NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - 1993-2003

Le Livre 010101 (2003)
Tome 1 (1993-1998)
3. Des livres à vendre sur le web

De nombreuses librairies "en dur" - avec locaux, vitrine sur la rue, rayonnages et piles de livres – créent un site web pour disposer d’une deuxième vitrine sur le monde. D’autres librairies n’ont ni murs, ni vitrine, ni enseigne sur la rue. Leur vitrine est leur site web, et toutes leurs transactions s’effectuent sur le réseau. L’internaute peut consulter le catalogue à l’écran, lire le résumé ou des extraits des livres sur le web et passer sa commande en ligne.

3.1. Librairies traditionnelles
3.2. Premières librairies en ligne
3.3. L’avenir des librairies en ligne


3.1. Librairies traditionnelles

Chaînes de librairies

Les chaînes de librairies traditionnelles s’installent rapidement sur l’internet. C’est le cas par exemple de la Fnac, du Furet du Nord et de Decitre.

Le site de la Fnac ouvre sur le logo "fnac" blanc et ocre bien connu. Présente en France, en Belgique et en Espagne, la Fnac, qui se veut à la fois défricheur, agitateur culturel et commerçant, se définit elle-même par "une politique commerciale fondée sur l’alliance avec le consommateur, sa vocation culturelle et sa volonté de découvrir les nouvelles technologies". La Fnac crée un magazine littéraire en ligne et ouvre un secteur "commerce électronique" permettant de commander livres, disques, vidéos et CD-Rom. La commande est passée par internet, minitel ou téléphone. La livraison est possible en France comme à l’étranger. Les modes de paiement sont la carte de crédit ou le chèque à la commande.

Le Furet du Nord est une chaîne de librairies implantée dans le Nord de la France et dont le siège est à Lille. Son site permet de consulter une base de données de 250.000 livres et de les commander en ligne. Il propose aussi un suivi permanent de l'actualité littéraire. La vente à distance représente 15 à 20% du chiffre d’affaires total de l'entreprise. Les meilleurs clients sont les écoles, les universités, les comités d’entreprise et les ambassades.

La chaîne de librairies Decitre officie dans la région Rhône-Alpes. Ses neuf librairies sont particulièrement dynamiques dans le domaine de l’informatique, du multimédia et de l’internet. Elles proposent régulièrement des démonstrations de CD-Rom et des initiations à l’internet. Créé en 1996, le site est remanié en décembre 1997. "Notre site est pour l'instant juste un moyen de communication de plus (par le biais du mail) avec nos clients des magasins et nos clients bibliothèques et centres de documentation", explique en juin 1998 Muriel Goiran, libraire. "Nous avons découvert son importance en organisant DocForum, le premier forum de la documentation et de l'édition spécialisée, qui s'est tenu à Lyon en novembre 1997 (avec une prochaine édition fixée en novembre 1999). Il nous est apparu clairement qu'en tant que libraires, nous devions avoir un pied dans le net. Internet est très important pour notre avenir. Nous allons mettre en ligne notre base de 400.000 livres français à partir de fin juillet 1998, et elle sera en accès gratuit pour des recherches bibliographiques. Ce ne sera pas une n-ième édition de la base de Planète Livre, mais notre propre base de gestion, que nous mettons sur internet."

Librairies spécialisées

Située au cœur de Paris, dans la rue Saint-Honoré, la librairie Itinéraires est spécialisée dans les voyages. Elle propose guides, cartes, manuels de conversation, reportages, récits de voyage, livres de cuisine, livres d’art et de photographie, ouvrages d'histoire, de civilisation, d'ethnographie, de religion et de littérature étrangère, et cela pour 160 pays et 250 destinations. "Le monde en mémoire", tel est le sous-titre de son site bilingue français-anglais.

Dès 1985, date de sa création, la librairie crée une base de données avec classement des livres par pays et par thèmes. Hélène Larroche, sa fondatrice, explique en juin 1998: "Il y a un peu plus de trois ans, nous avons rendu la consultation de notre base de données possible sur minitel et effectuons aujourd'hui près de 10% de notre chiffre d'affaires avec la vente à distance. Passer du minitel à internet nous semblait intéressant pour atteindre la clientèle de l'étranger, les expatriés désireux de garder par les livres un contact avec la France et à la recherche d'une librairie qui 'livre à domicile' et bien sûr les 'surfeurs sur le net', non minitélistes.

