Mais, revenons à Génin, éditeur de Palsgrave et du Wez… C'est en 1852 que l'Imprimerie Nationale fait paraître dans la deuxième série, Histoire des Lettres et des Sciences, de la Collection de Documents inédits sur l'Histoire de France publiés par les soins du Ministre de l'Instruction publique, un imposant volume in-4° de 1136 pages : L'Éclaircissement de la Langue française par Jean Palsgrave, suivi de la Grammaire de Giles du Guez, publiés pour la première fois en France par F. Génin.
L'organisation de l'ouvrage parle de soi-même. Une introduction [pp. 1-38] fournit simultanément l'occasion de replacer historiquement le travaux de Palsgrave et du Wez et la possibilité d'une triple critique chronologique, textuelle et herméneutique de ces travaux grammaticaux et lexicographiques. Les 889 pages de l'Esclaircissement de la Langue françoyse suivent alors, précédées de la reproduction de l'Épître dédicatoire au roi Henry VIII, de la Lettre de privilège rédigée par Andrew Baynton, et de la " Brève Introduction de l'auteur, pour servir à la plus parfaite compréhension " des deux principaux livres constituant le volume. Au regard de cet ensemble, les 190 pages de Du Wez, " An Introductorie for to lerne to rede, to pronounce and to speke French Trewely, compyled for the right high, exellent and most vertuoius Lady, The Lady Mary of Englande, daughter to our most gracious soverayn Lorde Kyng Henry the Eight ", paraissent à première vue peser beaucoup moins. Génin ajoute à ces reproductions diplomatiques, réalisées grâce à l'obligeance studieuse et à la minutie dévouée de l'ancien Recteur de l'Académie de Lyon, P. Lorain, une Table inédite des règles et des mots pour la Grammaire de Palsgrave [pp. 1081-1130], un Sommaire des Matières et des Divisions de cette Grammaire [p. 1131], une Table alphabétique des matières contenues dans la Grammaire de Du Guez [p. 1133-1134], et une Note post-face de l'éditeur [pp. 1135-1136] soulignant la difficulté de procéder en termes philologiques corrects à cette réédition de textes anciens. Le dispositif adopté dans ce protocole éditorial met rapidement en évidence l'objectif de Génin à cette date. En effet, ce travail, initialement ouvert par les recherches entamées sous l'égide institutionnelle de la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe, s'insère en une période où, après la promotion d'une grammaire et d'un dictionnaire susceptibles de revendiquer le prédicat de national, Louis-Napoléon Bonaparte, le petit, s'empare de l'histoire pour donner à son Empire des fondations qui soient celles-là même de la France moderne(11). Louis, Comte de Carne, par exemple, rédige à la même époque des études historiques(12) qui recherchent les fondements de l'unité française chez Suger, Saint-Louis, Duguesclin, Jeanne d'Arc, Louis XI, Henri IV, Richelieu, Mazarin... On pourrait parler ici de l'hétéroclisme au service de la téléologie. Et Génin, éditeur moderne de Palsgrave, n'a similairement aucun mal à détecter dans l'œuvre du grammatiste anglais la confirmation du caractère déjà universel de la langue française en cette Renaissance pourtant fort lointaine; lisons donc toujours derrière déjà :
10°
" Lorsque David Baker écrit que la nation française, aujourd'hui si orgueilleuse de l'universalité de sa langue, paraît en avoir l'obligation à l'Angleterre, il raisonne à rebours ; la langue française n'est pas devenue universelle, parce qu'il a plu à l'Anglais Palsgrave d'en composer une grammaire ; mais, au contraire, Palsgrave a rédigé cette grammaire, parce que la langue française était universelle. Cette universalité était un fait constaté avant la naissance de Palsgrave, de même que avant lui, d'autres avaient tenté de formuler des règles pour faciliter aux étrangers l'étude du français : Vixere fortes ante Agamemnona multi " [p. 13]
