C'est effectivement dans ces ouvrages que devrait se trouver formalisée la notion d'" histoire de la langue " :
a) soit sous la forme d'une mention dans un des articles histoire ou langue de leur nomenclature,
b) soit dans un développement spécifique de leur péritexte introductif ou préfaciel.
Or les ouvrages que l'on a consultés ici affichent une identique et paradoxale caractéristique : à savoir que la notion est abondamment glosée dans le péritexte, mais qu'elle demeure curieusement absente des notices elles-mêmes. Cette sur-représentation et cette lacune concomitantes demandent explication. Mais, voyons d'abord sur pièces.
La lecture des quatorze édition du Dictionnaire universel de P. C. V. Boiste, publiées entre 1800 et 1857, ne fait pas mention une seule fois en leur corps du syntagme " histoire de la langue ". Il n'y a rien là véritablement d'étonnant. Dès ses premières éditions, Boiste ne parle que des " quatre âges les plus remarquables de la langue françoise ", à savoir la Renaissance, le siècle de Louis XIV, puis le siècle des Lumières, et enfin la période contemporaine de Boiste lui-même, en l'occurrence celle de la fin du Consulat et des débuts de l'empire de Napoléon.
La notion d'histoire est absente, probablement parce qu'il manque au lexicographe une théorie philologique de la reconstruction des formes. Le dictionnaire est une machine à gloser le sens et non pas une machine à remonter le temps, qui permettrait d'accéder aux formes étymologiques originelles grâce à des protocoles de reconstruction fixes et rigoureux. Les mots " inintelligibles du vieux langage " auxquels Boiste fait initialement référence sont des blocs de signification réfractaires à l'entendement moderne ; leur explicitation ne fait aucunement intervenir une théorie de l'histoire. En dépit de Du Cange et de Ménage au XVIIe siècle, de Turgot et de Court de Gébelin au XVIIIe, le dictionnaire seulement traduit et donne une équivalence. Et, aux articles langue et histoire, le lecteur ne trouve aucun indice permettant de suspecter une quelconque réflexion concernant l'historicité des phénomènes linguistiques propres au français.
Lorsque Nodier, après la mort de Boiste, reprend l'entreprise avec la complicité de ses comparses habituels [Barré, Landois, Ackermann], l'intitulé du dictionnaire intègre désormais la marque de : manuel encyclopédique de vieux langage…. Et le Panlexique nouveau intègre effectivement quantité de mots vieux ou vieillis ignorés jusque là des compilateurs de glossaires et de lexiques ; mais nulle part, ni dans le péritexte, ni dans les trois colonnes serrées à petits caractères de chaque page, n'est perceptible la moindre représentation d'une pensée de l'histoire de la langue… pas même véritablement sous les espèces d'une critique des procédés de reconstruction étymologique.
Les choses se présentent un peu différemment avec les éditions du XIXe siècle du Dictionnaire de l'Académie française. Les préfaces considérées font toutes, à leur manière, référence à des phénomènes de nature historique ; mais, au début, rarement le terme d'histoire est-il prononcé ; le plus souvent même ce terme est tu. Comme dans la préface de 1798 :
" Une Langue comme l'esprit du Peuple qui la parle, est dans une mobilité continuelle : dans ce mouvement, qui ne peut jamais s'arrêter, elle perd des mots, elle en acquiert. Quelquefois ses pertes l'enrichissent et ses acquisitions la défigurent : quelquefois ses perte sont réellement des pertes et ce qu'elle acquiert n'est pas une richesse.. "
Et l'on ne parle plus alors que de mouvement et de changements... Il faut attendre la préface de la sixième édition, en 1835, pour que le terme d'histoire surgisse, et l'on comprend pourquoi, puisqu'en 1834 l'Académie française vient de lancer le chantier de son Dictionnaire historique, qu'elle confie à la direction de Charles Nodier… Mais ce terme est immédiatement prédiqué d'une épithète qui en réduit la portée : " l'histoire contemporaine de cette langue [le français], que parlaient, depuis plus d'un siècle, toutes les cours de l'Europe, que savent maintenant tous les peuples, et dont l'action subsiste et se renouvelle sans cesse". Et lorsqu'il s'applique à la notion conjointe de langue, il ne renvoie plus guère alors qu'à l'étymologie : " Mais une autre partie importante de l'histoire de la langue, l'étymologie, a continué de manquer complètement au Dictionnaire français, comme à celui de la Crusca.. ". Dans l'esprit de Villemain, le rédacteur de la préface, comme dans celui de nombre de ses contemporains, l'idée même d'une histoire de la langue ne peut être conçue que des bords du déclin de la dite langue. En quoi et pour quoi cette notion complexe tour à tour fascine et effraie…
Lorsque Sylvestre de Sacy, enfin, succède à Villemain comme préfacier de la septième édition, en 1878, et qu'il dresse en quelque sorte l'historique des différentes éditions du Dictionnaire de l'Académie depuis son origine, il réussit l'exploit de n'employer qu'une fois le terme d'histoire, dans l'expression " histoire généalogique des mots "…. On ne s'étonnera guère, dans ces conditions de clignotement alternatif de la notion, que les articles de ces dictionnaires ne laissent aucune place à un tel objet :
" HISTOIRE. s. fém. Narration des actions et des choses dignes de mémoire. Histoire générale. Histoire universelle. Histoire particulière. Histoire ancienne. Histoire moderne. Histoire profane. Histoire Sainte. Histoire Sacrée. Histoire Ecclésiastique. Histoire Romaine. Histoire Grecque. L'Histoire de France. L'Histoire d'Espagne, etc. Histoire secrète. Histoire anecdote. Histoire scandaleuse. Histoire véritable. Histoire fabuleuse. Histoire généalogique. Histoire abrégée. Abrégé de l'histoire. Un corps d'histoire. Écrire l'histoire. Composer l'histoire de quelque Pays. Lire l'histoire. Savoir l'histoire. Étudier l'histoire.
On dit, S'adonner à l'histoire, pour dire, S'appliquer à l'étude de l'histoire, ancienne ou moderne.
On dit, L'Histoire de Salluste, l'Histoire d'Hérodote, l'Histoire de Polybe, etc. pour dire, L'Histoire écrite par Salluste, par Hérodote, etc. L'Histoire d'Alexandre, l'Histoire de Charlemagne, etc. pour dire, L'Histoire qui contient les actions d'Alexandre, de Charlemagne ; et, L'Histoire des derniers temps, pour dire, L'Histoire des choses qui se sont passées dans les derniers temps.
On dit d'Un Peintre qui s'attache à représenter des sujets, ou historiques, ou fabuleux, ou imaginés, que C'est un Peintre d'histoire. Et cela se dit par opposition aux Peintres qui ne travaillent qu'en portraits, ou à représenter des animaux, des paysages et des fleurs.
On dit aussi, Un tableau d'histoire.
Histoire, se dit aussi De toutes sortes de descriptions des choses naturelles, comme plantes, minéraux, etc. L'Histoire naturelle de Pline. L'Histoire des animaux. L'Histoire des plantes. Histoire des minéraux.
Il se dit aussi De toutes sortes d'aventures particulières. Je veux vous conter, vous faire une petite histoire. Une plaisante histoire, une histoire grotesque, une histoire tragique, une histoire mémorable.
On dit aussi dans le même sens : Je sais bien son histoire. Il nous a conté l'histoire de sa vie, l'histoire de ses amours.
On dit par mépris De quelque chose qu'on raconte, Voilà une belle histoire, une plaisante histoire que vous nous contez-là.
Dans le style familier, en parlant à une personne qui forme des difficultés et des embarras sur chaque chose, ou qui fait trop de cérémonies, trop de façons, on dit, Voilà bien des histoires.
On dit aussi dans le style familier, C'est une autre histoire, pour dire, C'est une autre chose, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. "
En dehors d'un sentiment juste de discrimination sémantique portant ici sur le contenu de la préposition De dans les emplois collocatifs de terme Histoire, rien ici n'expose autre chose que la narrativité essentielle de l'histoire.
" HISTOIRE. s. f. Récit d'actions, d'événements, de choses dignes de mémoire. Histoire universelle. Histoire générale. Histoire particulière. Histoire ancienne. Histoire moderne. Histoire profane. Histoire sacrée. Histoire sainte. Histoire ecclésiastique. Histoire romaine. Histoire grecque. L'histoire de France, d'Espagne, etc. L'histoire du Bas-Empire. L'histoire byzantine. L'histoire d'une province, d'une ville. Histoire d'Alexandre, de Charlemagne, etc. Histoire des empereurs romains. Histoire du parlement de Paris. Histoire des révolutions romaines. Histoire de la guerre de trente ans. Histoire des guerres d'Allemagne. L'histoire des arts, des sciences, etc. Histoire de l'astronomie. Des livres, des ouvrages d'histoire. Morceau d'histoire. Mémoires pour servir à l'histoire de France. Composer l'histoire d'un pays. Écrire une histoire. Les faits d'une histoire. Histoire secrète. Histoire fabuleuse. Histoire impartiale. Histoire généalogique, politique, philosophique, etc. L'histoire littéraire d'une époque. L'histoire contemporaine. L'histoire des derniers temps. L'histoire du temps présent. L'histoire de ces premiers temps est fort obscure. Raconter l'histoire d'un personnage célèbre. À toutes les époques de notre histoire.
L'Histoire de Salluste, l'Histoire d'Hérodote, l'Histoire de Polybe, etc., L'Histoire écrite par Salluste, par Hérodote, etc.
Histoire, se dit également d'Un récit quelconque d'actions, d'événements, de circonstances qui offrent plus ou moins d'intérêt. Il me conta toute son histoire, l'histoire de sa vie, l'histoire de ses amours. Histoire de deux amants. Telle est l'histoire de ce malheureux procès. Il me demanda l'histoire de notre voyage.
Il se dit même Du récit de quelque aventure particulière. Je veux vous conter, vous faire une petite histoire. Une plaisante histoire. Une histoire comique. Une histoire tragique. Une histoire mémorable. Une histoire scandaleuse. Cette femme sait toutes les histoires du quartier. Que d'histoires ne sait-il pas ? Ce sens est ordinairement familier.
