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TRAICTÉ DES CHIFFRES, OU SECRETES MANIERES D'ESCRIRE: PAR BLAISE DE VIGENERE, BOURBONNOIS. [H] [MARQUE] A PARIS, Chez ABEL L'ANGELIER, au premier pillier de la grand'Salle du Palais. M. D. LXXXVI. AVEC PRIVILEGE DU ROY.

[Image de la page de titre]

<f 2r> TRAICTÉ DES CHIFFRES, A TRES-VERTUEUX, TRES-PRUDENT, ET DOCTE SEIGNEUR, MON-SIEUR ANTOINE SEGUIER, conseiller du Roy en son conseil d'Estat, et privé; et Lieutenant civil és Ville, Prevosté, et Viconté de Paris.
  ENTRE les autres dons de grace qu'il a pleu à Dieu impartir à l'homme, pour aucunement le recompenser des miseres et pauvretez où la transgression des premiers parens le fait naistre; et de tant de travaux, mesaises, dangers, inconveniens, et malheurs à quoy sa fragilité l'abandonne, est l'usage de la raison, et de la parole, que les Grecs, non sans grand mystere, comprennent sous le seul mot de logos; ce dont principalement il differe des bestes brutes, avec lesquelles il participe d'un costé des facultez sensitives de l'ame; et de l'autre, des naturelles avec les arbres et les plantes. <f 2v> Or ceste parolle assistee de la raison est en nous, ce qu'en la divinité la premiere emanation eternelle, assavoir le verbe, ou la sapience, Quae ex ore altissimi prodiuit primogenita ante omnem creaturam, en l'Ecclesiastique 24. Double au reste; l'une animee de vive voix, procedant de l'estomac par la langue, en mots articulez et distincts; Et l'autre, assavoir l'escriture, qui fait l'office de la parolle, comme muette et taisible, separee à part hors de nous, dont la main en est l'instrument: Toutes deux servans d'exprimer les interieures conceptions de nostre ame, d'où depend le noeud et lien principal de la societé humaine; qui ne se sçaurait conserver sans une police bien ordonnee; ne la police s'establir sinon par le moien de la raison: laquelle, nonobstant que dame et maistresse de toutes choses, sans le benefice de la parolle qui la jecte de puissance en action, ne pourroit sortir ses effects, ains demeurroit comme inutilement ensevelie à par soy dans l'estomac des personnes. Mais encore l'une et l'autre que seroient elles sans le secours de l'escriture, leur commune coadjutrice, qui ne se peult restreindre d'aucunes bornes qu'elle ne s'extende par tout ? Peu de chose certes, selon qu'on peult voir és sauvages des terres neufves, si barbares, incivils, bestiaux, estans privez de son usage. Cela nous est aucunement representé par la loy donnee de bouche au Prophete Moyse, et la loy escrite, qui est comme une ame de l'autre tenant lieu du corps: car la loy donnee de bouche, ce dient les sages Hebrieux en leur <f 3r> secrete theologie, n'a aucun fondement ny authorité sinon de la loy escrite; nomplus que la Lune n'a point de lumiere fors ce qu'elle en reçoit du Soleil; que Platon appelle la clarté transmise et infuse de la divinité en nos ames, pour les conduire et eslever à la cognoissance du monde intelligible: et celle de la Lune, l'instinct et discours naturel de raison, moiennant lequel, selon qu'il est exercé, nou-nous acquerons la science des choses celestes, et elementaires, au monde sensible. Mais les Cabalistes de leur costé, suivant ce verset du pseaume 19. Dies diei eructat verbum; et nox nocti indicat scientiam, nomment ceste lumiere là, le jour, d'autant que c'est le Soleil qui le constitue; le fils, et le laict; le miroüer luisant aussi, et le sacrifice matutinal, qu'on offroit à Dieu pour l'avoir favorable et propice: et l'autre, la nuict à laquelle la Lune preside, la fille, et le vin; comme