La vente à distance est encore trop peu utilisée sur internet pour avoir modifié notre chiffre d'affaires de façon significative. Internet a cependant eu une incidence sur le catalogue de notre librairie, avec la création d'une rubrique sur le web, spécialement destinée aux expatriés, dans laquelle nous mettons des livres, tous sujets confondus, qui font partie des meilleures ventes du moment ou/et pour lesquels la critique s'emballe. Nous avons toutefois décidé de limiter cette rubrique à 60 titres quand notre base en compte 13.000. Un changement non négligeable, c'est le temps qu'il faut dégager ne serait-ce que pour répondre au courrier que génèrent les consultations du site. (...) Outre le bénéfice pour l'image de la librairie qu'internet peut apporter (et dont nous ressentons déjà les effets), nous espérons pouvoir capter une nouvelle clientèle dans notre spécialité - la connaissance des pays étrangers -, atteindre et intéresser les expatriés... et augmenter nos ventes à l'étranger."

De nombreuses librairies spécialisées sont présentes sur le web, par exemple Le Monde en Tique, avec un catalogue de 37.000 titres sur l’informatique, les nouvelles technologies, le multimédia et l’internet, ou encore la librairie Interférences, spécialisée dans les ouvrages scientifiques, qui serait la première librairie française à avoir créé un site web, dès 1995. Les sites de librairies spécialisées sont recensés dans Livre.net (devenu ensuite Lalibrairie.com).

Librairies de livres anciens

L'internet est aussi un formidable vecteur pour les libraires d'ancien, qui peuvent ainsi considérablement agir leur champ d’action.

En novembre 1995, Pascal Chartier, gérant de la Librairie du Bât d’Argent (Lyon), crée Livre-rare-book, un site quadrilingue en français, anglais, italien et allemand. Un catalogue en ligne regroupe les catalogues de plusieurs librairies de la région (situées à Lyon, Moulins, Dijon et Naples). Il est complété par un annuaire international des librairies d’occasion. Pascal Chartier considère le web comme "une vaste porte", à la fois pour lui et pour ses clients. L’internet est "peut-être la pire et la meilleure des choses. La pire parce qu’il peut générer un travail constant sans limite et la dépendance totale. La meilleure parce qu’il peut s’élargir encore et permettre surtout un travail intelligent!", écrit-il en juin 1998.

Basé à Amboise (Loire), France Antiques est un site bilingue français-anglais qui se veut celui de tous les professionnels du marché de l'art ancien français : antiquaires, libraires, éditeurs d'art, etc. Le site propose douze catalogues de librairies d'ancien, un annuaire de libraires, une liste de librairies complétée par un classement géographique, et un index par spécialités (autographes, manuscrits; beaux-arts, architecture, arts décoratifs; bibliographie, histoire du livre; etc.).


3.2. Premières librairies en ligne

Avec l’essor du web apparaissent des librairies d’un genre nouveau, qui vendent des livres uniquement sur l’internet. Ces librairies n’ont ni murs, ni vitrine, ni enseigne sur la rue. Leur vitrine est leur site web, et toutes leurs transactions s’effectuent sur le réseau.

En France

Fondée en 1996 par Patrice Magnard, la librairie en ligne Alapage vend tous les livres, disques et vidéos disponibles sur le marché français, soit 400.000 articles, avec paiement sécurisé. Sur le site bilingue français-anglais, la recherche est possible par auteur, titre et éditeur. Le même service est disponible sur minitel (3615 Alapage).

Alapage travaille en partenariat avec la librairie en ligne Novalis (intégrée plus tard à Alapage), qui assure elle aussi la vente par correspondance de produits culturels: disques, livres, vidéos et multimédia. En octobre 1997, les deux librairies décident de créer le premier prix littéraire francophone sur l’internet, non pas pour créer un prix littéraire de plus, mais pour constituer une "première".

Comme indiqué à la même date sur le site, "1) c’est la première fois que l'on utilise le support internet pour organiser un vote autour d'un prix littéraire. 2) C’est la première fois qu'est constitué un jury littéraire composé d'un potentiel aussi important et diversifié de votants, fidèle reflet de la diffusion de la culture française. Ce vote est en effet ouvert à nos visiteurs de tous horizons, disséminés sur les cinq continents, qui pourront émettre leur avis sur l'ensemble des ouvrages concourant aux principaux prix littéraires de fin d'année. 3) C'est la première fois qu'est imaginé un instrument de mesure de la satisfaction du lecteur et du bonheur de la lecture, qui ne soit pas seulement un outil de mesure des ventes de livres, aussi fiable soit-il."

Un vote est organisé entre le 20 octobre et le 9 novembre 1997 auprès de l'ensemble des internautes. Afin d’éviter les votes multiples, chaque voix n’est validée que si la fiche de vote est scrupuleusement remplie. Toute fiche double est annulée. Ce premier prix littéraire des internautes est remporté par Marc Trillard pour son roman Coup de lame, paru aux éditions Phébus.