A la lumière de ce postulat, la concurrence de Palsgrave et de du Wez, car, dans les termes de Génin, il s'agit bien d'une rivalité de cette sorte, prend naturellement des couleurs bien plus accusées que celles d'un pâle antagonisme de circonstance. L'enjeu est très vite de défendre les droits du locuteur natif à décrire sa langue contre les prétentions et les présomptions de ces " compilateurs [étrangers] qui, comme dit saint Jérôme, ont commencé par enseigner avant que d'être savants " [p. 19]. Dans ces conditions, l'ouvrage de Palsgrave est rapidement soumis à une critique de fond, d'autant plus rigoureuse qu'en cette occurrence les propos négatifs de du Wez se réfléchissent et sont décuplés dans l'écho non moins restrictif qu'en donne Génin :
11°
" Poser des règles est un droit qui appartient à fort peu de gens : quant à moi, ajoute-t-il [Du Wez], dont le français est la langue maternelle et naturelle, et qui pendant trente ans ai fait profession d'instruire dans cette langue des princes, des marquis, deux reines et le roi régnant, je n'ai pas encore découvert de règles infaillibles ; et cependant le roi vient de me confier l'éducation française de sa fille. Palsgrave [et c'est ici la voix de Génin qui reprend la parole] n'est point nommé, mais il est si clairement désigné, qu'il n'est pas possible de s'y méprendre :
Combien que je n'ignore point que plusieurs tant qualifiéz ès bonnes lectures comme aussy elegant en la langue françoise [au moins pour on estre naturel et natif du territoire et païs] ont composés et escripz regles et principes pour introduction en ladite langue, lesquels peult estre, come tiesmoigne saint Hierosme à Paulin, ont ensegnés avant que avoir esté sçavantz ; car ja soit que art soit imitatrice de nature, l'ensuivant de bien près, sy ne la peult elle toutefois aconsuivir. Pourquoy lesdictz compilateurs du tout adhérans à icelle, sont par nature en divers lieux cancelléz, repris et corrigéz. Ne sembleroit ce point chose rare et estrange veoir ung François se ingerér et efforcér d'apprendre aux Allemans la langue tyoise, voire et qui plus est sur icelle composer regles et principes ?…
C'est aultre chose d'ensegnér et d'apprendre par les principes et regles faictz par divers expertz aucteurs, par intervalle et diuturnité de long temps bien approuvéez, que de premiere abordée ; et n'ayant un langage que moienement et comme par emprunt, en voulloir cy pris cy mis non seulement ensegnéer les aultres, mais aussi composer sur ce regles infaillibles, ce que sçavoir faire n'est ottroié à bien peu de ceulx qui sont meme natif dudict langage. Car touchant moy mesmes à qui ladicte langue est maternelle et naturelle, et qui par l'espase de trente ans et plus me suis entremis (combien que soie tres ignorant) d'ensegnér et apprendre plusieurs grandz princes et princesses, come à feu de noble et recommandée mémoire le prince Arthur, le noble roy Henry pour le present prospereusement regnant, à qui Dieu doint vie perpetuelle, les roynes de France et d'Ecosse, avec le noble marquis d'Excestre, etc. ; pour laquelle chose accomplir j'ay fait mon pouvoir et debvoir de perscruter et cercher tout ce que m'a semblé à ce propos servir ; sy n'ai je toutesfois peu trouver regles infallibles (pour ce qu'il n'est possible de telles les trouver), c'est à dire telles que puissent servir infalliblement come font les regles composees pour apprendre Latin, Grec et Hebrieu, et aultres telz langages ; ce que neantmoins lesdictz compilateurs ont entrepris (affin que ne die présumé) de faire, ja soit qu'ilz n'aient esté que petit de temps à l'apprendre, etc. " [p. 19-20]
Cette orientation du propos, seulement précisée au début du dernier tiers du développement, n'a pas au reste pour objet la revendication d'un nationalisme descriptif étroit. Faisant suite à une présentation biographique succincte de Palsgrave [pp. 3-6], la dénonciation de l'arrogance britannique, qui voudrait être à l'origine de la première grammaire du français, fournit l'occasion de faire intervenir la figure de Geoffroy Tory de Bourges et de son Champ fleury [1529]. Et c'est là que la philologie historique découvre finalement sa raison d'être. En comparant minutieusement les dates des ouvrages de Palsgrave et de Tory, Génin met en évidence l'antériorité de ce dernier, et fournit en conséquence un argument pour accuser le grammairien anglais de quelque malignité plagiaire, lui ôtant la possibilité de se disculper derrière une heureuse coïncidence :
