Les dix occurrences mélangées de ce terme sont justiciables de la définition qu'en donne Littré: " Assemblage de mots formant un sens complet ", laquelle -- au-dessus de langue, langage et parole -- réactive une relation nécessaire avec " mot(s) ".
On notera encore, avec cet élément, la dissymétrie de détermination affectant le singulier et le pluriel. Alors que le singulier ne s'accommode que de l'article indéfini [10.2, 12.1, 17.1, 20.4], le pluriel admet les variantes que constituent l'article défini [1.3 (2 occ., 10.2], l'article indéfini [7.1], l'adjectif démonstratif [9.3] et possessif [12.1]. Ces formes font évidemment varier la distance nécessaire à l'accommodation par le lecteur d'une saisie de l'extensité du substantif. Il s'agit principalement ici d'un contenu conforme à la définition de Littré.
Au singulier la caractérisation se réalise par adjectif épithète, qui applique in extremis " italienne " [20.4] à l'objet; ou par complémentation adnominale: " commencement d'une phrase " [10.2]. Dans les deux autres cas, elle est inexistante. Au pluriel, le procédé est un peu plus diversifié. Complémentation adnominale: '" de politesse " [1.3]; épithète: " reçues " [7.1]; expansion relative: " dont on est convenu " [9.3], peuvent intervenir; mais, dans trois cas sur six, " phrases " se suffit à soi-même.
L'approche syntaxique montre que " phrases " est sujet dans une seule de ses dix occurrences [12.1], au reste plurielle . Partout ailleurs " phrases " est objet régi de verbes tels que: " commencer " [12.1], " étudier " [17.1], " répondre " [9.3], ou circonstanciel dépendant d'une préposition exprimant le moyen: " par " [20.4], " avec " [1.3, 7.1]; la finalité: " pour " [10.2]; ou une chronologie relative: " après " [1.3].
Ces diverses contextualisations morphosyntaxiques induisent une sémiologisation spécifique à Corinne du terme " phrase(s) ", laquelle conduit à voir dans cet item une réactualisation du sens laconique que Furetière donnait déjà cet objet à la fin du XVIIe siècle: " façon de parler "... mais dans une perspective évidemment différente qui raccroche beaucoup plus cette " façon " à une manière d'être individuel, et fait par conséquent de " phrases " le lieu de conversion en discours des arguments logiques des propositions constitutives de l'énoncé en indices de subjectivité et d'émotivité. A titre de confirmation, " proposition ", qui devrait spontanément surgir dans ces contextes au sens de forme d'énoncé d'un des jugements constitutifs de la phrase n'apparaît qu'une seule fois [1.3], au singulier, et non dans son sens technique mais dans sa banale acception d'action de proposer.
Signe(s):
Avec ce vocable nous touchons probablement au coeur du processus -- précédemment évoqué -- de sémiologisation des valeurs éthiques, esthétiques, et idéologiques inscrites dans Corinne. Il serait probablement utile de revenir ici sur les définition de cet objet que proposent les ouvrages de philosophie et de grammaire du XVIIIe siècle. Par défaut d'espace, je m'en abstiendrai, rappelant seulement la position fermement énoncée de Destutt de Tracy, l'un des maîtres à penser du mouvement de l'Idéologie, selon qui le signe est la représentation des idées issues de la sensation. Probablement plus influencé par le Rousseau du Discours sur l'inégalité [1755] que par la Grammaire générale de Port-Royal, Destutt assigne à cet objet une triple fonctionnalité de communication, de soutien des idées composées et de décomposition de la pensée, qui fait de la langue un système de signes sonores et écrits orienté vers l'analyse des perceptions fugitives et la stabilisation des impressions transitoires qui en résultent. C'est cette particularité que Corinne met particulièrement en évidence dans l'abondante utilisation de la locution " faire signe " [6.1, 6.2, 12.2, 14.1, 15.3, 16.3, 16.6 (2 occ.), 17.9, 18.1] qui exprime une gestuelle sémiologique et qui équivaut en fait à " faire sens ".
" Signe(s) " bénéficie de 16 occurrences au singulier et de 4 occurrences seulement au pluriel. En dehors du cas évoqué ci-dessus, dans lequel la lexicalisation a figé le processus de sémantisation en contexte, " Signe(s) " n'offre guère de variété dans la détermination. L'article défini n'est présent que deux fois au singulier [6.2, 15.7], mais constitue l'unique forme affectée au pluriel [5.3, 7.3, 14.4, 17.6]. L'article indéfini est employé une fois au singulier [11.2], de même que l'adjectif indéfini [5.3].
La caractérisation met en évidence le caractère figé du syntagme " faire signe " qui n'admet directement aucun élément prédicatif supplémentaire: " impérieusement " [15.3], " doucement " [15.5], étant seulement incidents à l'incidence préexistante du sujet aux constituants de la locution(19). Les compléments verbaux introduits par la préposition " de " indiquent soit un mouvement dans l'espace: " se relever " [6.1], " venir s'asseoir " [6.2], " sortir " [12.2, 16.6], " suivre " [14.1], " s'éloigner " [15.3, 16.3, 16.6], " laisser " [18.1]. Soit une suspension de la parole: " se taire " [15.5].
L'adjectif épithète, toutefois, marque sa présence: " extérieur " [5.3], " moindre " [6.2, 7.3], " funestes " [14.4], mais relative au regard de la construction adnominale: " de douleur " [10.4], " du renoncement " [15.7], " d'un acteur " [7.3], " d'une destinée irrévocable " [14.4], " d'intérêt " [17.6]. Mais, aucune expansion relative. Dans la majeure partie des cas " Signe(s) " est un morphème autosuffisant.
Les fonctions syntaxiques en témoignent. Sujet par deux fois seulement: " sont une révélation continuelle " [7.3], " est la plus belle image " [10.4], ou thème d'énoncé mis en valeur par un présentatif [15.7], " Signe(s) " est plutôt employé en tant qu'objet direct [11.2, 17.6] ou indirect et circonstanciel [5.3 (2 occ.), 6.2, 14.4].
Largement autonomisé dans ses emplois morpho-syntaxiques, " Signe(s) " inscrit ainsi dans Corinne la trace d'une conception sémiologique de son objet qui est exactement celle que l'on définit lorsqu'on voit en lui un objet perceptuel qui vaut pour autre chose que lui-même, et qui, en tant que tel, imprime dans l'oeuvre de Mme de Staël, et sous sa forme la plus simple, l'irrépressible besoin de sens et de valeur dont témoigne l'ensemble des personnages. " Signe(s) " marque bien de la sorte que la parole n'est pas nécessairement le seul vecteur de la signification. Et le paradoxe peut même être poussé à cet égard jusqu'à l'extrême que représente le silence.
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Notes
19. Ce qui n'est pas exactement équivalent à " faire un signe impérieux ", " faire un signe doux ".