A Alapage et Novalis vient se joindre une troisième librairie en ligne, Chapitre.com, créée en 1997 par Juan Pirlot de Corbion. Son catalogue de 350.000 titres est complété par une bouquinerie, un choix d’éditeurs, des liens avec 1.000 sites littéraires et culturels, et une revue des littératures intitulée Tête de chapitre.

Au Royaume-Uni

Basée au Royaume-Uni, The Internet Bookshop (iBS) est la plus grande librairie européenne, avec 1,4 million de titres.

Initiative originale (et reprise ensuite par Amazon.com), la librairie développe un nouveau système de partenariat sur le web. Tout possesseur d’un site web peut devenir partenaire de The Internet Bookshop en sélectionnant sur son propre site un certain nombre de titres présents dans le catalogue de la librairie. Celle-ci prend en charge toute la partie commerciale, à savoir les commandes, les envois et les factures. L’internaute partenaire reçoit 10% du prix des ventes. C’est la première fois qu’une librairie en ligne propose une part aux bénéfices par le biais du web, entraînant à terme la nécessité d’une nouvelle réglementation dans ce domaine.

Autre initiative originale, en octobre 1997 The Internet Bookshop débute une politique de grosses remises, chose inconnue jusque-là. La librairie propose des remises allant jusqu’à 45%, prenant le risque d’une guerre des prix et des droits avec les libraires et les éditeurs traditionnels. Parallèlement, la librairie attend la réaction de ces derniers à sa décision de vendre des livres provenant des Etats-Unis, une vente débutée un mois auparavant, en septembre 1997. La librairie en ligne Waterstone’s (rachetée ensuite par Amazon.com) songe elle aussi à introduire des titres américains dans son catalogue, à partir de janvier 1998.

The Publishers Association, organisme représentant les éditeurs du Royaume-Uni, a fort à faire pour étudier leurs doléances, jointes à celles des libraires traditionnels, qui souhaiteraient non seulement faire interdire la vente de titres américains par des librairies en ligne britanniques, mais aussi faire interdire l’activité des librairies en ligne américaines au Royaume-Uni (sous-entendu: qu’elles ne puissent pas vendre des livres à des clients britanniques). Sur le site web, en 1997 et 1998, la rubrique iBS News (iBS: Internet Bookshop) permet de suivre pas à pas le combat engagé par les libraires en ligne contre les associations d’éditeurs et de libraires traditionnels, afin d’obtenir la suppression totale des frontières pour la vente des livres.

Aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, la librairie en ligne Amazon.com est fondée en juillet 1995 par Jeff Bezos. Trois ans après, elle est la plus grande librairie au monde avec ses 3 millions de livres, CD, DVD, jeux informatiques, etc., à savoir un stock quatorze fois supérieur à celui des plus grands hypermarchés. Le catalogue en ligne permet de rechercher les livres par titre, auteur, sujet ou rubrique. Très attractif, le contenu éditorial du site change quotidiennement et forme un véritable magazine littéraire avec des extraits de livres, des entretiens avec des auteurs et des conseils de lecture.

Sur les traces de The Internet Bookshop, Amazon.com offre une part des bénéfices à ses associés en ligne. Depuis le printemps 1997, tous les possesseurs d’un site web peuvent vendre des livres appartenant au catalogue de la librairie et toucher un pourcentage de 15% sur les ventes. Ces associés effectuent une sélection dans les titres du catalogue et rédigent leurs propres résumés. Amazon.com reçoit les commandes par leur intermédiaire, expédie les livres et rédige les factures. Les associés reçoivent un rapport hebdomadaire d’activité. Au printemps 1998, le libraire en ligne compte plus de 30.000 sites affiliés.

"Introduit à la bourse de New York en mai 1997, Amazon.com a attiré 54 millions de dollars en ne cédant que 13% de son capital, une véritable performance pour une société dont le chiffre d’affaires était alors de 32 millions de dollars", relatent Philip Wade et Didier Falkand dans Cyberplanète: notre vie en temps virtuel (paru en 1998 aux éditions Autrement). Avec 1,5 million de clients dans 160 pays et une très bonne image de marque, Amazon.com est régulièrement cité comme un symbole de réussite dans le cybercommerce. Si la librairie en ligne est toujours déficitaire après deux ans d’existence, sa cotation boursière est excellente. Satisfait, Jeff Bezos, son fondateur et principal actionnaire, précise: "Nous générons des revenus de plus de 300.000 dollars par an et par employé. Une librairie traditionnelle ne fait que 95.000 dollars par employé."