Fam., Je sais bien son histoire, C'est un homme dont la vie et les actions me sont bien connues.
Fig. et fam., C'est mon histoire que vous contez là ; voilà mon histoire, se dit Pour faire entendre qu'il y a une grande conformité entre ce qu'une personne raconte, et ce qu'on a fait ou éprouvé soi-même. On dit dans un sens analogue, Cet homme a fini misérablement : c'est l'histoire de tous les joueurs, de tous les débauchés, etc., C'est ce qui arrive à tous les joueurs, etc.
Fig. et fam., Ce n'est pas le plus bel endroit de son histoire, le plus beau de son histoire, Ce fait, cette action n'est pas ce qu'il y a de plus honorable pour lui. Ce n'est pas le plus beau de son histoire, signifie aussi, quelquefois, Ce n'est pas ce qu'il y a de plus avantageux, de plus agréable pour lui.
Fam., Le plus beau de l'histoire, Le fait le plus remarquable, le plus bizarre, etc., d'une aventure, d'une affaire. Vous ne savez pas le plus beau de l'histoire.
Fam., C'est une histoire, ce sont des histoires, C'est un mensonge, je ne crois point ce que vous dites, ce qu'il dit. Dans le même sens : Histoire que tout cela ! On vous a fait une histoire. Il me fit là-dessus je ne sais quelle histoire. Etc.
Fig. et fam., C'est une autre histoire, C'est une autre chose, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Voilà bien une autre histoire, Voilà un nouvel embarras, une nouvelle difficulté, un nouvel incident qu'on n'avait pas prévu.
Fig. et fam., Voilà bien des histoires, se dit À une personne qui forme des difficultés et des embarras sur quelque chose, ou qui fait trop de cérémonies, trop de façons. On dit aussi, Que d'histoires !
Histoire, se dit absolument Des ouvrages d'histoire en général, et de La connaissance des faits que rapportent les historiens. L'histoire. Étudier l'histoire. S'adonner à l'histoire, à l'étude de l'histoire. Savoir l'histoire. Avoir de profondes connaissances en histoire. Leçons d'histoire. Cours d'histoire. Professeur d'histoire. La philosophie de l'histoire. La muse de l'histoire. On l'emploie souvent par une sorte de personnification. Interroger l'histoire. Invoquer le témoignage de l'histoire. L'inexorable histoire. On a dit que la géographie et la chronologie étaient les deux yeux de l'histoire. L'histoire nous apprend que... Les leçons, les enseignements de l'histoire. Les conquérants que l'histoire a célébrés. Les fastes de l'histoire. Le burin de l'histoire.
Fam., À ce que dit l'histoire, À ce que l'on raconte. Il partit, à ce que dit l'histoire, ou simplement, dit l'histoire, accompagné d'un brillant cortége.
Histoire, se dit encore absolument par opposition à La Fable, aux fictions en général. La Fable et l'histoire. Ce poëte n'a pas assez respecté l'histoire. Ce romancier a su embellir l'histoire de fictions ingénieuses.
Peintre d'histoire, Peintre qui s'attache à représenter des sujets, ou historiques, ou fabuleux, ou imaginés ; par opposition Aux peintres de portraits ou de paysages, de fleurs, etc. On dit dans un sens analogue : Peindre l'histoire. Tableau, sujet d'histoire. Etc.
Histoire, se dit encore de Toutes sortes de descriptions des choses naturelles, comme plantes, minéraux, etc. L'Histoire naturelle de Pline. Histoire des animaux. Histoire des plantes. Histoire des minéraux.
Histoire naturelle, signifie absolument, La science, la connaissance des divers êtres, des diverses productions de la nature, et particulièrement des animaux. Traité, leçons, cours d'histoire naturelle. Les diverses branches de l'histoire naturelle. Professeur d'histoire naturelle. Étudier l'histoire naturelle. Cabinet d'histoire naturelle. Termes d'histoire naturelle. "
Ici encore un glissement est perceptible de Narration à Récit, puis dans le classement des différents sens, l'élargissement et l'affinement des marques de niveau et de domaines, l'application au secteur scientifique de la nature, mais les objets relevant proprement de la langue et du langage en tant que constituants grammaticaux ou lexico-sémantiques [qui est ici un anachronisme, évidemment !] restent d'évidence absents des observations et de la réflexion des Académiciens.
" HISTOIRE. s. f. Récit d'actions, d'événements, de choses dignes de mémoire. Histoire universelle. Histoire générale. Histoire particulière. Histoire ancienne. Histoire moderne. Histoire profane. Histoire sacrée. Histoire sainte. Histoire ecclésiastique. Histoire romaine. Histoire grecque. L'histoire du moyen âge. L'histoire de France, d'Espagne, etc. L'histoire du Bas-Empire. L'histoire byzantine. L'histoire d'une province, d'une ville. Histoire d'Alexandre, de Charlemagne, etc. Histoire des empereurs romains. Histoire du parlement de Paris. Histoire des révolutions romaines. Histoire de la guerre de trente ans. Histoire des guerres d'Allemagne. L'histoire des arts, des sciences, etc. Histoire de l'astronomie. Histoire de la philosophie, de la littérature. Des livres, des ouvrages d'histoire. Morceau d'histoire. Mémoires pour servir à l'histoire de France. Composer l'histoire d'un pays. Écrire une histoire. Les faits d'une histoire. Histoire secrète. Histoire fabuleuse. Histoire impartiale. Histoire généalogique, politique, philosophique, etc. L'histoire littéraire d'une époque. L'histoire contemporaine. L'histoire des derniers temps. L'histoire du temps présent. L'histoire de ces premiers temps est fort obscure. Raconter l'histoire d'un personnage célèbre. À toutes les époques de notre histoire.
L'Histoire de Salluste, l'Histoire d'Hérodote, l'Histoire de Polybe, etc., L'Histoire écrite par Salluste, par Hérodote, etc.
Les Histoires, Titre d'une partie de l'oeuvre historique de Tacite ; l'autre partie s'appelle les Annales.
Histoire auguste. Voyez Auguste.
Histoire, se dit absolument Des ouvrages d'histoire en général, et de La connaissance des faits que rapportent les historiens. Lire l'histoire. Étudier l'histoire. S'adonner à l'histoire, à l'étude de l'histoire. Savoir l'histoire. Avoir de profondes connaissances en histoire. Leçons d'histoire. Cours d'histoire. Professeur d'histoire. La philosophie de l'histoire. La muse de l'histoire. On l'emploie souvent par une sorte de personnification. Interroger l'histoire. Invoquer le témoignage de l'histoire. L'inexorable histoire. On a dit que la géographie et la chronologie étaient les deux yeux de l'histoire. L'histoire nous apprend que... Les leçons, les enseignements de l'histoire. Les conquérants que l'histoire a célébrés. Les fastes de l'histoire. Le burin de l'histoire. Le tribunal de l'histoire.
Fam., À ce que dit l'histoire, À ce que l'on raconte. Il partit, à ce que dit l'histoire, ou simplement, dit l'histoire, accompagné d'un brillant cortège.
Histoire, se dit encore absolument par opposition à la Fable, aux fictions en général. La Fable et l'histoire. Ce poète n'a pas assez respecté l'histoire. Ce romancier a su embellir l'histoire de fictions ingénieuses.
Peintre d'histoire, Peintre qui s'attache à représenter des sujets, ou historiques, ou fabuleux, ou imaginés ; par opposition Aux peintres de portraits ou de paysages, de fleurs, etc. On dit dans un sens analogue : Peindre l'histoire. Tableau, sujet d'histoire. Etc.
Histoire, se dit aussi d'Un récit quelconque d'actions, d'événements, de circonstances qui offrent plus ou moins d'intérêt. Il me conta toute son histoire, l'histoire de sa vie, l'histoire de ses amours. Histoire de deux amants. Telle est l'histoire de ce malheureux procès. Il me demanda l'histoire de notre voyage.
Il se dit même Du récit de quelque aventure particulière. Je veux vous conter, vous faire une petite histoire. Une plaisante histoire. Une histoire comique. Une histoire tragique. Une histoire mémorable. Une histoire scandaleuse. Cette femme sait toutes les histoires du quartier. Que d'histoires ne sait-il pas ? Ce sens est ordinairement familier.
Fam., Je sais bien son histoire, C'est un homme dont la vie et les actions me sont bien connues.
Fig. et fam., C'est mon histoire que vous contez là ; voilà mon histoire, se dit Pour faire entendre qu'il y a une grande conformité entre ce qu'une personne raconte et ce qu'on a fait ou éprouvé soi-même. On dit dans un sens analogue, Cet homme a fini misérablement : c'est l'histoire de tous les joueurs, de tous les débauchés, etc., C'est ce qui arrive à tous les joueurs, etc.
Fig. et fam., Ce n'est pas le plus bel endroit de son histoire, le plus beau de son histoire, Ce fait, cette action n'est pas ce qu'il y a de plus honorable pour lui. Ce n'est pas le plus beau de son histoire, signifie aussi, quelquefois, Ce n'est pas ce qu'il y a de plus avantageux, de plus agréable pour lui.
Fam., Le plus beau de l'histoire, Le fait le plus remarquable, le plus bizarre, etc., d'une aventure, d'une affaire. Vous ne savez pas le plus beau de l'histoire.
Fam., C'est une histoire, ce sont des histoires, C'est un mensonge, je ne crois point ce que vous dites, ce qu'il dit. Dans le même sens : Histoire que tout cela ! On vous a fait une histoire. Il me fit là-dessus je ne sais quelle histoire. Etc.
Fig. et fam., C'est une autre histoire, C'est une autre chose, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Voilà bien une autre histoire, Voilà un nouvel embarras, une nouvelle difficulté, un nouvel incident qu'on n'avait pas prévu.
Fig. et fam., Voilà bien des histoires, se dit À une personne qui forme des difficultés et des embarras sur quelque chose, ou qui fait trop de cérémonies, trop de façons. On dit aussi, Que d'histoires !
Histoire, se dit encore de Toutes sortes de descriptions des choses naturelles, comme plantes, minéraux, etc. L'Histoire naturelle de Pline. Histoire des animaux. Histoire des plantes. Histoire des minéraux.
