2.2.4.2. Limites de la citation
La ponctuation et l'ordre des informations dans l'article de dictionnaire sont
loin d'être standardisés au XVIe siècle. [262] Les distinctions
typographiques sont relativement peu
nombreuses et imparfaitement normalisées. [263] On ne connaît pas
encore les guillemets. Aussi
n'est-il pas surprenant d'observer chez Nicot, premier lexicographe
français à citer un grand nombre de textes, un maniement
variable des citations et mentions d'auteurs.
Quelles marques peut-on observer aux frontières de la citation et du
discours lexicographique dans lequel elle est placée? La
première lettre peut être une majuscule et être
précédée d'une virgule:
Iean le Maire, Iuno auoit ... (1573 s.v. Achemé)
Comme, Il fit arrouter ... (1573 s.v. Arrouter)
d'un deux-points:
Nicole Gilles en la Chronique de Louys le Debonnaire: Le deposerent
(1606 s.v. Baudrier)
ainsi dict, par ce qu'il ...: Le marquis haussa ... (1573
s.v. Bassinet)
ou, plus rarement, d'un point:
Ban, c'est .... Il fit crier vng ban, en Oolin (1573 s.v.
Ban)
ou d'un point-virgule:
Nic. Gilles en la vie de Charles VII. parlant de la reddition de
Romefort faite par les Anglois; Et pource qu'ils ... (1606 s.v.
Langue)
La fin est normalement marquée d'un point:
Tendre pauillons & accubes. Artus de Bretaigne (1564 s.v. Accubes)
-- cf. 1606 s.v. Bacquet
d'une virgule:
Le marquis haussa la visiere de son bassinet pour s'esuenter, en
Bauldouyn (1573 s.v. Bassinet) -- cf. 1606 s.v. Accuser
ou du signe de continuation & c.:
Vous irez à tous les Princes ... ou autres fiefs nobles,
& c. (1606 s.v. Bachelier)
Cependant, il peut y avoir insuffisance de marques: dans
Nicole Gilles en la Chronique dudit Roy, semblablement voulut &
ordonna, que ... (1606 s.v. Banniere)
une lecture superficielle fait de Nicole Gilles le sujet de voulut &
ordonna à cause de l'initiale minuscule de semblablement. Il
peut même y avoir absence de marque: dans
disant le François, Il est ... Et vn cheual de legiere
taille, en Amadis (1573 s.v. Taille)
Et est un ordonnateur et vn le premier mot de la citation; dans
Il fit arrouter ses sommiers deuers france en Oolin (1573 s.v.
Arrouter)
france est le dernier mot de la citation.
L'identification de la citation ne s'arrête pourtant pas à la
détermination de ses points limites. Il faut aussi se demander,
lorsqu'on n'a pas affaire à une citation directe, dans quelle mesure un
texte cité a été intégré au discours
lexicographique. Les formes canoniques peuvent l'être dans le texte
d'origine ou avoir été normalisées par le lexicographe:
"Acquiter vne terre" (< Berinus s.v. Acquiter 1564), "la
Bastille S. Antoine" (< Gilles s.v. Bastille 1606), "vn cheual de
legiere taille" (< Amadis s.v. Taille 1573) ont-ils subi de la
part du lexicographe un traitement autre que celui de l'extraction du contexte
plus grand? Ce sont surtout les textes techniques qui sont assimilés
aux déclarations de Nicot pour étoffer les définitions et
commentaires encyclopédiques; textes français:
la race desquels selon l'opinion dudit Fouilloux est venuë de
barbarie, où ces chiens ... sont tous blancs, auec lesquels
on y prent le Ranger à force: s'accordant
Phebus à ceste opinion, disant
qu'il a esté audit pays où il a veu prendre le Ranger
à force à des chiens qu'il nomme bauds (1606 s.v. Bauds)
en fait d'armoiries, lambeau est vne espece de brisure, laquelle comme
Toison d'or Roy d'armes du Duc de Bourgongne a laissé par escrit,
ne peut estre portée en escu que par les fils aisnez seulement. De
sorte, comme il dit, que si à vn pere suruiuent deux fils, le
puisné ne peut prendre les lambeaux ... (1606 s.v.
