1.2. Modélisation et Documents : transitions du XVIIIe au XIXe siècle

Les mouvements généraux de progression, régression, involution, déploiement, que l'on peut observer à l'intérieur de chacun des sous-systèmes du système général de la langue, et dans l'ensemble lui-même de ce système, peuvent trouver là des formes de représentation et des modèles explicatifs plausibles. Et c'est dans ce cadre précis que la transition d'une période à une autre période constitue à mes yeux un phénomène local signifiant, faisant apparaître à l'observateur les diverses formes de tensions qui travaillent alors le champ d'observation.

La tendance générale et naturelle est de considérer que le passage entre deux périodes s'effectue soit par rupture brusque, et l'on met alors en place un scénario dramatique. Soit par accommodation progressive en biseau : le scénario se fait alors irénique et idéal. Or, que montre la réalité et que disent les documents concernant ce passage du XVIIIe au XIXe siècle? Des nœuds de crispation insérés dans des plages de détente ; des alternances de pression et d'expansions ; bref, un ensemble de phénomènes hétérogènes coexistant dans un espace-temps rétrospectivement considéré comme cohérent malgré les innombrables accidents ayant ponctué son développement. C'est là que l'historien de la langue regrette de ne pouvoir sonder tous les documents directs et indirects susceptibles d'être ramenés des profondeurs de l'histoire qui les enfouit, et déplore de n'avoir pas toujours à sa disposition les moyens de généraliser par induction les effets de son intuition.

Un pamphlet oublié de Charles-Louis Cadet-Gassicourt nous renseignera utilement à cet égard. Saint-Géran ou la nouvelle langue française, anecdote récente, publié pour la première fois en 1807, apporte au sujet des formes d'expression à la mode en ces années d'importantes précisions susceptibles de donner accès au sentiment épilinguistique moyen de la communauté des locuteurs de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Pour se rallier aux critiques ayant accablé les derniers tomes de l'Histoire de la Langue Française rédigés sous la férule de Charles Bruneau, on pourrait regretter que ce document fasse choix de la catégorie littéraire qui interpose un principe esthétique entre la langue spontanément pratiquée et l'observateur ; mais on se rassurera en considérant qu'indépendamment de cette interposition le tout de la langue est aussi également encapsulé dans les manifestations immédiates de l'usage vernaculaire que dans les témoignages médiatisés de la littérature. Il est difficile d'envisager en dehors de cette dernière un quelconque témoignage naïf des pratiques langagières du passé. En dehors des archives scrupuleusement observées rares sont effectivement les documents autres que spécifiquement littéraires susceptibles d'apporter un éclairage neuf sur les pratiques langagières d'une époque, arbitrairement homogénéisées aujourd'hui par le terme et sous le concept de langue(12). Simplement, la phénoménologie mise en œuvre selon la nature du document est soumise à des régimes divers de fonctionnement.

L'ouvrage de Cadet-Gassicourt visait essentiellement le personnage de Chateaubriand jugé corrupteur de la langue française célébrée il y a peu encore par Rivarol [1784] pour son Génie ; Chateaubriand, dangereux pourvoyeur d'un style creux ainsi que de vaines représentations offertes au lecteur. Mais, derrière le patronyme de l'enchanteur, ce sont tous ses émules qui étaient visés par ceux-là mêmes qui déchantaient alors des transformations de la langue et de la société induites par le cours de l'histoire. Après l'éclatement post-révolutionnaire des canons esthétiques classiques, et la subordination des faits de langage à l'idéologie métaphysique, la compréhension des mécanismes de la langue passe d'abord par le style, tel tout au moins que celui-ci définit une pratique individuelle et garantit la recevabilité sociale de cette dernière. Lorsque cette dernière n'est plus assurée le caractère massif du style se fissure, et des effritements de cette noble forme surgissent les multiples attestations d'une individualité(13) non encore jugée valorisante : " Parmi les écrivains que ce petit ouvrage censure, il en est un sur-tout qui provoque d'autant mieux la critique qu'il semble prendre plaisir à corrompre la langue française. Il serait très-injuste de lui refuser toute espèce de talent ; mais il est absurde de lui accorder une admiration illimitée, de louer comme l'honneur du siècle et de la patrie des tirades déclamatoires dénuées de fond, (quoiqu'elles aient souvent un but) des phrases boursouflées, des alliances de mots barbares, des détails ridicules, des images burlesques, présentées avec une prétention, un ton d'autorité qui en impose aux lecteurs inattentifs, au point de leur faire prendre des mots pour des idées et du galimathias pour de l'éloquence. Si cet auteur n'avait aucune célébrité, aucuns prôneurs, il aurait fallu laisser aux journalistes le soin de relever les fautes de style qui déparent ces écrits ; mais ce n'est point un homme obscur, il a de nombreux lecteurs […] il est bientôt devenu le chef d'une école ou plutôt d'une secte ; car ses admirateurs crient au blasphème dès qu'on ose faire remarquer ses défauts "(14).

