<f 10v>   MAINTENANT pour venir à nostre subject des occultes manieres d'escrire, communement appellees Chiffres, l'usage en a esté de fort longuemain, voire apair presque de l'escriture, s'il n'est devant: Car les Hieroglyphiques des Egyptiens, Ethiopiens, Perses souverains mages entre tous les autres, les Brachmanes, et Gymnosophistes, qui sont les Indiens orientaux, que Moyse Egyptien au 3. de son directeur appelle les Zabiens, et en compte d'estranges merveilles, ne sont à proprement parler, qu'une maniere de chiffres; Bien est vray que nompas distincts en lettres, syllabes, et dictions, pour en teistre particulierement une clause; ains certaines marques et notes comprenans chacune endroit soy quelque sens entier; ainsi que font à peu-pres nos devises, dont elles sont fort approchantes; pour representer quelque mystere de la divinité, ou secret de nature; ainsi qu'on peult veoir en Orus Apollo, Chaeremon, et autres: Des modernes, puis cent ans en ça, s'y est fort heureusement exercé l'autheur du livre intitulé Polyphile. Nous encore usons de ce mot chiffre , pour un accouplement de lettres entrelassees, contenans les premieres du nom et surnom, de quelqu'un et quelqu'une, de la plus plaisante forme qu'on y peult trouver. Et les narrations des Indes occidentales portent; qu'à <f 11r> Mexico ou Temestitan, lors que Fernand Cortes la conquit pour l'Empereur Charles le Quint, furent trouvez certains memoires et pancartes contenans les gestes des Rois de ceste region, par des figures d'hommes et animaux: Et quelques dix ou douze ans puisapres, d'un autre costé au Peru, une grand'quantité de cordelettes de cotton dans le cabinet du Roy Atabalipa, que les Indiens appellent Quippos Camaios, noüees à guise de patenostres de diverses couleurs, selon les choses qu'ils vouloient representer, le nombre desquels noeuds au reste marquoit les ans que leurs Ingues ou Caciques avoient regné. Mais pour venir aux chiffres desquels nous pretendons traicter, qui sont une vraye escriture complecte, par où se peuvent exprimer toutes sortes de conceptions, et par le menu, d'autant qu'elle est formee de caracteres particuliers, consistans en figure, ordre, et puissance; (Je laisse à part les artifices de lettres non apparentes, comme trop vulgaires pour le jourd'huy, et pueriles; Neaumoins nous en toucherons quelque mot à la fin, avec des ruzes et inventions de cacher furtivement les depesches;)
Chiffre des Rois de Lacedemone.
la Scytale des Lacedemoniens, invention d'Archimede Syracusain, nous monstre assez en Aulugelle liv. 17. chap. 9. l'antiquité de ces occultes et desrobbees sortes d'escrire. C'estoit un baston rond ou carré, d'environ trois doigts en diametre, long de pied et demy, autour duquel on reploioit comme une longue liste ou bande de papier ou de parchemin, de la largeur de quelques deux <f 11v> poulces, en sorte que les entortillemens enjamboient fort dru et menu l'un sur l'autre, à la distance seulement d'un bon dos de cousteau, ou peu plus. Et apres l'avoir ferm'arrestee és deux bouts avec de la cire, et marqué le commencement, on escrivoit le long des faces sur les replis, tant que le subject se pouvoit estendre, et qu'il y en pouvoit tenir: lesquels estans desveloppez, tous les mots, voire la plus grand-part des lettres se trouvoient couppees par le milieu, à bien grand'distance encore les unes des autres; sans qu'il fust possible de les rassembler, qu'on n'eust un semblable baston adjuxté au mesme calibre, pour les y entortiller comme au precedant, et remettre le tout en son ordre et assiette deüe. Il est la mesme fait mention outreplus de la ruze de Jules Cesar, qui en ses secretes depesches souloit user de certaines transpositions, mettant les lettres l'une pour l'autre, toutes de suitte, sans aucune distinction de vocables: Dequoy le grammairien Probus auroit fait un traicté à part, de la maniere de les lire: mais bien maigre devoit-il estre, attendu le simple artifice qui y estoit, selon le tesmoignage de Suetone en sa vie au chap. 56. Per notas scripsit sic structo literarum ordine, vt nullum verbum effici posset: Quae si quis inuestigare et persequi vellet, quartam elementorum literam, id est, D pro A, et perinde reliquas commutabat. Et en celle d'Auguste 88. Quoties autem per notam scribit, B pro A, C pro B, ac deinceps eadem ratione sequentes literas ponit: Pro x autem duplex a a. Mais tout cela estoit bien grossier, et fort aisé à descouvrir: <f 12r> trop plus ingenieux et subtils ont esté en ces inventions les autres qui sont venus du depuis; et ne fault point faire de doubte qu'il n'y en ait assez de belles et exquises cachees, que les gens d'esprit se {se se} trassent et pourpensent pour eux; dont ils sont jaloux et avares, sans en vouloir faire part au publicq, suivant la maxime; Que le vin, l'amour, et le secret esventés perdent leur principale grace et vigueur: Car ceste campagne d'inventions large et ouverte de tous costez, n'a aucunes limites ne bornes dont elle puisse estre restreinte. Et à quel propos, diront ils, divulguer ainsi ces beaux artifices, ny les prostituer indifferemment à chacun ? attendu mesme que pour les abbus qu'on en peult commettre, ils s'en doit attendre plus de mal que d'utilité. Cela, nous le démeslerons cy apres: Au surplus ceux qui jusques icy en ont mis quelque chose dehors, entre les autres a esté l'abbé Tritheme; et Cardan incidemment par endroits; puis Baptiste Porte Neapolitain en un juste volume à part, intitulé, De furtiuis literarum notis; où toutesfois ce à quoy il insiste le plus, est d'enseigner les moiens de dechiffrer sans alphabet; exercice certes d'un inestimable rompement de cerveau, et en fin un travail tout inglorieux; joinct qu'avec toutes les reigles et maximes qu'on en peut donner, dont il y en a à la verité qui y apportent beaucoup de lumiere, il se trouvera à l'encontre assez de manieres de chiffres du tout inexpugnables et invincibles, à qui n'en aura le secret: Aussi n'en traicteront nous <f 12v> gueres d'autres; parquoy tous les expediens dessusdicts viennent à s'y amortir et esteindre, et ne sortent aucun effect. Quant à Tritheme, ça esté à la verité le premier qui a faict le chemin aux autres, à tout le moins publiquement; et ce en deux grands et laborieux ouvrages, l'un imprimé, assavoir la Polygraphie, et l'autre non, qui est la Steganographie, dont le precedant n'est que comme un precurseur, s'il est vray au moins ce qu'il en promet en son epistre à un Bostius de l'ordre des Carmes, là où il ne parle que de quatre livres: mais en sa preface à l'Empereur Maximilian sur ladicte Polygraphie, il en promet huict; entrepris, ce dict-il, à l'instance de l'electeur Palatin Philippes, dont l'an 1499. il estoit sur l'achevement du troisiesme. J'ay veu ces trois livres-là escrits à la main en plusieurs endroits de l'Allemagne et Italie, esquels il n'y a autre chose que certains formulaires de prieres et oraisons, avec les noms, marques, et caracteres de tout-plein d'esprits; Ce qui pourroit avoir meu Bouillus de le taxer en cest endroit d'art magique, dequoy neaumoins il tasche bien de se purger, jurant, protestant, et appellant Dieu à tesmoin, le tout estre selon la seule voye naturelle, et la dexterité de l'entendement. Quoy que ce soit il est bien malaisé d'y cognoistre rien: Et faudroit pour mon regard le sier par le beau milieu, comme quelqu'un fit autrefois le poëme de la Cassandre de Lycophron, pour veoir ce qu'il y avoit audedans, puis qu'on n'y pouvoit rien discerner par dehors: ou <f 13r> bien, comme on dict aussi avoir faict S. Hierosme des Satyres de Perse, dont ne pouvant assez bien comprendre à son gré les enigmes et obscuritez, Intellecturis ignibus ille dedit: Parquoy non mal à propos auroit dit le bon hermite Raymond Lulle, bien qu'en son lourdois, Scriptura quae vsui nequit intelligi, pro non scripta censeatur. Outre donques que ces trois livres sont comme inutiles, qui n'auroit la clef du secret, ils ne me semblent pas avoir rien de commun avec les quatre dessusdicts mentionnez en l'epistre de Bostius: le premier d'iceux, selon qu'il promet, contenant plus de cent manieres d'escriture occulte, pour exprimer en infinies sortes tout ce qu'on vouldra, sans aucunes transpositions ny commutations de lettres l'une pour l'autre; ny qu'on puisse en rien soupçonner que ce soit chiffre, soubs lequel il y ait autre sens caché que celuy qu'on voit en apert; attendu que ce sont tous mots clairs et intelligibles, d'une suitte de paroles congruës; mais en l'interieur il y a toute une autre chose reservée à celuy qui entend l'artifice: et de celà il en ameine un exemple que nous produirons cy apres en son lieu. Le second livre trop plus admirable que le precedant, est de transmettre sa pensee à qui qu'on voudra, pourveu qu'il sçache le secret; et à quelque longue distance que ce puisse estre; voire à plus de cent lieües d'Allemagne; sans paroles, sans escripture, marques, signes, ne notes quelconques; par un messagier qui n'en sçaura rien; et pourtant ne le pourroit descouvrir, quand <f 13v> bien il seroit gehenné, tortionné de toutes sortes les plus cruelles: et sans message encore, voire à un qui fust emprisonné trois lieües avant soubs la terre; à toutes heures, et en tous lieux, sans aucune superstition, ny aide et moien de coadjuteurs esprits, ains par la seule voye de nature. Et combien, adjouste Agrippa, liv. premier, chap. 6. de son occulte philosophie, où il allegue de sçavoir l'artifice; que le temps auquel cela se doibt effectuer ne se puisse precisement limiter ne prescrire, si faut il nomméement que ce soit en l'espace de 24. heures. Le troisiesme livre monstrera à une persone idiote ignorante, qui n'aura onques sceu un seul mot de Latin, en moins de deux heures, à le lire, et escrire passablement, en tout ce qu'il voudra exprimer de ses conceptions. Et le quatriesme, de les faire entendre à table beuvant, mangeant, devisant, à tel qu'il voudra; au sermon, à la Messe, à Vespres, joüant des orgues et chantant; et en somme faisant toutes autres actions librement, sans les interrompre ne destourber pour cela; ny interposer aucunes paroles, escriture, marques ne signes, voire à yeulx cloz; avec telles autres infinies merveilles, excedans presque toute humaine creance; si ce n'estoient que nous en voyons quelques-unes qui d'arrivee sembleroient impossibles totalement; dont quand l'on en voit la verité par effect, et qu'on en cognoist la maniere, on les tient non que pour faciles, ains pour ridicules. Et de faict qui eust sceu comprendre les admirables abregemens <f 14r> de l'Imprimerie; et les horribles executions de la pouldre à canon, consistant de si peu d'ingrediens, et d'un si legier artifice, si l'on ne les eust touchez au doigt et à l'oeil par experience ? Et qui proposeroit à quelqu'un, de luy faire lire à travers une muraille solide de trois pieds despoiz, ce qu'on escriroit de l'autre costé, ne seroit-il pas reputé pour un effronté afronteur ? Ce neaumoins cela est bien aisé à faire, par le moien de quelque grosse piece d'Aymant, qui ait le pouvoir, comme j'en ay assez veu en plusieurs endroicts, d'esmouvoir et faire bransler l'esguille d'un quadran, à ceste interposition et distance; lequel soit assis sur un tiers de cercle divisé en vingt espaces, chacun servant pour une lettre de nostre alphabet; car tout ainsi que l'esguille branslera, et s'arrestera à l'un des costez (il en faut deux, et du tout semblables, un de chaque part, situez à l'opposite) l'autre fera tout de mesme, et pourtant marquera lettre par lettre tout ce qu'on voudra exprimer. Je ne diz pas qu'il y ait aucune commodité dont on se peust prevalloir ny servir en rien, mais tant est que cela se faict, et bien aisément, et par la seule voye de nature; ce qu'avant qu'en sçavoir la cause, et maniere d'y proceder, sembloit estre hors de toute la puissance des hommes: Si que je l'ay seulement allegué pour monstrer, qu'on ne doibt pas du tout rejecter, ny tenir à fable et mensonge beaucoup de choses, qui de prime-face surpassent nostre apprehention. Et paraventure que la plus <f 14v> grand'part des promesses susdites seroient de mesme; plustost pour une monstre et espreuve de quelque vivacité d'esprit, que pour usage qui s'en peust tirer; comme seroient certaines grimasses et mines des yeux, et de la bouche; gesticulations des doigts, des mains, des espaules; marches compassees des jambes; postures et assiette des pieds, et semblables notes que touche Ovide en ses Amours; Multa supercilio, multa loquare notis; Dont on instruit les jeunes novices és monasteres, ausquels il n'est pas loisible de parler au convent, à demander leurs menues necessitez par ces signes, qui representent chacun leur mot. Il y a d'autres artifices encore de se faire entendre distinctement par les doigts, ainsi qu'est la dactylogie de Beda; lequel a assez ingenieusement enseigné quant et quant, la maniere de compter par iceux; mais non pas esté le premier autheur de cela; car nous en voyons quelques traicts dedans Pline, liv. 34. chap. 7. qui a esté bien long temps avant luy; d'une statue dediee par le Roy Numa à Janus, dont l'assiette et disposition des doigts monstroient le nombre de ccclxv. autant qu'il y a de jours en l'annee. Et pourtant il ne fault pas du tout mescroire ne rien desdaigner en telles choses; tesmoin cest amer repentir trop à tard d'Alexandre, auquel un quidam incogneu et de peu d'estime, estant venu faire une ouverture tres-importante pour ses affaires, d'avoir nouvelle responce en six ou sept jours, de la Macedoine jusqu'és haultes regions de l'Asie, là où les courriers y mettoient ordinairement plus <f 15r> de six sepmaines, il la reiecta d'arrivee, comme une vraye piperie impossible à effectuer: Puis y aiant mieux pensé à loisir, il le fit chercher, mais pour neant, car il n'en peut onques depuis avoir nouvelles: Et peut estre que c'estoit quelque pastre, lequel norry toute sa vie parmy les montagnes de ces quartiers là, en y gardant ses trouppeaux auroit rencontré de fortune quelques crevasses à l'escart; ainsi que fit finablement Sebastian de Magalhanes le destroit des Indes, pour passer de la mer de Nort en celle de Sur; et par ce moien l'un et l'autre accourcir en bien peu de temps un fort long destour de chemin, incogneu à tous. Car il y a beaucoup de choses tres-admirables, mais qui pour cela n'outrepassent pas si insolemment les barrieres de nostre creance, que fait cest ainsi envoier au loin nos interieures passees, sans aucun porteur de pacquet, sans aucun message ne lettres; ny rien qui puisse en tenir lieu: attendu mesme qu'il n'y a aucune interposition {interporsition} d'esprits, à leur dire; lesquels quant ainsi seroit, je ne doute point qu'ils ne s'y trouvassent bien empeschez, si d'aventure ce n'estoit par l'expres commandement ou permission de celuy qui seul peult faire telles merveilles. Non-pourtant Agrippa l'a sceu, qui est un renforcement de tesmoin; car à quel propos l'eust-il voulu ainsi affermer par expres ? Qu'Agrippa l'aye sceu ou non sceu, cela n'importe pas beaucoup de le croire, ou de le descroire, parce que ce n'est pas un article de foy; mais je soupçonnerois aisément, si ce n'est ce qu'il explique au 3. <f 15v> liv. chap. 43. Quorum virtus imaginatiua est fortissima, ita vt se possit insinuare cui velit, nulla loci neque temporis intercapedine impedita; &c. Que ce fust ce Da mihi talentum vt scisse videaris. Denys Tyran de Sarragosse, et de la plus-part de Sicile; à cause de ses cruels et iniques comportemens execrables, odieux, abhorré, detesté et de Dieu, et des hommes, se retrouvant en une peine perpetuelle pour les aguets qu'on luy dressoit, un passant le vint aborder en pleine audience, affronteur de vray, mais d'une invention fort galante; qui luy va dire: Seigneur tu sçais le mauvais vouloir qu'on te porte, et quantes manieres de gens conspirent ordinairement contre toy, dont tu as tant d'affaire à te preserver: si tu me veux donner un talent d'or,
Ce sont 6000. escus.
autant veux-je avoir pour ma peine, je t'enseigneray un moien que nul desormais ne pourra machiner contre toy rien quelconque, que tu ne le descouvre aussi tost. Le Tyran y presta l'oreille; et l'ayant appellé à part en son cabinet, luy demande quel pouvoit estre cest artifice; avec promesse de le contenter à son mot, voire mieux si cela luy reüssisoit. Ce n'est rien à la verité, dit-il lors, ny ne peult estre, comme toymesme puis sçavoir; car il n'appartient fors aux dieux de descouvrir le coeur des hommes; mais voicy où la chose bat: On voit assez combien tu es tenant et rapedenare de ton naturel, si que tu ne desgainerois pas volontiers une telle somme qu'à bonnes enseignes; Donne la moy donques, et on ne fera point de doute que tu n'ayes sceu le secret; au moien dequoy chacun <f 16r> se gardera de mesprendre. Il la luy donna, et luy fit d'abondant d'autres graces, si que tous en conceurent une telle opinion, que persone n'osa plus de là en-avant rien attenter encontre luy. A cest exemple je voudrois dire, que plusieurs sont, qui pour s'acquerir quelque bruit et reputation sur les autres, feignent sçavoir beaucoup de choses, à quoy jamais ils ne parvindrent, trascendantes la commune opinion des hommes: mais ils ne laissent pour cela de trouver soubs l'ombre et credit de leur vaine jactance, des assentateurs et partialistes, qui leur font la court, pour en mendier, à guise d'une autre Chananee, les miettes et petits fragments qui viennent à tomber soubs la table: tant nous sommes d'une tendre credulité, és choses mesmes où il y a le moins d'apparence. Et pourroit estre qu'Agrippa fust de cest escot, et qu'il se seroit voulu attribuer la consçachance de plusieurs secrets, qui paradventure ne sont pas arrivez jusqu'a luy: mesmement de l'esprit de l'or, qu'il afferme avoir sceu extraire d'avec son corps, dont il auroit converty en fin or l'argent et le cuivre, non toutesfois sinon autant que montoit le poiz de celuy duquel il avoit esté separé, et non plus; Est enim (ce dict-il) spiritus ille forma extensa, et non intensa; ideóque non potest vltra suam mensuram imperfectum corpus in perfectum transmutare; quod tamen fieri alio artificio non inficior. Mais par le progres de ses oeuvres il ne monstre pas, d'avoir esté si expert ne si advancé és chimiques, qu'il ait penetré si avant.
<f 16v> Artifice pour tirer la teinture de l'or.
<f 16r> Trop bien quelques-uns <f 16v> se sont essaiez de tirer cest esprit ou plustost teinture, par le moien de la Pierre-ponce, seche sur toutes autres substances, et privée entierement de tout sel; calcinant des lamines d'or deliees comme du parchemin, dans icelle, lict sur lict, en un fort feu de reverberation par deux ou trois jours; Puis refondant lesdites lamines, et les calcinant de nouveau, applaties comme auparavant; si qu'à la huict ou dixiesme reïteration, l'or revient de 24. caracts, presqu'à seize; et comme au tiltre du letton: Puis avec de bon vinaigre distillé trois ou quatre fois, on extrait ladite teinture, embeüe dans la secheresse de la Pierre-ponce; et apres avoir evaporé le vinaigre, reste au fonds certaine gomme de couleur de rubiz, qu'on fixe avec des huilles et liqueurs convenables; mais elle est plus propre aux medicaments qu'à la transmutation des metaulx.
  OR pour reprendre nostre propos, car ceste digression n'a esté, que pour monstrer le danger et inconvenient qu'il y a d'adjouster legierement foy à tout ce qu'on trouve dedans les livres; les promesses et asseurances de ces deux Tritheme et Agrippe, ont incité beaucoup de bons entendemens, à enquerir le moien de ceste transmission de pensee, sans sortir hors de la nature, comme ils l'afferment: Surquoy quelques-uns ont imaginé, qu'il y avoit une espece d'Aymant, dont les pieces choisies ainsi qu'il fault, l'une à un bout, et l'autre à l'autre, ont une telle sympathie et correspondence, qu'on ne sçauroit esbranler, <f 17r> et puis arrester une esguille frottee de l'une, que sa compagne ne face de mesme tout au propre instant; Parquoy trassant un alphabet autour d'un cercle, marqué de lettres en lieu des heures; au milieu duquel soit assis un quadrant avec l'une de ces esguilles, l'effect s'en ensuivra tout pareil; que celuy que nous avons allegué cy dessus pour lire à travers les murailles. Mais quant bien cela seroit vray, dont neaumoins je ne voudrois pas me constituer le garend, il ne se raportera pas aux vingt quatre heures d'Agrippe: car par ceste voye de l'Aymant il faudroit que ce fut tout à l'instant mesme. L'an 1549. estant à Rome, je vy le Cardinal de Carpi, un seigneur de gentil esprit, et fort curieux des choses rares; apres s'estre fort longuement exercé, et fait faire infinies espreuves de ceste ouverture, non sans de grands fraiz, n'avoir peu en fin y rien obtenir: nomplus que de cest artifice de perspective, où il sua sang et eau aussi, dont se vante le mesme Agrippa chap. 6. qu'il dict estre de l'invention de Pythagore; escrivant avec du sang dessus la glace d'un miroüer propre à ce, et puis l'exposant en certaine assiette aux raiz de la Lune lors qu'elle est au plein, par une claire et seraine nuit: car cela se va reverberer de sorte, à quelque longue distance que ce puisse estre, pourveu que ce luminaire soit lors eslevé dessus l'orizon, qu'on peut remarquer en son rond tout ce qui sera trassé au miroüer.
Considerations de l'Aymant.
Quant aux effects de la pierre d'Aymant, ils sont à la verité fort estranges, et non moins les causes d'iceux <f 17v> qui semblent surpasser de beaucoup toute humaine ratiocination; qu'un mineral sourd, immobile et stupide, aye neaumoins de tels esprits, qu'ils puissent ainsi insensiblement desployer et transmettre dehors leur occulte faculté et vertu, à travers mesmes les plus dures pierres; les bois plus solides et resserrez; les metaux; et le verre encore; avec autres semblables estoffes compactes, qui n'ont point de spiracles ne porositez: outre ce que ceste proprieté et vertu ne s'estend pas indifferemment envers toutes choses, ny une seule, mais envers soy premierement, puis au fer, et à l'endroit du Pol artique; d'une si loingtaine distance, dont il n'en sçauroit estre de plus grande pour nostre regard; comme de la terre jusqu'au dernier ciel, laquelle est presque incommensurable: le pol artique veux-je entendre non ce point fixe autour duquel precisement, avec son correspondant opposite, se meut toute la machine du monde, ains la petite estoille qui en est la plus proche: Quant à l'antartique, ceste pierre n'y a aucune affinité; ce sçavent ceux par experience qui naviguent outre la ligne de l'equateur. Si que je m'hazarderois volontiers de dire, que toute l'escole Peripateticienne ensemble, qui faict profession de ratiociner de toutes choses, et n'ignorer rien des plus occultes et intimes secrets de nature, se trouveroit bien empeschee en cecy; aussi bien que Plutarque, lequel en la VI. des questions Platoniques se travaille si fort à demesler ceste fusee; reputans tous ces doctes hommes <f 18r> à une trop grande defectuosité et vergongne d'ignorer rien, et ne pouvoir à tout le moins rendre quelque raison soit d'estoc soit de taille, de toutes choses; et de telles mesme en y a, que ny les demons ny les anges, qui doivent voir beaucoup plus clair qu'un esprit humain enveloppé de ceste escorce corporelle, où il est comme noyé dans la chair et le sang, n'en sçauroient pas venir à bout. Il y a encore une autre chose à observer en l'Aymant, mais cela se peut referer à ceste maxime de vis vnita, qu'une piece de deux ou trois livres fera plus d'effect en son attraction, que quinze ou vingt ne feroient en menuz fragments et morceaux, ensacchez en quelque estamine bien claire, ou dans un rezeau, qui à cause de leur rarité et clairvoyes ne peuvent empescher les decoullemens insensibles de ses fluxions subtiles spirituelles ad extra; ou comme les appelle le mesme Plutarque, grosses et flattueuses, puis que la pierre ny le bois ne les luy peuvent divertir. Mais comment à travers cela, et le verre mesme, pourroit l'Aymant repoulser l'air, attendu que l'air n'y peut pas respirer ? Au moien dequoy tout ce qu'il en met, et s'efforce de discourir, que l'action que ce mineral a envers le fer, depend de sa proportionnee spongiosité, où il y a de petits soubspiraux (ce dit-il) voyes et asperitez rabbouteuses, par où ses fluzions peuvent s'asseoir et prendre pied, est en l'air, et par une conjecture fort à la volee: car encore que cela eust lieu, si sera-il plus raisonnable de croire que ce fust au fer quand <f 18v> il est en masse, par ce qu'il est lors plus rare et poreuz que quant il est reduict en alchool, ou pouldre impalpable, laquelle se compresse plus, et pourtant à moins de vuide en ses parties, que nompas en grosse grenaille: et plutost encore en sa nature ferrugineuse, lustree et polie, que s'il estoit alteré de rouille: mais nous voyons tout le rebours.
  OR toutes ces digressions icy, et encore dés le sueil de l'huys, comme on dict, que pourront elles sembler par raison, sinon autant de saillies extravaguees hors de nostre propos principal ? Mais nous n'entendons pas de nous y enclorre et assujectir si estroictement, qu'il ne nous soit loisible de fois à autre de nous emanciper à faire quelque petits eschapatoires, sur ce qui se presentera de rare et de digne d'estre incidemment parcouru; mesmement des occultes et secretes sciences, ensevelies pour le present; attendu qu'elles tiennent le mesme lieu envers les vulgaires et triviales, que font les chiffres à l'endroit de la commune escriture; les chiffres veux-je dire, non ceux qu'on practique és cours des Princes, destinez pour les secretariats et depesches; ains d'autres bien plus spirituels et ingenieux, lesquels procedans d'une revolution circulaire, et multiplication carree et cubique, ensemble de tels autres artifices qui dependent principalement de l'Arithmetique et Geometrie formelles, comprises par les Hebrieux sous ce mot de Ghematrie, meritent d'estre non asserviz à de tels usages, ains employez <f 19r> aux profondes meditations de la Cabale, Magie, Alchimie: Que personne ne se scandalise de ces vocables de si mauvaise odeur par tout, et si descriez; plustost leur donneray-je d'autres noms; de la science elementaire, la celeste, et supramondaine, ou intelligible; tant par ce qu'elle traicte des intelligences et substances separées, comme on les appelle, que pour ce qu'elle est digne sur toutes autres d'estre entendue, comme versant en la notice du Createur; car la plus grande perfection dont l'homme se doive glorifer, est de parvenir à sa cognoissance, suivant ce qu'il dit lui-mesme Jeremie 9. Que le sage ne se glorifie point en sa sapience; ny le fort et robuste en sa force; ny l'opulent en ses richesses; mais qui se veut glorifier, qu'il se glorifie à ce qu'il me sçait et cognoist.
Tout plein de belles correspondances du nombre de Trois.
Et de vray ce sont les trois sciences mystiques, appropriees à la notice des trois mondes; l'Intelligible, le Celeste, et l'Elementaire; representez en premier lieu par ces trois lettres du mot [H] Adam; et pareillement les trois parties de l'homme dit le petimonde; l'intellect, l'ame, et le corps, subject à alteration et corruption, comme aussi est la partie elementaire. Car il y a trois choses, dit le Zohar, qui se correspondent, et ont esté formees sur l'exemplaire de l'Archetype et premiere Idee; le Tabernacle du SEIGNEUR, que luy dressa Moyse; le Temple de Salomon; et le Corps humain; selon les trois manieres de nombres, qui s'y raportent; assavoir le vocal ou operatif qui est extraict de la mesure, au monde Elementaire; le formel extraict du vocal, au Celeste; et le <f 19v> rationel ou divin extraict du formel, à l'intelligible: la Divinité se complaisant singulierement en ce sainct Ternaire, qui est le premier nombre impair; comme l'advoüe mesme Aristote en ses livres du ciel et du monde, où il dit, que nous sommes instruicts de nature d'honorer Dieu selon le nombre de trois; que nous avons d'elle, ainsi que pour une loy et reiglement, lequel nous demonstre toutes les sortes d'extentions, tant és nombres, commes és figures, en longueur, largeur, profondeur; qui sont la ligne, la superfice, et le corps solide, ou le cube. Et Platon tout de primeface dés l'enfournement du Timee, pourautant qu'il veult là traicter de la formation du monde, en faict d'un fort délicat artifice, absenter le quatriesme, à cause de son indisposition. Mais les Cabalistes, considerent encore ce nombre de trois par un autre sens, en ce que multiplié par soy, il produit neuf, qui est son carré: Et ils prennent là dessus trois neufvenaires queüe à queüe, selon qu'on le marque au chiffre, à compter en ceste maniere 9 9 9. qui font neuf cens nonante neuf; dont le premier en commençant à la main droicte suivant l'art et reigle de l'Algorisme, et que les Hebrieux et Arabes escrivent, est un nombre simple, audedans de dix, qui pour estre formel et essentiel, à cause de sa simplicité est attribué aux neuf ordres d'Anges, qui sont du monde intelligible. Le second d'apres est des dixenaires, desja composé, et participant aucunement de la matiere, parquoy il est attribué aux neuf cieux. Et le troisiesme, des centenaires, <f 20r> encore plus composé et materiel, aux neuf genres des engendrables et corruptibles, au monde elementaire; lesquels se terminent en l'homme, qui est comme un passage d'iceux aux choses celestes, et de là aux intelligibles:
Mystere du departement des biens de la terre en la loy Judaïque.
Si que le departement des fruicts et biens de la terre en l'ancienne loy, estoit estably et dressé de ce mesme ordre. Car des cent portions appartenans à tout le peuple, le dixme en estoit mis à part pour les gens d'Eglise: et de ce dixme, la decime extraicte pour la part de Dieu: de maniere que les Centenaires comme plus materiels et grossiers, estoient destinez pour les laicz et prophanes: les dixenaires, aux levites et prestres; et l'unité ou decime de la decime, reservee à DIEU; qui estant tout, n'est toutesfois qu'UN, ainsi qu'on peult veoir au Zohar; Toutes choses sont UN pour le regard de Dieu, mais pour le nostre plusieurs; comme les rameaux partans d'une tige; infinis rayons, du Soleil; et les facultez et puissances de l'ame. Platon tout de mesme apres Parmenide; Non tant seulement toutes choses sont en Dieu, ains tout ce qui est, entant qu'il est en Dieu, et procede de luy, n'est qu' UN. Hermes pareillement en sa table, qu'on appelle de l'Esmeraulde; Sicut omnes res fuerunt meditatione vnius, sic omnes res natae fuerunt ab hac vna re adaptatione. Ce que Procle en ses problemes theologiques dilate de ceste maniere: Ainsi que toutes choses sont procedees d' UN SEUL, en semblable se hastent elles d'une course continuelle, de retourner à cest UN là; avec lequel tant plus est grande la concorde dont elles <f 20v> conviennent, de quant plus elles participent de luy. Et ce pour se conformer à ce que dessus de Platon, et ce qu'il en met d'abondant en ses Epistres; Que toutes choses partent du TRESHAULT; et cherchent de retourner à luy derechef; là où consiste leur final repos, et soustenement de leur Estre. L'UN donques, auquel le philosophe Leucippe constituoit de sa part le souverain bien et felicité, adjousté aux trois dessusdits neufvenaires, qui ainsi arrengez de suitte, font neuf cens nonante neuf, parfera le nombre de mille; qui est le Cube du Dix, et la fin de tous nombres envers les Hebrieux: De mesme le carré de trois, qui sont neuf, par l'addition de l' Aleph; devient dix;
Le dix est la fin de tous nombres.
outre lequel, ce dit Aristote au 3. des problemes, section 15. nul n'a jamais trouvé point encore de nombre. Et les quatre lettres du grand nom [H], qui sont circulaires toutes, jointes ensemble faisans 26. par le mesme adjoustement de l'aleph ou d'UN, arrivent à 27. le cube du ternaire, tant magnifié de Platon dans son Timee, en la premiere production du monde. Lequel nombre de 26. est encore denoté mystiquement par ceste premier lettre de l'alphabet [H], composee d'un [H] Vau qui vault six, et de deux [H] Iod, chacun dix: au moien dequoy la plus grand'part des noms divins commencent par ledit Aleph; comme [H] El, Ehieh, que Platon appelle ôn ou on, ENS, qui ne differe du [H] Iehouah, sinon qu'au lieu du Iod de cestui-cy, il y a un Aleph en l'autre; c'est à dire au lieu de la fin, le commancement: denotant cela un fort <f 21r> beau secret; C'est que le nom de [H] Ehieh qui designe le pere, fut celuy (en Exode 3.) que Dieu revela à Moyse pour retirer corporellement les Israëlites de la servitude d'Egypte; là où nostre redempteur Iehouah ou Iahve, est la fin et accomplissement de la loy, pour delivrer ceux qui croiront en luy, de la captivité du diable, dont l'Ammomino le patron et genie tutulaire des Egyptiens, est un symbole;
Iuppiter Ammon.
car par tout ou vous trouverez en l'Escriture ce mot de [H] mizraim, qui veult dire Egypte, dont la propre signifiance est angustie et compression de douleur, cela denote tousjours quelque chose de sinistre et malencontreux. Il y a outre-plus, de ces mots divins, commençans par Aleph, celuy [H] Adonaj Seigneur, que les Hebrieux ont tousjours prononcé au lieu du Iehouah; et [H] Elohim approprié au sainct Esprit. Enapres le carré de sept, qui sont 49. accreu d'UN ou Aleph fait cinquante, qui est le nombre du grand Jubilé de pleniere remission, indulgence, et misericorde: lequel procede encore du cinq multiplié par dix, et au rebours. Et de ces deux nombres, ou des deux lettres qui les denotent, assavoir le Iod, dix, et He cinq, est composé le tres-clement et benin nom de [H], Iah, dont nous parlerons cy apres. A la verité tout cecy n'est autre chose que pur chiffre, contenant tant par les nombres que par les lettres, de tresgrands et profonds secrets: dont en cest endroit s'en presente encore un autre à considerer; assavoir que le simple et petit [H] ne vallant qu'un, le majuscule capital [H] vault <f 21v> mille, comme aussi le signifie le mot de Aleph: Si que Dieu est representé par ceste mesme lettre, en l'unité de son essence, comme le principe de toutes choses, et la fin de tout; le premier et le dernier, en Isaie 44. Et à son imitation l'Apocalypse au premier et dernier chap. pour tant mieux exprimer ce mystere, soubs la premiere et derniere lettre de l'alphabet Grec, a, et ô; comme a fait aussi Orphee en l'hymne d'Apollon, A toy le principe appartient: -- Et toute fin à toy devient. Cecy nous est encore manifesté en ces deux noms de Dieu [H], El et [H] Iah; dont le premier importe quelque fois sa severité et rigueur en nos offenses, comme en Elohim; et parfois sa benignité comme en Emanuel: lequel nom d' Elohim est reitiré 32. fois en la creation avant que de venir à celuy de [H];
Les noms de Dieu invoquez és trois loix.
et fut invoqué depuis Adam jusqu'à Abraham, denotant un esprit Ignee, et par consequant le sainct Esprit; ce qui auroit peu mouvoir Heraclite de mettre le feu pour le commencement des choses: d'Abraham jusqu'a Moyse, celuy de [H] Sadai, qu'on traduit communement TOUT-PUISSANT, In vmbra Dei omnipotentis commorabitur; pseaume 91. où il est fort espouventable aux demons; mais il signifie plus proprement, Qui suffist à soy, sans avoir affaire de rien: Et de Moyse jusqu'à JESUS-CHRIT, l'ineffable quadrilettre [H], qui portoit tacitement son nom. Mais celuy de [H] Iah, denote tousjours la douceur et clemence: et pourtant non en vain, et sans grand mystere l'Eglise a institué, que de la septuagesime <f 22r> jusques à Pasques, qui est le temps de Penitence et reversion, auquel nou-nous devons reconcilier à Dieu, pour dignement recevoir sa grace, on ne chante point Alleluiah, louez le Seigneur de misericorde, jusqu'à ce que nou-nous soyons renduz capables d'icelle; Car en la divine bonté la misericorde surmontera tousjours la justice, s'il ne tient à nous; d'autant dient les Cabalistes, que le millenaire excede le quaternaire; et ce suivant ce qui est escrit en Exode 34. Deus gratiosus et clemens, puniens in quartum, et parcens in millibus. Et au Deuteronome 5. Je suis le Seigneur qui rends l'iniquité des peres sur les enfans, en la trois et quatriesme lignee de ceux qui me haissent; et fais misericorde en beaucoup de millers à ceux qui m'ayment. Car les estoilles innumerables dont le ciel est tout parsemé, semblent autant de souspiraux; par lesquels la grace et misericorde divine s'espand icy bas sur ses creatures, et leurs mefaits, ny plus ny moins que l'eau à travers les trouz d'un arrousouer, dont lon regaillardist les herbes et plantes exanimees de chaleur excessive et de secheresse. Mais quelle proportion y peult-il avoir de ce petit globe terrestre joint avec la mer, si peu couvert de creatures, au pris de la grandeur du ciel, où les estoilles semblent s'entretoucher l'une l'autre ? Telle est sans doute le respect de sa mansuetude et clemence, envers nos iniquitez et ingratitudes; Quoniam secundum altitudinem caeli à terra, parle le pseaume 103. corroborauit misericordiam super timentes se. Mais il n'en fault pas abuser, ains le craindre, et aymer. <f 22v> Outre-plus le nom de [H] El, commence par un Aleph, qui designe le principe et l'unité, et celuy de [H] Iah par un Iod qui vault dix, et est la fin de tout, combien que ce soit la plus simple lettre de toutes; lesquelles par consequant procedent de luy, comme les nombres de l'unité, et les lignes du poinct; dont se forment puisapres les superfices, et de ces-cy les corps solides. Derechef le dix representé par le Iod, est un nombre circulaire, aussi bien que ceux des autres lettres du sacré tetragrammaton, assavoir cinq par [H] He, et six par [H] Vau; car tout ainsi qu'en un cercle ou sphere, par tout où est le commencement est la fin, et au rebours; en semblable le dix participe ceste double nature, la simplicité assavoir des nombres qui le precedent, et la composition des autres qui suivent apres jusqu'en infiny. Ce qui pourroit avoir induit quelques-uns à syllogiser, que tout ainsi qu'il y a un commencement és nombres, qui sont la mesure de toutes choses; et pareillement és lignes; là où ny de pluralité, ny de magnitude, il ne s'en peult assigner aucun bout ny terminaison, qu'on ne puisse aller plus-avant; de mesme que le monde a eu un principe de l'unité et du poinct, mais de fin il n'en aura pas; trop bien pourra-il souffrir quelque alteration, mais en mieux: Tout cela se conformant à ce que dit Algazel, que le poinct est aucune-fois la fin d'une partie de la ligne, et le commencement de l'autre partie: et aucunefois le commencement de toute la ligne sans estre pour cela <f 23r> la fin de la partie precedante. Et là dessus je me puis bien hazarder de dire, qu'il n'y a rien qui sensiblement demonstre plus cecy, que faict l'or, lequel a un commencement de vray de ses principes composans, elabourez par de longues suittes de siecles, jusques à sa finale perfection; à laquelle estant une fois arrivé, il ne peut plus estre destruict et annichilé. Au reste que la facture premiere du monde, quant à avoir esté plustost, ou plus tard qu'elle n'a, ne se doit pas considerer par le precedant, que les Theologiens appellent à parte ante: car devant le monde il n'y avoit point de temps, selon lequel on peut mesurer ce plustost ou plus-tard, tout ainsi qu'hors du monde il n'y a point de lieu; ains à parte post, assavoir depuis la formation d'iceluy: car si depuis ladicte formation jusqu'à maintenant il y a cinq mille tant d'ans, Dieu le pouvoit bien avoir faict qu'il n'y en auroit pas neantmoins quatre cens; et au rebours, plus de vingt mille. Toutes lesquelles choses ne sont que chiffre, où l'on ne sçauroit rien lire sans l'alphabet; c'est à dire rien comprendre par la raison naturelle, sans la simple foy illuminee du sainct Esprit, qui nous a revelé ce secret de la creation et principe du monde, dont dependent les principaux points de nostre creance. Et si cela servira d'autant de preparatif et acces pour venir aux plus speculatives modes d'escrire, par les circulaires, carrées, et cubiques revolutions d'alphabets, dressez à l'imitation des Ziruph. Car les trois mondes dessusdicts, et leurs <f 23v> trois particulieres sciences se rapportent aux trois sortes d'escriture que nous avons: la commune et plus grossiere au monde elementaire, et au corps: les chiffres vulgaires, au celeste et à l'esprit: et les autres plus subtils et ingenieux, à l'intelligible, et à l'ame; comme pourroient estre, si au moins veritables sont les vanteries des susdicts Tritheme et Agrippe, ces spirituelles transmissions de pensee: a quoy si l'on ne peut atteindre si precisement, il faut neaumoins s'efforcer d'en approcher le plus pres qu'il sera possible, chacun selon sa portee et la capacité de son entendement; car en chaque art et science, il y a plusieurs degrez et mansions. Les dixaines donques, qui selon les Cabalistes ont toutes je ne sçay quoy de divin en elles; si qu'en la loy, Dieu les exige comme un tribut et redevance à luy propre et affectee, sont ainsi que les reposouers de tous nombres, et un passage des plus simples aux plus composez; tenans lieu moien en cela, tel que faict la Lune entre les substances caduques du monde elementaire au dessous d'elle, et les celestes incorruptibles, bien qu'aucunement corporelles, estant au dessus; suivant ce que dit Platon au convive, où il là faict participer de la terre et du Soleil: lequel est puis apres un autre entre-moien plus subtil et essentiel, des choses celestes aux intelligibles totalement simples. C'est pourquoy il l'appelle le fils visible du Dieu invisible; et que le pseaume 19. met, Que Dieu y a planté son tabernacle, car il est tenu pour donneur et pere de vie; corporelle faut <f 24r> il entendre, Sol enim, et homo, hominem generant, selon Aristote: et encore secondairement, comme ministre et instrument de celuy au monde intelligible, dont au sensible il est l'image apercevable à nos sentiments; ce monde là pur spirituel apellé pour ceste occasion en plusieurs lieux de l'escriture, la terre des vivants; en laquelle comme en la divine essence toutes choses germent et pullulent; mesme le verbe qui est-là eternellement engendré, et produit de l'intellect du pere, que le Zohar appelle l'air; duquel vient la lumiere qui est le fils, (Splendor gloriae eius, 1. aux Hebr.) Car de [H] auir, air, vient [H] aor, lumiere; ostant le Iod, lequel en auir represente la Paternité. Le fils au surplus est l'eau, qui vient de l'air, assavoir du pere, (aqua sapientiae salutaris Ecclesiastic. 15.) Ce qui auroit paraventure meu le sage Thales à mettre l'eau pour le principe de toutes choses; et le S. Esprit est le sang, et le feu, procedant de l'air et de l'eau, selon le tesmoignage de Trismegiste au commancement du Pymandre; Ex humidae autem naturae visceribus, syncerus ac leuis ignis protinus euolans alta petit: car l'humide consiste en l'air et en l'eau.