Histoire naturelle, signifie absolument, La science, la connaissance des divers êtres, des diverses productions de la nature, et particulièrement des animaux. Traité, leçons, cours d'histoire naturelle. Les diverses branches de l'histoire naturelle. Professeur d'histoire naturelle. Étudier l'histoire naturelle. Cabinet d'histoire naturelle. Termes d'histoire naturelle. "
De nouveau, on constate donc un affinement des marques de niveau stylistique dans le passage de 1835 à 1878, et un élargissement du spectre des objets susceptibles d'entrer en collocation avec histoire. Mais ceux-ci, en dépit des travaux ambiants de la linguistique historique et de la philologie, malgré même les réflexions contemporaines de la philosophie sur l'origine des espèces et du langage, n'intègrent pas véritablement la dimension du langage et de la langue en tant qu'instrument social de communication et système de formes.
De sorte que la traversée du siècle, pour les Académiciens, ne permet pas de faire apparaître la conscience émergente d'une notion stable de l'histoire de la langue. Entre origine, formation et transformation, évolution, variation, révolution, que l'on attribuera respectivement à Ampère, Albin de Chevallet, Génin, Wey, ou Renan, la langue paraît soumise à des mécanismes certes perceptibles mais encore peu aisément formalisables ou modélisables, même en référence aux sciences naturelles prédominantes alors.
Même si l'ouvrage est strictement daté, ses ajouts ne valant tout au plus que dans l'intervalle séparant les deux éditions du XIXe siècle du Dictionnaire de l'Académie française [1835 et 1878], et bien qu'il n'appartienne à aucun titre par son auteur et son dessein à une série transhistorique homogène telle que cette dernière se constitue de 1694 à nos jours [22], une notice très intéressante, figure en revanche dans le Complément du Dictionnaire de l'Académie française, rédigé sous la direction de Louis Barré et publié chez Firmin Didot en 1842.
Sans évoquer une seule fois avec précision la notion d'histoire, s'affirme dans la notice de cet ouvrage une propension nette à rendre compte des faits par leur insertion dans une série de type chronique : le recours aux mots de généalogie et de filiation, est assez clair à cet égard :
" HISTOIRE, […] Histoire universelle. Histoire générale de l'espèce humaine, sous le rapport politique et religieux. Histoire politique, Celle qui a pour objet le récit des destinées des États, eu égard à leurs relations tant intérieures qu'extérieures. On divise ordinairement l'histoire politique en trois parties ; Histoire ancienne [….] Histoire du moyen âge [….] Histoire moderne. Histoire philosophique, Histoire dont le récit est dirigé de manière à faire ressortir la partie morale ou la philosophie des événements [….] "
" LANGUE, (phil., philol., linguist. Et ethnogr.), Système de signes appropriés à l'analyse intérieure et à la manifestation extérieure de la pensée […] Langue de Got, Langue d'oc, Langue d'oïl, d'ouyl, et d'oui, Langue de si. Langue mère s'est dit souvent d'Une langue considérée relativement à celles qui en sont dérivées, bien qu'elle se fût formée elle-même d'une langue antérieure, et soit que cette origine fût connue, soit qu'on l'ignorât complètement. Langues sœurs. Langue vulgaire, Langues orientales, Langues orientales anciennes, Langues orientales modernes. Langues directes, Langues transpositives, Langues synthétiques, Langues analytiques. Langue écrite, Langues homogènes se dit dit Des langues qui, sans aucune liaison historique connue, présentent, soit dans leurs radicaux, soit dans leur grammaire, des analogies assez nombreuses et assez intimes, pour rendre nécessaire la supposition de relations mutuelles et anciennes, de peuple à peuple, inconnues quant aux temps et aux lieux. Le zend, le sanscrit, le persan ancien, le grec, le latin, l'allemand, etc. sont des langues homogènes dans leurs radicaux et dans leur grammaire ; sont homogènes dans leur grammaire [….] Classification des langues…. "
En mettant en relation ces deux articles, on comprendra peut-être mieux que le projet du Complément s'inscrive, au-dessus et au-delà de l'édition officielle de 1835, comme dans une sorte de dessein parallèle à celui du Dictionnaire historique pour lequel devaient être mis à contribution les résultats des premiers travaux de philologie qu'avaient alors produits les jeunes chercheurs envoyés par Guizot et Salvandy aux quatre coins des bibliothèques de l'Europe afin d'en rapporter copie des manuscrits sur lesquels s'élaborerait l'histoire même de France…. En quelque sorte l'histoire d'une nation qui rédime la bâtardise de son nouveau roi, Louis-Philippe, roi des Français et non plus roi de France, en concédant que sa langue -- même lue, parlée et écrite par seulement à peine environ 28% de sa population ! -- est devenue nationale et constitue ainsi un objet de référence. Politique, langage, culture, histoire et philosophie ont ici partis liés.
C'est donc tout naturellement que l'on peut alors passer au Dictionnaire national que Bescherelle publie en 1845….. dans l'intitulé duquel l'épithète national anticipe d'ailleurs expressément sur le sens que Durkheim, à la fin du siècle, donnera à la locution langue nationale : Langue d'un groupe ethnique dont l'usage est reconnu légalement dans et par l'État auquel ce groupe appartient ; " Les dialectes, les patois viennent se résoudre en une seule et même langue nationale " [Durkheim, 1893, La Division du travail, p. 163]. Pour Bescherelle, l'expression de "langue nationale" désigne en effet celle que parle généralement une nation, par opposition à langues étrangères et aux différents dialectes qui se parlent dans une même nation…
Malheureusement, dans cet abondant article, bien ancré dans les préoccupations politiques de son temps et s'inspirant aussi librement que largement du Dictionnaire de l'Académie française de 1835, et du Complément de 1842 précédemment allégué, rien ne vient ici confirmer une quelconque attention particulière accordée à la langue. En vertu de l'importance accordée au principe de narrativité, l'histoire dont se met alors en place le dispositif explicatif repose uniquement sur le modèle de l'"Histoire littéraire : Histoire des différents genres de littérature, qui ont été cultivés dans un pays, des écrivains qui se sont illustrés dans chaque genre, des princes qui ont favorisé les lettres, des académies, des sociétés savantes qui ont contribué au perfectionnement des connaissances humaines. On y joint l'analyse détaillée des principaux monuments littéraires de chaque siècle ". Une histoire dont l'argument explicatif liant les causes aux conséquences est entièrement dépendant de la relation de l'antériorité à la postériorité; ce qui permet de reconstruire aisément sur le mode du récit toutes les généalogies ad hoc. Or les intrigues de langue sont souvent notoirement et notablement plus complexes et embrouillées .
Il faudrait donc alors chercher du côté de la Philologie une sorte de lien ténu avec la langue, qui rende au moins fragmentairement compte des difficultés présentées par l'objet : " Partie de l'érudition qui embrasse spécialement la langue et la littérature. Ensevelie avec les autres sciences libérales dans les ténèbres du moyen âge, la philologie ne reparut qu'à la naissance des lettres, aux XVe et XVIe siècle. ". Mais la ténuité, ici, est maximale ; on en conviendra.
Au reste, l'observation de l'article Langue ne permet pas de se faire une meilleure idée de la chose, même si, derrière la succession des objets et des procès qui lui sont appliqués, se laisse deviner l'intuition -- d'ailleurs perturbée par l'interférence d'un système axiologique connexe -- d'une évolution et de certaines transformations :
" La langue grecque, la langue latine, la langue hébraïque, la langue arabe, la langue égyptienne, la langue phénicienne. La langue française, la langue italienne, la langue espagnole, allemande, anglaise. Les langues orientales. Les langues anciennes. Les langues modernes. Les langues vivantes. Les langues mortes. La langue universelle. […] Enrichir une langue. Polir une langue. Perfectionner une langue. Fixer une langue. Altérer, appauvrir une langue. Le génie d'une langue. Le caractère d'une langue. Les étymologies d'une langue. Les dialectes d'une langue. La grammaire, la syntaxe d'une langue. L'orthographe d'une langue. La prosodie d'une langue. La pureté d'une langue. Les propriétés d'une langue. ".
Derrière l'évocation de procès perfectifs, les principes de classement auxquels recourt Bescherelle sont alors identiques à ceux qu'énonçait peu auparavant Barré : la classification généalogique -- langue primitive, langue dérivée, langues soeurs -- puis la classification typologique : langues directes, transpositives, synthétiques, analytiques…. Mais en dehors d'une référence aux obscurités du moyen âge, rien ici qui ne vienne étayer une quelconque conception de l'histoire précise de la langue, en général, et, singulièrement, de la langue française. Tout se passe donc encore ici comme si l'observation philologique du matériau linguistique ne produisait pas suffisamment l'image d'un objet de nature, digne d'être soumis aux procédures d'explication mises en œuvre, par exemple, dans le secteur de l'histoire naturelle.
D'un philologue ayant abondamment réfléchi aux mécanismes linguistiques de l'évolution des langues, comme on l'a vu en introduction, et notamment de la française, on pourrait s'attendre à ce qu'il attache quelque attention à l'objet histoire de la langue. Mais là encore, la notice se révèle assez décevante, et, si la narrativité -- caractéristique sinon fondatrice de l'objet -- est bien toujours présente, l'on ne trouve guère qu'une allusion à des faits relevant indirectement de notre problématique sous la rubrique 6 :
HISTOIRE (i-stoi-r'), s. f.