l'interprete Elchana fort celebre docteur Hebrieu; le miroüer non luisant tenebreux; et le sacrifice du soir, pour radoulcir la rigueur et severité de sa justice: ou, comme met plus particulierement le Zohar, le sacrifice du matin s'addressoit à Dieu, qui est appellé feu mangeant, et reunissant; et celuy du soir pour mitiguer les puissances nuisibles, aux adversaires qui accusent les creatures devant le tribunal de sa majesté, à la main gauche et partie du Septentrion; là où se faisoit division de la viande, à ce qu'à chacune desdites puissances ennemies, s'en distribuast sa part et portion. A ces deux encore se raportent l'Intellect agent, plein <f 3v> de formelles intelligences, qui tient lieu de masle et de Pere; et l'intellect materiel ou passible, de femelle, et d'une generale tres-feconde mere du monde: Dequoy ne s'esloigne guere Platon, quand il discourt au mesme endroit, de la formation de l'homme, qui est la mesure de toutes choses; Qu'il estoit double, (l'un interieur fault entendre, car il descrit cela d'une autre façon, et l'autre externe) chacun avec ses propres et particuliers sentiments; l'ayant emprunté de Genese, là où au commencement il est dit, Que Dieu crea l'homme à son image et ressemblance; masle et femelle il les crea; neaumoins la femme n'estoit pas encore produitte: si qu'il presuppose l'homme interieur spirituel par le masle, qui est le meilleur et plus excellent; et par la femelle l'exterieur, corporel et sensible, qui est le pire; comme le marque aussi l'Apostre en tout-plein d'endroits. L'escriture ausurplus est double; la commune dont on use ordinairement; et l'occulte secrete, qu'on desguise d'infinies sortes, chacun selon sa fantasie, pour ne la rendre intelligible qu'entre soy et ses consçachans: Ce sont les chiffres, comme on les appelle d'un mot corrompu, aujourd'huy non appropriez à autres effects que pour les affaires du monde, et les negociations et practiques, aussi bien des particuliers que des Princes; là où anciennement les Hebrieux, Chaldees, Egyptiens, Ethiopiens, Indiens, ne s'en servoient, que pour voiler les sacresecrets de leur Theologie, et Philosophie; Nam aliud Cabalista profert et scribit, <f 4r> aliud subintelligit et legit; Afin de les garentir et substraire du prophanement de la multitude, et en laisser la cognoissance aux gens dignes; par ordonnance expresse du Talmud, qui porte; Non dabunt arcana legis, nisi consiliario sapienti: Pourautant qu'ainsi que parle le Philosophe Melisse dedans le dialogue du Sophiste; Les yeux de l'ame du commun peuple, ne sçauroient bonnement supporter les lumineux estincellemens de la divinité: A quoy se conformant Sainct Denys; Nous ne pouvons voir ne contempler Dieu (dit-il) sinon entant que ses luisans rayons viennent à s'introduire en nostre ame, pour y esclairer, tout ainsi que quelque chandelle ou flambeau dans un fanal. Le Soleil mesme, à l'exemple de celuy dont il est l'image visible; et duquel il est dit au pseaume 36. In lumine tuo videbimus lumen; ne se peult voir que par sa propre lumiere.
  CE traicté donques sera de semblables usages de chiffres, diversifiez en plusieurs manieres; tant pour incidemment parcourir ce qui se presentera à propos de ces beaux et cachez mysteres, adombrez sous l'escorce de l'escriture; que pour à l'imitation de cela en trasser beaucoup de rares, et à peu de gens divulguez artifices; partie de nous apris et receuz des autres, voyageant ça et là en divers endroits de l'Europe; et la plus grand'part provenans de nostre forge et meditation; non encore, que nous sçachions, touchez jusques icy d'aucun.
