2.2.5. Commentaires
À la page 1, le Thresor porte comme sous-titre "LES COMMENTAIRES
DE LA LANGVE FRANCOISE". [279] Ce sont, en effet,
les commentaires qui, dès 1573, [280]
marquent la contribution apportée au dictionnaire par Nicot.
Élaborant un discours lexicographique dans lequel s'insèrent non
seulement des informations sur le mot, adresse d'article, mais souvent aussi
des propos sur la métalangue ou sur la chose nommée, Nicot
construit de nombreux longs articles qui demandent à être lus
plutôt que consultés. [281] Ainsi,
tout en levant, par l'explicitation du discours métalinguistique,
l'équivoque de maints contextes sémantiques et syntagmatiques
hérités d'Estienne, Nicot peut, dans beaucoup de cas, rendre
malaisé le repérage des informations linguistiques en les
faisant accompagner de longs développements encyclopédiques, le
tout rédigé en un alinéa serré.
L'uniformité typographique rend encore plus difficile que chez
Littré, par exemple, le repérage du traitement des
différents sens d'un mot. [282]
Le traitement du mot-adresse ayant déjà été
étudié tout au long de ce chapitre, [283] nous limitons nos remarques
ici aux commentaires
faits sur la métalangue et sur le monde.
2.2.5.1. Métamétalangue
Lorsqu'il traite de la forme des mots, Nicot passe très facilement du
plan de la métalangue à celui de la
métamétalangue. Commentant une étymologie, il
énonce constamment des lois d'évolution phonétique et
graphique:
Aiguiere ... de Aquarium ... car le François
vsurpant le mot Latin y adiouste souuent la voyele, j. & fait la
diphthongue, , qui
sone , comme de
mater, maire, de pater, paire, ores que aucuns n'en representans
que la prononciation sans plus, escriuent mere, pere. Et toutefois
inconstans en leur escriture, escriuent pair, de par (1606 s.v.
Aiguiere) [284]
Expliquant un dérivé ou un composé, il fournit volontiers
des listes de mots formés sur un même affixe. [285] À l'occasion, Nicot
donne aussi des
informations sur le fonctionnement des formes:
Feron le nomme aussi Lambel au singulier, mais le François en
semblables mots terminans en el vse le plus souuent de deux
terminaisons, de l'vne desquelles finissant en eau le pluriel se
fait comme Bel, beau, beaux. Chastel, chasteau, chasteaux, Nouuel,
nouueau, nouueaux, Seel, seau, seaux, Damoisel, damoiseau, damoiseaux, &
de chacun fait le feminin en plusieurs, comme de bel, belle; de beau,
beauté; de nouuel, nouuelle; de nouueau, nouueauté: estant
ceste difference esdites deux terminaisons, que quant aux adiectifs, ceux
qui finissent en l, veulent le substantif qui les suit commencer par
voyele, bel enfant, nouuel amant, au lieu que les autres le veulent
commençant par consonante, beau cheual, nouueau vestement. A
laquelle regle peut auoir quelque faillance, selon la diuersité des
dialectes François, mais ie parle du plus fleuri langage (1606
s.v. Lambeau)
Lorsque le mot-entrée lui-même relève de la
métalangue, l'essentiel de son article appartient à la
métamétalangue: "Accusatif ... Est le quatriesme des
six cas, par lesquels les noms, pronoms & participes sont declinez" (1606
s.v. Accusatif). [286]
2.2.5.2. Monde
Le passage du traitement du mot au traitement de la chose est
graduel. [287] Il a
normalement lieu dans la
séquence définitionnelle, en théorie à l'endroit
ou le nombre de sèmes suffisant pour distinguer le mot-entrée de
tous les autres mots de la langue est atteint, mais en fait à aucun
endroit précis. Comment, par exemple, analyser la paraphrase suivante:
Bougete ... le François par ce diminutif, entend ce petit
coffret de bois de bahu, & tenue couuert de cuyr, feutré ou
bourré entre cuyr & bois par dessous, afin qu'il ne blesse le
cheual, & ferré de petites listes de fer blanc par dessus le
couuercle qui est vouté, & d'vn pied & demi de long ou enuiron,
quelque peu moins de large, fermant à serrure & à clef, que
les femmes portoient anciennement penduë à courroyes de cuyr
double, à l'arçon de deuant de la selle de leur palefroy
quand elles alloient aux champs, en laquelle elles portoient leurs bagues,
ioyaux & menus affiquets (1606 s.v. Bougete) ?
