La Jérusalem médiévale - Marie Lebert - 2006

L'architecture mamelouke

[Ci-contre, la vaste esplanade du Haram al-Sharif, avec le Dôme du Rocher en son milieu. Ce sont les Mamelouks qui ont donné au Haram al-Sharif sa forme présente. Photo de Marie-Joseph Pierre.]

Les bâtiments mamelouks, nombreux, sont essentiellement situés dans le Haram al-Sharif et autour. En voici quelques-uns [1]:

* Haram al-Sharif mamelouk
* Bâb al-Qattânin
* Madrasa al-Arghûniyya
* Madrasa al-Ashrafiyya
* Minaret Bâb al-Asbât
* Minaret Fakhriyya
* Minaret Ghawânima
* Sabîl Qâytbây
* Turba al-Sa’diyya
* Zâwika al-Kubakiyya


Haram al-Sharif mamelouk

Les Mamelouks donnent au Haram al-Sharif sa forme présente, en construisant la plupart des bâtiments situés le long du mur occidental. Ils investissent ensuite régulièrement de grosses sommes d’argent pour restaurer et embellir le Haram. Vers 1260, le sultan Baybars fait refaire les mosaïques des huit faces extérieures du Dôme du Rocher. Vingt ans plus tard, le sultan Qalaoun fait réparer le toit d’Al-Aksa. Le fils de Qalaoun, Al-Nasir Mohammad, verse la somme nécessaire à la redorure des coupoles du Dôme du Rocher et d’Al-Aksa.

Le Haram n’est pas accessible aux Chrétiens et aux Juifs, qui encourent de grands dangers s’ils s’y aventurent. Certains, qui connaissent les rites musulmans, s’y risquent malgré tout, comme Arnold von Harff en 1496: “Nous arrivâmes au Temple de Salomon (le Dôme du Rocher, ndlr) qui est situé à 160 pas du Temple du Christ (le Saint-Sépulcre, ndlr). Au moyen de dons et d’une aide amicale, je fus introduit dans ce Temple par un Mamelouk. Mais aucun Chrétien ou Juif n’est admis à entrer ici ou à s’approcher de près, parce qu’ils disent et assurent que nous sommes des chiens, et nous ne sommes pas admis à aller dans les lieux saints, sous menace de mort, ce dont j’avais peur. Mais ce Mamelouk me dit que si je voulais aller avec lui un soir, habillé de cette manière, il m’emmènerait au Temple, et que si j’étais reconnu, je devais répondre comme un païen (musulman, ndlr) avec les mots et le langage voulus, et que je devais utiliser les mots et faire les signes que je fus forcé d’utiliser quand j’étais emprisonné à Gaza... grâce à quoi le païen s’excuserait et me laisserait partir, ce qui évidemment arriva. Le Mamelouk vint me chercher une nuit au monastère de Sion et m’emmena dans sa maison, pour pouvoir assurer que j’avais passé la nuit avec lui. Là il me mit des vêtements et m’apprêta comme un Mamelouk. Ensuite nous nous dirigeâmes tous deux vers le Temple de Salomon.” [2]

Bâb al-Qattânin

La Bâb al-Qattânin, ou Porte des Cotonniers, est ouverte au milieu du mur ouest du Haram, presqu’en face du Dôme du Rocher, et donne accès au Sûq al-Qattânin, qui s’étend entre le Haram et Tariq al-Wad.

Le Sûq al-Qattânin, marché des marchands de coton, est communément appelé ainsi depuis des siècles. Il est le centre commercial du sultan Al-Nasir Mohammad ibn Qalaun et de l’émir Tankiz al-Nasari. En 1336 et 1337, l’émir Tankiz restaure cette porte construite au début de l’ère mamelouke. Elle est la seule entrée du Haram à posséder une façade monumentale sur l’esplanade.

