OUVRAGES BIOGRAPHIQUES

DICTIONNAIRE HISTORIQUE de Moréri. La première édition, intitulée Grand Dictionnaire historique, ou Mélange curieux de l'Histoire sacrée et profane, parut à Lyon en 1674. C'est une œuvre incomplète, sans doute mais qui n'en doit pas moins être rangée parmi les publications les plus utiles du XVIIe siècle, car elle a ouvert la voie aux encyclopédies qui parurent depuis et qui s'inspirèrent de son plan. On avait bien déjà l'ouvrage de Juigné, publié en 1644, mais il était loin de présenter un cadre aussi étendu, et, relativement, aussi bien rempli que celui de Moréri. Ce dernier, dans son imperfection même, a donc mérité de servir de type aux œuvres de ce genre, et c'est pour combler les lacunes qu'il présente, que Bayle a entrepris son fameux Dictionnaire critique, qui devait se transformer sous sa plume en une œuvre éminemment originale. Voici le jugement que le célèbre philosophe portait sur son devancier :

" J'entre dans les sentiments d'Horace à l'égard de ceux qui nous montrent le chemin. Les premiers auteurs de dictionnaires ont fait bien des fautes, mais ils ont mérité une gloire dont leurs successeurs ne doivent jamais les frustrer. Moréri a pris une grande peine, qui a servi de quelque chose à tout le monde, et qui a donné des instructions suffisantes à beaucoup de gens. Elle a répandu la lumière dans des lieux où d'autres livres ne l'auraient jamais portée. "

On a reproché vivement à Moréri d'avoir mêlé mal à propos, dans sa nomenclature, la mythologie à l'histoire ; ce reproche n'est nullement fondé. Outre qu'il devient parfois très-difficile de tracer une ligne de démarcation entre un personnage historique et un personnage mythologique, l'ordre alphabétique est toujours le plus clair s'il n'est pas le plus logique. Qu'importe de rencontrer Bacchus à côté de Bachaumont ? Est-ce que la même anomalie apparente ne se produit pas constamment sur les rayons de nos bibliothèques. Le Contrat social et les billevesées du P. Hardouin reposent côte à côte. Il en est des livres comme des pièces d'un jeu d'échec, qui, après avoir combattu les unes contre les autres sur l'échiquier, dorment paisiblement ensemble dans la boite commune.

Doté d'une vaste érudition, Moréri laisse peut-être beaucoup à désirer sous le rapport du goût et de la critique ; mais on comprend ce défaut chez un homme que l'excès du travail épuisa prématurément, et que la mort emporta à 37 ans, sans lui laisser le temps de soumettre son œuvre à une révision sévère. Cette tâche échut à ses successeurs, qui transformèrent tellement le Dictionnaire historique, qu'il n'appartient pour ainsi dire plus à son premier auteur ; ce qui a fait dire à Voltaire que c'était " une ville nouvelle bâtie sur l'ancien plan. "

Le Dictionnaire de Moréri a obtenu les honneurs d'un grand nombre d'éditions, dont la meilleure est celle qui fut publiée à Paris en 1759, 10 vol. in-fol. C'est la vingtième et la dernière. Les étrangers ont plusieurs fois imité ce savant ouvrage, qui a été traduit en allemand, en anglais, en espagnol et en italien. Aujourd'hui encore, c'est une mine où les encyclopédistes puisent chaque jour à pleines mains ; la source est véritablement inépuisable, et le placer est si riche qu'on y trouve à chaque pas des pépites précieuses qui n'avaient pas encore été remarquées. On peut, sans exagération, comparer le Dictionnaire de Moréri à ces monuments de l'antiquité dont les ruines ont enrichi tous les musées, et où, cependant, les derniers venus trouvent toujours quelque débris de chef-d'œuvre à emporter.