C'est donc au nom de cet agrément donné par la société que la charge se poursuit en visant -- derrière les vices du style -- l'éthique de la langue, et le politique corrélé du langage : " Sur la foi des gazettes, échos des partis, les étrangers le regardent comme un prosateur fait pour éclipser Fénélon, Bossuet et Buffon. Plusieurs livres destinés à l'éducation de la jeunesse le présentent comme un modèle excellent qu'on doit chercher à égaler. On ne dit point aux élèves égarés par ces citations, que des hommes d'un mérite pareil, ont employé le même style, les mêmes phrases (nous en offrirons la preuve) et pourtant n'ont obtenu aucun succès. Il n'est point de notre sujet de rechercher la cause de ces différents résultats ; tout homme sensé l'apperçoit [sic] sans peine. Il nous suffit de faire observer aux amis de la saine littérature, qu'engagés une fois dans ce sentier tortueux, les jeunes écrivains s'accoutument à ne plus parler français. On confond tous les genres, on fait un abus continuel de l'antithèse et de l'hyperbole, on joint à l'enflure du style oriental un jargon métaphysique absolument inintelligible, et tandis que, sur les tréteaux des boulevards, l'équivoque grossière avilit les plus nobles expressions, un pathos plus amphigourique que le langage des Précieuses de Molière est admis dans les ouvrages sérieux…. Nous signalons un danger imminent pour la langue française… "(15).

L'expérience ultérieurement relatée dans le récit va très ironiquement exposer sur des points précis le passage progressif du détournement de la langue à l'incompréhension et à l'incommunicabilité(16). Et c'est là -- me semble-t-il -- la marque essentielle de la transition du XVIIIe au XIXe siècle. A la suite de la Révolution de 1789, on a beaucoup parlé d'effondrement d'un monde, de dévalorisation des formes anciennes du pouvoir politique, du savoir scientifique et empirique, du goût et de l'esthétique, des pratiques sociales et des techniques. A partir de documents entièrement différents, Jean-Pierre Seguin, mais aussi Brigitte Schlieben-Lange, Jacques Guilhaumou, Sonia Branca, Roberto Pellerey ont pu montrer la validité et le poids sur les usages du sentiment d'insécurité linguistique qui s'est insinué alors dans la conscience des usagers éclairés du français, ruinant le beau mythe du " génie " de la langue, et dans l'inconscient des locuteurs spontanés. Le texte de Cadet-Gassicourt envisage globalement la translation des valeurs mais n'en expose le détail que dans le seul champ du langage ; en quoi il est précieux.

Les éléments donnés en note font nettement apparaître l'objet et l'enjeu des débats : au-delà des perturbations superficielles de l'expression, qui sont le plus souvent le résultat d'effets de mode, dans quelle mesure peut-on encore parler de langue française si la pratique de cet instrument ne parvient pas ou ne réussit plus à ressouder dans la communication les parties éclatées d'un corps social fracturé par les différences de génération, d'histoire, de géographie et d'idéologie? On notera donc dans ce pamphlet l'expression immédiate d'une opposition de fond entre le sens global de l'évolution de la superstructure, d'une part, qui assoit les transformations des micro-systèmes sur les modifications de l'usage général, et le sentiment épilinguistique attaché au système formel de la langue par les témoins et les tenants du purisme classique, d'autre part. C'est à l'intérieur de ce dispositif que l'intitulé du présent article déploie ses sens. Pour éclairer ceux-ci, et en proposer une analyse critique, je prendrai donc pour finir quelques exemples destinés à illustrer les formes structurelles proposées comme formes de représentation des mouvements généraux de la langue antérieurement relevés.

Décrire une langue oubliée, percevoir le sens tramé dans le développement des discours d'un système qui échappe à l'observateur dans ses aspects immédiatement perlocutoires, distinguer les pratiques d'une langue inconnue… Ce sont là trois phases d'un processus historiographique qui renvoient à trois types d'entrée différente dans la compréhension de l'objet. Le premier focalise plus particulièrement son attention sur les aspects phonologiques et morpho-syntaxiques de la langue ; le second s'attarde aux effets de lexique et de sémantique ; le troisième, enfin, prenant appui sur les relations de la langue à son contexte socio-culturel, s'attache plus à des faits de variation susceptibles d'être appréhendés en termes épi- ou métalinguistiques. Le malaise supposé perçu par Saint-Geran à l'articulation du XVIIIe et du XIXe siècle s'inscrit dans ce cadre tri-dimensionnel.

Émois grammaticaux : derrière une prononciation et des graphies portant la trace de leurs décalages historiques, les " phrases boursouflées " dénoncées par le personnage principal font montre d'une syntaxe accumulative en contradiction avec les règles classiques de la méthode analytique qui prônent au contraire décomposition et sériation : " Tandis que le courant du milieu entraînerait vers la mer les cadavres des pins et des chênes, je verrais sur les deux courants latéraux, remonter le long des rivages des îles flottantes de pistia et de nénuphar, dont les roses jaunes s'élèvent comme de petits pavillons. Des serpens verds, des hérissons bleus, des flammans roses, de jeunes crocodiles s'embarqueraient passagers sur ces vaisseaux de fleurs, et la colonie, déployant au vent ses voiles d'or, aborderait endormie dans quelque anse retirée du fleuve ; tandis que notre œil observateur, perçant dans les longues avenues de la forêt, appercevrait les ours enivrés de raisins, chancelans sur les branches des ormeaux " [p. 19-20]