12°
" […] Geoffroy Tory, si peu connu de notre temps, était dans le sien célèbre en son pays et à l'étranger. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'à l'apparition de la grammaire de Palsgrave, un certain Léonard Coxe, qui s'intitule principal du collège de Reading […] semble reporter sur Geoffroy Tory l'honneur d'avoir évoqué la grammaire de Palsgrave. La comparaison des dates semble, il est vrai, ne laisser pas beaucoup de vraisemblance à cette supposition, puisque l'ouvrage du français et celui de l'Anglais ne sont qu'à une année d'intervalle ; mais ici je dois signaler une singularité qui n'a point été remarquée des bibliographes. On lit au frontispice la date de 1530, et au dernier feuillet : " achevé d'imprimer le 18 juillet 1530 " ; mais le privilège du roi placé en tête du volume est daté "de notre château d'Amphtyll, le 2 septembre de l'an de notre règne xxii." Or, Henry VIII étant parvenu au trône en 1509, après Pâques, la vingt-deuxième année de son règne est l'année 1531, et le Champ fleury avait paru au commencement de 1529(13). Cela fait donc de bon compte un intervalle de trois ans ; dès lors, le mot de Léonard Coxe a une véritable portée, et les coïncidences que Palsgrave s'applaudit de rencontrer dans le Champ fleury et l'Esclaircissement pourraient bien n'être pas aussi fortuites qu'il lui plaît de le dire." [p. 11-12]
Or cette accusation, que l'on pourrait qualifier d'adjacente par rapport au propos général de Génin, qui est bien d'éditer les deux traités grammaticaux de Palsgrave et du Guez, fournit en réalité bien autre chose que l'occasion d'une dénonciation. Faire reproche à Palsgrave d'avoir contemplé, sans le dire et d'un regard louche, l'œuvre de Tory vise finalement non seulement comme on l'a vu plus haut à débouter l'Anglais de toute légitimité dans sa tentative de décrire les fonctionnement de la langue française, mais aussi à assurer la consistance d'une argumentation qui, en dépit des dates présumées, doit désormais faire valoir la supériorité du travail de du Guez sur celui de Palsgrave.
A cette fin Génin doit procéder à la reconstitution d'une chronologie qui malgré les faits permette d'inférer l'antériorité du grammairien français, au moins dans le principe, et qui fournisse un argument psychologique justifiant la publication tardive de son travail :
13°
" […] du Guez composait ces dialogues en 1527, et avant 1530 Palsgrave avait communication de ses travaux. Ce n'était pas encore la grammaire dédiée à la princesse Marie, mais il est vraisemblable que du Guez avait commencé par publier à l'usage de ses élèves quelques petits traités épars, aujourd'hui disparus.
La Grammaire de du Guez, dans sa rédaction complète et définitive, n'a paru qu'après celle de Palsgrave, puisque le travail de l'Anglais est l'objet de l'ironie et des sarcasmes, à peine voilés, du vieux grammairien français. L'impression de ce volume sans date doit être de 1532 ou 1533.
[…] C'est alors que Gilles du Guez, mécontent de voir exploiter par un rival et l'autorité de son nom et le résultat de ses travaux, rassemble à son tour ses traités partiels, en fait une œuvre d'ensemble, courte, claire, bien digérée, amusante même par les dialogues dont il fait suivre son exposé théorique. " [pp. 17-18]
Mais, bien évidemment, même dans le cadre général de la dénonciation précédemment élaborée, ce seul argument ne saurait suffire à justifier la précellence de du Guez sur Palsgrave. On sourira d'autant plus aujourd'hui de cet effort que les travaux de Douglas Kibbee, en particulier, ont bien établi que l'essentiel du texte de Palsgrave était en fait rédigé dès 1523… Mais, en l'occurrence de ce débat du milieu du XIXe siècle, il faut adjoindre à la discussion, par nécessité scientifique, un indice proprement philologique. François Génin choisit pour ce dernier le traitement de la question de la prononciation, ou, plus exactement, la présentation des rapports, déjà problématiques à la Renaissance, de la graphie et de la prononciation.