DICTIONNAIRE HISTORIQUE PORTATIF, par dom Chaudon, bénédictin, en collaboration avec Delandine ; 1766, 4 vol. in-8° ; 1804, 13 vol. in-8° ; réédité avec augmentation par Prudhomme, 1810-12, 21 vol. in-8°. C'est le dictionnaire que Feller, mécontent de la modération dont s'honorait dom Chaudon, n'eut pas honte de s'approprier, pour le défigurer par un grand nombre d'articles qui respirent la haine que ce plagiaire émérite avait conçue pour les principes du XVIIIe siècle.

DICTIONNAIRE HISTORIQUE, par le P. Feller. Comme nous venons de le dire, ce dictionnaire n'est qu'un plagiat de celui du bénédictin Chaudon. Écrivant dans le pays des libraires contrefacteurs, Feller alla plus loin qu'eux, et vola des ouvrages français qu'il donna sous son nom. C'est ainsi qu'en 1788, il s'appropria le Dictionnaire géographique de Ladvocat, que celui-ci avait publié sous le nom de Vosgien, comme traduit de l'anglais, et dans lequel les articles sur la Hongrie sont presque les seuls qu'il ait refondus. Mais le vol le plus large et le plus audacieux fut celui du Dictionnaire historique de Chaudon. Sous prétexte qu'il le trouvait trop philosophique, il le reprit en sous-œuvre : il ne changea rien à une foule d'articles, soit anciens, soit modernes, où l'esprit de parti n'a rien à démêler ; mais il arrangea à sa manière tous les personnages dignes d'encourir le blâme ou l'éloge, la haine ou l'affection des membres de la compagnie de Jésus. La première édition de ce plagiat effronté et de cette transformation parut en 1781, 6 vol. in-8°. Dans la préface, Feller a soin de décrier tous les dictionnaires antérieurs : celui de Moréri n'est qu'une masse ; celui de Ladvocat porte l'empreinte de la passion et du préjugé ; celui de Barral a été écrit par une société de convulsionnaires ; celui du bénédictin, qu'il s'approprie pour le gâter, est entaché des défauts les plus graves, et n'a été accueilli que faute de mieux. Il trouve partout des marques insignes de mauvaise foi ; les rédacteurs ne sont que des compilateurs, des calomniateurs, etc. ; enfin le dictionnaire de Chaudon est monstrueux, et il faut lui attribuer " une très-grande part de la révolution qui se fait dans les idées humaines. " Dom Chaudon répondit, en publiant sa cinquième édition (1783) : " On ne se contente pas aujourd'hui de s'emparer d'un ouvrage ; on le remplit de fautes en annonçant des corrections, on le défigure, …. Et d'une production impartiale et équitable on fait un livre rempli de déclamations et de faux jugements. " Le bénédictin, volé et injurié, se montrait modéré ; le jésuite voleur et injuriant était furieux ; mais il avait alors, comme aujourd'hui encore, ses partisans dans cette classe de gens qui ont pour axiome que la fin justifie les moyens, et en multipliant ses éditions, il attaquait toujours les chaudonistes.

La Biographie universelle se montre très-indulgente envers Feller ; elle justifie presque ses violences en les attribuant à son zèle pour la religion. Dans le domaine de l'histoire, ce zèle même est coupable, et, à ce point de vue, il n'est permis d'en montrer que pour le triomphe de la vérité. La partialité de Feller pour la religion lui fait transformer souvent en génies supérieurs des personnages qui n'avaient eu d'autre mérite que celui de porter une robe de jésuite, tandis qu'il métamorphose en pygmées des hommes d'un incontestable talent, pour peu qu'ils aient été entachés de jansénisme, ou qu'ils aient partagé les idées philosophiques du dix-huitième siècle. Quant aux grands hommes qui ont vécu avant le christianisme, leur nom seul fait frémir d'indignation la plume du jésuite pseudo-biographe. Il est avéré à ses yeux que l'ère païenne n'a pas vu éclore une seule vertu. Il met la continence de Scipion bien au-dessous de celle du dernier soldat chrétien ; il fait de Socrate un hypocrite, un orgueilleux, un ivrogne et un libertin ; Marc-Aurèle était faux, altier, égoïste, corrompu par système, tyran crapuleux, récompensant ceux qui s'accommodaient des amours de sa femme, et se couvrant lâchement d'une honte qu'un sauvage même n'aurait pu supporter… Quant aux païens qui appartiennent au christianisme, tels que Voltaire, Diderot, d'Alembert, Rousseau, etc. il est impossible à notre plume de reproduire toutes les aménités qu'il leur prodigue.

