Dialecte(s)

Les six occurrences de ce terme affichent moins de complexité d'emploi que le terme précédent. Au moins pour une raison, qui est la définition spécifique enregistrée à l'époque dans les grands dictionnaires. Ceux-ci sont obligés de simplifier une situation que l'histoire a rendue délicate par la proscription des patois à laquelle a procédé la République sous l'impulsion de l'abbé Grégoire(9). L'intérêt pour l'archéologie des langues a suscité en contrepartie la promotion du terme de dialecte. Mais la dialectologie même ne naîtra officiellement que dans le dernier tiers du XIXe siècle. "Patois" n'apparaît pas dans Corinne; seul "dialecte(s)" y est employé dans son acception de "langage d'une contrée, ne différant des parlers voisins que par des changements peu considérables, et comportant une certaine culture littéraire" [Littré](10). Ces faits aident à mieux percevoir les conditions d'emploi du terme dans le roman de Mme de Staël.

Déterminé au moyen d'un article défini, "le(s) dialecte(s)" [15.8, 16.1, 19.7], d'un adjectif démonstratif, "ce(s) dialecte(s)" [15.8, 16.1], ou d'un adjectif possessif, "leur [...] dialecte" [3.3], ce substantif peut être caractérisé à l'aide:

a) d'adjectifs épithètes: "gracieux" [3.3], "vénitien" [15.8], "différents" [16.1], "bolonais" [19.7]

b) d'adjectifs attributs: "doux et léger" [15.8], "charmant" [15.8]

c) d'une expansion relative: "qui s'écartent de l'italien classique" [16.1].

On voit que ces formes de caractérisation n'ont majoritairement pas pour vocation de détailler les aspects proprement grammaticaux de l'objet; en revanche, elles mettent en évidence une nouvelle fois ses caractères impressifs. Seuls les termes de vénitien, bolonais et italien rattachent la notion à son substrat idéologico-linguistique. L'important se situe du côté du pathos du langage.

Du point de vue syntaxique, la fonction sujet sied bien à ce substantif soit avec être [15.8 (2 occ.)], soit avec avoir [16.1], soit dans une construction fortement modalisée: "dut la surprendre" [19.7]; la fonction complément est de nature circonstancielle, le dialecte étant essentiellement défini ici comme un moyen, un instrument, que précise la préposition dans [3.3, 16.1].

Le faible nombre des attestations de "dialecte(s)" interdit de tirer des conclusions significatives sur les cooccurrences de ce terme; la proximité d'indicateurs de localisation géographique: siciliens [3.3], vénitien [15.8], italien [16.1], napolitain, sicilien, vénitien [16.1], bolonais [19.7], en renforce la nature technique. Certes le macro-contexte fait toujours intervenir des considérations de nature esthétique et anthropologique sur les langues en général, et plus particulièrement sur les qualités propres à chaque langue, mais nous retrouverons plus précisément ces éléments d'argumentation sous le mot "langue".

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Notes

9. Voir à ce sujet: J.-Ph. Saint-Gérand, "Des cacologies et des curiosités patoisantes en France au XIXe siècle, à la dialectologie", in History and Historiography of Linguistics, vol. 2, éd. p. H. J. Niederehe et K. Koerner, Actes d'ICHoLs IV, Trèves, 1987, John Benjamins, Amsterdam, Philadelphie, 1990, pp. 701-714.

10. Le Dictionnaire de Trévoux, éd. 1743, ajoutait: " corrompu de la langue générale ou principale du Royaume ", t. II, p. 1169 a. La 5e édition du Dictionnaire de l'Académie, pour sa part, précisait en 1798: " dérivé de la langue générale de la Nation ", t. I, p. 420 b.