Dans l'ordre des préoccupations du XIXe siècle, ce n'est pas faire là œuvre originale. Non seulement depuis Vaudelin, au tout début du siècle précédent, un intérêt certain pour l'articulation des voix s'est-il manifesté, relayé par Restaut, du Broca et bien d'autres ; mais, par le biais des cacologies et des cacographies qui proliférèrent entre 1760 et 1830, cet intérêt s'est développé jusqu'à autoriser de multiples projets de réforme de l'orthographe. Voltaire et Marle, aux deux extrémités de la période, témoignent chacun à leur manière de ces préoccupations, que l'on trouve reflétées à de multiples reprises, tant chez les grammairiens que chez les lexicographes :
14°
" Je ne me crois pas obligé à répéter ici ce que j'ai dit du double ll mouillé en traitant ci-dessus de la prononciation, au sujet des abus les plus criants de la prononciation figurée. Je me contenterai d'y renvoyer le lecteur. Dans tout le reste, j'ai dû suivre l'exemple de mes prédécesseurs, soit en adoptant des signes barbares, mais universellement avoués, pour représenter des sons qu'il est impossible de représenter autrement, comme la combinaison abusive par laquelle on a rendu nos voyelles nasales, celle de la consonne ch, et quelques autres peut-être; soit en substituant le signe vrai de la langue parlée au signe étymologique de la langue écrite, comme dans nation dont le t est un s oral, et dans maison, dont l's est un z. Il n'y avait pas d'autre parti à prendre dans l'énonciation du mot prononcé, et je ne saurais trop redire à ce propos que ces anomalies inévitables n'impliquent aucune objection contre l'orthographe étymologique des langues écrites, qui est leur seule orthographe rationnelle. L'idée que l'orthographe, c'est-à-dire la saine et bonne écriture, sera d'autant meilleure qu'elle se rapprochera davantage de la prononciation, est une erreur énorme dont j'ai tâché de faire justice ailleurs. Il n'y a pas une langue capable de résister pendant cinquante ans à un principe pareil, quand on le réduira en application "(14)
Génin, pour sa part, ne manque pas de noter l'avantage que procure une étude des difficultés de la prononciation, qui fera finalement toute la différence entre le travail novateur, quoique trop discret de du Guez et la récupération hâtive qu'en propose Palsgrave, tout du moins dans les termes où l'éditeur replace le débat :
15°
" Un traité de prononciation était le début obligé d'un livre sur la grammaire. Gilles du Guez paraît être le premier qui se soit avisé de noter le son d'une voyelle par un signe extérieur au mot(15). Il marque l'accent avec beaucoup de soin et d'exactitude, même sur des voyelles où nous ne le mettons pas, et où il serait logique de le mettre. Il y avait à son insu dans son procédé le germe de toute une réforme. Auparavant, l'accent était noté, pour ainsi dire, à l'intérieur du mot, par des consonnes doubles, dont le rôle était d'influencer la voyelle précédente en même temps qu'elles maintenaient le souvenir de l'étymologie ; ces consonnes étaient d'ailleurs muettes dans la prononciation. Du moment que l'accent vient en se posant sur une voyelle en préciser le son et la quantité, de quoi sert pour le langage la double consonne ? […]
Au reste, Gilles du Guez n'avait imaginé la notation extérieure de l'accent que comme artifice mécanique destiné à faciliter aux Anglais l'étude de notre prononciation. Son invention a eu plus de succès et de portée qu'il ne s'y était attendu : elle s'est développée(16) et définitivement installée dans l'orthographe française. Si c'est un abus, il est consacré " [p. 21-22]
Nulle ambiguïté en ce commentaire ; la précellence du modeste précepteur d'origine française, auteur de dialogues aussi divertissants qu'instructifs, est manifeste. Mais il est significatif que, dans son entreprise générale d'exhaussement de la valeur française, langue et grammairien confondus, Génin en vienne à convoquer l'histoire récente même de la discipline dont il est en principe chargé de reconstituer les fondements historiques. Et, entre le présent épistémologiquement troublé de ce milieu du XIXe siècle, dans lequel s'élaborent les principes de la méthode expérimentale, et un passé lointain, dans lequel des esprits plus ou moins ingénieux ou perspicaces ont voulu décrire à des intelligences étrangères les formes et le bon usage de leur langue, il se trouve ici un curieux chassé-croisé des mérites dont l'ultime rebond permet de départager encore entre des productions récentes, instituées de la sorte en héritières des errements du passé. Le paradigme explicatif littéraire, allégué in fine, n'est pas ici sans justification. Il expose tout à la fois la prégnance à cette époque de la littérature dans la constitution de la notion plus générale de modèle culturel, et rappelle que, pour les tenants de la première philologie française, il ne saurait être question de langue en dehors des attestations littérairement documentées :
16°