BIOGRAPHIE UNIVERSELLE ANCIENNE ET MODERNE, publiée par Michaud, avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers ; Paris, 1810-1828, 52 vol. in-8°, plus un supplément en 32 vol. Une deuxième édition in-4°, commencée en 1843, édition refondue, révisée et augmentée d'un grand nombre d'articles, est aujourd'hui terminée.

Cette vaste publication, il est presque superflu de le rappeler, est une des plus importantes de la première moitié de ce siècle. C'est un monument auquel ont coopéré la plupart des illustrations scientifiques et littéraires de cette période. On y remarque principalement les travaux de géographie, de découvertes et de voyages, par Walckenaër, Malte-Brun et Eyriès ; -- d'histoire et de langues anciennes, par Clavier, Daunou, Boissonade, ; Amar, Noël ; -- d'histoire, de littérature et de langues orientales, par Silvestre de Sacy, Abel Rémusat, Klaproth ; -- de littérature et d'histoire d'Italie, par Ginguené et Sismondi ; -- de littérature et d'histoire de la France, par Fiévée, Villemain, de Barante, du Rozoir, Monmerqué ; -- d'histoire, de littérature d'Allemagne et du nord de l'Europe, par Stapfer, Guizot, Depping et Schoell ; -- d'histoire et de littérature anglaises, par Suard, Lally-Tollendal et de Develinges. Ajoutons, pour les sciences, la philosophie, les arts, etc., les noms de Émeric David, Quatremère de Quincy, Cuvier, Du Petit-Thouars, Visconti, Millin, Sicard, Chaumeton, Chaussier, Desgenettes, Percy, Richerand, Gence, Beuchot, Pillet, Weiss, Michelet, Cousin, Fourier, de Bonald, Chateaubriand, Humboldt, Biot, de Gérando, Raoul-Rochette, et bien d'autres noms éclatants, dont presque tous faisaient l'orgueil de l'Institut et des premiers corps savants de l'Europe. On reconnaîtra qu'il est difficile, et surtout dans la préface d'un travail comme celui-ci, de parler avec indépendance d'un ouvrage qui s'abrite sous l'autorité de si hautes renommées. Dans la crainte d'être taxé d présomption, on serait tenté de passer silencieusement, et en s'inclinant, devant cette armée de princes de l'intelligence et du savoir. Et cependant, pourquoi renoncerait-on ici à la pratique du libre examen, qui est la vie de la science et l'auxiliaire de tout progrès ? Ne peut-on, sans manquer de respect aux maître, exprimer une opinion sincère sur l'œuvre qu'ils nous ont laissée ? Et si tout ne nous semble pas admirable, n'aurions-nous pas le droit de le dire ? Nous pensons, au contraire, que nous avons ce droit et que, dans notre situation, c'est pour nous un devoir de l'exercer. Quand on prend la plume, moins pour rechercher des succès littéraires, que pour propager des connaissances, en même temps que des principes et des idées, il n'est pas permis de se dérober à l'obligation de défendre ce qu'on croit être la vérité. Nous émettrons donc quelques critiques sur la Biographie universelle, avec l'espoir que notre bonne foi nous préservera de toute accusation de dénigrement.