  Or en ce nombre dessusdit de 999. il y a un autre mystere à considerer touchant les lettres de ceste forte intelligence [H] Mettatron sar hapanim, le prince des faces mettatron, qu'on prend pour l'ame du monde, (denotee envers quelques Cabalistes par la ligne verte, comme ils l'appellent, qui environne tout l'univers; dite des uns la derniere Midah <f 24v> ou proprieté du monde archetype; et des autres Cheter elion, la supreme couronne; d'où tant à dextre qu'à senestre decoulent en premiere instance toutes les divines influxions. Ce mittatron donques ou ame du monde, est selon leurs traditions la premiere chose creée de toutes les creatures, dont elle contient en soy la perfection; (Quae prior omnium creata est, en l'ecclesiastic. premier;) Ayant la charge d'introduire devant la face du Souverain, ceux qu'il luy plaist d'y appeller; comme on lit de Moyse en Exode 33. et és nombres 12. Ore enim ad os loquor ei, dit Dieu à Aaron et Marie, parlant de luy: Et neaumoins il est escrit au mesme lieu d'Exode sur la fin; Videbis posteriora mea, faciem autem meam videre non poteris: pour autant que, facies mea praecedet te, dit-il dix ou douze lignes au dessus; qui ne peut estre suivant le pseaume 80. Ostende faciem tuam, et salui erimus; que le Sauveur et mediateur promis en la loy, ordinata per angelos in manu mediatoris; aux Galat. 3. Vnus enim mediator dei et hominum Christus (à Timothée 1. 2.) qui est souvent appellé Ange en l'escriture; Et vocabitur nomen eius magni consilij Angelus, Isaye 6. Tellement que la face de Dieu seroit le Messihe, seul moien de nostre salut; et nompas le Mittatron dessusdit, qu'aucuns à ceste occasion particularisent pour le sainct Archange Michel, auquel estoit le nom de Dieu, assavoir l'efficace et vertu d'iceluy, en Exode 23. Voicy je t'envoye un Ange pour te preceder, qui te gardera en la voye: Respecte-le, et adjouste foy à sa voix, sans le mespriser; car il ne t'espargnera <f 25r> pas si tu peches; et de fait mon nom est en luy; ayant la charge d'offrir à Dieu les ames humaines; dont il est appellé des Cabalistes [H] Cohen gadol, le grand prestre; mais c'est comme vicegerend du souverain sacrificateur, dont il porte le nom, seau, le cachet, et l'office: Car ce mot de [H] Michaël ne signifie proprement autre chose sinon, qui est celui lequel soit comme Dieu ? A propos de ce qui est au 113. pseaume; Quis sicut dominus Deus noster qui in altis habitat; et humilia respicit in caelo, et in terra ? Comme si cela vouloit inferer, que nul; fors celuy qui porte le nom de Dieu, avec son pouvoir et sa force, dependant du tressacré-saint Quadrilettre [H] Iehouah; Quis sicut tu in fortibus Tetragramme ? en Exode 15. et à la verité il estoit bien raisonnable, que le peuple lequel Dieu avoit esleu entre tous les autres pour son Primogenite, (là mesme chap. 4. Filius meus primogenitus Israël.) fust commis en la garde et protection du prince des Anges: et consequemment, apres l'obstination et incredulité des Juifs envers le Messie, que ceste tutelle et sauvegarde passast aux fils aisnez de sa vraie Eglise, les Roys de France tres-chrestiens; lesquels pourroient avoir pris de là occasion d'establir leur ordre soubs le nom et adveu de cest archange; et iceluy choisi pour leur protecteur et patron: si que ce royaume a cest advantage sur tous les autres potentats de la terre; et par especial autant plus encore de preeminence par dessus celuy des Israëlites, qu'a la foy Chrestienne par dessus la loy Judaïque; Nonobstant <f 25v> qu'elle l'aye precedée en dacte de temps; mais elle n'estoit qu'un type et figure de ce dont la nostre a esté l'accomplissement et perfection; qui represente outre plus l'homme interne; et la Judaïque l'animal et exterieur seulement; selon qu'il avoit esté signifié par Cain, et Abel; Ismaël, et Isaac; Esau, et Jacob: dont la temporelle primogeniture va au rebours de la spirituelle; car tous ces aisnez ne denotent que l'homme animal, selon le dire de l'Apostre en la premiere aux Corint. cha. 15. Prius quod animale, deinde quod spirituale: là où la divine se doit en premier lieu attribuer à sa sapience; primogenita ante omnem creaturam, en l'Ecclesiastic. 24. et au verbe incarné, qui est le primogenite de toute creature, aux Coloss. 1. Institué du PERE son heritier universel; aux Hebr. 1. Et aux princes terriens puis apres, dessouz son authorité et adveu; selon le reng de la precedance d'eux acquise, tant par l'ordre qu'ils sont parvenus à la lumiere de l'Evangile, que pour leurs merites et bien-faicts envers l'Eglise Catholique. Mais pour revenir au propos dessusdict, la secrete Theologie Cabalistique, tient que tout ainsi que le Nesamah, nous, ou mens qui est l'intellect, domine à l'ame du microcosme, qui est l'homme, aussi fait Mittatron au monde celeste: l'ame du Messihe en l'angelique; et en l'archetype Adonai. Et tout ainsi que la lumiere de l'ame humaine est l'intellect agent, de mesme la lumiere de Mittatron est le Sadai, qui signifie le Dieu vivant: et la lumiere d' Adonai <f 26r> est l' Ensoph, ou infinitude de la divinité. Au surplus, que le petit monde et le grand communiquent en l'intellect, comme faict le plus bas du superieur, avec le plus hault de l'inferieur, à guise de la Lune qui est la plus infime des choses celestes, et la plus haute des Elementaires. Que le monde pareillement corporel et sensible, communiquent au Mittatron, qui est l'intellect agent du premier mobilé, et un moien entre la nature celeste comme inferieure, et la nature Angelique comme superieure à luy, selon qu'il est bien à plain expliqué au 2. cha. des Portes de la lumiere. Les lettres donques de ce nom Mittatron, avec celles de Sar harpanim, selon le Calcul des Hebrieux, comme aussi de [H] sar Zeuaoth, le chef de la gendarmerie celeste, font le nombre dessusdit de 999. composé du neuf qui est simple; et d'autant de dizaines et de centaines. Cela nous a esté encore representé par le mesme Moyse en la construction du Tabernacle, lequel symbolisoit aux trois mondes; et au microcosme qui est l'homme, pour le quatriesme. Car la premiere de ses parties tout à descouvert, et à l'erte, exposee aux vents, pluyes, gresles, neges, et autres impressions de l'air, qui se forment dessoubs le cercle de la Lune, en perpetuel changement et alteration; accessible au reste à toutes sortes de personnes et d'animaux, et en assiduelle vicissitude de vie et de mort, à cause des continuels sacrifices qui s'y faisoient, denotoit le monde elementaire, composé d'eau, comme d'une <f 26v> substance coulante et instable, lequel se peut proprement appeller le monde de tenebres et obscurité, suivant ce que l'Evangile appelle le tentateur tantost le prince des tenebres, tantost le prince de ce monde; Et en la creature raisonnable le corps. LA SECONDE partie de ce tabernacle resplandissante toute d'or, et illuminée par un chandelier à sept pointes, qui sont sans doute les sept planetes, signifioit le monde celeste, participant de la lumiere et des tenebres, qui correspondent au feu et à l'eau: au moien dequoy les Hebrieux appellent le ciel [H] eschamaim, de [H] esch, feu, et [H] maiim, eau; ayant corps de vray, mais incorruptible; et un intellect qui le gouverne, toutes-fois annexé à luy, et non libre ne vagabond; tout ainsi que l'ame raisonnable est au corps de l'homme ou du petit monde. Et à ce propos voicy ce que touche un Cabaliste Rabbi Joseph ben Carnitol en ses livres des Portes de Justice: Sachés, (dict-il) qu'il y a une substance admirable au corps de l'homme, appellée [H] luz, laquelle est toute sa force et vertu, voire la racine, et le fondement d'iceluy: et quant il meurt, elle ne s'envolle pas, ny esvanoüist pour cela, ains quant bien elle seroit reduite en un tas dans le plus grand feu, ne se brusle ny consume point; ny ne sçauroit estre nomplus brisee dans une meulle de moulin, ny concassée dans un mortier, mais est permanente à tout jamais; recevant mesme de la volupté et delices en l'homme juste apres son decés, suivant ce qui est escrit en l'Ecclesiastique 26. Et ossa eorum impingabit; et de la peine et cruciement d'autre part és reprouvés <f 27r> ainsi que d'iceux il est dit en Ezechiel 32. Et erit iniquitas eorum super eorum ossa. Laquelle substance, qui est le fondement de sa racine; est partie du lieu dict [H] schamaim les cieux, par un mystere cogneu à ceux qui sçavent ce que c'est de ceste substance celeste; et dont chaque espece reçoit la force et vigueur de son Estre; Car delà, l'influence vient au lieu qui s'appelle [H] Sheakim ou region Etheree. Ce qui bat à ce que dessus, que les cieux sont composez de feu et d'eau, les deux principaux Elemens; et desquels participe l'air; ce que le Zoar appelle le masle et la femelle; la forme et la matiere; le costé droit, et le costé gauche; le midy et l'Aquilon. Mais tout cecy est bien plus ouvertement expliqué par Rabbi Moyse Egyptien, surnommé Rambam au premier livre de son More haneuochim, le directeur des doubtes, chapit. 69. Que l'ame qui reste de l'homme apres sa mort, n'est pas totalement ceste substance qui estoit en luy pendant qu'il vivoit icy bas, car ce n'est lors qu'une preparation à la vie eternelle, ains celle qui demeure separee du corps apres son decés, qui est chose reelle et en acte. Enquoi il a ensuivy Aristote au 12. des Metaphysiques, où il parle de ceste nature; Quae non impeditur (ce dit-il) quin à morte hominis supersit. A ce que dessus se raporte encore ce que Paracelse en ses Archidoxes appelle l'Esprit du ciel: Et François Georges Venitien de l'ordre des freres mineurs grand Cabaliste, au premier cantique de son Harmonie du monde chap. 5. du 6. ton: L'homme vit avec les metaux d'une vie venant d'enhault, <f 27v> lesquels ont delà certain esprit tresoccult et caché, qui jamais, ou fort rarement n'en a peu estre separé par aucun artifice, combien que plusieurs s'y soient fort soigneusement travaillez.
Esprit metallique.
Agrippa livr. premier chapitre 14. apres les anciens philosophes, l'appelle l'Esprit du monde, et la Quint'essence; le moien par lequel l'ame s'associe et unist au corps, avec toutes les proprietez specifiques introduittes és animaux; car c'est le seminaire de leurs vertuz: Aumoien dequoy les Chimiques s'efforcent de l'extraire (dit-il) de l'or et argent, pour y transmuer les autres metaux imparfaits. Mais plus apertement au 4. chap. du 2. livre. Il y a une chose creée de Dieu, qui est le subject de toute merveille; laquelle est en la terre, et au ciel; animale en acte, vegetale, et minerale: trouvee par-tout; cogneuë de fort peu de gens; et de nul exprimee par son droict nom, ains voilee d'innumerables figures et enigmes: sans laquelle ny l'alchimie, ny la magie naturelle ne peuvent atteindre leur complette fin. Ce qu'il a transcrit mot pour mot des fragments d'Artephius, et de Kirannide. Geber, et les autres philosophes Chimiques appellent celà, le corps spirituel fixe: C'est à dire l'or, qui en sa nature est le plus permanent au feu de toutes les autres substances; Cui rerum vni nihil igne deperit, dit Pline livre 33. chapitre 3. Et par artifice se fait volatil, à ce que sa teinture qui n'est que citrine, se puisse haulser en couleur vermeille par l'action du feu, alors qu'il y sera rendu passible: et puisapres qu'il est rougy, on le fixe comme auparavant. Tous <f 28r> lesquels regimes de l'oeuvre philosophal Chimique, se conforment à l'exemple de l'homme; au corps duquel toutes les vertuz corporelles se retreuvent, ainsi qu'en son ame les vertuz de toutes sortes d'esprits; dont il est dit le Microcosme ou petit monde; aiant double corps, l'un materiel, et l'autre spirituel, selon l'Apostre en la prem. aux Corinth. 15. Si est corpus animale, est et spirituale. Celuy-là estant purifié ainsi qu'il doibt, per expoliationem corporis carnis, aux Coloss. 2. monte avec le corps spirituel, autrement appellé Quint-essence, en laquelle reside (à propos du luz) toute la force et perfection du corps materiel: Comme il appert au grain de froment, et autres semences, dont la partie materielle et imparfaict se corrompt et reduit en terre; et l'autre en estant separee demeure, dont se vient à produire la plante selon son espece. Le mesme est-il de nostre corps; comme le parcourt tres-cellemment le dessusdit 15. chap. aux Corinth. jusqu'à cest endroit; Oportet hoc corruptibile induere incorruptionem, etc. Comme s'il vouloit dire, qu'apres que le corps materiel corruptible se sera despouillé de son vestement terrestre et impur, la parfaicte portion d'iceluy se demeslera de ses ordes immondices grossieres; et s'en yra là haut unir à Dieu, se faisant une mesme chose avec luy; suivant le dire de Zoroastre; Il te fault monter à la vraye lumiere, et aux clairs rayons paternels, d'où ton ame t'a esté envoiee, revestuë de beaucoup <f 28v> d'intellect: Et de Pythagore aussi en ces termes; Si delaissant ce corps contraint, tu passes en la liberté Etheree, tu seras un dieu immortel.
  LA TROISIEME partie du Tabernacle estoit le
Sancta sanctorum, representant le monde surceleste ou intelligible, tout de lumiere et de feu; et le domicile des Anges, ou intelligences abstraictes et separees comme on les appelle; ministres du grand Dieu vivant; ce que denotoient les deux Cherubins d'or, qui alongeans leurs esles l'un devers l'autre, adombroient le propiciatoire: En l'homme, c'est l'Intellect, que les Hebrieux appellent Nessamah, et les Grecs nous. Ce monde icy meut le Celeste, et le Celeste l'Elementaire; car par le moien des rayons du Soleil et de la Lune, ensemble des estoilles qui se dardent contre la terre comme les flesches à une butte, le ciel tenant lieu de masle agist envers sa femelle la terre; pource que les corps ne peuvent ouvrer que par attouchement.
La façon de philosopher de Platon et d'Aristote.
Et selon l'unanime accord de tous les Platoniciens, dont la maniere de philosopher qui est principalement par les nombres, descend d'enhault du souverain Createur de toutes choses, encontre bas, tout ainsi que les Sephiroths, par le Ternaire, en premier lieu dedans les cieux, et de là aux quatre Elemens; là ou au rebours celle d'Aristote qui se retient entierement à la nature des choses sensibles, monte du bas en contre-mont par la science des Elemens, et inferieurs principes des choses, jusqu'à la machine celeste et non plus, par le quaternaire <f 29r> corporel et sensible; qui suyvant la doctrine de Pythagore, participe plus du corps et de la matiere; et le Ternaire de l'esprit, et de la forme. Selon donques les Academiques, tout ainsi qu'au monde ideal archetype toutes choses sont contenues en toutes choses, qui estoit aussi l'opinion d'Heraclite;
Les Elemens sont és trois mondes par divers respects.
de mesme sont-elles encore au monde corporel et visible, comme le veult Anaxogore, tant au Celeste qu'en l'Elementaire; Neantmoins par diverses sortes; car le feu d'icy bas est grossier et bruslant; et l'eau y accable et esteint la chaleur naturelle, où reside la vie des animaux; là où au ciel ceste chaleur n'est autre chose que le Soleil, qui vivifie tout en bas au lieu de l'exterminer: Et l'eau est la Lune, qui regente et meut les humiditez qui y sont, comme on peult voir és flux et reflux des marées; és mouëlles et cervelles des animaux; et semblables substances: Ceste humeur celeste au surplus estant celle qui repaist, norrist et abbreuve les autres d'embas, pour le maintenement de tous les composez elementaires; laquelle correspond delà à ceste grand'mer ou piscine du monde intelligible, d'où par certains canaulx se derivent et coullent les Estres de tout ce qui est au dessoubs de soy, dans la grande concavité des cieux. Le feu finablement au monde intelligible, est l'intellect Seraphique, assavoir une charité tres-fervente, embrasee d'amour et dilection; et l'eau les Cherubines influences, à qui se raporte le fleuve Chobar, au commencement du prophete Ezechiel; et le pseaume 148. <f 29v> Que les eaux sont audessus des cieux, loüent le nom du Seigneur; ce qui ne se peult entendre que des intelligences angeliques.
L'homme un symbole de l'univers.
ET POUR le quatriesme monde est l'homme, Le chef-d'oeuvre du Createur; participant de tous les trois avec lesquels il symbolise; pour le regard assavoir du corps, au monde Elementaire, comme celuy de tous les autres animaux: de l'esprit, au monde Celeste: et de l'intellect representant en luy l'image de Dieu, à l'intelligible. Le mesme Rabbi encore, fils de Carnitol au livre cy dessus allegué, où il explique plus apertement tout cecy: Les edifices du monde inferieur demeurent fermes et immobiles; mais les Spheres vont avant et tornoient sans cesse; parquoy les choses basses sont dittes estre mortes, et les cieux avec tout ce qui y est, estre en vie. Que le fondement au reste de ces edifices est en hault, et le comble d'iceux en bas: Si que l'homme est comme planté au Jardin de delices, qui est la terre des vivants, par les racines de ses cheveux; suivant ce qui est escrit au 7. des cantiques; Comae capitis tui, sicut purpura regis iuncta canalibus; assavoir ceux d'enhault: ce qui denote d'autre-part, le secret mystere des Anges qui sont en l'ordre inferieur, desirans de monter, et de voir la face du SEIGNEUR [H]. Et cela est representé par les Elemens; dont les eaux de leur naturel sont attirees contre bas; l'air flotte, va et vient de costé et d'autre en un roüement et circuit non reiglé; et le feu de soy tend tousjours contre mont: le tout à la similitude des trois mondes, dont l'elementaire est en bas; le celeste tornoye au milieu; et l'intelligible <f 30r> s'esleve en hault par dessus tout; là où le tressacré-saint nom de Dieu, le grand quadrilettre, en sa divine essence, comme mesme tesmoigne l'Apostre aux Hebrieux premier, portat omnia verbo virtutis suae; mais de telle sorte que son fardeau est estably audessous de luy. Ce qui nous est encore signifié par les trois noms des superieures Zephiroh ou numerations; dont [H] Ehieh tient le plus hault lieu du monde intelligible; [H] Adonai celuy du monde elementaire en bas: et le tetragrammaton [H] Iahve, du celeste, au milieu des deux. Toutes lesquelles choses susdites nous seront rendues encore plus aisees et intelligibles, par la table suivante.
<f 30v> [FIGURE]
Les 3. noms divins. / [H] Elohim. / [H] Iehouah. / [H] Ehieh. Les 3. personnes. / LE S. ESPRIT. / LE FILS. / LE PERE. Leurs 3. Sephiroths ou numerat. prem. / Binah. Intelligence. / Chochmah. Sapience. / Cheter. Couronne. Les trois mondes. / l'Elementaire. / Le celeste. / l'Intelligible. Leurs noms, et Numer. y corresp. / [H] Adonai. Malchut, le regne. / [H] Iehouah. Thipheret, beauté. / [H] Cheter. Le mediateur. Les 3. principes. / La matiere. Le patient. / La forme. l'Agent. / l'Idee. l'Informant, ou Moteur. Leurs similitudes par un sceau ou cachet. / La cire, ou autre telle estoffe. / La figure y emprainte. / Le moulle creux, ou de relief, qui la marque. Leurs 3. sciences. Leurs 3. correspond. / La Chimie. l'Art. / La magie. La nature. / La Cabale. l'Intelligence. Les 3. Operateurs. / l'Homme, ou le Microcosme. / Le Messihe, ou Ame du monde. / Elohim, ou l'Esprit sainct. Leurs 3. moiens, ou instrumens. / le feu Elementaire. / Le Soleil. / Le feu divin, que s'aparut au buisson ardent. Les trois parties du Microcosme. / Le corps. Le sens. Ishac. / l'Ame. Le Jugement. Jacob. / Le Nesamah ou mens, l'intellect. Abraham. Les trois manieres de ce corps. / Le Materiel. l'animal. / Le spirituel. Le rationel. / Le glorifié. l'Intellectuel. Les trois substances du suject philosophal. / l'Esprit setend. {festend} / l'eau vive, ou seche. / le corps parfaict subtilié. Le corps parfaict en ses 3. dispositions. / l'or, en sa nature. / Son esprit, ou Quint-essence. / Son ame, ou teinture multiplicative.
<f 31r>   COMME doncques l'homme soit une mesure, et type de toutes choses; et la raison la principale partie de son ame, dont elle constitue la difference; la parole comme une fille de la raison, et l'escriture soeur muette de la parole, il s'ensuit de là que l'homme n'a rien de plus excellent ny d'exquis emanant de luy, que la parole et l'escriture, comme les deux actions qui approchent le plus de ce qui l'esloigne et faict differer des bestes brutes. Et sont ces deux parties en luy, à guise de deux beaux grands coursiers eslez ou Pegases attelez à un char triomphal; non pour le promener sur la terre, ou le rouller sur la larg'estendue de la marine, comme Neptune fait le sien dans le 13. de l'Iliade; ains pour l'eslever à travers les nues en l'air, au temple de l'immortalité.
Comparaison du parler et de l'escriture.
Car encore que les faicts obtiennent la precedance devant les dicts, et les escrits; n'y ayant personne qui ne deust plustost desirer d'estre Pompee ou Luculle, que Virgile, ne Tite-Live; et Achille tel comme Homere l'a celebré, que le Poëte mesme; neaumoins tous leurs beaux faicts d'armes, toutes leurs proüesses et chevaleries fussent bien tost demeurées esteintes et englouties de l'oubliance sans la parole, qui de main en main par une certaine Cabale en transmet successivement la memoire pour durer à perpetuité: mais plus encore sans l'escriture, qui faict assez mieux sans comparaison ce devoir que la parole: car ainsi que souloit dire autrefois un de noz anciens capitaines: Il n'y a si fort corps de cuirasse, fust-il mesme à toutes espreuves, <f 31v> que la bien affilée plume d'un bon autheur ne transperse legierement. Cela s'est peu apercevoir és orateurs Demades et Hortense, mis en parangon avec Demosthene et Ciceron; car les deux premiers l'un Grec et l'autre Latin, bien que tres-eloquents et faconds sur tous les autres et d'auparavant et d'apres, n'ayans neantmoins rien laissé d'escrit, n'ont pas eu telle ne si durable vogue de renommée envers la posterité, que les deux autres; dont la memoire de leurs divins oeuvres ne pourra jamais deperir, ains par une si longue suitte de siecles a resplandy sans s'offusquer, et faict encore plus que jamais, ainsi que deux claires estoilles, par tous les cantons de la terre: de sorte que la gloire qui se procree et acquiert du bien dire, peut bien de vray estre plus prompte et hastive; et plus plausible de plainsant, comme estant secondee de la vivacité de la voix, et de la grace de l'action, qui ont plus de force que les choses muettes, selon que l'orateur Eschine le demonstroit à ceux qui lisoient les deux oraisons de la courone prononcees de luy et de Demosthene; mais celle des escris est bien de plus longue duree en recompence, à l'imitation des arbres et plantes, et de la fortune des hommes, voire de la condition de toutes les choses humaines, dont le propre est de s'en aller ou plustost ou plus tard selon qu'elles viennent. Tellement que les lettres seules se peuvent acquerir l'immortalité sans les faicts; mais les faicts sans les lettres non: suivant ce que dict assez proprement le Poëte Italian, <f 32r> de l'escriture, que, Trahe lhuom' del sepulchro, e'n vita il serba. Si que je croy qu'il y a beaucoup de gens, pour le moins je serois bien de cest advis là, qui auroient plus cher d'estre privez de l'usage de la parole, que du plaisir de lire et escrire: attendu la consolation, et la renommée qui se peut trop mieux acquerir de ces deux, que nompas du parler; toutesfois il y a diverses considerations en faveur de l'un et de l'autre:
La loy Judaïque dictée de la bouche de Dieu, et escrite.
La loy mesme que receut Moyse au hault du mont de Sinaj de la bouche, et de la main propre du Createur, consistoit en parole et en escriture, comme nous avons des-ja dict dés l'entree de ce traicté; laquelle selon qu'alleguent les Cabalistes a cest advantage sur la parole, que beaucoup de secrets de la divinité se representent par escrit, qui ne se sçauroient exprimer de bouche; car il n'y un seul petit point ou accent au Thorah, (c'est le Pentateuque) qui n'importe quelque grand mystere: et fut escrite (ce dient-ils) expressément tout d'une suitte, sans aucune separation de mots ny de clauses, du commencement jusques à la fin, tant que le tout ne sembloit estre qu'une seule diction, si elle pouvoit estre aussi longue, à ce que le vulgaire, nonobstant que chacun l'eust devant les yeux, et la sceussent par coeur, n'en peust entendre la secrete signifiance, de peur de mespris, ains seulement ceux du conseil, ausquels Moyse en communiquoit ce qui leur estoit necessaire pour l'exercice de leurs charges, et selon que leur portee en estoit capable; en se reservant le surplus des sacre-secrets, <f 32v> mesmement de la Trinité;
Le mystere de la Trinité cogneu parfaictement de Moyse, et des autres prophetes Juifs.
que de peur d'induire les Israëlites à l'idolatrie, où ils estoient assez enclins, pour ne pouvoir comprendre ce tant haut mystere d'une pluralité de personnes en une si parfaite union, il ne leur à jamais voulu reveler qu'en paroles couvertes: trop bien en faisoit-il participant Aaron, et les septante Sanhedrin; et eux à leurs successeurs puis apres; dont seroit venu le nom de Cabale, comme qui diroit tradition receuë par l'oye, sans rien rediger par escrit: {::}
Cabale proprement reception verbale.
A quoy se conformerent du depuis les Pythagoriciens, et les Druydes, au tesmoignage de Cesar dans le 6. de ses Commentaires. Mais ces mysteres Cabalistiques procedoient de la loy escrite, et ne consistoient pas si absolument en une verbale tradition, que l'escriture n'en comprist la meilleure part; tant en la forme des caracteres, leurs points, accents, ordre, suitte, collocation, et assiette; qu'en la transmutation, commutation, et accouplemens de lettres, ce que les Hebrieux appellent Ethbas, Tmurah, et Ziruph;
Chiffres hebraiques.
le Notariacon aussi, les equivalences de nombres, et la Ghematrie; ensemble tels autres artifices et observations, dont entre tous a escrit plantureusement un Juif Espagnol appellé Rabbi Joseph Cicatilia de la ville de Salamanque, trois gros livres intitulez [H] ghinat egoz, le jardin du noyer; le premier traictant des dictions, le second des lettres, et le troisiesme des points et accents; à l'imitation dequoy sont bastis la plus part de noz chiffremens: Mais ceux des Hebrieux sont tous remplis <f 33r> de treshauts et rares mysteres de la divinité; ce qui est cause que nous ne pouvons moins que d'en toucher icy en passant quelque chose, selon que les occasions s'en presenteront à propos. Tout ainsi au reste que l'escriture est plus spirituelle que la parolle, qui tient plus du corps, car elle tombe souz le sentiment de l'oye, plus grossier et materiel que celuy de la veuë, ouquel consiste l'escriture, les chiffres comme nous avons des-ja dict sont aussi plus spirituels que nompas la commune escriture; parquoy ils se rapportent au sens mystique de la loy, caché dessouz l'escorce de la lettre. A ce propos le mesme Rabbi dessusdit au livre 1. Des portes de la lumiere;
Diference de la loy donnee de bouche et de l'escrite.
sur la diference de ces deux mots [H] Emirah, diction ou parole, qui vient du verbe [H] amar, dire ou parler; et [H] daberah, de [H] dibur, raisonner, discourir, met que le premier denote la loy donnee de bouche à Moyse, qui est representée par le nom divin [H] Adonai; et l'autre assavoir la prolation (daberah) comme quand on trouve en l'escriture [H] medhaber, il a parlé, (Dieu faut entendre) signifie la loy escrite, denotee par le sacre-sainct tetragrammaton [H]: Au demeurant, que la loy escrite comme plus spirituelle et mysterieuse, est expliquée par la loy donnee de bouche, qui est le temple et tabernacle de la loy escrite, tout ainsi que ADONAI l'est de l'ineffable Quadrilettre: et comme il n'y aye point d'autre accez pour arriver à ce sacré nom que souz la conduite et addresse de celuy d' ADONAI, lequel puise toutes <f 33v> ses benedictions et effects d'iceluy; aussi n'y a-il autre voye pour s'introduire és mysteres de la loy escrite, que par celle qui fut donnee de bouche. De cecy donques nous aprenons, que comme le tetragrammaton IAHVE ou IEHOVAH, selon qu'on le profere plus communement, est bien plus sublime qu' ADONAI ou seigneur; et la loy escrite que celle qui fut dictee de bouche, qui n'est qu'une escorce ou escaille de l'autre; en semblable l'escriture doit aussi estre plus excellente que la parole; qu'Aristote et ses sectateurs dient n'estre autre chose en l'homme qu'un rheuma logôn, un coulant ruisseau de raisonnemens; dont la source est la dianoia ou discours mental; et le ruisseau qui decourt de ceste fontaine, la parole, laquelle convient avecques DIEU, source de la raison en nous. Et tout ainsi qu'il n'y a point d'eau au canal, et en la piscine qui s'en procree, qui ne procede de la fontaine, aussi ne sort-il point de parole dehors, qui n'ait premiêr esté conceüe interieurement en l'ame; de laquelle parole les mots sont les signacles et notes, comme les lettres le sont des mots. Surquoy le philosophe Ammonius dict, que les lettres ne font qu'exprimer et enoncier seulement, et les choses ne sont qu'enonciees; mais les paroles et intellections expriment et sont exprimees; les paroles, une fois sans plus, bien qu'en deux sortes; Premierement lors que la raison se coulle et distille en la langue, puis quand la langue vient à battre l'air, le son en passe à l'intellection et oye, et de là les choses <f 34r> qu'elles representent penetrent par l'oreille à l'entendement, où elles s'attachent, et s'y impriment. Au contraire les intellections des choses sont exprimées doublement; assavoir par la parole, et par l'escriture; mais elles n'expriment qu'une seule fois, soit par la vive voix, soit par l'escriture muette de soy; laquelle varieté nous demonstre la nature de noz paroles, entant qu'elles communiquent partie avec l'esprit, et partie avecques le corps: tellement qu'elles nous preparent un accez et entre-moien de nous avoisiner de Dieu: Et cela cause la vertu qui se retrouve en certains mots et caracteres.
Chiffres non seulement d'escriture, mais de paroles, et de gestes.
  AU SURPLUS {SURPSUS} il y a des chiffres de certains langages forgez à plaisir, aussi bien que de l'escriture, ainsi que le jargon des Gueuz et Bohemiens, et autres semblables; dont j'ay veu autrefois un gros dictionaire imprimé à Venize, si ample et complect, qu'il n'y a rien quelconque qui ne s'y peust dire et escrire, bien plus distinctement qu'en Genevois, Breton bretonnant, ou en Basque; ny paraventure qu'en Escossois. Il y a outreplus des chiffres qui {qui qui} sont comme moiens entre la parole et l'escriture, d'autant, qu'ils sont muets comme elle: et quant et quant ny plus ny moins que la parole attachez et joincts avec la personne; qui s'en exprime par gestes de doigts, mines et guignemens des yeux, levres, etc. comme nous avons touché cy dessus: tellement qu'ils sont presque d'infinies sortes, à guise des notes et abbreviations Ciceroniennes; car <f 34v> chacun s'en forge à sa fantasie, tout ainsi que des alphabets, avecques ses cointelligens qui d'une façon qui d'une autre plus ou moins artificielles et ingenieuses, selon la dexterité de leur esprit, ou qu'ils arrivent à en estre instruits par les autres.
Chiffres communs peu subtils et mal-seurs.
Mais la pluspart de ceux dont j'ay veu user és cours des princes, consistent seulement en une multiplication de caracteres faicts à plaisir; estimans que pour estre bizarres, incogneuz, et en grand nombre, le sens qui y est contenu ne pourra estre descouvert sans la communication de l'alphabet; car les voyelles, par ce qu'elles sont plus frequentes que les autres lettres, y sont triplees et quadruplees voire plus; et le reste à l'equipolent; avec des doubles, des nulles, et tout plein de notes à part, qui designent chacune un mot; comme Empereur, Roy, armes, vivres, Galleres, et autres semblables: Nonobstant tout celà neaumoins l'industrieuse et vive conjecture des hommes ne laisse d'en venir à bout, et penetrer dans le secret; bien qu'avec un travail extreme d'esprit, et un rompement inestimable de teste. Car je me resouviens d'avoir veu en mes jeunes ans, estant nourry {nuorry} avec le general Bayard, premier secretaire d'estat du grand Roy François, feu monsieur de la Bourdaiziere ayeul de ceux qui vivent pour le jourd'huy, avoir souvente-fois dechiffré, sans l'alphabet faut-il entendre, plusieurs depesches intercettes, en Espagnol, Italian, Allemand, ores qu'il n'y entendist rien, ou bien peu, avec une patience <f 35r> de trois sepmaines à y travailler continuellement jour et nuit, premier qu'en pouvoir tirer un seul mot: ceste premiere breche faicte aussi, tout le reste vient bien tost apres, tout ainsi qu'en un desmolissement de murailles. Mais plus excellemment beaucoup, le grand vicaire de sainct Pierre à Rome, Patriarche de Jerusalem, qui onques n'eut son pair en cecy; car en moins de six heures, par le moien de ses belles reigles, la vivacité de son esprit, et sa longue practique et usage en telles choses, l'an 1567. Je luy viz dechiffrer une grand fueille de papier en langue Turquesque, où il n'entendoit pas quatre mots, et si il y avoit plus de sept ou huict vingts caracteres tous differends. Comment c'est que celà se fait, il y a certains secrets et maximes pour y parvenir; comme de la frequence des lettres selon leurs degrez; de leurs suittes et concomitances; avec autres telles industrieuses considerations et ruzes, qui ont je ne sçay quoy de commun avec les anagrammes et noms renversez; enquoy les uns sont plus heureux que les autres. Et de fait toute l'escriture tant la commune que la chiffree, n'est guere autre chose que des anagrammes, attendu le peu de lettres dont par leurs diverses transpositions et assemblemens se peuvent exprimer tant de divers sens jusqu'en infiny; reduittes premierement en syllabes, puis les syllabes en dictions; et ces dictions en fin tissues en clauses, et complecte oraison. Les dexteritez donques, et conjectures dessusdites de l'esprit humain, le conduisent <f 35v> finablement en ces chiffres grossiers, à les descouvrir: Au moien dequoy il a esté besoing d'en chercher d'autres plus ingenieux et plus seurs; plus indissolubles et desrobbez; et quant et quant moins difficiles à manier; parce qu'és autres on est ordinairement en danger, ou de perdre son chiffre, ou qu'il soit livré et trahy aux adversaires, par celuy à qui on le commet et s'en fie.
Chiffres plus exquis que ceux dont on use és cours des Princes.
Et pourtant, laissant là toutes ces forests inutiles de caracteres multipliez sans propos, j'en ameneray icy de plus rares et plus subtils; et dont il est non que malaisé, mais impossible d'en venir à bout, quand bien mesme l'on en auroit mille et mille fois l'alphabet: lequel outre-plus ne se peult jamais perdre ny esgarer, qu'il ne demeure tousjours empraint en vostre memoire, pour le redresser en tous lieux par coeur, et à toutes heures que vou-vous en voudrez servir; sans qu'il soit besoin de le charier autrement avec vous, qu'en vostre pensee; ne qu'il puisse estre communiqué à personne, qui s'en peust servir sans vostre cointelligence et consentement. Car un mesme alphabet peult servir à tous les vivants de la terre, et en tous langages, qui pour cela ne pourront rien comprendre ny desvelopper des intentions les uns des autres, s'ils ne s'entr'entendent: Toutes choses qui de primeface sembleroient non moins estranges et incroyables que les promesses de l'Abbé Tritheme; et neantmoins apres en avoir sceu l'artifice, ce n'est par maniere de dire que jeu. Car tout gist és clefs, qui se peuvent infiniment <f 36r> varier, demeurans renfermees secrettement dans la pensee des consachans; et le chiffre où elles s'appliquent, tout ainsi qu'en une serrure dont à tous propos on changeroit les gardes, tousjours un mesme: lequel n'est basty que de nos communs caracteres si l'on ne veult; qui se transportent et changent les uns pour les autres d'infinies sortes par une revolution circulaire, ainsi que les Ziruph des Hebrieux, representez dans le livre de la formation qu'on attribue au patriarche Abraham; mais plus droictement à Rabbi Akiba, ce grand Talmudiste, qui pour avoir voulu opiniastrement adherer à deux faulx Messihes nommez Barcozbas ou fils de mensonge, fut avec le dernier, pris finablement dans Bizerte par l'Empereur Adrian, et martyrisé tres-cruellement; assavoir escorché tout vif par esguillettes, et puis bruslé à petit feu, avec quarante autres seditieux, et innumerable nombre de Juifs mis à mort, quelques six vingts ans apres la nativité de nostre Sauveur; ausquels encore jusqu'aujourd'huy on celebre és synagogues un solemnel anniversaire et un jeusne, le cinquiesme jour de la lune du mois de Tisri, qui respond à nostre Septembre.
  PREMIEREMENT donques je mettray le chiffre, que j'attribue quant à moy à un certain Belasio de la suitte du Cardinal de Carpi, pour avoir esté le premier de tous ceux dont j'ay eu cognoissance, qui le practiqua et mit en avant l'an 1549. que je fuz à Rome la premiere fois: Car le livre cy devant allegué <f 36v> de Baptiste Porte, auquel il a inseré ce chiffre sans faire mention dont il le tenoit, ne sortit en lumiere que l'an 1563. Et si il le doibt avoir anticipé de quatre ou cinq ans, parce qu'il ne fut en vente que l'an 1568. Aussi le grand Vicaire de sainct Pierre cy dessus allegué, qui l'enrichit depuis de tout plein d'usages, dependans neaumoins du premier fondement, en deferoit l'invention à iceluy Belasio quant aux clefs; car pour le regard des commutations elles ont esté de tout temps, ainsi qu'il a esté dit cy devant; et mesmes il y en a force tables en la Polygraphie de Tritheme, mais non gueres bien practiquees. Et pourautant que ces clefs si elles consistent de plusieurs mots tout de suitte, comme la plus-part font qui prennent des carmes entiers de Virgile, et autres Poëtes, sont un peu facheuses, et subjettes à s'y traverser, qui est une mort pour le dechiffreur, j'y ay, de mon invention puis-je dire, amené l'artifice de faire dependre toutes les lettres l'une de l'autre, ainsi que par enchaisnement, ou liaison de maçonnerie; et ce par leur collocation et suivances, selon que vous pourrez veoir cy apres. Ceste table au reste, soit à Belasio, soit à Baptiste Porte qu'on la vueille attribuer, n'est toutesfois à parler au vray, de l'un ny de l'autre, ains contretiree sur les Ziruph du Jezirah, de 22. lettres pareillement, combien qu'on se puisse passer de vingt, pour en faire un chiffre carré; et de moins encore; afin de mesnager les autres pour servir de nulles, et d'un sens secret reservé à part; ce qui n'a <f 37r> esté jusques icy observé de nul, dont on en ayt peu avoir cognoissance.
  OR en tous ces changemens et transpositions de lettres communes, il ne se trouve point de sens en appert avant que d'en lever le masque, c'est à dire les remettre en leur deuë assiette suitte et valeur, nomplus qu'en des caracteres faits à plaisir; mais on les prend pour estre plus en main, et aisees à figurer: Trop bien seroit-ce le meilleur qu'il y en eust, pour oster toute soupçon de chiffre, qui est le souverain but de cest artifice, auquel plusieurs ont aspiré, la plus-part d'iceux sans effect, comme il se dira vers la fin.
Tous les chiffres Hebraïques ont double sens, l'un appert et l'autre caché.
Mais ce n'est pas ainsi des chiffres Hebrieux, qui jamais ne sortent de leurs caracteres; et si il y a tousjours quelque sens de grand mystere et importance; pour raison qu'ils tiennent leurdits caracteres estre divins, et formez de la propre main de Dieu mesme; Scriptura quoque Dei erat sculpta in tabulis, en Exode 32. Et ce avant la creation du monde, comme met Rabbi Moyse Egyptien au 65. cha. du premier livre de son directeur, apres le Talmud au livre de Pesah seni pasque seconde;
Les figures des lettres Hebraïques ont signifiance.
esquels caracteres il n'y a rien de frivole ny d'oisif, et sans quelque occulte signifiance en leurs figures, assemblemens, separations, tortuositez, directions, defaillances, surcrez, grandeur, petitesse, conformité de similitude, tiltres, accents, coronemens, cloison, ouverture, suitte, valeur, et disposition. Et pource que les Hebrieux n'ont point particulierement de voyelles <f 37v> rengees en ordre de l'alphabet, parquoy il fault que les consonantes en facent l'office, selon leurs diverses assiettes et concomitances, il ne se trouve guere de suittes de lettres en ceste langue, dont il ne se puisse tirer quelque sens, de toutes les sortes qu'on les puisse renverser et tornevirer.
Les Juifs de tout temps un peuple fort particulier.
Aussi sont-ils tous carrez et sans aucunes de ces liaisons telles qu'on voit en l'escriture Syriaque, et en l'Arabesque, fort gentilles et de plaisant aspect, pour monstrer que ceste langue, ny l'escriture, ny le peuple, n'ont jamais rien eu de commun avec les autres nations, ains sont tousjours demeurez à par-eux, comme une chose separee du reste de la generation des hommes. La loy au surplus, à propos de ceste escriture, que Dieu donna à Moyse és deux tables susdites, estoit escrite toût d'une teneur, sans aucune separation de syllabes, ne de dictions; et persees à jour de costé et d'autre;
Merveilleuse escriture des dix commandemens de la loy.
Si que chacun, à ce que disent les Rabbins, y lisoit diversement à sa fantasie, à la main droicte, et à la gauche, par le devant, et à l'envers; du hault en bas, du bas en hault; Moyse s'en retenant devers luy la vraye intelligence occulte, selon que Dieu la luy avoit revelee; dont le secret consistoit, partie en la forme des caracteres, partie en la vraye et propre distinction des vocables: Ce qui ne se trouve pas de la sorte és autres langues et escritures, parquoy ces mysteres ne s'y peuvent representer bonnement; bien qu'elles en soient pas du tout <f 38r> destituees des leurs, comme Socrate le discourt dedans le Cratyle, où entre plusieurs autres particularitez il en parle ainsi: épéi pér sullabais té kai grammasin hê mimêsis tugkanéi ousa té ousias orthotaton ésê diélésthai ta soikhêa prôton, etc. Pourautant (dit-il) que l'imitation de l'essence consiste és syllabes et lettres, c'est le droit de distinguer en premier lieu les Elemens. Dont quelques-uns ont esté meuz d'en vouloir tirer l'Ethymologie, quasi Hylementa, c'est à dire materiels et importans l'essence de la chose; ainsi mesmes que le tesmoigne le Iezirah, et ses commentateurs Rabbi Isaac, Jacob Cohen, Tedacus Levi, et autres; Que les considerations de toutes choses dependent des vingt-deux lettres, qui en sont le vray fondement; car avant la creation du monde elles furent premierement extraictes des dix Sephiroths ou divines attributions; tres-simples au reste sur toutes autres simplicitez, sans aucun adjoustement de matiere, et retenues jusques à leur explication, dans le Belimah (taciturnité ou silence) de la divinité. A quoy se conforme ce que le Zoar dit, qu'Adam imposa les vrayes et propres appellations de toutes choses; composant chasque nom par des lettres qui denotent les influences des astres, destinez pour le ministere et service de la chose qu'ils representent. Lesquelles lettres sont, comme les parties du corps, et les poincts, et accents d'icelles en lieu d'esprit, et de vie; au <f 38v> moyen dequoy il ne fault pas trouver estrange si on les dit estre la facture propre du Createur, puis qu'elles sont l'un des principaux instruments de le celebrer, et magnifier en ce dessusdit Belimah ou silence; car elles sont muettes de soy et non babillardes, Si qu'elles ont beaucoup plus d'emphase que les paroles;
Recommandation du silence.
comme le tesmoigne assez ce beau traict dont use nostre Redempteur en S. Jean 8. envers les Scribes et Pharisiens, qu'il confond et estonne plus en leur escrivant je ne sçay quoy du bout du doigt dedans la pouldre, qu'il n'eust paraventure fait verballement avec des blasmes et reproches. Aussi est ce silence fort recommandé en maints endroits de l'escriture; In silentio et spe erit fortitudo vestra, Isaie 30. Et és lamentations de Jeremie 3. Bonum est praestolari cum silentio salutare domini. Ce qui est cause que la Sauveur en sainct Luc 10. envoiant ses disciples cueillir la moisson spirituelle, leur deffend de saluer personne en la voye, afin d'eviter toute distraction et empeschement: Ce qu'auparavant avoit aussi enjoint le prophete Elizee à son garçon Giezi, lors qu'il le depescha pour aller resusciter l'enfant de la Sunamite, 4. des Rois, 4. Si occurrerit tibi homo, non salutes eum. Car le silence esleve plus nostre coeur à Dieu que la parole: Et pourtant Judith estant sur le poinct d'executer ce grand et hazardeux exploict sur Holoferne, pour le salut et conservation de sa Patrie, fait, en son histoire 13. sa priere à Dieu, cum lachrimis et labiorum motu in silentio: <f 39r> Par ce qu'il aime mieux estre prié, honoré, et remercié de coeur, que des levres à bouche ouverte: Tibi silentium laus, met le pseaume 65. Et Trismegiste à Tatius, Quand tu seras parvenu à la cognoissance sublime, louë Dieu tacitement en silence. Et de faict il est tresconvenable és lieux d'enhaut, comme le marque S. Denis au 4. des noms divins, definissant l'Ange; où entre autres particularitez il lui attribue; Que c'est luy qui rend manifeste la bonté et perfection du silence, laquelle est és occultes cachettes de Dieu. Ce qui convient avec l'explication du Zohar sur ce lieu du 14. d'Exode, où Dieu dit à Moyse, Pourquoy cries-tu à moy de la sorte ? encore qu'il soit à croire qu'il parlast tout bas à par soy, voire en sa pensée; tant seulement; car ce mot de [H] sans [H] Vau avec lequel il s'escrit ordinairement, signifie voix destituee de son et de bruit, et qui est de la seule intention du coeur: laquelle voix ainsi basse et taisible, selon Rabbi Eliezer est la plus efficace de toutes; Voire bien plus que celle qui est accompagnee de clameur, à cause que l'elevation de la pensee y est plus forte et attentive; si que beaucoup d'adjurations se font en murmurant tout bas. Et le Sauveur mesme en sainct Jean 4. Veri adoratores (dit-il) adorabunt patrem in spiritu et veritate: et l'Apostre en la 1. aux Corinthiens 14. psallam spiritu, psallam et mente.
Trois choses requises és prieres qu'on fait à Dieu.
