Nom(s)

Littré distingue dans sa définition le "Mot qui désigne une personne. Un nom de famille, de baptême." et le "Mot qui sert à désigner ou qualifier une personne ou une chose. Nom substantif, adjectif, masculin, etc.". Par cette double fonction référentielle et métalinguistique " Nom(s) " acquiert très vite une grande importance dans Corinne, qui en présente 99 occurrences au singulier et 12, seulement, au pluriel.

La détermination présente immédiatement la caractéristique d'opposer deux types en distribution complémentaire. La détermination qui réduit l'extensité et l'extension de l'objet au défini s'accompagne toujours d'une expansion adnominale: "Le/ce nom de ..."; tandis que la détermination qui ouvre l'extensité et l'extension de l'objet sur l'indéfini s'accompagne -- dans la majeure partie des cas -- d'un caractérisant évaluatif qui assure l'indexation de la référence sur une échelle de valeur sociale: la renommée. L'article défini est largement employé en relation avec l'identification d'une personne: [2.1 (2 occ.), 3.2 (2 occ.), 4.4 (2 occ.), 7.2, 9.3, 11.3, 12.1, 12.2, 13.4, 14.3, 16.6, 16.7, 16.8, 17.5, 17.9, 18.1 (2 occ.), 19.4, 19.6, 20.5]; en ce cas, si la caractérisation intensive n'est guère nécessaire -- " les noms si connus de ... " [7.2] ", une récurrence intéressante est celle qui lie " nom " et " père ", par laquelle s'inscrit dans Corinne un sens des complexités de l'histoire, individuellement expérimenté par les personnages dans leur généalogie même. Mais l'article défini sert aussi à utiliser " Nom(s) " pour désigner des lieux et des indices géographiques: [1.5, 4.4 (2 occ.), 4.5, 13.3], ou des objets physiques ou conceptuels à dimension sociale et morale: " famille " [2.1], " eau virginale " [4.6], " amour " [8.4, 10.5], " pitié " [8.4], " devoir " [10.5, 12.2], " larmes " [12.2], " tendresse " [12.2], " peuple " [15.5], " ciel " [16.3], " vertus " [16.3, 16.5]. On relèvera dans ce cas la force de la formule objurgative " Au nom de " [6.4 (3 occ.), 8.4, 10.5 (2 occ.), 12.2 (3 occ.), 15.5, 16.3 (2 occ.), 16.5, 16.8, 17.9, 18.3], expression en quelque sorte autotélique et affirmant la puissance performative du langage, dès lors que ce dernier est régi par des principes rigoureux d'éthique.

L'article indéfini, comme signalé plus haut, sauf exceptions majoritairement plurielles [4.4, 5.1, 6.4, 11.4, 14.3, 14.4, 17.2], s'accompagne d'un caractérisant: " grand " [1.1], " autre " [3.2, 6.4, 7.3], " mystérieux " [5.3], " considérable " [14.2], " supposé " [17.3], " honorables " [18.3 (2 occ.)]. Restent deux autres formes de détermination:

a) l'adjectif démonstratif [2.2, 3.1, 4.4, 6.4 (2 occ.), 11.3, 16.6, 17.8, 20.5], qui assure l'exhaussement sémantique de la valeur impressive associée au terme;

b) l'adjectif possessif, lequel expose le rapport intime du personnage à la dénomination qui l'identifie parmi l'ensemble de ses semblables et lui permet d'accéder à cette revendication d'individualité par laquelle se marque le passage de la société classique à la société romantique(17).

Les éléments précédents ont montré la liaison de la détermination et de la caractérisation. En dehors des cas sus-évoqués, cette dernière s'effectue au moyen d'adjectifs épithètes: " propres " [1.3]," immense " [4.4], " véritable " [4.6], " connus " [7.2]; mais le procédé reste peu usité; " Nom(s) " se suffit à lui-même. Il en va à l'identique pour la fonction attribut: " ignoré " [2.1], " inconnu " [3.3]. J'ai relevé ci-dessus les cas de complémentation adnominale en relation avec le processus de détermination, inutile d'y revenir sauf pour préciser que cette caractérisation vaut essentiellement identification. On notera que l'emploi de l'expansion relative à valeur épithétique est très peu fréquent: une occurrence sous la forme complexe ["le nom et le sort auxquels j'ai renoncés", 14.1], deux autres sous la forme simple ["qu'ils appellent l'histoire", 11.4; "qu'elle avait entendu prononcer" 17.8]. Dans tous ces cas " Nom(s) " apparaît bien comme le signe porteur d'une valeur sociale excédant la seule valeur individuelle, qui lie indissolublement le sujet aux discours portés sur lui et l'inscrit dans les cercles successifs du développement de sa renommée.

