6. Pertes d'information
Le FEW se fie la plupart du temps à des sources métalinguistiques et
souvent à des sources métalinguistiques secondaires. En conséquence, il
n'est pas surprenant qu'il y ait perte d'informations. Nous prendrons deux exemples dans lesquels
la source secondaire est Gay et la source de Gay est ce que celui-ci nomme « Nicot,
4e éd., 1625 », c'est-à-dire une des réimpressions rouennaises
de Poille.
Belleau, Bergerie, 1565 (éd. Droz, 1954, p. 114): « ceintures,
rubans, bracelets, vants, fleaux, éclisses, oules, bartes, terrines, tiroüers, &
toutes sortes de vaisseaux propres à la bergerie, vacherie, &
labourage. »
Poille 1609: « Tirouer, terrines tirouers, & toutes sortes de vaisseaux
propres à la bergerie, & vacherie Belleau. »
Gay (2, 401b): « TIROUER. Terrine servant à la traite des vaches et
brebis. 1625: Terrines, tirouers et toutes sortes de vaisseaux propres à la bergerie et
vacherie. (Nicot, 4e édit.) »
FEW (s.v. MARTYRIUM 6, I, 409a): « mfr.
tirouer "seau à traire" (Amyot; 1625, Gay) »
L'omission par Gay de la mention de Belleau et la simplification de la définition de la part
du FEW entraînent la perte de l'attestation linguistique (Belleau), puis de la
précision du domaine d'application (vaches et brebis).
Ronsard 1564 (12.52.128)[18]: « pasteur [...] Qui tient
un harigot, & fleutte au cry des boeufs: »; (12.102.180):
« Margot, Qui fait sauter ses beufs au son du harigot, »
Poille 1609: « Harigot, Rons. / Vn instrument musical de
berger. »
Gay (2, 10a): « HARIGOT. Variété des instruments à
sifflet parmi lesquels se range le flageolet moderne. 1625: Harigot: un instrument musical de
berger. (Nicot.)" [+ 1635 Monet]
FEW (s.v. ERGOT 22, II, 13a): « frm.
harigot m. "instrument à sifflet" (1625-1635, Gay) »
Encore une fois, perte d'attestation (Ronsard) et changement de sens (en parlant des boeufs
"instrument musical de berger" "instrument à sifflet").
C'est parfois le FEW qui omet la mention de première attestation. Se fiant toujours
à sa source métalinguistique, il peut se contenter de dire que tel usage se trouverait
chez untel selon tel dictionnaire:
Thierry 1564: « Irritemer. Epithete de Borée vent de Bise, qui irrite
& esmeut ou courrouce la mer. Ronsard. »[19]
FEW (s.v. IRRITARE 4, 816b): « mfr.
irritemer adj. "épithète de la bise" (Rons, d'après
Th 1564) »
ou bien, n'étant peut-être pas sûr de l'identité de la mention fournie
par sa source, il ne cite que celle-ci:
Marquis 1609: « Grenoille, ietter en grenoille, terme d'alchimie, Vig. im.
Billon ietée dans l'eau au sortir du creuset. »
FEW (s.v. *RANUCULA 10, 59a): « mfr. jeter
en granoille "jeter dans l'eau au sortir du creuset (t. d'alch.)" (Stoer
1625) »
Marquis 1609: « Engrossissement de femelles [...] / * Amy. op.
dict Engrossement, venant de engrosser qui n'est moins en vsage
qu'engrossir. »[20]
FEW (s.v. *GROSSIA 4, 273a): « frm.
engrossement "action d'engrosser" (Stoer 1625-1675) »
La source première de jetter en grenoille chez Marquis est la traduction faite par
Blaise de Vigenere des Images ou tableaux de platte-peinture de Philostrate (1578); Marquis
a relevé la forme engrossement dans la traduction faite par Jacques Amyot des
OEuvres morales et meslees de Plutarque (1572).
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Notes
18. Nous citons Ronsard d'après l'édition Laumonier en utilisant le système
de référence de Creore.
19. Cf. la remarque ajoutée par Stoer 1599: « Les Poetes françois
composent tous les iours des mots en ceste façon, tesmoin entre tous le sieur de
Bartas. »
20. « Amy. op. » = Les OEuvres morales et meslées de
Plutarque, translatées du grec en françois, par Messire Jacques Amyot (1e
éd. 1572).