2.2.1.3. Forme, fonction et sens

2.2.1.3.1. Classement fonctionnel et classement sémantique

Comme nous l'avons vu plus haut, [107] la nomenclature est organisée à partir du classement alphabétique ou étymologique de ses items. Cependant, d'autres facteurs peuvent venir en modifier la présentation. Ainsi, la fonction grammaticale, normalement subordonnée à la forme, peut devenir une considération principale. Par exemple, E 1539 distinguant, dans le macro-article 'BAISER', deux micro-articles BAISER (verbe) et UNG BAISER (nom), T 1564, ajoutant le verbe BAISOTER, le place entre les deux. De même, s.v. Boire, E 1539 distingue BOIRE (verbe) et LE BOIRE (nom). L'adverbe bien et le nom bien/biens méritent chacun un macro-article à part, du moins de 1539 à 1573. [108] La fréquence fonctionnelle de A BON ESCIENT et de A BRIDE AVALLEE serait cause de leur enregistrement, en 1549, dans la nomenclature alphabétique; en effet, ND 1573 leur ajoute la qualification grammaticale "par forme d'aduerbe".

Parfois ce sont des distinctions sémantiques qui viennent modifier la présentation des items. Par exemple, s.v. Assommer, E 1539 sépare, dans l'en-tête comme dans le corps de l'article (lignes en saillie), ASSOMMER AUCUNG de ASSOMMER UNE SOMME. De même, les deux signifiés de BIERE (E 1539) sont distingués à la fois typographiquement (un macro-article chacun) et syntagmatiquement (UNE BIERE / DE LA BIERE). La structure du macro-article CHASSER est fondée sur la distinction "pulsion/vénerie", de sorte que la forme CHASSER est traitée deux fois, une fois au début (= "Abigere, Arcere, Excludere, Fugare, Pellere" etc.), et une deuxième fois ("Chasser aux bestes sauuages") apres CHASSE (= "Venatus"). L'alternance des formes peut être axée sur un sémantisme moins nettement démarqué que dans l'exemple précédent. Par exemple, dans le macro-article FARCE (E 1539), la séquence des sept entrées commençant par "Farceur, Hister" et comprenant les formes farceur, farceurs et farces semble être ordonnée à partir des sèmes "exécutant - auteur - directeur - costume - pantomime":

Cet ordre n'est pas sans rappeler le classement étymologique latin étudié plus haut. [109]

2.2.1.3.2. Primauté de la forme

Il est pourtant rare que la fonction ou le sens prime la forme. Seul Estienne, en 1539, était libre de choisir les critères de classement et d'en doser les proportions (les exemples notés ci-dessus à 2.2.1.3.1 sont de 1539). En fait, ses dictionnaires latins l'astreignaient aux ordres alphabétique et étymologique. Une fois le principe d'un classement formel admis dans la première édition, il n'est que consolidé dans les éditions postérieures. Les remaniements autres que formels étant rares, les additions viennent se greffer sur la nomenclature aux endroits les plus propices. Pour l'augmentateur, celle-ci n'est le plus souvent qu'une liste de signifiants purs.

Les distinctions fonctionnelles observées en 1539 pour BAISER / UNG BAISER et BOIRE / LE BOIRE (voir ci-dessus 2.2.1.3.1) sont respectees jusqu'en 1606; mais, déjà dans E 1549, les regroupements formels commencent. Ainsi, dans le macro-article ASSOMMER, la distinction ASSOMMER AUCUNG / ASSOMMER UNE SOMME est affaiblie au profit de celle entre ASSOMMER et ASSOMMÉ:

Ce sont pourtant les éditions de Nicot qui cultivent le plus la forme. Tantôt les sens et les fonctions sont réunis sous une même forme et dans un même alinea:

Tantôt on garde les adresses distinctes des éditions antérieures en ajoutant à l'une d'elles les propriétés fonctionnelles ou sémantiques de l'autre: Du même type, on trouve aussi: "DROICT, m. Directus ... Droict aussi est, Raison ... Ius" et "DROICT & raison, Ius" (ND 1573). Dans l'exemple suivant: l'adjectif fin est donné une première fois à la suite de fin, substantif, et une deuxième fois comme adresse autonome. [
111]

Si un item lexical nouveau est ajouté à la nomenclature en 1573 ou en 1606 et que son signifiant coïncide avec une forme déjà enregistrée, il y a toutes les chances pour qu'il soit traité sous celle-ci:

Un article entièrement nouveau ajouté en 1573 ou 1606 peut utiliser ce même procédé:

Il arrive, même, à deux formes différentes d'être considérées comme de simples variantes graphiques: Lorsqu'une forme flexionnelle coïncide avec le signifiant d'un autre membre de la même famille étymologique, elle peut être traitée dans l'article de celui-ci: En règle générale, les formes marquées, lorsqu'elles apparaissent dans la nomenclature, sont données à la suite de la forme canonique, soit dans les exemples d'emploi illustrant celle-ci, soit comme sous-vedettes. Parfois, cependant, elles peuvent faire l'objet d'un traitement particulier. Ainsi, dans le macro-article COMMUN (E 1549), la forme commun regroupe les fonctions adjective et substantive au masculin, et commune les mêmes fonctions au féminin. L'ordre des entrées est la suivante: a) COMMUN: (i) adj. (ii) n.m.; b) COMMUNE: (i) n.f., (ii) adj. De la même sorte, FINS "Regiones, Fines" a droit à un macro-article, quoique le macro-article FIN "Meta, Finis, Terminus" renferme des exemples du pluriel (E 1549).

La forme qui est consignée dans la nomenclature peut comprendre l'entourage syntagmatique de l'item visé. C'est à dire que l'analyse grammaticale préalable, la réduction à une forme neutre, n'a pas été faite. Par exemple, dans T 1564, le syntagme la patience n'est pas classé sous la lettre P, mais sous L, bien que s.v. Patience on trouve le même item lexical que s.v. La patience. [114]

Terminons la discussion de la primauté de la forme comme principe de classement par l'analyse de deux cas particulierement complexes. Comme nous l'avons mentionné plus haut, DROICT fait l'objet de deux macro-articles basés au départ sur la distinction adjectif/nom. Cependant, dans un premier alinéa, il est rattaché à DROICT (adj.), dans N 1606, une première acception substantive, une deuxième acception adjective, deux autres acceptions substantives et une répétition de sa première acception adjective. Suivent vingt-quatre alinéas-exemples dans lesquels droict apparaît indifféremment comme substantif, adjectif ou adverbe; ensuite, le pluriel est analysé en deux acceptions substantives avec exemples à l'appui. Cela donne:

En revanche, ESCRIT (subst.) ne jouit d'aucune indépendance vis-à-vis de ESCRIRE. Dans le macro-article ESCRIRE, qui consiste en alinéas-items, la première occurrence de ESCRIT (subst.) est signalée par un pied-de-mouche (¶), mais dans les trente et un alinéas-exemples qui la suivent, la forme escrit est tantôt substantif (N) tantôt verbe (V), et alterne avec d'autres formes du verbe (escrivent, etc.). On peut résumer l'article ESCRIRE-ESCRIT ainsi (nous citons N 1606): [Suite] -- [Table des matières]