<f 4v> MAIS sous l'ombre et saveur de qui peult plus dignement sortir en lumiere, ce choix et eslitte de mes plus recherchez labeurs; car quel qu'il doive sembler aux autres, à bon droict le puis-je ainsi appeller, sçachant la peine que j'y ay euë, et le temps par moy emploié; que sous l'adveu de vostre si celebre et illustre nom, des-ja cogneu en tant de lieux ? Ne fust-ce que pour tesmoigner à la posterité, qu'à tout le moins ay-j'eu cest heur parmy mes contrarietez et disgraces, de n'avoir esté privé en mes jours de la cognoissance et accez d'un si excellent personnage; puis qu'il a pleu à Dieu me les prolonger jusqu'au temps que vos dons de graces se sont venuz à esclorre et espanoüir, ainsi que de belles fleurs au Soleil. Enapres pour aucunement m'acquiter de l'obligation que je vous ay; quand sans aucun mien precedant merite, vous avez daigné me cherir, aimer, estimer trop plus assez que je ne vaulx: oserois-j'icy employer ce qu'en semblable dit le Poëte ? -- Namque qui solebas -- Meas esse aliquid putare nugas: -- Quare habe tibi quicquid est libelli. Joint la memoire de feu Mon-sieur vostre pere, qui perpetuellement me sera en treschere et venerable recommendation; pour avoir esté mesmement l'un des principaux ministres, et premier conseil de la tres-illustre maison de Nevers, l'une des grandes de nostre temps de ses moiens propres; A laquelle sont passez tantost quarante ans que je faiz <f 5r> service, soubs voicy le quatriesme Duc; dont le premier fut Monseigneur FRANÇOIS DE CLEVES, gouverneur de Champaigne et Brye; la bonté, doulceur, liberalité, courtoisie, et amour de son siecle: tout celà passe en heureux partage et succession, aux deux tres-illustres Princesses, seules demeurées de reste de tous messeigneurs {messeigeurs} ses enfans, Madame HENRIETE DE CLEVES sa fille aisnee, espouse de monseigneur LUDOVIC DE GONZAGUE, Duc de Nyvernois et de Rethellois, Prince de Mantouë; et madame CATHERINE, pourveuë à monseigneur le Duc de Guise, HENRY DE LORRAINE; tous deux pairs de France, et tres-valeureux exemplaires de toute vertu, magnanimité, et merite: tresfideles et affectionnez au service de ceste courone; et fervents zelateurs de l'honneur de Dieu, de la pieté, et maintenemant de la vraye catholique foy et doctrine.
  CE GAGE donques d'obligation, marque d'un eternel souvenir envers celuy dont vous estes nay; avec plusieurs grands supports, plaisirs, et faveurs que j'en ay receu en particulier, m'est deu par raison demeurer à l'endroit de ses successeurs: Celuy, dis-je, qui durant ses jours a esté l'un des principaux ornemens de sa robbe: qui en tout ce qu'il est possible de souhaitter en un tres-exquis personage, n'a esté precellé de nul, secondé de peu; si que tant plus l'on en cuidera prescher les louanges, tant plus en restera à dire. Et de vray fut il onques un plus doux <f 5v> ny mieux composé naturel que le sien; plus egal, moderé, ne rassis ? Jamais fut il veu en colere, ne traversé de despit ou chagrin quelconque, dont il peut estre moins traictable et accessible une fois qu'autre; quelque grosse masse d'affaires qui se deschargeast sur ses bras ? Tousjours affable, tousjours luy mesme, d'une chere gaye et riante; joyeux en toutes ses actions; prest d'oir tresbenignement un chacun: d'un esprit prompt et vigoureux; infatigable au reste, et invincible à toutes sortes de travail, qui luy tenoient lieu de repos: Car je ne cuide pas qu'il fust onques trouvé oisif, ains tendu sans cesse à quelque occupation d'importance, comme un arc prest à decocher; vigilant, soigneux, et exacte jusqu'aux moindres choses: mais parmy tout cela contemperé de la mesme euthymie et tranquillité de cerveau qu'on peult veoir en un beau et serain calme d'eaux; et en une glace de miroüer bien polie, où l'on se peult contempler tout à l'aise. De là procedoit en partie la solidité de son meur et net jugement, dont il n'a cedé à nul autre; nomplus que d'avoir esté sans contradiction, car on ne luy peult desrobber cela, l'un des plus faconds, eloquents, et disers de son siecle, et des mieux parlants; d'une pure naifveté de langage; sans peine, difficulté ne contrainte aucune, sans affectation trop elabouree, ny artifice recherché outre la mediocrité et devoir; ains pour le faire court, du tout conforme à celuy qu'Homere attribue à Nestor tou kai apo glôotês mélitos glukiôn rhéén audê. Heureux <f 6r> certes pour un tel thresor de vertus; une telle mont-joye de dons de graces, tant du corps que de l'esprit, et des biens aussi de fortune, l'un des principaux moyens et secours pour l'exercice