Rien ici, bien sûr, qui ne soit authentiquement déviant par rapport à la norme. Pour retrouver ces dévoiements, il conviendrait de s'adresser à d'autres documents. Mais une succession d'infractions minimales dont l'accumulation contribue à faire déjà dériver le commentaire strictement grammatical vers l'appréciation de valeurs esthétiques et l'évaluation des qualités ou des défauts d'un style. On conçoit dès lors aisément qu'entre les derniers feux de la grammaire métaphysique diffractés par le courant de l'Idéologie [1800-1838] et les premières lueurs d'une linguistique historique du français [1860-1880], les analyses grammaticales aient si facilement fait place à des commentaires " stylistiques ", laissant la compréhension des mécanismes et l'estimation de leur adéquation à un projet expressif et signifiant à la libre appréciation épilinguistique de chacun. Étudiant l'ordre des mots dans le Journal de J.-L. Ménétra, rédigé à partir de 1764 et recopié dans les premières années du XIXe siècle officiel, Jean-Pierre Seguin a pu reconnaître derrière " l'impression naïve d'une écriture aberrante […] l'existence de micro-systèmes " compatibles avec une extrême variabilité(17). Dans son analyse ultérieure de la constitution de la notion de " phrase ", le même auteur va jusqu'à évoquer à ce sujet les " constructions louches, rapports doubles, et pulvérisation de l'identité de la phrase "(18). C'est ici que l'utilisation des modèles syntaxiques de la juxtaposition, des constructions clivées ou détachées et des modes divers de subordination, perçue dans l'évolution de ces formes au fil du temps, peut trouver une représentation sous les figures du pli, de la fronce, de la queue d'aronde, ou du papillon, précédemment exposés. Semblables remarques pourraient être développées à propos de la place des pronoms personnels compléments dans les constructions infinitives en prolongeant les travaux d'Yvette Galet(19).

Frissons lexicaux : "les alliances de mots barbares", le "jargon métaphysique" jugé par Saint-Géran comme "absolument inintelligible" dans la lettre de son fils, la prolifération des termes scientifiques ou techniques suffixés en -ie, les étymologies permettant -- ainsi que le revendique Maisonterne -- "de ne pas nommer les choses comme tout le monde les nomme", ce sont là les marques superficielles les plus évidentes du passage du temps et de la subversion des anciennes valeurs de sens par des valorisations que dictent dans l'instant les effets de mode. Le lexique d'une langue atteste des modifications qui travaillent simultanément sa morphologie et sa sémantique ; à l'articulation de ces deux plans, ce sont de nouvelles formes de représentation qui s'inscrivent dans la conscience des locuteurs, et -- peu à peu -- émergent à la surface des discours. Au pli, à la fronce, à la queue d'aronde, ou au papillon, convoqués comme figures des altérations de la syntaxe, s'adjoignent ici les formes de l'ombilic parabolique et de l'ombilic hyperbolique, qui introduisent dans les modifications lexicales les actants socio-culturels émanant des formations discursives enregistrées par l'usage ordinaire. Derrière des morphologies rémanentes les valorisations sémantiques ne cessent d'être travaillées par les forces souvent contradictoires des pressions de la société. En termes sociolinguistiques statiquement appliqués, R. A. Lodge a mis en évidence(20) les processus de sélection, de codification et de standardisation du matériau linguistique auxquels correspondent les fonctions d'acceptation, d'élaboration et de vulgarisation des pratiques discursives par le groupe social dominant. Superposées à ce modèle d'états ponctuels et discontinus, suggérant ruptures et heurts, les formes mises en évidence par la théorie de Thom dénotent dynamiquement les parcours effectués en continu et en simultané par la morphologie lexicale et les valeurs sémantiques.

Les événements politiques et culturels marquant la transition du XVIIIe au XIXe siècle sont ainsi enregistrés et homologués par un lexique que travaillent les discussions des puristes classiques contestant les déplacements du vocabulaire et des progressistes soutenant cette évolution nécessaire à la mise en discours des interdits antérieurs de la langue. Le terme de "révolution" est lui-même un bon exemple de ce phénomène(21). On disposera près de lui les évocations contradictoires de Ferdinand Brunot à l'endroit de cet événement : stabilité de la langue, la langue dans la tourmente ; l'oblitération volontaire du phénomène à laquelle procède Alexis François et les réserves de Marcel Cohen affirmant qu'en cette période rien ne s'est passé qui bouleversât durablement les structures de la langue. La thèse de Max Frey en 1925 : Les transformations du vocabulaire à l'époque de la Révolution(22), entérine ce malaise généralisé qui se traduit par une incapacité absolue des éléments idéologiquement critiques du lexique à garder quelque stabilité dénotative que ce soit. Georges Matoré, dès 1946, dans ses recherches sur le vocabulaire de la prose littéraire entre 1833 et 1845(23), Robert Dagneaud, ensuite, en 1954(24), Gunnar von Proschwitz enfin(25), ont eu l'occasion de mettre ce fait en évidence. Pour mon propre compte, je rappellerai seulement la liste publiée en 1829 -- quelques mois seulement avant la reproduction d'un événement de même type ! -- par le Journal Grammatical(26), qui réactualise une série de termes lexicaux ayant suscité troubles, débats, condamnations ou enthousiasmes d'un dangereux pragmatisme : Activer, Administratif, Annuaire, Arbitraire, Arrestation, Assermenté, Avoué, Bureaucratie, Classement, Classification, Démoraliser, Déporter, Désorganiser, Directoire, Dissidence, Domiciliaire, Employé, Exécutif, Fédéraliser, Fonctionnaire, Incivique, Inconstitutionnalité, Inconstitutionnel, Insermenté, Inviolabilité, Liberticide, Modérantisme, Nationaliser, Neutralisation, Neutraliser, Permanence, Pétitionnaire, Philosophisme, Préciser, Propagande, Propagandiste, Régulariser, Révolutionnaire, Soumissionnaire, Terreur, Terrorisme, Tyrannicide, Urgence, Utiliser, Vandalisme, Veto, Vocifération… Tous ces termes ont évidemment vécu des mises en forme discursives diverses ; mais tous témoignent par certains de leurs traits de l'activité représentationnelle de l'époque et trahissent les frissons de sensibilités et d'intelligences souvent heurtées par la violence des actes succédant aux mots. On pourra ainsi noter l'importance dans cette liste :