L'homme éminent qui fut la cheville ouvrière de ce grand ouvrage, M. Michaud jeune, y a consacré, pour ainsi dire, sa vie entière ; il s'y est absorbé pendant plus de trente années, à la fois comme éditeur et comme auteur d'articles nombreux. Cette persévérance énergique suffirait déjà seule à faire vivre son nom, indépendamment du mérite intrinsèque de l'œuvre. On sait qu'il a posé les premières assises de son édifice en 1810 : or, si l'on réfléchit un instant à cette date, on ne pourra non plus refuser son admiration à une initiative aussi hardie, qui, à tous points de vue, était une vraie témérité ; car, il faut bien le reconnaître, ce temps n'était rien moins que favorable, non-seulement à l'indépendance de la pensée, mais encore à l'exécution d'une entreprise littéraire de cette importance. Un succès aussi légitime qu'éclatant a récompensé la constance de ce mâle ouvrier, qui a su mener son labeur à bonne fin, et même tracer le plan de la seconde édition, lui donner l'impulsion et en diriger les parties principales.

Envisagée au point de vue purement littéraire, la Biographie universelle nous apparaît avec les qualités et les défauts de l'école académique et universitaire de l'Empire, qui a prolongé son existence jusque sous la Restauration. Les articles sont généralement rédigés avec sobriété et correction, mais sans grand éclat, nous dirons même sans originalité. En un mot, la lecture en est plus instructive qu'elle n'est attachante, et on les parcourt moins pour y trouver du charme que pour y chercher des enseignements. Sans doute, le genre de la biographie ne comporte pas toujours les grands effets de style, qui même seraient déplacés dans une multitude d'articles courts et purement spéciaux ou techniques ; mais, après tout, la banalité n'est pas moins à craindre que l'affectation, et la sobriété n'est une qualité réelle qu'à la condition de ne pas dégénérer en sécheresse. C'est ce qui arrive parfois à quelques-uns des collaborateurs de la biographie universelle. Les plus renommés mêmes s'élèvent rarement ; ils semblent subir l'influence du milieu et s'attacher à ne pas dépasser un certain niveau moyen, qui est la limite commune. On dirait qu'ils se refusent à employer toutes leurs forces, pour ne pas nuire à l'ensemble, et qu'ils trouvent suffisants pour leur réputation de ne pas tomber dans le médiocre pur. On trouverait difficilement, parmi ce milliers d'articles, quelques-uns de ces morceaux d'éclat tels qu'on serait en droit d'en attendre des écrivains qui les ont signés.

La partie bibliographique est généralement traitée avec soin. Les recherches, quelquefois insuffisantes, sont le plus souvent exactes. Néanmoins, malgré les remaniements, les rajeunissements et les retouches, cet ouvrage, si remarquable à tant d'égards, a conservé une physionomie un peu surannée. Un grand nombre de progrès ont été accomplis dans les sciences historiques, dans la critique religieuse, dans la littérature, la philosophie, etc., dont les rédacteurs et les réviseurs n'ont pas suffisamment tenu compte. Bien des points de l'histoire ancienne et de notre histoire nationale ont été traités à peu près exclusivement dans la manière de l'ancienne école historique, et sont demeurés ainsi même dans la nouvelle édition.

Sous le rapport philosophique et politique, la Biographie universelle porte l'empreinte d'un esprit de parti dont l'aigreur a été un peu adoucie dans la réimpression, mais non pas d'une manière très-sensible. Il y a même eu aggravation en certaines parties. Ainsi Villenave a ajouté des notes à beaucoup d'articles consacrés à des hommes de la Révolution, notes où il semble avoir déversé toutes ses vieilles rancunes et qui renchérissent sur les malveillances et les appréciations haineuses des articles primitifs. Cependant lui-même avait été mêlé aux événements de la Révolution, et il avait joué un rôle actif, soit comme meneur des sociétés populaires de Nantes, soit comme substitut de l'accusateur public du tribunal révolutionnaire de cette ville. Mais il était de mode alors d'affecter un zèle excessif pour les idées monarchiques et religieuses. La réaction aveugle contre le XVIIIe siècle et la Révolution n'avait fait naturellement que s'accroître sous la Restauration, et les savants collaborateurs de Michaud, outre qu'ils subissaient dans une certaine mesure son énergique impulsion, étaient pour la plupart infectés de ce détestable esprit;  ils avaient perdu la tradition nationale, et ce n'est pas dans les bureaux de la Biographie qu'ils la pouvaient retrouver.