de la vertu: Heureux pour tant de dignités par luy obtenues durant tout le cours de sa vie: pour tant de charges honorables de luy administrees si louablement: Mais, O matre pulchra filia pulchrior! plus heureux assez que de tout cela, pour les enfans qu'il a laissez, dignes à la verité d'un tel pere, et luy digne de tels enfans; cinq demeurez encor de reste, puis qu'il a pleu à Dieu prendre vostre aisné, monsieur de Soret à sa part, comme une plantureuse gerbe destinee pour ses primices: Qui par voz dignes comportemens, par voz labourieuses occupations en toutes sortes de bons devoirs, faictes ainsi valoir les talents de graces à vous delaissez en succession: Qui à guise de Biton et de Cleobis, lesquels s'atellerent eux mesmes à la carrozze de leur mere pour la mener aux solennitez Argiennes, Vou-vous esvertuez sans cesse, de rouller la reputation paternelle au temple de l'immortalité; non de moindre zele et ardeur que feroient cinq braves athletes, venans à se presenter sur les rengs pour debattre le prix à l'envy, dans le parc des jeuz Olympiques: d'une telle unanimité entre vous, qu'il semble que ce ne soit qu'une mesme ame, et un seul vouloir espandu en cinq divers individuz, comme la faculté vitale, et le mouvement de la main se fourchant en autant de doigts: ou les cinq membres d'un mesme <f 6v> corps, qui selon cest ingenieux apologue de Menenius Agrippa, dont il reconcilie la noblesse avec la commune, travaillent d'un mutuel accord, qui d'une façon qui d'une autre, pour la pourvoiance de l'estomac, dont provient puis-apres leur maintenement à eux tous. Et telle est sans doubte la tant bien accordee et unie correspondence de vostre diligent effort à l'utilité du publicq; tout ainsi que quelque beau concert de musique, dont encore que les voix et les instruments tiennent chacun endroit soi sa partie, variees aucunement, le tout neaumoins se raporte en fin à un accord universel, qui paist les oreilles des escoutans d'une gracieuse armonie. De fait, s'est il onques trouvé nulle part une plus estroicte et ferm'amitié entre freres ? Tous pourveuz au reste de tresbelles dignitez et offices; Ce que je ne mets pas icy en compte pour vous honorer de voz charges, ains pour les decorer de vous: tous vacquans sans intermission apres les fonctions publiques: Pas un oisif, pas un inutile à manger son bien en repos, et à vivre desidieusement de ses rentes, relasché à de vains plaisirs, à de molles voluptez et delices, chose assez commune à la plus part de la jeunesse, Cui res non parta labore, ce que met le Poëte pour l'une des felicitez de ce monde. Mais vous ne la constitués pas là, et pour tels me voulés point qu'on vous tienne; ains du tout naiz pour le service de vostre Prince, pour le bien et utilité de vostre Patrie, le confort, appuy et soullagement de voz concitoiens en general, que vous tenez au reng de freres, et de <f 7r> voz plus proches parents et amis, sans aucune particuliere acception de persone, sinon entant que le droict, equité et raison vous y meuvent; si que vouvous reservez la moindre part de vous pour vous mesmes; remettans tout vostre aise, plaisir et repos, en ce que beaucoup d'autres attribueroient à une trop ennuieuse et moleste corvee. Et en premier lieu, le chef de vostre maison pour ceste heure, Messire PIERRE SEGUIER, Chevalier sieur d'Aultry, Conseiller du Roy en son privé conseil, et President de la grand'Chambre, quelle preuve et monstre a-il tousjours faicte, quel tesmoignage a-il donné de sa suffisance, sincerité, preud'hommie, sollicitude, et grand jugement, tant au magistrat que vous exercez, qu'en celuy où il a succedé au lieu du Pere ? Et mesmes assez recentement en une charge et commission si scabreuse, parmy des humeurs si bizarres, parmy des gens ainsi mipartiz et durs à ferrer ? Enquoy certes il luy a bien esté mestier d'aller sagement en besoigne, la sonde en la main, ainsi qu'un advisé pilote en une marine incogneuë, pleine de bancs et de rochers; et comme dit fort bien le Poëte; Conduire au loing sa barque, hors l'onde et la fumee. A QUI ne se peult en apres mesurer en reformation de vie, gravité de meurs, pieté, devotion, assiduité au travail, vigilance, promptitude d'entendement, et rare doctrine: et en somme tout ce qui peult dependre de l'office et devoir d'un tres-digne et venerable Ecclesiastique, et bon juge par mesme moien, Monsieur <f 7v> le Doyan de nostre Dame, maistre LOYS SEGUIER, Conseillier en la mesme cour ? NON moins richement d'autre part, se voient revestuz et parez de leurs ornemens de vertuz, et belles