1) des verbes à dérivation suffixale factitive, qui connotent la volonté républicaine de mettre les individus dans l'obligation de passer d'un état de passivité des sujets à celui de la responsabilité active du citoyen ;

2) des substantifs déverbaux à suffixation également factitive caractérisant le passage à l'acte ;

3) des substantifs privatifs attestant le souci de régulariser le fonctionnement de la langue sur le modèle de celui des idées conçues dans un rapport d'opposition logique de nature binaire ;

4) des substantifs suffixés en -isme, qui dénotent l'expression d'un défaut et connotent leur mise en perspective critique dans le discours.

Tous éléments aptes à susciter chez leurs utilisateurs des réactions dans le plan de l'aperception intuitive -- et pour ainsi dire irréfléchie -- des effets du lexique et de la syntaxe, ou dans celui des causes et des finalités de cet usage, rendues conscientes par l'application d'une méthode analytique. Double plan dans lequel se réfractent à chaque instant les représentations mentales et culturelles attachées à l'emploi de formes de la langue.

Vibrations de l'épilinguistique : les "images burlesques", l'"abus continuel de l'antithèse et de l'hyperbole", le recours à une "vieille éloquence", l'emploi du "langage des Précieuses de Molière", et de la "langue surannée de Fénelon, de Bossuet, de Racine et de Buffon", le refus des "expressions triviales", telles sont les marques les plus superficielles de l'expression susceptibles d'éveiller sympathie ou exaspération en l'homme de paroles et de discours. Point n'est alors besoin d'être grammairien, homme de lettres ou pédagogue pour être légitimé à s'exprimer à ce sujet. Un sentiment général de la langue s'installe à l'arrière-plan des usages effectifs, et chacun devient plus ou moins apte à juger des effets créés par les discours perçus ou émis. Le " Feuilleton " -- dont Belval affirme à Saint-Géran qu'il prend "la quintessence du talent" -- multiplie ces innombrables assertions évaluatives dont la prolifération gage seulement le caractère éminemment subjectif(27).

Madame de Krüdener, épistolière parmi bien d'autres de la période révolutionnaire, fait constamment allusion à la "langue séductrice des passions", à un "langage passionné", et se reproche de ne pouvoir trouver les mots et les expressions susceptibles d'exprimer son être profond, comme si les formes de la langue lui dérobaient l'accès à cette essence(28). Avec ce témoignage, nous sommes encore dans les couches les plus instruites de la société, mais les vibrations épilinguistiques s'insinuent aussi au cœur des couches plus modestes, ne serait-ce que par le biais des cacographies et autres discours normatifs de l'usage qui assoient leur autorité sur les produits affectifs dérivés de la faute. Boinvilliers, par exemple, donnant comme exemples de ces dévoiements : " La sciance est le plu beau thrésor… La vertue, ci aimable, doit accompagné la sciance ", ne cesse de répéter qu'" il est honteux " de ne pas étudier l'orthographe et " déshonorant " de " choquer les oreilles autant que les yeux "(29). Sous le fallacieux prétexte de corriger, il inscrit par là un peu plus profondément dans l'intuition de chaque locuteur le malaise d'être au-dehors de la norme d'usage. L'étude consacrée naguère par Nathalie Fournier au Français de l'île Bourbon, Henri Paulin Panon Desbassayns(30), lors du séjour en France [1790-1792] qu'effectue ce dernier, est très révélatrice à cet égard. Bourgeois des colonies, mais non encore pariso-tropisé comme Saint-Géran, Desbassayns s'est trouvé à l'écart de la norme du français écrit, et se défie en conséquence de sa propre compétence linguistique jusqu'à faire appel à un écrivain public pour rédiger ses courriers à l'île Bourbon. Il tient cependant, à son usage personnel, un journal de ses deux années parisiennes, au cours desquelles il recherche pour ses enfants une maison d'éducation en mesure d'épargner à sa progéniture le malaise et l'insécurité dans lesquels il se trouve. N. Fournier souligne à juste titre combien l'idiolecte de Desbassayns est "perturbé essentiellement par sa mauvaise maîtrise du code écrit et par la dysharmonie qui en résulte entre l'oral et l'écrit", toutes causes dont les effets sont réfléchis en discours par l'orthographe, la morphologie lexicale, le lexique, la syntaxe, la sémantique et les violences faites à l'encontre des concordances temporelles(31).