L’historien Al-Umari en fait une description en 1347. “C’est une grande Porte qui vient d’être construite et qui est récemment ouverte. Elle comprend dix marches. Sur chaque côté s’élèvent des tribunes... La construction de la porte est parfaite... Son arc est à double voussure et fait de pierre sculptée et colorée. Son inscription est dorée et incrustée dans la pierre. Ses deux portails sont couverts de plaques dorées et en cuivre ciselé.” [3]

Madrasa al-Arghûniyya

Une madrasa est une école supérieure où l’on enseigne le Coran, l’exégèse coranique, la Sunna ou tradition du Prophète, le droit religieux et ses applications dans la vie pratique. La madrasa al-Arghûniyya est située en bordure ouest du Haram, sur le côté sud de la Tariq Bab al-Hadid, à côté de la Porte de Fer. Cette madrasa est constituée de plusieurs bâtiments scolaires et de mausolées.

Al-Argûniyya est à la fois la madrasa et la tombe d’Argun al-Kamili. Son nom moderne est Dar al-Afifi. Elle est terminée en 1358, un an après la mort de son constructeur Argun al-Kamili, gouverneur de Syrie, enterré ici en octobre 1357. Argun al-Kamili est d’abord gouverneur de Damas et à deux reprises gouverneur d’Alep. La lutte constante des Mamelouks pour le pouvoir le conduit ensuite dans les prisons d’Alexandrie, puis au banissement à Jérusalem. Il meurt en exil à trente ans.

Madrasa al-Ashrafiyya

La madrasa Al-Ashrafiyya est en bordure ouest du Haram, entre le minaret Bâb al-Silsila au sud et Al-Uthmaniyya au nord. Al-Ashrafiyya est la madrasa du sultan Qâytbây, terminée en 1482. Avec sa belle façade mamelouke du 15e siècle, cette madrasa est le bâtiment mamelouk le plus connu de Jérusalem. Construite par l’émir Hassan al-Dahari, elle devient la propriété du sultan Qâytbây puis celle de la secte soufique.

Démolie en 1475, la madrasa est reconstruite par le sultan Al-Malik al-Ashraf Qâytbây, et terminée en août 1482. L’historien Mujir al-Din la considère comme le troisième joyau du Haram, après le Dôme du Rocher et Al-Aksa. “Quelque temps après, dans l’année 800 (1475-1476 d’après le calendrier chrétien, ndlr), Al-Malik al-Ashraf Qa’it Bay vint à Jérusalem et ne trouva pas le bâtiment à son goût. C’est pourquoi en 884 (1479, ndlr) il envoya les gens de son entourage officiel pour le démolir et pour l’agrandir en le rattachant aux autres constructions. Ils commencèrent à creuser les fondations de l’actuelle madrasa le 14 Sha’ban 885 (19 octobre 1480, ndlr). Les architectes s’acharnèrent au travail, et elle fut terminée le mois de Rajab de 887 (août 1482, ndlr). Ils couvrirent son toit de la même manière que celui de la mosquée al-Aqsa, avec de solides plaques de plomb. Mais ce qui constituait son attrait le plus grand était sa position sur ce noble terrain où elle était devenue le troisième joyau. Ces trois joyaux sont: le Dôme du Rocher, le dôme de l’Aqsa, et cette madrasa.” [4]

Minaret Bâb al-Asbât

Dans l’enceinte du Temple, des minarets permettent aux muezzins d’exhorter à la prière cinq fois par jour. On les trouve près des zones habitées de la Vieille Ville et à côté des portes de l’enceinte. Le minaret Bâb al-Asbât est le minaret nord du Haram, sur le portique entre Bâb al-Asbât et Bâb Hitta. Sur le mur nord situé à l’est de la Porte des Tribus, Al-Nasir ibn Qalaoun fait construire une tour vers 1367. La partie supérieure, endommagée par un tremblement de terre, est restaurée en 1927.

Minaret Fakhriyya

Le minaret Fakhriyya est le minaret à l’angle sud-ouest du Haram. Il est construit en 1278 par Sharaf al-Din Abdul Rahman, fils de Fakhr al-Din al-Khalili. Il est restauré en 1345 puis en 1922.

