FRE 272Y5
The Structure of Modern French: An Introduction

Premier trimestre
Notes de la semaine 11
(Présentation du contenu de L&B, ch. 17)

La dérivation et la composition

Les unités lexicales, ou lexèmes, peuvent être simples, comme table, de ou bon, et coïncident alors avec des morphèmes. Elles peuvent aussi être des unités complexes composées, a) soit d'une racine, ou morphème lexical, et d'un ou plusieurs affixes, ou morphèmes grammaticaux (ex. dénationaliser), b) soit de plusieurs morphèmes lexicaux, éventuellement reliés par des morphèmes grammaticaux, dépendants ou indépendants (ex. portefeuille, pomme de terre). Ce sont les lexèmes complexes qui vont fournir la matière de la discussion suivante.

La dérivation

Les lexèmes de type A (racine + affixe(s)) s'appellent des dérivés. Le procédé de formation de ce type de lexèmes s'appelle la dérivation. L'affixe se place, soit avant la racine et s'appelle alors un préfixe, soit après la racine et s'appelle alors un suffixe. Les procédés s'appellent respectivement la préfixation et la suffixation. La dérivation ne concerne que les classes ouvertes (nom, adjectif, verbe, adverbe en -ment).

La préfixation

Le préfixe a pour rôle de modifier le sens de la racine sans en changer la catégorie grammaticale. Le sens du préfixe est très général: négation (ou privation), réitération ou retour, intensité ou atténuation, point relatif dans le temps, lieu relatif dans l'espace, quantité, opposition ou approbation, etc. Les trois préfixes principaux (produisant le plus de mots et ayant un usage fréquent) sont dé-, in- et re-.

Les préfixes relèvent d'une classe fermée, mais il est difficile d'en dresser une liste finie à cause, surtout, de la difficulté de définir la frontière entre préfixe et élément de composition (notamment ceux d'origine grecque – voir plus loin sous "Composition"). En voici une liste représentative sans être exhaustive :

La suffixation

Les préfixes ont un sens purement lexical (ou sémantique) de degré intensif, temporel, spatial, quantitatif, positif ou négatif ; on emprunte au latin et au grec pour former de nouveaux superlatifs pour vendre X, qui est "forcément" meilleur que Y ou Z (nous n'avons pas inclus méga- ou maxi- dans la liste ci-dessus). En revanche, les suffixes ont à la fois un rôle sémantique ("action de...", "de manière...") et un rôle grammatical (ils changent la catégorie grammaticale du mot). C'est une des raisons pour lesquelles on ne se sert pas du trait d'union pour relier le suffixe à la racine.

On classe les suffixes généralement (cf. L&B, pp. 156-159) d'après la catégorie grammaticale du mot dérivé et secondairement d'après la catégorie grammaticale du mot dérivant. Le classement suivant suit celui du manuel avec un certain nombre de modifications :

Pour les autres types de suffixations (dérivations adjectivales, verbales, adverbiales), nous renvoyons aux tableaux du manuel (L&B, pp. 157-159), en notant seulement que les dérivés dentiste, machinerie, soirée et jugement ne sont nullement diminutifs ou péjoratifs (cf. L&B, p. 158) – il s'agit d'une faute de classement. On trouvera en appendice du Petit Robert un "Petit dictionnaire des suffixes du français".

Alors que les dérivés préfixaux n'ont qu'un seul préfixe en début de mot, les dérivés suffixaux peuvent se construire en chaîne, un dérivé suffixal donnant lieu à un autre dérivé suffixal par accumulation de suffixes. Ainsi, nation => nation-al => nation-al-iser => nation-al-is-ation (traits d'union ajoutés). Une étape peut n'être que virtuelle ; par exemple l'adjectif français people (du nom anglais people), attesté dans la presse people (= "celebrity press"), a donné lieu directement à pipolisation (au début peopleisation) alors que l'étape intermédiaire du verbe pipoliser s'emploie à peine (chiffres Google du 20 nov. 2006 : pipolisation x 20 700, pipoliser x 48, pipolisé x 136, pipolisée x 72).

