NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - Entretiens 1998-2001 - Denis Zwirn

Denis Zwirn (Paris)
Co-fondateur et PDG de Numilog, librairie en ligne de livres numériques


Entretien du 19 février 2001

Quelle est l'origine de Numilog?

Dès 1995, j'avais imaginé et dessiné des modèles de lecteurs électroniques permettant d'emporter sa bibliothèque avec soi et pesant comme un livre de poche. Début 1999, j'ai repris ce projet avec un ami spécialiste de la création de sites internet, en réalisant la formidable synergie possible entre des appareils de lecture électronique mobiles et le développement d'internet, qui permet d'acheminer les livres dématérialisés en quelques minutes dans tous les coins du monde.

Pouvez-vous décrire l'activité de la société?

Numilog est d'abord une librairie en ligne de livres numériques. Notre site internet est dédié à la vente en ligne de ces livres, qui sont envoyés par courrier électronique ou téléchargés après paiement par carte bancaire. Il permet également de vendre des livres par chapitres.

Numilog est également un studio de fabrication de livres numériques: aujourd'hui, les livres numériques n'existent pas chez les éditeurs, il faut donc d'abord les fabriquer avant de pouvoir les vendre, dans le cadre de contrats négociés avec les éditeurs détenteurs des droits. Ce qui signifie les convertir à des formats convenant aux différents "readers" du marché: Acrobat Reader, Acrobat eBook Reader (que nous sommes les premiers en France à diffuser), et bientôt Microsoft Reader et les lecteurs électroniques du type Rocket eBook. Ce qui signifie également soigner leur mise en page numérique: la mise en page d'un livre numérique ne doit pas être la même que celle du livre papier correspondant si on veut proposer au lecteur une expérience de lecture confortable qui ne le déçoive pas.

Enfin, Numilog devient progressivement un diffuseur car, sur internet, il est important d'être présent en de très nombreux points du réseau pour faire connaître son offre. Pour les livres en particulier, il faut les proposer aux différents sites thématiques ou de communautés, dont les centres d'intérêt correspondent à leur sujet (sites de fans d'histoire, de management, de SF...). Numilog facilitera ainsi la mise en oeuvre de multiples "boutiques de livres numériques" thématiques.

Pouvez-vous décrire le site web?

Le site www.numilog.com présente un catalogue thématique de livres numériques. Le site a été ouvert au public en septembre 2000 et propose 500 titres à la mi-février 2001 (et près de 650 en juin 2001, ndlr). Chaque mois, 50 à 100 titres nouveaux devraient y être ajoutés. Cette base de livres est accessible par un moteur de recherche. Chaque livre fait l'objet d'une fiche avec un résumé et un extrait. En quelques clics, il peut être acheté en ligne par carte bancaire, puis reçu par e-mail ou téléchargement. Début mars 2001, le site de Numilog sera relooké et présentera des fonctionnalités nouvelles, comme l'intégration d'une "authentique vente au chapitre" (les chapitres vendus isolément seront traités comme des éléments inclus dans la fiche-livre, et non comme d'autres livres) et la gestion très ergonomique des formats de lecture multiples. (Toutes ces fonctionnalités sont maintenant opérationnelles, ndlr.)

Comment voyez-vous l'avenir?

Le développement attendu d'internet est une panacée qui possède suffisamment d'évidence pour ne pas y insister: il ne s'agit pas d'une mode, mais d'une révolution des moyens de communication qui présente des avantages objectifs tellement forts qu'on ne voit pas, sauf nouveau saut technologique inattendu, comment elle pourrait ne pas se répandre.

En ce qui concerne les livres numériques, selon Dirk Brass (Microsoft), dans les trente ans qui viennent, ils devraient représenter 90% des livres. Ce pari est moins certain que le précédent, mais ce n'est que parce qu'il indique une date. Je vois donc l'avenir de mes activités comme lié à ces deux anticipations: il s'agit de permettre à un public d'internautes de plus en plus large d'avoir progressivement accès à des bases de livres numériques aussi importantes que celles des livres papier, mais avec plus de modularité, de richesse d'utilisation et à moindre prix.

Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Numilog en tant qu'entreprise utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où nous scannons de nombreux livres pour les numériser, mais il s'agit là d'une activité ayant pour but de faire disparaître la nécessité du papier!

