La Cybergéographie

Essai bibliographique

 

RÉSUMÉS

LA CYBERGÉOGRAPHIE

  1. Introduction
  2. La cybergéographie et son contexte
  3. Thématiques et orientations
  4. Conclusion

BIBLIOGRAPHIE

A PROPOS

La cybergéographie et son contexte


D’un point de vue étymologique, la généalogie du terme « cybergéographie » remonte à la publication en 1834 de l’Essai sur la philosophie des sciences d’André-Marie Ampère (a). Dans cet ouvrage, Ampère invente le terme « cybernétique », qu’il définit comme l’étude des moyens de gouvernement. Le préfixe « cyber- » provient du grec κυβερναν (piloter ; naviguer) / κυβερνητικη (art de piloter ; art de gouverner) / κυβερνητης (timonier). La cybernétique a été réinventée par Norbert Wiener en 1948 dans son livre Cybernetics comme étude générale des formes de contrôle et de communication dans les machines et les systèmes vivants (b).

En 1982, William Gibson a utilisé pour la première fois le mot « cyberspace » dans « Burning chrome », une nouvelle publiée dans la revue de science fiction Omni (c). Mais c’est surtout son roman anti-utopique Neuromancer qui a rendu le terme populaire (d) ; le cyberespace était alors représenté comme un espace « virtuel », une zone numérique, globale, dont l’ontologie relevait de l’« hallucination consensuelle ». C’est surtout à la suite de Gibson, donc, qu’on est venu à attribuer le préfixe cyber- à tout ce qui se rattache à l’Internet et aux mondes virtuels.
Ce « cyber » est ainsi doté d’une polysémie fascinante ; d’une part, il s’agit du contrôle, du gouvernement, d’autre part, de la navigation ; et désormais, l’idée de la virtualité y est associée. Sans vouloir occulter la notion de gouvernement, qui évoque par exemple les tentatives de légiférer sur le Net, ou le pilotage, qui concerne également le contrôle (d’un vaisseau, d’un projet), nous privilégierons la navigation, à l’intransitif. C’est cette notion, entre autres, qui nous encourage à étudier le Net d’un point de vue spatial ou géographique.

Nous en venons donc à la cybergéographie. Martin Dodge, fondateur de Cyber-Geography Research [13], est peut-être le plus grand promoteur du terme ; il a enregistré le nom de domaine cybergeography.org en 1997. Il affirme avoir vu le terme pour la première fois dans l’article de Steve Pile [40] paru en 1994 dans la revue Environment and planning A (e). Dodge a notamment été inspiré dans sa démarche par les activités de Gregory Staple, fondateur de la société Telegeography [103] qui publie depuis 1989 un important rapport annuel sur le marché des télécommunications (f).

La cybergéographie est tributaire d’un ensemble de révolutions épistémologiques qui se sont déroulées dans le domaine de la géographie depuis les années soixante-dix (g). La géographie n’a pas échappé à l’éclatement qu’ont connu les autres sciences sociales, la multiplication des nouveaux objets d’étude et approches théoriques. On a vu l’avènement d’une géographie sociale, d’une géographie culturelle, d’une géographie des représentations. Ces développements ont été accompagnés par une mise en question des fondements de la « science géographique », et notamment du préjugé qui considère l’« espace » comme étant objectif, unitaire, cartographiable, et partout compréhensible à partir de conceptions issues des cultures de l’Europe occidentale. Or, nous savons au moins depuis les travaux d’Henri Lefebvre que l’espace est un produit social, objet de luttes indissociable des relations de pouvoir, et que les définitions et les usages de l’espace varient selon les cultures (h). De même, la cartographie, élément clé de la science géographique, a été l’objet d’un regard critique ; son rôle dans la conquête coloniale, son utilisation comme outil de propagande, ont été étudiés (i). On s’est notamment opposé à l’affirmation selon laquelle la carte représenterait fidèlement et objectivement le territoire. Car la carte est performative ; elle constitue le territoire autant qu’elle est constituée par le territoire ; elle représente un parti pris discursif, idéologique, qui construit l’espace à travers un geste scriptural.

La cybergéographie apparaît donc dans le contexte d’une géographie profondément renouvelée, ouverte à la diversité des points de vue et des objets d’analyse, et enrichie par des collaborations inter-disciplinaires. Ce positionnement est tout à l’avantage de la cybergéographie car, face aux nouvelles formes d’organisation réticulaires, et surtout face au « virtuel », il faut innover et développer de nouveaux modes d’analyse et de représentation de l’espace (et effectivement, on constate que bien des « cartes » du cyberespace ne ressemblent guère aux mappemondes réalisées selon la projection de Mercator).


NOTES

(a) AMPERE André-Marie. Essai sur la philosophie des sciences, ou Exposition analytique d'une classification naturelle de toutes les connaissances humaines [1ère partie]. Paris: Bachelier, 1834. 272 p.
(b) WIENER Norbert. Cybernetics : or, Control and communication in the animal and the machine. New York : J. Wiley, 1948. 194 p.
(c) Reprise dans : GIBSON William. Burning chrome. New York : Arbor House, 1986. 200 p. ISBN 0877-95780-0.
(d) GIBSON William. Neuromancer. New York : Ace Books, 1984. Coll. « Ace science fiction ». ISBN 0441-56959-5.
(e) Martin DODGE, communication personnelle par courrier électronique, 26 février 2003.
(f) Il est intéressent de noter que la Commission générale de terminologie et de néologie a recommandé l’usage du préfixe « télé- » au lieu du « e- » emprunté à l’anglais, et notamment au lieu de « cyber- » que l’Académie des sciences avait proscrit dès 1959. Voir BROGLIE Gabriel de. « Recommandation à propos de l’usage du préfixe ‘e-’ et de ses équivalents possibles en français ». 13 mars 2002. <http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/terminologie/e-_version_3.htm>. Consulté le 10 février 2003.
(g) Pour une introduction à cette question, voir : BAILLY Antoine, FERRAS Robert. Eléments d’épistémologie de la géographie. Paris : Armand Colin / Masson, 1997. 191 p. Coll. « U Géographie ». ISBN 2-200-01506-2.
(h) Lefebvre Henri. La Production de l'espace. Paris : Anthropos, 1974. 485 p. Coll. « Société et urbanisme » ; 9.
(i) Sur la mise en question de la cartographie, voir : GOULD Peter, BAILLY Antoine. Le pouvoir des cartes : Brian Harley et la cartographie. Paris : Anthropos / Economica, 1995. 120 p. ISBN 2-7178-2879-6.
Ou encore : CAMBREZY Luc, MAXIMY René de, éd. La cartographie en débat : représenter ou convaincre. Paris : Katharla ; ORSTOM, 1995. 198 p. ISBN 2-86537-606-0, 2-7099-1269-4.

 

David HORN © 2003  
Page créée le 8 octobre 2003