La composition

Alors que la dérivation consiste à ajouter un morphème grammatical (préfixe ou suffixe) à un morphème lexical (racine), la composition consiste à ajouter deux morphèmes lexicaux l'un à l'autre. Par exemple, on ajoute la forme verbale porte au nom feuille pour former le mot composé portefeuille ; quand on l'ajoute au nom bagages le mot composé résultant s'écrit porte-bagages, avec trait d'union – il faut avoir recours au dictionnaire pour savoir comment orthographier ce genre de mots composés. D'autres mots composés comprennent des espaces ou/et des mots outils (ou morphèmes grammaticaux : par exemple, le verbe faire beau (en parlant du temps) ou le nom pomme de terre. On appelle aussi les mots composés à espaces des locutions : faire beau est une locution verbale, pomme de terre est une locution nominale, au fur et à mesure est une locution adverbiale, etc.

Parmi les types de noms composés, on trouve (cf. L&B, p. 160) :

La plupart des composés sont des noms, mais on trouve des compositions parmi les membres d'autres catégories grammaticales : par exemple, en face de (préposition ou locution prépositive), de bonne heure (adverbe ou locution adverbiale), prendre à partie (verbe ou locution verbale), n'importe qui (pronom ou locution pronominale), ivre-mort (adjectif ou locution adjectivale), etc. Le statut de composé s'est estompé dans des mots de formation ancienne comme auparavant (au par avant) ou cependant (ce pendant) et on les considère aujourd'hui comme des mots simples. Le processus chaîne analytique (au + par + avant, pomme + de + terre) => chaîne synthétique (auparavant, pomme de terre) est graduel. Le figement lexical (voir le paragraphe suivant), lorsqu'il a lieu, se fait graduellement. C'est la linguistique diachronique qui étudie le processus de figement graduel ; l'état des choses en français moderne du XXIe siècle est l'affaire de la linguistique synchronique.

On peut tester le degré de figement ou la cohésion des mots composés (cf. L&B, p. 161) de différentes façons. Un mot composé n'est pas la somme de ses parties : une grand-mère n'est pas une mère qui est grande et elle ne s'oppose pas à une *petite-mère (tentative de substitution). Si on en a deux, ce ne sont pas des *grands-mères mais des grand-mères (mise au pluriel). Si savoir compter et savoir écrire c'est savoir compter et écrire, le laisser-aller et le laisser-faire ne sont pas des *laisser-aller-et-faire (tentative d'ellipse). Ma belle-soeur n'est pas ma *très belle-soeur (tentative d'ajout) et le croque-monsieur que je mange avec appétit à la brasserie n'est pas un *croque-cher-monsieur (tentative d'insertion).

Il y a une classe de composés – les composés savants (non traités par L&B) – courants dans la langue cultivée (celle des médias "sérieux" et des discussions entre personnes d'un certain niveau de culture) mais qui n'obéissent pas aux règles de formation gouvernant les mots ou morphèmes indigènes. Ces composés sont "internationaux" dans le sens qu'ile se retrouvent, avec les modifications de formes écrite et orale nécessaires, dans plusieurs langues, le français et l'anglais, par exemple. En français on trouve, par exemple, misanthrope à côté de l'anglais misanthropic, compositions faites à partir des éléments grecs mis- (gr. miséin "haïr") et -anthrop (gr. anthrôpos "être humain"). La place de beaucoup de ces éléments, le plus souvent grecs, quelquefois latins, est variable :

Le formant grec hyper- (gr. hupér "au-dessus") est souvent considéré davantage comme un élément de composition que comme un préfixe de dérivation. En sémantique lexicale, par exemple, on utilise les termes de hyperonyme (du grec hupér + onoma "nom") pour le genre et hyponyme (gr. hupo "au-dessous" + onoma) pour l'espèce (ex. siège = genre ; chaise, fauteuil, tabouret = espèces (de siège)).

Comme nous l'avons déjà vu, le cours FRE 272 utilise un grand nombre de composés d'origine grecque : diachronie, synchronie, phonologie, archiphonème, morphologie, lexicologie... Vous allez rencontrer synonyme, antonyme, homonyme, homographe, homophone...