Tout ce qui concerne la Révolution est dans le sentiment qui dominait à cette époque : négation du droit, altération des faits, diffamation des hommes. Toute la philosophie de cette grande histoire se résumait alors, comme on le sait, dans cette théorie étrange qui faisait considérer l'ensemble de ces événements prodigieux comme une longue saturnale, une série de brigandages, et les acteurs comme de purs scélérats. Cette appréciation, qui nous semble si naïvement absurde aujourd'hui, était alors la doctrine officielle. C'est celle qui a généralement inspiré les rédacteurs de la Biographie dans leurs travaux, et c'est ce qui fait que leur œuvre a vieilli si vite. Ce n'est pas impunément qu'on peut mentir à l'histoire et outrager la vérité. Parmi cette génération de grands esprits, les uns avaient été égarés dans cette voie par des traditions de famille, par la fatalité des circonstances ; d'autres, par des calculs d'ambition ; d'autres encore, dont le talent avait grandi au milieu des événements, pendant que leur caractère s'abaissait, répudiaient naturellement les passions et les idées de leur jeunesse, qui condamnaient les calculs de leur âge mûr. Mais tout ce qu'ils ont écrit contre la Révolution l'a été sur du sable, et cette partie de leur œuvre nous apparaît déjà comme de vaines imprécations contre le civilisation et la liberté.

Terminons par une révélation assez piquante : la vie de Michaud aîné, l'acrimonieux historien des croisades, est écrite dans un esprit a demi hostile et empreinte même, vers la fin, d'une singulière aigreur. Cet article qui a paru dans le Supplément, est de M. Parisot ; et s'il n'a pas été inspiré par Michaud jeune, il n'a pas non plus été amendé par lui. Cependant, il ne se gênait nullement pour arranger et quelquefois pour mutiler le travail de ses collaborateurs, sans révérence pour leur célébrité. Cela est bien connu, et les auteurs n'étaient souvent prévenus des changements que par la réception du volume imprimé. Nous avons sous les yeux une lettre de Suard, appartenant au cabinet de M. Gabriel Charavay, où le célèbre académicien se plaint très-amèrement des mutilations que Michaud fait subir à ses articles. " Je ne suis point, dit-il, habitué à ces légèretés-là ; mais la sottise est faite, il fut la boire. " La sottise est faite, cela signifiait qu'elle était imprimée.

BIOGRAPHIE UNIVERSELLE ET PORTATIVE DES CONTEMPORAINS, ou Dictionnaire historique des hommes vivants, par Rabbe, Vieilh de Boisjolin et Sainte-Preuve ; 5 vol. in-8°, à 2 col., Paris, 1834. - Entreprise en 1827 par Em. Babeuf, fils du fameux Caïus Gracchus, tribun du peuple, elle fut dirigée jusqu'à la lettre C par Boquillon, qui dut ensuite céder la rédaction en chef à Rabbe. Par son talent et par son expérience, Rabbe était capable de diriger une opération littéraire ; mais la nature de son esprit, que dominait une vive imagination, le rendait médiocrement apte à gouverner un entreprise pleine de périls et d'embarras. Aussi, dès la dix-septième édition livraison, l'imprimeur-éditeur se crut-il obligé de décharger Rabbe de ce lourd fardeau, pour le confier à Vieilh de Boisjolin, qui déjà soutenait la publication par ses propres travaux. Le supplément, qui est compris dans le 5e volume, fut publié sous ses auspices.