Il est évidemment plus utile d'admettre l'aspect encyclopédique
de la séquence entière et de reconnaître que
l'encyclopédisme d'un article est déterminé en premier
lieu par la nature du mot-entrée. [288] Les
noms propres constituent un domaine de choix pour les informations
encyclopédiques:
ADDE ... c'est vn fleuue principal sourdant des
Alpes des Grisons, d'vn mont iadis de mesme nom, mais à present
Mobray (duquel le Rhin yst decoulant au costé opposite) & courant
par la vallée de la Voltoline, où il accueille le flux de la
Ronte, fleuue notable, si tost qu'il s'est precipité au bas
desdittes Alpes, il se lance d'vn cours si furieux à trauers le lac
de Como (anciennement appelé Larius) qu'il fauce iceluy lac
sans faire perte ny du teint de son flot ny de son nom. Au partir duquel
lac il se va lancer dans la riuiere du Pau à l'endroit de
Chasteauneuf (1606)
L'article ADDE n'est pas entièrement
encyclopédique, cependant, car il indique aussi la fonction
grammaticale du mot ("f."), son accentuation ("penac.") et ses
équivalents italien ("Adda") et latins ("Addua, ou Abdua"). La
plupart des articles mêlent, dans des proportions variables,
informations linguistiques et encyclopédiques. [289]
Dans certains cas, la structure de l'énoncé lexicographique
permet d'observer une rupture entre ce qui revient à la séquence
définitionnelle proprement dite et les compléments
encyclopédiques de celle-ci; ainsi, après le deux-points de
l'exemple suivant:
Asseurer vng faulcon ou autre tel oyseau, c'est luy faire perdre
l'effroy des gens a ce qu'il ne s'effroye de les veoir, & qu'en leur
presence il ose se iecter sur le poing & aller à la chair
franchement & sans nul regard estrange: ce qu'on faict par le veiller, le
huer de hu plaisant, & luy estre douls & courtois, & le mettant
quelquefois sur vne mote en vng iardin attaché d'vne longe longue
de trois pieds, & le baignant car le baing luy donne asseurance &
courage (1573 s.v. Asseurer) [290]
De même, s.v. Tarascon, l'équivalent latin marque la fin du
traitement sémantique:
TARASCON, ville de Prouence, assise és
confins d'icelle sur le rosne vis à vis de Beaucaire, ville faisant
à l'opposite vn limite du pays de Languedoc, icelles deux villes
separées par ladite riuiere de Rosne courant entre deux, dont est
le dicton vsité parmi les gens d'icelles, Entre Beaucaire &
Tarascon ne paist ne brebis ne mouton, Tarasco, Ceste ville est
ramenteuë en plusieurs escrits des hommes doctes de cest aage,
pour ... [+ encore 11 lignes] (1606) [291]
Quand le complément de définition se manifeste sous la forme
d'un exemple [292] ou
d'une citation, [293] la rupture est encore plus
nette. Parmi les mots
susceptibles de faire l'objet d'importants commentaires
encyclopédiques, outre les noms propres et les termes techniques en
général, il faut mentionner ceux qui relèvent des
domaines favorisés du XVIe siècle: l'art militaire, le blason,
la feodalité, le droit, la marine, la vénerie, la
fauconnerie. [294] Nous
avons déjà
noté plus haut la place dans les commentaires encyclopédiques
des citations de textes techniques. [295]
2.2.6. Remarques d'usage
Rappelons brièvement ici, du point de vue de la consultabilité,
les remarques d'usage dont nous avons déjà eu à parler
dans la discussion des classes lexicales représentées dans le
Thresor. [296]
Comme elles sont rarement
utilisées de façon systématique, leur absence d'un
article n'indique pas forcément qu'un mot est non marqué. Au
sujet des mots archaïques renfermés dans la nomenclature du
Thresor, Lanusse note que nombre d'entre eux ne sont observables que
par rapport aux affirmations d'autres commentateurs de la langue. [297]
La probabilité d'apparition d'une marque dépend, d'une part, du
type de marque en question, et d'autre part, de la classe lexicale dont
relève le mot-entrée. Ainsi, en ce qui concerne les marques de
spécialisation socio-professionnelle, les termes de marine, de
vénerie et de fauconnerie sont systematiquement signalés, les
termes d'autres domaines le sont de façon moins suivie. [298]
Enfin, comme nous l'avons montré à 2.2.4.2, la marque de
spécialisation d'emploi en vient parfois à avoisiner
l'indication d'usage idiolectal.
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