La siglaison (cf. L&B, p. 160)

La siglaison, forme d'abrégement, est un phénomène moderne, née de la diffusion croissante de la presse. Le terme Organisation des Nations Unies (langue officielle) est remplacé presque toujours dans l'usage par le sigle ONU (langue courante) ; en France, la Société nationale des chemins de fer (terme officiel) s'abrège en SNCF dans la langue courante. Les points d'abrégement sont devenus rares (O.N.U. (vieux) => ONU (usage actuel)). La prononciation des sigles est soit synthétique (on prononce le sigle comme un mot normal : l'ONU = /lny/), soit analytique (on prononce les lettres : la SNCF = /lasnsef/). Sauf pour les noms d'organismes, on a tendance en français à écrire les sigles synthétiques fréquents en lettres minuscules : ex. sida pour syndrome d'immunodéficience acquise. Parfois le terme original disparaît entièrement de l'usage : ex. radar (anglais et français) a complètement fait oublier le terme original radio detection and ranging. En fait, plus le terme original est complexe et technique, plus facilement il se fait remplacer par un sigle. Les sigles peuvent produire des formes dérivées : ce qui relève de l'ONU est onusien ; l'étude des ovni (objets volants non identifiés) s'appelle l'ufologie (pour des raisons d'euphonie, on a préféré construire le dérivé sur le sigle anglais).

Troncation (cf. L&B, pp. 160-161) et ellipse

Les mots polysyllabiques et les mots composés ont tendance à s'abréger (économie linguistique) plus ils sont fréquents et plus le registre est familier. L'abrégement se fait de plusieurs façons : soit on ne garde que la lettre initiale de chaque mot et cela s'appelle la siglaison (voir ci-dessus), soit on tronque un mot polysyllabique en en supprimant une partie (soit le début, soit la fin), ou bien on fait une ellipse en supprimant dans une unité composée tous les mots sauf le plus sémantiquement spécifique (souvent un adjectif qui devient ainsi un nom). Exemples de troncation : professeur(e) (langue neutre) => prof (langue familière), gynécologue (neutre) => gynéco (familier), hyperactif (neutre) => hyper (familier : une gamine hyper) ; autobus (langue soignée ou technique) => bus (langue courante). Exemples d'ellipse : pommes de terre frites => pommes frites => frites, téléphone portable => portable (il y a quinze ans, portable signifiait ordinateur portable – ainsi va la mode). L'abrègement peut se faire par une combinaison de troncation et d'ellipse : ex. chemin de fer métropolitain => métro. En règle générale, plus l'abrègement est ancien, moins la forme complète s'emploie, quel que soit le registre ; ainsi plus personne ne dit chemin de fer métropolitain ni même métropolitain pour parler du chemin de fer urbain ; cinématographe est une forme désuète remplacée par les formes tronquées cinéma (neutre), ciné (familier) ou cinoche (très familier ; troncation + suffixation argotique). En revanche, les professeurs sont toujours Monsieur le Professeur ou Madame la Professeure (en France on continue à dire généralement Madame le Professeur).

[Nota : les parties sur fond blanc n'ont pas été présentées en classe.]

 
Exercices basés sur les textes "Mariage civil au Burkina Faso" et "Trois couleurs: listes de mots". (Nous en discuterons la semaine prochaine en guise de révision de la dérivation et de la composition.)

1. Analysez les dérivés sécurisation, officiellement, dizaines, revécu, jeunesse, inhabituelle, villageois, simplifiées, allégées.

2. Le mot monogamie (cf. polygamie) est-ce un dérivé ou un composé? Quel est le sens de chaque élément?

3. Trouvez dans le texte des termes, comme mariage civil (voir le titre), qui seraient des mots composés (ou groupes figés) dans le contexte de la société civile.

4. Dans le document "Trois couleurs: listes de mots", quelle sorte de liste est la liste A, quelle sorte de liste est la liste B?

5. Trouvez dans les listes des mots préfixés et des mots suffixés regroupés.