Toutes-fois le Zohar adjouste que trois choses sont requises pour obtenir l'effect et benediction de noz prieres; assavoir la pensee, l'intention, et la parole; la pensee, par ce que l'oraison ne doit estre inconsiderément <f 39v> et à la volee de tout ce qui nous pourroit venir à la fantasie et en volonté; car celuy qui prie doit bien sçavoir ce qu'il demande, ainsi que le deduit fort bien Socrate dans le second Alcibiade; là où il dict, que les prieres temeraires sont vrays blasphemes: ce qui se conforme à ce que le Sauveur dict en sainct Matthieu 20. des enfans de Zebedee; Nescitis quid petatis. L'intention, parce que la requeste qu'on faict à Dieu, doit estre dirigee à quelque fin qui soit raisonnable et legitime. La parole, pour autant que celuy qui prie doit exprimer ce qu'il desire d'obtenir: mais ceste parole peut estre de deux manieres, l'une mentale et du tout taisible, qui pour le regard de Dieu est suffisante, attendu que c'est luy seul, qui scrutatur renes et corda, pseaume 7. Et l'autre est une vocale expression de ses interieurs projets, necessaire à l'endroit des Anges, qui ont la charge de luy presenter noz prieres; et ils ne peuvent pas cognoistre le secret de noz coeurs sans paroles qui les expriment, ou que Dieu ne les leur revele. Le mesme touche pareillement Proclus: que ceux qui se veulent prevalloir d'une oraison, où le nom de Dieu soit invoqué en termes exprés, doivent aussi avoir trois choses: la cognoissance de ce nom, dont la signification soit appropriee à la demande; suivant le psalmiste 91. Protegam eum, quoniam cognouit nomen meum: Car encore que le vray nom de Dieu ne soit qu'un seul, cogneu tant seulement du Fils, neantmoins l'escriture luy en attribue plusieurs selon <f 40r> la diversité des effects; tellement que Moyse, (és nombres 20.) poiur avoir voulu employer celuy d' Elohim, qui est de severité et de rigoureuse justice; Dieu n'operant jamais rien par ce nom là sans la punition de quelqu'un; en frappant de sa verge la pierre pour avoir de l'eau, en lieu de dire gracieusement qu'elle en jettast hors, par le nom de grace et de misericorde, EL, suivant ce que Dieu luy avoit ordonné; il ne peut onques obtenir pardon de ceste offense; ains furent luy et son frere Aaron privez d'introduire les Israëlites en la terre de promission. Le second point de la priere est l'affinité et convenance que doit avoir le requerant avec l'invoqué, suivant ce que met l'Apostre en la premiere aux Corinthiens 13. Nemo potest dicere Dominus IESVS nisi in spiritu sancto. Et le troisiesme est l'union; car les membres ne peuvent obtenir aucun benefice du chef, s'ils ne sont uniz avec luy. Toutes lesquelles choses dessusdictes, et autres semblables contenues encore plus particulierement au Zohar, ont esté par nous alleguees sur le propos de la parole et de l'escriture laquelle se conforme au silence, et est de plus grand force que la parole. A l'imitation dequoi le grand Roy FRANÇOIS bastit les beaux vers subsequents sur le tombeau de Madame Laure, favorite en son vivant du poëte Petrarque; et tant celebrée de luy;
  O divine ame estant si estimee,
  Qui te pourra loüer qu'en se taisant ?
  Car la parole est tousjours supprimee;
 
<f 40v> Quand le suject surmonte le disant.
  MAIS à quel propos ceste soubs digression encore de ce tant valeureux et magnagnime Prince ? afin de raviver tousjours en passant quelque estincelle de sa tres-heureuse recommendation et memoire; pour avoir en ses jours restauré les arts, sciences et bonnes lettres, lors ensevelies de treslongue main; et banny l'ignorance et la barbarie non tant seulement de son peuple, mais de toute la chrestienté aussi;
  -- Quíque per artes
  Fluctibus è tantis vitam, tantísque tenebris;
  In tam tranquilla, et tam clara luce locauit;
comme dit le Poëte Lucrece: Et ce, entre autres choses, par l'introduction des lecteurs publiques; l'une des plus grandes commoditez et secours que les estudes puissent avoir, voire comme une vraye pepiniere et seminaire des bonnes lettres: enquoy deux ou trois mille escus qu'il peut avoir employé tous les ans, durant la moitié seulement de son regne, car il en avoit des-ja bien commandé quinze, lors qu'il entreprit ce bon oeuvre, luy ont plus acquis d'honneur et de gloire, de louange, de graces, remerciemens, et de bien-vueillance engravée au fonds du coeur d'infinis excellens personnages, que cent millions de millions d'or, si autant s'en pouvoit recouvrer, qu'il eust peu despendre apres des guerres et conquestes plus memorables que celles d'Alexandre le grand, de Pompee, ny Julles Cesar: Plus que tous les insolents edifices des Roys d'Egypte; ny que toutes <f 41r> les ambitieuses distributions des Empereurs Romains, en la plus florissante vogue de leur Monarchie. Que puisse ceste bien-heureuse ame qui nous a esté cause d'une telle benediction, la plus grande apres la grace de Dieu que l'homme sçauroit souhaitter en ce monde, joyr à jamais du repos et felicité eternelle là haut au ciel; et icy bas d'une memoire et reputation pardurable.
  CE GRAND ROY donques fut le restaurateur et pere des lettres envers son peuple; et comme un autre Apollon au milieu de la sacree trouppe des Muses sur le mont Heliconien. Mais j'en changeray icy la signifiance avec le propos; et les prendray pour les caracteres de l'escriture Hebraique; vingt deux en nombre, dont il y en a cinq de redoublez pour mettre à la fin des vocables, et par ce moien accomplir le nombre de vingt sept; cube du sacré terneraire, ouquel Platon s'estudie de demonstrer dans son Timee, que le monde a esté creé; comme tenant lieu du masle, de l'agent, et de la forme; avec le huit, le cube d'autre part du binaire ou du deux, qui represente la femelle, le patient, et la matiere: Enquoy, comme en tout le reste de sa doctrine, il s'est conformé aux traditions Mosaiques, touchant mesme ce nombre de 27. car le semblable se trouve dans le livre de Jezirah, et celuy du Zohar bien au long;
Grands mysteres contenus és lettres Hebraïques.
où il est expressement dict, que le monde fut fabriqué par les 22. lettres de l'alphabet; dont il y en a trois qui conviennent aux trois Elemens, ainsi que nous deduirons plus <f 41v> à plain cy apres; douze avec les 12. signes du Zodiaque; et sept avec les 7. estoilles erratiques au monde celeste; comme les trois autres en l'Elementaire. Et se prononçent ces lettres de deux façons; ou par une prolation lasche et remise, ou par une esclatante et aiguë; lors qu'elles representent les Planetes estans en leurs vrays et à eux appropriez domiciles; et la relaschee et doulce quand ils se trouvent és autres maisons, comme les appellent les Astrologues; car leurs vertus et effets sont là moindres et plus debiles. Toutes ces lettres au surplus representent les parties materieles des composez, par ce qu'elles sont muettes de soy, et comme mortes, sans aucune prolation, qui tient lieu de vie; tout ainsi que seroient les pieces de quelque corps mort; jusqu'à ce que les points servans de voyelles leur soient apposez, qui leur donnent comme une vie, et mouvement. Mais cela pourtant n'est pas du tout amené à sa complecte perfection, premier que de recevoir les accents, lesquels leur sont en lieu de formes operatives, correspondantes aux mouvemens et influences superieures: De maniere que qui sçait deüement prononcer le langage Hebrieu, et garder es quantitez et accents comme il faut, represente par là toute l'harmonie celeste, et la supramondaine encore; ce qui ne peut pas arriver és autres langues et escritures, qui sont privees de ces mysteres. Cela est cause qu'en beaucoup d'endroits, et mesmes en nostre religion, nous gardons encore quelques mots Hebrieux, comme de plus grande <f 42r> vertu et emphase: Et Orphee defend par exprez qu'en l'operation des merveilles on n'aye point à les changer.
Rapport des lettres de l'alphabet Hebraïque, aux choses creées.
Par les lettres donques sont representees toutes les parties des composez, et sont comme la matiere d'iceux: par les points, toutes les sortes des formes qui les vivifient: et par les accents, toutes les deues operations de la matiere et de la forme jointes ensemble à la constitution d'un corps, correspondantes à leurs principes celestes, et à leurs divines Idees: desquels trois viennent à estre produites non seulement les especes des choses, mais les individuz mesme d'icelles. Et ont esté les Cabalistes si speculatifs, paraventure trop curieux, entant que la conjecture de l'esprit humain s'est peu estendre, de penser par les divers assemblemens des lettres, atteindre à sçavoir le nombre des choses creées; qui se pourroit bien supputer, mais nompas proferer, ny presque comprendre, fors de celuy qui sçait le compte des estoilles, et leur donne à toutes des noms; des poils estans en nostre teste, et tout le reste de la personne; des grains de sablon; et goutes de pluye: Car de la diversité des Ziruphs, ou accouplemens, et suittes de lettres, sans aucun meslange de points, vient à resulter un nombre, qui est autant comme infiny pour nostre regard; assavoir 112400259082719680000. Que si l'on y veut adjouster les points, le nombre ne se pourroit pas exprimer, ny concevoir presque de nous; combien qu'Archimede en son traicté de l'Arene se soit ingeré de trouver une maniere de compter <f 42v> qui va jusques en infiny: mais cela est reservé au seul Dieu, et passe l'apprehension de ses creatures: duquel comme de l'Archetype et premier patron ouquel consistent les supremes et premieres sources, procedent secondairement les ruisseaux ou canaux, comme les nomment les Cabalistes, coulans en bas; et les primordiaux fondemens de toutes choses, denotez par les quatre lettres du grand nom ineffable [H], qui representent les quatre Elemens: Et de là resulte finablement toute la diverse multitude des individus, causee de la varieté de ces premieres et secondes influxions et decoulemens en tout ce qui a esté produit et se produira jusques à la consommation du siecle: lesquelles influxions susdites sont representees envers les Hebrieux par les lettres de leur alphabet, qui contiennent toutes sortes de proportions numerales; et à l'endroit des Pythagoriciens et Platoniciens par les nombres; le tout neantmoins tendant à un mesme but et effect.
Distinction des nombres.
Mais il ne faut pas entendre ces nombres-là estre les vocaux ou vulgaires, dont nous comptons communément; ny pour le regard des caracteres ou lettres, celles de l'escriture nomplus; ains ce qui est representé par les nombres formels ou celestes, et les rationnels ou divins: Car rien ne se peut exprimer, ny de parole ny par escrit, qui n'aye Estre; parce que de ce qui n'est point, il n'y a point aussi de mots: et pourtant tout caractere qui exprime, correspond à la chose qui en est exprimee; et tout nombre pareillement à ce qui est nombré d'icelui, et aux choses qui sont distinguees <f 43r> en les nombrant: qui est à peu-pres ce que veut inferer le philosophe és metaphysiques; Species se habent sicut numeri, in quibus vno variato, mutatur species; Nam si ternario addatur vnus, sit quaternarius; et sic de aliis. Tout cecy traicte le Zohar bien au long: ce qui convient du tout à ce mot de Chiffres, qui signifie tant les nombres que l'occulte escriture: et par ce moien non hors de propos, ains tresconvenant à nostre principal subject.
Considerations admirables touchant les lettres Hebraïques; et l'escriture qui en est formee.
Poursuivant lequel nous disons, que ces 22. caracteres de lettres selon ce que dessus, sont les Idees de toutes les creatures formees, et à former: Car ainsi comme toutes choses se cognoissent par leur droite appellation, laquelle ne nous peult estre representee que par la parole ou l'escriture, dont la peinture et sculture avec tels autres arts qu'on appelle imitatrices, sont {son} comme une branche et dependance; par consequent outre ce que l'escriture est plus spirituelle que la parole, et les mots escrits plus pregnans pour nous manifester l'essence de la chose qu'ils representent, que les proferez de vive voix, d'autant qu'on y insiste plus; il y a tout plein de mysteres à considerer à loisir en la figure des caracteres, que les paroles qui passent viste comme une flesche bien empennee, dont Homere les auroit appellees épéa pléroénta, ne nous permettent pas d'observer si exactement; et ne le pourrions en sorte quelconque sans le moien de l'Escriture; si qu'il n'y a rien de plus propre pour demonstrer l'ordre de la composition des substances. Car tout ainsi que les <f 43v> elementaires individuz, consistent primitivement des qualitez simples, chauld, froid, sec, humide; lesquelles accouplees deux à deux ensemble constituent un Element, feu, eau, terre ou air: et deux Elemens associez, l'une des quatre substances Chimiques, sel, mercure, soulphre, verre; qu'Hermes appelle les grands Elemens; Raymond Lulle, et autres modernes, les elemens redoublez: et ces quatre substances ensemble finablement le composé, tant mineral, vegetal, qu'animal: En semblable des poincts et lignes se forment les lettres; des lettres puisapres les syllabes; des syllabes les mots et dictions; et des dictions l'oraison complecte; qui se resoult tout ainsi qu'un corps par la separation de ses parties, et substances, jusqu'à retourner en ses premiers et plus simples Elemens et principes. Tout cecy à encore une fort belle analogie et proportion non à outrepasser soubs silence, envers la disposition d'un estat; les lettres singulieres et à par soy representans comme le populasse et l'ordre des artisans, et laboureurs, qui vivent au jour la journee du travail de leurs bras; les syllabes, les bourgeois qui ont desja quelques facultez et moyens; les dictions, la noblesse et les principaux et plus apparents citoiens; les clauses, les Princes et grands seigneurs; et finablement l'oeuvre complect, le souverain magistrat: Enquoy la mesme correspondence est requise de l'humilité, respect et devoir d'obeïssance des moindres envers de plus grands qu'eux: Et au reciproque de gracieuseté, doulceur, et <f 44r> bon traictement des grands aux moindres; le tout selon leurs rengs et degrez, comme on peult veoir en une escriture; dont si lon vient à changer l'ordre et contexte, tout ainsi qu'en une maçonnerie bien ordonnee, transposant les lettres, syllabes, dictions et clauses hors de leur collocation deüe, et leur suitte, le sens qui y estoit auparavant exprimé, vient à s'esvanouïr du tout, ou s'alterer en un nouveau. Ce n'est donques pas un petit mystere que des lettres et de l'escriture; et ne se fault pas esbahir si par ces deux mots se comprennent toutes les arts et sciences: lesquelles lettres estans separees, et reduittes à part seule à seule, sont comme la forme desnuee de toute matiere, mais par leurs conjonctions et accouplemens, viennent à nous representer quelque chose perceptible à nostre sens; à guise d'un oiseau qui vient à se façonner, et puis esclorre hors de la cocque; ou un vegetal qui se jecte de puissance en action hors de sa semence: Le tout à l'exemple du grand et premier exemplaire, lequel en sa propre essence et substance qui sont en luy une mesme chose, estant renclos dans son Ensoph ou infinitude hors du monde sensible, s'y vient à espandre par ses Sephirots ou emanations, comme les clairs rayons du Soleil à travers un gros amas de nuees, et produire audessoubs de luy les effects conceuz en sa premiere Idee ou image, qui est le verbe et le fils, la forme des formes, et l'ame de tout l'univers, comme il a esté dit cy devant de Mettatron; dont aussi bien par l'art calculatoire <f 44v> des Cabalistes, les lettres en leur valeur de nombres equipollent à celles du nom de Dieu [H] Sadai, car l'un et l'autre font 314. Les traditions desquels outre-plus portent, que l'escriture de Dieu est en la convexité exterieure de toute la machine du monde; à quoy bat ce que veult dire Rabbi Ramban Gerundense; Que par la Cabale il nous appert l'escriture avoir esté un feu obscur et caligineux, sur le doz d'un feu blanc et resplendissant à merveilles: Lequel feu obscur ou premier, assavoir l'obscurité de l'ancienne loy; Moyse Egyptien au second livre se son directeur, chap. 31. appelle tenebres, suivant (dit-il) ce qui est contenu au Deuteronome 4. Il y avoit sur le mont Oreb des tenebres, nuees espoisses, et grande obscurité; Et le Seigneur parla à vous du milieu du feu: Resumant puisapres le mesme au 5. ensuivant; Apres que vous avez oy sa voix du milieu des tenebres. Mais en Dieu les tenebres et la lumiere sont une mesme chose, comme le porte tout apertement le pseaume 139. Sicut tenebrae eius, ita et lumen eius; ce qu'a voulu imiter Mahomet en la 65. Azoare de son Alchoran; Vobis ignem clarum atque fumosum immittam: Et pour le regard du feu blanc et resplendissant, le mesme Rabbi fils de Maimon, met que le feu noir represente la terre; le rouge l'eau; le bleu l'air; et le blanc, le ciel. Au surplus l'escriture des anges, dont nous parlerons plus-amplement cy apres, est par le dedans, au creux assavoir, et concavité du ciel; à propos de ce qui est dit en l'Apocalypse chap. 5. Je vis en la main droicte de <f 45r> celuy qui estoit assis sur le throne, un livre escrit dedans et dehors, seellé de sept seeaux: Et ce qui est escrit en Exode 33. Que Moyse ne peult veoir Dieu en la face, mais par derriere tant seulement; c'est à dire par ses effects: Plus au chap. precedant; Que les deux premieres tables qui furent brisees, estoient escrites de costé et d'autre; pour representer les deux sens de la loy, l'un literal, et l'autre anagogique, cogneu de Moyse, et de ceux ausquels il en vouloit faire part; à chacun selon son degré, et capacité de l'entendement: Comme le tesmoigne mesme Gregoire Nazianzene au livre de l'estat des Evesques, parlant dudit Moyse; Qu'il receut la loy, assavoir celle qui dependoit de la lettre, pour la multitude du peuple; mais ce qui concernoit l'esprit, pour les constituez seulement dessus eux. Et au premier de la Theologie; Qu'il donna sa loy en des tables de marbre ferme et solide, gravé à jour des deux costez, pour raison du manifeste et occulte d'icelle: Celuy-là pour la pluralité du vulgaire, qui coustumierement s'arreste plus aux choses basses et caduques; Et cestui-cy pour un petit nombre de gens esleuz, qui eslevent leurs pensemens à la contemplation des choses haultes et divines, où ils parviennent finablement. Cela est touché aussi au 4. d'Esdras chap. 14. Haec in palam facies verba, et haec abscondes: A quoy se rapportent les deux especes de la Cabale; l'une de Beresit, qui verse autour des choses sensibles; et l'autre de Mercaua ou throne divin, qui est des intellectuelles, et abstraictes de la grosse matiere: Et semblablement tout le fait des Chiffres, <f 45v> qui couvrent soubs l'exterieure apparence de certains caracteres non intelligibles, un sens secret, reservé à la cognoissance de ceux qui en sçavent la practique et usage.
  DES CHIFFRES donques dont nous avons fait ceste premiere digression et saillie, la premiere table en est telle, où il y a infinis coups à ruer; dont nou-nous contenterons d'en toucher icy les principaux traicts, sur lesquels la dexterité des bons esprits en pourra forger plusieurs autres.
<f 46r> [FIGURE]
<f 46v> Premier chiffre, par une revolution circulaire de commutations d'alphabets.
  OR en premier lieu on peult bien aisément apercevoir qu'il seroit malaisé, voire presqu'impossible de mettre cest alphabet on obly; Ne qu'il peust sortir de la memoire pour imbecille qu'elle peust estre, d'un qui l'y auroit une fois imprimé et conceu, qu'il ne s'en puisse resouvenir et le redresser à toutes heures qu'il voudra: si qu'il n'est point autrement besoin de le porter avecques soy: et quant bien on l'y porteroit, voire qu'il vinst à estre divulgué par tout de la mesme sorte que vous le voyez icy exposé au public sans aucune couverture ne desguisement, pour cela neaumoins personne n'en sçauroit faire son profict, ne descouvrir l'intention d'un autre, s'il ne s'entendoit avec luy; d'autant que tout gist au secret des clefs, qui dependent des lettres capitales marquees en teste à la main gauche des alphabets: Et se peuvent ces clefs varier en autant de sortes qu'on veult, presqu'en infiny, fust-ce pour escrire une mesme chose sans sortir hors du present chiffre, toutes differentes l'une de l'autre. Il fault estre adverty au reste que le y, et le z ont esté reservez icy pour trois effects, dont je n'en ay point encore veu practiquer és chiffres qu'un seulement; les deux autres sont de nostre meditation. Le premier, pour servir de nulles; et cela est assez commun: le second pour menager un sens secret et à part, qui ne consiste pas és caracteres, mais au lieu où ils sont situez et assis, comme nous le monstrerons cy apres. Et le troisiesme <f 47r> pour faire distinction des mots, quand l'un de ces deux caracteres sera mis à la fin de chacun d'iceux; qui est un grand soulagement pour le dechiffreur, auquel ceste confusion de dictions est un inutile surcrez de travail, sans aucun fruit; car pour cela, le chiffre estant invincible de soy, ceux qui en cuideroient venir à bout sans avoir communication du secret, mesmement des clefs, n'en auront pas meilleur marché. OR prenons pour exemple ce subject cy: Les choses se preparent de tous costez pour. Mais à quel propos s'immiscer encore és affaires du monde, dont nou-nous sommes si esloignez et banniz de tant longuemain ? Certes il est trop plus expedient pour nous, de se retenir en noz solitaires exercices de l'ame, puis qu'aussi bien n'attendons nous plus sinon l'heure de la rendre à celuy qui nous l*a donnee: Parquoy prenons plustost à la bonne heure cest autre icy, conforme à nostre vacation;
  Au nom de l'eternel soit mon commencement,
  Qui est de tout principe, et parachevement.
Mais d'autre part quel besoin est il d'escrire en chiffre, comme une chose recelée qu'on veut couvrir, ce que chacun doit avoir tout ouvertement au front, és yeux, bouche et mains; et brief en tous ses projets, actions, faicts et dicts ? Ce qui est vray; mais d'autant qu'il le faut auparavant avoir empraint en secret silence dans le fonds du coeur et de l'ame; et que l'escriture est plus mentale que la parole qui tient plus du corps; <f 47v> et les chiffres plus spirituels que la commune forme d'escrire, il n'est point aussi inconvenient de prendre de tels sujects en iceux, nomplus que quand on donne des exemples aux jeunes enfans, de quelques belles sentences et dits moraux, pour les accoustumer tousjours d'autant à vertu, et les emboire de bonnes moeurs. Davantage, par l'escriture vulgaire comme il sera dit cy apres, une mesme chose ne se pouvant escrire que d'une sorte, là ou presque d'infinies en chiffre, par les diverses transpositions, commutations, et figures de caracteres, tout cela estant libre; et l'autre asservie, Dieu y pourra estre plus convenamment exprimé; lequel demonstre en ses ouvrages de se delecter de la varieté et diversité des choses, selon le dire du Poete Italian, E per questo variar natura è bella; ainsi qu'on peut appercevoir en tant de beaux chefs d'oeuvre de la nature tous differends, qui procedent de la diverse proportion des meslanges de quatre substances elementaires sans plus, à guise de la diverse mixtion et suitte des lettres, dont se forment tant de dictions: et en l'infinitude des estoilles, qui ont neantmoins toutes leur nom, et leurs effects à part; comme aussi ses administratoires esprits excedans en nombre les estoilles, et tous les humains qui furent onques, sont, et seront, d'autant que le monde intelligible surpasse la concavité des cieux; et ceste vaste concavité celeste, le petit globe de la terre. PRENONS donques qu'on vueille representer le sujet susdit par le moien de ceste table; et que la clef du chiffre soit, <f 48r> Le jour obscur; et la nuict claire: mais partons là en deux, pour faire voir la difference qu'il y aura, ne se servant que de la moitié en ce premier; ouquel vous procederez en la sorte. Cherchez en la colonne des capitales, la lettre L, qui est la premiere de nostre clef, et voyez quelle lettre respond en son alphabet à celle de A, la premiere aussi du sujet; ce sera S. Poursuivez ainsi de lettre en lettre tant que la clef se pourra estendre; Puis estant au bout vous la reitererez de nouveau: u de e, donne a: n de i, f: o de o, h: m de u, l: d de r, s: e de o, u: l de b, x: e de s, s: t de c, i: e de u, r: r de r c: n l de f: e de e, o: l de i, r: s de o, c: o de u, b: i de r, n: t de o d: m de b, a: o de s, l: n de c, c: c de u, p: o de r, l: m de l, e: m de e, c: c de i, s: n de o, g: e de u, p: e de r, t: m de o, g: e de b, q: n de s, i: t de c, i. Adjoustez y ces quatre lettres au devant pour perdues, et ne servans de rien que pour embrouiller; d r g q; et inserez au bout de chaque mot l'une des deux gardees pour mille, assavoir y et z; pour les distinguer l'un de l'autre, vostre contexte sur ceste clef de, Le jour obscur, pour ce premier vers, au nom de l'eternel soit mon commencement, sera tel: d r g q s a y f h l z s u y x s i r c f o r z o b n d y a l c z p l e c s g p t g q i i y. Que si vous le voulez escrire par l'autre clef, la nuit claire; vous ferez de mesme, a de l, s: u de a, i: n de n g: o de u, b: m de i, e: d de t, r: e de c, p: l de l, r: e de a, q: t de i, b: e de r, t: r de e, g: n de <f 48v> l, f: e de a, q: l de n q: s de u, f: o de i, g: i de t, m: t de c, i: m de l, e: o de a, c: n de i, f: c de r, r: o de e, l: m de l, e: m de a, a: a de n, r: n de u, a: c de i, u: e de t, s: m de c, b: e de l, m: n de a, b: t de i, b. Premettez ces autres quatre lettres pour varier, car cela n'importe pas; puis qu'elles ne servent de rien f s b m; et inserez les nulles à la fin des mots comme dessus; il y aura f s b m s i y g b e z r p y r q b t g f q q z f g m i y e c f z r e e a r a u s b m b b. Voiez à ceste heure comme il differe en tout et par tout du precedant, et ce par le seul changement des clefs, sur un mesme alphabet; si que pour l'avoir ce n'est rien qui n'aura le secret des clefs; lesquelles se pouvans changer tant qu'on veut, il est impossible par consequant, que conjecture aucune pour subtile qu'elle puisse estre; ne patience et assiduité de labeur; ne ruze et usage des dechiffremens, peust jamais mordre sur cestui-cy. Quant ausdites clefs, il n'est pas possible ny necessaire nomplus d'en prescrire ne limiter aucune reigle, attendu que cela depend de la volonté de chacun, qui se les peut forger à sa fantasie d'infinies sortes.
Quelques reigles generales des clefs.
Les uns s'entredonnent certaine quantité de mots convenuz entr'eux; le premier desquels doit servir pour la premiere depesche; le second pour la seconde; et ainsi du reste: il est bien vray que tant plus longue est la clef, tant plus sera malaisé le chiffre à descouvrir; mais tant plus difficile aussi et embrouillé tant au chiffrer qu'au dechiffrer; au moien dequoy quelques-uns prennent plusieurs dictions tout de suitte, et mesmes des <f 49r> vers entiers de quelque Poëte: les autres se contentent de la dacte du mois, et du jour de la depesche; comme pourroit estre,
le quinziesme d'Octobre; et semblables: les autres y emploient le dernier mot qui precede l'escriture chiffree, ou l'une des lettres mises devant en lieu de nulles, qui leur sert de clef par mesme moien; sur laquelle ayans chiffré tout le premier mot, il pourra servir de clef au second; le second au tiers, et ainsi des autres: que s'il y a quelques intervalles d*escriture commune, ils le continuent au chiffrement qui vient puis apres; ou bien le recommancent de nouveau: ou prennent un autre chemin et addresse, selon qu'il aura esté convenu avecques leurs correspondans. D'autres poursuivent et evacuent tout l'alphabet lettre apres autre, commançant à laquelle que bon leur semble, tant que la revolution soit parachevée; et puis recommancent circulairement, qui est une grande multiplication de labeur: si que je m'arresterois {artesterois} plus volontiers à une seule lettre, dont de main en main partira successivement tout le reste, comme si elles venoient à naistre les unes des autres; et en cela l'on peut proceder doublement; ce qui se pourra mieux esclarcir et comprendre par les exemples: ou en chiffrant tousjours la subsequente par la precedente en ceste sorte sur le mesme sujet dessusdit; Au nom de l'eternel, dont la clef soit D, nous dirons; a de d, donne x: u de a, i: n de u, a: o de n, h: m de o, g: d de m, u: e de d, p: l de e, t: c de l, m: t de e, l: e de t, s: r de e, h: n de r, i: e de n, x: l de e, t. <f 49v> Tellement que par ceste voye prenant D pour clef, il y auroit d x i a h g u p t m l s h i x t. A quoi vous pouvez inserer les nulles y et z, pour la distinction des mots. Pour le dechiffrer, procedez ainsi: x de d, faict a: d de a, u: a de u, n: h de n, o: g de o, m. et ainsi du reste. L'autre maniere, plus occulte, est qu'on chiffre la subsequente de l'escriture intelligible, non sur la precedente d'icelle, mais sur celle qui est desguisee; en ceste maniere, a de d, qui est la clef dira x: u de x, h: n de h, e: o de e, e: m de e, c: d de c, o: e de o, u: l de u, m: e de m, x: t de x, g: e de g, n: r de n, a: n, de a, b: e de b, q: l de q, o. assemblez ce sera; d x h e e c o u m x g n a b q o. Pour le dechiffrer, x de d, fait a: h de x, u: e de h, n: e de e, o: c de e, m.
  MAIS tout cecy se peut practiquer aussi bien, voire trop mieux, par la table encore suivante, combien que tout revienne presqu'à un, prenant les capitales traversantes qui sont au front d'enhaut, pour le sens qu'on veut exprimer: et les perpendiculaires au costé gauche descendant en bas, au lieu de clefs. J'en ay mis icy deux rengees; l'une de noir, l'autre de rouge, pour monstrer que les alphabets tant de l'escriture, que des clefs, se peuvent transposer et changer en tant de sortes qu'on voudra; afin d'en oster la cognoissance à tous autres qu'à ses correspondans. Pour chiffrer donques les mesmes mots, au nom de l'eternel, sur la clef le jour obscur procedez ainsi: a de l'alphabet transversal marqué de rouge, se vient rencontrer avec l du perpendiculaire en la chambre de <f 50r> b: u de e, fera q: n de i, n: o de o, s: m de u, a: d de r, m: e de o, i: l de b, c: e de s, o: t de c, n: e de u, q: r de r, c: n de l, o: e de e, a: l de i, l. Somme b q n s a m i c o n q c o a l. et ainsi du reste. Ceste table de vray n'a esté ignoree de l'Abbe Tritheme, en sa Polygraphie, ny de plusieurs autres; si ont bien les beaux usages d'icelle; car il embrouille tout cela; et ceux qui se sont meslez de l'interpreter en une confusion d'orchemes, et infinité de revolutions d'alphabets, laborieux et embrouillez ce qui se peut, et avec tout cela inutiles; de fort peu d'industrie au reste, et invention; la où ceste table peut servir pour tout.
<f 50v> [FIGURE]
<f 51r>   OR sur ceste diverse varieté de chiffremens, se presente une belle consideration; qu'une mesme chose se pouvant par la voye d'iceux escrire d'infinies sortes, sans sortir des mesmes caracteres et lettres, moiennant leurs saulx et permutations; ce neaumoins quand elles sont en leur vraye signification, valeur, et assiette, selon qu'on a de coustume de les emploier, sans les desguiser ne pervertir l'une pour l'autre, il ne se peult que d'une seule: Et que doibt on donques inferer et recueillir de cela, outre ce qui depend du commun usage de l'escriture pour les traffiques et negoces du monde ? attendu que Platon tient pour un blaspheme et sacrilege d'apliquer les mathematiques à aucun usage prophane;
A quoy se doivent proprement appliquer les Mathematiques.
n'aians pas esté eslargies à l'esprit de l'homme pour les asservir à cela; car comme il met dans le Politique elles sont libres et exemptes de toute action, et destinees tant seulement à la partie contemplative pour l'eslever à la cognoissance des chose divines; qui selon le Zohar repurge nostre ame, et la rend belle; et par consequant nous aproche du souverain bien, appellé aussi Tiphereth, et des Grecs kalon, le bon et le beau; auquel elles nous servent comme d'escallier, ce dit-il au 7. de la Rep. afin de cognoistre Dieu, et l'ayant cogneu, entant que par nostre capacité et effort nou-nous esvertuons d'y parvenir, plus ou moins les uns que les autres, l'aimer de tout nostre coeur et pensee, et le reverer en ses grands merveilles qui de toutes parts se representent à nostre veuë: mesmement ce <f 51v> tant beau chef d'oeuvre du ciel, orné d'un si grand nombre de lumieres, où l'Astrologie nous semond d'addresser les yeux, comme à une introduction ou acces pour passer plus outre au monde intelligible, suivant le pseaume 19. Les cieux racomptent la gloire de Dieu; et le firmament anonce l'ouvrage de ses mains: et le Poëte nonobstant que Ethnique;
  Pronáque cùm spectent animalia caetera terram,
  Os homini sublime dedit, coelúmque videre
  Iussit, et erectos ad sydera tollere vultus.
L'arithmetique de son costé n'est pas nomplus en un mesme usage et practique envers les marchans et banquiers, pour servir à trouver leur compte, comme à l'endroit du philosophe: Ny la geometrie aussi-peu, qui ne doibt verser qu'à l'inquisition et notice du VRAY ET TOUSJOURS ESTANT, et nompas estre ravallee aux arts mecaniques, ny aux choses sensibles caduques, comme dit le mesme Platon; car elle nous destourne de là pour penser aux intelligibles et eternelles, où gist le dernier but de toute la philosophie; octroiee à l'homme pour le retirer de ce qui est transitoire, incertain, vagabond, à quoy nostre sentiment d'ordinaire s'attache le plus, comme au plus prochain de sa perception, à ce qui est veritablement, et persiste tousjours en un mesme estat. Et la musique finablement nous transporte et ravist les oreilles à ses melodieux mouvemens et accords; non pour les chatouïller d'un son delicat tendant à la volupté et plaisir sensuel, ce que Pythagoras <f 52r> blasmoit tant, ains à ce que par ses contemperees proportions nous puissions reduire les extravaguez roddemens et circuits de nos ames, quand elles s'esgarent de leur droicte routte, au vray sentier de leur devoir; et r'adresser nostre pensee à l'harmonie qui luy est propre; laquelle il fault aller chercher és choses celestes, et de là consequemment és divines: car c'est celle-là, dit Zoroastre, dont l'homme tressault tout de joye pour se sentir l'avoir en luy, comme un beau concert de musique, auquel il est admis avecques la Divinité et les anges: Mais selon Procle, soudain qu'il peche elle s'absente, si qu'il en demeure privé. Et de faict le mauvais Demon, à ce que dient les Cabalistes, perdit totalement en sa cheute, lors qu'il se revolta de l'obeïssance de son Createur, l'harmonie qui estoit en luy, c'est à dire ceste belle convenance et accord qu'il avoit au precedant en soy-mesme, envers Dieu, et toutes sortes de creatures, qui par certaines analogies de degrez et relations se correspondent les unes aux autres. Aussi n'y a il que les ames bien-nees, comme dit Pindare, ou l'harmonie puisse avoir lieu: et ne peuvent les malins esprits comportter une bonne musique d'accord, d'autant que cela est hors de leur disproportionnee nature; tesmoin celuy dont le Roy des Israëlites Saül estant possedé, David par intervalles au son de sa harpe le contraignoit de s'absenter, pour le moins de demeurer coy: Et Pythagore comme le racomptent Ciceron et Boëce, par je ne sçay quelle melodie d'un air musical <f 52v> propre à ce, ramena en son bon sens un jeune homme tout depravé et furieux. Le mesme se lit de Terpandre, d'Arion Methymneen, et d'Ismenias Thebain, qui reduirent tout plein de gens trespervertiz et debauchez au droit chemin de la vertu: Et Antigenidas au son de ses flustes ne fit-il pas à Alexandre mettre la main aux armes; et tout à l'instant les poser, selon la diversité de ses airs ? Tellement qu'il n'y a rien plus conforme à l'ame raisonnable qu'une melodieuse harmonie: aussi n'estoit anciennement la musique destinee à autre effect que pour le service divin. A plus forte raison il semble aussi que les lettres et l'escriture doivent estre principallement emploiees pour honorer et servir Dieu; pour la saincte meditation de sa loy; et nous representer à l'entendement ses merveilles; ou comme parlent les Cabalistes conformement à ce que dessus de Platon, pour attirer les creatures à la cognoissance de leur Createur; car selon qu'il a esté dit cy devant ils reputent les caracteres Hebraïques, non tant seulement pour les premiers de tous les autres; ains mesme pour l'un des ouvrages du Bresit ou creation. Enapres la droicte escriture, qui est tout apertement significative, monstre tousjours le veritable qui ne peult estre sinon un; et la desguisee par chiffres, le faulx qui est divers et multicuple, suivant le dire du Philosophe au second des Ethiques; Que le bon et le bien ne sont que d'une seule sorte; mais le mauvais, et le mal, de plusieurs. Si que l'escriture aperte se raporte à <f 53r> la ligne droicte, qui est la plus briefve et courte de toutes, comme la definissent les Mathematiciens; et avec ce tousjours une et semblable à soy; A propos dequoy il est escrit qu'Abraham vit durant sa vie par la ligne droicte, le jour du Messihe, et s'en resjoït: Et les chiffres d'autre costé equipolleront à la ligne courbe et tortue, dont il y en a d'infinies sortes, selon que plus ou moins elles s'aprochent ou esloignent de la ligne droicte. Laquelle tient outre-plus de ce que Platon appelle tauton, le mesme; les Hebrieux dient [H] Hu, qu'ils constituent pour le premier nom attributif de la Divinité, suivant le pseaume 102. Tu autem idem ipse es: Et le 42. d'Isaie, Ani Adonai Hu semi, Le Seigneur luy, ou moy-mesme c'est mon nom; Virgile au 10. de l'Eneide l'approprie au grand Dieu Jupiter; Rex Iupiter omnibus idem. Et est ce tauton la supreme Idee des choses qui sont tousjours d'une mesme sorte, sans point recevoir d'alteration ny de changement: là où le chiffre se raporte à l' hétéron l'AUTRE, qui est la forme de celles qui se comportent diversement: Parquoy les Pythagoriciens prenoient le MESME pour le bon principe, l'un le permanent, le droict, le vray, le finy: Et l'AUTRE, pour le mauvais, le divers, variable, tortu, faulx, et infiny: Et les Egyptiens celuy-là pour Osyris, et le Nil; cestui-cy pour Typhon, et la mer: Qui est la cause pour laquelle Achille au 9. de l'Iliade deteste si fort l'autre, le divers, varié desguisé;
  <f 53v> Ékhthros gar moi keinos ho môs aidaô pulêsin,
  Hos kh'hétéron mou kéuthéi éni phrésin, allo dé badzéin
TOUT ainsi donques que sous le chiffre est cachee la vraye escriture, et le sens qui nous represente la cognoissance de la chose que nous voulons exprimer, et produire en evidence hors la coception de nostre pensee; et que de la supposition du faulx se tire par fois de la verité;
Toutes les choses de ce monde ne sont qu'un vray chiffre.
En semblable le texte de la loy pris cruëment et à la lettre, est comme un chiffre dy mystere caché là dessous: De sorte que la religion Judaïque avecques sa pluralité de sacrifices et ceremonies superficielles, n'estoit qu'un chiffre et adombrement des vrais et reels sacrements de celle de grace; suivant ce que les Cabalistes mesmes advoüent sur ce texte de l'Ecclesiaste, composé, à ce qu'allegue le Zohar par le Roy Salomon au desert, durant les sept ans qu'il y demeura; y aiant esté transporté et tenu captif par le demon Asmodai Prince de la pecune, du luxe, et ambition, qui le surprit en la propre amorse et embusche que le Roy luy avoit dressee; se fondant icelui Zohar sur ces mots contenus au mesme traicté; fui Rex Israël in Ierusalem; quasi qu'il ne l'estoit plus lors qu'il le fit: Ce texte au surplus de l'Ecclesiaste, est, Vanitas vanitatum et omnia Vanitas; qu'ils exposent que la loy mesme puis qu'il n'exclut rien, estoit vaine et frivole jusques à l'advenement du Messie. Pareillement les choses materielles et sensibles, sont comme un chiffre des formelles et intellectives: le monde Elementaire, du <f 54r> Celeste, le Celeste, de l'Angelique; et cetui-cy, de l'Archetype: qui sont les roües d'Ezechiel enveloppees l'une dans l'autre; et la communication successive de la lumiere procedant du throne de Dieu, là où en est la premiere source, à la dixiesme Sphere, ou ciel Empiree; et de là au Soleil; du Soleil à la Lune; et d'icelle aux choses sensibles du monde Elementaire. Car tout ce que le ciel nous influe et transmet, est la lumiere accompagnee de chaleur, dont dependent toutes les diverses facultez et vertus imprimees d'enhault icy bas en la varieté des especes, par les rayons des deux luminaires et des estoilles: en sorte que la lumiere est celle qui charrie tous ces effects quant et soy. Au Microcosme, ou petit monde puisapres qui est l'homme, formé sur l'exemplaire de l'univers, les parties constitutives de son corps, diverses entr'elles, ensemble les substances dont elles sont composees, tiennent lieu aussi de leur part d'un chiffre de l'ame, uniforme, et simple de soy; et l'ame d'un chiffre de l'Intellect. Brief que tous ces trois mondes, et ce qui leur symbolise és creatures estans en iceux; voire entierement toute la nature, n'est qu'un chiffre et secrete escriture du grand nom et essence de Dieu, et de ses merveilles; les faits mesmes, les projects, les dits, actions et comportemens des humains, que sont ce pour la plus grand-part sinon chiffre ? Quand sous une dissimulee et hypocritique apparence de zele, pieté, devotion, charité, douceur, debonaireté, preud'hommie, et autres droictes, sainctes, <f 54v> et loüables intentions, que nous pouvons accomparer aux caracteres d'une double escriture, dont nous parlerons cy apres, ils voilent une intelligence secrete reservee à par-eux, de leur malignité de courage, haines, rancunes, felonnies, partialitez, avarice, vaine-gloire, ambition, desir de sang, et de vengeance; dont en a devers luy l'alphabet, celuy seul, à qui rien ne se sçauroit desguiser. Au moien dequoy tout ainsi qu'une mesme chose, selon qu'il a esté dit cy dessus, ne se peult representer que d'une seule sorte en la vraye et droicte escriture; et d'infinies alteree en chiffre, qui toutes ne tendent qu'à exprimer un mesme sens; En semblable toutes les creatures sont comme notes, marques et caracteres du Createur plongé occultement dedans elles, ainsi qu'est le sens dans l'escriture; et l'escriture manifeste dedans l'obscurité des chiffres; dont quelques-uns peuvent avoir esté meuz d'estimer, Dieu n'estre autre chose fors tout l'univers, que son intellect ou premiere cause gouverne et administre par les secondes; et les secondes par les tierces; et ainsi des autres; qui sont les Hierarchies influans d'ordre en ordre, de degré en degré, de reng en reng la puissance et vertu de l'Archetype encontre bas, par les intelligences, et par les cieux en toutes choses: A quoy se conformant S. Denis en sa Hierarchie Angelique, dit; Que les intelligences superieures illuminent tousjours les inferieures. Que si quelqu'un veut sans aucun entremoien parvenir à la Sapience, il luy fault s'adresser à Dieu: Qui la donne <f 55r> abondamment à chacun sans reproche (comme dit S. Jaques au premier de sa Canonique) et elle luy sera octroiee.
Les dix Sephiroths ou divines numerations, tant celebrees des Cabalistes.