On trouverait semblables documents à foison dans des correspondances privées de l'époque. Eldon Kaye a ainsi produit des témoignages remarquables sur le réseau des relations du bibliothécaire bisontin Charles Weiss(32), ami de Nodier, telles les lettres de Grimont ou de Morey, qui, dans leurs réticences et leurs craintes, exposent sans ambage ce complexe épilinguistique dont la langue et les discours fixent l'inscription filigranée dans la conscience des utilisateurs. En exergue à l'un de ses articles, Anne Nicolas rapportait cette citation de Laurentie, encore discursivement active et moralement efficace au milieu du XIXe siècle : "La langue révolutionnaire ne connaît point la grâce et l'élégance. La langue impie est audacieuse et brutale; elle offense la grammaire en même temps que la morale"(33). Un futur professeur au Collège de France, lorsqu'il n'a encore que treize ans, écrit à sa mère : " Je fais tous mes efforts pour me corriger du défaut pour lequel tu m'as si souvent grondé, et je vois avec plaisir que mes efforts ne sont pas inutiles, et que je suis presque entièrement corrigé "(34)

L'objet révèle la nature et la force des pressions qui peuvent s'exercer sur une conscience adolescente à l'heure où circulent les mots d'ordre de respect de la normalisation linguistique(35), puisqu'il s'agit seulement pour le jeune Edgar Quinet de résister à la tradition et de moderniser la graphie du verbe " sçavoir "…

Les innombrables discussions qui se font jour alors pour procéder à la sériation des usages de la langue, et pour accorder une marque désignative spécifique à ces emplois -- lointains ancêtres de nos niveaux de langue modernes -- confirment cette intense activité épilinguistique. On se défie alors d'une langue orale qui ne cesse de se développer et de prétendre à reconnaissance alors que seule la langue écrite n'est officiellement entendue et acceptée comme critère de socialité, ou plus exactement de bonne sociabilité… Figurément, proverbialement, familièrement, bassement, populairement, vulgairement, ce sont là ces termes non encore métalinguistiquement justifiés, mais qui commencent déjà à hanter la doxa développée sur le langage par les instances socialement prééminentes. Les attributs de ces marques sont si spontanément reçus et si notionnellement diffus qu'ils paraissent être inscrits de droit dans la nature du langage. Et c'est dans ce cadre de contraintes latentes et d'impératifs socio-éthiques, sur fond d'idéologie controversée mais prégnante, que la constitution d'une grammaire prescriptive active la prise de conscience des mécanismes formels de la langue et de leurs produits esthétiques. On réédite encore Dumarsais en 1800… De cette saillance s'ensuit un développement inconnu jusqu'alors de théories et de commentaires, parfois contradictoires, mais toujours indicatifs du besoin de comprendre et d'expliquer pour mieux appliquer la règle. La superposition en un même temps de ces discours sur la langue produit rapidement un effet de tremblé grâce auquel s'estompent peu à peu les contours trop raides de la métaphysique logique et de l'Idéologie, et à la faveur duquel se légitime la prise en considération des effets du style.

Trémulations métalinguistiques : les analyses des grammairiens inspirés de Condillac(36) et de Beauzée, à destination initiale d'un public savant ou demi-savant, sont alors progressivement concurrencées par celles qui dérivent de Lhômond et de ses successeurs, orientées par le souci de faire acquérir à un public puéril, féminin ou socialement non instruit(37) -- c'est tout un !.. -- les règles du fonctionnement pratique de la langue(38). Pour les seules années 1800-1802, tous documents recensés dans l'annexe documentaire du présent article, sur 93 titres retenus, se répartissant entre nos quatre catégories de dictionnaires, grammaires, rhétoriques ou poétiques et essais sur le langage, 51 ouvrages se réclament explicitement de la grammaire et donnent à voir les premiers moments de la dérive du logicisme métaphysique vers l'esthétique de la langue. Encore faudrait-il y ajouter la bonne vingtaine de dictionnaires édités dans la même période, qui s'efforcent pour leur part de procéder à semblable fixation d'un discours explicatif des fonctionnements de la langue. [Suite] – [Table]

Notes

12 Dans son étude du Journal de ma vie de J. L. Ménétra, encore tout récemment réédité, Jean-Pierre Seguin pointe avec grande netteté et rigueur tous les effets négatifs induits par le toilettage linguistique à la manière moderne d'un texte du XVIIIe siècle. Le lecteur lit autre chose que le document factuel. Voir : J.-P. Seguin, " Le Journal de ma vie de J. L. Ménétra ", in Mélanges de Langue et de Littérature française offerts à Pierre Larthomas, Paris, Collection de l'É.NS. J. F., n° 26, 1985, pp. 437-450.

13 Le terme passera encore pour un néologisme à la fin du premier tiers du XIXe siècle.

14 Ch.-L. Cadet-Gassicourt [1769-1821], Saint-Géran ou La Nouvelle langue française, Anecdote récente, Suivie de L'Itinéraire de Lutèce au Mont Valérien, en suivant le fleuve Séquanien et revenant par le mont des Martyrs ; Petite parodie d'un grand voyage, A Bruxelles, chez Weissenbuch, et à Paris, chez D. Colas, Libraire, rue du Vieux-Colombier, n° 26, seconde édition, " Un mot sérieux au lecteur raisonnable ", pp. ij-iv.