Cette remarque est confirmée par le rappel des fonctions syntaxiques majoritairement assumées par ce terme. En tant que sujet, " Nom(s) " active des procès tels que: "rententir" [1.5], "produire" [3.1], "se trouver" [5.2], "indiquer" [7.1], "rendre suspect" [12.2], "réclamer" [13.4], "souffrir" [14.3], "troubler" [16.6], "faire + prédicat" [17.5, 18.3], "parvenir" [18.5] , "s'annoncer" [19.7]; ou est affecté par des procès tels que: "être ignoré" [2.1], "être prononcé" [3.2, 19.6], "être inconnu" [3.3], "être inscrit" [4.4], "être connu" [6.4], "être sans tache" [14.4], "être sacré" [16.3]. Par où l'on voit que " Nom(s) " est alternativement un terme d'action initiée ou d'état résultant. La nette prépondérance de la fonction complément associée à ce vocable renforce cet effet de balance. Régi comme complément d'objet direct par des verbes tels que: "avoir" [1.1, 4.4, 5.3], "porter" [2.1, 4.4, 4.6], "connaître" [2.1, 6.4, 14.1], "honorer" [2.3], "savoir" [3.2, 11.2, 17.8], "donner" [4.2, 4.5, 6.4, ], "prononcer" [4.4, 6.4, 12.2, 16.3, 16.7, 18.1, 18.6, 19.2, 19.4, 20.2], "mériter" [4.4], "dire" [6.2, 12.1, 14.4], "révéler" [6.3], "retentir" [7.3], "citer" [7.2], "déclarer" [12.2], "écrire" [13.3], "composer" [14.3], "rendre" [15.1, 16.3], "abdiquer" [16.6], "conserver" [16.6], "reprendre" [17.3], "reconnaître" [17.8], "ignorer" [17.8], "honorer" [20.5], "nommer" [1.3], "placer" [5.1], " Nom(s) " se signale par une liaison quasi nécessaire avec des verbes exprimant la profération des qualités individuelles et sociales implicites contenues par le signe lui-même. Régi indirectement, il est au voisinage de "appeler" [2.2], "retentir" [7.3], "renoncer" [14.3], "changer" [14.3, 17.2.], qui sous-entendent un identique rapport à l'évocation du nom. Lorsque le terme n'est pas objet direct, il assume une fonction de complémentation détachée [6.4, 11.3], mais -- bien plus souvent -- une fonction de circonstanciel [2.1, 3.2, 4.6, 10.5 (2 occ.), 11.3, 12.2 (2 occ.), 13.3 (2 occ.), 15.5, 16.3, 16.8, 17.3, 18.1, 18.3]. Ou, comme évoqué précédemment, et dans une importante proportion relative, il sert de complément de nom dans une relation qui en fait le centre d'un processus de désignation, "le nom de X" [1.5, 2.1, 2.4, 3.2, 4.4 (3 occ.), 4.5, 6.4 (2 occ.), 8.4, 9.3, 10.5, 11.3, 12.1 (3 occ.), 13.3, 16.3, 16.5, 16.7, 16.8, 17.9, 18.1], ou le résultat d'un procès de qualification, "le X du nom" [6.1, 11.4, 14.4]. Le signe " Nom(s) " ainsi syntaxiquement sémantisé par les rôles qui lui sont dévolus concentre en lui une factitivité remarquable qui réagit sur l'ensemble des contextes dans lesquels figure ce terme. Et notamment dans les cooccurrences fréquentes qui l'associent à la désignation du produit de sa profération.

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Notes

17. On se rappellera que le terme d'" individualité " est négativement connoté à son entrée dans la langue française jusqu'à la fin de la monarchie de juillet.