A titre personnel, j'utilise encore beaucoup le papier dans la mesure où de nombreux documents ne sont pas encore disponibles sous forme numérique, la presse hebdomadaire notamment... et les livres, puisque le volume de titres disponibles à ce jour en format de lecture à l'écran est ridicule par rapport aux quelques 600.000 titres existant en français. Pour écrire et envoyer du courrier ou des documents, par contre, j'utilise très peu le papier: le couple traitement de texte / courrier électronique en a fait disparaître quasiment totalement l'utilité.

Les jours du papier sont-ils comptés?

Je pense sincèrement que l'usage du papier devrait fortement régresser dans les dix à quinze ans qui viennent, grâce à toutes les techniques de rédaction, de lecture, et de communication numérique. Et cela aura un impact positif sur les forêts! Cela ne signifie pas qu'il disparaîtra, notamment si on parvient à réaliser des hybrides papier / numérique, grâce à des techniques telles que l'encre électronique. Mais il se peut dans ce cas qu'il soit concurrencé par d'autres types de matières souples présentant des qualités de robustesse et d'agrément tactile équivalente ou supérieure.

Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Le concept de livre électronique représente une extraordinaire avancée technologique et culturelle. Il doit permettre de faciliter la lecture et l'accès aux livres d'un très large public dans les années à venir. Ses principaux atouts sont la possibilité de transporter avec soi des dizaines de livres, de les lire dans des conditions de très bonne ergonomie en reproduisant l'agrément des livres traditionnels, tout en bénéficiant de nombreuses fonctionnalités de lecture absentes des livres traditionnels. Pour qu'il devienne un produit de consommation de masse, il faudra toutefois qu'il perde encore du poids et surtout que son prix soit attractif. En effet, le livre électronique stricto sensu est aujourd'hui concurrencé par des appareils que les gens achètent déjà massivement pour d'autres raisons que la lecture, mais qui peuvent servir de lecteurs électroniques grâce à des logiciels dédiés à la lecture: les assistants personnels (PDA) et les ordinateurs ultra-portables. Le coût marginal de la fonction "livre électronique" dans ces appareils est nul. Pour cette raison, je crois que l'avenir est à l'usage de plate-formes diversifiées selon les profils et les besoins des utilisateurs, et à une convergence progressive entre les lecteurs électroniques stricto sensu (qui intégreront des fonctions d'agendas) et les PDA (dont certains auront des écrans plus grands).

Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur sur le web?

Sur le plan juridique, une confusion est souvent faite entre la diffusion des oeuvres en réseau, l'accès à des sources d'information gratuites en ligne (mais qui ne sont pas des livres) et la vente d'exemplaires individuels de livres numériques. Il est de la responsabilité de chaque acteur du web de ne pas diffuser d'oeuvres sans l'accord de l'auteur, le web n'étant qu'un support de diffusion parmi d'autres. Dans une librairie en ligne, on achète un livre numérique comme un livre papier: après paiement et pour un usage individuel. Après le téléchargement, le code de la propriété intellectuelle s'applique à la version numérique au même titre qu'à la version papier de l'oeuvre: la reproduction n'est autorisée que pour l'usage privé de l'acheteur.

Le problème est donc exclusivement d'ordre technologique (....et civique): comment faire pour que ces droits soient effectivement respectés, compte tenu de la possibilité de copier un livre numérique et de l'envoyer à des amis? Plusieurs réponses sérieuses existent déjà. Les livres destinés aux lecteurs électroniques peuvent être cryptés de telle manière que seul un appareil désigné (ou plusieurs) puisse les lire. Ils ne peuvent en général pas être imprimés et sont donc en ce sens bien plus protecteurs que les livres papier, en évitant tout "photocopillage". En ce qui concerne les livres numériques pour ordinateurs, des solutions logicielles comparables ont été développées, par exemple par Adobe et par Microsoft, qui permettent de désigner un ordinateur ou un PDA comme support de lecture unique d'un livre. Des logiciels tels que Adobe Content Server proposent déjà des solutions plus sophistiquées, telles que la possibilité de définir un temps de lecture autorisée ou de prêter un livre numérique comme on prêterait un vrai livre.

Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du web aux aveugles et malvoyants?

L'usage de logiciels de reconnaissance vocale et la conception de sites web adaptés à ces logiciels est sans doute à terme la meilleure solution. En ce qui concerne les malvoyants, les livres numériques présentent l'intérêt de pouvoir agrandir fortement la police de caractères.

Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Le jour de ma première connexion à domicile, le 31 décembre 1995: c'est un de mes plus beaux souvenirs de réveillon!


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