1° Récit des faits, des événements relatifs aux peuples en particulier et à l'humanité en général. Il a fallu, avant toutes choses, vous faire lire dans l'Écriture l'histoire du peuple de Dieu, qui fait le fondement de la religion ; on ne vous a pas laissé ignorer l'histoire grecque ni la romaine ; et, ce qui vous était plus important, on vous a montré avec soin l'histoire de ce grand royaume que vous êtes obligé de rendre heureux, BOSSUET Hist. préface. Quand on considère de plus près l'histoire de ce grand royaume [l'Angleterre], ID. Reine d'Anglet. Si l'histoire de l'Église garde chèrement la mémoire de cette reine, notre histoire [celle de la France] ne taira pas les avantages qu'elle a procurés à sa maison et à sa patrie, ID. ib. Il avait fait toute l'histoire du siége, ID. Hist. II, 8. Il [Moïse] meurt et laisse aux Israélites toute leur histoire qu'il avait soigneusement digérée dès l'origine du monde jusqu'au temps de sa mort, ID. ib. I, 4. [Nul] Ne leur [aux Romains] a fait plus cher acheter la victoire, Ni de jours malheureux plus rempli leur histoire, RAC. Mithr. V, 5. Tous les peuples ont écrit leur histoire quand ils ont pu écrire, VOLT. Dict. phil. Histoire, 5. La véritable histoire est celle des moeurs, des lois, des arts et des progrès de l'esprit humain, ID. Lett. Tolt, 23 avr. 1767. Telles ont été dans toute la terre toutes les histoires des anciens temps ; c'est la preuve de ce que nous avons dit souvent que la Fable est la soeur aînée de l'histoire, ID. Dict. phil. Zoroastre. Les premiers fondements de toute l'histoire sont les récits des pères aux enfants, transmis ensuite d'une génération à une autre, ID. Dict. phil. Histoire, 1. J'entreprends de tracer l'histoire de la grande armée et de son chef pendant l'année 1812, SÉGUR, Hist. de Nap. dédicace. Puis, s'appesantissant, ils le voyaient [Napoléon à Moscou] passer ses longues heures à demi couché, comme engourdi, et attendant, un roman à la main, le dénoûment de sa terrible histoire, ID. Hist. de Nap. VIII, 11. C'est là [à la Moskowa] que nous avions tracé avec le fer et le sang l'une des plus grandes pages de notre histoire, ID. ib. IX, 7.
Histoire sainte ou sacrée, l'ancien et le nouveau Testament.
Histoire profane, celle des peuples païens.
Histoire fabuleuse, les récits mythologiques.
Histoire ecclésiastique, celle des événements qui appartiennent à la religion chrétienne.
Histoire politique, histoire civile, celle des différents gouvernements politiques.
Histoire universelle, histoire générale de l'espèce humaine. Cette manière d'histoire universelle est, à l'égard des histoires de chaque pays et de chaque peuple, ce qu'est une carte générale à l'égard des cartes particulières, BOSSUET Hist. préface.
Dans les colléges et lycées, histoire ancienne, comprenant l'histoire sainte, l'histoire des anciennes monarchies d'Asie, l'histoire grecque et l'histoire romaine. Histoire ancienne proprement dite, comprenant l'histoire des anciennes monarchies d'Asie et l'histoire sainte. Histoire grecque. Histoire romaine. Histoire du moyen âge depuis 395 jusqu'à 1453. Histoire moderne.
Histoire contemporaine, l'histoire du temps présent.
Histoire interne, histoire externe, voy. INTERNE et EXTERNE.
La philosophie de l'histoire, les lois générales qui, obtenues par induction de l'étude des événements historiques, servent à en apprécier la marche et à discerner ce qu'ils offrent de régulier d'avec ce qu'ils offrent d'accidentel.
2° Absolument. L'histoire, les ouvrages historiques, les faits rapportés par les historiens. Ceux-là s'abusent qui divisent l'histoire en deux parties, l'utile et le délectable, et, pour cela, y comprennent les louanges, D'ABLANCOURT, Lucien, Comment écrire l'histoire. L'histoire ne s'accorde pas avec la poésie qui n'a pour bornes que la fantaisie du poëte, ID. ib. L'histoire, des grands coeurs la plus chère espérance, ROTR. St-Gen. I, 4. Son fils prétendait pour cela Qu'on le dût mettre dans l'histoire, LA FONT. Fabl. VI, 7. Si j'apprenais l'hébreu, les sciences, l'histoire, ID. ib. VIII, 25. Là [dans l'histoire] notre admirable princesse étudiait les devoirs de ceux dont la vie compose l'histoire ; elle y perdait insensiblement le goût des romans et de leurs fades héros, BOSSUET Duch. d'Orl. C'était le dessein d'avancer dans cette étude de sagesse qui la tenait si attachée à la lecture de l'histoire, qu'on appelle avec raison la sage conseillère des princes, ID. ib. Quand l'histoire serait inutile aux autres hommes, il faudrait la faire lire aux princes.... les histoires ne sont composées que des actions qui les occupent, et tout semble y être fait pour leur usage, ID. Hist. préface. Mais un roi vraiment roi, qui, sage en ses projets, Sache en un calme heureux maintenir ses sujets, Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire, Il faut pour le trouver courir toute l'histoire, BOILEAU Épît. I. Boileau, qui, dans ses vers pleins de sincérité, Jadis à tout son siècle a dit la vérité, Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire, A pourtant de ce roi parlé comme l'histoire, ID. ib. II. Oui, sans doute, une ardeur si haute et si constante Vous promet dans l'histoire une place éclatante, RAC. Alex. I, 2. Ces gens lisent toutes les histoires et ignorent l'histoire, LA BRUY. XIII. L'histoire doit avouer les fautes des grands hommes ; ils en ont eux-mêmes donné l'exemple, FONTENELLE Czar Pierre. La partie la plus essentielle de l'histoire, et qui doit le plus intéresser les lecteurs, est celle qui fait connaître le caractère et les moeurs tant des peuples en général, que des grands hommes en particulier dont il y est parlé, et l'on peut dire que c'est là en quelque sorte l'âme de l'histoire, au lieu que les faits n'en sont que le corps, ROLLIN, Hist. anc. Oeuv. t. IV, p. 457, dans POUGENS. Ce n'est pas sans raison que l'histoire a toujours été regardée comme la lumière des temps, la dépositaire des événements, le témoin fidèle de la vérité, la source des bons conseils et de la prudence, la règle de la conduite et des moeurs, ID. Traité des Ét. liv. V, av. prop. J'ai toujours pensé que l'histoire demande le même art que la tragédie, une exposition, un noeud, un dénoûment, et qu'il est nécessaire de présenter tellement toutes les figures du tableau, qu'elles fassent valoir le principal personnage, sans affecter jamais l'envie de le faire valoir, VOLT. Lett. Schouvalof, 17 juill. 1758. Pour bien écrire l'histoire, il faut être dans un pays libre, ID. Lett. Prusse, 22 (27 mai 1737). Quand l'histoire n'est qu'un amas de faits qui n'ont laissé aucune trace, quand elle n'est qu'un tableau confus d'ambitieux en armes tués les uns par les autres, autant vaudrait tenir des registres des combats des bêtes, ID. Polit. et législ. Fragm. hist. sur l'Inde, art. 33. Dans l'histoire, comme dans l'optique, l'éloignement rapproche les objets entre eux, DUCLOS, Oeuvres, t. I, p. 321, dans POUGENS. De la crédule histoire il montre les erreurs, Il peint de tous les temps les esprits et les moeurs, SAINT-LAMBERT, Saisons, hiver. J'ai pour la mission de l'histoire un tel respect, que la crainte d'alléguer un fait inexact me remplit d'une sorte de confusion, THIERS, Avertissement dé l'Histoire du Consulat et de l'Empire.
Les histoires, les livres d'histoire. Si quelque marque, Alvare, est due à mes victoires, Laissons faire le peuple et parler les histoires, ROTR. Bélis. I, 1. Quelque haut qu'on puisse remonter pour rechercher dans les histoires les exemples des grandes mutations, BOSSUET Reine d'Angl. Les chrétiens qui s'enfuirent [à l'approche de la ruine de Jérusalem], comme marquent les histoires, ID. Méd. sur l'Évang. Dern. semaine du Sauveur, 85e jour.
L'histoire de Thucydide, l'histoire composée par Thucydide. Les Histoires, titre d'une portion de l'ouvrage historique de Tacite, l'autre étant intitulée Annales.
On l'emploie souvent par une sorte de personnification. Interroger l'histoire. Le témoignage de l'histoire. Les fastes de l'histoire. Le burin de l'histoire.
Il se dit absolument par opposition à la Fable, aux fictions. La Fable et l'histoire. L'histoire est le récit des faits donnés pour vrais, au contraire de la Fable qui est le récit des faits donnés pour faux, VOLT. Dict. phil. Histoire, 1.
Familièrement. À ce que dit l'histoire, ou, simplement, dit l'histoire, à ce que l'on raconte. Rossinante, la fleur des coursiers d'Ibérie, Qui, trottant nuit et jour et par monts et par vaux, Galopa, dit l'histoire, une fois en sa vie, BOILEAU Poés. div. XXV.
Le tribunal de l'histoire, le jugement que l'histoire porte sur les hommes et leurs actions.
Tribunal d'histoire ou des historiens, tribunal institué chez les Chinois et chargé de recueillir les actions et les discours des empereurs, des princes et des grands.
3° Peintre d'histoire, celui qui représente quelque action mémorable, fournie soit par l'histoire, soit par la Fable, la poésie ou les romans, soit par l'imagination même du peintre.
On dit dans le même sens : peindre l'histoire ; un tableau d'histoire ; un sujet d'histoire.
4° Récit d'actions, d'événements que l'on compare aux actions, aux événements de l'histoire. Et de cette victoire Apprends-moi plus au long la véritable histoire, CORN. Cid, IV, 3. Ignorez-vous encor la moitié de l'histoire [du combat des Horaces et des Curiaces] ? ID. Hor. IV, 2. Au lieu de l'histoire d'une belle vie, nous sommes réduits à faire l'histoire d'une admirable mais triste mort, BOSSUET Duch. d'Orl. Je m'arrête à considérer les vertus de Philippe, et ne songe pas que je vous dois l'histoire des malheurs d'Henriette, ID. Reine d'Anglet. Viens-je faire ici l'histoire sanglante des combats de M. de Montausier ? FLÉCH. Duc de Mont. ....Cousin des quatre fils Aimon Dont tu lis quelquefois la merveilleuse histoire, BOILEAU Épît. XI. Servons tous trois d'exemple à l'univers De l'amour la plus tendre et la plus malheureuse Dont il puisse garder l'histoire douloureuse, RAC. Bérén. V, 7. Mais vous savez trop bien l'histoire de ma vie, ID. Mithr. III, 1. Peut-on de nos malheurs leur dérober l'histoire ? ID. Ath. II, 7. Télémaque lui fit l'histoire de son départ de Tyr, FÉN. Tél. VIII. Ils nous racontent l'histoire de leur vie ; mais ils ignorent celle de leur coeur, MASS. Carême, Confess.