Une autre grande librairie en ligne est Buybooks.com, avec un catalogue de 1,4 million de titres américains, 500.000 titres allemands, 500.000 titres français, 200.000 titres anglais, 100.000 titres suédois, 80.000 films en vidéo et sur DVD, et 10.000 jeux informatiques pour console ou sur CD-Rom. Principale chaîne de librairies traditionnelles avec 480 librairies réparties dans tout le pays, Barnes & Noble décide de se lancer dans la vente sur l'internet en créant en mai 1997 son site barnesandnoble.com. Il devient rapidement le principal concurrent d’Amazon.com et déclenche ainsi une guerre des prix - puisque le prix du livre est libre aux Etats-Unis - à la grande satisfaction des internautes, qui, sur l’un ou l’autre site, se voient parfois offrir des réductions allant jusqu’à 50% pour certains titres.


3.3. L’avenir des librairies en ligne

A la suite des pionniers que sont Amazon.com, The Internet Bookshop et quelques autres, l’avenir de la librairie en ligne est très prometteur.

Chapters, grand libraire traditionnel canadien, et The Globe and Mail, quotidien de Toronto, unissent leurs forces pour créer la librairie en ligne Chaptersglobe.com, ouverte à l’automne 1998 (et remplacée ensuite par chapters.indigo.ca). Le site comprend des critiques et recensions fournies par le journal, ses archives sur vingt ans, une liste de best-sellers et des forums de discussion.

Le groupe allemand Bertelsmann acquiert au printemps 1998 le grand éditeur américain Random House. Bertelsmann compte aussi ouvrir une librairie en ligne proposant plusieurs millions de titres dans toutes les langues, avec livraison rapide dans le monde entier. (En effet, quelques mois plus tard est créé BOL.com, BOL signifiant: Bertelsmann on line.)

En France, la loi sur le prix unique du livre laisse peu de latitude sur les prix, contrairement à la souplesse qu’offre le prix libre du livre au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. En revanche, les libraires français sont optimistes sur les perspectives d’un marché francophone international. Dès 1997, un nombre significatif de commandes provient de l'étranger, par exemple 10% des commandes pour la Fnac. Ces clients sont des "Français et membres de la diaspora francophone, étrangers francophiles, universités ou écoles lointaines... soucieux de se procurer les derniers titres de l'édition parisienne ou simplement les livres qu'ils ne peuvent trouver à Kansas City ou à Kyoto", précise Pierre Briançon, journaliste, dans le quotidien Libération du 14 novembre 1997.

Le développement des librairies en ligne doit également être replacé dans le contexte plus général du cybercommerce. En mars 1998, le magazine Stratégies internet mène une étude "auprès des 60 sites marchands les plus actifs en France, dressant ainsi l'état des lieux et donnant des pistes de réflexion aux entreprises françaises tentées par l'aventure du cybercommerce". A cette date, la commande en ligne n’est possible qu’auprès d’une centaine de sites seulement. Le cybercommerce représente 40 millions de FF (6,1 millions d’euros) en 1997, avec une estimation de 160 millions de FF (24,4 millions d’euros) pour la fin 1998. Le nombre d’acheteurs sur l’internet est de 50.000 en mars 1998, avec une estimation de 400.000 acheteurs pour mars 1999. L’étude indique que 25% des sites considèrent leur activité comme rentable dès 1997, alors que les autres envisagent plutôt une rentabilité à moyen terme.

Même si la création d’une nouvelle législation s’avère difficile parce que freinée par les libraires et les éditeurs traditionnels, l’abolition des frontières dans le marché du livre est inévitable, puisqu’elle est liée à fois à la structure même de l’internet et à la mondialisation de l’économie. Les libraires en ligne ne tardent pas à suivre l’exemple de The Internet Bookshop, première librairie britannique à vendre sur son site des livres publiés aux Etats-Unis.

Concernant la fiscalité, un accord-cadre entre les Etats-Unis et l’Union européenne est conclu en décembre 1997. L’internet est considéré comme une zone de libre-échange, c’est-à-dire sans droits de douane, pour les logiciels, les films et les livres achetés sur le réseau. Les biens matériels et autres services sont soumis au régime existant dans les pays concernés, avec perception de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) sans frais de douane supplémentaires. Cet accord-cadre devrait être suivi d’une convention internationale.

Les libraires en ligne vendront-ils bientôt le texte intégral des livres en version numérique? Dans ce cas, l’inévitable délai dû à l’envoi postal disparaîtra, puisque les fichiers électroniques pourront parvenir au lecteur en un temps infime via l'internet. Si nombre de nos contemporains sont nés à l’ère du papier et préfèrent lire un roman de trois cents pages en version imprimée, ceci ne sera peut-être plus le cas pour les générations qui auront commencé à utiliser l’ordinateur dès l’âge de trois ans.


Chapitre 4: Editeurs
Table des matières


Vol. 2 (1998-2003)
Vol. 1 & 2 (1993-2003)


© 2003 Marie Lebert