La Cybergéographie |
Essai bibliographique |
LA CYBERGÉOGRAPHIE
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Thématiques et orientations cybergéographiques
Cette approche géographique des réseaux
globaux nous permet dévaluer en termes dinfrastructure
la « fracture numérique » qui existe entre différents
pays et régions. Car le dispositif est inégalement réparti
à travers les territoires ; parfois des aspects géographiques
ou techniques empêchent la mise en place de services haut débit
adéquats (Grubesic & Murray [114]).
Au niveau international, Kenneth Cukier [112]
a étudié la manière dont laméricano-centrisme
de lInternet a freiné le développement du commerce
électronique en dehors des Etats-Unis. En termes daccès
et dinfrastructure, lécart entre pays développés
et pays sous-développés est sans doute le plus criant (voir,
par exemple, les cartes et les données fournies par Mike Jensen
sur la connectivité en Afrique [75-76]). A côté des représentations
géospatiales, il est également possible de représenter
la spatialité « interne » du système
cest-à-dire la topologie des réseaux. Cette question
est riche denjeux, notamment du point de vue de loptimisation
de lInternet. Il existe de nombreuses interventions dans ce domaine,
y compris des réflexions théoriques sur les « lois
» déterminant la topologie et le développement du
Net (par exemple, le fameux article des « trois Faloutsos »
[64]). De nombreuses cartes ont
également été réalisées pour tenter
de présenter la topologie globale de lInternet. Etant donné
limmensité et la complexité de linter-réseau,
en général ces cartes ne se présentent pas sous une
forme géospatiale bien quelles puissent intégrer
des données géographiques. On peut citer à titre
dexemple les très belles cartes réalisées par
Cheswick et Burch [56] ou encore
celles commercialisées par Peacock Maps [96].
Une des grandes difficultés posées
par lInternet est la localisation géographique des données
et des hôtes. Doù lintérêt des tentatives
de cartographier les adresses IP et les noms de domaine. Matthew Zook
a fait dimportantes contributions dans ce domaine, à travers
ses cartes et statistiques représentant la répartition des
gTLDs (generic Top Level Domains) et des ccTLDs (country code Top Level
Domains) dans différentes régions et zones urbaines [109,
110]. Dun point de vue «
géomarketing », ou tout simplement pour produire à
la volée des contenus adaptés, il est utile de connaître
lorigine géographique des adresses IP. Plusieurs sociétés
proposent donc des solutions permettant de localiser les visiteurs dun
site et de connaître dautres détails géographiques,
sociaux ou culturels pertinents (notamment NetGeo [87,
88] et Quova [97]).
Les travaux réunis par Sarikaya [99]
traitent de la localisation des appareils mobiles dans lInternet
sans fil. En passant de la topologie physique et du nommage au transport des données, on entre dans le domaine des flux, du trafic. Le « routage » des paquets de données est une des fonctions essentielles de lInternet, donc on conçoit bien quà limage du réseau routier il puisse exister des phénomènes dencombrement, dembouteillage, de routes qui deviennent impraticables. Il est donc tout à fait intéressant et nécessaire de mesurer et de cartographier les flux et les routes. De nombreux travaux scientifiques traitent de la modélisation et des mesures du trafic sur lInternet (Barthélémy et. al. [51], Braun & Claffy [55], H.-K. Choi [57], Claffy [59]) ou plus généralement des dynamiques du réseau (Paxson [95]). Dautres chercheurs ont travaillé sur la visualisation du trafic (Lamm et al. [80]), ou sur lanalyse de sa répartition globale (J. Choi [58]). Eric Guichard [70] a produit des cartes animées des flux sur le réseau RENATER, qui permettent détudier les dynamiques des échanges et les partenaires privilégiés au niveau de lInternet public français. Enfin, l« Internet Traffic Report » [92] et l« Internet Weather Report » [81] proposent des données et des cartes permettant détudier les performances des réseaux (latence [latency] et perte de paquets [packet loss]) dans différentes régions (les données proviennent notamment du loutil ping). Le taux de perte des paquets est un indicateur de la fiabilité des réseaux, et on peut souvent constater que les pays ou régions sous-développés ont un niveau relativement plus élevé de paquets perdus. En ce qui concerne le routage, le logiciel VisualRoute [107] permet de visualiser sur une carte géographique le parcours