Fig. Ne proposant cet écrit [Discours de la Méthode] que comme une histoire ou, si vous l'aimez mieux, comme une fable, en laquelle, parmi quelques exemples qu'on peut imiter, on en trouvera peut-être aussi plusieurs autres qu'on aura raison de ne pas suivre, j'espère qu'il sera utile à quelques-uns sans être nuisible à personne, et que tous me sauront gré de ma franchise, DESC. Méth. I, 5.
Ce n'est pas le plus bel endroit de son histoire, le plus beau de son histoire, c'est-à-dire ce fait, cette action n'est pas ce qu'il y a de plus honorable pour lui.
Ce n'est pas le plus beau de son histoire, signifie aussi : ce n'est pas ce qu'il y a de plus avantageux, de plus agréable pour lui.
Le plus beau de l'histoire, le fait le plus remarquable, le plus singulier d'un récit, d'une aventure.
Familièrement. Je sais bien son histoire, c'est-à-dire c'est un homme dont je connais toute la vie.
C'est mon histoire que vous contez là, voilà mon histoire, il m'en est arrivé tout autant.
Cet homme a fini misérablement, c'est l'histoire de tous les joueurs, c'est-à-dire il en arrive autant à tous les joueurs.
C'est toute une histoire, se dit d'un récit qui sera long.
Familièrement. C'est une autre histoire, ou, elliptiquement, autre histoire, c'est-à-dire il ne s'agit pas de cela.
Voilà bien une autre histoire, c'est-à-dire voilà un nouvel embarras, un nouvel incident. Secondement, voici bien une autre histoire : la pièce de l'avocat du Roncel a été lue aux comédiens, qui en ont été émerveillés et qui l'ont reçue avec acclamation, VOLT. Lett. Vesselier, 28 mars 1772.
5° Récit de quelque aventure particulière. Une plaisante histoire. Une histoire mémorable. Les histoires du quartier. Et je ne vous les apprendrai [les maximes des casuistes] qu'à la charge que vous ne me ferez plus d'histoires, PASC. Prov. 6. Un souvenir fâcheux apporte en mon esprit Ces histoires de morts lamentables, tragiques, Dont Paris tous les ans peut grossir ses chroniques, BOILEAU Sat. X. Il tombe ensuite en des parenthèses, qui peuvent passer pour épisodes, mais qui font oublier le gros de l'histoire et à lui qui vous parle, et à vous qui le supportez, LA BRUY. V. Nous venons de faire un empereur, et, pour ma part, je n'y ai pas nui : voici l'histoire, P. L. COUR. Lett. I, 60.
L'histoire du jour, le récit des événements de chaque jour, et, particulièrement, des petits événements qui se passent dans le beau monde. Il n'y a certainement d'agréable et d'utile que l'histoire du jour ; toutes les histoires anciennes, comme le disait un de nos beaux esprits, ne sont que des fables convenues, VOLT. Jeannot et Colin.
6° Il se dit des ouvrages dans lesquels on raconte le développement des lettres, des sciences, des arts, etc. L'histoire des mathématiques, de la médecine, de la peinture. L'histoire des arts [mécaniques] peut être la plus utile de toutes, quand elle joint à la connaissance de l'invention et du progrès des arts la description de leur mécanisme, VOLT. Dict. phil. Histoire, 1.
Histoire littéraire, tableau ou annales de la littérature.
7° Récit mensonger. C'est une histoire. Ce sont des histoires. Oui ! oui ! vous nous contez une plaisante histoire ! MOL. Tart. II, 2. Une histoire à plaisir, un conte dont Lélie A voulu détourner notre achat de Célie, ID. Ét. III, 2. On vous a fait une histoire, GENLIS, Théât. d'éduc. Ennemis génér. I, 5.
Elliptiquement. Histoire que tout cela, c'est-à-dire tout cela est controuvé.
8° Fig. et familièrement. Affaire, chose dont on s'occupe. Ne parlez point, vous gâteriez l'histoire, LA FONT. Rich.
Voilà bien des histoires, c'est-à-dire voilà bien des façons, des difficultés.
On dit dans le même sens : Que d'histoires !
Familièrement. Cela a fait une belle histoire, c'est-à-dire a excité beaucoup de rumeur, de colère, de scandale, etc. Cette chanson qui fit une si belle histoire, GRESSET, Méchant, I, 1.
9° Fig. Analyse, étude. L'histoire de l'esprit humain. De ces particularités [sur le monde] elle [l'âme] compose l'histoire de la nature, dont les faits sont toutes les choses qui frappent nos sens, BOSSUET Conn. III, 8. Oui, mes frères, outre l'histoire extérieure de nos moeurs qui sera toute rappelée [lors du jugement dernier], ce qui nous surprendra le plus, ce sera l'histoire secrète de notre coeur qui se déploiera alors tout entière à nos yeux, MASS. Avent, Jugem. univ. Ce que nous prenons pour l'histoire de la nature, n'est que l'histoire très incomplète d'un instant, DIDER. Interprét. de la nat. 1re question.
10° Fig. Description des choses naturelles. L'histoire des plantes, des minéraux, des animaux. La perdrix blanche, dont nous avons donné l'histoire sous le nom de lagopède, BUFF. Ois. t. IV, p. 171.
Absolument. Histoire naturelle, science d'application qui étudie les diverses parties de chacun des corps existants à la surface et dans l'intérieur de la terre, organisés ou non organisés. Cours, cabinet d'histoire naturelle. L'histoire naturelle est la meilleure logique, parce qu'elle est la science qui perfectionne le plus l'esprit et lui enseigne le mieux à suspendre ses jugements, BONNET, 1re lett. Hist. nat.
11° Dans le langage le plus familier, il se dit pour un objet quelconque qu'on ne peut ou ne veut pas nommer. Montrez-moi cette histoire. Elle est tombée si malheureusement qu'on a vu toute son histoire.
HISTORIQUE :
XIIe s. Cil qui volent [veulent] savoir l'estoire, Machab. II, 2. Là troverez en istoire lisant..., Ronc. p. 68. Por remembrer des ancessours [ancêtres] Li fez e li diz e li mours [moeurs], Deit l'en li livres e li gestes E li estoires lire as festes, WACE, Rou, V. 1.
XIIIe s. Les armes e chivalerie Del tut despit il e ublie, Des hestoires n'enquert, ne n'ot [n'ouït], Ne d'ancienne geste un mot, Édouard le confesseur, V. 4495. Estoire est raconter les anciennes choses qui ont esté veraiement, mais eles furent devant nostre tens loing de nostre memoire, BRUN. LATINI, Trésor, p. 518. Cil qui ceste estoire traita ne sait se ce fut à tort ou a droit ; mais il en oï blasmer un chevalier qui Ansiaus de Remi avait nom, VILLEH. CLXXIV. Que le livre as ystoires [il] me montra, où je vi.... Berte, I. Si ot portraites à orfrois [broderies] Estoires de dus [ducs] et de rois, la Rose, 1067.
XIVe s. Les hystoires dient que Milon mongoit un beuf en un jour, ORESME, Eth. 44.
XVIe s. Près de la porte y avoit une histoire [tableau], Où y avoit maincts riches personnages, Qui demostroit de Genes la victoire, J. MAROT, V, 35. Non seulement esdites enseignes, mais aux esguieres, salieres, et toutes autres especes de vaisseaux, et autres histoires, lesquelles ils se sont advisez de faire [les émailleurs]. - On donnoit pour deux liards chacune desdites histoires [images imprimées de N. D.], combien que la pourtraiture fut d'une belle invention, PALISSY, 308. Jean de Gourmont tailleur d'histoires [sculpteur], PARÉ, XVIII, 94.
ÉTYMOLOGIE :
Lat. historia, le sens propre du terme grec est information, recherche intelligente de la vérité. Le grec veut dire le savant, le témoin, et se rattache à un thème inusité du grec, signifiant savoir, voir, le même que le latin videre, et le sanscrit vid.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE :
HISTOIRE. Ajoutez :
12° Populairement, histoire de, se dit dans le sens de : afin de, pour. Jouons aux dominos, histoire de passer le temps. Je lui ai fait une farce, histoire de rire.
C'est donc encore essentiellement par la littérature que transite ici une conception de l'histoire comme récit explicatif, comme narration dépliant étymologiquement les complexités d'une intrigue dont les constituants ne sont pas encore tous rigoureusement définis. Que Littré envisage ici pour l'histoire les perspectives "externe" et "interne" que Brunot, ultérieurement, reprendra à son compte en s'en appropriant totalement les sens, ne fait rien à la chose. C'est ainsi que dans cette notice Histoire, jamais n'interviennent le terme et l'objet langue. Mais, par un juste retour des choses, encore faut-il noter que dans la notice Langue, non plus le terme d'"histoire"…. Comme s'il y avait là quelque incompatibilité foncière de nature, d'intérêt et d'objectif. Et, au regard du chassé-croisé "langue" et "français" noté précédemment, l'on pourrait presque dès lors risquer l'hypothèse que cette première mise en distribution complémentaire des constituants du syntagme "histoire de la langue" anticipe déjà sur la reconfiguration de l'objet à laquelle se livrera Brunot.
Compte tenu de la taille du monument… je ne fournirai ici que des renseignements fragmentaires et ne pourrai donner l'intégralité ni de la préface, accessible par ailleurs sur le présent site en modes texte, image et base de données, ni des notices concernées.