Lambeau) [264]
ou textes traduits:
Aussi Hesychius & Suidas disent, Archeia estre le lieu où
les chartres publiques sont gardez (1606 s.v. Archifs) [265]
Enfin, la citation peut être réduite à la simple mention
d'auteur, celle-ci servant à sanctionner un usage lexical ("LAMRVNCHÉ ... Ronsard en vse" 1564) ou une
information encyclopédique. Parfois, elle est donnée
explicitement sous forme de renvoi:
comme se peut voir au 3. liu. d'Amad. chap. 3. & 5. (1573 s.v.
Armures)
le Florentin en vsoit iadis ... voyez Landin, en son
commentaire, Sur le paradis de Dante (1573 s.v. Barbute)
La citation est généralement considérée comme un
extrait d'idiolecte. Ces extraits, quand l'idiolecte n'est pas celui du
lexicographe, sont, de nos jours, généralement mis entre
guillemets et signés, à la différence des extraits de
discours typique. Cette distinction n'existe pas dans le Thresor, et la
marge entre source individuelle et source générique est petite,
surtout dans le domaine des documents juridiques. On conclura, quand
même, que "escritures des Aduocats, & arrests des Cours
souueraines" (1606 s.v. Arrester), "notaires au pays de Normandie"
(1606 s.v. Barres) et "le Roy" (1606 s.v. Accorder et 1573 s.v. Baron)
constituent des marques de spécialisation d'emploi, [266] alors que "coustumes de
Par." (1573 s.v.
Brandon) et "ordonnances de l'Eschiquier tenu à Rouen le terme de
Pasques 1462" (1606 s.v. Actournée) sont des textes idiolectaux. De
même, dans le domaine de la littérature, "anciens
autheurs" (1573 s.v. Baron), "anciens Romans" (1573 s.v. Tard) et
"Romans et histoires Françoises" (1606 s.v. Table) sont
génériques là où "anciens escrits monastiques
en l'Abbaye S. Riquier" (1606 s.v. Lay) et "Chroniques de France"
(1606 s.v. Breviaire) sont plus individuels.
Enfin, l'ambivalence de la mention d'auteur placée avant ou
après une citation peut parfois rendre difficile la consultation d'un
article. Qui, de Ronsard et de Pasquier, est censé être l'auteur
de la citation donnée s.v. Alembiquer: "Alembiquer, faire distiller.
Ronsard. Mon pauure esprit se consomme & alembique en desmesurées
passions. Pasquier." (1564)? La citation qui accompagne la mention
"Sicile Heraut du Roy d'Aragon, en son
traité d'armoiries" (1606
s.v. Armes) est-ce la liste d'items bilingues qui précède
celle-ci ou la phrase qui la suit? L'étude comparative des
éditions du dictionnaire peut quelquefois être de quelque
utilité. Ainsi, dans:
Qui est en aage de pouuoir administrer le royaume, qu'on dit,
Maiorité de Roy, qui est au regard des Rois de France à
l'aage de quinze ans, comme Iean du
Tillet escrit en son liure de la maiorité du Roy
Tres-Chrestien, Qui per aetatem regnum gerere potest (1606 s.v. Aage)
l'impression que le nom de Du Tillet se rattache au commentaire qui le
précède plutôt qu'au latin, se voit confirmée par
le fait que seuls l'entrée et l'équivalent latin étaient
consignés dans l'édition précédente (1573).
2.2.4.3. Sources nommées
Voir Wooldridge, Les Sources du
Thresor et, en particulier, «Les
sources des dictionnaires français d'Estienne et de Nicot».
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