Ce terme n'est jamais employé au pluriel dans Corinne. Il réfère donc a priori à ce que Littré désigne comme un état de calme, d'absence de bruit, de suspension de l'activité verbale.
La gamme des formes de détermination de " silence " est étendue. L'article défini, forme la plus abondante, permet la saisie la plus large du contenu de ce signe [2.3 (2 occ.), 2.4, 3.3, 4.1, 4.2, 4.3 (3 occ.), 4.6, 6.2, 6.4, 7.2 (2 occ.), 8.1, 9.1, 10.4 2 occ.), 11.3, 13.4, 13.7, 14.1, 14.3 (2 occ.), 15.1, 15.4, 15.7 (2 occ.), 16.3, 16.5 (2 occ.), 16.8, 17.5 (2 occ.), 18.1, 19.3, 19.4 (2 occ.), 19.5, 19.6, 20.2]. L'adjectif démonstratif: [1.3, 8.4, 10.6, 11.3, 14.1, 17.3, 17.8, 18.6, 19.1, 19.5] relève en regard d'une parcimonie évidente. Il en est de même pour l'article indéfini: [4.6, 9.2, 13.1, 16.3], qui réduit l'extensité du signe au maximum. Quant à l'adjectif possessif: [4.1, 4.2, 6.1, 8.1, 11.4, 12.1, 14.1, 14.3, 15.4, 17.8, 19.4, 20.1], il se rapproche du démonstratif pour marquer le lien fort existant entre l'objet et l'individu qui s'en sert comme d'un signe. Indubitablement, cependant, la détermination zéro marque son importance: [3.1, 7.2, 8.1, 8.4, 13.4 (2 occ.), 14.1, 15.1, 15.9, 19.5] notamment dans le syntagme prépositionnel " en silence ", qui est toujours associé à un syntagme verbal exprimant le déroulement concomitant d'une action physique.
Sous l'aspect de la caractérisation, on note des épithètes telles que: " imperturbable " [4.6], " profond " [9.1, 10.4, 13.1, 16.3, 16.5, 16.8], " éternel " [11.4], " habituel " [15.4], " absolu " [18.6], " immobile " [19.4], " morne " [19.3], " cruel " [19.5], employées avec une certaine réticence. Une réticence d'emploi encore plus forte affecte les adjectifs attributs, lesquels mettent en évidence le même " profond " [10.4, 15.7], et " rompu " [19.1]. Les expansions relatives sont rares: " qui s'était établi " [8.1], " qu'on remarquait " [11.3], " qui ne lui donnait pas même l'occasion " [18.6], " qu'il avait gardé pour elle " [19.3]. Quant aux constructions adnominales: " des vivants " [2.3], " du lieu " [2.4], " d'un monument funéraire " [4.3], " de la nuit " [4.6, 15.4], " de la rhétorique " [7.2], " des matelots " [11.3], " de cet asile funéraire " [13.3], " de la réflexion " [15.2], " de Corinne " [17.5], " de tous les deux " [19.4] précisent les agents du silence, tandis que " cause de " [8.1, 17.8], " voiles mystérieux du " [16.5] ou " instants de " [16.3], " charme du " [17.5], en stipulent les raisons ou les modalités de réalisation. Mais, dans l'ensemble, " silence " s'accommode d'une absence notable de caractérisation: [1.3, 2.3, 3.1, 3.3, 4.1 (2 occ.), 4.2 (2 occ.), 4.3 (2 occ.), 6.1, 6.2, 6.4, 7.2 (2 occ.), 8.1 (2 occ.), 8.4 (2 occ.), 9.2, 10.6, 11.3, 12.1, 13.4 (2 occ.), 13.7, 14.1 (4 occ.), 14.3 (2 occ.), 15.1, 15.3, 15.9, 16.3, 17.3, 17.5, 17.8, 18.1, 19.5 [2 occ.), 19.6, 20.1, 20.2], qui souligne la puissance effective de sa prégnance en tant que signe.
Pourtant l'étude de " silence " dans ses fonctions syntaxiques met en évidence une disparité entre la fonction sujet et les fonctions complément. En tant que sujet, " silence " est peu fréquent et active des verbes tels que: " fatiguer " [1.3], " être " [2.3, 4.1, 10.4, 15.7, 19.1], " succéder " [9.1], " rendre + prédicat " [11.3], " faire croire " [17.5] [" déplaire " [12.1], " régner " [13.1, 16.5], " recommencer " [14.1], " redoubler " [19.3], " finir " [19.4], " suspendre " [19.5] " venir de " [20.1]. Complément de verbe ou circonstant de phrase, " silence " est infiniment plus usité; " garder " [3.3, 4.1, 4.3, 6.4, 14.3, 16.8, 20.2], " respecter " [4.2], " commander " [4.3, " opposer " [4.6], " faire " [7.2], " rompre " [8.1], " imposer " [8.1, 14.1], " sentir " [4.3, 11.4], " interroger " [13.4], " favoriser " [14.1], " imiter " [14.3], " mériter " [19.5], d'une part, exposent le produit des réticences, des suspensions, des aposiopèses rhétoriques [17.2] qui résultent de la narration ou des dialogues des personnages. Dans tous les cas, l'interruption du verbe signe l'expression d'une solitude ontologique des êtres contre laquelle les personnages ont d'autant plus de mal à lutter que le silence n'est pas toujours leur fait mais peut être un effet d'interactions circonstancielles extérieures: " rentrer dans " [2.3, 7.2] " regarder en " [3.1, 19.5], " contraster avec " [4.3], " être en/dans " [4.6, 7.2], " blessée de " [6.1], " se voiler par " [6.2], " oppresser par " [8.4], " rester dans " [10.4, 16.3], " redescendre en " [13.3], " entourer en " [13.4], " attendre en " [13.4], " monter en " [15.1], " retomber dans " [15.4], " se livrer en " [15.9], " réfléchir sur " [17.3], " voir dans " [17.8]. En complément de nom: " raisons pour " [19.6], ou en constructions détachées avec " après " [13.7, 14.3, 16.3], " dans " [15.2], et même introduit par un présentatif: " il n'y a plus de " [9.2], " silence " marque l'empreinte signifiante du vide dont la nature humaine a horreur, et dénonce la vacuité de comportements que le langage ne parvient ni à relater, ni à ordonner ni à expliquer. Ce qui justifie probablement que ce terme traîne avec lui tout un cortège de vocables exprimant des faits de dépression : fatigue, lassitude, ennui, malheur, mélancolie, inutilité, confusion, etc.
On se rappellera à cet égard les dernières paroles de Corinne à Oswald [20.2, p. 565], qui explicitent ce que son silence signifiait tacitement lors del'ultime entrevue ds personnages.
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