" Tout dans ce petit ouvrage [de du Guez] est en harmonie avec cette invention commode de l'accent ; tout y révèle l'homme pratique, le maître expérimenté qui tend au but par le plus court chemin : mettre l'élève en état de parler dans le moins de temps et avec le moins de travail possible. La fortune aussi des deux ouvrages fut bien différente : Gilles du Guez en peu d'années fit trois éditions ; Palsgrave ne paraît jamais être arrivé à l'honneur de la seconde. Du Guez avait, d'une main leste et sûre, esquissé la petite grammaire de Lhomond ; Palsgrave avait laborieusement compilé la Grammaire des grammaires ; l'in-folio fut étouffé par l'in-18. Cela se voit souvent dans la littérature, où le quatrain de Saint-Aulaire triomphe de la Pucelle de Chapelain " [p. 23]
On pourrait croire le débat ici terminé, et définitivement consommée la victoire du précepteur sur le grammatiste. Mais ce serait mal connaître le sens de la nuance et de la diplomatie qu'un philologue se doit de cultiver au milieu du siècle qui vit successivement deux Empires, deux Restaurations, deux Républiques et une Commune de Paris. Ou ce serait plutôt méconnaître la nécessité d'accommoder la rigueur du jugement en droit à une certaine aménité dans l'observation des conséquences de fait, en raison même des usagers de cette langue, et notoirement du peuple sous-jacent à toutes ces modifications, tantôt acteur, tantôt sujet régi de ces événements. Sous le coup de cette difficulté inesquivable dès lors que le fondement de la recherche sur la langue française est bien celui d'une triple ambition : nationalisation de l'instrument, développement de l'instruction publique, et diffusion générale des valeurs culturelles inscrites par ce peuple dans son histoire, c'est donc à un véritable retournement dialectique que se livre Génin lorsqu'il propose de considérer les défauts et les manques du travail de Palsgrave comme les marques les plus avérées de l'intérêt qu'un philologue moderne peut reconnaître à son ouvrage. L'argumentation peut superficiellement paraître forcée :
17°
" Mais la circonstance qui dans son temps décida la défaite de Palsgrave, est précisément ce qui nous le rend aujourd'hui précieux. Son défaut avec le temps s'est changé en une qualité. Où chercherait-on ailleurs cette quantité d'observations parfois minutieuses, je l'accorde, mais toujours intéressantes comme la vérité ? cette multitude de faits grammaticaux recueillis dans toutes les parties de la langue et appuyés d'exemples tirés des écrivains illustres ? Du Guez fut habile, mais Palsgrave est savant. Notre compatriote a sans doute fait davantage pour les Anglais contemporains de Palsgrave ; mais Palsgrave à son tour rendra plus de services aux Français du XIXe siècle qui se proposent, non pas d'apprendre à parler français, mais d'étudier l'histoire de la langue française ; car, et c'est une observation essentielle, du Guez n'écrit que pour les élèves, et Palsgrave s'est donné la tâche de former non-seulement des élèves, mais aussi des maîtres(17) " [p. 24]
En effet, Génin propose de reconnaître dans le travail de Palsgrave sinon une prémonition de ce que la philologie moderne, celle dont se réclame Génin lui-même, est en train de reconstruire, du moins un auxiliaire exploitable dans la perspective d'une histoire de la langue française. Et c'est bien là que gît le tour de passe-passe conceptuel et épistémologique qui assure la puissance démonstrative de son argumentation.
[Suite] [Table]
Notes
11. C'est sur le plateau de Gergovie, au sud-ouest de Clermont-Ferrand, que le nouvel empereur fait édifier en 1853 le monument commémoratif de la victoire de Vercingétorix sur les Romains, supposée en ce lieu…
12. Louis, Comte de Carne, Les Fondateurs de l'unité française. Études historiques, Paris, Didier, 1856, 2 vol. 474 + 471 p. On notera en outre que ce volume était diffusé à l'époque comme ouvrage de prix dans divers collèges et lycées, ainsi au collège Chaptal de Paris [exemplaire personnel].
13. Le 28 avril 1529. Le privilège est de 1526, et G. Tory dit lui-même avoir commencé son livre en 1522 (fol. 1°)
14. Vocabulaire de la langue française extrait du Dictionnaire de l'Académie, p. p. Ch. Nodier et P. Ackermann, Préface, p. vii, Paris, Firmin Didot, 1844.
15. La note infra-paginale ajoutée ici par Génin, précise : " Palsgrave ne l'emploie que pour indiquer la syllabe qui porte l'accent tonique, par exemple, il accentue hómme, fémme, douloreùse, éntre, etc. " Vid. Fol. xix de l'édition originale ", p. 21.
16. Et Génin, d'ajouter ici, en note encore infra-paginale : " Du Guez n'a pas inventé l'accent circonflexe ; il n'en avait pas besoin, puisqu'il avait pris la précaution de formuler la règle de la double consonne, surtout en ce qui touche l's, qui est le cas d'application le plus fréquent ", p. 22.
17. Génin rappelle ici la note souscrite par Palsgrave : " … That by the means of my poore labours the french tonge may here after by others the more easily be taught, and also be attayned by suche as for their tymes therof shalbe desyrous " To the kynges grace, p. iii dans sa propre édition.