15 Ibid. p. vij.

16 Riche propriétaire terrien à Saint-Domingue, Saint-Géran se sépare de sa famille pendant sept ans pour réaliser dans l'île la vente de ses biens. Il confie ses enfants Adolphe et Virginie à leur mère et à son meilleur ami, Francheville, auquel échoit la responsabilité de veiller sur leur éducation. Parmi les chapitres importants de celle-ci figurent les langues, le goût et le style. Au retour de son séjour, Saint-Géran s'enquiert immédiatement de la situation de ses enfants, et se prépare à lire une lettre d'Adolphe à lui destinée; malheureusement le porteur de lettre est obligé de différer jusqu'au lendemain la remise de cette missive, mais tente de rassurer le père sur le devenir de son fils. Ici se situent les premières marques lexicales du malaise communicationnel qui va progressivement entraver la relation verbale des personnages mis en scène :

" [Adolphe] est tout entier aux arts, aux sciences et aux lettres, son esprit actif embrasse mille objets-à-la fois. Il y a peu de personnes qui sachent comme lui la mnémonique, la mégalantropogénésie, la stentorotechnie, la pasylalie, la phantasmagorie, la psycologie, l'archæologie, l'idéologie, l'uranographie, l'encyclologie, le système de Kant et celui de Gall, enfin il est très-fort en littérature et en anatomie. -- Pardonnez, mon cher Belval, mais dans tous les mots que vous venez de prononcer, je ne connais que les derniers. Je ne suis point fâché que mon fils ait pris quelques notions d'anatomie, quoiqu'il ne soit pas destiné à devenir médecin "

Comme on peut s'y attendre, la suite de l'entretien ne ménage à Saint-Géran qu'une succession de surprises désagréables ; et l'homme aux valeurs classiques de nourrir rapidement en conséquence une prévention définitive à l'endroit des nouveautés lexicales :

" Tout ceci n'est qu'une ridicule jonglerie, pour masquer la plus crasse ignorance "

Le summum de l'exaspération et de l'incompréhension, après une tirade consacrée à évoquer les vertus modernes pour le style de la lecture du Feuilleton et des nouveaux mélodrames, est enfin atteint avec la lecture tant attendue de la lettre rédigée par Adolphe… dans le plus pur style du Chateaubriand du Génie du Christianisme! La réaction ne se fait point attendre  :

" Saint-Géran ne pouvait concevoir comment on écrivait un pareil galimathias : il lui répugnait de penser que son fils avait eu l'intention de l'insulter ; cependant il n'osait pas accuser son ami Francheville, d'avoir assez négligé Adolphe, pour lui laisser prendre un style aussi ridicule. Aurait-on voulu me cacher, se disait-il à lui-même, que la tête de mon fils est aliénée ? "

Un ami d'Adolphe, Belval, choisit alors d'éclairer le père éploré et lui rapporte les critiques grammaticales que le Feuilleton moderne porte sur l'expression des classiques, à l'instar des remarques tendancieuses que Voltaire infligeait naguère à Corneille à force d'être insensible aux faits mêmes de l'histoire de la langue. Ce qui ne peut que conduire à poser la question de la nature de l'enseignement pouvant mener à semblables aberrations du bon sens et du goût ; ce sont alors les méthodes en cours à la toute fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle qui sont dénoncées :

" Nous allions ensemble à l'Athénée des étrangers. C'est-là que le professeur de pasigraphie, M. de M…., nous développait le mécanisme de la langue, et nous parlant des adjectifs, les considérait comme un rayon de qualités, les faisait passer à travers le prisme de l'esprit, les divisait en sept filets et les broyait sur la palette de l'imagination : il en sortait une infinité de nuances dont il composait tous les ornemens des substantifs. -- Dieu me pardonne , s'écria Saint-Géran ! voilà le langage des Précieuses de Molière "

Et d'abord l'idéologie, avec ses plus célèbres représentants, Destutt de Tracy et Sicard ; ce dernier étant plus particulièrement visé :

" L'idéologie est bien plus abstraite. Tenez, je me rappelle fort à propos la leçon d'un autre professeur plus célèbre encore, parce que les sourds l'entendent et que les muets parlent de lui. Il nous disait à-peu-près : supposez que les idées soient rondes comme la terre, il faut les diviser en deux hémisphères. Dans l'un vous mettrez le sujet, et dans l'autre l'attribut. Imaginez autour du sujet l'atmosphère des personnalités, et autour de l'attribut celle des circonstances. Un triangle radieux comme le Jehova [sic] domine ces deux hémisphères et représente l'élévation du génie répandant la lumière. En traversant ces deux hémisphères, ses rayons éprouvent une réfraction et arrivent aux différentes localités des points idéologiques "

Le mouvement en lui-même est déprécié comme une pathologie de la pensée, de l'expression et du goût ; et toute une allégorie de la purification du langage souillé se développe alors, dans le seul but de réaffirmer -- au profit d'une conjonction classique d'intérêts bien connus -- la valeur pérenne du Génie de la langue :