  TOUT ce que dessus procede selon l'ordre des dix Sephiroths, ou divines mesures et numerations que les Cabalistes appellent les vestemens de la Divinité, (Amictus lumine sicut vestimento, pseaume 104.) à chacun desquels Sephiroths est attribué un des noms divins:
I.
dont la premiere que se refere à la divine Essence [H] Ehieh, et represente particulierement le PERE, se coulle et influe par l'ordre des Seraphins au premier ciel mobile; et de là à toutes choses à qui elle donne l'Estre; estant ditte [H] Cheter ou corone; et denotee par la lettre [H] Shin, qui a la forme d'une corone à trois fleurons, et est un symbole de la TRINITÉ: Mais en outre sorte la corone qui est toute ronde, se marque encore par ceste non-valeur au chiffre à compter 0, quant elle est seule et à par soy; mais accompagnee d'un 1. fait 10. dix: Si que les notes des chiffres ne sont pas du tout desnuees de mysteres contenuz dessous leurs figures. Le nom d' EHIEH au surplus, combien que les Grecs taschent de le representer par ôn, les Latins ENS, ESTANT, ne se peult toutesfois guere bien exprimer en autre langue que l'Hebraïque, par un seul mot, ny traduire que par une circonlocution de paroles: car estant de quatre lettres il convient seulement à Dieu, dont il signifie l'Essence; entant qu'elle reside audedans de luy, sans s'en expliquer ne sortir dehors: Parquoy <f 55v> il est attribué au PERE, et denote tous les trois temps en l'Eternité; et une pluralité de personnes avec une unité de nature: En Exode 3. quand Moyse demande à Dieu quel est son nom ? JE SUIS (respondit-il) QUI FUS, QUI SUIS, QUI SERA: Ce qui ne se peult pas approprier aux creatures, qui sont en une continuelle mutation, là où Dieu est perpetuellement immuable; Ego dominus, et non mutor, dit-il en Malachie 3. et le pseaume 103. parlant des cieux; sicut opertorium mutabis eos, et mutabuntur: tu autem idem ipse es, et anni tui non deficient: Car c'est luy qui communique et donne l'estre à toutes choses par sa premiere emanation, qui est son verbe, [H], et second quadrilettre. A ce propos n'est pas aussi sans un grand mystere, ce qui est escrit au 18. de S. Jean, que les Juifs venans soubs la conduitte de Judas pour prendre nostre Sauveur au jardin, soudain qu'il leur eut prononcé ces mots, EGO SVM, conformes à ceux de l'Exode (je les mets en Latin comme faict l'Evangeliste en Grec égô éimi, combien que JESUSCHRIST ne parlast ne l'un ne l'autre, ains le vulgaire Syriaque, mais pour ce qu'ils sont plus signifians qu'au François,) ils tomberent esvanoüis tous à la renverse, par la vertu et efficace de ces paroles, qui le denotoient estre Dieu, suivant son estre et immutabilité eternelle. Et à cecy convient encore, que quand le PERE suscita Moyse pour aller delivrer les enfans d'Israël de la servitude d'Egypte, il usa des mesmes mots que fit le Fils, quand il se laissa prendre <f 56r> et crucifier pour nous rachepter de celle du diable. Par ce mot de [H] Ehieh au reste qui est le futur du verbe [H] haiah, sum; les Talmudistes interpretent estre signifiee l'eternité de Dieu; par ce que le temps advenir presupose le present, et le passé, qui sont les trois differences du temps, reduittes en la divinité tant seulement au present; à cause qu'elle est exempte des bornes et circonscription des deux autres, toutes choses luy estans presentes; mille anni dies vnus, pseaume 90. et en la 2. de S. Pierre. A propos dequoy non indoctement a dit Nehemanides, que Dieu est ceste existence et subsistance qui n'est passee, ny ne passera, etc. Car il est tousjours, sans avoir eu commencement, ny n'aura aussi peu de fin, d'autant qu'il outre-passe tout respect du temps; et qui seul peut dire, ho ôn, kai ho ên, kai ho érkhoménos, en l'Apocalypse premier:
Mystere du mot Ehieh.
ce que les lettres aussi de ce nom [H] Ehieh monstrent, avec un fort grand mystere; dont la seconde [H] he et la troisiesme Iod, denotent la tierce personne du preterit de ce verbe, qui est la premiere aux Grecs, aux Latins, et à nous; assavoir [H] haiithi, il fut; lequel mot me fait incidemment resouvenir, et non sans propos, de ce vers si commun en la bouche de tout le monde, Conueniunt rebus nomina saepe suis, Si qu'on a changé autresfois les noms infaustes et malencontreux en d'autres de meilleur presage; comme celui de Maleuente en Beneuent; livre 9. de Tite Live; Segeste qui fait allusion à Seges moisson, au lieu d' Egeste, indigence et penurie: Epidamne en Dyrrachium, dans Festus; <f 56v> et autres semblables. Je dis donques qu'au premier descouvrement des Indes occidentales pas les Espagnols sous Christophe Coulon Genevois, qui leur fut autheur de ce bien, le premier lieu où ils s'habituerent, ce qu'ils appellent Poblar, fu l'Isle appellee de ces sauvages Haithi, dont ils changerent le nom en celui de l'Espagnolle; mais ce fut bien au rebours de peupler; car comme le tesmoignent mesmes Pierre Martyr, Gonçalo d'Oviedo, et autres leurs propres historiographes, y aians trouvé à leur arrivee plus de quinze ou seize cens mille ames, ils les traicterent si humainement, qu'en moins de deux ans ils eurent consumé et reduit à rien tout ce grand nombre de peuple: Si qu'à bon droict ceste pauvre miserable Isle, l'une des plus belles et plus riches du monde, pouvoit bien dire, si elle eust parlé, JE FUS, (fuimus Troes, fuit Ilium et ingens;) selon la signification du mot Hebrieu Haiithi; qui en l'ancien langage de ce pays là, vault autant à dire, comme dur ou aspre, denotant paraventure (selon le proverbe cy dessus allegué) le dur et aspre traictement qu'elle devoit finablement recevoir de ces conquerans. Ce mot donques d' Aithi, pour reprendre nostre propos, signifie Je fus; la quatriesme lettre redoublee et conjointe avec un [H] Vau, particule copulative [H] Houe le present, Je suis: et la premiere assavoir [H] Aleph, qui se met tousjours au commancement de la premiere personne de tous les verbes au futur, Je seray: Si que ce mot de Ehieh, contient en soy mystiquement toutes <f 57r> les differences des trois temps du verbe substantif, Je fus, Je suis, Je seray; pour representer la sempiternelle stabilité et permanence de Dieu; et par mesme moien le secret de la Trinité. Le nom d' Ehieh au reste est un nom de clemence et misericorde, comme Iah, et El, approprié au pere, qui ne peult jamais estre autre envers ses enfans, Quomodo miseretur pater filiorum, porte le pseaume 103. Au moien dequoy l'escriture en use ordinairement quand il est question de lui requerir quelque grace, comme és Nombres 12. Moyse voulant obtenir la guerison de sa soeur Marie qui avoit esté frappee de lepre, il fait sa priere à Dieu en ces termes, El na rapha la; Dieu de pitié je te supplie gueris celle-cy. Et pourtant nostre Sauveur en S. Jean 5. dit; Neque enim Pater iudicat quemquam. Là ou le nom de [H] Adonai, qui est le dernier des Zephiroths, ainsi qu' Ehieh le premier, est tousjours de rigueur et justice; et Elohim le plus souvent; Scimus quia peccatores Deus non audit, en sainct Jean 9. [H] Iehoua qui est au milieu, attribué à Tiphereth, autrement la ligne moienne, est commun à l'un et à l'autre, tant à la grace qu'à la justice; mais en ce cas il est punctué comme Elohim: Neaumoins la clemence prevault à la rigueur en luy, suivant ce qu'il dit, Nolo mortem peccatores, sed magis vt conuertatur et viuat.
II. Mysteres du tetragrammaton Iehoua.
LA SECONDE numeration est [H] Hochma Sapience; et son nom le Sacresainct tetragrammaton ineffable [H] ou le [H] Iod seul, lequel envers tous les Cabalistes importe autant que les quatre lettres, tant <f 57v> parce que DIX denoté par le Iod comprend les quatre premiers nombres reduits ensemble, 1. 2. 3. 4. lesquels font dix, que pource que tous les caracteres Hebraïques sont formez du seul Iod, qui n'est qu'un poinct, dont il n'y a rien de plus simple; et par consequant de plus à propos pour symboliser à la simplicité de l'Essence divine. Il a puisapres un petit tiret s'abaissant en bas, conforme à la ligne, premiere dimention és geometriques; et au binaire, la premiere alterité és nombres, convenante aux anges: ce qui estoit representé en l'arche de l'alliance par les deux Cherubins qui la couvroient de leurs esles; comme si cecy nous vouloit denoter l'effluxion qui s'espand de Dieu par les anges sur toutes ses autres creatures, plus composees selon les rengs d'aproximation ou eslongnement de la pure et premiere simplicité; et selon l'ordre des Sephiroths, qui sont comme des vestemens, par le moien desquels nous sommes aucunement approchez de la cognoissance de la tressaincte simplicité de Dieu, signifiee par ce quadrilettre ineffable [H]; auquel comme en une tresbelle glace bien polie et lustree, resplandist par certain rebattement et reflexion, ceste noble nature Angelique proche ministre de la divinité: Cela est cause que quelquefois le verbe est appellé ange en l'escriture; Vocabitur nomen eius, magni consilij angelus; et en force endroits de l'Apocalypse.
Et tout ainsi qu'en un miroüer cave se venans <f 58r> à resserrer les raiz du Soleil, fut-ce en plein coeur d'hyver, qui auparavant espandus n'eschauffoient que bien laschement: et en ce racueil ils enflamment les estoffes qu'on leur expose; En semblable l'intellect humain, qui est en lieu du miroüer, venant à racueillir les raiz de la divinité, enflamme son ame conjointe à soy, en l'ardeur d'une charité; suivant ce que le tesmoigne le Pymandre d'Hermes. Le binaire donques avecques l'un vient à procreer le Ternaire: car des lignes puisapres sourd la premiere figure plaine, renclose en soy, qui est le triangle: des triangles le carré: et des carrez, les corps solides; dont les cinq premiers, assavoir la pyramide, le cube, l'octaedre, l'icosaedre, et le dodecaedre, sont tous formez de lignes droictes; et le cercle et globe, des courbes; comme le YOD l'est de deux demycercles accouplez ensemble, avec un petit filament qui en sort, à guise du germe en la semence des Vegetaux, qu'à ceste cause il represente, ensemble le monde elementaire où toutes choses vont par droicte ligne: et des deux hemycicles, l'un le celeste qui torne tousjours circulairement; et l'autre l'intelligible: Lequel germe se boutte dehors encontremont, moiennant la chaleur vivifiante decoullant du ciel, pour la procreation et renouvellement de son espece. Car le propre des choses haultes, comme sont les raiz du Soleil, de la Lune et des estoilles, dont elle est comme un ventre et matrice, ainsi que la terre l'est des plantes, est tousjours d'influer en bas, sans jamais remonter en <f 58v> haut: Et des basses, telles que sont les flammes de ce feu cy inferieur, de tirer droict encontremont: lequel feu de son naturel s'eslevant tousjours, tasche de transmuer en soy toutes les choses où il peut mordre, pour les y ravir et porter; mais la terre, les pierres, les metaulx, et telles autres substances qui ne veulent obeïr à son action, il les laisse en leur dejection d'excrement aride et privé de la substance nutritive: Comme si ces deux natures cherchoient de s'entrerencontrer, et venir audevant l'une de l'autre: dont Dieu est dit descendre en nous; et nous, d'eslever nostre coeur à luy: Si que le Messihe comme Dieu descendit icy bas pour s'y vestir de nostre chair, A summo caelo egressio eius, pseaume 19. Et comme homme remonta la hault par sa vertu propre; Si videritis filium hominis ascendentem ubi erat prius: en S. Jean 6. Ainsi ceste seconde numeration, et son nom attributif, represente le primogenite, et le FILS qui est la Sapience du pere, Per quem fecit et saecula, aux Hebr. 1. laquelle influe par l'ordre des Cherubins au ciel estellé; où il imprime les Idees de toutes les choses qui se produisent à chaque moment; lesquelles retornent finablement à ce dont elles decoullent, comme les sources des fontaines, et les rivieres qui en procedent s'en vont rendre à la mer dont elles viennent; le corps à la terre, et l'intellect à Dieu, qui nous l'a donné. Au surplus encore qu'il y ait quatre lettres en ce tetragrammaton [H] qui sont toutes voyelles imprononçables ainsi arrengees, il n'y en a neaumoins <f 59r> que trois differentes; lequel nombre de trois multiplié en soy produit neuf, autant qu'il y a de nombres simples, de spheres mobiles, et d'ordres d'Anges; car [H] y est redoublée, dont la premiere des deux qui est dans le mot la seconde, monstre l'interieure production que les Theologiens appellent ad intra, des personnes divines: et la seconde [H] qui est au dehors à la fin du mot, ad extra, la nature des choses, et le monde sensible: ou bien la double production des creatures; assavoir des Idees au monde supreme intelligible, qui sont les premieres creées; et des choses particulieres formées dessus le moulle et patron des Idées, au celeste et elementaire, tout ainsi que la parole, et l'escriture sur les interieures conceptions de l'ame. Les deux [H] representent encore en ce sacré nom, la double nature du MESSIHE; assavoir celle qui suit immediatement apres le [H] Yod, la divine; lequel Yod denote le PERE, car le [H] Vau qui vient apres au troisiesme lieu, est le Symbole du SAINCT ESPRIT; si que ceste [H] est au milieu des deux: et la derniere, la nature humaine d'iceluy nostre Redempteur. Et derechef, les deux personnes emanantes du PERE designé par le Yod, qui vaut dix, autant que ces deux [H] ensemble, chacun cinq: le premier denotant le FILS, et l'autre le SAINCT ESPRIT, conjoincts par la particule copulative [H] Vau; lequel vallant six, un assavoir avecques cinq, demonstre l'unité consubstantielle de ces trois personnes. De ces deux [H] s'ensuit puis apres le secret <f 59v> du grand Jubilé: car multipliez-le l'un par l'autre, ce seront 25. lesquels redoublez selon qu'ils sont deux, produiront cinquante, qui est le Symbole dudit Jubilé. Ce sont les chiffres tant par les lettres que par les nombres, dont Moyse et les autres prophetes se sont servis pour traitter occultement les profonds mysteres de la Trinité, et de l'incarnation du verbe, de peur que les divulgant trop appertement à des gens si acariastres et enclins à l'idolatrie, ils n'en fissent mal leur profit. En apres ces trois lettres [H] sont circulaires és nombres qu'elles representent, tant par la ligne droicte, que par le carré, et le cube; car ils se terminent tousjours en eux-mesmes, comme le Yod qui vaut dix, et cela est la ligne extensive, si vous le multipliez par luy-mesme, il produira cent, qui est son carré, et un nombre de dix dixaines: et ces cent derechef encore par luy, ce seront mille ou cent dizaines, qui feront le cube de dix: Et ainsi de dizaine en dizaine jusqu'en infiny. De mesme multipliez le cinq par luy, qui est representé par He, ce seront 25. et cinq fois 25. donneront 125. le Vau qui vaut six, fera tout de mesme; car 6. fois 6. font 36. et six fois trent six 216. par où l'on peut appercevoir que les nombres denotez par ces trois lettres, dix par Yod, cinq par He, et six par Vau, se rencontrent tousjours à la fin de leurs productions; ce qui n'est pas ainsi des autres qui sortent tousjours dehors d'eux: comme 2. fois 2. font quatre, qui n'est plus le deux; ny deux fois 4. qui sont huict, le 2. ny le 4. deux fois <f 60r> trois font 6. et trois fois trois, 9. et ainsi du reste. Il y a encore d'autres choses à considerer au nombre de six, dont nous parlerons cy apres. Quant aux autres sacrez mysteres de ce tres-sainct nom, qui sont infinis, il ne signifie rien proprement, car il est imprononçable de soy, mais il denote ce qu'en Latin nous dirons trop mieux qu'en François, ENS IPSUM, l'essence subsistante de Dieu; estant composé de [H] Yah Deus, et de [H] Hu ipse, mais renversé; par ce qu'encore que ce mot de Hu s'escrive par trois lettres [H] neaumoins l' aleph ne se prononce aucunement, ains n'est là mis que pour representer le secret de la TRINITE. LA TROISIESME numeration est [H] Binah providence ou intelligence; et son nom [H] Elohim; l'un et l'autre attribuez au SAINCT ESPRIT. Elle influe par l'ordre des thrones en la sphere de Saturne; qui est la cause que les Cabalistes appellent le Saturne supramondain du monde intelligible, de ce nom Binah, denotant la penitence, et la remission des pechez, qui se faisoit au bout de la multiplication carree du septenaire icy bas; et le grand Jubilé ou sabbath des sabbats au siecle futur; dont ils escrivent en ceste sorte; Qui sçaura que c'est du nombre de dix en l'arithmetique formelle, et cognoistra la nature du premier nombre spherique ou circulaire, entendra quel est le fondement du grand Jubilé; ne voulans entendra par là, sinon le nombre de cinquante, qui se produit du dix multiplié par le cinq qui est le premier nombre circulaire, representé par la lettre <f 60v> [H] He, comme nous avons dit cy dessus; laquelle avec le Yod qui vaut dix fait [H] Yah. Ce nombre de cinquante, resultant du tout qui est dix, et de sa moitié cinq, par leur multiplication carree, represente les 50. portes de l'intelligence, dont les 49. furent revelees à Moyse: une moins puis apres, assavoir 48. à Josué: 47. à Salomon; et ainsi des autres; selon que le deduit bien au long Rabbi Moyse Gerundense apres les Talmudistes, aut traité des voeuz, sur ce lieu du pseaume huitiesme. Minuisti eum paulominus ab angelis; car onques à autre ne peut arriver à la cinquantiesme, que le JUSTE MESSIHE, cest à dire à veoir Dieu en la simple essence de son nom tetragrammaton [H] tout à descouvert, et sans aucun voile ne vestement: de la lumiere duquel vestement, selon Rabbi Eliezer en ses chapitres, fut crée le ciel, ou le monde intelligible, comme l'interprete Rabbi Moyse Egyptien, avec les autres Cabalistes, en son directeur liv. 2. chap. 27. Et de la nege estant soubs son throne, la terre ou le monde visible, qui est la troisiesme des cinquante portes; et l'intelligible est la second. Le [H] Tohu, Chaos ou matiere informe, que S. Jerosme traduit Inane, et les 72. [G] invisible, est la quatriesme. Le [H] Bohu, le lieu vuide, ou la forme immaterielle qui se devoit produire en estre, de la puissance où elle estoit dans le Chaos (c'est la privation d'Aristote) la cinquiesme: et ainsi du reste de reng en reng selon qu'il est contenu au commencement de Genese. Ces trois premieres numerations jusqu'icy <f 61r> sont signifiees par les trois lettres que le Jesirah appelle les meres, comme nous dirons plus aplain cy apres; assavoir [H] aleph, [H] mem cloz, et [H] schin: aleph denotant le commencement et la divine essence Ehieh, qui est le PERE, et premiere conception: Mem le FILS et la parole: et Schin L'ESPRIT; lequel Schin en la figure Hebraïque [H] à cause de ses trois pointes ou fleurons s'eslevans du dedans d'un demy cercle, est un Symbole de la tres-sainte TRINITE.
Elohim mot attributif du S. Esprit, et de la justice de Dieu.
Mais avant que sortir de ce nom Elohim qui est attribué en particulier au SAINCT ESPRIT, comme aussi est la lettre [H] He, valant cinq és nombres, autant qu'il y a de lettres en iceluy, les Cabalistes apres Moyse le mettent pour l'ouvrier du monde; et le verbe comme pour l'instrument dont le project et dessein du grand Archetype le PERE à sorty effect: au moien dequoy ce mot d' Elohim est repeté par 32. fois à la creation des choses dedans Genese, avant que de venir à former l'homme; comme le deduict bien au long Rabbi Joseph en ses livres des portes de la justice: et ce pour denoter les 32. sentiers de la sapience, mentionnez dés l'introite du livre dudit Jezirah ou formation;
32. Semitae sapientiae.
moiennant lesquels (poursuit-il) a esté creé tout le monde par les Ziruphs ou diverses transpositions des lettres de ce mot Elohim: si qu'en tous les caracteres Hebrieux, il n'y en a point dont le tetragrammaton ineffable [H] se daigne vestir sinon de ces deux [H] Leb, c'est à dire coeur, dont le Lamed vaut trente, et le Beth deux; en ceste sorte; [H]. Car tout <f 61v> ainsi que le coeur est celuy qui soustient l'esprit de vie dans le corps de l'homme, l'esprit de mesme soustient l'ame, et l'ame en son reng l'intellect. Ausquels 32. sentiers de sapience nostre coeur est apte de monter suivant le pseaume octante quatre, ascensiones in corde suo disposuit; assavoir au ciel, en Amos 9. qui aedificat in caelo ascensionem. A propos dequoy, le Rabbi susdict met, qu'Anne mere de Samuël, en l'eslevement et montee de son oraison, alla jusques au lieu de la superieure fatalité, d'où depend la grace et octroy d'avoir lignee, de la prolongation de vie, et de l'abondance des vivres, et non du seul merite des personnes; lesquelles trois choses il faut mendier et obtenir de là hault: parquoy elle prioit sur le nom tetragrammaton [H], et non d' Adonai, Seigneur. Ce nombre de trente deux, au reste est dedié à la justice distributive, pour autant qu'il se peut partir, comme tous les autres procedans des redoublemens du binaire, tousjours egallement par la moitié, jusqu'à la premiere source des nombres; trente-deux, 16. 8. 4. 2. 1. mais il y a d'autres mysteres à considerer là dessus. En apres le Sacré Quadrilettre [H], ne se trouve point en Genese sinon apres les trente-deux repetitions d' Elohim, en cest endroict du deuxiesme chapitre, Celles-cy sont les generations du ciel et de la terre, quand elles furent creées au jour que [H] le Seigneur Dieu Jehovah Elohim fit le ciel et la terre. pour demonstrer que le FILS estoit aussi intervenu à la fabrication du monde, en laquelle <f 62r> l'escriture ne les separe point l'un de l'autre; Verbo domini caeli firmati sunt, et spiritu oris eius omnis ornatus eorum, pseaume trente trois. Or que le nom d' Elohim qui est le plurier de [H] Dieu, pour denoter la pluralité des personnes, represente en particulier le SAINCT ESPRIT, nous en avons beaucoup de tesmoignages des Cabalistes, qui l'interpretent pour un esprit de nature de feu; au premier de Genese, Et spiritus Elohim ferebatur super aquas, lesquelles eaux il fomentoit par sa chaleur; conformement à Trismegiste dés l'entrée de son Pymandre; Ex humidae autem naturae visceribus syncerus ac leuis ignis euolans, etc. car l'eau represente le verbe et la sapience; Aqua sapientiae salutaris potabit illum, en l'Ecclesiastique 15. Et derechef; apposuit tibi aquam et ignem; c'est à dire la misericorde et justice.
Le double tribunal de Dieu, de clemence et severité.
Et defaict Dieu a double Tribunal, l'un de clemence, et l'autre de severité et rigueur, à la main gauche au Septentrion, designé par Elohim, principalement avec l'adjectif de [H] gibor, fort et robuste: et l'autre à la main droicte et au midy, suivant cecy du 3. de Genese, ambulabat leuiter ad meridiem, ne voulant pas punir à toute outrance noz premiers peres; et au premier des Cantiques, Ubi pascas, ubi cubes in meridie. Ce qu'importe le nom de [H] Yah; lequel estant tiré des deux premieres lettres du grand nom [H], si vous les defalquez de [H] Elohim, restera [H] Ylem muet:
Exemple des chiffres Hebraïques.
comme si cela vouloit inferer, que si de la justice designee par Elohim, vous en separez le <f 62v> nom de misericorde, il faudra qu'elle demeure muette. Mais il semble plustost que ce soit le rebours: car quand un prince se laisse aller par importunité de prieres ou autrement, de remettre à un malfaicteur, ou luy moderer la juste punition qu'il a meritée, cela est clorre la bouche à ses juges, et les baillonner, qu'ils n'osent y proceder comme ils doivent: là où au contraire il n'y a rien qui les puisse faire parler plus haut, qu'un universel deniement et refus de toutes ces manieres de graces, pardons, remissions et abolitions abusives, impetrees illegitimement, vrays seminaires et pepinieres de toutes mal-versations et forfaits. Il faut doncques chercher d'autre endroict l'intelligence de ce mystere; et presuposer que tout ainsi que le futur qui est le troisiesme temps, includ les deux autres, assavoir le present, et le passé, combien qu'en la divinité tout ne soit qu'un; Quid est quod fuit ? Ipsum quod futurum est. Quid est quod factum est ? ipsum quod faciendum est; en l'Ecclesiaste 1. en semblable le nom d' Elohim assigné au SAINCT ESPRIT, qui est la tierce personne procedant des deux autres, contient tacitement en soy leurs trois noms; les trois elemens, principes de toutes choses, car l'air n'est reputé que pour une colle qui les conglutine et assemble: les trois loix; et les trois differences et meslemens de la misericorde avec la Justice. Et en premier lieu ce mot de [H] El c'est à dire Dieu, qui sont les deux premieres lettres dudit [H] Elohim, represente le <f 63r> PERE, la terre des vivants, et la loy de nature; contemperé au reste de clemence et severité; Je suis le Seigneur ton Dieu, visitant l'iniquité des Peres sur les enfans en la trois et quatriesme generation, de ceux qui me haissent; et faisant misericorde à milliers à ceux qui gardent mes commandemens. Les deux autres lettres puisapres suivantes, qui font Yah par anagramme, lequel est du tout pitoyable et clement sans aucune adjointe rigueur; car elles sont là ziruphees, ou renversees l'une devant l'autre, selon le cinquiesme alphabeth, et non sans mystere, denotent le FILS; l'eau; et la loy de grace: Et les cinq caracteres ensemble, par l'adjouxtement du [H] mem final du tout clos, le SAINCT ESPRIT, le feu, et la loy escrite, qui estoit toute de servitude et rigueur; comme aussi est le nom en soy, In dextera illius ignea lex, en Deuteronome 33. Laquelle lettre de mem close, dans le Jezirah est prise pour un symbole de silence. Et pourtant si du nom [H] Elohim, qui includ les trois loix susdites, vous en eclipsez [H] Yah, qui est celle de grace, laquelle s'en est venue finablement à esclorre et emanciper: car de tout temps l'Evangile estoit adjoint secretement avecques la loy Judaïque, comme le presupose assez ce lieu cy de l'apostre aux Galates 4. Testamentum primum fuit in monte Sina in seruitutem generans, qui mons est coniunctus ei quae nunc est Ierusalem, etc. ce qui se doit entendre mystiquement, et non à la lettre, parce qu'il y a plus de dix journees de l'un à l'autre. Ce que non seulement tesmoigne aussi S. <f 63v> Augustin, au quatorziesme de la Trinité, mais Elchana mesme l'advouë tres-celebre docteur Hebrieu; Quod lex praexistebat in verbo Dei antequam daretur; ou si nous le voulons prendre par le contrepied, la loy estoit comme grosse de l'Evangile, qu'elle a enfanté à certaine periode de temps, auquel par l'incarnation du verbe se sont manifestees les grandes merveilles de Dieu, suivant le pseaume 88. Nunquid cognoscentur in tenebris mirabilia tua ? Et au 119. Reuela oculos meos, et considerabo mirabilia de lege tua. Si donques du mot Elohim vous venez à distraire ces deux lettres [H], c'est à dire la loy de Grace d'avec la naturelle, et la Mosaïque, il faudra qu'elles demeurent du tout muettes, comme n'ayans plus de voix en chapitre, estans abolies par la Chrestienne, où toutes les religions doivent tendre. Que le SAINCT ESPRIT au reste suivant l'attribution de son nom Elohim, soit pris pour l'exacte severité de rigueur, selon que mettent les Cabalistes, qui appellent le dur et aspre jugement [H] Din, dont le monde, à ce qu'ils dient est maintenu, c'est à dire que sans cela, qui retient les meschants et pervers en bridde, tout iroit en confusion çen dessus dessous; Le Sauveur mesme semble le monstrer tacitement en S. Marc 3. et S. Luc 12. quand il dit; Omnis qui dicit verbum in filium hominis, remittetur illi: Ei autem qui in Spiritum sanctum blasphemauerit, non remittetur in aeternum. Si que les deux proprietez de ces deux divins noms, ne se <f 64r> sçauroient par aucune Cabale plus apertement demonstrer, que par ces tesmoignages de l'Evangile. AINSI voila les trois superieurs Sephiroths, Cheter, Hochmah, et Binah, ausquels respondent les trois divins noms Ehieh, Jehova, et Elohim, qui sont de toute eternité conjoints inseparablement ensemble, et ne se separeront eternellement nomplus: n'ayant esté possible de tout le temps que le monde a esté crée, qu'Ange quelconque là hault au ciel, Prophete aussi peu, ne Roy en la terre, ait peu arriver de s'y joindre, selon le dessusdit Rabbi Joseph Salemitain fils de Carnitol. LA QUATRIESME numeration est [H] Chesed, clemence, bonté, grace, misericorde; et le nom [H] El: laquelle influe par l'ordre des dominations en la sphere de Jupiter, les patrons, effigies, et exemplaires de tous les corps. LA CINQUIESME [H] Gheburah, pouvoir, force, severité, jugement, et punition des forfaits; qui influe par l'ordre des Potestez en la sphere de Mars, guerres, desolations, pilleries, rançonnemens, et semblables afflictions de peuples: Le nom d'icelle est [H] Elohim. LA SIXIESME, [H] Tipherets, grace, beauté, ornement, et delices, qui influe par l'ordre des Vertus en la sphere du Soleil, y eslargissant clairté, lumiere et vie: Et de là vient à produire toutes sortes de mimineraux et metaux, dont l'or est le chef, comme le Soleil qu'il represente, l'est des corps celestes; <f 64v> le pain, et le vin au genre vegetal; et l'homme sur tous les autres animaux: Le nom qui y assiste est le tetragrammaton [H] Eloah. LA SEPTIESME [H] Nezeh, triomphe victoire; et le nom [H] Jehovah Sabaot, le Seigneur des armees. Elle influe par l'ordre des Principautez en la sphere de Venus, un zele, et amour de justice: et de là s'en vient produire au monde elementaire les arbres, plantes, herbes, et autres vegetaux. LA HUICTIESME est [H] Hod, loüange, honneur, et formosité, qui influe par l'ordre des Archanges en la Sphere de Mercure; et de là vient produire les animaux. Le nom est [H] Elohim Sabaot, le Dieu des exercites, non pour la guerre et la rigueur, mais pour la pieté et concorde. LA NEUFIESME [H] Jesod, base, fondement, redemption et repos, qui influe par l'ordre des anges en la sphere de la Lune, une croissance, et descroissance de tout ce qui est audessous d'elle. Le nom [H] Elchai, le Dieu vivant, ou [H] Sadai, Tout-puissant; ou plustost qui suffist à soymesme sans avoir besoin de rien de dehors. Surquoy il fault faire une distinction, que la Lune, entant qu'elle est le receptacle de toutes les superieures influences, respond à la derniere numeration, Malchut, en descendant; et pourtant elle est ditte pour le regard du monter en hault, la premiere terre des vivants: presuposé que celle d'icy bas est des choses mortes, comme estans transitoires et caduques, et le second Tabernacle: mais entant qu'elle est en particulier un Planette, elle reçoit sa <f 65r> force et vertu de ceste numeration de Jehod ou fondement, à qui est annexé le nom Elchai. LA DIXIESME, [H] Malchut, regne et Empire; l'Eglise, et le temple de Dieu; ( Quoniam domini est regnum, au pseaume 22.) et la porte pour y entrer; laquelle influe par l'ordre animastique, ou des ames bien-heureuses, és creatures raisonnables, la cognoissance des choses, le sçavoir, et l'industrie: Le nom divin qui y preside est [H] Adonai, Seigneur. Et à ce propos les Cabalistes entre leurs autres traditions mettent Que, peccatum Adae fuit truncatio regni à caeteris plantis; Quant par sa curiosité il voulut gouster du fruict de science de bien et de mal, contre le commandement de Dieu; pour raison dequoy le Malchut ou le regne qui est l'arbre de vie, et la derniere influence divine des dix Sephirots, procedans toutes à guise de branches de la racine d' Ehieh ou divine essence, fut par sa prevarication, desmembré des autres plantes, c'est à dire ses descendans, de la Justice originelle où il avoit esté formé.
  VOILA les dix Sephirots, ou numerations et mesures tant celebrees des Cabalistes, avec les noms attributifs y annexez; dont ils tiennent Moyse et les autres Prophetes estre parvenuz à la cognoissance du Merchava; et du Bresit, c'est à dire des divins secrets, et de la nature; et faict des choses merveilleuses transcendans la portee et creance humaine. A ces Sephirots se raporte la pluralité des Dieux en Orphee, ou plustost les divers effects procedans <f 65v> du grand Dieu, ainsi que du Soleil font tous ses lumineux rayons: Plus la chesne d'or au 8. de l'Iliade, par laquelle Jupiter tire à soy toutes les puissances celestes, et quant et quant la terre et la mer, avec toute la machine du monde: La vraye eschelle pareillement de Jacob, par où montent nos meditations, nos voeuz, prieres et offrandes, là hault au throsne divin; Et ce par quatre graduations, assavoir le sens, l'imagination, la fantasie, et l'intelligence; et que se coulent les divines influxions en descendant icy bas par le ciel, comme à travers certains tuyaulx et sorbataines, qui est le vray mariage de luy avec la terre; dont depend toute la magie naturelle des anciens Chaldees, et Perses, tresversez et expers en la cognoissance des choses celestes, et Elementaires;
Magie licite, et illicite.
envers lesquels ce mot de Mage sonnoit le mesme que de Brachmane ou Gymnosophiste aux Indiens; de Prestre aux Egyptiens; de philosophe envers les Grecs; et de [H] Chacam ou prophete aux Hebrieux: Et nompas ceste detestable, orde et salle Magie qui a acquis le nom de Nigromance, exterminee à bon droict de l'Eglise, pour estre sans aucun fondement ne verité, ains toute abusive, deceptoire, et pleine de blasphemes; comme dependant du premier rebelle de son Createur, ennemy de la verité, et du genre humain, Prince de tenebres, d'erreur et mensonge; par le commerce et alliance que les abandonnez de Dieu contractent avec luy, tels que Balaam en Genese; et Laban peult estre encore, le plus excellent <f 66r> Magicien de tous les orientaux, comme tesmoigne le Zohar; qui adjouxte icelui Laban avoir changé par dix fois à Jacob son loyer selon les convenances qu'ils avoient ensemble, afin d'experimenter contre luy les dix degrez d'enchantemens dont il estoit souverain maistre. Laquelle magie du temps de Moyse, qui alencontre de ces dix especes de charmes, en vertu des dix Sephirots affligea Pharaon et les Egyptiens des dix playes, nonobstant le complot de Ammomino et Amael liguez ensemble contre luy, estoit en grandissime vogue, et fort familiere aux Indiens orientaux; depuis le Malabar jusqu'à la Chine et Cathay, que Rabbi Rambam fils de Maimon en tout-plein d'endroits du 3. livre de son directeur appelle les Zabiens, où il allegue d'estranges merveilles de leurs sortileges et superstitions: Et est une chose bien à remarquer, que la plus-part de ce qu'il en racompte, s'est trouvé depuis estre presque du tout conforme aux façons de faire des Indiens occidentaux de la nouvelle Espagne, Castille de l'or, et du Peru; et autres lieux tant de la terre ferme, que des Isles de ce nouveau monde. Tout le fait donques de la Magie qui est licite (quelques-uns la presuposent estre tacitement touchee dans les hymnes d'Orphee) est de conjoindre les vertus agentes aux effects passibles; et aprocher les choses elementaires d'icy bas, aux actions et effects des estoilles et corps celestes, ou plustost des intelligences qui leur assistent, par des materiaux à ce propres et convenables; avec <f 66v> des paroles, caracteres, suffumigations, et prieres, comme si l'on imprimoit la figure d'un sceau ou cachet en de la cire, ou autre semblable estoffe: le tout accompagné de ce que les Hebrieux appellent [H] Cavanah, forte et eslevee intention, sans laquelle rien ne se peut bonnement faire; car aprochant fort de l'exstase ou ravissement d'esprit, elle tient le mesme lieu és operations admirables, que l'ame fait dans nostre corps, qu'elle vivifie. Il n'y a au reste facultez ne vertus occultes separees seminairement, les unes au ciel, les autres en terre, ainsi qu'est le moulle de la matiere qu'on veult mouller; ou comme nos conceptions interieures à l'endroit des mots ou des lettres qui les expriment, que le Mage ne les puisse unir par ensemble, et tirer en acte. Neaumoins quelque oeuvre miraculeux qu'on puisse produire, soit par la voye de la Magie, ou de la Cabale, ny en autre sorte, il en faut referer tout le principal effect au vouloir et puissance de Dieu: Car tout ainsi que l'homme produit naturellement son semblable, qui est son ouvrage, comme la facture du monde celui du souverain Createur, de mesme le Mage faict par artifice les siens. Mais comme les choses naturelles soient plus parfaictes que celles de l'art, qui ne fait qu'imiter la nature, selon Aristote au 2. des Physiques, Aussi sont les divines plus à estimer, et plus accomplies sans comparaison, que de la nature; ainsi que mesmes le tesmoignent les enchanteurs de Pharaon dedans le 8. d'Exode; quand Aaron estendant sa verge vindrent à naistre des moucherons de la poulsiere, car n'en <f 67r> pouvans faire autant par leurs charmes, ils furent contraints d'advoüer, Digitus Dei hic est: Si que tous les mots, tous les sacrez noms, caracteres, figures, signacles, et nombres formels, qui ont plus de puissance qu'aucune materielle qualité; avecques leurs accompagnemens de parfuns, luminaires, et semblables choses externes, qui les secondent, n'ont en magie ny en Cabale vertu aucune ny efficace; sinon entant qu'elles se conforment à la voix et la main de Dieu, c'est à dire à la parole et escriture; d'où vient que les mots estranges qui ne signifient rien envers nous, et lesquels neantmoins Zoroastre et Orphee defendent de changer en d'autres, mesmement les Hebraïques, qui sont la primitive source de tous les autres, peuvent plus que les paroles signifiantes et intelligibles: Car encore qu'il y ait beaucoup de mots qui nous semblent faits à plaisir, ou à l'adventure, pour ne signifier rien que ce soit en langue quelconque, ils pourroient estre neantmoins tout ainsi qu'une escriture en chiffre, dont ne pouvans tirer aucun sens ceux qui n'entendent le secret, les autres qui en cognoissent l'artifice sçavent fort bien discerner que cela veut dire: Et le mesme pourroit estre des caracteres, et des paroles, qui estans incogneuës de nous, ne laissent d'avoir quelque signifiance envers les esprits où elles s'addressent. CECY a esté parcouru incidemment de la magie, par ce que c'est la science du monde celeste, qui comprend en soy les dix cieux ou spheres; qui sont les instruments et moiens par lesquels agist <f 67v> en nous la divinité; assavoir neuf mobiles, et le dixiesme ferme et stable, dit d'aucuns le ciel empyree, et en l'escriture le ciel du ciel, en Domini Dei tui caelum est, et caelum caeli: au Deuteronome 10. et au plurier encore les cieux des cieux, qui n'est pas sans mystere; au 3. des Roys, 8. Si enim caelum, et caeli caelorum te capere non possunt; Et pour raison de la ferme stabilité, la terre des vivants; Cùm dedero gloriam in terra viventium, Ezechiel vingt six, en laquelle est planté l'arbre de vie, et le throne de Dieu assis et posé en ceste mer de verre ressemblant au cristal, dont faict mention l'Apocalypse 4. et 15.
Les dix predicaments se rapportent aux dix Sephirots.
A ces numerations et mesures encore des Sephirots, limitez au nombre de dix, qui est la fin de tous les nombres, et par consequent la mesure de toutes mesures, on approprie les dix categories ou predicaments de dialectique, qui comprennent toutes les circonstances des choses; assavoir l'essence ou substance; la qualité, quantité, relation; quand, qui denote le temps; ou, le lieu; la situation ou assiette, l'habitude, l'agent, et le patient. Puis il y a cinq predicables; le genre, l'espece, la difference, le propre, et l'accident: Lesquels deux font quinze, autant que denotent les deux lettres de ce nom [H] Jah; dont le Jod qui vaut dix, represente les dix predicaments; et He, cinq, autant de predicables;
Rapport des dix commandemens, aux dix Sephirots.
par ce que toutes choses ont esté faictes en la vertu de ce sainct nom. A ces dix Sephirots outreplus, et aux dix spheres, respondent les dix commandemens de la loy, selon Abraham Aben Ezra en son commentaire <f 68r> d'iceux; dont le premier, qui monstre la tressimple unité du PERE, et qui est comme la base et fondement du Tout, Je suis le Seigneur ton Dieu qui t'ay retiré hors d'Egypte, de la maison de servitude; TU N'AURAS AUTRE DIEU QUE MOY; se rapporte à la dixiesme Sphere immobile, comme soustenant le throne de Dieu, Caelum sedes mea est; et terra scabellum pedum meorum, en Isaie 66. qui de là meut le premier mobile, et consequemment tout le reste; gaudent omnes mouente patre, dit S. Denis en ses hierarchies, parlant des intelligences, qui estans meuës meuvent les Spheres et les corps celestes où elles president; Si qu'Hermes diffinist Dieu estre un cercle dont le centre est par tout, et la circonference nulle part: Ce qui est tout apertement representé par ces deux notes de chiffre 10. faisans dix, dont la premiere qui vaut un, est comme un point indivisible ou le centre qui est par tout, car il n'y a nombre où l'unité ne se puisse trouver, d'autant qu'ils partent tous d'elle, et ne sont autre chose qu'un amoncellement d'unitez enfilees les unes aux autres, et le 0 ou zero, qui est rond en façon de circonference, est dict comme n'estre en aucun lieu, par ce que de soy il ne fait rien, parquoy il se rapporte à l' Ensoph, non finy, ou infiny. LE SECOND precepte; Tu ne feras aucune representation ny semblance, de tout ce qui est és cieux en hault, ou en bas en la terre, ny en l'eau, pour les adorer, convient à la 9. sphere, et premier mobile, qui meut et ravist avec soy toutes les autres subjacentes en 24. heures; et au FILS, qui <f 68v> est le premier mouvement de toutes choses, procedant du PERE immobile: et à ce propose Boëce fort elegamment,
  Terrarum caelique Sator, qui tempus ab aeuo
  Ire iubes; stabilísque manens das cuncta moueri:
Lequel FILS a banny et extirpé toutes les idolatries du monde, là ou son Evangile est annoncé. LE TROISIESME, Tu ne prendras point le nom du Seigneur ton Dieu en vain, car le Seigneur ne tiendra pour innocent celuy qui le prendra en vain, à la huitiesme sphere, où sont toutes les estoilles fixes, le Zodiaque avec les 12. signes, et les 48. principaux astres figurez comme on les voit en Hyginius, et plusieurs autres astrologues. Et ne faut pas estimer que ce soit chose faite à plaisir que de ces images celestes, formees de plusieurs estoilles de la sorte qu'on les represente, car plusieurs excellens hommes jadis Chaldees, Indiens et Egyptiens les ont observees estre telles, par le moien de certains instruments appropriez à cela: ce qu'ils ont peu faire, et les discerner mieux et plus distinctement que nous, à cause des grandes plaines de ces quartiers là, et de la continuelle serenité du ciel qui y regne. Au surplus pour ce que les principales vertus celestes consistent en ceste 8. sphere; et que le S. Esprit est dispensateur de toutes vertus, on la luy attribue pour ceste cause, estant la 3. en ordre, comme il est la tierce personne de la TRINITÉ: Joint que prendre le nom de Dieu en vain, et en abuser, est comme un peché particulierement contre le S. ESPRIT, ainsi que se <f 69r> parjurer est pecher contra sa propre conscience, qui lui Symbosile; ce qui n'est pardonné en ce siecle icy, ny en l'autre; Non peierabis in nomine meo, nec pollues nomen Dei tui. Levit. 19. LE QUATRIESME; Souvienne toi de sanctifier le jour du Sabbat, à la Sphere de Saturne, lequel est un infauste, malin et nuisible planete; Dont Moyse jugeoit ne se devoir rien entreprendre ne faire ce jour là, ains demeurer du tout en repos, et vacquer au service divin; par ce qu'il preside à la premiere heure du Samedy, qui commance au soir à la nuit; comme fait Mars à la derniere, qui est pernicieux aussi de sa part; et cela ne se rencontre en pas une des autres journees: pour raison dequoy le Zohar et autres Cabalistes alleguent, que les mauvais esprits ont plus de puissance de nuire à toutes les quatriesmes et septiesmes nuicts, ausquelles ces deux planetes president, qu'en autre temps de la sepmaine. LE CINQUIESME, Honore ton pere et ta mere; à fin que tes jours te soient prolongez sur la terre; à la Sphere de Juppiter qui est benevole, et represente la paix, amour, pieté et clemence; comme faict aussi la Sphere ou numeration de Chesed, et le nom divin El, lequel luy est attribué. LE VI. Tu ne tueras point, à Mars, qui preside aux guerres, meurtres, effusion de sang, pilleries et autres telles violences. LE VII. Tu ne commettras adultere, à Venus; suivant l'opinion des Brachmanes et Gymnosophistes; ensemble des autres philosophes de l'Inde, qui la mettent au dessus du Soleil, combien que <f 69v> la plus commune opinion, au dessous; et pour ce qu'elle respond à la numeration Nezach ou victoire, cela nous admoneste, que nou-nous devons efforcer de vaincre noz illicites concupiscences. LE VIII. Tu ne desroberas point; au Soleil, lequel ravist, substrait, et desrobe à toutes les estoilles leur clarté, et lumiere, qu'il esteint et offusque. LE IX. Tu ne porteras aucun faux tesmoignage contre ton prochain, à Mercure auquel on attribue la langue, si qu'en ses sacrifices les Payens luy offroient ceste partie des victimes; et est au reste patron de toute tricherie, barat, deception et fraude. Et LE X. Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ny sa maison, son serf, son boeuf, ny autre chose de sa substance, à la Lune, la plus basse de tous les corps celestes, ainsi que la convoitise est la plus infime et abjecte passion de nostre ame.