des paquets de données, et les résultats sont parfois surprenants : le chemin le plus « court » nest pas nécessairement celui qui représente la distance géographique la plus faible. Néanmoins, il y aurait un intérêt à doter lInternet dune plus grande « intelligence » géographique en ce qui concerne le routage et ladressage (Navas & Imielinski [85], Francis [65], Ye [108], Navas [84]). En passant du niveau des données à celui de linformation, on entre dans le monde fantasmatique du cyberespace. Nous ne pourrons pas examiner ici les aspects épistémologiques et ontologiques du cyberespace (voir Benedikt [123]), questions qui sont dailleurs essentielles et encore très débattues. Nous nous contenterons daffirmer le bien-fondé dune approche « géographique » (mais pas nécessairement géospatiale) du cyberespace. On constate très vite que ce monde « virtuel » est saturé de métaphores spatiales ; vraisemblablement, la cognition du cyberespace emprunte à lexpérience du géoespace. On peut imaginer différentes géographies du cyberespace, à limage des différents espaces virtuels. Il existe une géographie « conceptuelle » du cyberespace, qui tente de déterminer les caractéristiques ontologiques et cognitifs des spatialités virtuelles (Casalegno [127], Giese [128], Mihalache [135], Portelance [139], Welty [142]). Il existe une géographie sociale et culturelle du cyberespace, traitant par exemple des interactions en ligne et dans des mondes virtuelles (Bevan [124], Schroeder et al. [141]), des relations de pouvoir et des formes de colonialisme (Bills [125]), des identités (Roberts & Parks [140]), et de la place des différents groupes sociaux (par exemple, les femmes : Blair & Takayoshi [126], Light [134], Pomeroy [138]). Avec lavènement du Web, on voit le développement dun nouveau champ détudes : la géographie « hypertextuelle ». Il sagit, dune part, de lanalyse des principes et des caractéristiques topologiques de linterconnexion sur le Web, et dautre part dune tentative de « cartographier » linformation ou den faciliter la cognition en mobilisant des métaphores spatiales. Certains diront, sans doute, que cela na rien à voir avec la géographie. Mais on ne peut tout de même pas nier la fécondité des métaphores géographiques et spatiales dans ce domaine. De plus, il ne faut pas oublier que parfois les techniques de visualisation sont issues directement de celles développées dans le contexte des Systèmes dInformation Géographique. Au niveau hypertextuel donc, il sagit de mesurer le dynamisme du Web (Brewington & Cybenko [150]), son « diamètre » (Albert et al. [145]), et surtout la structure générale des hyperliens car ces renseignements devraient nous aider à construire des agents et des moteurs de recherche plus efficaces. Cest également en analysant la structure des liens quon pourra déterminer les sites les plus « visibles » (ceux vers lesquels le plus grand nombre de sites pointent) et les sites les plus « lumineux » (ceux qui pointent vers le plus grand nombre de sites extérieurs) nous empruntons cette terminologie à Tim Bray [149]. Lapproche la plus fructueuse est celle qui considère le Web comme un graphe, et qui sappuie sur dénormes « crawls » dont les résultats sont traités par des logiciels comme le Connectivity Server développé au Compaq Systems Research Center (Bharat et al. [147]). Les résultats varient considérablement selon les présupposés théoriques et méthodologiques : on peut notamment citer le débat entre Albert et al. [145], qui proposent que la distance maximale entre deux pages sur le Web est en général de 19 hyperliens, et léquipe de Broder et al. [151] dont la fameuse « théorie du nud papillon » (Bow Tie Theory) affirme que le Web est nettement moins interconnecté et que certaines zones importantes sont totalement inaccessibles à partir dautres zones importantes. Du point de vue des contenus, des métaphores
spatiales ont été employées afin de visualiser les
espaces informationnels, en partant du principe que la familiarité
cognitive de linterface devrait aider lutilisateur à
sorienter à lintérieur des grands ensembles
de données. Il existe donc de nombreux projets pour développer
des outils de ce genre, dont notamment des solutions qui sappuient
sur une métaphore urbaine (Dieberger & Frank [168],
Sparacino et al. [176]). Dautres
solutions pour « cartographier » linformation utilisent
ou développent la carte auto-organisatrice (Self-Organizing Map)
de T. Kohonen (par exemple, Yang et al. [180]).