La préface, qui accorde cependant une importance essentielle à l'histoire et à la langue n'autorise jamais toutefois l'occurrence du syntagme histoire de la langue. Tout au plus note-t-on "histoire des langues orientales"… Comme chez ses prédécesseurs et ses contemporains, c'est donc la notion d'"histoire littéraire" qui, une nouvelle fois s'impose à Larousse et fait transiter l'idée d'une narration explicative des faits relevant de l'ordre général du langage ; non encore expressément de la langue ou des langues, toutefois :
" Trois préfaces célèbres ont marqué jusqu'ici dans l'histoire littéraire de notre pays : celle de la grande Encyclopédie du XVIIIe siècle, par d'Alembert ; celle qui figure en tête de la 6e édition du Dictionnaire de l'Académie, due à la plume si attique et si compétente de M. Villemain, et enfin celle qui fut pour le romantisme ce que la Déclaration des droits de l'homme est à la Révolution, nous voulons dire la préface du drame de Cromwell, de M. Victor Hugo. "
Lors même que Larousse recense ses aînés et ses modèles ainsi que leurs productions, il s'attache à l'histoire des mots, qui pourrait être une manière de s'intéresser à l'histoire de la langue française. Mais cela reste ici un vœu pieu et non réalisé, dont le lexicographe lui-même n'avait peut-être pas pleinement conscience en dépit de l'intermédiaire obligeant et efficient que constitue alors la philologie :
" Dictionnaire étymologique de la langue française, par Roquefort ; 1829, 2 vol. in-8°. Cet ouvrage contient les mots du Dictionnaire de l'Académie française, avec les principaux termes d'art, de sciences et de métiers. Il est précédé d'une excellente dissertation sur l'étymologie, par Champollion-Figeac, éditeur de l'ouvrage. Le dictionnaire de Roquefort a une valeur incontestable, soit au point de vue philologique, soit comme histoire d'un grand nombre de mots de la langue française. Au reste, les travaux de ce savant ont donné une grande impulsion à cette branche de l'érudition. "
C'est ainsi toujours le modèle de l'histoire naturelle qui s'impose, ce qui n'étonnera guère, ni eu égard à l'époque, ni eu égard à l'origine institutoriale de Larousse :
" Dictionnaire universel d'histoire naturelle, ouvrage utile aux médecins, aux pharmaciens, aux agriculteurs, aux industriels et généralement à tous les hommes désireux de s'initier aux merveilles de la nature, par M. Charles d'Orbigny, avec la collaboration de MM. Arago, Bazin, Becquerel, Boitard, Brongniart, Broussais, Decaisne, Delafosse, Dujardin, Dumas, Duponchel, Duvernoy, Milne-Edwards, Élie de Beaumont, Flourens, Geoffroy Saint-Hilaire, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, de Humboldt, de Jussieu, Pelouze, de Quatrefages, Richard, Valenciennes, etc. 13 vol. de texte et 3 de planches gravées sur acier ; Paris, 1841-49.
Cet ouvrage est, sans contredit, un des recueils les plus complets qui aient été publiés jusqu'à ce jour sur l'histoire naturelle. Ce n'était pas une tâche facile que de présenter, sous la modeste forme de dictionnaire, un résumé à la fois substantiel et succinct de l'état des connaissances humaines en zoologie, anatomie, physiologie, tératologie, anthropologie, botanique, géologie, minéralogie, chimie, physique et astronomie. "…
De manière me semble-t-il significative, c'est lorsque Pierre Larousse aborde le secteur des dictionnaires biographiques, encyclopédiques et universels que se précise l'éventuelle collusion d'une histoire de la langue encore à venir avec les secteurs connexes de l'histoire culturelle générale :
" Biographie universelle ancienne et moderne, publiée par Michaud, avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers ; Paris, 1810-1828, 52 vol. in-8°, plus un supplément en 32 vol. Une deuxième édition in-4°, commencée en 1843, édition refondue, révisée et augmentée d'un grand nombre d'articles, est aujourd'hui terminée.
Cette vaste publication, il est presque superflu de le rappeler, est une des plus importantes de la première moitié de ce siècle. C'est un monument auquel ont coopéré la plupart des illustrations scientifiques et littéraires de cette période. On y remarque principalement les travaux de géographie, de découvertes et de voyages, par Walckenaër, Malte-Brun et Eyriès ; -- d'histoire et de langues anciennes, par Clavier, Daunou, Boissonade, ; Amar, Noël ; -- d'histoire, de littérature et de langues orientales, par Silvestre de Sacy, Abel Rémusat, Klaproth ; -- de littérature et d'histoire d'Italie, par Ginguené et Sismondi ; -- de littérature et d'histoire de la France, par Fiévée, Villemain, de Barante, du Rozoir, Monmerqué ; -- d'histoire, de littérature d'Allemagne et du nord de l'Europe, par Stapfer, Guizot, Depping et Schoell ; -- d'histoire et de littérature anglaises, par Suard, Lally-Tollendal et de Develinges. Ajoutons, pour les sciences, la philosophie, les arts, etc., les noms de Émeric David, Quatremère de Quincy, Cuvier, Du Petit-Thouars, Visconti, Millin, Sicard, Chaumeton, Chaussier, Desgenettes, Percy, Richerand, Gence, Beuchot, Pillet, Weiss, Michelet, Cousin, Fourier, de Bonald, Chateaubriand, Humboldt, Biot, de Gérando, Raoul-Rochette, et bien d'autres noms éclatants, dont presque tous faisaient l'orgueil de l'Institut et des premiers corps savants de l'Europe. "
Mais, dans ces lignes comme dans les suivantes, afin de définir et peut-être de mieux maîtriser les intérêts idéologiques et les enjeux scientifiques qui s'attachent à l'objet langue française, il semble bien qu'il soit nécessaire de faire intervenir alors la médiation des langues étrangères, et notamment de la langue allemande, dont l'importance prépondérante en matière de constitution des fondements de la linguistique moderne est bien connue.
" […]c'est le Dictionnaire des frères Grimm, commencé en 1850, continué par les docteurs Rudolf Hildebrand et Carl Weigand, et dont le cinquième volume est aujourd'hui en cours de publication. Ces savants laborieux ont voulu couronner leur carrière par un grand travail lexicographique, et doter leur patrie d'un dictionnaire qui fût, en quelque sorte, le résumé des recherches de leur vie entière. Dans un pays comme l'Allemagne, où pas une Académie, quels que soient ses titres, n'a pu imposer ses décisions au langage ; où personne ne veut se soumettre, nous ne dirons pas au joug, mais à la direction d'un corps savant, quelque illustre qu'il puisse être ; où aucune règle générale ne peut prévaloir sur la forme individuelle que chacun veut donner à sa pensée ; où, en matière de style et de littérature, le seul mérite personnel des écrivains réussit à constituer une autorité ; où Leipzig ne le cède pas volontiers à Francfort, Francfort à Heidelberg, Heidelberg à Iéna, Iena à Berlin, etc. ; il n'y avait peut-être qu'un seul moyen de composer un dictionnaire dans le sens rigoureux de ce mot, un Thesaurus linguae germanicae, c'était d'invoquer, à l'appui de chaque mot, de chaque expression, tous les écrivains connus, acceptés, incontestés, à partir du moment où la langue se trouve définitivement fixée, c'est-à-dire depuis la Réforme. En effet, c'est à Luther, c'est à sa traduction de la Bible que revient l'honneur d'avoir fixé une langue jusque-là flottante, incertaine, divisée de province à province. C'est lui qui a commencé à la régulariser, en donnant une prééminence manifeste au dialecte qu'il avait choisi, et qu'il devait élever à un degré de pureté inconnu jusqu'à lui. Luther a créé ainsi le haut allemand, qui est resté la langue littéraire, la langue des auteurs ; c'est Luther qui se place à la tête de cette longue suite d'écrivains en tout genre, théologiens, poëtes, philosophes, naturalistes, historiens, romanciers, dont les œuvres demandaient à être fouillées pour fournir les matériaux propres à l'édification d'un dictionnaire national allemand. C'est ce qu'ont entrepris les frères Grimm, avec le concours empressé et unanime de leurs nombreux amis. Dans cet ouvrage, le XVIe, le XIIe, le XVIIIe et le XIXe siècle sont également mis à contribution. Chaque mot est présenté sous ses diverses acceptions et ses différentes formes, depuis l'époque où il a été introduit dans la langue écrite jusqu'à nos jours. Chacune de ces acceptions est déterminée par la synonymie et par le terme correspondant de la langue latine, ou même, au besoin, de tout autre idiome plus propre à préciser exactement la nuance ; à la suite viennent, par ordre chronologique, les nombreux exemples en vers ou en prose, qui établissent et justifient cette acception. Les patois, ou pour mieux dire les dialectes provinciaux, sont également cités, lorsqu'ils ont été introduits dans la langue littéraire par un poëte, comme Uhland, ou élucidés par un travail philologique, comme le Dictionnaire bavarois de Schmeller. Exécuté à ce point de vue, avec le soin scrupuleux qu'y apportent les auteurs, et qui, dans une pareille œuvre, est la qualité supérieure, essentielle, un semblable dictionnaire est appelé à réunir tous les avantages des dictionnaires renommés de la Crusca, de l'Académie française et de l'Académie royale de Madrid.
