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La diffusion d'Internet dans les pays de la zone RIPE entre 1992 et 2000
Quelques cartes animées

Éric Guichard (2000)

Introduction

Ces données ont été recueillies auprès du site RIPE (Réseaux IP Européens) pour les statistiques relatives à Internet et auprès du site du PNUD (ONU) pour l'estimation des populations des pays.

RIPE "assure la coordination administrative et technique permettant le bon fonctionnement d'un réseau pan-européen" (Cf. http://www.ripe.net/ripe/about/index.html). En termes plus précis, RIPE et ses délégations nationales (comme l'AFNIC en France) gèrent les noms de domaines des pays (*.fr, *.de etc.).
Le RIPE Network Coordination Centre (RIPE NCC) est l'un des trois centres mondiaux de distribution de noms de domaines associés à des pays, avec l'ARIN (Amériques) et l'APNIC (Asie et Pacifique). De fait, les compétences territoriales du RIPE NCC s'étendent à la moitié Nord de l'Afrique (au dessus de l'Équateur), à la péninsule arabique et à l'Asie proche (l'Iran, le Tadjikistan, le Kirghizistan, le Kazakhstan, et la Russie constituent la limite orientale de cette zone).

Les archives (quasi-)mensuelles donnent le nombre de noms de domaines enregistrés pour chaque pays, qui correspondent à autant de "sous-réseaux", et le nombre d'ordinateurs rattachés à ces réseaux (cette dernière valeur est donnée par sondage); uqam.ca et ens.fr sont deux tels sous-réseaux; barthes.ens.fr est une des nombreuses machines du domaine ens.fr.

Exemple: la France comportait en août 2000 75 188 noms de domaine pour 1 362 750 ordinateurs rattachés à ces domaines. La population de la France en 1996 était estimée à 58 333 000 habitants. Les premières archives permettant une étude comparative datent de juin 1992 et l'on peut alors suivre dans le temps les variables primaires. Mais j'ai préféré construire deux variables dérivées à partir de celles-ci, en supposant que la population des pays entre 1992 et 2000 était globalement constante.

Description et représentation des variables

Statistiques

  • Pop96 est la population du pays (fixe au cours du temps; estimée en 1996). Elle est représentée par un losange bleu, dont la surface est proportionnelle à cette variable. Le pays le plus peuplé est la Russie, avec 148 millions d'habitants.
  • mac_sur_pop_en* est le nombre de machines (reliées aux domaines comptabilisés) pour 100 000 habitants. Ce taux est représenté par des plages de couleurs, avec les seuils suivants: entre 0 et 1 (bleu), de 1 à 50 (jaune clair), de 50 à 500 (jaune), de 500 à 2000 (bistre), plus de 2000 (rouge).
    Le maximum de machines pour 100 000 habitants est atteint (en août 2000) pour le Liechtenstein: 11 829 pour 100 000 hab, soit une pour 9 personnes, quand il est de une pour 43 habitants en France, et de une pour 55 000 personnes au Ghana.
    Les pays en bleu clair sont donc les pays qui sont clairement sous-connectés à Internet.
  • dom_sur_pop_en* est le nombre de domaines pour 100 000 habitants. Ce taux, évidemment lié au précédent, est exceptionnellement traduit sur la carte de l'Europe et de ses pays voisins par des cercles verts (habituellement réservés pour la traduction de variables entières). Il permet de visualiser l'engouement de certains pays pour la net-économie (Europe centrale et paradis fiscaux).
  • Les pays qui ne sont pas rattachés au RIPE NCC sont représentés en vert (remarque valable pour les cartes de la totalité de la zone RIPE NCC).

Cartes

En l'état actuel des choses (1er oct 2000), quatre cartes animées sont disponibles.
  • ripe.eu.anim100.gif propose une évolution des trois variables pour l'Europe et les pays limitrophes, avec un délai d'une seconde par mois.
  • ripe.eu.anim25.gif est la même que la précédente, 4 fois plus rapide.
  • ripeanim_poponly100.gif se limite aux deux premières variables pour la totalité de la zone RIPE NCC, avec le même délai.
  • ripeanim_poponly20.gif est la même que la précédente, 5 fois plus rapide.