Sur le Web, le métamoteur de recherche KartOO [166]
propose une représentation « cartographique » des résultats. Au fil les débats autour de la visualisation
et la spatialisation de linformation, on retrouve souvent
dans le contexte américain surtout des problématiques
daccessibilité, à limage des préoccupations
dun urbanisme qui tente de rendre les espaces publics accessibles
à tous (handicapés, personnes âgées, etc.).
Il faut dailleurs tenter de penser les rapports entre espaces «
réels » et espaces « virtuels », ou plus généralement,
entre société et technologie. On pourrait donc imaginer
une géographie des « interfaces » non pas au
sens de linteraction homme-machine, mais plutôt au sens de
linteraction entre espaces sociaux incorporés et espaces
sociaux désincarnés. La rapidité et la portée
internationale des réseaux informatiques de communication rend
possible la formation de véritables « communautés
virtuelles » à une échelle globale. On pourrait par
exemple évoquer le cas des cryptarchies et des micronations, territoires
« glocaux » virtuels mais non moins réels car concrétisés
à travers les pratiques dun ensemble dindividus souvent
très dispersés (Fumey [193],
Lasserre [202]). Mais les réseaux
ont également des incidences sur les communautés locales
qui se virtualisent, et en sextériorisant, sengagent
dans un double mouvement de globalisation et de relocalisation ou reterritorialisation.
On peut donc sinterroger sur les dynamiques introduites en milieu
urbain (Ishida & Ibister [201],
Chevalier [189], Lestrade [204],
Moss & Townsend [211], Sternberg
& Krymalowsky [218], Townsend
[220-221]), en milieu rural
(Gillon & Caro [195], Moriset
[210]) ou au niveau des régions
et des pays (Laude-Tillerot [203],
Miller & Slater [207]).
LInternet joue un rôle de plus en plus important dans la construction
didentités communautaires et il est intéressant dexaminer
les représentations des localités sur le Web (Vidal [223],
Moriset [209], Alderman &
Good [182]). Ou encore la projection
du Web sur les localités : citons létrange cas de
la petite commune néo-zélandaise de Pokeno, qui sest
rebaptisé JenniferAnn.com pour une période dun an,
suite à un accord passé avec une jeune entrepreneuse propriétaire
dun site Web qui commercialisait des sous-vêtements féminins
(Bell & Lyall [184]). Nous terminerons donc en évoquant laspect commercial de lInternet. Car le Net et le Web comportent des enjeux économiques majeurs, et il existe une activité de recherche autour de la géographie économique des réseaux de communication. Parmi les orientations thématiques centrales, on peut notamment identifier létude des changements profonds que subissent les modes dorganisation commerciale et spatiale dans la Net-économie (Li et al. [241], Fields [232], Hesse [237], Wilson [251], Wrigley et al. [254]). Un autre axe majeur concerne la localisation de lindustrie Internet et les phénomènes de concentration géographique (Gorman [234], Han [236], Kolko [239], Malecki [244], Pratt [247], Zook [257-261], Winther [253]); dans cette catégorie certains travaux traitent également de la géographie de linnovation (Feldman [231]). Enfin, il existe des travaux qui traitent des représentations et des discours géographiques déployés sur les sites commerciaux (Pritchard [248], Skadberg [249]).
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David
HORN © 2003
Page créée le 8 octobre 2003 |