parties, voz deux autres freres; Messire HIEROSME SEGUIER, Chevalier sieur de saint Brisson, conseillier du Roy, et grand maistre et reformateur des eaux et forestz en Normandie, ET finablement monsieur maistre JEAN SEGUIER sieur de Villiers le plus jeune de tous, conseillier du Roy, et maistre des requestes ordinaires de son hostel, un tres-favorit norrisson des muses, un doulx et gracieux sejour et retraicte des bonnes lettres. NE les femmes pareillement, qui ne veulent en cest endroit rien quitter aux hommes; vrayes parangonnes les peult on dire, de toute honesteté, courtoisie, bon exemple et pudicité: tant vous estes heureusement naiz les uns et les autres à la vertu, qu'il semble que vostre famille par une certaine occulte proprieté l'attire à soy, tout ainsi que la pierre d'Aimant fait le fer. Et quant à vous, non assez jamais recommandé personage, qu'est-ce que je vous pourrois apporter icy en particulier de louange ? quel loz, quel prix, quel honneur digne de voz rares perfections et merites est il possible de consacrer à l'eternité de vostre memoire, que le tout ne vous soit en commun et par indivis avecques voz excellens freres ? Ont ils rien aussi chacun endroit soy, où tous les autres ne participent ? Car tout ainsi que vous n'avez point partagé voz biens de <f 8r> fortune, aussi n'avez vous ceux de l'esprit, ny voz dons de graces, tant hereditaires qu'acquises; entrelassez d'une mutuelle concorde, non d'autre sorte que les cinq costez et triangles de ce pentagone jadis mysterieusement revelé au Roy Antioque, surnommé de cela Sauveur, pour le salut et conservation de son peuple. Et de vray vous estes si uns, si uniz, et pareils en toutes choses, qu'on ne se sçaurait mescompter de vous prendre les uns pour les autres. De quel oeil doncques doibt-on penser, que ceste bien heureuse ame regarde du ciel empyree là hault, ces siens rejectons et provins, combles de sa beatitude, proffiter ainsi, et s'estendre, fleurir et fructifier icy bas ? Car il contemple de là, fault-il croire, toutes voz actions et comportemens; et s'en res-jouist comme il doibt: et nous les remarquons, observons, reverons; moy entre les autres particulier admirateur de voz vertuz, esclairans en vous, tout ainsi qu'une infinité de belles estoilles, que par une seraine nuict on voit luire, briller, et estinceller à l'envy, pour l'embellissement du ciel, à la gloire de leur Createur. Que si d'aventure je me voulois temerairement entremettre de vous celebrer, pour tant d'excellentes et rares parties que Dieu et la nature ont semé en vous; et par vostre industrie et labeur les avez si bien cultivees qu'elles ne cedent à nulles autres, ains se mesurent aux plus parfaictes, par quel bout fauldroit-il commencer, ny par où me devrois je prendre à en faire la monstre et reveuë; quand tous ces gros esquadrons <f 8v> de merites chargeroient à un tas et en foulle, pour estre enroollez des premiers ? Certes il semble que voz perfections s'entreportent presqu'une envie; et que jalouses l'une de l'autre elles se supplanteroient volontiers; comme faict aussi de sa part vostre gloire et reputation advenir envers celle qui vous est acquise; à l'exemple des vagues du flux et reflux de la mer, dont les survenantes, soit en venant hurter le rivage, ou se dilater sur la greve; soit en se retirant vers leur centre, se roullent le plus precipitement qu'elles peuvent, pour venir effacer et esteindre celles qui cuidoient gaigner les devants. Plustost doncq que de m'enfourner d'avantage en un si profond labyrinthe, multiplié de tant d'allees et de retours, que toutes les fiscelles d'Ariadne ne m'en sçauroient desvelopper bague-sauves; nomplus qu'un inexperimenté marinier, qui par sa folle outrecuidance se seroit voulu engoulpher en un vaste et demesuré Ocean, sans aucun secours ny adresse de quadran et charte-marine; il me sera beaucoup meilleur en vous admirant de me taire, que d'en discourir trop escharcement: joinct que paraventure vostre nom desirroit d'estre escrit d'une plus delicate et fameuse main que la mienne. Car à quel propos m'advancer icy de faire une grande levee, pour puis-apres demeurer court ? ou à tout evenement n'attoucher que du bout des levres, ainsi que pour faire l'essay à un Prince, et passer comme en bondissant pardessus, un si grand amas de voz tres-rares singularitez, plus <f 9r> malaisees à parcourir, que d'espuiser et mettre à sec les intarissables sources de Lerne ? Or que je tende tous mes nerfs apres la vivacité de vostre esprit, contemperée d'une modestie si grande; apres un si meur et rassis