Critique des sources

Les données Internet ne sont ni exhaustives ni très fiables: par exemple, les .com rattachés à des entreprises d'un pays donné ne sont pas répertoriés. D'après une estimation de Jean-François Abramatic (http://mission-dti.inria.fr), les .com localisés en France sont aussi nombreux que les .fr; des noms de domaine peuvent être sous-employés (mais certainement moins que des .com achetés à des fins de cybersquatt); certaines agences nationales sont moins fiables que d'autres (elles ne suppriment pas toujours de leurs bases les domaines obsolètes, sources d'erreurs 404); enfin, les statistiques relatives aux pays de création récente, comme la Tchéquie, ne peuvent faire état du passé proche (les données relatives à la Tchécoslovaquie n'ont pas été utilisées).

Cependant, ces données donnent une bonne idée du développement d'Internet au fil du temps dans les pays considérés, et leur cartographie permet de visualiser des dynamiques spécifiques aux pays.

Les chiffres du PNUD (ONU/UNDP) ne peuvent pas être plus précis que ceux des agences de recensement des pays. D'après certains experts, la marge d'erreur dans certains pays africains peut attendre 30%.

En conclusion, on ne peut utiliser ces deux types de données sans précautions méthodologiques, comme c'est le cas pour tout travail statistique, à moins de réifier des catégories qui, le plus souvent, sont socialement construites.

Commentaire des cartes

  • ripeanim_poponly100.gif ou ripeanim_poponly20.gif
    Cette carte met tout d'abord le développement d'Internet en Europe: dès janvier 1995, le nombre de machines pour 100 000 habitants dépasse 500 pour les pays qui s'affirment dans le peloton de tête de la socialisation d'Internet: Islande (1755), Finlande, Norvège, Suisse (723), Pays-Bas et Danemark (522). La France, au 11e rang, n'attendra ce seuil que deux ans et demi plus tard.

    Le seuil de 2000 machines est dépassé en Finlande en avril 1995, en Islande le mois suivant, en Norvège en février 1996, en Suède en mars 1996, au Danemark en avril 1996. La Suisse et les Pays-Bas accèdent à cette limite en mai 1997, la Grande-Bretagne exactement un an plus tard, la Belgique et Israël en décembre 1998 et la France en décembre 1999. L'Allemagne, présente dans ce groupe à partir de février 2000, est aussi le pays le plus peuplé (82 millions d'habitants), avec un territoire au développement industriel contrasté, suite à la réunification.

    Mais ces statistiques témoignent aussi clairement de l'infranchissage frontière entre info-riches et info-pauvres: tout d'abord les pays subissant l'embargo américain sont exclus d'Internet: l'Irak et la Lybie, par exemple. Ensuite, des pays très pauvres comme la Mauritanie, le Soudan, la Somalie sont eux aussi inexistants. L'Égypte parvient à dépasser le seuil d'une machine pour 100 000 habitants en novembre 1995, mais rechute aussitôt, et se redresse trois mois plus tard, date à laquelle le Maroc arrive lui-aussi à ce seuil historique. Ces deux pays arrivent en août 2000 à 3,4 machines pour 100 000 habitants pour l'Égypte et à 6,4 pour le Maroc. Il est tout à fait possible que ces statistiques soient sous-estimées parce que les tables de DNS de tels pays en voie de développement ne sont pas toujours correctement remplies; il est aussi possible que des dictatures des pays du tiers-monde aient vu d'un mauvais oeil le développement d'un réseau considéré comme capable de déjouer la censure.

    Mais le coût de l'infrastructure d'Internet, comme le coût de formation d'ingénieurs, souvent passés sous silence, semblent être malgré tout des facteurs essentiels de l'impossible accès à Internet pour la majorité des pays du Tiers-Monde: des pays comme le Sénégal et le Ghana, souvent cités en exemple pour leur développement économique, dépassent ce seuil d'une machine pour 100 000 habitants en décembre 1998 et en janvier 1999. Le Ghana suit lui aussi quelques aléas et arrive à deux machines pour 100 000 habitants en août 2000 quand le Sénégal partage avec le Kenya le record africain, avec 17 machines, soit 700 fois moins que le Liechtenstein.

