NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - Entretiens 1998-2001 - Philippe Loubière
Je suis traducteur littéraire en français (ma langue maternelle) à partir principalement du roumain (et aussi de l'espagnol). Ayant traduit et adapté de nombreuses pièces de théâtre, j'ai également eu l'occasion de m'impliquer dans la mise en scène, et pas seulement des pièces que j'ai pu traduire ou adapter. Je fais des piges également pour plusieurs revues sur la Roumanie, sur le monde arabe et sur la langue française (notamment sur le site de l'Association pour la sauvegarde et l'expansion de la langue française - ASSELAF). Il m'arrive également de donner des cours d'arabe, langue que j'ai enseignée plusieurs années pour l'Éducation nationale française, pour ne pas perdre la main dans cette langue.
Les contacts amicaux et professionnels, par courrier électronique donc, ainsi que la transmission de documents écrits ou d'images, mais assez peu de navigation.
Sans grand changement, je crois, en ce qui me concerne (mais sait-on jamais?).
J'utilise beaucoup le support papier car, quoique j'écrive la plupart du temps sur ordinateur, j'ai besoin d'imprimer pour me relire. Je lis les journaux. Je suis très attaché au livre comme objet et comme support de connaissance. Et en tout cas je fais partie de la chaîne qui les édite. Je viens même d'en publier un: Cîntece de alchimist / Chants d'achimiste de Teodor Mazilu, édition bilingue de poésie, traduite par mes soins (publiée aux éditions Crater à Bucarest).
Je pense que le papier a encore de très beaux jours devant soi. Mais il va resserrer une partie de sa gamme, naturellement, c'est-à-dire la recentrer. Je suis ravi que l'on économise ainsi la vie de milliers d'arbres, pour que certaines données d'intérêt variable ou à rotation rapide soient déviées sur les divers supports numériques. Par ailleurs, les journaux (non nécessairement les quotidiens) restent un moyen dit d'"information" plus digne de foi que la presse audio-visuelle: leur lecture est le moyen d'essayer de s'informer le moins passif, celui qui permet la meilleure distanciation par rapport à l'information (on se fait moins piéger par le matraquage télé). Il y a ensuite plus de diversité dans les titres, dans les opinions, et surtout il y a des journaux spécialisés (c'est même le seul moyen d'information susceptible d'être spécialisé). Le livre, enfin, me paraît aujourd'hui le lieu idéal de refuge des valeurs de l'esprit, celles qui ne sont pas frappées d'obsolescence par le progrès technique ou par les modes. Bref, le papier, c'est la lecture, et c'est la lecture libre.
Mon opinion, que je garde la plus éloignée possible de tout sentiment, est assez réservée. La lecture sur écran est moins confortable que dans un livre traditionnel. Le seul intérêt (à long terme) serait, me semble-t-il, de trouver à l'état numérique des livres épuisés, lorsqu'on ne peut se rendre dans une bibliothèque.
Le débat sur le droit d'auteur sur le web me semble assez proche sur le fond de ce qu'il est dans les autres domaines où le droit d'auteur s'exerce, ou devrait s'exercer. Le producteur est en position de force par rapport à l'auteur dans pratiquement tous les cas de figure. Les pirates, voire la simple diffusion libre, ne menacent vraiment directement que les producteurs. Les auteurs ne sont menacés que par ricochet. Il est possible que l'on puisse légiférer sur la question, au moins en France où les corporations se revendiquant de l'exception culturelle sont actives et résistent encore un peu aux Américains, mais le mal est plus profond. En effet, en France comme ailleurs, les auteurs étaient toujours les derniers et les plus mal payés avant l'apparition d'internet, on constate qu'ils continuent d'être les derniers et les plus mal payés depuis. Il me semble nécessaire que l'on règle d'abord la question du respect des droits d'auteur en amont d'internet. Déjà dans le cadre général de l'édition ou du spectacle vivant, les sociétés d'auteurs - SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), Société des gens de lettres, SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), etc. - faillissent dès lors que l'on sort de la routine ou du vedettariat, ou dès que les producteurs abusent de leur position de force, ou tout simplement ne payent pas les auteurs, ce qui est très fréquent. Il est hypocrite dans ce cas-là de crier haro sur le seul internet.
La langue unique est à l'évidence un système totalitaire. Tout ce qui peut contribuer à la diversité linguistique, sur internet comme ailleurs, est indispensable à la survie de la liberté de penser. Je n'exagère absolument pas: l'homme moderne joue là sa survie. Cela dit, je suis très pessimiste devant cette évolution. Les Anglo-saxons vous écrivent en anglais sans vergogne. L'immense majorité des Français constate avec une indifférence totale le remplacement progressif de leur langue par le mauvais anglais des marchands et des publicitaires, et le reste du monde a parfaitement admis l'hégémonie linguistique des Anglo-saxons parce qu'ils n'ont pas d'autres horizons que de servir ces riches et puissants maîtres. La seule solution consisterait à recourir à des législations internationales assez contraignantes pour obliger les gouvernements nationaux à respecter et à faire respecter la langue nationale dans leur propre pays (le français en France, le roumain en Roumanie, etc.), cela dans tous les domaines et pas seulement sur internet. Mais ne rêvons pas...
L'accompagnement acoustique, mais je n'ai pas de suggestions techniques.
Il n'y a pas, je crois, de société de l'information. Internet, la télévision, la radio ne sont pas des moyens d'information, ce sont des moyens de communication. L'information participe d'une certaine forme de savoir sur le monde, et les moyens de communication de masse ne la transmettent pratiquement pas. Ils l'évoquent dans le meilleur des cas (ceux des journalistes de terrain par exemple), et la déforment voire la truquent dans tous les autres. Et (pour autant qu'il le veuille!) le pouvoir politique n'est hélas plus aujourd'hui assez "le" pouvoir pour pouvoir faire respecter l'information et la liberté. L'information, comme toute forme de savoir, est le résultat d'une implication personnelle et d'un effort de celui qui cherche à s'informer. C'était vrai au Moyen-Âge, c'est encore vrai aujourd'hui. La seule différence, c'est qu'aujourd'hui il y a davantage de leurres en travers du chemin de celui qui cherche.
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© 2001 Philippe Loubière & Marie Lebert