  CES DIX Sephirots ou mesures, sont outre-plus des Cabalistes appellees de ce nom Belimah, c'est à dire sans aucune addition, telles que sont les nombres, tressimples de soy, et premiere origine de toute apprehension et demonstration. Car tout ainsi que les caracteres comme plus composez et materiels conviennent à la Magie, qui est une moienne operation entre les choses celestes et les terrestres, que la Chimie prend pour son subjet en ses artifices, dont le feu en est l'instrument, ainsi que la chaleur du ciel, du Soleil, et des astres qui se vient empraindre icy bas, l'est de la nature; {natuture} Sublato enim calore nullus omnino fit motus, dict le philosophe Alphide; les nombres aussi sont plus propres <f 70r> à la Cabale, comme estans un access et passage des choses celestes aux intelligibles. Et quant aux lettres, elles tiennent un moien lieu entre les nombres et les figures: A propos dequoy ce mot de [H] Belimah signifie encore taciturnité ou silence, pour monstrer que les choses divines, se peuvent plustost et plus commodément atteindre par une profonde meditation de pensee recueillie en soy, que par un gazouillement de Sophistes: et pourtant la philosophie Pythagoricienne, plus spirituelle que nulle autre de tous les Gentils, estoit fondee là dessus. Mais pour dire quelque chose encore des Sephirots, qui soit plus approchant et conforme à l'escriture, et mesme aux chiffres, ils sont representez par les trois lettres appellees meres dans le livr. de Jezirah, lesquelles symbolisent aux 3. Elemens; et par les sept doubles, qui denotent les 7. Planetes; à qui les douze simples qui restent representans les 12. signes du Zodiaque servent de domiciles, pour parfaire le nombre de 22: et ce à l'exemple que chaque cercle en sa circonference contient 22. septiesmes de son diametre: de maniere que tout ainsi que des divers aspects des 7. planetes en ces 12. signes, là où ils joüent comme aux barres, viennent à se produire dans les 4. Elemens où ils s'espandent, tous les corps en semblable des caracteres de l'escriture qui leur symbolisent se forment les noms de toutes choses qui en sont composees. Toutes lesquelles considerations ne tendent point à autre but que de nous aprocher de la divinité; et elle reciproquement de nous, par l'intellect qu'il luy a pleu nous eslargir, <f 70v> qui nous joinct à elle, moyennant ses emanations, que les Cabalistes appellent vehicules et vestemens: car selon leurs traditions, Nulle chose spirituelle descendant en bas, n'opere sans quelque voile et couverture; selon que l'experience nous monstre, ne pouvoir si bien endurer l'esbloissement des raiz du Soleil à veuë immediate tout à descouvert, que quand ils viennent à estre rabbatuz par l'interposition de quelque crespe ou estamine, qui amortist aucunement et rebouche leur par trop penetrante lueur: Et de ceste sorte se monstra Moyse aux enfans d'Israël, au retour de sa conference avec Dieu; lequel luy avoit empraint une clarté si estincellante en la face, qu'ils ne la pouvoient supporter. Ces numerations derechef sont accomparees par eux à un arbre renversé le pied contre-mont: et de faict l'homme qui est façonné à la ressenblance de Dieu, est dict mesmement d'Aristote estre un arbre retourné c'en dessus dessous: ce qui se conforme aux dessusdictes traditions; Plantatus est homo in horto voluptatis per radices capillorum; de quibus dicitur in Canticis 7. Comae capitis tui sicut purpura regis iuncta canalibus; A sçavoir ces influxions d'enhaut, procedans de la vive source de la divine Existance, dont la racine, qui est EHIEH, est attachee au monde intelligible, la vraye terre des vivants; ( Radicem tuam euellet de terra viuentium, pseaume 52.) et la tige est le sacré-sainct Tetragrammaton ineffable [H], origine de toutes choses; avec ses principales branches, qui sont les noms divins dessusdits; <f 71r> lesquels, à guise des rameaux qui poulsent encore hors de soy des drageons, syons, rejectons pour servir de greffes, produisent plusieurs surnoms et soussurnoms; de maniere que toute la loy vient à estre comme entee sur le seul Tetragrammaton Jehova, de la mesme sorte, que la clause complecte d'une escriture consiste des mots; les mots des syllabes; les syllabes des lettres; et toutes les lettre du Jod, qui est le commancement du nom ineffable, auquel encore il equipolle:
Le grand respect du peuple Judaique, envers le saint nom Jehova, figure de celui de JESUS.
Car il est mis aussi pour le mot entier; tenu en tel respect anciennement, et honneur des Israëlites, qu'il n'y avoit que le grand Pontife tout seul, qui le portoit gravé en une lame d'or appellee des Hebrieux [H] Tzitz Zahab, dessus le devant de sa mitre, à qui il fut loisible de l'exprimer par ses caracteres; et encore une fois seulement en l'annee, le 10. jour de la Lune du mois de Tizri qui respond à nostre Septembre, appellé Jom Hachepurim, le jour de remission, auquel se celebroit la grande propiciation et absoulte generale de tout le peuple Judaïque; le proferant tout au profond du Sainctuaire à par-soy, par une secrete tradition et Cabale revelee de Dieu à Moyse, et de luy à Aaron, tout d'une autre sorte que ne sonne la suitte et disposition de ses caracteres. Et comme le tesmoigne Rabbi Joseph en ses portes de la lumiere, les anciens Juifs reputoient pour un article de foy infallible, que quiconque le profereroit par ses propres lettres, sans une bien urgente necessité, n'auroit point de part au siecle advenir; <f 71v> parce qu'il n'est communicable qu'au Createur tant seulement; et n'y a rien en icelui qui soit commun entre Dieu et ses creatures, comme il y a en ceux de [H] Tzadik Juste [H] Daiian Juge; [H] Hannun gracieux, pitoiable, et autres semblables; d'autant qu'il represente l'Estre de Dieu incomprehensible à elles toutes, et la substance, avecques ses proprietez intrinseques; et sa quiddité, par une ostention manifeste tres-accomplie; sans aucune equivocation ne meslange, ny respect quelconque ou relation audehors: Tous les autres noms estans derivez des operations divines fors cestui-cy; qui pour ce regard est appellé le grand nom; Quid facies magno nomini tuo ? Josue 7. Lequel ne signifie point par effects, ains par une pure existence; dont il est tresredoutable et horrible, suivant le 98. pseaume; Confiteantur nomini tuo magno, quoniam terribile et sanctum est: Et en la 2. à Timothee 2. Discedat ab iniquitate omnis qui inuocat nomen Domini. Aussi est-il escrit, mais il ne se lit pas selon l'ordre et suitte de ses caracteres; car il est nommément prohibé en Exode 20. de prendre le nom de Dieu en vain; ce que les Rabbins interpretent, de le preferer des levres temerairement et sans occasion;
Dieu ne veut estre importuné temerairement.
et les Gentils mesmes se conformans en cecy aux traditions Hebraïques, advoüent qu'on ne doit point importuner la divinité hors de saison, et abuser de sa grace et bonté temerairement et à toutes heurtes. C'est pourquoi l'Eglise nous a prefix certains jours et heures pour les <f 72r> prieres plus particulierement en un temps qu'en autre, selon le pseaume 55. Vespere, et mane, et meridie precabor; si lon ne vouloit entendre par ces trois stations la journee entiere qu'elles comprennent; comme une chose tressalutaire de prier Dieu incessamment, et à tous propos le loüer et remercier de ses graces et beneficences; Benedicam dominum in omni tempore; semper laus eius in ore meo; au 34. Car quant à ce que le Zohar met sur cecy du 119. Media nocte surgebam ad confitendum tibi, sent un peu sa superstition Rabinique; que c'est pource qu'à la minuict commance la troisiesme veille ou garde nocturne, qui selon les Cabalistes est la plus gracieuse et passible, Ad vesperum demorabitur fletus, et ad matutinum laetitia, pseaume 30. d'autant que lors finent les courses et ravagemens des malins et nuisibles esprits des Tenebres; à quoy ils appliquent ce lieu du 91. Non timebis à timore nocturno; à peste per ambulante in tenebris, etc. Et ces trois versets du 104. Posuisti tenebras: Catuli leonum: Ortus est sol: Car lors commance à remonter le Soleil en nostre hemisphere, qui estoit allé jusqu'au bas: aumoien dequoy le sacrifice matutinal se peut dire agreable à Dieu sur tout autre, selon Job au 38. Cùm me laudarent astra matutina, et iubilarent onmes filii Dei; Ce qu'ils interpretent pour les Anges, et ames bien-heureuses: Et de là peult estre venue l'institution de nos matines, pour la plus grand-part à minuict; et le service du matin avant midy. Mais plus encore est fantastique, ce que poursuit le mesme Zohar là dessus; <f 72v> si daventure on ne veult dire que c'est par allegorie qu'il parle, comme est ordinairement la coustume des Cabalistes; Qu'à la minuict Dieu entre au Paradis de delices et recreation, pour s'y resjoir avec les justes ses favorits. Mais pour reprendre nostre propos du respect qu'on portoit en l'ancienne loy à ce grand nom de Dieu [H] Jehova, qui est le propre du MESSIHE et du Verbe, Iuraui in nomine meo magno ait dominus, quia nequaquam ultra vocabitur ex ore omnis viri Iudaei dicentis, Viuit dominus Deus in omni terra Aegypti; Jeremie 44. Qui est l'un des plus pregnans tesmoignages de l'abolition de la loy Judaïque: et en Tobie 13. Nomen enim magnum inuocabunt in te: ce respect donques estoit si grand, que Rabbi Henina fils de Tradion, selon qu'il est racompté és portes de la lumiere, nonobstant que fort excellent et devot personnage, pour avoir voulu exprimer ce sacré Tetragrammaton par ses caracteres, non ja pour le prophaner, ains pour s'exerciter seulement à la meditation et cognoissance des saincts mysteres, ne peut neaumoins eviter la punition de ce delict. L'exprimer au reste par ses caracteres, cela s'entend selon qu'il estoit ineffable; pourautant que ce sont toutes voyelles, si qu'on ne pouvoit bonnement discerner quelle en devoit estre la prolation, attendu que les poincts et accents qui peuvent redresser tout cela n'y estoient pas encore adjouxtez; les uns le prononçans JAHVE, qui sonneroit presque Dieu avec la nature humaine, à cause que JAH signifie Dieu, et mesme de misericorde, <f 73r> le Vau puisapres est une particule copulative; et le second He qui est à la fin, denote la nature humaine du CHRIST: les autres le proferent et transcrivent Jova, induëment ce neaumoins, parce qu'il fault plustost dire Jehova; les autres Jeve. Mais par tout où il se rencontre en l'escriture, ils souloient lire Adonai Seigneur, comme estant ce mot là un acces et entree pour parvenir au nom ineffable: Et pourtant és dix Sephirots Adonai est mis le premier d'embas, comme le premier eschellon pour monter jusqu'à Ehieh; et le dixiesme en descendant. Car il y a trois noms qui s'entreregardent, dont le premier est icelui Adonai, au bas, qui est la cime de l'arbre renversé: au milieu ou en la tige est le tetragrammaton ineffable [H]: et au hault en la racine, Ehieh. Tout le Thorah donques, assavoir la loy contenue és cinq livres de Moyse, n'est autre chose que ce Quadrilettre ineffable estendu en divers noms, surnoms, soussurnoms, ou effects, à guise des branches et rameaux d'un arbre, qui toutes procedent, et sont nourries, vivifiees, entretenues, et renouvellees de leur tige; et la tige de sa racine: lequel nom est celui que Dieu en Exode 6. dit n'avoir manifesté à Abraham, Isaac, ne Jacob; l'ayant selon les Cabalistes reservé jusqu'au temps de Moyse, afin de prosterner par luy le pouvoir du faulx Jova ou Jupiter Ammonien, qu'ils appellent Ammomino protecteur et patron tutelaire des Egyptiens; et reveré d'eux en ressemblance d'un Bellier; parce que c'est le premier <f 73v> signe du Zodiaque, à qui l'Egypte correspond icy bas selon leurs traditions; laquelle le Zohar dit denoter en l'escriture tousjours quelque chose de sinistre et pernicieux, comme adversaire directement du peuple de Dieu; ainsi que le Mammon ou Ammon superintendant de la pecune, et quant et quant de l'avarice en S. Luc 16. l'est de JESUS CHRIST:
La puissance d'Egypte ou du diable, renversee en vertu du nom Jehova.
Au moien dequoy l'Egypte est appellee [H] Mizraim, comme qui diroit angusties et oppressions. En vertu donques du nom [H], Moyse prosterna du tout cest Ammomino, assisté de son frere germain Amael, avec leurs six cens coadjuteurs d'esprits immondes, familiers ausdits Egyptiens, et designez dans le Zohar par les six cens chariots armez en guerre, que prend Pharaon en Exode 14. pour aller apres les Israëlites. Car selon la secrete theologie, qui le collige de ceste sorte de plusieurs lieux de l'escriture, Nul ne peult estre surmonté icy bas, comme le remarque Rabbi Joseph ben Carnitol au livre des portes de la Justice, sur ce passage, In die illa animaduertet dominus Jehova in omnem exercitum excelsum in excelso; et in Reges terrae in terra, que l'intelligence qui luy assiste d'enhault ne le soit avant, et distraicte de sa protection;
Homere au 20. de l'Iliade, du combat des dieux devant Troye.
comme il se voit au 28. d'Ezechiel, où Dieu se deliberant de destruire la ville de Tyr, en retire premierement le Cherub; Et en Daniel 10. de ce Prince du Royaume des Perses, assavoir leur genie et patron, qui resista à l'Ange Gabriel par 21. jours, jusqu'à ce que Michel luy fut arrivé de renfort; <f 74r> car ces bien-heureux esprits administratoires nous assistent, gouvernent, instruisent, poulsent, retirent et guiddent, tout ainsi que fait l'homme aprenant un cheval, un chien, un oiseau; Tesmoin ce qui s'allegue du demon Socratique; et ce qui est dit en Job trente huit, Num nosti leges caeli, et pones rationen illius in terra ? A l'exemple dequoy les Romains, selon que le recite Pline livre 28. chapitre 2. apres Verrius Flaccus, és sieges des villes avoient de coustume, premier que d'entrer en aucun effort, de faire evoquer par leurs prestres le Dieu protecteur du lieu, luy promettant de plus amples honneurs à Rome; comme faict Furius Camillus à la deesse Junon en la prise de Veies dans le 5. de Tite Live: Et pour ceste occasion, de peur qu'on ne leur fist de mesme, ils tenoient le vray nom de leur ville secret; si que Soranus pour l'avoir osé divulguer, mourut sur le champ, ainsi que le tesmoigne Plutarque en la 61. question Romaine. Mais le plus grand fait, et le plus excellent de tous les prodiges de Moyse, fut quand il estendit le quadrilettre [H], à luy revelé pour renverser la puissance assistante d'Egypte, le faulx Jova Ammomino, en trois fois septante deux lettre, qui font le nombre de deux cents seize, autant que monte le Cube du Six representé par le [H] Vau, qui est le caractere particulier du Jehova, et d' Ochmah, le verbe et la Sapience du PERE: Car 6. fois 6. font 36. le carré; et 6. fois 36. 216. le Cube: Si que tout le Thorah <f 74v> ou loy Mosaïque, contenant selon la curieuse suppuration des Cabalistes autant de lettres que sortirent d'ames d'Egypte, assavoir deux millions, compris les vieillards, les femmes, et les enfans, n'est autre chose que ce grand nom Schemhammaphoras ou expositif, estendu des 72. lettres en trois fois autant; Et de là encore en plusieurs autres noms et surnoms subalternes, qui expriment l'Estre, et les effects du souverain Dieu, entant que l'esprit humain est capable de les comprendre. CES 216. lettres ausurplus sont tirees de trois textes dudit quatorziesme d'Exode: Le premier, en l'article dix neuf; Et l'ange de Dieu ( Elohim) qui alloit devant le camp d'Israël, se desplaçant de là, se mis à leur queuë; ensemble la colonne de nuage qui se partit du front de l'armee, pour se mettre à leur dos. Le second: Et se vint cest ange poser entre le camp des Egyptiens, et celui des Israëlites; qui fut esclairé tout du long de la nuict; et celui-là offusqué de broulhas et obscurité: durant laquelle ils ne s'entr'aprocherent point les uns des autres. Le troisiesme, Et comme Moyse eust estendu sa main vers la mer, Dieu en retira par un impetueux vent de Siroc les eaux toute nuict, et la mit à sec; en sorte qu'elles demeurerent separees à guise d'une chaussee des deux costez, tant à dextre comme à senestre. Chacun desquels Pasukim textes ou versets contient 72. lettres en l'Hebrieu, si qu'elles viennent à establir autant de noms explicatifs d'iceluy Tetragrammaton [H] , chacun de trois lettres: et ce en dix manieres differentes, selon autant <f 75r> de Zyruphs ou de variees commutations des lettres les unes és autres. Laquelle extention de ces quatre lettres en septante deux, les Cabalistes colligent par la voye arithmeticale de leur Ghematrie en ceste façon. Le Jod en premier lieu vaut dix, He, cing, Vau six, et He derechef cinq, lesquels assemblez feroient 26. Mais à les prendre par une reiteration d'assemblemens, en les readjoustant les uns aux autres, arriverent precisement à 72.
Exemple de l'art calculatoire des Hebrieux.
Car Jod valant dix, mis avec He fera 15. Jod he, et vau, 21. Et finablement les quatre ensemble, 26. Assemblez ces quatre nombres, 10. 15. 21. et 26. ce seront 72. et telle est l'art calculatoire en leurs chiffres, comme nous le monstrerons cy apres. Ceste extention au surplus se rapporte à ce qui est dit au 5. du Deuteronome; Souvienne-toy que tu as esté esclave en Egypte; et que le Seigneur ton Dieu t'en a retiré à main forte, et bras estendu: ce qui est repeté par Jeremie és mesmes mots au 27. et 32. Car le bras estant mis pour le Jehova, selon que l'allegue S. Jean 12. du 53. d'Isaie; Le bras du Seigneur a qui à il esté revelé; en vertu de ce nom et de ses dependances et appartenances, Moyse prosterna de sorte toutes les puissances d'Egypte, avecques leurs facultez et moiens, qu'elne se peurent onques pui relever; non tant seulement les six cens chariots dessusdits, ains par mesme moien les 72. potentats, et langages representez au bord de la robbe du grand Pontife, par autant de Grenades et de cymbales, esquels s'estoient divisees <f 75v> toutes les nations de la terre en la confusion Babylonienne: et à chacun d'eux, comme l'allegue Rabbi Joseph fils de Carnitol és portes de la justice, où ils les appelle le mystere des escorces exterieures du prepuce, qui environnent tout ainsi qu'une couronne le throne de la gloire de Dieu, avoit esté assignée sa part et portion de la terre; mais Israël fut choisi de luy pour son peuple particulier, separé des autres, avec le langage Hebraïque, comme pour sa favorite demeure: et de là depend l'un des principaux secrets de la circoncision, et revelation de la glande. Les Cabalistes appellent ces forces et vertus Egyptiennes, celles de la couppe inferieure; selon qu'en l'Apocalypse 17. il est faict mention d'une femme toute accoustree de pourpre et d'escarlate; et parée d'orfaiverie, de pierres precieuses et de perles; tenant au poingt une couppe d'or pleine d'abominations et d'ordures de sa paillardise: et en son front cecy escrit; MYSTERE, LA GRANDE BABYLONE MERE DES LUBRICITEZ ET ABOMINATIONS DE LA TERRE. Le renversement desquelles puissances, ou mauvais demons presidans aux peuples idolatres esbauché par Moyse, comme figure de JESUS-CHRIST, fut de tous points accomply de luy; Maintenant le prince du monde sera jetté hors; en S. Jean 12. et assez appertement en l'Apostre encore, aux Coloss. 2. Despouillant les principautez et les potentats. et la 1. aux Corint. 15. Cùm euacuauerit omnem principatum, et potestatem, et virtutem. Surquoy vient à noter un fort beau mystere; <f 76r> Que par cinquante fois se trouve estre en l'escriture reiterée ceste delivrance et issuë d'Egypte, et non moins ny plus aussi, pour denoter le grand Jubilé de nostre redemption, et eslargissement de la servitude du diable: car comme il a esté dit cy devant au fueil. 60. il n'y a eu que le seul MESSIHE qui soit entré en la cinquantiesme et derniere porte de l'intelligence, comble de la parfaite beatitude, qui est la fin du Binah, et commencement du Chocmah, assavoir la sapience et le Verbe; lequel par sa mort et passion nous à ouvert ceste porte du grand Jubilé de planiere remission de salut, et parfaictement delivrez de l'Egypte ou captivité de Sathan: ce qui ne fut pas octroyé à Moyse, qui ne passa que jusqu'à la 49. porte; ce nombre naissant de la multiplication carrée des 7. inferieurs Sephirots: Et pourtant personne ne peut estre sauvé par la loy, comme le tesmoigne l'Apostre aux Rom. 3. et Galat. 2. plus au 13. des Actes; non potuistis in lege Moysi iustificari; ains en JESUS-CHRIST: aussi ne promet il aux Israëlites, et mesme en Deuteronome 28. que toute beatitude et felicité temporelle: et si ne luy fut pas octroyé de les introduire en la terre de promission, qui estoit le type et figure de la gloire de Paradis; cela estant reservé au mediateur Dieu et homme, dont il est dit en Isaie 61. Spiritus domini super me, eo quòd unxerit me ut praedicarem captiuis indulgentiam, clausis apertionem, et annum placabilem domino, etc. Parquoy il envoya le SAINCT ESPRIT au 50. jour, ouquel nous fut ouverte de tous <f 76v> points la porte du ciel, c'est à dire la remission de nos pechez: comme il est dit en S. Jean 20. Accipite Spiritum sanctum; quorum remiseritis peccata; remittuntur eis, etc. CES TANT belles donques inquisitions et recherches Cabalistiques des plus profonds mysteres de la divinité, au monde intelligible, dont depend à guise de deux clairs ruisseaux procedans d'une vive eternelle source, tout ce que l'esprit humain peut atteindre de cognoissance des admirables effects de la nature et de l'art, au monde sensible; car il y a une telle analogie et relation de Dieu avecques ses ouvrages, qu'ils ne se peuvent bien comprendre sinon reciproquement l'un par l'autre, nous invitent assez d'y appliquer nostre entendement; attendu mesme que de là sourd l'une des plus secretes et ingenieuses modes de chiffre; lequel consiste de caracteres tous egaux, sans aucune difference de forme, quantité, ny couleur; tels que pourroient estre un ciel tout parsemé d'estoilles, un arbre revestu de ses fueilles, une mer agitee de vagues, des points et lignes toutes semblables; et en somme tout ce que la nature produit de perceptible à noz yeux, ou que nous pouvons imaginer en nostre pensee, comme nous le monstrerons cy apres en tres-claire practique et usage: Si que tout cest univers semble un livre, ouquel soient escrites les merveilles du Createur, qui anoncent incessamment ses louanges, à ceux au moins qui y sçavent lire. Car c'est un chiffre et fort occult pour la plus part, qui ne contemplent les corps celestes <f 77r> d'autres maniere qu'ils feroient un grand nombre de lampes ardentes dans une synagogue Judaïque, ou Mosquee de Mahometistes; ou bien selon le philosophe Xenophanes, autant de gros charbons allumez de nuict, et esteints sur jour; sans passer plus outre à leur ordre, assiette et disposition, (je laisse à part les intelligences qui invisiblement leur assistent, et me retiens à ce qui se peut appercevoir par le sens) dont depend toute l'efficace en ce cas: ce que la Ghematrie des Hebrieux nous descouvre, source de tous les chiffres et secretes manieres d'escrire de quoi l'on doive faire compte; et nous introduit par la vraye Arithmetique et Geometrie, que Pythagore appelle les convenances et proportions, envers luy les principes de toutes choses, à infinies revelations de secrets des trois sciences non vulgaires, attribuees comme ja a esté dict aux trois mondes. Car tout ainsi qu'en un beau palais, où il y eust en premier lieu au plus bas estage une grande quantité d'ustancilles et meubles exquis; comme de mesnage de bois, linge, tapisseries, et autres telle commoditez pour la vie humaine: puis au dessus dedans quelque Garderobbe secrette, force buffets de vaisselle d'or et d'argent, vases et couppes: et au plus haut un cabinet de pierreries; de ces trois pieces là bacclees de forts cadenats et serrures, il faudroit en avoir les clefs, pour considerer à l'oeil ce que c'est: le semblable est-il des trois mondes, dont les trois sciences occultes sont les vrayes clefs, qui seules nous peuvent <f 77v> defermer les secrets thresors qui y sont, comme il est dict en Isaie vingt-neuf, La vision de toutes ces choses vous sera comme d'un livre cacheté, lequel estant presenté à un qui sçait les lettres pour y lire, il respondra qu'il ne peut à cause qu'il est fermé; et autant en dira l'ignorant. Mais de la propre sorte que d'un mesme gazon ou motte de terre se produisent de bonnes herbes salutaires pour le corps humain, avec des venimeuses et nuisibles parmy: de la mesme rousee empreinte és fleurs, l'Abeille succe et elaboure sa gracieuse liqueur de miel; et l'araignée tout au rebours un mortel poison pestifere: et d'un mesme texte de l'escriture le fidele et obeissant fils de l'Eglise Catholique tire le vray sens propre à son salut; et le contumace heretique une faulse et erronée intelligence qui la meine à perdition; aussi n'ont jamais manqué nulle part, ny en aucune profession et doctrine des cerveaux devoyez hors du droict chemin, qui ont perverty toutes ces belles cognoissances à de vains abuz, à des curiositez illicites, et impies superstitions; les uns soubs la couverture et nom de Cabale; les autres sous le tiltre et qualité de magie; science, autre-fois si honoree, que Platon dans le Charmide l'appelle la vraye medecine de l'ame, qui s'aquiert de là une parfaicte tranquillité; et le corps une bonne habitude: et au premier Alcibiade, il met qu'elle se souloit enseigner aux enfans des grands Rois de Perse, par leurs Theologiens et philosophes appelles <f 78r> Mages; à fin de leur apprendre à former leur domination temporelle, sur le patron de l'ordre et police de l'univers. Et les autres finablement descrié toute la troisiesme dicte Chimie, sous des amorces, et faulx apasts d'une montjoye de richesses nées à un instant, par d'imaginaires transmutations metaliques, à quoy ces bons personnages, qui y ont si soigneusement employé leur estude n'aspirerent onques: trop bien ont ils cherché par là quelques remedes plus souverains que les vulgaires, encontre les accidents ausquels l'imbecillité de la chair nous soubsmet: Et voulu sonder par mesme moien les metaux, la plus belle, permanent et admirable substance que la nature produise point: car oultre la diversité d'ornemens provenant d'eux, dont la personne se peut es-jouir et parer: outre tant de commoditez que la vie humaine en reçoit, en l'agriculture, au navigage, et en toutes sortes d'arts et mestiers, qui sans cela demourroient manques; et en fin les medicaments qui s'en font tant pour le dehors que dedans, leur merveille en tout cela est, qu'ils se peuvent metamorphoser d'infinies manieres, sans pour cela perdre leur forme specifique, qu'ils ne se restablissent tousjours en leur premier estre; (si ce n'est par un tres-ingenieux artifice, et de fort longs preparatifs) nonobstant qu'ils ayent esté reduicts en pouldre impalpable; en chaux, sel, eau, huille, verre, esmail et semblables alterations; à guise d'un autre Prothée; lequel comme dit le Poëte, au 4. des Georgiques. <f 78v> Omnia transformat sese in miracula rerum;
  Ignémque horribilémque feram, fluuiúmque liquentem.
C'a donques esté leur intention, et non une vaine et frivole avarice, de descouvrir par ceste science elementaire les cachez progrés de nature, qui n'est autre chose selon Empedocle et Anaxagore, que la mixtion et separation des elemens, autour dequoy la Chimie verse, dont elle est dite Spagyrique, comme separant et reconjoignant les substances. Et en la revelation de ces beaux secrets, se manifeste la gloire de celuy qui en est le premier autheur, pour y prendre son esbattement; ainsi que nous ses creatures faisons à l'inquisition de leurs causes latentes, avec leurs proprietez et effects; l'une des plus savoureuses pastures de l'ame: car cela nous est comme en lieu d'eschelle pour monter là haut; et un eslevement de nostre pensee hors de la sensualité de ceste ville et abjecte escorce, qui ne tache que par un surpesant contre-poix de la ravaller et tenir en bas submergée dans les oysives voluptez, et bestiales concupiscences, à l'aide de ce faux et traistre abuseur, nostre inveteré adversaire; ce maudit assavoir, et ancien serpent nommé Hazael par les Cabalistes, pere du Tumah et Lilit, la pollution et ordure; lesquel comme met le Zohar, est la fin finale de toute chair, où il predomine, et au sang; aussi luy sont ils assignez pour viande et breuvage, comme estans de terre; en Genese 3. Terram comedes cunctis diebus vitae tuae: dequoy ne s'esloigne pas fort Pythagore Cabaliste Grec; qu'au Binaire, <f 79r> (c'est le DEUX, qu'il prend pour le diable et mauvais principe) appartient toute la matiere de ce monde visible; laquelle il nomme aussi le Binaire: Ce qui se conforme encorse à ce que le SAUVEUR appelle le commun ennemy, le Prince du monde. Mais les esleuz, Qui non ex sanguinibus, neque ex voluntate carnis, neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt, (en S. Jean premier) se retiennent tousjours au bien, sans s'extravaguer hors du droit chemin: là où si les autres à la suggestion du mauvais, lequel est incessamment aux escoutes et en vedette, à espier quelques humeurs propres aux zizanies qu'il tient tousjours appareilles pour y semer, pervertissent le bien en mal, ou luy le pervertist par eux; le vray en mensonge; et ce qui existe reellement, en fumee et frivoles illusions deceptoire, ce n'est pas à dire pourtant qu'il le faille ainsi descrier; nomplus qu'un beau vase d'or enrichy de pierres precieuses, que pour avoir esté temerairement employé à quelque infame et ord service, ce seroit trop grande simplesse vouloir rejecter pour cela, attendu que ce n'est qu'une exterieure contamination, qui ne penetre pas dedans la substance, laquelle est incorruptible de soy: et les Juifs ont bien tortionné infinis lieux de l'escriture voire de l'expresse parole de Dieu, à de vaines superstitions abusives, appliquans cruëment à la lettre, ce qu'ils devoient prendre spirituellement et au sens; comme il leur reproche en Isaie 29. Ce peuple ne me glorifie qu'assez des levres, mais leur coeur est bien esloigné <f 79v> de moy; en est elle moins recommandable pourtant ?
Les Phylacteres Judaiques.
Pour exemple; y a il rien de plus ridicule que ces Tephillin practiquez par eux de tout temps, et encore pour le jourd'huy ? Ce sont certains brevets appellez en Grec [G] ou preservatifs; mot assez proche de l'Hebrieu, et comme un anagramme d'iceluy, qu'ils portent au front, et bras gaulche; les Mezerusa, ils les placquent sur le sueil de l'huis; moiennant lesquels ils se proposent avoir accomply tout ce qui est ordonné en la loy; mesmes en Deuteronome 6. Et ligabis verba haec quasi signum in manu tua, etc. se garentir par mesme moien de tous dangers, inconveniences et desastres; et se prolonger leurs jours icy bas; se fondans en cela sur le formel texte de l'escriture: LE premier desquels brevets est tiré du 6. du Deuteronome, verset 4. Escoute Israël, le Seigneur nostre Dieu est seul Dieu etc. Et les lieras pour signal sur tes mains etc. Jusques à la fin du 9. LE second est pris du 13. d'Exode; Et le Seigneur parlant à Moyse; Jusques à la fin du 10. Tu garderas ces convenances. LE troisiesme depuis le onze du mesme; Or quand le Seigneur t'aura introduit, Jusques à la fin du 16. ET le 4. de l'onziesme du Deuteronome, à commancer au verset 13. Si donques vous obeissez, Jusques à la fin du 21. Pendant que le ciel s'estendra sur la terre. Ils les escrivent avec de grandes ceremonies en du parchemin vierge: et quand ils tuent un veau pour en faire, ils dient; Je sacrifie ce veau cy, en intention d'emploier sa peau à en faire des Tephillin. Et de mesme quand ils la donnent <f 80r> à conrroier; puis finablement à l'escrivain; avec tout-plein d'autres mysteres; mais cela ne se fait que du costé de la chair, et nompas de celui du poil. Pendant qu'ils les portent sur eux, ils se garderont bien d'aprocher d'une sepulture, ny aussi peu de hanter leurs femmes, que premierement ils ne les aient serrez en double bouëtte, de peur de les contaminer; car selon les traditions du Talmud; Quiconque a les Tephillin à son chef et au bras, et sur le sommier de sa porte, il se prepare comme une habitude à se contregarder de peché, suivant ce qui est escrit, QU'UNE FISCELLE CORDELLEE EN TROIS, EST PLUS FORTE A ROMPRE. J'ay appellé ceste superstitition ridicule: et à la verité malaisément se pourroit-on garder de rire les voyant ainsi equippez de ces brassals et frontauvollans; joint la bonne pipee qu'ils font. Au surplus s'il est loisible ou prohibé d'employer l'escriture Saincte ores qu'a quelque bon effect; comme à guerir des maladies, estancher le sang, amortir et faire tomber le feu espris en une cheminee, conjurer les fouldres et gresles, et autres semblables, c'est une question à part où je ne pretends pas m'embarquer: Trop bien me veux-je faire acroire, que le plus seur sera tousjours de se retenir à ce dont la propre escriture nous reigle: En mon nom, dit le Redempteur en S. Marc 16. ils dechasseront les serpents; et là ou ils mettront les mains sur les malades ils seront gueris: Car, il n'y a point d'autre nom sous le ciel, qui ait esté donné aux hommes, ouquel il nous faille esperer salut; és Actes 4. <f 80v> là où le mot de [G] importe non tant seulement la savation de l'ame, mais du corps avec, et de nos fortunes. Ce neaumoins l'on est d'accord qu'il y a des choses plus scabreuses les unes que les autres; ainsi que la Geomantie et Astrologie qui sont fondees sur la nature, sont moins reprouvables que l'Hydromantie, Pyromantie, Lecanomantie, et plusieurs telles, où il y a de l'intervention d'esprits: Dont Varron racompte qu'il y eut un jeune garçon qui par les sortileges de quelques-uns veit en de l'eau l'image de Mercure, qui par cent cinquante vers anonça tout l'evenement de la guerre Mitrithratique.
Zairagia, predictions practiquees par les Juifs et Mores.
JEAN LEON, à propos de ces Devinailles, de Mahometiste converty à la foy Chrestienne, au 3. livre de son Aphrique, fait mention d'une reigle en fort grand' vogue tant à Fez, qu'en tout le reste de la Barbarie, ditte en langue Moresque Zairagia, qui signifie autant que Cabale ou reception traditive; mais il ne l'atteint que du bout des levres, et comme s'il se vouloit seulement rinsser la bouche en passant pays à la haste, dans l'eau du Nil, en lieu suspect de Crocodiles; aumoien dequoy il m'a pris autrefois envie d'en estre plus amplement instruit par des Juifs et Mores qui en estoient souverains Maistres; non ja pour raison des devinemens, et responces presqu'infallibles de tout ce qu'on leur sçauroit proposer, car je n'euz onques graces à Dieu, ny creance ny inclinatoin à de telles curiositez inutiles, ains seulement pour l'importance dont cela est à tousjours tant mieux concevoir <f 81r> l'affinité du monde sensible avec le monde intelligible; estant ceste reigle establie totallement sur les convenances arithmeticales, et les proportions geometriques d'une part; et de l'autre sur la trifourchee racine des trois lettres meres, les Principes de toutes choses, Aleph, Mem, et Shin;
Mysteres des trois lettres appellees les meres.
dont la premiere represente la Paternité, et l'unité des nombres simples lineaires; la terre des vivants aussi: la seconde qui est au beau milieu de l'alphabet, et la quatriesme des dixaines, la filiation ou premier progrez; et l'eau salutaire. Et la troisiesme qui est vers la fin, en la seconde des centaines, l'esprit et le feu, qui anime tout l'univers, et le maintient en son reel estre, comme fort elegamment le descrit le Poëte au 6. de l'Eneide:
  Principio caelum et terras, campósque liquentes,
  Lucentémque globum lunae, Titaniáque astra,
  Spiritus intus alit, totámque infusa per artus
  Mens agitat molem, et magno se corpore miscet.
  Puis tout soudain; Igneus est ollis vigor, et celestis origo. OR il ne se sçauroit guere trouver de similitude plus propre pour correspondre à ces trois lettres, et en remarquer la signifiance, que ceste petite matrice de cuyvre où lon fond les caracteres de l'Imprimerie, pour l' Aleph, ou le monde intelligible; et l'Idee: Puis le caractere, qui y est jecté, pour le mem, ou le monde celeste receptacle des formes: et finablement l'escriture qui en est empreinte, pour le Shin, et l'Elementaire auquel la forme s'imprime en la matiere, <f 81v> dont resultent les individuz lesquels equipollent aux mots formez d'iceux caracteres. Il en reste consequemment dix-neuf, departiz comme il se dira, pour parfaire le nombre de 22. en un si grand predicament envers les Cabalistes, qu'ils se sont imaginez de pouvoir par le fondement d'icelui arriver à cognoistre celuy des Estoilles; ainsi que l'attenta autrefois Hipparque à l'ayde de ses instruments; chose presque par trop outrageuse à Dieu mesme, ce dit Pline livre 2. chap. 26.
Fantastique numerations des estoilles.
Mais nompas selon le Psalmiste 147. Qui numerat multitudinem Stellarum et omnibus eis nomina vocat: et ce par les reiterees multiplications des 22. lettres, qui arrivent finablement à un nombre incomprehensible ineffable; trop plus grand sans comparaison que celuy qui a esté touché cy devant en la page car cestuy-cy monte à 340342437295386858641036799104. Que si l'on vouloit adjouster ensemble toutes les 21. multiplications chacune à par-soy, que seroit ce ? mais ils ne commancent qu'au Beth, d'autant que l' Aleph qui represente l'unité ne peult rien produire multipliee de soy seule, et en soy: et font ainsi, 22. fois 22. font 484. 22. fois 484. pour le Gimel 10648. Et ainsi du reste; laquelle curiosité de numeration est de vray du tout frivole et incertaine; car quel fondement y peult-il avoir en cela ? n'estant qu'une couverture, sans bien peu ou rien d'apparence de vraysemblable; aussi bien que celle dont les Talmudistes s'efforcent de nombrer les anges par une autre voye; <f 82r> mais là dessous ils comprennent quelques secrets dont tout cecy leur sert de chiffre; à l'exemple duquel Daniel au 7. chap. nombre les anges par milliers, comme font aussi Ezechiel au dernier et l'Apocalypse au 7. la pluspart des choses divines.
Autre fantastique numeration des anges; mais tout cecy n'est qu'un chiffre mystique.
Les Talmudistes donques distinguent les trouppes et exercites des anges en six ordres; assavoir Mazalot, El, Ligion, Rihatton, Chirton, et Gistera. Les Mazalot puisapres sont par eux divisez en 12. regimens, selon les 12. signes du Zodiaque; chacun desquels contient trente enseignes appellees El, autant qu'il y a de degrez en chasque signe; et par ce moien arrivent à 360. Chaque El, contient encore autant de Ligion arrivans par ce moien à 10800. chaque ligion 30. Rihatton, qui sont 324000. chaque Rihatton 30. Chirton; 9720000. Et chaque Chirton estant finablement multiplié par 30. Gistera ils reviennent à 291600000. Somme toute 301655160. qui n'aproche aucunement de la dessusdite multiplications des Ziruphs en la page 42.
  MAIS pour revenir à ceste reigle Cabalistique de Zairagia, nous en avons icy reduit la practique d'une autre methode; Dressé assavoir, de la seule Spherique figure qu'ils font en quatre ou cinq cercles envelouppez l'un dans l'autre, autant de tables separees, pour rendre plus intelligible le tout; et de l'usage de ces devinailles oisives, la reduire à celuy de la Ghematrie qui ne bat que sur les vrais dechiffremens des secrets mysteres de l'escriture; et des <f 82v> predictions prophetiques: Car de là depend la vraye Arithmantie rationelle, et la Geomantie formelle; dont celle-là symbolise au monde intelligible, à cause de la subtilité des nombres, plus essentiels, esloignez, et abstraicts de la matiere que les mesures, et qui sont comme raisons, relations et respects, à quoy se raportent les especes du monde sensible; à peu-pres ce que veult inferer Aristote au texte cy devant amené du douziesme des Metaphysiques; Species se habent sicut numeri: Et la Geomantie establie sur les mesures, comme formes introduittes en la matiere, correspond au monde sensible participant de la matiere, plus deliee et formelle au ciel, et plus grossiere et materielle en la terre: le tout à l'exemple des Sephirots, aux trois superieurs desquels conviennent les nombres, et aux sept inferieurs, les mesures. A ces deux encore dependances de la Ghematrie se raportent, assavoir à l'Arithmantie, et au monde intelligible, les interieures conceptions de nostre pensee; et à la Geomantie, l'escriture qui les exprime: car de la pluralité des poincts qui consiste és nombres (je n'entends pas ceste fortuite projection de poincts qui se respandent à l'adventure, car ce n'est qu'une pure nigauderie sans fondement, ny dont on puisse rien tirer de solide) se produisent les lignes tant droictes que courbes, desquelles se forment puisapres les lettres; et des lettres accouplees en syllabes, et en dictions, <f 83r> vient un sens à se procreer, qui manifeste et jette dehors tout ce que l'entendement peut apprehender au dedans: lequel sens est analogique à l'esprit qui vivifie les parties d'un corps, designées par lesdites lettres, ainsi qu'est le corps par le mot qui en est tissu; representant naifvement la proprieté naturelle de chaque chose qu'il signifie, au moins au langage Hebrieu, ouquel l'on tient qu'Adam imposa les vrayes et signifiantes appellations de toutes celles qui furent creées. Et tout ainsi qu'en la corruption d'un individu, la forme qui y souloit estre venant à s'en effacer, une autre succede en sa place, et s'y introduit; de mesme en un contexte descriture, si les lettres en sont transposées, et jettées hors de leur precedant ordre, assiette et disposition, le sens qui y estoit auparavant s'alteré et change; car en peu de façons sauriez vous gueres tourner n'assembler les caracteres Hebraïques, qu'il ne s'y en trouve tousjours: et pour autant que les lettres consistent de nombres et de mesures, ce que comprend la Ghematrie; et que d'icelles se formant les mots, qui portent en eux la vraye essence et quiddité de la chose qu'ils representent; Que tout cest univers au reste est regy par un intellect espandu et meslé en toutes ses moindres parceles, auquel tant le passé que l'advenir sont presents, on prend en ceste reigle de Zairagia les lettres de la demande proposée, pour fondement; desquelles jettées hors de leur premiere assemblement et contexte, et restablies en un nouveau, moiennant les convenances et les proportions <f 83v> de leurs nombres et de leurs mesures; joinct cest intellect universel qui conduit tout, resulte un nouveau sens, qui manifeste la responce de la demande, soit du passé soit du present, où de l'advenir: Car depuis que les lettres viennent par l'aide desdits nombres et proportions à s'eslever hors du premier sens, ainsi que de leur terrestre matiere, à une forme celeste, l'ame de l'univers qui est toute intellectuelle les attire bien plus aisément à soy, que si elles demeuroient en leur crassitude sensible; de la mesme sorte que les esprits eslevent le corps; l'ame les esprits; et l'intellect où le Nessamah l'ame finablement à soy, qui est une autre eschelle de Jacob; et la chesne d'Homere, à l'imitation de ce que le Sauveur dit de soy en S. Jean 12. Ego si exaltatus fuero à terra, omnia traham ad meipsum. Ce n'est donc pas notre intention d'enseigner icy rien quelconque de divinement illicite ne licite, par la voye de la Ghematrie, ains au rebours par cest exemple Cabalistique, faire tousjours tant mieux concevoir ce que c'est de la Ghematrie, source de tous les artifices de chiffres: enquoy l'on procede de ceste sorte. TOUT PREMIEREMENT il vous trassent un cercle, qu'ils partent en quatre par deux diametres s'entrecroisans à angles droits; la où ils marquent les quatre premieres progressions numerales 1. 2. 3. 4. comme celles qui gouvernent tout, faisans 10. ensemble; et consequemment les Geometriques qui leur correspondent; le point, la ligne, la superfice ou triangle; et le carré, qui represente le Cube <f 84r> et le corps solide, ayant toutes les trois dimentions de longueur, largeur profondeur. Au dessous de cela se mettent les trois lettres meres, Aleph, Mem, Shin, qui denotent les trois Elemens terre, eau, et feu; car les Hebrieux n'en admettent nomplus, rejectans l'air hors de ce compte, comme ne servant que pour une maniere de colle ou de gluz d'iceux Elemens; et par mesme moien à remplir le vuide, que la nature abhorre tant; au lieu duquel s'establist icy un petit rond, tenant lieu de zero en chiffre 0, qui sert au calcul pour les pauses et distinctions des dizaines. Ils y adjoustent puis apres les quatre saisons de l'année, et les quatre parties du monde, avec les quatre vents qui en viennent; Inducam quattuor ventos à quattuor plagis caeli, Jeremie 49. Et les quatre Anges qui y president, en l'Apocalypse 7. car les vents, ores que naturelles impressions de l'air au monde elementaire, sont neantmoins en l'occulte philosophie referez au reng des esprits, selon ce qui se pourra veoir cy apres extraict de quelques Rabbins, conforme à plusieurs passages de l'escriture; et mesmes au pseaume 148. Spiritus procellarum quae faciunt verbum eius; c'est pourquoy on les rechasse aucune fois par adjuremens, et au son des cloches, qui sont benistes et exorcisees: mais plus pregnamment au 37. d'Ezechiel, parlant de la resurrection de noz ossemens; A quattuor ventis veni spiritus, et insuffla super interfectos istos, et reuiuiscant: et en Daniel 7. Et ecce quattuor venti caeli pugnabant in mari magno; que la glose explique pour les quatre intelligences <f 84v> angeliques qui president aux quatre cantons du monde; et ce en la grand' mer de l'intelligible, où consistent les vives permanantes sources de tout ce qui se derive icy bas par les canaux des Sephirots, et y retournent finablement, comme les fontaines, et les rivieres qui en procedent, dedans la mer. Car tout ainsi que le ciel influë ses actions, proprietez, et effects icy bas au monde elementaire, dequoy la Lune est comme un magazin et apport, où tout cela vient à s'assembler et reduire pour nous le distribuer en detail; de mesme, et trop plus encore sans comparaison, le monde intelligible influë au ciel, qui est comme un instrument et moien par lequel Dieu agist en nous, et effectue ce qu'il luy plaist envoier en terre: mais cela passe nostre apprehension, pendant que l'ame est submergee dans ceste masse corporelle, dont elle ne voit que comme à travers un espoiz-terne chassis dormant. Quant aux vents, derechef plus apertement en Zachaire 6. à quoy se conforme de telle sorte le 6. de l'Apocalypse, qu'il semble presque en avoir esté transcrit mot à mot: car apres avoir descrit la diversité d'attellage des quatre chevaux, il demande à l'Ange; Et que signifie cecy monseigneur ? Il luy respond; Ce sont les quatre vents du ciel, qui se jettent hors pour se presenter devant le grand monarque de la terre.