  • ripe.eu.anim100.gif ou ripe.eu.anim25.gif
    Cette carte détaille la précédente, tout en permettant une meilleure lecture de l'évolution des pays européens et voisins: ainsi l'on remarque l'Estonie, qui en janvier 2000, intègre le cercle fermé des "grands utilisateurs" d'Internet et talonne la France en août 2000, avec 2324 machines (pour 100000 hab) contre 2334 (la France étant elle-même au 16e rang, juste derrière Israël). De façon générale, on perçoit la lente évolution des pays latins, qui ne dépassent les 500 machines qu'en juin 1997, et le développement d'Internet dans les pays récemment reconvertis dans l'économie capitaliste: Pologne (686 en août 2000), Tchéquie (1407), Slovaquie (616), Hongrie (1170), Slovénie (1010), face à l'Italie (766) par exemple... Ainsi, notre variable semble être un bon indicateur de l'insertion des pays dans l'économie mondiale, ce qui donne à penser que les vertus «libertaires» d'Internet ne peuvent s'exercer qu'au sein des économies libérales avancées.

    La variable nombre de domaines pour 100 000 habitants a été introduite dans cette carte pour témoigner de cette logique économique: on remarque aisément que les lieux où cette variable est maximale ne sont pas à proprement parler des pays, mais des zones franches sous tutelle capitaliste: Gibraltar, Andorre, San Marino,le Liechtenstein, Monaco, les îles Faroe et Guernesey, l'île de Man sont de tels exemples, auxquels certains esprits humoristiques pourraient ajouter le Vatican.

    L'écart entre le taux de domaines et celui des machines peut très bien s'expliquer par la multiplication de petites entreprises décidant de s'investir dans le commerce électronique et installées dans ces paradis fiscaux. La carte met en évidence l'implantation historique de cette net-économie en Europe, puisque les premières manifestations de taux conséquents n'apparaissent qu'en 1997: en janvier 1995, l'Islande et le Liechtenstein comptent respectivement 30 et 12 domaines pour 100 000 habitants, la France 2; en janvier 1997, les «pays» dotés de plus d'un nom de domaine pour 1000 habitants sont les suivants: Liechtenstein (3,19), Danemark (2,13), le Vatican (2), la Norvège (1,49), la Suède (1,38), l'Islande (1,28) et la Suisse (1,08); à titre de comparaison, la France dispose de 11 noms de domaine pour 100 000 habitants.

    L'essor des paradis fiscaux apparaît clairement sur la carte en janvier 1999. En août 2000, les dix premiers pays pour ce taux de domaine sont, dans l'ordre, le Liechtenstein (10 635 domaines pour 100 000 hab), le Danemark (2840), l'Allemagne (1963), les Pays-Bas (1819), la Suisse (1716), l'Islande (1540), l'Autriche (1283), Gibraltar (1236), Guernesey (1017) et le Groënland (983). Suivent Monaco (928), les îles Faroe (902), San Marino (876), la Norvège (846) et la Grande-Bretagne (823). Pour mémo, la France arrive en 34e position (129).

Ainsi, ces cartes permettent d'analyser sous les angles géographique et historique les appropriations d'Internet par les pays. ces appropriations témoignent en fait de la richesse de ces pays, puis de leur investissement dans les formes contemporaines de l'économie.

Notes

  • Absence du Luxembourg à partir de juin 2000: "The TLDs 'iq' and 'lu' were included in the count last month but not this month due to zone transfer restrictions at the top level. Their total contribution to the number of real hosts was 10717."
  • Remerciements: Eddie Kohler pour gifsicle et ses conseils, Henri Desbois pour l'émulation intellectuelle, le RIPE et le PNUD pour les données, .
  • Dernière minute: je viens d'apprendre, après réalisation de ces cartes, que le cybersquatting vise maintenant les universités françaises, et explicite la logique commerciale en cours dans les paradis fiscaux; j'en donne pour preuve cet extrait d'un mail reçu le 6 octobre dernier (2000): «il s'avère que des personnes de Jersey ont enregistrés plein de *.com correspondants à des *.fr, enfin ceux libres.
    Exemples:
    • enst.com
    • unilim.com (univ. Limoges)
    • u-strasbg.com
    • univ-nantes.com
    » (fin du mail)

Page créée en octobre 2000, modifiée le 5 juillet 2009