C'est déjà beaucoup que de donner un dictionnaire complet de cette langue allemande, si riche en mots composés, et que sa constitution même entraîne incessamment à la création de termes nouveaux. La justification de chacune des expressions, comme nous venons de le dire, par des citations empruntées aux meilleurs écrivains depuis le XVIe siècle, atteste une immense lecture, une prodigieuse érudition ; et cependant, ces parties si remarquables du travail des frères Grimm n'en sont pas les plus intéressantes. Ce qui est incontestablement plus neuf et plus curieux, au point de vue philologique, c'est d'abord la comparaison de tous les mots, soit radicaux, soit composés anciens, avec les formes qu'ils ont revêtues dans les divers idiomes germaniques et scandinaves, le gothique, l'ancien et le moyen haut allemand, l'anglo-saxon, le hollandais, le flamand, le frison, le danois, le suédois, l'islandais, etc. Parfois même les radicaux sont ramenés à un type primitif, le sanscrit, ou comparés à leurs analogies dans la famille slave, qui se rapproche plus des idiomes germaniques que de la branche celtique. En second lieu, c'est la recherche des analogies d'idées, qui, chez les peuples de la race indo-germanique ou plutôt indo-européenne, ont créé des expressions semblables dans les idiomes différents ; recherche qui, en montrant la marche de l'esprit humain dans la formation des langues, éclaire une des phases les plus curieuses de l'histoire du langage. Nous pouvons en citer ici un exemple assez frappant. En recherchant l'origine du mot bei (apud), MM. Grimm ont été amenés à un radical qui doit être bau, représentant l'idée de culture et d'habitation. Ce mot bei a pour équivalent dans les langues scandinaves le mot hos, dérivé de haus, maison, et, en français, le mot chez, dérivé de casa. Nous pouvons justifier cette assertion en ajoutant que, dans la plus grande partie du Poitou, on désigne les fermes, les métairies, et en général les habitations isolées, par le mot chais, auquel on ajoute le nom du propriétaire primitif, le chais Pierre, etc. Ce fait se reproduit aussi en Bretagne et dans le Bordelais, où ce mot chais exprime l'idée d'un bâtiment en général. - En résumé, si le dictionnaire des frères Grimm est un ouvrage indispensable aux Allemands, il est en outre destiné à rendre un immense service aux philologues qui étudient les origines germaniques de la langue française. Jusqu'à ce jour, en effet, ils sont allés puiser leurs étymologies dans les glossaires surannés de Wachter, Schiller, Haltaüs, Scherz, etc., ouvrages arriérés qui fourmillent d'erreurs et ne sont guère plus estimés à l'étranger que celui de Bullet en France, pour les origines celtiques. Le nouveau dictionnaire leur fournira un guide sûr pour ces recherches délicates où il est d'autant plus facile de faire fausse route, que souvent une ressemblance de sons tout à fait trompeuse conduit à une étymologie erronée et fait rejeter la véritable. Ce ne sera pas là un des moindres services rendus par les frères Grimm à la philologie comparée, qui leur est déjà redevable de tant de travaux justement estimé. "
Certes, on glisse insensiblement là vers une histoire du langage qui déporte et restreint le spectre de l'histoire de la langue proprement dite ; mais il est intéressant de noter que, sur le modèle de la philologie germanique hautement louée, cette translation s'effectue grâce à l' approfondissement, la diversification et l'affinement des méthodes et des résultats d'une science d'origine étrangère à la France. Et c'est une nouvelle fois sous les espèces de l'observation du matériau littéraire que se définit par homothétie une certaine extension et s'institue une certaine compréhension de l'objet émergeant qu'est alors l'histoire de la langue française. C'est entièrement dans cette perspective que se situe alors l'entreprise scientifique du lexicographe décrite par Larousse lui-même :
" Le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle étant, avant tout, le dictionnaire de la langue, la partie lexicographique a reçu des développements qu'on chercherait vainement ailleurs, et qui se suivent dans un ordre logique, clair, méthodique, que tous les dictionnaires avaient trop dédaigné jusqu'à présent : sens propres, sens par extension, par analogie ou par comparaison, sens figurés purs, sont nettement déterminés par des exemples qui font rigoureusement ressortir les nuances et les délicatesses des diverses acceptions ; chaque mot trouve son historique tout tracé par son étymologie, sa formation, et les vicissitudes de sens qu'il a subies pour arriver jusqu'à nous, vicissitudes rendues sensibles par des exemples empruntés à nos vieux chroniqueurs, aux fabliaux, aux trouvères, aux auteurs du XVIe siècle, à ceux du XVIIe et du XVIIIe, et enfin, et surtout, aux écrivains de notre temps.
[….]
Parlons maintenant de la partie étymologique, à laquelle le Grand Dictionnaire a voulu donner de très-amples développements. Parmi les sciences nouvelles auxquelles le XIXe siècle s'honore avec raison d'avoir donné naissance, il en est une qui attire tout d'abord l'attention par la rapidité avec laquelle elle s'est créée et par la fécondité des résultats auxquels elle a conduit;nous voulons parler de la philologie comparée, qui ne date que d'hier et qui, cependant, a pris rang immédiatement à côté de l'histoire, de l'anthropologie, de l'ethnographie, de la mythologie, pour lesquelles elle est désormais un auxiliaire indispensable. Comme toute science, la philologie comparée, la linguistique a passé par des phases transitoires avant d'arriver à l'état de science constituée. Mais aucune, peut-être, n'a franchi en moins de temps ces périodes, qui sont les âges du savoir humain, les étapes de l'intelligence. On peut dire sans exagération que tous les progrès sérieux, positifs, qu'a faits la linguistique, se sont accomplis dans l'espace de cinquante années, comprises entre l'apparition de la Grammaire comparée de Bopp (16 mai 1816) et nos jours.
[….]
Ces quelques considérations suffiront, nous l'espérons, pour faire comprendre à nos lecteurs l'importance de la science nouvelle, et leur expliqueront pourquoi nous avons cru de voir lui consacrer une aussi large place dans le Dictionnaire du XIXe siècle.
M. Max Müller range parmi les sciences naturelles la linguistique, qu'on avait à tort, suivant lui, classée jusqu'ici parmi les sciences historiques. Nous reconnaissons volontiers que l'application de la méthode des sciences naturelles à la linguistique a produit, entre les mains de M. Max Müller et des savants allemands, de merveilleux résultats ; mais nous croyons cependant que les considérations historiques sont d'une extrême importance dans la linguistique, et que la science du langage est mixte, qu'elle touche à la fois au domaine naturel et au domaine historique. Cette restriction faite, nous reconnaissons sans difficulté le côté ingénieux et neuf de la théorie de M. Max Müller. Rien, en effet, ne ressemble plus à un anatomiste armé de scalpel et fouillant un cadavre pour lui arracher les secrets de la vie organique, qu'un linguiste analysant, disséquant un mot, dégageant au milieu des affixes et des suffixes, et des différentes modifications phonétiques internes, une racine primitive. Des deux côtés, il faut la même habileté de praticien, la même sûreté de main, la même intelligence, la même sagacité. Le linguiste a, lui aussi, ses œuvres merveilleuses de restitution inductive ; sur un fragment de livre, sur une phrase, sur un mot, il reconstruit une langue tout entière avec la même infaillibilité que le paléontologiste restitue, sur une vertèbre, sur une dent, un animal, un mode entier. Nous pouvons même dire que, dans certains cas, les résultats obtenus par la linguistique semblent encore plus étonnants que ceux qui le sont par la paléontologie.
[…]
M. Max Müller embrasse sous le nom de science du langage les différentes études successivement appelées philologie comparée, étymologie scientifique, phonologie, glossologie, linguistique, etc., appellations dont il blâme l'impropriété. Il est évident que, comme terme générique, science du langage est un mot très-heureux, très large, qui permet de grouper en un seul faisceau les différentes sciences auxquelles l'étude du langage sert de base. Ces différentes sciences, qui relèvent immédiatement de la science du langage, et dont elles ne sont, en quelque sorte, que les annexes, sont les suivantes :
D'abord l'étymologie, ou l'histoire des origines individuelles des mots, la généalogie des termes d'une langue. Les lecteurs verront comment nous avons traité cette partie, qui, dans un dictionnaire français, doit être considérée comme une des plus importantes, au point de vue de la connaissance exacte des mots. Le Dictionnaire du XIXe siècle est le premier jusqu'ici, nous pouvons le dire sans vanité, qui ait inauguré en France ce progrès capital. Jusqu'ici l'on se bornait, même dans les dictionnaires les plus récents et les mieux faits (nous citerons pour exemple celui de M. Littré auquel d'ailleurs nous avons rendu toute justice), à donner l'étymologie latine ou grecque la plus voisine du mot français, sans remonter au-delà. Quelquefois on allait jusqu'à rapprocher les termes congénères, tels que nous les présentent les langues néo-latines ou romanes. Nous avons procédé tout autrement : non content de donner les étymologies immédiates d'un mot, nous avons, avec Pictet, Pott, Benfey, Kuhn, Weber et tant d'autres savants, franchi ces colonnes d'Hercule de la philologie classique. Nous nous sommes attaché à faire l'histoire complète d'un radical, à suivre les transformations multiples qu'il a subies en passant en français, en latin, en grec, en sanscrit, et dans les autres idiomes collatéraux : persan, zend, langues germaniques, slaves, etc., en un mot, dans toute la grande famille indo-européenne. Nous croyons avoir ainsi rendu un véritable service à nos lecteurs, en élevant l'étymologie, ce procédé auparavant si restreint, et, pour ainsi dire, si mécanique, à la hauteur d'un enseignement philosophique et historique.
[…]
La linguistique proprement dite, qui rentre également dans la science du langage et en constitue un des éléments les plus personnels, a été de notre part l'objet d'une grande attention. Toutes les langues importantes ont été étudiées individuellement dans le Dictionnaire, au point de vue grammatical et au point de vue littéraire. Cette tâche était des plus ardues, parce qu'il n'existe pas un corps d'ouvrage renfermant tous les documents nécessaires pour l'accomplir. "
On peut aisément se rendre compte dans ces lignes de l'envergure du raisonnement de Larousse, de son souci d'embrasser et rassembler sous une certaine pensée du langage l'hétérogénéité de matériaux de nature et d'origine diverses. Et c'est l'histoire, en tant que discipline pratique ou analytique, ainsi qu'une certaine pensée de l'histoire comme philosophie, qui lui permettent de réaliser cette ambition. Rectifiant à juste titre, dans ce cadre, la place de l'histoire naturelle qui ne saurait plus être dès lors l'unique et impérialiste modèle descriptif et explicatif des faits du langage, Larousse propose d'écrire une histoire de la langue française à travers ses monuments littéraires qui édifie un véritable " monument " à la culture nationale.
En dépit de ces beaux et intéressants propos, cependant, la notice Histoire, en tant que telle, n'apporte rien qui fasse véritablement avancer le propos, puisque le terme de langue ne se trouve jamais associé à son objet dans les colonnes pourtant nombreuses et fournies consacrées à cette entrée. La notice Langue, pour sa part, et au nom des progrès même de la philologie, fournit l'occasion d'une sévère dénonciation des recherches fantastiques effectuées sur l'origine d'une langue initiale, la langue primitive :
" […] divers savants se sont efforcés de prouver l'antiquité de leur idiome de prédilection : les uns se firent les champions du bas breton, d'autres ont plaidé pour le basque, d'autres ses ont déclarés pour le flamand, d'autres pour le celtique. Pour donner un corps à leurs systèmes, ils ont écrit des ouvrages volumineux. Mais tout cet échafaudage, auquel manquait une base scientifique, dut s'écrouler le jour où la philologie entra dans la voie qui venait de s'ouvrir aux sciences positives, et qu'elle adopta, comme la physique et la chimie, l'observation des faits comme principe et comme guide de ses expériences " [t. X, p. 158 a]….