<f 85r> [FIGURE]
  ET POURAUTANT que le TROIS est un Symbole de la divinité, et du monde intelligible, et en nous du Nesamah ou intellect qui y correspond; et le QUATTRE represente l'elementaire, <f 85v> et le corps: et que tout moien participe de l'un et de l'autre de ses deux extremes; surquoy faut noter ce que l'Apostre en la premiere aux Cor. 15. appelle le mediateur composé de la divinité, et humanité, l'homme celeste; ils adjoustent avec le dessusdict Quaternaire le Trois, pour faire le Sept, lequel represente le ciel, à cause de pareil nombre de planetes, quo sont les principaux instrumens d'iceluy; et dont dependent presque toutes les varietez et alterations d'icy bas, tant en la production des choses, qu'en la fortune des personnes, au moins selon Trismegiste au 1. chap. de son Pymandre: Il fabriqua consequemment sept gouverneurs, qui par leurs revolutions et Spheres enveloppent le monde sensible; la disposition desquels est appellée le destin fatal: et en font un cercle, qui enclost l'autre: lequel ils divisent en sept espaces, qui servent tant pour les planetes, que pour les Anges, intelligences, et esprits qui y president; assistans au reste perpetuellement devant le throne face à face du grand Dieu, en l'Apocalypse premier: et au 4. plus expressément; Il y avoit sept lampes ardentes devant le throne, qui sont les esprits de Dieu: lesquels au 5. ensuivant il dict estre les yeux du Messihe: au milieu des vingt-quatre anciens un aigneau estoit là comme ayant esté mis à mort; et avoit sept cornes, et autant d'yeux, qui sont les sept esprits de Dieu envoiez en toute la terre; car à eux est commise toute la dispensation et regime de la cour celeste, et de ce bas monde soubs la Sphere de la Lune. Ce sont ceux qui avec leur chef pour le septiesme, designez <f 86r> par le chandelier du tabernacle, sont continuellement devant le Mercava ou throne de Dieu, ainsi que quelques secretaires des commandemens, dont ils commettent l'execution à autres six Anges subalternes, garniz chacun de six esles: et se tirent les noms des six Anges majeurs dessusdicts, des six renversemens ou anagrammes de ces trois lettres du grand nom [H], qui seront cy apres plus aplain specifiez, selon les six constitutions du monde; le hault, et le bas; le devant, le derriere; le droict, et le gauche. Ces sept Anges donques, ou intelligences ausquelles sont soubsmis les sept planetes par des alternatives vicissitudes d'heures és jours; de jours és sepmaines; de sepmaines en 354. revolutions annuelles, avec quatre mois, qu'elles president successivement chacune à son tour; administrent et gouvernent tout ce qui se projecte là hault au ciel, pour s'executer en la terre: et de ces Anges le plus proche de nous, et qui nous doit estre, si à nous ne tient, le plus familier, est Gabriel, auquel appartient l'interpretation entre autres choses des songes, comme celuy qui preside à la Lune nostre plus prochaine voisine de tous les astres et corps celestes; et à elle regentant la nuict ainsi que le Soleil faict le jour, se doit referer la charge des songes, qui interviennent plus communément en ce temps là destiné au dormir, que nompas sur-jour, et par consequent à l'intelligence qui luy assiste. A ces sept Anges se deferent encore selon le livre de Jezirah, les sept souspiraux <f 86v> de l'ame en la teste des animaux; assavoir les deux yeux, autant d'oreilles, et de nazeaux, avec la bouche au dessoubs: les sept terres en outre; car chaque planete est presupposé aussi bien que les metaux denotez par eux, d'avoir sa terre, c'est à dire sa partie ferme, fixe, solide consistante, avec ses autres Elemens, mais plus depurez qu'icy bas: plus les sept Sabbatismes ou reposoüers, tant des sepmaines depuis Pasques jusqu'à la Pentecoste, que des annees; et des 7. septenaires d'annees, au bout desquelles eschet le grand Jubilé: Et finablement le septiesme millenaire du grand Sabbat, apres les six mille ans que doit durer ce transitoire monde, duquel se doit faire lors l'universelle renovation. Parquoy ce ne sont pas icy des anciens enchantemens de Tolede; ne l'art magique de Raziel, ou de Picatrix, ains belles choses naturelles dignes de contemplation, qui par leur sympathie et accord, par leur ordre compassé et incommuable, nous tesmoignent le grand ouvrier avoir tout fait, et le regir par sa sapience, se servant en celà des Anges pour ministres et conducteurs; et du ciel avec ses estoilles en lieu d'instruments, dont il opere et agist icy bas, où toute la creation de monde tend; selon mesme que dit Chrysostome en une Homelie de la Pentecoste; Que le ciel a esté fait pour cause de l'Eglise (militante faut il entendre) et non l'Eglise pour le ciel. Car cest univers n'est qu'un temple, voulté tout autour; au milieu duquel est la terre plantee ferme pour servir d'autel; la mer y adjointe, en lieu de Piscine; et les astres d'autant <f 87r> de lumieres; lesquels outre-plus, avec tout ce que la nature produit en la terre, ne sont que lettres dont est escrit le livre de vie, auquel se chantent incessamment les loüanges du souverain, par toutes sortes de creatures: mais c'est un chiffre dont l'alphabet consiste en leur harmonie, convenance et proportion des unes aux autres.
[FIGURE]
  CES deux nombres 3. et 4. qui reduits ensemble font 7. si vous les multipliez l'un par l'autre, ils produiront 12. autant qu'il y a de signes au Zodiaque; par où se voit la grande affinité qu'il y a des Planetes avecques eux; Tout-ainsi que de 7. à 12. et de 6. à 8. <f 87v> car 2. et 4. font 6. et 2. fois 4. donnent 8. lesquels signes servent de domiciles aux planetes, à guise des 64. carrez noirs et blancs du doz d'un damier, pour les differentes assiettes des pieces en un jeu d'eschets, et leurs diverses dispositions et aspects des unes aux autres; dont il n'y a rien de plus convenable pour representer ceux des corps celestes; comme aussi sont les multiples rencontres des lettres, tant en general en toutes sortes d'escritures, qu'en particulier és chiffres carrez, qui ont plusieurs sens dessous un mesme caractere: car les regards et les habitudes des planetes és signes se venans adjoindre aux quatre elemens, dont se produisent tous les corps, symbolisent aux caracteres de l'escriture, qui constituent les mots. Ces douze signes au reste que Platon appelle les portes du ciel, desquels le Capricorne est dit l'ascendant, parce que le Soleil commance à remonter en iceluy; et l'Escrevice le descendant, à cause qu'estant arrivé là, il redecline, denotent les douze portes de la saincte cité celeste descrite en l'Apocalypse 21. ausquels sont attribuez autant d'Anges qui y assistent, departiz trois à trois en garde à chacune des quatre regions du ciel, Orient, Occident, Midy, Septentrion, de la propre sorte que les Astrologues les distribuent: et à chacun d'iceux signes est appropriee une lettre des douze simples; appellees ainsi parce qu'elles se proferent tousjours d'une mesme façon, comme les signes de leur costé demeurent tousjours en une mesme proprieté et vertu. Tout <f 88r> cecy se peult veoir en la table suivante, où la signifiances desdites lettres y est quant et quant apposee, avec les 12. mois de l'an qui correspondent aux douze signes: Et c'est le troisiesme cercle; par où il nous est demonstré que le ciel, auquel convient fort ce nombre de douze, est un passage et entremoien des choses divines, designess par le nombre de Trois, aux terriennes representees par le Quatre, comme celles qui consistent des quatre elemens: de sorte que nostre Sauveur qui participe de l'une et l'autre de ces deux natures, a eu ce nombre de douze en estroite recommendation, comme on peult veoir en tout plein d'endroits de l'Evangile; et en l'Apocalypse encore touchant la saincte dessusdite cité, toute compartie par douze, ainsi que Platon a fait la sienne mondaine és 5. et 6. des loix; si conformement l'un à l'autre qu'il ne seroit possible de plus; dont se voit assez la grand' sympathie et colligance qu'il y a des choses superieures avec les inferieures.
<f 88v> [FIGURE]
<f 89r>   CONSEQUEMMENT multiplians le nombre de 7. par le 4. qui est autant comme marier le ciel avec la terre, d'où dependent toutes les operations et effects de la magie naturelle, se viennent à produire les 28. mansions de la Lune és douze signes du Zodiaque, qu'elle parcourt en 28 jours; car cependant le Soleil s'esloignant d'un degré, elle le va ratteindre au 29. Et de cela se forme le quatriesme cercle; y appliquans les intelligences qui y president, avec les lettres Hebraïques y correspondentes, et la signifiances desdites mansions. En sorte que ceste figure de Zairagia estant parfournie, elle consiste de quatre cercles, pour representer les quatre elemens, principes de toutes choses aussi bien en-hault comme en bas, suivant la table d'Esmeraude d'Hermes; Quod est superius est sicut quod est inferius, et econuerso, ad perpetranda miracula rei unius. Et les Cabalistes à ce mesme propos; Domus sanctuarii quae est inferius, disponitur iuxta domum sanctuarii quae est superius. Desquels quatre cercles à l'imitation des quatre elemens, il y en a un qui demeure ferm'-immobile comme fait la terre, qui sert de base et de fondement à l'univers, lequel tornoye tout alentour; Fundauit terram super stabilitatem suam, non inclinabitur in saeculum saeculi; pseaume 104. Et les autres trois cercles se meuvent à l'exemple des trois elemens mobiles, eau, air, et feu, pour les rencontres de ce qu'on cherche, tout ainsi que font les Planettes.
<f 89v> [FIGURE]
<f 90r>   TOUT cela premis, dont depend la principale traditive des operations merveilleuses de l'occulte philosophie, qui n'est autre chose qu'une deüe attraction et associement des celestes vertuz agissantes en la passive matiere des elemens, susceptible de toutes formes, moiennant l'Esprit commun espandu par tout l'univers,
  Unde hominum pecudúmque genus, vitaeque volantum;
  Et quae marmoreo fert monstra sub aequore pontus;
Quant est de l'usage et practique de la dessusdite reigle de Zairagia, nou-nous en passerons atant icy, comme n'estant de nostre propos ny intention, et nous contenterons de dire, que tout procede par la voyde des commutations, et diverses transpositions literales des Ziruphs, avec les convenances et proportions des nombres formels; dont vient à se procreer un nouveau sens, ny plus ny moins que par des anagrammes de mots renversez: chose tresadmirable à la verité, et qui nous manifeste de plus en plus l'infallible providence divine jusqu'aux moindres choses ( Nonne duo passeres asse vaeneunt, et unus ex illis non cadet super terram sine patre vestro: Vestri autem et capilli capitis omnes numerati sunt, S. Mathieu 10.) en l'ordre par elle une fois estably au concours des choses humaines, esquelles il n'y a rien de fortuit ny à l'adventure pour son regard; et qui ne soit tres-sagement regy d'elle, d'une incomprehensible raison par ses administratoires esprits; du nombre desquels pource que nous avons mis cy dessus estres les vents <f 90v> aucunement; ( Et ascendit super Cherubim, et volauit; volauit super pennas ventorum, pseaume 18.) Et que cela semble avoir quelque affinité avec ceste transmission de pensee de la Steganographie de Tritheme et Agrippe, j'adjousteray tout d'une main ce qui s'en retrouve en certain fragment bien fort rare, que quelques-uns attribuent à Rabi Simeon fils de Jochai, autheur du Zohar; apres avoir inseré icy la table de la signifiance des lettres Hebraïques, qui concerne le propos dessusdit encore.
<f 91r> [FIGURE]
<f 91v>   SALOMON dit; comme le feu est distinct là haut des quatre Elemens d'icy bas, aussi est-il plus pur beaucoup qu'ils ne sont; et pourtant je veux dire icy quelque chose de ses animaux.
Les six animaux celestes et ignees.
Car il y a quatre inferieurs Elemens, dont chacun endroit soy à les siens à part: et au dessus sont les cieux avec les leurs propres aussi, purs et mondes sans point de corruption. Mais ce feu qui est en hault, n'est pas de cire, bois, huille ou graisse, ny d'autres telles compositions, ains fort simple, et les choses qui vivent en iceluy sont Anges purs, clairs et luisans, semblables aux raiz du Soleil, ou flammes de feu, ou estincelles, ou estoilles lucides en couleur d'argent-vif, ou d'or fin: laquelle semblance se trouve és animaux du feu: Et se voient là des figures telles en monstre et apparence qu'est le Souphre, qui par son exterieure couleur citrine represente la lueur des estoilles; et estant allumé, par sa flamme bleufve l'azur celeste du firmament, d'où par un temps serain et non empesché de nuages, à travers la rarité des autres Spheres, il se transmet à nostre veuë. Ce sont esprits qui presentent les oraisons des creatures devant le Mercava ou throne de Dieu;
Quando orabas cum lachrymis, ac sepeliebas mortuos etc. ego obtuli orationem tuam domino, dit l'Ange Raphaël à Tobie chap. 12. (Les Cabalistes appellent le chef et principal d'entr'eux tous, Sandalphon) et portent les oracles et revelations divines icy bas aux prophetes; et par mesme moien les pensees et secretes intentions des personnes insensiblement, ainsi que par inspiration, d'un lieu à autre, à quelque longue distance que ce puisse estre, en moins d'un clein d'oeil. LE SECOND animal ou esprit est plus <f 92r> tenebreux que les precedans, et est accomparé au vent; sa figure au reste estant telle qu'il la veult prendre selong l'un des quatre Elemens avec lequel il s'associe; et se forme de ceste maniere ou en eau, ou en nuee, ou en humeur liquante; ou à guise de brouilhas espoix et obscur; et par fois comme un son, ou la voix de quelque elementaire animal: Prenant corps en l'un d'iceux elemens, selon que la matiere est disposee à recevoir la plus proche et convenable espece. LE TROISIESME est l'ame, dont les sages disent qu'elle s'accompagne volontiers du corps, et se joint à luy par le moien de l'esprit; Parquoy sa figure se rencontre souvent de nuict en lieu tenebreux; et s'entend et se voit: la couleur d'icelle estant semblable au temps qu'ils faict lors; d'apparence ausurplus humaine, et par fois ayant la figure du corps dont elle est partie; tellement que quelques-uns en voient és cemetieres. De ceste sorte d'animaux dient nos sages, que l'ame qui est sortie d'un corps, et peult quelque chose, n'est, ny ne fut sinon d'un homme ou d'une femme: et les appellent spirituelles, et celestes; spirituelles pour leur bonté; celestes à cause de leur subtile simplicité. LE QUATRIESME animal est le vent, que nous oyons bien, mais nous ne le voyons pas pour cela; comme d'ailleurs il y a d'autres choses que nous voyons; et n'oyons point; ainsi qu'est l'harmonie des cieux; dont il est parlé au 38. de Job; Concentum caeli quis dormire faciet; et plusieurs autres, dont les corps s'aperçoivent reellement à l'oeil, selon la partie dont ils ont leur consistence temporelle: Que si le vent est de l'Orient ou midy, il sera naturellement chauld; si de l'Occident ou du Septentrion, <f 92v> froid au contraire. Et nous le voions avoir une grande force et puissance; car il charrie des nuees pleines d'eau, de gresle, orages et tempestes: trouble le calme de la mer, et y meut de grosses vagues; rompt, desracine et met par terre les plus gros arbres dans les forests, dont il fait un terrible et piteux abbatiz. Et est cestui-cy appellé air vif comme feu; mais en hault il est dit vif et simple: et pourtant a il double appellation; de fixe assavoir et mobile: le mobile est qui se meut à divers endroits: et le fixe, celuy qui s'arreste en l'un des quatre coings du monde, combien qu'il descende d'enhault; dont ceux desquels il est descendu et a esté crée, s'eslancent pour le venir lier. Cestui-cy est un grande et puissant ouvrier en la mer, en la terre, et en l'air, selon la temperature et disposition dont il vient.
  LE CINQUIESME animal est le fantosme ou la vision, c'est à dire une ombre de plusieurs sortes de ressemblances, composees diversement les unes des autres: et se procree ceste apparition en lieu desert, ou air corrompu, en forme quelquesfois de gensd'armes descendans le long d'un coustau; ce qui s'appelle l'armee antique: Par fois il s'apparoist sur les eaux, en guise de quelque belle femme bien accoustree: ou en des prairies, là où il semble à quelques-uns que ce soit un trouppeau de vaches; mais cela leur advient de la corruption de leur habitude, et malice de leurs humeurs, dont on les appelle demoniacles; parce que les vapeurs vicieuses, et fumees de l'estomac leur montent aux yeux, qui leur pervertissent la veuë; si qu'ils s'imaginent de voir plusieurs choses qui ne sont rien. LE SIXIESME animal est le demon, lequel descend de la haulteur des cieux aux abismes; <f 93r> et fut crée de la premiere matiere sans corruption, parquoy il ne define point, ains persistera à tousjours, nonobstant qu'il aye receu quelque espoisseur des tenebres encloses dedans les profonditez de la terre. Il est au reste compliqué aucunement à la matiere, mais d'une tresforte habitude de corps: Et de ceux-cy dient les Sages, que par leur moien l'on a eu fort long temps des responces de beaucoup de choses, desquelles on desiroit sçavoir la verité. Mais ils habitent tousjours en tenebres, sans jamais se separer d'elles: Trop bien par fois le souverain Createur leur permet de prendre en terre telle forme que bon leur semble: si que mesmes ils se transchangent jusques en anges de lumiere, d'une clarté trespuissante; beaux et resplendissans presqu'à pair du Soleil, de la Lune, et plus claires estoilles; ou d'un bon ange; d'une nuee, oiseau, poisson, homme, ou beste; de couleuvre, lezard et semblables vermines rempantes; et autre telle figure qu'ils veulent: mais tout cela est impalpable, à guise d'esprit ou de vent. Sachez outreplus que chacun d'eux peult toutes les fois qu'il luy plaist prendre un corps en quelqu'un des quatre elemens; combien que leur vie depende du feu, et que leur demeure consiste au feu, avecques tout leur faict et maintenement. LE SAGE dit sur ces six sortes d'animaux, que leur invocation et apparition; consideration, liement, delivrance, est quelquefois bonne et licite; quelquefois mauvaise et du tout reprouvable, selon les diverses fins où cela s'applique. TOY donques qui es amateur de la Sapience, et curieux de cognoistre les oeuvres et merveilles du Createur, n'entre point en scrupule et en doubte, qu'il y ait difference ne division entre le <f 93v> corps et l'esprit quant à ces six sortes d'animaux, car ce n'est qu'un, estans faits et conjoints ensemble inseparablement à tout jamais. La conjonction au reste de l'esprit et de l'ame, d'où provient la vie, est appellee vent, en Job mesme, chap. 7. Mememto quòd ventus est vita mea: Si que le vent vif est ce que nous disons l'esprit et l'ame; et est dit estre vif, quand cest assemblement se fait sans corruption: Mais quand il se fait une telle conjonction de ces deux, assavoir de l'ame et de l'esprit, qu'un corps corruptible intervient avec, adonques l'esprit et l'ame qui estoient un, sont dissociables du corps.
  LA TABLE des Ziruphs suivante (ce sont divers assemblemens de deux lettres, et les permutations qui peuvent estre de l'une en l'autre) est extraite du Jezirah, et par nous inseree icy, pour monstrer en premier lieu la grande antiquité des chiffres: En apres pour tousjours de plus en plus esclarcir ce que nous avons des-ja dit cy devant, que tous les artifices des chifres sont premierement venus des Hebrieux: faire veoir outreplus que la premiere et seconde table des 46. et 50. fueillets, quiconque en ayent esté les autheurs; et les autres encore des chiffres doubles et carrez qui se traicteront en leur lieu, ont esté empruntees de ces tables icy des Ziruphs. Surquoy ceux qui seront soigneux d'un peu mediter à loisir, trouveront sans doubte plusieurs autres belles manieres d'escrire, que pour cause de briefveté nous laissons tout expres à leurs curieuses recherches, et dexterité d'esprit: car c'est la vraye racine et le fondement <f 94r> de toutes les sortes de chiffres qui procedent par la voye des transpositions et commutations de lettres, simples ou doubles qu'il puissent estre: Mais elle n'est pas en sa Quadrature complette, ains à demy tant seulement; à sçavoir la partie du costé droit en tirant à gauche suivant la façon d'escrire Hebraïque: ne du mesme ordre et suitte de lettres, que les deux dessusdites, ains d'une autre maniere d'accouplemens particuliere aux Cabalistes, qui l'ont excogitee telle pour leur usage, tant à l'extraction des noms divins de certains lieux de l'escriture, que pour l'investigation et recherche du sens interne, couvert sous le contexte apparent et exterieur de la lettre. Pour exemple, le nom de [H] Mazpaz approprié au regne de David, dit Malchut, et par consequent du Messihe; encore qu'il ne se trouve en l'escriture, est un chiffre neaumoins et symbole de l'ineffable quadrilettre [H] ; tiré de l' Ethbas, ou 22. et dernier alphabet des Ziruphs et commutations, comme vous pouvez voir icy, où le [H] Mem est mis pour le [H] Jod; [H] Tsaddi pour [H] He; [H] Pe pour [H] Vau; et [H] Tsaddi derechef pour [H] He. Et est ce mot composé de Maz, qui au 5. et 6. ordre des conjugaisons des verbes Hebrieux, signifie, a Succé et esprint; ce qui convient au Malchut, le Sephirot ou numeration de la Lune, qui reçoit toutes les impressions d'enhault, pour les pressurer et espreindre audessous; et de Paz, qui en la premiere conjugaison veult autant à dire que s'escrier et chanter de joye; selon <f 94v> qu'il est escrit, Seigneur tu ouvriras mes levres, et ma bouche anoncera ta loüange; pseaume 51. Et on la 2. conjugaison il signifie faire une incision, ouvrir, separer, navrer, delivrer; Ego occidam, et ego viuere faciam etc. Deuteron. 32. Pour le regard donques du premier point, il ne faut que renverser les accouplemens, pour la rendre carree et complecte: comme de plaine entree où il y a Aleph et Lamed joints ensemble, tornez-les au rebours, et il y aura Lamed et Aleph; et ainsi du reste suivant ce qui est escrit dans le JEZIRAH: Qua de re appendit literas Deus, et permutauit eas; Aleph cum omnibus, et omnes cum Aleph: Beth cum omnibus, et omnes cum Beth. et vers la fin: Omnia fecit unum è regione alterius, Deus.
<f 95r> TABLE DES ZIRUPHS, OU COMMUTATIONS D'ALPHABETS.
[FIGURE]
<f 95v>   OR pour le contentement et satisfaction de ceux qui n'estans versez en l'Hebrieu, ne lairront desirer de cognoistre quel est cest ordre des Ziruphs, dont se descouvrent tant de beaux et rares mysteres, et aussi comme ils se peuvent accommoder pour servir aux chiffres, nous avons bien voulu en leur faveur representer icy au plus pres qu'il a esté possible la correspondance des lettres Hebraïques aux nostres, ce qui ne seroit possible de faire du tout, parce qu'ils en ont que nous n'avons pas; et nous d'autres en recompence qui ne leur sont point en usage: mais tant est que cecy servira aucunement pour leur faire apprehender certaine ombre de la maniere dont elles se peuvent raporter les unes aux autres.
[FIGURE]
  OUTREPLUS pour rendre la dessusdite table entiere et complecte, d'une nous en avons fait deux: dont ceste premiere suivante la represente: et l'autre d'apres est sa renversee: esquelles deux, selon la double dimension de la superfice en longueur et largeur, sont parfaictes et accomplies toutes les revolutions <f 96r> des Ziruph, Thmurah, et Ethbas; assavoir des accouplemens, metapheses, et orchemes ou transpositions, et saulx de lettres les unes és autres; dont la polygraphie de Tritheme, avec un si extreme labeur, et multiplication inutile de rouës et expansions de tables directes et renversees; et tant de sortes d'alphabets, n'en a sceu atteindre la milliesme partie; car cela va comme en infiny, à cause de la multiplicité de rencontres: et neaumoins tout cela vient à s'effectuer de soymesme sans point de difficulté ny de peine, moiennant les quadratures et entrecroisemens d'alphabeths, en une table tant seulement.
<f 96v> [FIGURE]
<f 97r> [FIGURE]
<f 97v>   AUMOIEN dequoy pour poursuivre tout d'une main ce qui peult convenir aux chiffres carrez; et par un mesme expedient penetrer au descouvrement de plusieurs tresexquis secrets de nature, par la voye de la Ghematrie, ou arithmetique, et geometrie Cabalistiques, nous viendrons à examiner les principaux compartimens qui se peuvent faire d'un d'iceux carrez, dont nous avons formé icy un alphabet de 27. caracteres, autant qu'il y a de lettres Hebraiques, y compris les cinq finales; pour certaines commoditez de la philosophie Spagyrique que nous toucherons cy apres.
[FIGURE]
  MAIS il y a d'autres choses à considerer en ces caracteres que pour s'en servir en un simple usage de chiffres; combien que ceux qui y voudront mediter un peu <f 98r> attentivement, se pourront de là trasser à par-eux force desguisemens d'escriture secrete non à mespriser, dont je me deporteray de la plus grand' part, attendu qu'elles se rapporterent toutes presqu'à celles que nous traicterons en cest oeuvre. Et encore de là ont esté extraites tout-plein de sortes d'armoiries des plus grandes maisons de la Chrestienté, pour appliquer en leurs escussons, ou escuts, comme on les appelle de ce mot Latin Scutum; plus loüables à la verite que les aigles, lyons, et semblables animaux ravissans et cruels, conformes au sanguinaire naturel de ceux qui les ont choisiz, se complaisans és choses qui symbolisent à leur humeur. La forme desquels escuts n'estoit pas ronde ny ovale, ainsi qu'aux Grecs, aux Romains, et autres nations Ethniques, mesme aux Troyens de l'ancien siecle, selon Pline liv. 35. cha. 3. Scutis qualibus apud Troiam pugnatum est, continebantur imagines; ains d'un triangle equilateral, tant soit peu desguisé en le recourbant sur les flancs: non sans mystere comme je croy, ains pour denoter la sacré-sainte TRINITE, et son equalité de personnes; l'un des principaux points, voire la base et le fondement de nostre foy; our l'exaucement de laquelle les Chrestiens jadis, qui seuls ont autrefois usé de ces escuts triangulaires, car il ne se trouve point nulle part que les Juifs ny Mahometistes s'en soient servis; souloient prendre les armes, et les emploier contre les infideles mescreans; et non pour s'entre-courir suz, et deposseder tyranniquement l'un l'autre. Que la pointe <f 98v> d'iceux au reste fust droit en bas, et le chef à mont, cela procedoit en partie de la commodité qui est plus grande en ceste sorte; en partie aussi pour signifier, que la divinité estant estendue là haut en son Ensoph ou infinitude, ses influences viennent de là incessamment, tout ainsi que quelque liqueur qu'on passe pour la clarifier par une chausse de feultre pointue, à degouter et couler à travers les cieux, et s'espandre successivement parmy le monde elementaire. Mais pour venir maintenant aux considerations de ces compartimens de quadrangles, en ce qu'ils peuvent concerner la philosophie Spagyrique, ce mot n'importe autre chose qu'une separation des parties de quelque corps mineral, vegetal, ou animal; et la reconjonction d'icelles apres leur parfaict et entier depurement; ce qui se rapporte à ce que dés l'entree de ce traité a esté amené du Zohar, des deux sortes de sacrifices, dont celuy du soir; car Moyse commance par le Vespre, ainsi que nous faisons aussi en toutes nos veilles de festes; qui estoit dedié aux puissances nocturnes, denote la separation, comme il est là dit; et ce en montant contre-mont, par ce qu'elles sont au plus bas estage du monde qu'on appelle enfers, où consiste le feu obscur caligineux, dont le propre est de separer: et le sacrifice matutinal qui s'offroit à Dieu, source de toute lumiere et de vie, la reunion descendant en bas, d'autant qu'il est au plus hault sommet de la circonference, qui envelouppe toutes choses et soy-mesme encore, d'où le feu est reunissant, clair sur toute autre clarté, luisant sur toute autre <f 99r> lumiere; trop plus sans comparaison que n'est le Soleil au respect de quelque chassieuse lampe: et au reste immense par dessus toute la machine du monde sensible; plus assez aussi hors de toute mesure, que n'est le dixiesme ciel par dessus le globe de la terre, et de l'eau; lequel nonobstant qu'il contienne de cinq à six mille lieües de circuit par son grand cercle qui le partist en deux egalles moictiez, n'a toutesfois point de proportion envers seulement la sphere de Mars, ainsi qu'on peult appercevoir par l'observation des Paralaxes. Voilà doncq les deux sacrifices rapportez aux deux regimes generaux de la philosophie Spagyrique, l'un de separation au soir, et l'autre de reunion au matin; de divorce et reconciliation, de tristesse et de joye, la montee, et la descente; dont cell là denote les deux qualitez froid et humide, des deux moiens Elemens liquides et mols, l'eau, et l'air; et ceste cy le chaud et le sec, des deux extremes feu et terre, en redevallant; que les Philosophes Chimiques appellent les durs et pierreux, comme nous dirons cy apres encore. Par ainsi la separation se fait en montant par subtiliation, rarefaction, dissolution, distillation et sublimation; comme quand la terre se transmue en eau, l'eau en air; et l'air en feu; tout par decuple proportion, selon Timee en son livre de l'ame du monde, mais plus distinctement Raymond Lulle en sa practique testamentaire: et la reunion au rebours en redescendant, par inspissation, condensation, descension, calcination, et fixation; <f 99v> ainsi que le feu fait en air, l'air en eau, l'eau en terre; ou tout doit finablement devenir et se rapporter en cest art; estant la mere et norrisse universelle de toutes choses, et treschere espouse du ciel estellé, selon que le luy attribue Homere en son hymne: mais plus convenamment à ce propos Hermes en sa table d'esmeraude, où tous ces beaux secrets sont fort bien exprimez: Nutrix eius terra est. Vis eius integra est si versa fuerit in terram. Separabis terram ab igne; subtile à spisso. Suauiter cum magno ingenio ascendit à terra in caelum; iterúmque descendit in terram; et recipit vim superiorium et inferiorum. A quoy se rapporte pareillement la montee du Soleil sur nostre Orizon, jusqu'à ce qu'il soit parvenu au meridian: et sa descente puis apres du midi jusqu'à la minuict, à la partie du Septentrion, où finist la seconde veille et garde nocture, infestee comme nous avons dit cy devant des mauvaus esprits qui y regentent, souz Samaël, Tsaphon, et leurs adherans; car la troisiesme recommance lors, qui est propice et favorable. Mais pour venir à desduire toutes ces choses plus clairement, il faudra user de demonstrations arithmeticales et geometriques: En quoy ces artifices ne procedent pas selon l'ordre, suitte et methode d'Euclide et autres semblables, dont les propositions et maximes sont enchaisnees de telle sorte, qu'elles se preuvent et verifient, voire naissent les unes des autres; trop bien s'y peut on servir d'aucunes d'icelles, avec certaines proportions de nombres formels et rationels, et des figures <f 100r> y correspondentes; comme on peut veoir en ce carré, comparty et anatomisé selon qu'il a esté dit cy dessus. Laquelle voye pourra sembler non que nouvelle, ains quant et quant rude et grossiere à quelques uns; toutes-fois non du tout si absurde qu'on n'en puisse obtenir son intention: car il y a divers moiens et manieres de proceder pour arriver à un mesme but, comme dit Geber; Multae sunt viae ad unum effectum, et unum intentum: Et les oustils des artisans, nonobstant qu'ils soient de diverses sortes, et les uns plus adroits et compendieux que les autres, ne laissent neantmoins de leur produire un mesme effect.
[FIGURE]
  CE CARRÉ donques est comparty en quatre autres moindres carrez tous egaux, par les deux lignes marquees de rouge s'entrecroisantes à angles droits à travers le centre; et en autant de grands triangles egaux entr'eux, et aux carrez, par deux autres lignes <f 100v> diagonales, qui passent pareillement par le centre, où est apposé le nombre de dix; pour autant que de toutes parts ceux qui sont marques sur les coings, et sur le milieu des costez se viennent rapporter à dix: comme celuy d'embas 1. et 2. qui font 3. avec l'autre d'enhaut 3. et 4. faisans 7. mis ensemble constituent dix; et 5. et 5. des deux collateraux tout de mesme. Les deux lignes diagonales aussi jointes ensemble, à sçavoir 1. et 3. faisans 4. et 2. et 4. six. Mais à fin de ne surcharger ceste figure par trops, dont s'en ensuivroit de l'embarrassement et confusions qui y voudroit appliquer toutes les particularitez requises, il vaut mieux en dresser une table à part; en laquelle se pourront plus distinctement discerner tous les rapports et convenances de l'un à l'autre: esperant que cela amenera beaucoup de lumiere à cest art vraye imitatrice de la nature; voire la plus ouverte revelation qu'on puisse avoir de ses secretes manieres de proceder; qui ne se peuvent mieux descouvrir sinon [G]; suivant ceste maxime de Geber, Compositionem rei aliquis scire non poterit, qui destructionem seu resolutionem illius ignorauerit.
<f 101r> [FIGURE]
<f 101v>   J'AY mis au commencement de ceste table, les quatre premiers nombres, pour principes de tout, comme representans à la verité les quatre Elemens, et reduits ensemble font dix; qui est la fin des nombres simples, et un passage aux composez, tout ainsi que la dixiesme Sphere, qu'on appelle le ciel empyree, l'est du monde sensible, à l'intelligible; lequel ciel est appellé le siege de la divinité; et la terre son marchepied; Caelum sedes mea; terra autem scabellum pedum meorum, Isaie 66. OR que ces quatre premiers nombres soient la source et principe des autres, cela se peut verifier par les deux primitives reigles de l'Arithmetique vulgaire, assavoir l'addition, et multiplication; Cella là presupposant la substraction, son renvers; et l'autre la division: de sorte que les deux premiers 1. et 2. produisent 3. et 4. par ces deux reigles; par ce que 1. et 2. font 3. par addition; et 2. fois 2. font quatre par multiplication. En apres 1. et 4. ou 2. et 3. font 5. par addition seulement: dont les deux premiers 1. et 4. representent les deux extremes de ce carré philosophique, ausquels se rapportent la terre, et le feu, les deux extremes Elemens, costez par les mesmes nombres: et les deux autres, 2. et 3. les deux Elemens moiens, eau, et air, cottez pareillement par le 2. et le 3. qui sont le premier pair et impair:
Autres mysteres des nombres.
ce qui presupose la matiere denotee par le nombre pair, avoir esté en ordre avant la forme representee par l'impair; le Tohu, et Bohu: que met Moyse au commencement de Genese; la femelle et le masle; de l'assemblement desquels <f 102r> deux viennent à se procreer toutes choses; et pourtant le cinq est dit des Pythagoriciens le nombre de mariage; ouquel on avoit accoustumé d'allumer 5. flambeaux selon Plutarque en la seconde question Romaine: il est attribué aussi par les mesme à la justice et equité par ce qu'il partist le dix en deux moitiez toutes egales: et de fait assemblez les deux nombrea l'un d'audessus de luy, et l'autre au dessouz, s'ils sont bien ordonnément arrengez, en un cercle divisé par cinq diametres, vous rencontrerez tousjours dix; comme 5. et 5. en apres 6. et 4. plus 7. et 3. Item 8 et 2. et finablement 9. et 1. qui est ce qu'a voulu tacitement inferer le Comte Pic de la Mirande en la 68. de ses propositions Cabaliques: Qui sciuerit quid sit Denarius in Arithmetica formali, et cognouerit naturam primi numeri sphaerici, sciet illud quod ego adhuc apud aliquem Cabalistam non legi; et est quod sit fundamentum secreti magni Jobilaei in Cabala. Lequel premier nombre spherique ou circulaire est le cinq, comme nous l'avons touché cy devant: et est denoté par la cinquiesme lettre de l'alphabet Hebraïque [H] He, redoublée au grand tetragrammaton [H]; qui depuis en la loy de grace a esté amplifié au Quinaire JESUS par l'adjoustement de la lettre [H] Schin, S. qui est le symbole de la nature humaine, et de la misericorde de Dieu. Le six est composé par l'addition de 2. et de 4. et par la multiplication de 2. et de 3. estant dit le nombre de perfection, par ce qu'il n'y a que luy seul qui resulte de la composition de ses parties, sans <f 102v> aucune defectuosité ny excez; car sa moitié 3. sa tierce partie 2. et sa sixiesme 1. le constituent justement; ce qui n'advient point ainsi à nul autre des simples, comme au huict, dont la moitié 4. sa quarte partie 2. et sa huitiesme, 1. ne font que sept: parquoy le six est attribué à l'engendrement, d'autant qu'il s'engendre et conçoit soy-mesme: tellement que non sans mystere Moyse en la fabrication du monde commence par un mot de six lettres Bresit, et le met avoir esté creé avec toutes les choses y contenues en six journees; puis en la septiesme Dieu se reposant regarda tout ce qu'il avoit fait, qui estoit tresbon, et tresbeau; et ainsi les cieux et la terre furent parfaits, avecques tous leurs ornemens; par le sainct et sacré TERNAIRE: qui ne sçauroit mieux se representer que par la figure de six points arrengez en forme de triangle, contenant trois d'iceux de quelque costé qu'on le puisse prendre; si qu'encor qu'ils soient six, ils ne semblent neantmoins estre que trois: et d'autre-part paroissent neuf, par ce qu'il y a trois costez, chacun de trois points ou dimensions faisans neuf, qui est le carré du ternaire de ce triangle. Outre plus le sommet est un qui denote le PERE; le milieu deux, quo sont ses deux emanations; et la base trois, pour monstrer que toute la fabrique du monde est procedee de ces trois personnes unies en une seule Essence, qui est son sommet, dont tout procede, et où tout revient, comme au premier exemplaire, forme et idee; de laquelle la premiere issuë ad extra, est par le binaire, qui represente <f 103r> la matiere. Car de tous costez ce triangle est tousjours egal: et le ternaire en iceluy par le binaire tend à l'unité: estant finablement en forme de Pyramide, attribuee au feu, qui est l'un des symboles de la divinité. LE SEPT est produit par la seule addition de 3. et de 4. tellement qu'il est appellé sterile et infecond; et pour ceste cause dedié à Pallas tousjours vierge; et attribué au monde Celeste, comme nous avons desja dit cy devant. Et parce qu'il symbolise à l'ame de la part du trois; et au corps de la part du quatre, qui sont les deux parties de l'homme, Virgile introduit Enee exclamant en son naufrage, O térque quatérque beati! pour une beatitude complette. Il est aussi appellé le nombre de repos, pour raison que Dieu se reposa le septiesme jour: A l'exemple dequoy auroient esté ordonnez en l'ancienne loy, trois especes de Sabbats; l'un toutes les sepmaines, l'autre de sept en sept ans, et le troisiesme au bout de sept septenaires d'annees, qui estoit le grand Jubilé. LE HUICT provient de la seule multiplication de 4. et de 2. dont il est le Cube; et le premier Cube de tous les autres; parquoy il est appellé le nombre de plenitude, pource qu'on ne peult aller plus avant que luy; assavoir quand un nombre, ou une figure sont parvenus à leur triple dimention, de longueur, largeur, profondeur. Finablement le 9. provient assi de la seule multiplication carree du 3. Voilà comment les quatre premiers nombres qui constituent le dix, representant tout l'univers, sont par consequant les principes de toutes choses.
<f 103v>   CELA PREMIS la premiere division du carré en deux moitiez par la ligne transversale, nous monstrera l'une des combinations des Elemens deux à deux, entant qu'ils conviennent en l'une des deux qualitez, dont il y en a une qui leur est propre et essentielle, comme le sec à la terre; et l'autre associee et intervenante, assavoir le froid, qui est le propre de l'eau, et son associee l'humide, propre à l'air; duquel l'associee est le chaud; qui est la propre qualité du feu, et son associee le sec, par le moien duquel il se va rejoindre avecques la terre; car les Elemens sont circulaires, comme nous avons dit ailleurs apres Hermes: pour le moins il sont circulairement convertibles, selon que dit le Philosophe. La partie d'enhaut donques consistant d'air et de feu, est appellee de Moyse le ciel et celle d'embas la terre; In principio creauit Deus caelum et terrem: et d'Hermes le haut et le bas; Quod est superius, est sicut quod est inferius, et è converso: et des autres Philosophes Chimiques l'esprit, et le corps: à quoy se rapporteront aussi toutes les substances contenues en la precedente table selon qu'elles y sont arrengees.
[FIGURE]
<f 104r>   MAIS en cest endroit il ne faut pas prendre ces quatre substances cruement à la lettre pour les communes et vulgaires, ains celles dont tous les composez d'icy bas consistent, qui se resolvent en icelles: car telle que se trouve la resolution d'une chose, telle sans doute fut premierement sa composition; que nous ne pouvons pas cognoistre, fors par son evisceration et renversement, comme mettent les Pythagoriciens: Singula haec nostra ratio disputat per iter compositionis et resolutionis, ultro citro; susque deque gradiens. Et de faict bruslez du bois ou quelque autre chose surquoy le feu puisse mordre et avoir action; ou bien pour plus le distinctement observer, mettez la en un alembic ou cornue; premierement vous verrez partir la substance aqueuse, qui se resouldra en eau dedans le recipient, ou bien s'evaporera en fumée: puis sort un huille adustible de nature de soulphre, qui est celle qui cause la flamme. Ces deux substances separees totalement, resteront les cendres, dont en faisant comme une lexive avec de l'eau simple, vous extrairez le sel; lequel du tout tiré dehors, il vous restera une terre privée de ses esprits, laquelle fort facilement se convertira en verre; ainsi que le tesmoigne le mesme Geber, Omne priuatum propria humiditate nullam nisi vitrificatoriam praestat fusionem: mais cela se peut veoir par une experience fort legiere sans davantage s'amuser à le prouver avec raisons. Par ainsi le verre est une substance despouillee de tous ses esprits corruptibles; fixe et permanente encontre tous les efforts <f 104v> du feu, air, et eau;
La terre vierge.
et la terre vierge et pure, suivant ce que dit Raymond Lulle en son restament; In centro omnium rerum in est quaedam terra virgo; laquelle a esté extraite de ses feces et impuritez qui la couvroient à guise d'un triple enveloppement, so qu'elle ne se pouvoit pas manifester à noz sens, tout ainsi que la divinité renclose dedans les attributions et mesures des dix Sephiroths: dequoy apres le Zohar, s'est voulu aucunement approcher Postelle au premier livre de la Concorde du monde, chap. 5. où il dit; Cineres esse terram sinceram fatentur philosophi. mais de cecy plus amplement cy apres encore sur le propos du sel:
Le sel de quatre natures selon les 4. Elemens, dont il est comme le principal receptacle.
Lequel est au reste de quatre natures, qui symbolisent aux quatre Elemens, et quatre substances elementaires dessusdites; assavoir le sel commun dont nous usons en nostre manger, à la terre, et au sel y associé, estant fixe et incombustible: le sel armoniac qui s'envolle bien du feu mais pourtant ne se brusle pas, à l'eau, et au Mercure ou argent vif qui est de sa nature: le salpetre, au soulphre; car ils sont tous deux adustibles: et finablement le sel alcali au verre, qui en procede; car de toutes choses qui sont bruslees en vaisseau ouvert avec la disperdition de leurs esprits, les cendres s'en convertissent en un verre mort; lequel n'est pas toutesfois celuy que nous avons appellé cy dessus la terre vierge pure et sincere: là ou si ceste separation se fait en vaisseau si bien clos qu'il ne puisse aucunement respirer; et comme dit Geber au chap. de la calcination en sa somme, Modus calcinationis spirituum fit in <f 105r> vase undique clauso; Ne aer subintrans inflammationem praestet, dit Raymond Lulle en son dernier testament; Et spiritus dispergantur per aera; quod quaeritur enim non fieret; selon le philosophe Alphide, le sel qui s'extraira des cendres apres sa complecte calcination conservative de l'humidité radicale; si c'est de quelque puissant vegetal, qui ne se dissipe pas de legier, comme pourroit estre de la menthe, saulge, melisse, marjolaine, et pareilles herbes, estant semé produira son semblable, tout ainsi que sa propre semence, et commes s'il n'avoit point senty le feu; lequel par ceste experience nous voyons n'exterminer pas les formes intrinseques des composez elementaires qui leur sont transmises du ciel; et au ciel, des Idees du monde intelligible, qui est l'archetype, et premier exemplaire de toutes choses. Au surplus qu'icy l'or qui est le vray soulphre incombustible, soit associé avec le verre, entre lesquelles deux substances il sembleroit de prime face y avoir si peu d'affinité, ce n'est pas sans cause; par ce qu'elles sont comme pararelles l'une à l'autre, et conformes en beaucoup de choses; en ce mesmement qu'elles sont la derniere fin des actions, l'un de la nature, et l'autre de l'art: l'or assavoir estant produit du Soleil, qui est le vray instrument de nature; et le verre du feu, dont dependent tous les principaux artifices de l'homme; car en la derniere resolution de toutes choses qui se fait par l'action du feu, se trouve de l'or, selon le plus et le moins, et du verre pareillement; ainsi que nous l'avons discouru plus aplain sur <f 105v> les tableaux de Philostrate. En apres l'un et l'autre sont entierement incombustibles et inexterminables, quand ils sont conduits au dernier degré de leur parfaite depuration: parquoy ce n'est pas en vain ny à la volee s'ils sont mis au haut de ceste figure en la partie celeste, comme symbolisans avec le ciel, pour raison de leur incorruptibilité permanente: Aussi Job au 28. n'a point differé de les accoupler par ensemble; Non adaequabitur sapientiae aurum vel vitrum; par où il appert assez qu'il les met là pour les deux plus parfaites substances de toutes autres. Mais l'Apocalypse en deux endroits du 21. chap. plus particulierement encore: [G] La cité, dit-il, de la celeste Jerusalem estoit un or pur et fin, ressemblant à du verre pur. Et un peu plus outre, [G]: la place de la cité estoit d'or pur et net, comme du verre transparent. Soubs quoy gisent cachez de fort beaux secrets et mysteres, tout ainsi que dessouz la couverture d'un chiffre quelque sens de grande importance.