La Biographie de Rabbe et Boisjolin est sans contredit le plus vaste et le plus utile des dictionnaires historiques contemporains qui ont paru depuis la Révolution ; il est écrit dans l'esprit libéral et un peu chauvin de la Restauration. Le publiciste, l'historien, le biographe chercheraient vainement ailleurs les notes précises, les informations sûres, les aperçus judicieux, les innombrables articles que contiennent ces dix mille colonnes de texte serré. Tous les personnages marquants, français et étrangers, de 1788 à 1834, y figurent dans une mesure généralement proportionnée à leur mérite et au rôle qu'ils ont joué. Tous ces hommes furent les héros, les martyrs, les victimes, les défenseurs, les adversaires, les apostats ou les continuateurs de la Révolution. Beaucoup existent encore. Dans quel esprit, à quel point de vue ont-ils été jugés ? Les directeurs de la Biographie nous paraissent les avoir appréciés, soit avec la sympathie, soit avec la réserve d'écrivains libéraux inclinant aux théories républicaines, et cette tendance n'est point ici une partialité systématique. Pour caractériser équitablement les hommes de la Révolution, le seul moyen était de demander à la vie de ces hommes dans quelle mesure et dans quel sens ils avaient servi, détourné ou combattu les principes et les conséquences de ce grand phénomène politique et social.

Ce dictionnaire est redevable à Rabbe d'un grand nombre d'excellents articles, entre autres ceux du ministre Canning, de Benjamin Constant, de Catherine II, et plus particulièrement encore celui du fameux peintre David. Les généraux et les géomètre y forment le domaine de Boisjolin ; parmi ses articles, on distingue les suivants : Appert, Aubert de Vitry, Dampierre, Darmagnac, Decaen, Dejean, Didot, Duroc, Fourier, Fox, Jourdan, Lassus, Méchain, Montucla, Moratin, Prony, etc. On doit vérifier avec soin certaines dates et se mettre en garde contre certaines opinions, par suite des difficultés que les auteurs ont éprouvées pour obtenir des renseignements à la fois complets et exacts sur la vie des hommes remarquables de leur époque.

NOUVELLE BIOGRAPHIE GÉNÉRALE, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, publiée par MM. Firmin Didot, sous la direction de M. le docteur Hoëfer. Cet ouvrage, qui touche aujourd'hui à la fin de sa publication, avait pris d'abord le titre de Nouvelle Biographie universelle, qu'il dut quitter par décision judiciaire. Il y eut même, si nous souvenirs sont exacts, une condamnation à l'amende pour de larges emprunts faits à la Biographie de Michaud. Cette collection, estimable sous quelques rapports, nous paraît cependant, prise dans sa généralité, moins une œuvre de science et de littérature qu'une entreprise de librairie. Un certain nombre d'articles sont excellents, d'autres sont consciencieux ; mais beaucoup sont purement et simplement compilés. Presque toutes les biographies de l'Encyclopédie des gens du monde ont passé, par un simple coup de ciseau, dans la Biographie générale, allégées souvent du nom de leur auteur et saupoudrées de maigres additions. Le savant historien de la chimie, chargé de la direction de cet ouvrage, a peut-être un peu trop apporté dans cette mission ses habitudes germaniques. Il en résulte souvent un étalage d'érudition, très-sérieuse dans ses propres articles, quoiqu'un peu pesante et confuse, mais indigeste et de mauvais aloi chez beaucoup de ses collaborateurs.

Les titres des ouvrages sont tous cités dans la langue originale, et le plus souvent sans traduction entre parenthèses; en sorte qu'il faudrait que les lecteurs fussent tous des polyglottes. Il est encore un autre défaut qui nous a souvent choqué, et qui a certainement produit la même impression sur une foule de lecteurs. Divers articles d'une importance très-secondaire, surtout la biographie des personnages espagnols, portugais et brésiliens, sont l'objet de développements tout-à-fait inattendus, parce qu'ils se rattachent à des noms obscurs, autour desquels ne s'est produit qu'un retentissement passager et local. On croirait volontiers d'abord que la biographie Didot vient combler des lacunes, réparer des injustices, exhumer de l'oubli des noms qui avaient les droits les plus incontestables à l'immortalité, et l'on reconnaît, en fin de compte, qu'on est en face de personnalités médiocres, qu'un rédacteur a mises sur le piédestal dans un but trop transparent pour que nous ayons à l'expliquer. Nous ne voyons pas ici un tableau rempli de figures vraiment historiques, mais un ouvrage dénué de toute proportion, avec la tête d'un géant sur les épaules d'un nain. Évidemment, ces articles ont été rédigés par des hommes trop versés dans l'histoire castillane, inconvénient ordinaire des spécialités dans ces sortes d'ouvrages.