Elle ne permet l'introduction de l'expression histoire de la langue, qu'au détour de la notice consacrée à l'ouvrage du concurrent Littré, dans un développement critique qui signe en quelque sorte en creux la conception de l'objet que, nulle part ailleurs, Larousse n'est véritablement et totalement en mesure d'expliciter :
" Cet ouvrage est un simple recueil d'articles insérés dans des publications diverses […] Tous ces articles, cependant, se rapportent à un même sujet, l'étude de la vieille langue française ou lange d'oïl. Ces articles ont eu pour occasion la publication de textes anciens des éditions renouvelées, des grammaires et des glossaires. Leur ensemble, malgré les efforts de l'auteur pour prouver le contraire, ne forme pas un livre proprement dit, et, en tout cas, on n'a pas pu l'intituler Histoire de la langue française sans en donner une fausse idée au lecteur. " [t. X, p. 161 b]
De fait, c'est bien encore la littérature et l'histoire littéraire qui fournissent au philologue et au linguiste la matière de leurs recherches, mais dans une perspective désormais rendue scientifique par les acquis de la nouvelle philologie fondée sur l'enseignement et le modèle de la grammaire historique et comparée des langues indo-germaniques. Un dernier pas, dans notre parcours, se franchit avec l'ouvrage assurant la transition lexicographique du XIXe au XXe siècle.
L'œuvre de ces savants s'édifie sur les bases d'une science étymologique renouvelée par la grammaire historique et comparée, au moment même où Michel Bréal ajoute à la dimension de l'étymologie celle de la sémantique [1883]. Cette adjonction n'est pas sans conséquence sur la configuration générale de la science du langage, et, en particulier, elle modifie sensiblement la valeur de probation qu'il faut accorder à la crédibilité étymologique, même soutenue du protocole rigide des lois de la phonétique historique qui définissent les possibilités et les impossibilités des transformations formelles des unités lexématiques, sous l'hypothèque constante de formes originelles ou transitoires hypothétiques que signalent seulement d'opportunes astérisques. La dubitation ne peut alors se marquer que de manière ponctuelle, et comme par nécessité méthodologique de principe. On notera toutefois que Hatzfeld, Darmesteter et Thomas s'appuient toujours sur leur prédécesseur le plus connu…
" […] puisque les mots naissent, se développent et se transforment dans le temps, ils ont une histoire. Cette histoire ne s'adresse pas seulement aux érudits ; elle intéresse tous ceux qui veulent connaître exactement le sens des mots qu'ils emploient. Comme on l'a fort bien dit, l'érudition est ici, non l'objet, mais l'instrument, et ce qu'elle apporte d'historique est employé à compléter l'idée de l'usage, idée ordinairement trop restreinte " [Littré, Préface du Dictionnaire, p. v] " [p. i]
C'est dans ce cadre général que la réflexion des auteurs prend un tour particulier et permet d'envisager globalement la question non seulement du rapport du langage à la pensée, mais des différentes formes que le premier peut revêtir au regard de la seconde selon les époques. Même si le raisonnement ne s'applique tout d'abord qu'aux mots, le Dictionnaire général est ainsi le premier ouvrage de ce type-- à ma connaissance tout au moins --qui offre simultanément une réflexion épistémologique et une analyse critique de ce que Meschonnic appellerait de nos jours l'historicité du langage, qui, pour moi, trouve sa traduction instantanée à l'époque dans la construction d'une représentation stabilisée de l'histoire de la langue :
" La méthode historique ne consiste pas seulement à faire connaître les divers sens d'un mot, en partant de la signification première, de laquelle toutes les autres sont sorties. Après avoir constaté, recueilli les faits, il faut en montrer le lien et l'enchaînement. Comment ranger les divers sens dans l'ordre où ils se sont succédé, si l'on ne démêle les causes qui ont déterminé cet ordre. Si la suite des événements politiques a sa raison d'être, les énumérer dans l'ordre chronologique, sans chercher les causes qui en ont amené la succession, c'est faire de la chronique et non de l'histoire ; de même, si le langage sert à exprimer la pensée, les mots ne sauraient passer du sens primitif aux sens dérivés et figurés sans suivre un certain ordre, qui a son explication rationnelle ; et l'on doit chercher dans les lois de la pensée la cause historique des transformations auxquelles les mots ont été soumis. " [p. i-ii]
Le Traité de la formation de la langue française, qui suit la préface de l'ouvrage, n'est en conséquence qu'une linguistique historique du français…. principalement saisie et développée sous les aspects de la phonétique, de la morphologie et de la syntaxe… Dans une perspective totalement interne à son objet.
Si l'on se reporte aux notices Histoire et Langue, on relève toutefois la même déceptive impression que celle que l'on notait chez les prédécesseurs de cet ouvrage. Hatzfeld, Darmesteter et Thomas signalent " l'histoire grecque, romaine… l'histoire de la littérature, de la civilisation, de l'Eglise " [p. 1244 a]…. Mais rien de plus ! Et à Langue : " langues anciennes, mortes, vivantes " [p. 1377 b], rien de plus, également, comme si l'idée d'une histoire possible, qui ne fût pas seulement et uniquement narrative, demeure toujours inenvisageable en termes scientifiques, tant était âpre le débat de la linguistique historique et de l'histoire de la langue, après les travaux et les publications de Chevallet, Pellissier [23], etc. et de Brachet. Dans la préface que Littré offre à la grammaire historique de ce dernier, nulle mention d'ailleurs d'une quelconque d'histoire de la langue. Les savants et les chercheurs de l'époque ne connaissent que la rigueur plus ou moins exacte des mécanismes historiques de la linguistique. Ils mettent à distance, tant que le pouvoir politique leur en donne le loisir, cette notion beaucoup plus idéologique que scientifique, qui, à un autre degré d'analyse, et dans l'épaisseur des diachronies, recoupe la distinction du français et de la langue française, que nous avons établie plus haut.
Or, c'est par un décret de nature politique qu'à l'instar de la chaire de Dialectologie ouverte en 1888 à l'École Pratique des Hautes Études, se voit créée à la Sorbonne, en 1901, et pour Ferdinand Brunot, la chaire d'Histoire de la langue française. On a déjà bien connu Brunot comme l'un des collaborateurs de Louis Petit de Julleville dans la monumentale Histoire de la langue et de la littérature françaises que ce dernier publie en 1896, et l'on a noté ailleurs le fait de la dérive progressive de Brunot, qui, partant d'une conception stricte de la linguistique historique, s'engage dans la narration édificatrice d'une histoire socialement et politiquement engagée du français. C'est dans ce cadre nouveau et à vrai dire quelque peu inattendu que Brunot inverse alors totalement les termes de la dialectique langue française /vs/ français en croisant les perspectives interne et externe sous lesquels l'objet linguistique peut être appréhendé :
" L'histoire du français, ce sera donc d'une part l'histoire du développement qui, de la langue du légionnaire, du colon ou de l'esclave romain, a fait la langue parlée aujourd'hui par un faubourien, un " banlieusard ", ou écrite par un académicien. Nous appellerons cette histoire-là l'histoire interne.
L'histoire de la langue française, ce sera d'autre part l'histoire de tous les succès et de tous les revers de cette langue, de son extension en dehors de ses limites originelles-- si on peut les fixer. Nous appellerons cette partie l'histoire externe. " [H.L.F., 1905, t. 1, p. v]
La logique et la cohérence de la pensée linguistique auraient voulu à cette époque -- comme nous croyons avoir pu le démontrer plus haut -- que l'histoire du français s'accordât de la perspective externe en tant que système de forces idéologiques de contraintes politiques, esthétiques, pratiques, dont l'école, à travers les grandes figures de son historiographie et les grands textes de sa littérature, assure la promotion comme valeur de la République. Tandis que l'histoire de la langue française fût plus particulièrement soumise à une investigation de type interne, en tant que système linguistique de formes sémiologiques, strictement normé à travers les âges par son emploi en tant que langue de référence.
[Suite] [Table]
Notes
22. On ne peut donc scientifiquement ni comprendre ni accepter qu'une récente publicité des éditions Champion électronique fasse mention de cet objet dans les termes suivants : " L'indispensable dictionnaire des sciences, des arts et des techniques. La série des dictionnaires d'usage de l'Académie ignore à peu près totalement la langue scientifique et technique. Ce sera le rôle du complément du Dictionnaire de l'Académie, publié en 1842 et réédité pour la première fois dans ce cédérom, que de combler cette lacune. Mine de savoir et de curiosités pour le lecteur moderne, ce dictionnaire irremplaçable est d'une importance exceptionnelle. : la série des huit dictionnaires d'usage (de 1694 à 1835) comprend au total 36 000 entrées cumulées (hors doublons), alors que le Dictionnaire des sciences, des arts et des techniques offre à lui seul 110 000 entrées, soit 3 fois plus ! Il introduit une autre innovation en offrant un riche florilège de près de 200 000 citations, qui font référence à la littérature du Moyen Âge au XVIIIe siècle, dans lequel Littré puisera abondamment. ". Quand arguments commerciaux, pillage éhonté et inconséquences scientifiques…. Hélas, aujourd'hui, le ridicule ne tue plus, et ne fait même plus sourire tant la prétention batrachyenne passe les bornes de toute raison.
23. Albin d'Abel de Chevallet, Origine et formation de la langue française, Paris, Dumoulin, 1858. [posthume] ; Pierre Augustin Pellissier, La Langue française depuis son origine jusqu'à nos jours. Tableaux historique de sa formation et de ses progrès, Paris, Didier, 1886 ; ibid. Précis d'histoire de la langue française depuis son origine jusqu'à nos jours, Paris, Didier, 1873. Auguste Brachet, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, Metzel, 1869 ; ibid., Grammaire historique de la langue française, avec une préface par É. Littré , Paris, Hetzel, 1868.