  CE COSTE outre plus du carré 1. et 2. nous monstre le premier congellement du Mercure, moiennant la vapeur du [X] qui le mortifie; et l'introduction spirituelle du soulphre incombustible, caché dedans la salsuginosité vitriolique, qui est rembarree au profond de ses Elemens avec le verre, si qu'elle ne sort en evidence par les separations du feu, sinon que la troisiesme en ordre, en laissant le verre qui se demesle puis apres des finales impuritez de la terre <f 106r> morte par reiteration de lavemens, et la forte expression du feu: et de ce soulphre parle Geber au 28. de sa Somme, où il le nomme en termes expres, lumiere, alum, et teinture; car le vittriol est d'une nature participante d'un costé des selz et alums, et de l'autre des soulphres, comme on peut veoir bien aiséement en sa separation de substances: dont rien ne peut, dit Georges Riplai Anglois philosophe non impertinant en sa pupille d'Alchimie, extraire la teinture reelle du vittriol, et la separer de ses deux extremitez terre et eau, fors le seul Mercure; tout ainsi qu'il n'y a que l'Abeille qui puisse succer la liqueur emprainte dedans la rosee des fleurs, pour en elabourer le miel. Et ainsi se parfait le premier assemblement de ces deux esprits; Quorum unum sine altero nihil agit, nec esse potest; au 3. chap. de l'Investigation Geberique; le soulphre, autrement appellé Adam ou terre rougeastre, tenant lieu du masle, et comme de la presure au caillé; aussi est il cotté en la figure par le nombre impair, qui le designe, comme le pair fait la femelle, qui est en cest endroit le Mercure, et le lait, lequel se produit tant seulement és femelles, et nompas és masles. Et tout ainsi qu'en la generation de la creature, la semence de l'homme n'intervient qu'en lieu de forme et vertu agente; là où celle de la femme sert de matiere, recevant l'autre dedans soy pour y estre corrompue et putrefiee à nouvelle generation, tout ainsi que le germe du grain dans sa propre terre qui luy sert de putrefaction et de nourriture au commencement; aussi ceste substance <f 106v> cristaline exaltee par sublimation, et blanche par dessus la nege, contient occultement en soy la semence soulphreuse, rouge comme escarlate; selon qu'il est dit en la Turbe; Mirati sunt philosophi rubedinem in tanta albedine existere: Appellee au reste sel animeé, eau vive, eau seche, et eau congellee: dont se peut entendre ce qui est allegué de Moyse Egyptien au 2. liv. de son directeur, chap. 31. Diuisit Deus lumen et tenebras; Et aquas ab aquis: quaequidem diuisio est secundum formam materialem, et firmamentum ipsum ex aquis factum; sicut sapientes dixerunt; CONGELATA EST GUTTA MEDIA. Voila donques une partie de ce que nous demonstre ce costé d'embas; avec plusieurs autres secrets, qui voudra examiner de plus prez les substances qui y sont opposees respectivement; car de cela s'en pourront tirer de fort beaux. AU REGARD de celuy d'enhault cotté 3. et 4. tout ainsi qu'au precedant on passe de la noirceur de la terre à la blancheur de l'eau, selon les quatre principales couleurs de cest art apposees en la figure; de mesme on passe icy de la citrinité de l'air laquelle est en l'or, à son accomply rougissement et teinture, à quoy l'art le peut bien conduire et hausser, qui commence son oeuvre, où la nature acheve le sien: car le jaune citrin qu'on appelle autrement orengé, n'est autre chose qu'une moienne disposition entre le blanc et le rouge, selon le dessusdit Geber au 60. de sa somme; Citrinitas non est aliud, quàm determinata rubei et albi proportio: et qu'on le peut veoir par experience, destrempant <f 107r> du saffran ou du sang avec de l'eau, ou broyant du vermeillon avec de la croye. Lesquel rougissement de l'or non sans bonnes erres, je ne feindrois point de prendre pour le Casmal mentionné au premier chap. d'Ezechiel, que S. Jerosme a tourné en Latin Electrum; toutesfois Rabbi Selomo tres-sçavant docteur Juif, qui devoit bien entendre la langue Hebraïque, advouë en cest endroit de ses commentaires, ne sçavoir bonnement ce que c'est; ou verre, ou esmail, ou quelque alliement de metaulx, ou quelque autre composition artificielle:
Rabi Selomo; touchant le Chasmal d'Ezechiel.
Trop bien,
dit-il, [H] Chasmal est le nom d'un Ange, de la couleur que le Prophete le vit au milieu, ou du dedans du feu: Chose qui advint, ainsi que nos maistres tesmoignent, à un jeune homme curieux en l'oeuvre du Merchava, ou throne de Dieu, faict à guise d'un chariot: là où considerant ce Chasmal, soudain il en sortit un feu qui le consuma. Il y en a d'autres qui veullent ce mot là estre composé de deux dictions: Car aiant un jour esté enquis Rabbi Jehuda, quelle chose estoit ce Chasmal, il fit responce, que [H] Chaioth Esch Memalleloth, comme qui diroit animaux feu-parlants: lesquels ainsi qu'il est repeté au Thalmud, par fois se taisent et par fois parlent; Pourtant que lors que la parole sort de la bouche de Dieu, ils se taisent; et quant il se taist, ils prennent la parole à leur tour; c'est à dire qu'ils celebrent et loüent Dieu. Au moien dequoy il est convenable ( poursuit le mesme Rabbi Selomo) que ce Chasmal soit un nom aprochant de la couleur et lustre de feu; Parce que le Prophete dit au premier chap. <f 107v> et 8. qu'il sortit du milieu du feu, en guise d'un oeil estincellant, ayant la splendeur de Chasmal, ainsi qu'un aspect du feu audedans de luy tout autour. A ce mesme propos dit Baal Aruc, que ce sont deux dictions accouplees en un seul mot, qui signifient Taire et parler: Car quand la parole sort de devant Dieu, [H] Chasoth, elles se taisent: et telle fois est que [H] Memalleloth schir bechoz, elles prononcent un cantique de force, suivant ce qui est escrit Ghoz vecheduah bimmecomo, Force et allegresse en son lieu. Mais David Chimhi, tant en son Miclol, qu'en ses commentaires, adjouxte que quelques docteurs ont tenu que ce fust Notariacon de ce mot Chasmal, c'est à dire que chaque lettre ou syllabe emporte une diction entiere; si que le [H] Cheth, signifiast [H] Chaioth, animaux: le [H] Shin, [H] Esch, feu: et [H] mal [H] Memalleloth, parlants: le tout assemblé, animaux feu-parlants. Car les Cabalistes traictans de la Ierarchie et ordre des anges, leur donnent d'autres noms et distinctions, que ne faict S. Denis; mettans au premier les [H] Chasmalim, comme qui diroit parlans à par-eux, quand on murmure entre ses dents; ou bruist tout bas, en façon de quelque petite mouche debile; ce qui s'aproche de ce mystere [H] kol demamah, un murmure bas, tintant sourdement de vois de silence, en laquelle estoit Dieu, quand il passa devant Elie au 3. des Rois 19. Qu'Eliphaz dedans le 4. de Job appelle les veines du susurrement de l'occulte parole, que son oreille <f 108r> receut presqu'ainsi qu'à la desrobbee: Porrò ad me dictum est verbum absconditum, et quasi furtiuè suscepit auris mea venas susurrii eius. En toutes lesquelles choses, et les pluspart encore des principales de cest ouvrage, je serois d'un naturel trop ingrat et mescognoissant, si je taisois en cest endroit puis qu'il vient à propos, combien j'ay esté assisté, secourur, et redressé d'une des plus claires lumieres de nostre siecle, cela puis-je dire sans offence ne reclamation de personne, en toutes sortes de bonnes lettres et disciplines; et tresparfaicte cognoissance des langues Hebraïque, Chaldee, Syriaque, Arabesque et Grecque, monsieur Genebrard docteur en Theologie, et lecteur du Roy en Hebrieu; dont la saincte reformation de vie; tant de doctes escrits emanez de luy, n'estant encore toutesfois qu'en la fleur de son âge; ensemble ses assiduelles predications et lectures, celebrent trop mieux les loüanges qu'on ne les sçauroit exprimer: et enapres du jeune Sieur de la Boderie, Nicolas le Feure frere de Guy, ces deux freres tant renommez és mesmes langues, et doctrines; et assez cogneuz par leurs oeuvres; Parquoy non à tort admirez de beaucoup de gens, mais leurs merites mal recongneuz. CE CHASMAL au reste ne peult estre le Succinum ou ambre jaulne appellé des Grecs [G], que Servius sur le 8. de l'Eneide interprete pour un alliage de trois parts d'or avec une d'argent; enquoy il n'y a aucune apparence, selon le contexte mesme de ce Prophete: Parquoy mieux aucunement <f 108v> auroit dit Isodore; Pyropum autem igneus color vocauit: Nam in singulis aeris unciis, additis scrupulis senis auri praetenui lamina ignescit, et flammas imitatur: Qui est la quarte partie d'or meslé au cuyvre: voulant sans doute entendre de ces fueilles qu'on met soubs les rubiz, saphirs, esmerauldres.
L'artifice des fueilles de pierreries.
Mais il n'a pas tout expliqué, si au moins il en a cogneu l'artifice; car il fault de l'argent quant et les deux autres, par diverses proportions, selon les pierreries qu'on veult enchasser: dont celles des rubiz consistent de cinq parts d'or, quatre d'argent, et quatre et demy de fin cuyvre rouge: qu'on fond et mesle bien ensemble; Puis on bat le lingot, en le recuisant souvent de peur qu'il ne se rompe ou esclatte; tant qu'on l'estend aussi subtil comme une peau de parchemin; mais il se fault bien garder de l'esteindre en ces recuissons dans de l'eau, ains le laisser à chaque fois fort bien refroidir à par soy: et finalement le racler avec un rasouer, pour parer les inegalitez qui y pourroient estre; et le lustrer, pollir et recuire tout doulcement avec une grand' patience, pour luy donner le lustre et la splendeur qu'il y a. Et certes il seroit bien malaisé de veoir rien de plus gay ny de plus grande resjouïssance à nostre oeil, fussent les pierreries mesmes les plus naifves; ne qui plus aproche de cest description du Prophete. Car en premier lieu il racompte; Qu'il y avoit une grande resplendissance autour du tourbillon qu'il vit en sa vision; et du milieu d'iceluy comme une maniere d'Electre; c'est à dire du milieu du feu. En apres: <f 109r> Que les estincelles ressembloient à l'esclat d'un cuyvre embrasé. Et derechef; Que la semblance des animaux, et leur regard, estoient tout ainsi que charbons ardens, et la lumiere de plusieurs lampes. Puis vers la fin: Et je viz (dit-il) comme une maniere presque d'Electre; et ainsi qu'un aspect de feu par dedans, tout autour de luy; Et comme une espece de feu resplendissant à l'environ, à guise de ce qu'on voit l'arc au ciel en une nuee par un jour pluvieux. Toutes lesquelles particularitez se conforment à l'artifice qui se faict en l'or, doublement:
Deux manieres de proceder au Chasmal ou Electre.
l'un en nature de metal, et l'autre de vitrification. Au premier lon peult proceder par trois voyes: l'une en fondant de l'or avec son double poix de fin cuivre; puis les reduisant par la tranchefile en subtiles lamines comme papier; et les cimenter pas 40. ou 50. heures, à fort grand feu, lict sur lict, avec un ciment royal faict de bricques et de sel commun, de vittriol rubefié, et de verd de gris, et un peu de sel armoniac; le tout arrousé de fort vinaigre. Tout le corps du cuyvre s'esvanouist en cest examen, mais son soulphre incombustible et teinture demeurent imprimez en la substance de l'or; Cum à cupro extrahatur sulphur mundissimum tingens et fixum; met Geber au 18. chap. des fourneaux: Si qu'à la huict ou dixiesme reiteration, adjouxtant tousjours nouvelles estoffes, tant du cuyvre que du ciment, il devient plus rouge que sang; avec un esclat metallique, de ceste plaisanlueur doree qui flamboye à travers la rougeur, tout ainsi que quand avec de la laque, une couleur <f 109v> fort cramoisie qui n'a point de corps, ains est transparente, comme aussi est le verd de vessie, dont on glace quelque peinture, ou autre ouvrage enduit de fueilles d'or par dessus. L'autre maniere de rougir l'or, est de le fondre comme devant, avec autant de cuyvre ou quelque peu plus; et jecter leur poix de soulphre vif dessus, le remuant avec une verge de fer: Puis verser le tout en un mortier de bronze, là où estant recueilly, tout le cuivre bruslé à guise d' aes ustum, se renge tout autour par dehors, l'or demeurant enclose au milieu tout ainsi qu'un noyau d'abricot ou de pesche, et haulsé de couleur: il ne fault puisapres que reiterer comme au precedant. La trosiesme est de fondre l'or avec quatre ou conq parties d'anthimoine, qu'on chasse à grand feu de soufflets, tant qu'il n'y demeure que l'or; et reiterer par six ou sept fois: Une partie de cest or dorera plus que trois d'un autre, et bien plus vermeil comme on l'appelle: et meslé avec son poix d'argent preparé, le haulse sans doubte à vingt ou vingt deux caracts, selon qu'il est plus ou moins coloré; mais ceste graduation et teinture ne persiste pas és fusions, ains s'en va toute à la 3. Trop bien est cest or trespropre à faire les fueilles des pierreries; mesmement si le cuyvre est lavé avec l'argent vif selon l'art, en les amalgament par le moien d'un peu d'eau fort, et le lavant par plusieurs fois avec du vinaigre et du sel; puis avec de l'eau chaulde; car par ce moien la plus-part des impuritez se separent du cuyvre; Argentum viuum enim quod suae <f 110r> naturae est retinet, dit Geber, alienum respuens, et igni exponens. Il se peut faire aussi de cest or des ouvrages d'orfaiverie fort plaisans à l'oeil, beaucoup plus sans comparaison que du vierge, lequel n'a point encore senty le feu, parquoy les Grecs le nomment [G]; et des couppes avec, non de peu de commodité pour les princes et grands seigneurs; parce que soudain il manifesteroit tant soit peu de venin ou poison que tant seulement on en cuideroit aprocher; à cause de l'esprit du cuyvre y introduit; qui n'est au reste ny fetide ny de mauvais goust ou odeur en aucune sorte, nomplus que l'or; lequel seul en son naturel, ne se fait que mocquer des choses le plus corrosives.
La vitrification du Chasmal, ou Rouge clair.
  RESTE l'artifice de verre du Chasmal, qui ne peult certes estre autre chose que l'esmail tant celebre qu'on appelle le rouge clair, dont l'invention est pieça perdue, si elle n'a esté redressee puis peu de jours; tant nous sommes nonchaillans et avaricieux és choses où nous le devrions le moins estre. Ce rouge clair donques, dequoy nous avons serné quelques traicts en Philostrate sur le tableau des bestes noires; et encore ne le donnerons-nous pas icy tout masché, et en paroles manifestes, sans quelque petite reservation; se faict d'or calciné avec de l'eau fort; et de là traicté comme il appartient, avec du sel, tant qu'il soit rendu en pouldre impalpable. Adjouxtez y lors du soulphre le double ou triple de son poix, avec de l'eau ardente bien affinee; et mettez le feu: y adjouxtant de ladite eau et du soulphre, par l'espace <f 110v> d'un bon quart d'heure. En cela se practique et descouvre ce que Geber aiant dit tout apertement mot pour mot, au 96 de sa Somme, fort peu de gens y ont pris garde; Sol quidem rubeum clarum ex sulphuris adustione protendit. Puis on incorpore ceste chaulx ainsi preparee avec de l' aes ustum, et de lorpiment reduit en rubiz, à forte et soudaine expression de feu; et du Mercure precipité, tant que de sa nature volatile spirituelle il soit rendu fixe; car sans cela il ne se pourroit pas vitrifier, suivant ce que dit le mesme Geber au 52. chap. Spiritus qui magis naturam seruauit spiritus magis à vitrificatione defendet Puis finablement mesler le tout par certains proportions avec du verre cristallin, bien depuré par du minium ou chaulx rouge de plomb: et descuire cela au four des verriers si long temps, que ceste composition qui premierement apparoistra noie, et puis se deschargera peu à peu, se reduise à une tresparfaicte couleur Rouge-claire.
Autre vitrification du Chasmal.
  L'AUTRE maniere de la vitrification du Chasmal, aproche plus de la couleur de l'electre ou ambre jaulne, sinon qu'il tire d'avantage sur la Jacynthe: mais en cest endroit il fault estre adverty, que ce n'est pas ceste couleur hyacinthine, qui dans le Pentatheuque, et par tout ailleurs és Prophetes, est mise pour la Saphirienne de bleu turquin ou celeste qui est un peu plus dechargé. Ceste vitrification donques se faict du plomb seul à forte expression de feu de soufflets; car finablement il se couvre comme d'un huille, qui estant refroidy se reduit en certaine gomme jaulne orengee, transparente <f 111r> comme du verre, et de fort tendre fusion; mais elle ne s'evapore plus au feu, ains y est fixe et permanente, et tousjours s'y affine tant plus à guise du verre; et tire la teinture de tous les metaulx qui y sont meslez: toutesfois elle se reduit lors en une maniere d'esmail sombre et opaque; lequel se dissoult dans le vinaigre distillé, en la couleur particuliere du metal dont elle est animee: ainsi que de l'argent et estaing, en du jaulne paille: de plomb, en ce que les Grecs appellent [G], les Hebrieux [H] Jaroch, jaulne verdoyant, ou verd d'oye: le cuyvre fait un verd à pair d'esmeraulde: le fer plus rouge que sang: et l'or, couleur de Jacynthe. Le dissolvant, assavoir le vinaigre, en estant separé par une legiere evaporation; et la gomme qui reste mise en une petite cornue bien luttee avecques son recipient, s'en distille une grosse fumee blanche et espoisse, froide comme un glaçon au toucher; qui finablement se reduit en huille tres-odorant, de la couleur du metal dont elle est partie, aiant les facultez et vertuz d'iceluy expliquees en nature vegetative. Que si on vouloit alleguer qu'il y aura tousjours du plomb meslé parmy, et en plus grande quantité; on peult respondre en premier lieu, que le plomb est de la proprieté du mercure, de se convertir en ce qui luy est appliqué; comme on peult veoir en cecy par le goust, odeur, et couleur, les trois esprits de tous simples, qui se reçoivent là dedans, tout ainsi qu'en de l'eau commune, qui n'a aucune qualité de soy dont elle est dicte <f 111v> des Grecs [G], celles de tout ce qu'on y decuit. Enapres on peult faire qu'il n'y aura point de plomb du tout: car prenez huit pars de cette vitrification de plomb, et adjouxtez y en une d'or, ou autre tel metal calciné que voudrez; et cuisez en four de verrier, ou autre de reverberation par deux jours: mectez y derechef la huictiesme partie d'or, et cuisez; reiterant tousjours ainsi la huictiesme partie: et quand ils seront par portion egalle, ce qui adviendra à la huictiesme reiteration, ne prenez que la moictié de la masse, et y adjouxtez le huictiesme d'or: faisant ainsi, à la 30. ou quarantiesme reiteration, il n'y aura plus que de l'or; lequel estant par ce moien reduit en vitrification dissoluble, se resoult puisapres luy mesme par la voye qu'on appelle de fermentation, ny plus ny moins que le levain leve et aigrist sa paste propre dont il est yssu; ou le vinaigre le vin droict et entier en sa nature; suivant le dire de Rhases, Prout mutatur, mutat. Tout cecy n'ont point ignoré Calid fils de Jazichi, Rachadibi, Veradian, et Chanid, philosophes Perses; ny pareillement Rhodian en son traicté des trois paroles; bien qu'ensevely en des tenebres Cimmeriennes: mutatur spiritus iste fumosus, aquosus et adustiuus, (entendant de celuy-du plomb) in nobilissimum corpus (pour raison qu'il est fixe) et non fugit amplius ab igne, sed currit ut oleum; etc. Et a son imitation un petit livret ancien en ryme Françoise, intitulé La fontaine des amoureux de science, non à rejecter:
  <f 112r> Avoir par chaleur on prochasse
  Graisse qui luy couvre la face.
Des Prophetes et de leurs escrits depend la vraye cognoissance de toutes choses.
  OR j'ay insisté en ce Chasmal ainsi longuement tout exprez, pour monstrer que c'est aux Prophetes qu'il faut recourir pour rencontrer les vrayes sources de toutes les philosophies et occultes sciences; parce qu'ils lisoient (dit S. Augustin au premier du liberal arbitre) dans le livre de vie; au moien dequoy Eusebe en sa preparation Evangelique, non tant seulement les prefere aux Grecs, ains les simples mesmes Theologiens Hebrieux; à comparaison desquels (ce dit-il) les autres, bien que pour leur regard entr'eux il y ait de tres-excellens, voire admirables personnages, pour une superficielle subtilité d'entendement, paroissent fort peu neaumoins quant au fonds solide, tel que celuy sur lequel estoient posees et establies les visions des Prophetes, regardans sans aucun destourbier ny empeschement, comme en un mirouër bien certain, le premier exemplaire et original de toutes les choses creées en leur reelle et vraye existence; là où toutes les ratiocinations des naturalistes dependent des sens corporels, la plus-part du temps incertains et trompeurs. Ce qui auroit meu Democrite, de mettre en jeu certain profond puits, où il disoit la verité estre cachee; ne s'esloignant pas beaucoup de Jeremie, lequel au chap. 2. introduit Dieu se complaignant des Israëlites qui l'avoient delaissé, luy qui estoit la vraye et pure source d'eau vive, pour se creuser des cisternes esventees et dementies, ne pouvans <f 112v> retenir les eaux. Car tout ainsi que la terre des vivants est au monde intelligible, de mesme y sont aussi les eaux vives; dont se doivent entendre ces deux passages du Levitique 14. et 15. In aquis viuentibus; comme le demonstre assez le Sauveur par tout le 4. de S. Jean; au moien dequoy il est dit en Isaye 49. pour une des benedictions du peuple de Dieu, Ad fontes aquarum potabit eos. Les prophetes donques sont la vraye source où l'on doit puiser tout ce qui se peut sçavoir et cognoistre, non seulement pour le simple salut de noz ames dedans le monde intelligible, où est estably le siege de la divinité, mais le sensible aussi, touchant les secrets de nature, tant au ciel, qu'és quatre Elemens: Car l'esprit des prophetes estant ravy et transporté hors de leur caisse corporelle jusques devant le throne de Dieu, que l'Apostre appelle le troisiesme ciel, autrement le troisiesme monde ou l'intelligible, ils voient là tout apertement et sans aucun voile les Idees, et premiers exemplaires de toutes choses, plus parfaits en Dieu dont ils procedent qu'ils ne sont en eux mesmes, sur lesquels elles ont esté comme pochees et empraintes: et pourtant leur rapport en est plus certain, que noz conjectures telles quelles par le naturel discours de raison, qui se m'esconte le plus souvent, pour dependre du sens animal: A quoy se conforme l'Apostre en la premiere aux Corinth. 2. Spiritualis homo omnia iudicat; et nompas l'homme corporel: et cela se fait ou par une vision en veillant, reellement apparente, et familiere collocution face à face, <f 113r> telle qui intervint à Moyse avec Dieu: ou totalement endormis, et en songe, qu'Orphee en son hymne dit estre celuy qui durant leur sommeil descouvre aux humains les projets des dieux bien-heureux, et sans parler leur annonce tacitement les choses futures: Homere l'appelle Ange ou messager du grand Dieu Jupiter: à quoy convient ce que met le Zohar, qu'aux mechantes ames pendant le dormir du corps se presentent plusieurs visions de mauvaise et hideuse figure; mais qu'aux bien disposees, Dieu parle mesme quelque fois, comme il est escrit é Nombres 12. In visione apparebo ei; vel per somnium loquar ad illum. Et encores en sommeillant, qui est une moienne disposition entre le dormir et veiller, que les Hebrieux appellent [H] Tardemah, et les Grecs [G], car ce qui apparoist en dormant ils le nomment [G]: S. Jerosme la ordinairement traduit sopor; comme en Genese 15. Sopor irruit super Abram: et au 4. et 33. de Job. In horrore visionis nocturnae quando sopor solet occupare homines, pauor tenuit me. Mais il y a une autre espece de ces exstases et ravissemens qui gist en une vision en esprit, quand les exterieurs sentiments corporels sont tellement assoupiz en l'homme, qu'il n'entend plus à rien qu'à Dieu seul, si qu'ores qu'on luy fist quelque grief moleste en son corps, à peine le sentiroit il: fui in spiritu in dominica die, en l'Apocalypse premier: Et Trismegiste tout au commencement du Pymandre; Sopitis iam sensibus corporis quem admodum accidere solet eis qui ob defatigationem somno grauati sunt, <f 113v> subito mihi visus sum cernere, etc. A propos dequoy Jamblique au chap. des songes; Quand nous sommes parfaictement endormis, nous ne pouvons pas si bien et distinctement remarquer ce qui se present en noz communs songes, que quand c'est la divinité qui nous les envoie en particulier ne dormans pas à bon escien; car nous appercevons bien plus clairement lors, la vraye et reelle verité des choses, que nous n'avons accoustumé de faire en veillant: au moien dequoy en ces visions là consiste la principale espece de divination. Et de fait l'ame a double vie, l'une conjointe avec le corps, et l'autre separable de toute corporeité. Quand nous veillons, nous usons la plus part du temps de la vie qui est commune avec le corps, hors-mis quelquesfois que nous venons à estre totalement separez d'iceluy; mais en dormant, nostre esprit peut estre du tout delivré des liens corporels, qui le detiennent comme en chartre et captivité. Et lors à la verité la personne à son esprit comme conjoint avec le divin, quand l'ame animale vient à estre du tout retranchee de l'esprit, par la vertu du verbe divin, que S. Paul aux Ephesiens 6. appelle le glaive de l'esprit; Assumitte et gladium spiritus, quod est verbum die, per omnem orationem orantes in spiritu: de sorte qu'il ne respire plus, ny ne desire autre chose que de demeurer uny avec Dieu; qui adhaeret domino (dit-il en la premiere aux Corinthiens 6.) unus spiritus est; et separé du tout du corps, dont s'en ensuit la mort precieuse mentionnee au 115. pseaume, Preciosa in conspectu domini mors sanctorum eius; la plus part du temps anticipee outre le commun cours de nature: au moien <f 114r> dequoy le mesme Apostre, aux Philipp. premier; desire de se veoir à delivre separé de ceste chair, et estre avec CHRIST; reputant à un grand gain de mourir. Et en cest endroit dient les Mecubales, que lors que les prophetes viennent à estre touchez de l'espit prophetique, tout leur poil se herisse d'horreur, leur corps se lache et agite, leurs dents claquettent, et leurs os sont esmeuz, ainsi que s'ils sentoient le froid d'un tresfort et violent accez de fiebvre: comme Daniel dit au 10. Domine mi in visione tua dissolutae sunt compages meae; et nihil in me remansit virium; jusqu'à ce qu'ils viennent à estre immuez de l'ordre et estant où ils estoient auparavant, et que leur intellect soit bien repurgé de ce qu'il avoit peu attirer de la contagion corporelle: et lors il voient distinctement ce qui se manifeste à eux en apparente vision; dont il est escrit, In visione ei innotescam; et ce par le moien de [H] Nesach et [H] Hod, victoire et decoration, qui sont le lieu de l'alaictement des prophetes.
  IL y a en outre une autre maniere de vision imaginaire appellee [H] Bath kol, la fille de la voix; quand quelque chose qui doit advenir se manifeste sous l'apparence de certaines images et figures d'animaux, et autres semblables aprochans des hieroglyphiques; ainsi que les visions de Zacharie, et de S. Jean en son Apocalypse ou revelation: et cela se fait par forme d'Enigme, qu'il n'est pas permis à chacun d'interpreter à sa fantasie, et sans une tres-parfaicte notice de la convenance et relation des choses mondaines <f 114v> aux intelligibles; comme met l'Apostre aux Rom. 1. Inuisibilia enim ipsius à creatura mundi, per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Et au rebours aux Hebr. 11. ut ex inuisibilibus visibilia fierent: mais cela ne se peut obtenir sans l'illustration du SAINCT ESPRIT, qui nous fait veoir clair en noz tenebres; selon que tesmoigne Baruch 3. Non est qui possit scire vias sapientiae, sed qui scit universa nouit eam. A quoy se conforme l'astrologien Ptolemee, quand il dit, qu'il n'y a ceux qui sont halenez de l'esprit divin, qui sachent predire les particularitez; parce qu'elles dependent des universalitez qui sont au premier exemplaire, et original riere Dieu. Et c'est là où conversent et se promenent les Cabalistes; de dechiffrer c'est assavoir les dicts des Prophetes qui ont parlé par ces Enigmes et profondes obscuritez, pour ne descouvrir les secretes merveilles de Dieu aux indignes: outre ce que malaisément ces mysteres se peuvent manifester par paroles humaines, n'yaiant point de vocables assez propres et emphastiques pour les exprimer; parquoy ils se sont retenus en cela à certaines manieres de chiffres, non d'escriture, mais de locutions par figures, transportees hors du commun usage de parler ainsi que quand on transpose ou eschange une lettre pour l'autre, dont le context vient à s'alterer de sorte qu'il n'est plus lisable fors seulement à ceux qui en ont l'alphabet.
La fille de la voix, ou voix du ciel.
Quant au Bath kol, ou fille de la voix susdite, c'estoit encore comme une maniere de chiffre vocal, et nompas muet, ains tel <f 115r> que celuy qu'on voudroit dresser pour l'oye, avec quelques sons de trompettes ou semblables instruments haultains, qui se font entendre de loing, accommodez en lieu de lettres; ainsi que se font des signals à la veuë, avec des lumieres de nuict, et de la fumee sur jour, par le moien dequoy on peult faire entendre ses conceptions à des assiegez, ou d'un lieu à autre, dont l'artifice est assez commun, et de longuemain; car Polybe en a fait mention, comme le remarque Cardan au 12. liv. de la Varieté des choses chap. 61. où il en met quelques artifices; et au 17. encore de la subtilité: mais les chiffres qui suivront cy apres vous fourniront d'infiniz expediens en cela, beaucoup plus exquis et aisez. Ce Bath kol donques estoit comme à guise de quelque Echo, ou resonnement d'une voix, laquelle se venant à enfourner et rabattre dans certaines concavitez propres à ce, ressort de là avecques l'air qu'elle a heurté, multipliee en plusieurs reiterations; ainsi qu'un ballon, qui pour un coup qu'on l'aura flaqué contre terre, en rebondira plusieurs d'abondant: En cas semblable, ces visions sont comme images, qui procedans de l'archetype se viennent à reverberer en ses creatures, ny plus ny moins que les Rays du Soleil, lesquels escartez parmy l'air se recueillent en un miroüer cave, ou une fiolle pleine d'eau, en une figure semblable à luy; et de là se redilatent derechef par reflexion comme au precedant: et quand ils passent à travers quelque verte teint, ils se revestent en apparence de la couleur <f 115v> qui y est empreinte, tout ainsi que fait la Divinité de ses Sephiroths ou ornemens, par lesquels, y estant cachee quant à son Essence, elle se communique à ses creatures, qui n'en pourroient rien apercevoir autrement.
  IL y a encore une autre espece de vision, intuitive comme on l'appelle, qui regarde dedans le miroüer propre du grand ouvrier, que les Hebrieux appellent Bespecalariot, parce qu'il est double; le luisant que est le Soleil ou le Tipheret; S. Augustin le nomme le sacrifice matutinal, dont il a esté parlé au commancement de cest oeuvre; et l'autre le miroüer non luisant, qui est la Lune, et le Malchut, autrement la mer celeste, qui contient en soy, une pleine fecondité de generation de toutes les choses inferieures elementaires; et leur donne immediatement vie, à mesure qu'elle la reçoit des influxions du sacré Tetragrammaton, [H] engendré eternellement du Pere; qui se retenant là hault en un perpetuel repos dans son Ensoph, ou infini; qu'Anaximandre mesme alleguoit estre le principe general de tout; en commet la production à son verbe ou Chochmah, Sapience: lesquel Ensoph est ce grand supramondain ocean, Source perpetuelle qui arrouse l'arbre de vie, comme met le Zohar; la raison de toutes raisons, la cause des causes; l'intellect, et vie du corps; appellé d'Orphee et Homere le Pere des dieux et des hommes; dont partent tous les fleuves, ou divines influences, (en Ecclesiaste 1.) et puis derechef y retornent; mesmement <f 116r> ces quatre arrousouers de toute la terre, en Genese 2. qui procedent du paradis ou de ceste mer; la Tetractis ou Quaternité de Pythagore; Tigris assavoir, et Gion ou le Nil, qui representent l'air et le feu, les deux superieurs Elemens, ausquels l'homme ne commande pas; car c'est dient les Poëtes dessusdits, la demeure des dieux bien-heureux: et les autres deux l'Euphrate, et Phison ou Ganges, la terre et l'eau, les inferieurs elemens estans en la disposition de l'homme; enquoy se parfait la croisee de tout l'univers: designez au reste par les quatre animaux d'Ezechiel; Tigris et l'air par l'Aigle; le Nil, et le feu par le Lyon; Euphrate, et la terre par le beuf, destiné au labourage; et le Gange et l'eau par l'homme à cause de sa semence aqueuse, dont Virgile auroit tacitement dit, Agitata tumescunt -- aequora. A ce propos que les fleuves ou divines emanations procedent de ceste grande mer ou piscine de benedictions (car [H] berachah signifie l'un et l'autre) et y retornent, Zoroastre entre ses autres traditions magicales enseignoit, que l'ame de l'homme avoit des esles, dont quand les plumes leur tomboient, elle se venoit à precipiter icy bas dans le corps; et apres qu'elles leur estoient revenues, s'en revolloit de nouveau au ciel. Ses disciples luy demandans comme c'est qu'ils pourroient en brief temps faire renaistre ce pennage, afin de remonter au plus tost là hault ? en les moillant leur respondit-il, continuellement d'eau de vie. Mais ou pourroient-ils recouvrer ceste eau ? des quatre fleuves <f 116v> dont le paradis terrestre estoit arrousé: celuy de la partie du levant appellé Chiddekel, qui vault autant à dire que lumiere, et de l'occident, Dichon ou expiation: celuy du midy Perath, que nous pouvons interpreter pieté, religion, devotion, et zele; vers laquelle region du midy addresse tousjours son chemin le sainct pere Abraham en Genese 12. comme en lieu dont tout les mauvais esprits sont excluz, selon que le tesmoigne la doctrine des Cabalistes Hebrieux, et des Maures: et du Septentrion Pischon, equité, raison et droicture; favorable à son fils Isaac, qui d'un grain de bled en recueillist cent. Toutes lesquelles choses sont representees au sacré Tetragrammaton [H] abstrait des dix Sephiroths; lequel se varie en douze Avaioths comme nous dirons cy apres.
  IL y a finablement le plus hault degré de revelation des tous autres apres le premier cy dessus allegué de Moyse; qui est à plaine, distincte et manifeste voix, laquelle ordinairement se redouble pour denoter une grandissime familiarité et amour; comme à Abraham en Genese 22. à Moyse en Exode 3. à Samuel au premier des Rois 3. à S. Paul és Actes des Apostres 9. Aumoien dequoy S. Jean surnommé Baptiste, qui se dit la voix du criant au desert en S. Jean premier, est tesmoigné pour plus que prophete par le Sauveur mesme, en l'onziesme de S. Matthieu. Il n'y au reste creature pour petite et abjecte qu'elle puisse estre, qui ne porte en soy une representation <f 117r> ou image notable, au moins quelque marque ou vestige, à tout evenement disons ombre, de l'ouvrage de son Createur; non en son estre tant seulement, ains en ses proprietez et effects; ainso qu'au 3. des Rois, chap. 19. il est dit, que le SEIGNEUR n'estoit pas au vent fort et tempestueux, lequel renversoit les montagnes, et brisoit les pierres; ny en la commotion, ny au feu qui passerent premierement comme en monstre; ains en une doulce ondee sifflante d'un vent gracieux et doux. ET tout à l'opposite du precedent plus sublime degré, est le plus infime; la fille comme on l'appelle de la voix ou Echo, causee des creatures et de leurs images; surquoy sont fondees ces predictions qui prennent les noms des elemens où elles versent; comme la Geomantie, Hydromantie, Aeromantie, Pyromantie, et leurs autres collaterales et alliees; toutes frivoles et incertaines, sinon entant qu'elles dependent et se conforment aux influxions des corps celestes, et des canaulx des dix Sephiroths, desquels ont esté arrousez les prophetes en toutes leurs visions et presages; qui est ce que j'ay voulu parcourir du commancement, que l'homme ne peult avoir rien de certitude des choses occultes, et qui passent la portee de son discours, que par les ravissemens d'esprit, où il les voit toutes en leur reel Estre dedans le premier exemplaire; ou bien par quelque inspiration, qui est comme une reflexion plus debile que le rayon dont elle procede. A quoy se raporte et convient fort bien la fiction <f 117v> de Persee, qui vit la teste de Meduse dans la splendeur d'une targue reluisante comme un miroüer, que Minerve luy tenoit expres audevant, de peur qu'il n'en demeurast offensé s'il l'eust regardee à plaine veuë d'un oeil direct. Que s'il ne nous est loisible s de parvenir à ce degré, comme à la verité il n'est plus depuis l'accomplissement de tous les oracles et propheties, tout nostre recours est de mediter en icelles; là où ce qui depend entierement des trois mondes, et des cognoissances y assignees, est contenu, combien qu'en diverses sortes d'interpretations; du sens assavoir literal, de l'allegorique, analogique et anagogique.
  ET à quel propos, derechef pourra lon dire, prophaner ainsi tous ces beaux secrets, et en termes si manifestes, hor du tiltre encore et subject principal de cest oeuvre ? Dont quelques-uns se voudront rire, et me blasonner de certaines qualitez fort descriees pour le jourd'huy: mais en premier lieu je ne pretends pas d'agreer à tous indifferemment, aussi ne le pourrois-je faire, estans les gousts si differends; et si cela seroit autant à vray dire, comme ne contenter personne; tout ainsi que l'escellent jouëur de fleuttes Timothee ou Ismenias, je ne me resouviens pas bien lequel c'est, rompit les siennes par despit, pource qu'il avoit esté unanimement loüé de tous en une assemblee, estimant par là n'avoir rien faict qui valust: et Phocion en cas semblable ayant harengué au peuple d'Athenes, et eu de toute la congregation <f 118r> de fort grands applaudissemens, demanda à ses amis qui le reconduisoient à la maison, pour se conjoyr avec luy de ce qu'il eust ainsi bien satisfait un chacun, ce qu'il luy pouvoit estre eschappé de travers, parce qu'il estoit impossible autrement. Mon but donques n'est pas de faire tout à l'universel appetit, ains me contenter aussi de ma part, et recevoir quelque plaisir en moy-mesme de mon labeur; joint que je ne m'estudie pas tant d'avoir une vogue transitoire en deux ou trois jours, et de mon vivant digito monstrarier hic est, comme durable à l'advenir, s'il m'est possible d'y arriver; à guise des peintres qui peignent à fraiz; en quoy ils ne se soucient tant seulement quelles paroissent leurs couleurs lors qu'ils les employent, ains de ce à quoy par succession de temps elles devront redevenir. Et certes il y a eu force Princes et grands Seigneurs, voire des Rois, comme Geber, Mesué, Almansor, et assez d'autres, lesquels outre le plaisir qu'ils ont pris de cognoistre et esprouver telles choses, ne se sont pas vergoignez d'en escrire d'amples volumes; aians par là cherché de tirer leur principale gloire et reputation pour l'advenir, s'ils en transmettoient à la posterité de leur main une cognoissance; combien qu'ils l'ayent tenue fort chere, et en ayent esté plus jaloux que de leurs sceptres et corones. Salomon mesme le plus grand Roy qu'eurent onques les Israëlites, et le plus sage et sçavant de tous les mortels; n'a pas desdaigné plusieurs artifices que nous tiendrions non seulement <f 118v> à mocquerie et derision, mais pour illicites et prohibez; s'il est vray aumoins ce qu'en dit Josephe. Moyse aussi a traicté infiniz secretes de nature, soubs l'exterieure apparence d'une histoire dont toute sa loy est tissuë; comme le deduit tres-excellemment le Zohar, et mesme sur le Levitique, où toute la philosophie naturelle est comprise, bien d'une autre façon que n'ont faict les Grecs, où il n'y a que certaines petites subtilitez fort plausibles de prime face, mais bien peu solides. En toy ( dit-il) en la priere d'Elie, au Tikun, s'addressant à Dieu, il n'y a ne ressemblance, n'image de chose quelconque interieure ny exterieure: mais au reste tu as creé le ciel et la terre; et produit d'eux le Soleil et la Lune; les estoilles, et les signez du Zodiaque: et en la terre les arbres, et herbes verdoiantes dedans un jardin ou parc de delices; avec les bestes, oiseaux, et poissons; Et les hommes finablement: afin que de là les choses superieures se puissent cognoistre; et au rebours des superieures les inferieures; ensemble la sorte dont les unes et les autres sont gouvernees, etc. A tout rompre, qu'on prenne que cecy soit comme quelque secrete escriture, que je me propose pour un exemple de dechiffrer sans son alphabet, lequel ait esté perdu, comme il est, de fort longuemain.
  VOILA donques le premier mipartissement du carré en deux moitiez par la ligne transversale, dont le costé d'enhaut marque le Chasmal ou rougissement de l'or; et celuy d'embas la premiere coagulation du Mercure en l'oeuvre de l'art, par le moien de la vapeur de l'estain introduitte en luy; et sa sublimation, où il <f 119r> emporte quant et soy le soulphre spirituel et incombustible du vitriol, qui l'anime et rechauffe, luy eslargissant la faculté et vertu d'agir en l'or, et de le dissoudre et le teindre; ce qu'il ne pourroit autrement, pour estre le Mercure froid et flegmatique de son naturel, qui sont plustost qualitez patientes qu'agentes; encore que la philosophie peripatetique tienne aucunement d'autre sorte, assavoir le froid pour un agissant; mais à la verité les qualitez, et les Elemens agissent et patisent reciproquement, et se transmuent à tour de roolle les uns les autres; comme par subtiliation et rarefaction la terre en eau; l'eau en air; l'air en feu en montant; et par inspissation et ingrossation en redescendant contre bas, le feu en air, l'air en eau; l'eau en terre' enquoy s'accomplist leur parfaite circulation tant en la nature qu'en l'art. Conuerte ego elementa, et quod quaeris inuenies; dit le philosophe Rhafis: Nam postquam aquam ex aëre habueris; aërem ex igne; Et ignem ex terra; tunc totum magisterium erit completum. Au surplus ceste figure qui est le second compartiment du carré, et l'autre maniere d'association de deux Elemens, se fait au rebours de la precedente par la ligne perpendiculaire; dont le costé opposite à nostre main gauche represent en montant une diverse association d'Elemens; assavoir des deux mols et humides, l'eau et l'air qui sont passibles: et une autre en redevalant; des deux secs et pierreux comme les nomment les Chimistes, tenans lieu d'agens; y aians bien plus de conformité entr'eux par cest voye d'accouplement, <f 119v> que nompas par la precedente; ce que demonstrent tacitement les deux nombres apposez à chaque costé 5. et 5. qui sont pareils: là où en l'autre figure celuy d'embas n'estoit que de 3. et d'enhaut de 7. bien et vray que mis ensemble ils font 10. aussi bien comme 5. et 5. car encore que chaque Element par une revolution circulaire participe tousjours de l'une de ses qualitez avec chacun des deux autres dont il est enclose; comme la terre du sec avec le feu, et du froid avec l'eau, et ainsi du reste; si y a il bien plus de convenance de l'eau avec l'air à cause de l'humidité qui y domine par dessus le froid et le chaud; et du feu pareillement avec la terre, pour leur secheresse, que de la terre avec l'eau, et de l'air avecques le feu; nonobstant que par ce moien ils soient mipartiz selon le bas et le hault. Par ceste figure nous voions encore la montee et descente des Elemens, à quoy se rapporte ce trait d'Hermes au commencement du Pymandre: De là le verbe divin, des Elemens tendans contre bas lya ensemble le pur artifice de la nature, lequel fut lors uny à l'ouvrier souverain, l'intellect, car il y estoit consubstantiel; et les elemens tombans sans raison contrebas, delaissez à la nature, pour servir comme de matiere tant seulement. Par ce mesme departement du carré, nous venons aussi à la cognoissance de l'affinité qu'il y a du Mercure avec l'or, lequel seul s'engloutist et submerge dans le vif argent, là où toutes les autres choses y surnagent, si ce n'est à force d'incorporation par le broyement. Mais ce n'est pas à dire pour cela qu'ils puissent agir l'un en l'autre sinon superficiellement; <f 120r> car leur meslange n'est qu'exterieur et non interne, à cause que se sont comme deux extremes en la nature metalique: Non fit enim (ce dit Geber au 26. de sa Somme) transitus ab extremo ad extremum nisi per medias dispositiones: Ideóque (particularisant puisapres ceste maxime generale) non sit transitus à mollitie argenti vim ad duritiem alicuius metallorum, nisi per dispositionem quae est inter duritiem et mollitiem illorum. Aumoien dequoy, il fault avant que venir à aucune alteration complette, que le triangle soit parfourny: Mais d'autant que qui voudroit poursuivre tout cela, il faudroit un juste volume à part tout expres, il suffist d'advertir comme en passant; ainsi que quelque vaisseau qui renge la coste continuant sa droicte routte; que qui voudra de pres examiner les figures appropriees pour des caracteres de lettres en l'alphabet dessusdit, avec les substances et les nombres qui s'y raportent, il y trouvera un bien grand esclarcissement des principaux points de cest art, et de ses regimes. Cependant voicy celle dont il est icy question.