DICTIONNAIRE UNIVERSEL DES CONTEMPORAINS, publié en 1858, par M. Vapereau, et dont la 3e édition vient de paraître. La biographie contemporaine n'est pas nouvelle dans notre pays ; contentons-nous de citer Rabbe et Germain Sarrut, les modèles du genre, ainsi que les petits in-18 de MM. de Loménie, Eugène de Mirecourt et Hip. Castille ; mais cette littérature a trop souvent servi à la satisfaction des rancunes ou des sympathies personnelles. Toutefois, entre l'éloge aveugle et le dénigrement à outrance, il y a l'indépendance, qui prend pour drapeau la vérité.

Quel est le mobile qui a dû diriger ceux qui ont confié la rédaction de ce travail à M. Vapereau ? Évidemment ils ont fait miroiter à ses yeux cette épigraphe empruntée au fabuliste : Contenter tout le monde et son père. Si l'on en croit La Fontaine, ce accord est impossible, mais on sait que le bonhomme était naïf, et qu'il n'y avait chez lui aucune des qualités de l'éditeur. Donc, M. Vapereau est hors de cause. C'est un écrivain distingué : sa plume a de la ressource ; elle est diserte, habile, rhétoricienne, et dans une question de bienveillance, aucune situation embarrassante ne l'embarrasse. Comme homme, cette bienveillance systématique est la plus précieuse des qualités ; comme historien, c'est peut-être le plus fâcheux des défauts. On devine donc l'esprit dans lequel est rédigé le Dictionnaire des contemporains. M. Vapereau ne dit son fait à personne. Son livre est un almanach qui n'enregistre que le beau temps, afin que Madame la Lune n'ait pas à s'en fâcher. Avec ce prudent dictionnaire on peut être apostat, voire même renégat en religion, en politique, en philosophie, et dormir sur ses deux oreilles sans craindre les insomnies. IL enregistre vos noms et prénoms, ainsi que votre âge, question qui n'est délicate qu'à l'égard des dames ; il dit si vous avez été préfet ou sous-préfet, vainqueur à Sébastopol ou vaincu à Castelfidardo, membre d'un congrès ou fondateur d'une société de tempérance, orthodoxe ou rationaliste, protectionniste ou libre-échangiste ; mais tout cela prudemment et discrètement.

Ces sortes de biographies, on le comprend, servent peu à la critique, et encore moins à la philosophie de l'histoire contemporaine. Cette bienveillance systématique, répétons le mot, ne saurait entrer dans le plan du Grand Dictionnaire, qui appelle un chat un chat, et qui sait distinguer Cartouche de Montyon. Avec cette méthode on se fait des ennemis ; nous en savons déjà quelque chose, sed magis amica veritas ; et cette compensation est de nature à consoler des attaques de la vanité froissée.

Comme tout ce qui sort de la plume de M. Vapereau, le Dictionnaire des contemporains est très-bien écrit ; on y retrouve à chaque ligne le normalien qui s'est nourri de la moelle des génies de l'antiquité.

Cependant cette critique manquerait encore de justice si nous n'ajoutions pas que le dictionnaire des contemporains est un des livres qui nous ont le plus aidé dans notre travail. Il nous a épargné une correspondance pénible et fastidieuse. La biographie contemporaine est un champ que M. Vapereau a péniblement défriché à notre profit, et s'il ne l'a semé que de guimauves, s'il n'a pas jugé à propos de rompre un peu la monotonie du coup d'œil en l'émaillant de quelques bouquets de ces plantes aromatiques que l'art culinaire appelle assaisonnements, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître que le Dictionnaire des contemporains est une œuvre éminemment utile, où l'on trouve une foule de renseignements précieux et presque toujours exacts.

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