jugement; ceste incomparable prudence, une si heureuse memoire, une telle doctrine et instruction non vulgaires en tout ce qu'un admirable entendement doibt cognoistre; qu'auray-je advancé pour cela ? Quand tant d'autres si loüables choses resteront encore à toucher, qui les secondent, et leur donnent lustre ainsi que faict l'or esgayé d'esmail aux pierreries y enchassees: car peult estre qu'elles s'enfuiront au grand galop devant moy, me jugeans indigne de les attoucher et ratteindre. Un travail assidu invincible en tout ce que vous avez en charge; une infatigable occupation apres les negoces publiques; un visage ouvert et deliberé; un acces benin et affable; une audience libre, paisible, gracieuse à quiconques s'adressent à vous, avec une prompte expedition de leur faict; à tous propos, à toutes heures; point bizarre ne journallier comme beaucoup d'autres, dont il fault plus soigneusement espier les commoditez, que le petit Pontife ne souloit jadis faire à Rome le nouveau Croissant, afin de l'anoncer au peuple; ains tousjours un mesme, tousjours egal indifferemment à chacun: le tout accompagné puisapres d'une telle reformation et sobrieté; d'une si estroicte abstinence de toutes sortes non que de delices, mais de simples esbattements et plaisirs, sinon <f 9v> ce que vous pouvez desrober de petites roigneures de temps à vous mesmes, à vostre repas et repos, pour l'employer jusques bien-avant en la nuict à la lecture des bons livres, seul soullagement et recreation de voz laborieuses sollicitudes. Et ce qui est le plus admirable, vous constitué en un âge encore, qui n'a pas atteint guere plus que le tiers de sa naturelle carriere; ouquel le sang et les esprits sont les plus reschauffez et bouïllans, apres les resjouïssances, passetemps et bonnes cheres des compagnies, dont ce siecle ny ceste ville ne manquent point: ains qu'au lieu de cela vouvous soubsmettez si alaigrement à une si grosse nuee d'affaires; qui sans aucune intermission viennent comme à grandes ondees pleuvoir sur vous, ores de la Justice, ores de la police, ores d'infinis autres exraordinaires surcrez de corvees, en une telle, non tant seulement affluence de peuple, ains confusion; fardeau certes trop que suffisant pour faire ployer soubs luy un Athlas, et un Geryon à tout ses trois testes; en un temps mesme si nubileux et chargé d'orages de contagion, troubles, et disette qui se preparent, si Dieu par sa saincte bonté n'y previent. Quels grands outreplus accourcissemens avez vous par vostre soigneuse industrie, vostre vigilante dexterité, avec un incomparable travail tenant pied à boulle, apporté au siege où vous presidez; autrefois une vraye mer de procedures superflues, un profond goulphre de chiquaneries, un deluge d'incidents et formalitez, un Chaos d'appointers au conseil ? Mais vous avez donné issuë <f 10r> au Penee, et desseché la Thessalie au precedant couverte d'eaux; pour au lieu d'une inondation deserte inutile, la reduire en un territoire de tresproffitable labour et agriculture: avez par une ferme et constante resolution comme en moins de rien, couppé la plus grand'-part des testes de ceste pernicieuse Hydre, renaissans de soy et en soy par une multiplication carree et cubique: Dont lon ne vous sçauroit jamais trop recommander aux siecles futurs; ny vous honorer de loüanges assez condignes et meritoires; ensemble de toutes vos autres actions et comportemens; lesquels à quoy faire irois-je icy parcourant plus au long, et par le menu ? attendu qu'ils sont plus que notoires à un chacun, et en veuë de tout le monde; ny plus ny moins qu'un beau grand phanal hault eslevé sur la pointe d'un promontoire, pour l'addresse des navigants à l'obscurité de la nuict. Au moien dequoy le meilleur sera de ployer mes voiles; et rentrant au port salüer vos perfections par ce celeusme d'allegresse du pseaume 65. Tibi silentium laus; veu que l'abondance de vos merites me lie la langue, serre les levres, et barre la bouche de passer plus oultre.
  VIVEZ donques debonnaire, et bien-nay Seigneur, accomply et doüé de tant d'excellens dons de graces, vives et fructifiantes en vous, et non mortes et ensevelies; content et satisfait en vous-mesmes de vos vertueux et loüables maintenemens, de vostre bon zele, vos sainctes intentions et efforts; que Dieu vueille par sa saincte grace tousjours benir de plus en <f 10v> plus; et vous conserver longuement icy bas au grand benefice et soulagement du publicq, en parfaicte prosperité et santé, avec tres-heureuse et contente vie.

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