" Tout ce que vous a raconté Belval est vrai, lui dit le vertueux B…., une secte ennemie de toute idée libérale, corrompt en France et la langue et le goût, calomnie sans cesse la philosophie, et met à la mode un jargon barbare, à la faveur duquel les plus absurdes paradoxes prennent le masque de la raison. C'est le dernier mal que nous fera la révolution. Il n'est pas étonnant que lorsqu'un bourbier fangeux a été long-temps agité, il s'élève encore de son sein des miasmes infects, et de ces insectes qui ne vivent que dans un air corrompu, dévorent les cadavres et s'attachent quelquefois aux vivans. Leurs couleurs brillantes chatoient et séduisent ; mais si l'on y touche, on est à l'instant percé d'un aiguillon brûlant, ou sali par une tache livide. Le soleil et les fleurs, en purifiant l'atmosphère, dissipent leurs essaims malfaisans. Ne craignez donc pas l'influence des obscurans, leur gloire est éphémère, et le génie qui veille sur la France, saura, quand il en sera temps, venger la littérature et la morale "

Une lettre de Virginie à son père achève de convaincre Saint-Géran de son infortune :

" C'en est donc fait, dit-il, ma Virginie si naïve et si pure est devenue pédante et maniérée, mon fils extravagant et original…. "

Mais là ne s'arrête pas la succession des découvertes du malheureux père. Accompagnant son ami Belval chez l'oncle de ce dernier, un curé, Saint-Géran est témoin d'une conversation entre deux ecclésiastiques qui le confirme dans sa défiance à l'égard des phraséologies contemporaines :

" Quoi ! s'écria-t-il ensuite avec indignation, les ministres d'une religion si belle dans sa simplicité, ne peuvent se contenter du langage sublime de l'Évangile, ils y joignent encore l'argot des illuminés. […] apprenez que c'est avec ces phrases mystiques que la superstition aiguise les poignards du fanatisme et prépare les bûchers de l'intolérance. On commence par des disputes de mots, et l'on finit par des assassinats "

La conclusion s'impose dès lors :

[…] tenez vous-en à la langue que parlaient Rousseau, Voltaire et Buffon ; elle n'est pas si nouvelle que celle qu'on veut y substituer, mais elle sera toujours la véritable langue française, celle des gens d'esprit et de bon sens "

Et Saint-Géran, mariant sa fille à Belval, est trop heureux de léguer la Corinne de Mme de Staël à une femme de chambre renvoyée, et l'Atala de Chateaubriand au bedeau de la paroisse que quittent les jeunes mariés et leurs familles…. Tout est bien qui finit bien !

17 Jean-Pierre Seguin, " L'ordre des mots dans le journal de J.-L. Ménétra ", in Grammaire des fautes et français non conventionnel, Acte du IVe colloque international du GEHLF, décembre 1989, Presses de l'École Normale Supérieure de Jeunes Filles, Paris, 1992, pp. 29-37.

18 Jean-Pierre Seguin, L'Invention de la phrase au XVIIIe siècle (Contribution à l'histoire du sentiment linguistique français), Bibliothèque de l'Information grammaticale, 26, Éditions Peeters, Louvain - Paris, 1993, p. 398-402.

19 Yvette Galet, L'Évolution de l'ordre des mots dans la phrase française de 1600 à 1700, Paris, P.U.F., 1971.

20 Cf. supra n. 10.

21 Voir J.-Ph. Saint-Gérand, " " Révolution " à l'épreuve des lexicographes et des documents " in La Légende de la Révolution, Actes du Colloque du Centre de Recherche Révolutionnaire et Romantique de Clermont-Ferrand, 1986, ADOSA, 1988, pp. 191-214.

22 Paris, P.U.F., 1925.

23 Travail ultérieurement publié sous le titre : Le vocabulaire et la société sous Louis-Philippe, Paris, Droz, 1951.

24 Robert Dagneaud, Les Éléments populaires dans le lexique de la Comédie humaine de Balzac, Quimper, 1954.

25 Voir " Le vocabulaire politique du XVIIIe siècle, avant et après la Révolution. Scission ou continuité ? " in Le Français moderne, avril 1966 pp. 87 sqq.

26 Voir le tome IV, 1829, p. 219 sqq.

27 Louis-Sébastien Mercier notait d'ailleurs dans son Tableau de Paris : " Avec quelle légèreté on ballotte à Paris les opinions humaines ! […] On a prononcé hardiment sur les premières vérités de la métaphysique, de la morale, de la littérature et de la politique : l'on a dit du même homme, à la même table, à droite qu'il est un aigle, à gauche qu'il est un oison. L'on a débité du même principe, d'un côté qu'il était incontestable, de l'autre qu'il était absurde. Les extrêmes se rencontrent, et les mots n'ont plus la même signification dans deux bouches différentes ", tome I, 8 : "De la Conversation", éd. M. Delon, Paris, Robert Laffont, Coll. Bouquins, 1990, p. 38.

