that has been largely invisible in previous studies of this era. It highlights the fact that all levels of the welfare system accepted Algerian family settlement as the future of Algerian immigration in France. In addition to believing that this small portion of the population would continue to grow steadily, both direct service providers and high level policymakers emphasized the family’s ability to temper or even dismantle the seemingly out of control nationalist movement. As Franz Fanon argued in his now classic essay “Algeria Unveiled,” the colonizer understood the importance of conquering the woman, which he summed up in the “well known formula, ‘Let’s win over the women and the rest will follow.’” Those who set metropolitan social welfare policy, many of whom had worked in the colonies at one time, learned this lesson as well. Teaching Algerian women how to behave like proper French housewives, constructing apartments in which Algerian families could live among the general population, and helping them access Family Allocations and other benefits, would turn the tied of nationalism. Away from the radicalizing forces in the dormitories, men who lived in nuclear families, it was argued, would prefer the domestic bliss constructed by their wives and become reluctant to risk the material rewards of consumer society for the cause of FLN. Moreover, while these institutions remained separate from the increasingly aggressive surveillance of Algerians in France, they certainly provided access to the intimate family space, where undesirable activities could be monitored and curtailed. In addition, if women could internalize French, ‘universal’ values, they could help to convert future generations to the French way of life. Whether those working with the Algerian population believed Algerians really could become ‘French like any others’ or not, they certainly intended to prove that Algerians’ could integrate into French society—maybe as a final effort to save the crumbling empire.
Finally, I think the history of social welfare for Algerians is vital because so many researchers working in related fields do not know that these institutions, which remain the backbone of services for all immigrants in France to this day, were molded during the era of decolonization. They bare the scares of an era wrought with instability apparent in the competing ideologies of the older civilizing mission, in the brutal surveillance associated with the military in Algeria, and in the apathy that plagued a nation tired of war.

Jacqueline Berman, Berkeley Policy Associates (USA), Trafficking in the Illicit: From Trafficking in East and Central European Women to the Biopolitical Management of Migration [Trafics illicites. De la traite des femmes est européeennes à la gestion biopolitique des migrations].

Despite a surfeit of such stories in the western media, they continue to appear: horrific and prurient accounts of Elena, “just one of thousands of eastern European girls smuggled into the West every year - most of them sold as sex slaves” or Majlinda “just 13 when she was snatched from her Albanian village and sold into the sex industry.” (1) These two articles echo the dominant tropes of these tales published and re-republished since the early 1990s: extreme youth (13 and 15 year olds); utter innocence (“grabbed . . . bundled her into a car, blindfolded, bound and gagged”); prodigious numbers (“600,000 and 800,000” people trafficked each year); violence and exploitation (repeated rape, beatings and threats of murder); “white” girls (from Lithuania, Albania, Moldova, Ukraine); dark menacing ‘eastern’ criminals (“a dark, thick-set man” who “bought” one young woman; Albanian gangsters who sold the other); extreme exploitation (forced to work from 8pm until 5am each night with some 20 different clients, all earnings taken away); and illicit border crossings (from Albania to Greece, to Italy, to the Netherlands; from Moldova to Britain). The prevalence and recurrence of these tales for over a decade suggest that while they have raised public awareness about the very real and brutal practice of human trafficking, they also echo something more than a set of dominant tropes.

I have argued elsewhere that the current panic surrounding ‘sex-trafficking’ follows from the construction of the issue around a) eroticized tales of criminal sexual slavery and a ‘white slave trade;’ b) a putative ‘whiteness’ attributed to EEC ‘victims’ juxtaposed against ‘dark’ depraved underworld criminal traffickers in a ‘racialized economy of sex’; c) the involvement of some of these women in the sex – as opposed to some other service – industry, generating enormous revenues for organized crime; d) fear of the challenge inherent in women’s attempts to harness ‘illicit’ sexuality and movement away from ‘home’ and across borders (2) to generate capital (in a conflation of prostitution and trafficking (3)); and e) their contradictory status as ‘illegals’ who have violated state sovereignty and ‘victims’ of a crime

This article will suggest that the alarm over trafficking in innocent east European girls refers to a larger phantasmatic anxiety about being overrun by dark, menacing, foreign criminals that threaten “our” families, homes, indeed, way of life – a fear closely aligned with anti-immigrant sentiments. Many Europeans, for example, feared that the May 2004 EU accession of ten mainly eastern states (EECs) would “allow the mafias of central and eastern Europe to tighten their grip on organised crime across the continent” even as they acknowledge “that crime rarely waits for borders to open.” (4) Indeed, it would appear that trafficking in women elicits fears of immigration tied to criminality that occupy western imaginations as much as any concern over the fate of trafficked persons themselves. This is not to say that trafficking in women is not a real and unconscionable phenomenon, one that has had a particular impact on EEC women. Indeed, one report to the Council of Europe’s Parliamentary Assembly suggests that 78% of women victims of trafficking in the EU are from central or eastern Europe. (5) This article seeks only to suggest that existing constructions and understandings of this problem have severely delimited how to imagine a meaningful response to it.