Minaret Ghawânima

Le minaret Ghawânima est à l’angle nord-ouest du Haram. Au-dessus de la Porte Ghawânima, un minaret est construit en 1297 et 1298 par ordre du sultan mamelouk Al-Mansur Husam al-Din Lajin. Il est restauré en 1329 par Qalaoun. Ses matériaux de construction sont trouvés dans les ruines des bâtiments byzantins détruits par les Perses. Sa façade est décorée de colonnettes comprenant de petites scènes d’art chrétien. Le minaret est restauré à nouveau en 1927.

Sabîl Qâytbây

Les fontaines, ou sabîl, sont en général situées auprès des entrées principales du Mont du Temple, pour les ablutions des fidèles se rendant à la mosquée. Le sabîl Qâytbây est sur l’esplanade du Haram, entre le Dôme du Rocher et le mur ouest, à 15 m au nord-est d’Al-Ashrafiyya. Cette fontaine publique est offerte par le sultan Qâytbây en 1482.

Des artisans égyptiens la construisent sous la conduite d’un maître d’oeuvre chrétien. La grande taille de la fontaine, qui correspond à celle d’une tombe, vient peut-être du fait que ces artisans étaient des experts en architecture funéraire. Cette fontaine, considérée par certains comme le plus bel édifice du Haram après le Dôme du Rocher, est un superbe exemple d’architecture décorative mamelouke. A l’intérieur, l’inscription ornée courant sur les quatre côtés est composée de citations du Coran. L’inscription donne le nom et la date de la fontaine, et mentionne une restauration en 1883.

Turba al-Sa’diyya

La turba Al-Sa’diyya est située sur le côté nord de Tariq Bab al-Silsila, tout près de la porte du Haram. Datée de 1311, cette turba est la tombe de Burhân al-Dîn, juge célèbre qui donne son nom à une chaire de l’époque dite musulmane, restaurée pendant la période mamelouke. Le nom moderne de la turba est Dar al-Khalidi. La tombe possède un bel ornement en stalactites, le plus ancien de ce genre à Jérusalem. La porte est surmontée d’une mosaïque de marbre coloré.

Zâwika al-Kubakiyya

La zâwika Al-Kubakiyya est située dans le cimetière musulman de Mamilla, à l’extrémité orientale du parc de l’Indépendance, et à 400 m environ du rempart ouest de la Vieille Ville. Une inscription datée de 1289 l’identifie comme la tombe de l’émir Aidughdi Kubaki. D’abord esclave en Syrie, Aidughdi Kubaki devient le gouverneur de Safed et d’Alep. Un sultan mamelouk nouveau venu l’emprisonne et l’exile à Jérusalem. Il meurt à 60 ans.

La construction est formée d’une pièce carrée surmontée d’un dôme, avec réutilisation de matériaux croisés, notamment pour les colonnes d’angle supportant le porche. Les arcades au-dessus de la porte et des baies sont en fait des monolithes qui ont été travaillés pour simuler des assemblages de pierres.


[1] Les noms propres sont orthographiés d’après: Burgoyne (M.H.). Mameluk Jerusalem: An Architectural Study. London, World of Islam Festival Trust, 1987. Cet ouvrage monumental a demandé seize années de recherches à la British School of Archaeology in Jerusalem, créée en 1919. La transcription utilisée est celle de l’Encyclopaedia of Islam, mais ‘q’ remplace ‘k’, et ‘j’ remplace ‘dj’.

[2] The Pilgrimage of Arnold von Harff, 1496-1499. London, The Hakluyt Society, NS 94, 1946, p. 207-210.

[3] Golvin (L.). Quelques notes sur le Suq al-Qattanin et ses annexes à Jérusalem. Bulletin d’études orientales, volume 20, 1967, p. 101-102.

[4] Histoire de Jérusalem et d’Hébron: fragments de la Chronique de Mujir al-Din. Paris, Ernest Lanoux, 1876, p. 143-144, 286-288.


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