28 Voir Francis Ley, Madame de Krüdener 1764-1824. Romantisme et Sainte-Alliance, Paris, Honoré Champion, 1994, p. 90 et, dans une lettre au poète allemand Jean-Paul [Richter] : " Ah ! si seulement je pouvais vous dépeindre ce qui est dans mon cœur, avec les couleurs qui s'y trouvent et que je ne puis confier à mes paroles ! Je me représente moi-même comme étant une riche mine d'or qui connaît pourtant sa valeur mais qui d'elle-même ne sait se révéler. Je porte en effet un trésor et j'en vis mais seul l'œil du philosophe qui sait percevoir les beautés des larmes du sentiment, seul ce regard-là peut me deviner et pourrait cueillir mes pensées dans le berceau de mon moi ! "…

29 Jean-Étienne, Judith Forestier, dit Boinvilliers, Cacographie, Paris, Barbou, 1803, p.6.

30 Nathalie Fournier, " Accord et concordance dans le journal parisien de Henri Paulin Panon Desbassayns [1790-1792] ", in Grammaire des fautes et français non conventionnel, Acte du IVe Colloque international du GEHLF, décembre 1989, Presses de l'École Normale Supérieure de Jeunes Filles, Paris, 1992, pp. 39-57.

31 Un seul exemple, mais significatif : "De 5 a 6 heurs dusoire MrDepremini ansien Desputé de la premier Legislations a Eté reconnu sur la terace des feuillans au Tuillery Lepeuple san est sezi il fut mutilé decoups de sabre, il fut trené aupalais royal oule peuple ses rassemblé pour luy couper la tette ou le pandre, il nexecuta pas son dessins il fut mene sous les arcades liveré toujours a la fureur de ceux qui voulez le tuer, il népas more ceu qui Lon vu prezume quil nan reviendera pas", Loc. cit ; p. 51.

32 Eldon Kaye, Les correspondants de Charles Weiss, Collection Analyses littéraires, Le Préambule, Longueil, Québec, 1987, notamment p. 353-54.

33 Anne Nicolas, " Keksekça ? Réflexions sur la notion de " langue populaire " au XIXe siècle ", texte recueilli dans XIXe Kaléidoscopie, Hommage à Anne Nicolas, textes réunis par Dany Amiot, avec la collaboration de Marie-Dominique Boucher et Françoise Toulze, Éditions du Conseil Scientifique de l'Université Charles-de-Gaulle - Lille 3, Travaux et Recherche, 1998, p.170.

34 Edgar Quinet, Lettres à sa mère, Textes réunis, classé et annotés par Simone Bernard-Griffiths et Gérard Peylet, Paris, Librairie Honoré Champion, t. I [1808-1820], 1995, t. II [1821-1825], 1998. Le texte cité date du 25 mars 1816, t. I, p. 76.

35 Le Journal Grammatical, Littéraire et Philosophique de la Langue française et des Langues en général notera en effet : " Aujourd'hui que l'instruction doit, plus que jamais, se répandre dans toutes les classes de la société, à une époque où tous les citoyens sont appelés à prendre part aux affaires publiques, la pureté du langage est nécessairement un élément de succès des plus puissants, et la marque la moins équivoque d'une éducation soignée ", tome v, décembre 1831, p. 122.

36 On remarquera d'ailleurs la réédition en 1802 des Principes de la grammaire française par l'abbé de Condillac, nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée, in-12, Paris, Rémont éd.

37 Quelques éléments de référence : Petite grammaire des enfans, par le citoyen Caminade, in-12, Paris, chez l'auteur, et chez Agasse, Deterville, Moutardier éd. Dont il est dit : "Cette grammaire est spécialement destinée à l'instruction du premier âge. L'auteur en explique les règles d'une manière si facile et si claire, qu'il serait difficile de trouver une méthode plus simple et plus proportionnée aux facultés de l'enfance. Le mérite de ces sortes d'ouvrages consiste à établir avec laconisme, des principes sûrs qui se gravent aisément dans l'esprit et lui présentent des applications faciles. " (JLF p. 220). Ou la Grammaire française par tableaux analytiques et raisonnés, soumise à l'examen de l'lnstitut National par Félix Gallet, gr. in-4° de 84 p., Paris, Fuchs éd., doublet mercantile de l'ouvrage similaire de Galles de Châteauneuf, dont les contemporains notent : "L'auteur présente une méthode grammaticale dont la brièveté et la facilité doit contribuer aux progrès de l'instruction. Il a choisi la marche analytique comme la plus simple, la plus conforme à la marche de l'esprit humain, et la plus propre à le conduire à des principes bien établis, et à des règles sûres et faciles" (JLF. p.154). Ou, dans une perspective évidemment sexiste à nos yeux : La Grammaire en vaudevilles ou Lettres à Caroline sur la grammaire française, par S**; in-12, avec gravure, Paris, Barba. Voire : Le Nouveau rudiment des Dames, ou le vélocifère grammatical pour apprendre la langue française et l'orthographe en trois mois; ouvrage élémentaire unique en son genre, mis en vaudeville et dédié aux dames par Mlle Stéphanie de Warchout, âgée de quinze ans, élève de M. Galimard, professeur de grammaire […]; in-12, Martinet éd. Les défenseurs du sexe s'en donnent là à cœur joie !

38 Voir J.-Ph. Saint-Gérand, " Repères pour une histoire de la langue française au XIXe siècle ", in La Licorne, Publication de la Faculté des Lettres et des Langues de l'Université de Poitiers, 1980/4, pp. 95-121 ; 1981/5, pp. 237-271 ; 1983/7, pp.239-305. Cette bibliographie commentée cherche à dresser une carte du secteur de la langue, et à établir les lignes de force principales des transformations perceptibles en ce domaine, ainsi que les tendances les plus actives de la réflexion métalinguistique entre 1800 et 1830.