In legislation and policy however, a separate debate over/conflation of prostitution and consent in relation to trafficking – compounded by anti-immigrant sentiments and increasingly restrictive EU member state immigration policies that encourage the creation of trafficking channels (6) – has occluded the complexity of and ceded legal ground to a crime control approach to fighting trafficking. Most EU member states, the US and international treaties have focused on the criminalization of human trafficking in order to combat. In practice, however, this approach has done relatively little to end trafficking or to assist trafficked women themselves. (7) Given this lack of impact, this article will focus on the role of the ‘illicit’ border crossing highly constitutive of human trafficking and consider migration as an alternative frame of migration in which to come to terms with trafficking in women from ECE. It will examine the notion of the ‘migration project’ or attempts by women to harness trafficking networks in order to move and work (often in the sex industry) abroad in pursuit of some individual proposition they have set for themselves. Where global border crossings are understood as constitutive of trafficking as crime, trafficking in women becomes as much an immigration issue as a matter of exploitation, slavery and criminality. (8) A migration frame presents a more integrated approach, one that has already had, in some cases, a positive impact on combating trafficking, especially in the case of Article 18 of the 1998 Italian Law 40. Indeed, much of the International Organization for Migration (IOM) notion of “migration management” occasions a more subtle understanding of the phenomenon of trafficking in EEC women.
There remain, however, some important caveats surrounding a migration approach to trafficking in women, especially in relation to current migration regimes like IOM’s migration management scheme. In practice, it appears the what might be termed the biopolitical management of movement – illicit and otherwise – inform even the IOM’s (and others) calls for more progressive migration policy. As such, this paper will also interrogate the effects of IOM’s migration management regime in order to locate a more nuanced migration frame, one that integrates the role of gender, ethnicity, and movement, and that might better address women’s situations as they travel and work abroad. Ultimately, this article seeks to move toward an integrated, global approach to human trafficking, one that can both prevent criminal activity (and thus decrease exploitation) and can facilitate women’s movement across borders in pursuit of their own, self-devised departures.


(1) Bunyan, N. (2005) “I've run out of tears, says girl sold around Britain as a sex slave at the age of 15.” The Daily Telegraph, 9 May 2005; Vulliamy, E. (2004) “Majlinda was just 13 when she was snatched from her Albanian village and sold into the sex industry.” The Observer Magazine, 3 October 2004.
(2) Ann McClintock argues that in western culture, women serve as threshold and boundary markers especially between public and private life (1995). I argue that it is, in part, their rejection of this position inherent in their ‘illicit’ movement across sovereign and ‘moral’ borders that renders migrant sex workers’ movement so threatening.
(3) The ways in which trafficking and prostitution have been conflated in debates over trafficking in women is an enormous topic; for some discussion of how complex and problematic this conflation is see, for example, Kempadoo 1998; Sullivan 2003; Berman 2003; Andrijasevic 2003.
(4) Minder, R. (2004) “Accession countries may bear brunt of organized crime in enlarged EU.” Financial Times, 16 April 2004.
(5) Council of Europe (2005) “Slaves at the heart of Europe.” Accessed 3 Sept. 2005 at http://www.coe.int/T/E/Com/Files/Themes/trafficking/.
(6) Council of Europe (2005) “Slaves at the heart of Europe.” Accessed 3 Sept. 2005 at http://www.coe.int/T/E/Com/Files/Themes/trafficking/.
(7) The notion that current legislation has done little to redress trafficking in women from ECE comes from various trafficking experts including Madeleine Rees of OHCHR, Stana Buchowska of La Strada, and Barabara Limanowska of UNICEF/OSCE in conversation with the author.
(8) Again, this is not, in any way, to dismiss the fact that there is a tremendous amount of exploitation and violence involved in trafficking in women. Of course there is and there needs to be substantial work to fight the victimization of women that does take place. My goals is to understand the specific phenomenon of trafficking in women from EEC, where many educated women utilize traffickers to move in ways they otherwise cannot for reasons more complex than having been tricked and forced into it.

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