[FIGURE]
<f 120v>   ON pourroit maintenant alleguer que j'ay improprement mis l'or au rang de l'air, là où plustost il devroit estre en celuy du feu; et de fait il luy symbolise pour raison de sa splendeur, comme met Pyndar, [G]. En apres les Philosophes Pythagoriciens, et mesme Timme Locrien en son livre de l'ame du monde, font trois ordres d'elemens au monde sensible: un assavoir en l'elementaire, terre, eau, air, et feu; et deux autres dans le celeste; qu'ils attribuent aux sept planetes, et à la huitiesme Sphere: le premier tout ainsi que le precedant; assavoir la terre à la Lune, qui denote l'argent; l'eau à Mercure, ou argent vif; l'air à Venus, et au cuivre; et le feu au Soleil, qui est l'or; et l'autre à contrepoil en retrogradant; le feu ou le fer, à Mars; l'air ou estain à Juppiter; l'eau ou le Mercure à Saturne; et la terre à la huitiesme Sphere, à laquelle l'on n'a point en cest endroit aproprié ouvertement aucune substance des metalliques qui y corresponde; au moien dequoy ceux qui y ont regardé de plus prez, luy ont assigné le Stibie ou Marchasite: mais ces deux ordres d'Elemens ne peuvent pas se rapporter de tous points aux metaux; car l'or representé par le Soleil qui est là mis au rang du feu, convient mieux à l'air pour raison de sa couleur citrine, qui est une moienne disposition entre le blanc, propre à l'eau, et le rouge, au feu; suivant mesme le philosophe Rhases surnommé l'Aristote Arabe en sa lumiere des lumieres; Quoniam nulla nostro operi necessaria est aqua nisi candida; nec aër nisi croceus: joint que la <f 121r> substance de l'or est fort aëreuse, tant pour sa grande anaticité et temperature, que pour l'affinité qu'il a en couleur, et en proprietez avec les huilles, greffes et beurres, la plus part de couleur citrine, et qui se dilatent plus subtilement que nulle autre chose; comme fait l'or pur, lequel est si mol et flexible, qu'un ducat se peut estendre en plus de cent ou six vingts fueilles larges de quatre doigts en carré. A quoy fait encore la grande conformité qui est du mot Latin aurum, (dit ainsi de la similitude qu'il a avec la couleur de l'aurore selon Festus; ou au rebours comme veut Varron au 6. Aurora dicitur ante solis ortum; eo quod ab igne solis tum aureo aër aurescit ), et de celuy d' aura, qui est une subtile vapeur aëreuse s'exhalant de la terre, comme l'haleine du dedans de l'estomac; Pacuvius, dans le mesme Varron au 4. Terra exhalat aurum, atque auroram humectam. La conformité donques qu'a le mot or ou aur avec l'Hebrieu [H] Auer, ou Auir, nous monstrera l'or estre plus convenablement approprié à l'air qu'au feu: car en ostant le Jod, il restera Aur; et le Vau, il y aura air. Lequel en ces deux ordres d'elemens celestes est attribué, pour le regard de celuy d'embas, à Venus qui denote le cuivre; et d'enhaut, à Juppiter ou l'estain; dont le premier assavoir le cuivre est rouge, et l'estain blanc; lesquelles deux couleurs meslees ensemble, comme dit est, font l'orengé ou jaulne doré, qui est la vraye couleur de l'or, duquel elle a pris aussi son appellation. Mais cela se doit entendre pendant que l'or demeure en sa nature: car quand il vient à estre separé <f 121v> son soulphre avec esprit ou teinture, ce n'est qu'une mesme chose, rouge à pair d'un rubiz, s'appelle feu; et son corps demeure blanc à guise d'argent, comme le tesmoigne Geber en son testament, au chap. de la calcination du Soleil ou de l'or, Omnis res rubea amota sua tinctura remanet alba. Tout ce que dessus vous sera mieux esclarcy par cest petite figure; laquelle raportee avec l'alphabet precedant, et la table qui suit apres au fueillet, sera un fort grand abregement et secours à l'introduction de la philosophie Spagyrique.
[FIGURE]
<f 122r>   SUIT puisapres en l'alphabet un autre compartiment du carré, par deux lignes diagonales s'entrecroisantes à angles droits dans le centre, qui font quatre triangles egaux aux quatre petits carrez dessusdits, ainsi que vous le pouvez veoir au caractere accommodé pour la lettre H. Et és deux autres subsequentes I. et N. qui monstrent la reduction d'iceux quatre petits triangles en deux plus grands, mipartiz en quatre; le premier en montant, cocté de ces nombres 1. 2. 3. et son compagnon, en redescendant, 3. 4. 1. en la lettre I. Et en celle de N. le premier en montant aussi, cocté 2. 3. 4. et son associé en redevallant, 4. 1. 2. Le premier d'iceux triangles en I. monstre la composition de l'eau seche mercuriale, dissolutive des deux corps parfaits, or et argent, tant celebree et tenue secrete d'Arnauld de Villeneufve, et de Raymond Lulle à l'entree de sa practique testamentaire, où il en dresse un alphabet; car par la voye des alphabets procede toute sa maniere de philosopher. Il y a infiniz autres rares choses à descouvrir par les divisions et soubsdivisions de ce carré philosophique, telles qu'on les peult veoir appropriees aux vingt sept lettres de cest alphabet; et ce à l'imitation des Hebrieux, qui en ont autant, y comprises les cinq finales, que nous avons cocté pour nulles, pource que nous n'en avons pas tant: mais cela importe de peu, car il est bien aisé de rapporter le tout l'un à l'autre; comme il a esté desja dit cy devant, <f 122v> Chaque caractere ausurplus ne represente pas seulement une lettre, ny encore une seule diction, selon le notariacon des mesmes Hebriex, ains une clause toute entiere, voire plusieurs, dont il sert de marque et symbole, à guise des Hieroglyphiques des Egyptiens; y adaptant les quatre nombres marquez és quatre coings du carré, avec les choses qu'ils representent. Et au regard des trois lettres meres, Aleph, Mem, et Shin; elles denotent les trois esprits de tous les composez elementaires; couleur assavoir, odeur, et saveur, comme met Isaac Phryson, en son traicté des trois substances, et Raverius Anglicus avant luy: mais particulierement icy les trois esprits, principes de tous les metaulx; l' aleph assavoir, la teinture blanche appellee Arcenic par les philosophes Chimiques; qui est contenue dans l'argent dit la Lune, la premiere terre celeste: et le Shin qui represente le feu, le soulphre rouge enclos au Soleil qui est l'or: le mem, par lequel est designé le Mercure de nature d'eau, est au milieu, comme commun à l'un et à l'autre. Les sept lettres doubles, Beth, Gimel, Daleth, Caph, Pe, Res, et Tau, denotent les sept metaux, plomb, estain, fer, or, cuyvre, arg. vif, et argent: attribuez aux sept Planettes, Saturne, Jupiter, Mars, le Soleil, Venus, Mercure, et la Lune: dont les uns sont en lieu de forme, d'agent, et de masle; ainsi que les deux luminaires et corps parfaits, or et argent: et les imparfaits, au reng desquels est compris l'argent au respect de l'or, en lieu de matiere, de patient, et de <f 123r> femelle: suivant ce que mettent les Cabalistes en leur secrete Theologie, sur le cantique des Cantiques, à propos de l'espoux et de l'espouse; que le superieur au regard de l'inferieur est dit l'homme et le masle; et l'inferieur luy tient lieu de femelle, ainsi que la terre à l'endroit des cieux dont elle est empregnee: lesquels envers le monde intelligible d'où ils reçoivent leurs influxions, sont comme femelle. Les douze lettres simples, He, Vau, Zain, Hheth, Teh, Jod, Lamed, Nun, Samech, Ain, Tsadde, et Coph, designent les douze regimes de l'art; la calcination, dissolution, digestion, distillation, congellation, sublimation, separation, fixation, fermentation, inceration, multiplication, et projection. Et les cinq finales, Caph, Mem, Nun, Pe, et Tsaddi; les cinq instrumens esquels tout cela s'effectue et met en practique; la terrine assavoir ou escuelle, avec l'eau, les cendres, ou sable, selon les degrez de feu qu'on y veult donner; l'alembich; la cornue; et le mattras ou recipient. Voila en partie ce qui peult concerner ce chiffre destiné aux oeuvres Chimiques; duquel dependent tout-plein d'autres belles considerations et secrets.
  MAIS pour raporter tout cela bien plus hault à son analogie superieure; et de la terre, monter où le psalmiste au 8. met, la magnificence du Createur estre eslevee pardessus les cieux; les quatre triangles equipollens à autant de carrez, nous monstrent la reciproque convenance qui est entre le Ternaire, symbole de Dieu; et le Quaternaire celui de ses creatures, <f 123v> produites toutes en estre quant au corps, du [H] Tohu; Rudis, indigestaque moles, - - - - - - - Quam dixere chaos; designee par le Binaire, à qui appartient proprement le mot de creer, qui decline plus à l'imperfection et mauvais part, là où celuy de faire concerne la forme et perfection; Vidit Deus cuncta quae fecerat, et erant valde bona: former est comme au milieu des deux, selon que l'exprime bien distinctement ce texte d'Isaie 43. Totum quod nominatur de nomine meo, creaui illud, formaui illud, et feci illud. Plus au 45. Ego dominus, et non est alter; formans lucem, et creans tenebras; faciens bonum, et creans malum. Car creer est de rien, qui se termine au sujet ou à la matiere; et le faire regarde la forme; si que tant plus les choses s'approchent de la supreme forme ou Idee, tant plus participent elles du [H] Tiphereth, [G], le beau et le bon: pourtant est il dit au mesme prophete quarante six; Creaui ut faciam illud. Laquelle supreme forme ou Idee, est le grand nom divin [H], dont dependent successivement toutes les convenances et relatives proportions des trois mondes; trop plus rationelles et formelles sans comparaison, que toutes celles que sçauroit concevoir ny apprehender tout humain esprit, pour subtil, eslevé et contemplatif qu'il peut estre. Ce qui n'a esté revelé à personne, sinon apres l'adjonction de la lettre [H] Shin, qui denote la grace et misericorde de Dieu envers nous; laquelle à guise de quelques tuyaux de fontaine ou d'un arrousouer, se decoule graduellement et de main en main de ceste source inexpuisable <f 124r> du Jehova; et pareillement une animadversion et severité s'il en est besoin, car il importe l'un et l'autre, sur toutes sortes de creatures, par les ordres de ses Hierarchies: Ausquelles se raportent les Deitez de l'ancien paganisme; comme Pallas ou Minerve à la Sapience, et verbe divin, issuë du cerveau de Pere: Mercure, à son esprit et intelligence: Junon, à l'occulte nature des choses: Neptune, à une productrice faculté, qui depend de l'humide accompagné se son sel radical, source de toute generation; dont Heraclite appelloit Mer, qui est du department de Neptune, la substance des choses sensibles: Et il n'est pas aisé à croire que tant de bons entendemens, bien que privez de la vraye cognoissance de Dieu, laquelle ne s'est manifestee que par son fils, et S. esprit, mais au reste non destituez de la lumiere de nature, aient esté si aveuglez, qu'en leurs secretes pensees ils voulussent cognoistre en dernier ressort, plus d'un Dieu. De celà nous en avons infiniz tesmoignages dedans leurs oeuvres; et entres autres de Varron au livre de la veneration des dieux; Ainsi que toutes les ames (ce dit-il là) se reunissent à une seule, qui est l'ame de l'univers (mais nous ne le tenons pas ainsi) En semblable tous les dieux se reduisent au seul Juppiter, lequel est reveré soubs diverses et plusieurs deitez. Cela se peult plus particulierement veoir és hymnes d'Orphee, par tout si remplis de mysteres, que rien pour un homme Payen ne se sçauroit souhaitter plus divin. Parainsi toutes ces choses ne sont <f 124v> pas totalement hors de propos, et en vain amenees icy, puis qu'il est question des chiffres qui dependent de l'escriture; et l'escriture des lettres ou caracteres d'icelle, dont les Hebraïques ont esté le premiers de tous, voire formez au ciel de la propre main du grand Dieu, qui en grava les deux tables persees à jour, contenans la loy qu'il donna à Moyse; en Exode 24. Je te donneray (luy dit-il) deux tables de pierre, et la loy, avecques les commandemens que j'y ay escrits. Et plus apertement encore au 31. Le Seigneur donna à Moyse deux tables de pierre, escrites du doigt de Dieu; Qui est autant à dire que creées naturellement par son verbe; comme l'interprete Rabbi Moyse Egyptien au 65. chap. du premier livre de son directeur; et en l'exposition de la misné. Lesquelles tables selon que tiennent constamment les Hebrieux, estoient de saphyr, au tesmoignage mesme de delyra en la glose du premier passage allegué; dont en leur secrete theologie il et dit; Moses dorsum suum ex fragmentis tabularum ditauit; comme s'il se fust enrichy grandement des briseures de ces deux tables: mais les saphirs ne sont pas bien aisez à rompre, parquoy cela se doit sainement entendre, de couleur bleufve de Saphir appelle en Hebrieu [H] Thecheleth, qu'on torne communement hyacinthine: autrement c'eust bien esté à la verité une des merveilles du Createur, excedant tout le cours de nature, si elles eussent esté d'un ou deux saphirs, car elle n'en a point produits de tels; et eust-on esté encore bien empesché d'en trouver <f 125r> grand nombre pour faire ces tables, si grandes qu'elles contenoient six cens treize lettres, autant qu'il y a de preceptes en tout;
Mystere du nombre des commandemens de la loy.
assavoir 248. affirmatifs, correspondens à pareil nombre d'ossemens qu'il y a au corps humain: et 365. negatifs, autant que de nerfs, tendons, et ligatures; et de jours aussi en l'annee; si que chaque lettre des dix commandemens radicaux, que JESUS-CHRIST reduit à deux, representoit un precept entier expliqué au long: joint que toutes les lettres estoient persees à jour, et se pouvoient lire de part et d'autre; qui seroit une autre tresgrande merveille, attendu la dureté du Saphir qui seconde celle du diamant. Au moien dequoi il y a plus d'apparence d'estimer, comme aussi quelques uns des Hebrieux y balancent, qu'elles fussent de ce que nous appellons lapis lazuli, ou pierre d'azur, mouchetee de gouttes d'or; et non toutesfois d'une seule piece, ains de plusieurs jointes ensemble: ou bien colorees d'azur saphirique ou bleuf, qui symbolise à la premiere des trois couleurs d'enhaut, (met le Zohar) assavoir le ciel, dont on l'appelle bleuf celeste; la seconde estant transparente et claire comme estoit la lettre; et celle là est attribuee aux intelligences: mais la troisiesme est non seulement claire, ains resplandissante ainsi qu'un esclair; ou pur feu estincellent de sa grande ardeur, qui est de la divinité. Au regard de l'occasion pour laquelle se rompirent ces tables du Decalogue, chacun sçait assez que ce fut pour le grand despit que Moyse eut d'avoir trouvé à son retour du <f 125v> mont de Sina, les Israëlites adorans le veau d'or qu'ils avoient fondu durant son absence, en Exode 32. present Aaron, et luy mesme y mettant la main; lequel il brisa et reduit en poudre, puis la bailla à boire au peuple d'estrempee avecques de l'eau; dont les plus coulpables (ce dient quelques Rabbins là dessus) creverent: mais au 9. du Deuter. il dit, qu'il la jetta dans un torrent qui descendoit de la montagne; appellant là endroit ceste idole par certaine antonomasie le peché des Israëlites, comme le plus enorme qu'ils commirent onques avant l'advenement du Christ, à leur adveu mesme; dont ils estiment d'en porter encore la penitence, sans l'avoir peu expier: surquoy exclame Rabbi Moyse Gerundense, comme en lamentant; Non accidit tibi ô Israël ultio aliqua, in qua non sit vel uncia de iniquitate vituli. Et Rabbi Salomon, sur la fin du mesme chap. Ego autem in die ultionis visitabo et hoc peccatum illorum; met, qu'en tous les desastres et calamitez qui advindrent depuis aux Juifs, ils receurent quelque loyer et chastiment de ceste faute. Mais pourquoy c'est qu'ils choisirent plustost ceste forme d'Idole qu'une autre; et que mesme le texte porte souz le personnage d'Aaron, Proieci illus aurum in ignem, egressúsque est hic vitulus; comme si c'eust esté par quelque art magique et enchantement, cela n'est pas sans mystere; ains (dient les Cabalistes) que c'estoit pour vouloir attirer à soy la vertu et protection du Taureau celeste, qui est le second signe du Zodiaque, contre le premier qui est le Mouton; souz la figure duquel Juppiter <f 126r> Ammonien estoit reveré des Egyptiens, comme leur principal Dieu Patron, protecteur et intelligence: car apres que son pouvoir eust esté du tout prosterné par Moyse, selon qu'il a esté dit cy devant, en vertu du grand nom Jehova, sans qu'il se peust plus ressourdre ny leur assister, ils prindrent en son lieu l'Apis ou Taureau: et en fondant ce veau d'or, les Cabalistes mettent que Salu coronel de la Tribu de Simeon, lequel Phinees mit à mort, jetta dedans le metal tout bouillant, certain billet contenant ces mots cy [H] Chumi Sor, lieve toy Taureau; lequel billet Moyse avoit fait pour tirer les ossements de Joseph hors de l'eau: à quoy convient aucunement ce que dit saint Augustin au premier des admirables de l'escriture, chap. 15. que les Juifs voulans idolatrer au desert, choisirent ceste figure du veau, pour ce qu'estans en Egypte ils avoient veu les Egyptiens en adorer un, qui estoit planté pres le sepulchre de Joseph. Il y a assez d'autres allegations de ce veau, lequel quelques uns tiennent avoir mangé à l'heure mesme, meuz de ce passage du pseaume 106. Et fecerunt vitulum in Horeb; et adorauerunt conflatile, et mutauerunt gloriam suam in similitudinem vituli comedentis foenum. Mais c'est assez de ce propos, ouquel nou-nous sommes tant plus hardiment embarquez, que ces tables semblent avoir esté comme le premier livre et escriture distincte de toutes autres; estans mises par les Talmudistes pour l'un des ouvrages de la creation, avec la penitence, gehenne, maison du sainctuaire, <f 126v> Throne de gloire, Jardin de delices, et le nom du Messihe: voire le premier chiffre, puis que l'escriture s'en lisoit de plusieurs sens. Tellement que si les caracteres Hebraïques estoient accompagnez de tresgrands secrets contenuz en leur forme et figure, majorité ou minorité, et autres telles differences: pareillement en ce que quelques-uns se ressemblent, comme le [H] Beth, et le [H] Caph; le [H] Daleth, et le [H] Res; le [H] He, au [H] Cheth, et [H] Thau; le [H] Samech, et le [H] mem final, les mots aussi qui en estoient composez le devoient estre encore plus; esquels à l'adveu mesme des Gentiles, il y a certaine emphase et vertu latente, qui ne se trouvent point és autres langues; d'autant qu'ils sont plus proches de la Divinité, et les lettres aussi, comme en estant immediatement emanees: si que les Mages anciens, comme Zoroastre, Hermes, Orphee, Osthanes, Evax, Arthephie, Kirannide, Gilgil, Picatrix, et autres semblables; Indiens, Perses, Chaldees, Ethiopiens, Egyptiens, et Grecs, tiennent que chaque mot a efficace en la magie, entant qu'il est formé de la voix de Dieu, qui est la premiere chosse où la nature vient à exercer ses plus admirables effects, dependans comme d'un mariage de la terre avecques le ciel, de la matiere avec la forme, du Patient avec l'agent; de la parole ou escriture avec le sens qu'elle represente. Tellement que pour le regard de ces miraculeux ouvrages, surpassans la commune portee des hommes, et aussi l'ordre de nature, les voix articulees et les dictions, voire les caracteres <f 127r> encore qui ne signifient rien quant à nous, ont plus d'efficace et de proprieté, que ceux qui ont quelque sens et intelligence. Dont Platon au dialogue du Cratyle met que la loy ordonnoit en termes expres, qu'en toutes prieres on eust à invoquer les dieux par les noms qui leur estoient les plus agreables; et desquels ils prenoient plaisir qu'on les appellast, sans se soucier autrement de ce qu'ils peuvent signifier. Et de faict les bons demons ont souventesfois revelé aux hommes, des caracteres, des figures, et paroles estranges, où l'on n'entendoit rien du tout quant au commun usage de parler; mais par une tacite et profonde admiration, ils eslevent les ames là hault comme ravies en ecstase, et les tirent à une ferme confiance, de laquelle s'ensuit la clef et production de ces operations merveilleuses: Non que par de tels mots ou caracteres nous puissions contraindre, ny attraire à nous les intelligences; ou les esmouvoir à effectuer rien quelconque à nostre appetit; ains tout ainsi qu'à force de bras nou-nous eslevons le long d'une corde à quelque creneau ou fenestre, au lieu de les faire venir contrebas; ou que du dedans d'une barque avec un chable et cabestan planté au rivage, nous n'aprochons pas la terre de nous, ains en hallant nous an accostons; en semblable par le moien de ces symboles, marques et notes, nous n'attirons pas icy bas les puissances celestes, quelque chose que puisse gazoiller Hecaté dans les Responces de <f 127v> Porphyre; Exorata tuis veni sermonibus isthuc: et en un autre endroit,
  Victa hominum precibus caelestia numina terram
  Coguntur petere, et casus aperire futuros;
Au contraire nou-nous eslevons à icelles: et de ce fondement depend toute l'efficace des ceremonies et sacrifices, ainsi que le deduisent Plotin, Jambliche, et autres philosophes Platoniciens; parquoy on ne vouloit pas que ces vocables mysterieux fussent changez ne transportez en autre langue, ains delaissez en la leur propre, selon mesme qu'observe le Christianisme en tout-plein de mots; comme Amen, Alleluiah, Osanna, Iphatah au baptesme, et assez d'autres; d'autant qu'on les tient estre procedez de la propre bouche de Dieu, lors qu'il enseigna à Adam la droicte appellation des choses creées; dont ils contenoient en eux la propre et essentielle signifiance.
Question si le parler et escriture Hebraïque sont les premiers.
Neaumoins ce n'est pas un point tenu pour si absolument resolu, que le langage et escriture Hebraïque soient les premiers de tous les autres, qu'il n'y ait quelque doubte et contradiction là dessus: Car aucuns d'entre les Rabbins mesmes tiennent, que les caracteres Samaritains furent les premiers, alleguans là dessus certaines raisons; et entre autres, que ces gens là eurent tousjours le Thorah ou le Pentatheuque, en leur escriture particuliere: Enapres pour les tresantiques medailles, et pieces d'or, d'argent, et de cuivre qui se sont de tout temps trouvees és ruines d'infiniz <f 128r> endroits de Jerusalem, et la Palestine, inscriptes de lettres Samaritaines; si que les Hebraïques, assavoir celles qu'on voit par tout, furent de l'invention d'Esdras, avec l'usage des points, et accens; ce qui est faulx, car on sçait assez que ce furent les Massorets qui les practiquerent tous les premiers, pres de mille ans apres Esdras; et du temps mesme de S. Jerosme il n'en estoit point encor de nouvelles. Il y a au reste de tout cecy une fort grande varieté dans le Talmud, où il est escrit en la sorte: Premierement, ce dit Marsuka, fut donnee la loy au peuple d'Israël en caracteres Hebraïques, et en la Saincte langue; laquelle loy du temps d'Esdras fut changee en langage Arameen, et en caracteres Assyriens; mais quelque temps apres les gens doctes retenans l'escriture Assyrienne, la restituerent en la Saincte langue, assavoir l'Hebraïque; et le langage Arameen demeura aux idiots, que Rabbi Hista appelle le peuple des Chusiniens, lesquels ont bien quelque craincte et respect du souverain Dieu, mais ils reverent par mesme moien les idoles. Il y a un autre Rabbi qui afferme, que dés le commancement la loy fut donnee et escrite és mesmes langue et caracteres qu'on voit encore pour le present, mais que pour la prevarication des Israëlites, lors qu'ils vindrent à se separer de Judah, ceste escriture fut changee en une autre, et puisapres estans venus à se recognoistre, et faire penitence de leur mefait, l'escriture premiere leur fut restablie: Toutesfois Rabbi Simon fils d'Eleazar maintient, que le langage ne l'escriture ne furent onques changez, ny autres que ceux qu'on practique pour le jourd'huy.
<f 128v>   ESQUELLES choses je me suis bien voulu dilater icy tout expressément, parce que la pluspart des chiffres que je pretends toucher en cest oeuvre, et encore les plus singuliers et exquis, procedent tous de l'imitation de ceux des Hebrieux: et enapres, que des trois sciences attribuees aux trois mondes, comme nous avons desja dit au commancement, les secretes sont ainsi que chiffres envers les vulgaires; assavoir la Cabale à l'endroit de la doctrine literale des Juifs; pour le regard du monde intelligible: la philosophie occulte naturelle, et licite; nompas cest detestable accointance et commerce des malins esprits, qu'on a voulu colorer du nom de Magie, où il n'y a que tenebres et confusion, au monde celeste: et l'Alchimie, qui consiste és separations et reconjonctions des substances és trois genres des composez, mineraux, vegetaux, animaux, non és vains et frivoles amusemens des transmutations metalliques, sinon entant qu'elles nous peuvent reveler les progrez et manieres de proceder de Nature, au monde elementaire.
  MAIS pour retorner à nostre propos; et poursuivre ce qu'on doibt mediter sur les chiffres avant que d'en venir à la practique, afin que de tout ce qui s'employe en nostre usage en ce bas monde, la portion la plus esleüe se refere à la cognoissance du Createur, qui est le souverain but où tous nos discours et actions doivent tendre; à la gloire d'iceluy, et à sa loüange; la conception de la pensee, la parole, et <f 129r> l'escriture, ont je ne sçay quoy d'analogique et conforme envers le sacré TERNAIRE, representé és lettres sainctes par la loy, les prophetes, et les agiographes docteurs, approuvez de l'eglise universelle;
Mysteres et relations du Ternaire.
et là hault, és numerations et mesures superieures, par la fontaine, le ruisseau, et la piscine ou le vivier: car le discours et conception qui est toute mentale de soy, renclose dans l'entendement se raporte au PERE, qui est l'EHIEH ou essence des essences; et HU aussi luy-mesme, comme le pronom le plus remot; pour lequel aprocher de nous, et nous le mettre en evidence, il fault que le [G] le verbe, ou le fils, qui est l' Hochmach ou Sapience, denotee par le quadrilettre [H], et le pronom [H] Athah toy, s'incorpore en voix et parole articulee: et à ce propos Plutarque au traicté de la norriture des jeunes enfans, met, Que les deux principales parties de l'homme (qui est le Microcosme ou petit monde symbolisant à tout l'univers) sont l'entendement, et la parole; dont celui-là est comme le maistre et superieur qui commande; et ceste-cy le serviteur qui obeist. Mais l'un ne l'autre ne peuvent estre en la creature sans le soufflement ou haleine que les Latins appellent Spiritus, les Grecs [G]; et les Hebrieux [H] Ruach; qui est pris aussi par l'Apostre en la premiere aux Corinth. 14. pour la voix et le son de la langue; c'est l' Adonai, et le pronom [H] Ani moy, comme le plus proche de nous. Enquoy par consequent se vient à manifester le TERNAIRE; car la parole contient la <f 129v> conception de l'entendement; la voix articulee; et l'esprit ou respiration. Le mesme Plutarque, au traicté de trop parler: Pendant que la parole est retenue dans la pensee, elle ressemble à l'unité (au poinct indivisible, et au Jod) et quand elle se jecte dehors, au binaire (ou la ligne). Ce qui se conforme aux Cabalistes, qui appellent ce que nous disons le PERE, [H] Echad un, ou plustost le principe de l'unité; car envers les Hebrieux [H] Aleph denote aussi bien le commancement, et [H] thau la fin, pour estre les premiere et derniere lettres de leur alphabet, qu'aux Grecs [G] et [G]: ce que les Latins representent par ces mots prora et puppis, le devant, et derriere d'une navire: Neaumoins les Cabalistes mettent aussi le mot de Ensoph ou non finy pour [G] et [G]; et celui de [H] Had pareillement, qui signifie infinitude, dont l'emanation est (ce disent-ils) ainsi graduee; l'esprit ou respiration et haleine; la voix; et la parole articulee. Rabbi mesme Azariel en son commentaire de la Saincteté met, Que de l'esprit se produit la voix, et le Verbe, non par ouverture des levres, ny par une parole distincte formee en la langue; ny par la respiration ou haleine de la personne; tous ces trois n'estans qu'un seul esprit; d'autant que Dieu est un en soy, comme le tesmoigne le livre de Jezirah en ces propres termes: DIEU VIVANT EST UN ESPRIT, QUI EST VOIS, ESPRIT, ET PAROLE; ET CELA EST L'ESPRIT SAINCT, DEUX ESPRITS D'UN ESPRIT. Et Rabbi Hama au livre de la Speculation; Ces trois sont le <f 130r> commancement, le milieu, est la fin; et rien qu'un poinct indivisible: duquel, tout ainsi que du centre partent toutes les lignes qui s'estendent à la circonference, procedent toutes choses; comme du Jod qui le represente, sont formez tous les caracteres de l'escriture; qui doibt estre comptee pour la troisiesme avec les deux autres, la pensee et la parole; et comme une seconde emanation qui part de nostre entendement, et des conceptions d'iceluy; laquelle estant de soy muette; et ne se pouvant comprendre que par la seule veuë, sens qui est le moins corporel de tous, par consequant elle est plus spirituelle et mentale que la parole, à qui elle sert de vicegerent:
L'escriture plus spirituelle que la parole.
de maniere qu'elle participe de la pensee, pour estre muette aussi bien qu'elle; et de la parole, pource qu'aucunement materielle, et tombe soubs l'un des sentiments corporels, bien que le plus delié et subtil de tous. Au moien dequoy l'escriture tient le lieu et fait l'office de la parole, non de bouche à bouche, et en presence tant seulement, ains à quelque longue distance que ce puisse estre; qui est plus le propre de l'esprit que nompas du corps. Car l'escriture est un certain bouttehors des conceptions de nostre ame, qui se vont incorporer en des notes, marques, et signes sensibles, pour se manifester taisiblement des uns aux autres: et est ceste conception de pensee, comme un symbole de Dieu le PERE; les marques et notes, du FILS incarné; et le sens contenu là dessous, du SAINCT ESPRIT: <f 130v> si que tout ainsi qu'il faut que l'escriture tienne du corps et de l'esprit, qui sont les deux extremes d'icelle; aussi le corps et la deité deux extremes, se vindrent assembler au CHRIST, pour en faire une moienne disposition et mediateur, entre Dieu son pere, et ses confreres par adoption. A cela correspond encore la facture du monde, que Dieu souverain, eternel, infiny, incomprehensible, par dessus toute forme et matiere, tenant en cest endroit lieu de nostre conception interieure, boutta hors comme une escriture formee du ciel et des corps luisans qui y sont, et de la terre avec ce qui s'y produit, et en l'eau, tout cela tenant lieu de lettres; et ce qui en resulte à la gloire du Createur, et le sens contenu soubs ce beau chiffre universel: car toutes choses ont esté faites mediatement pour cause de Dieu, et immediatement pour cause de l'homme; c'est à dire que Dieu a creé ce beau temple icy de nature, assavoir le monde ou l'univers pour l'amour de l'homme, et l'homme pour l'amour de luy; Omnia propter te feci, dict Mahomet mesme, introduisant Dieu qui parle ainsi à l'homme, Te ipsum autem propter me: et Ciceron au 2. de la nature des dieux; au commancement le monde a esté fait pour raison des dieux et des hommes; ensemble toutes les choses qui y sont: dont Hermes Trismegiste met, que Dieu a fait deux choses à son image et resemblance; le monde pour s'y joüer et esbatre d'infinis beaux chefs d'oeuvre, et l'homme où il auroit mis tout son plaisir et contentement; à fin que pour <f 131r> tant de graces et beneficences il soit reveré honoré, et sur toutes choses aimé de luy; qui est la capitulation qu'il fit avec Abraham, et les autres Peres au nom de toutes ses creatures; dont il parle ainsi au trentetroisiesme chapitre de Jeremie, selon la verité Hebraïque; Nisi esset pactum meum, statuta caeli et terrae non posuissem: laquelle paction s'estend encore au devoir à quoy sont reciproquement obligez tous les humains l'un envers l'autre; assavoir la charité et dilection qu'ils sont tenuz de s'entreporter, à l'example de nostre Sauveur, qui reduit à ces deux preceptes, d'aymer Dieu sur toute chose, et son prochain comme soymesme, toute la loy et les prophetes: Ce que les payans mesme n'ont ignoré, comme le tesmoigne Ciceron au premier des offices; Les Stoiciens (dit-il) tiennent, que tout ce qui s'engendre en la terre, est creé pour l'usage de l'homme; et les hommes pour cause des hommes; afin de s'entresecourir et aider mutuellement.
Excellence de l'escriture.
L'escriture donques est une fort spirituelle invention, et presque divine; de sorte que les Indiens occidentaux, quand les Espagnols les conquirent, l'eurent en telle admiration et respect, voians que par le moien d'icelle ils s'entrefaisoient entendre leurs conceptions d'un lieu à autre, quelque esloignement qu'il y peust avoir, comme s'il y eust eu un demon ou esprit familier renclos dedans ces caracteres, qu'on ne les pouvoit presque <f 131v> engarder d'adorer les paquets et depesches qu'on leur mettoit entres les mains pour porter: ce qui leur servit de beaucoup pour tenir ces barbares en obeissance et souz bride, et les desmouvoir de toutes conspirations et revoltes: mesmement comme le racomte Pierre Martyr en ses Decades, s'il estoit question de traiter quelque chose de secret entr'eux, ils se gardoient bien d'aprocher d'un arbre qui croist en ces regions là, dict Copei, par ce qu'à faute de papier les Espagnols avoient accoustumé de s'entr'escrire sur ses fueilles avec un poiçon, qui sont fort grandes et espoisses, à guise de celle du Nenuphar.
Ce enquoy consistent les chiffres.
  MAINTENANT pour venir aux chiffres, tout leur fait depend aussi bien que de l'escriture en general, de trois differences; de la forme des caracteres; de leur ordre, contexte et assiette; et de leur valeur et pouvoir. La forme et la figure consiste és lineamens et couleurs, car tous deux font la difference, comme si l'on vouloit mettre un A rouge au lieu d'un noir; et ainsi du reste: Icy il est seulement question de la forme, qui est, ou de lettres communes et usitees, ou de caracteres formez à plaisir; qui se peuvent puis apres emploier d'infinies sortes; dont la practique és cours des Princes est telle à peu pres que nous avons dit cydevant. Mais cela n'avoit point de cours envers les Hebrieux, qui se servoient en cest endroit des propres caracteres de leur escriture commune et aperte, pour toutes manieres de chiffres, lesquels ne tendoient qu'à exprimer secretement les mysteres <f 132r> secrets de leur loy; là ou nous les appliquons seulement, et les prophanons aux affaires du monde.
Six voyes de chiffres Hebraïques.
Ils en ont au reste de plusieurs sortes, qui toutes dependent de six principales voyes: assavoir les Ethbas ou transpositions de lettres: Thmurah, leurs commutations materielles: Ziruph combinations et eschanges formels, quand on les transporte de leur vraye faculté et puissance en d'autres: Ghilgul, une quottité numerale: le notariacon, mettre une lettre ou une syllabe pour un mot, et au rebours: et la Ghematrie, qui est une equivalence, de mesures et de proportions. Toutes lesquelles varietez viennent comme dient les Cabalistes, et mesme Rabbi Moyse Gerundense, de ce que Dieu donna à Moyse la loy escrite en lettres confuses et embarrassees, si qu'on y pouvoit lire de tous costez, à droit, à gauche; à l'endroit, à lenvers; du hault en bas, du bas en hault; comme il a esté des-ja dit; et chacun se former de là divers sens, qui est la vraye Steganographie qu'a voulu imiter Tritheme: ce neantmoins, qu'il en monstra la vraye lecture et intelligence à Moyse; lequel la laissa de bouche tant seulement aux septante Sanhedrin du conseil secret; et eux de main en main aux autres. La premiere donques de ces manieres se soubsdivise en deux autres; l'une par equivalence de nombres; l'autre par des metatheses, et transpositions de lettres, syllabes et dictions entieres hors de leur ordre, suitte, et assiete; dequoy resulte un nouveau sens caché souz le contexte de l'escriture. Par equivalence <f 132v> de nombres, quand les lettres de deux vocables viennent à se raporter justement à une mesme somme, selon qu'ils font valoir leurs caracteres, de la sorte qu'il se peult veoir par la table suivante. Comme pour exemple, les lettres de [H] Metattron duquel nous avons parlé cy dessus, et de l'un des noms divins [H] Sadai, font en chacun d'iceux le nombre de 314. si qu'on les eschange et interprete bien souvent l'un pour l'autre.
[FIGURE]
  LES Grecs à l'imitation des Hebrieux, ont faict servir pareillement leurs caracteres de nombres, enquoy afin que leur Iota lequel se raporte au Jod, peust de mesme se rencontrer en l'ordre de dix, là où il n'est que le neufiesme, ils ont pour ce regard inseré en leur alphabet ce caractere [G] au 6. lieu qui sert d'une abbreviation [G]; et puis ces deux autres pour <f 133r> parfaire le nombre de 27. assavoir, [G] et [G]: Et pour marquer les millenaires, ils emploient les capitales tout d'un mesme ordre: Ce qui monstre assez qu'ils ont emprunté beaucoup de choses des Hebrieux: ou bien ils ont appliqué aux petites un accent aigu.
[FIGURE]
  A L'IMITATION encore desquels, ils ont presqu'une semblable maniere d'Arithmantie que celle dont il a esté parlé cy devant, c'est à dire divination par les nombres apropriez à leurs caracteres; excogitee premierement à ce qu'ils dient par Pythagore; les traditions duquel ne son autre chose qu'une vraye cabale Hebraïque; qui emploie pour ce regard ce passage de la Sapience 11. Omnia in numero, pondere, et mensura disposuisti: A quoy ne contre disent pas mesme Aristote ny Ptolemee, advoüans bien que les lettres importent en elles mystiquement <f 133v> certains nombres, qui és noms propres des personnes, des Royaumes, Empires, Citez, Republiques, contiennent quelque chose en secret de leurs fortunes et destinees; ainsi qu'on peult veoir par ces vers de Terentian, qui en monstrent l'usage et practique:
  Et nomina tradunt ita literis peracta,
  Haec ut numeris pluribus, illa sint minutis;
  Quondoque subibunt dubiae pericla pugnae,
  Maior numerus quà steterit, fauere palmam;
  Praesagia lethi minima patere summa.
  Sic et Patroclum Hectorea manu perisse:
  Sic Hectora tradunt cecidisse mox Achilli.
Assavoir que prenant les noms de deux qui veullent entrer en duel et combat singulier d'homme à homme, celuy dont les lettres du nom surmonteront selon le calcul dessusdit celles de sa partie adverse, en obtiendra pareillement la victoire; comme par experience il advint à Hector, qui mit à mort Patrocle, et fut puisapres tué par Achille. Car les caracteres de ce mot [G] font ensemble 1225. assavoir, [G], 5. [G], 20. [G], 300. [G], 800. et [G], 100. là où ceux de [G] bien qu'en plus grand nombre, n'arrivent neaumoins qu'a 871. en ceste sorte; [G], 80. [G], 1. [G], 300. [G], 100. [G], 70. [G], 20. [G], 30. [G], 70. [G], 200. Tout de mesme en Hector et Achille, parce que [G] passe jusques à 1276. comme on le peult veoir par les nombres de ces caracteres. Quelques-uns mesme ont voulu de là inferer, que c'est mauvais augure en <f 134r> mariage, si les lettres du nom et surnom de la femme, surmontent en valeur celles du mary, comme si elle luy devoit dominer: mais de celà la foy en soit pardevers les autheurs, car ce sont choses incertaines, et qui ne reuscissent pas tousjours s'il n'y a autre artifice que ce que dessus, ainsi qu'il s'est rencontré en [G] Carthage, et [G] Rome; dont la premiere qui fut suppeditee par les Romains, advance de beaucoup en nombre le nom de Rome: ce n'est pas à dire pourtant qu'il n'y ait de fort grands secrets et mysteres és nombres; selon mesme qu'on peut veoir en l'Apocalypse cha. 13. [G] Qui a entendement si compte le nombre de la beste; car c'est le nombre d'un homme, duquel le nombre est 666. auquel se raporte justement celuy de [G] ou [G] car [G] fait 40. [G], 1. [G], 70. [G], 40. [G], 5. [G], 300. [G], 10. et [G], 200. D'autrepart ce nom de [G], auquel il y a quatre voyelles, et deux consones fait 888. suivant ces vers de la Sibylle:
  [G]
Car [G] fait 10. [G], 8. [G], 200. [G], 70. [G], 400. [G], 200. qui sont en tout les dessudits 888.
  QUANT à l'autre maniere de chiffre Hebraïque, qui se faict par metathese et anagrammes; ce sont <f 134v> transpositions de lettres, et aucunefois de syllabes, l'exemple suivant entr' infinis autres, vous pourra monstrer comme cela va; et les estranges mysteres qui se retrouvent dans le contexte de l'escriture saincte, en la langue et és caracteres Hebrieux, dont les autres ne sont pas si capables.
Mysteres du mot Bresit, le premier de la creation en Genese.
Le premier mot de Genese [H] Bresit, est de six lettres, differentes, denotans les six jours esquels Dieu parfit toute la machine de l'univers; dont les trois premieres [H] Bra signifient il crea; ostez de tout le mot la lettre [H] beth, restera resit, c'est à dire commancement. Ausurplus pource que ce beth est marqué là en capitale [H] qui vault 2000. en nombre, quelques Cabalistes ont voulu delà inferer, dit Rabbi Moyse Egyptien au second de son directeur, chap. 31. en le reprouvant toutesfois; Qu'il a esté tout expres ainsi aposé au devant de ce mot Resit, pour monstrer que deux mille ans passerent avant la creation du monde; se fondant sur ce qui se trouve escript du premier, second, et troisiesme jour, avant que le Soleil et la Lune fussent encor en evidence, qui distinguent le jour et la nuict, les mois et annees: car comment pourroit-on sans ces deux luminaires mesurer le temps ? Par cela donques voyons nous (dit là mesme Rabi Jehuda.) Que l'escriture nous tesmoigne l'ordre des temps avoir esté de toute Eternité envers Dieu: Et un autre, dont l'opinion est beaucoup pire, que Dieu le Createur a fait et defait plusieurs mondes l'un apres l'autre, à certaines periodes de temps. <f 135r> Mais cela sent sa vaine superstition Rabinique. Et là dessus il fault entendre, qu'envers les Hebrieux tout ce qui passe le nombre de mille, est pris comme pour infiny, selon qu'on peut veoir par le pseaume 119. La loy de ta bouche m'est un fort grand bien, plus qu'or ny argent à milliers: au moien dequoy il faut plustost referer cela à ce que Beth comme estant la seconde lettre represente le verbe, la sapience, et le FILS, la seconde personne de la Trinité, qui a esté de toute eternité inseparablement conjoint et uny ensemblement à l' Aleph le PERE; et par lequel selon le pseaume 33. les cieux ont esté establis, c'est à dire tout l'univers: ce que mesme tesmoigne Trismegiste en mots expres au 4. de son Pymandre; Uniuersum mundum verbo non manibus fabricatus est opifex. Avant la creation duquel monde, dient Rabbi Eliezer en ses chapitres, et le preallegué Moyse, Rambam; rien n'estoit sinon Dieu, avec son tressainct venerable nom Quadrilettre, et sa sapience; suivant ce texte du 8. des proverbes, où elle est introduite parlant ainsi; Le Seigneur m'a possedé dés le commancement de ses voyes, (c'est à dire de ses ouvrages) avant qu'il eust encore rien fait deslors. Ou bien ces deux milliers d'ans se peuvent referer à ce qui est allegué des sectateurs d'Elie dans le Talmud, au livre des Sanhedrin chap. helec, que six mille ans doit durer le monde; deux mille assavoir, le [H] Tohu, deux mille la loy; et deux mille le MESSIHE; là où il, ne faut pas prendre ce Tohu, pur l' inane qu'a tourné S. Jerosme; ou informité, solitude, et privation de toutes <f 135v> creatures; ains pour la grossiere et inculte vie que menerent les premiers hommes, vivans presqu'à guise de bestes brutes, sans loy, sans civilité, ne police, n'ayans comme encor atteint la douceur cultivee de la societé et vie humaine, dont Dieu a rendu l'homme capable moiennant son industrie et labeur; ainsi que puis cent ans en ça il s'est descouvert és sauvages des Indes occidentales, du tout conformes à ce premier siecle. Donques la creation du monde ne commance pas par Aleph, nonobstant que ce soit la premiere lettre qui denote le PERE, et ce que nous appellons le PREMIER, mais par Beth, la premiere du mot Bresit, qui vient de [H] Rosch le chef, où est le siege du cerveau source du [G] ou discours de raison; et qui en sa collocation est la premiere partie du corps de chaque animal. Pourtant Beth est dit le principe, selon Mnahem Rachanat sur le commancement de Genese: Paraventure vous demanderez (ce dit-il) Pourquoy la sapience, attendu qu'elle est mise pour la seconde numeration, est neantmoins appellee PRINCIPE; à quoy vous respond ce passage du livre d'Habbahir, que rien n'est principe fors la sapience. Tellement que le PERE est premier, et le FILS principe: Tu quis es ? Principium, qui et loquor vobis; en S. Jean 8. Voila doncq une partie des mysteres du mot Bresit, touchant les premiers Elemens d'iceluy. Or joignez maintenant avec Beth la troisiesme lettre Aleph, il y aura Ab qui signifie PERE: redoublez avec la seconde r, qui importe quant et soy sa voyelle a, vous aurez Bebar, par <f 136r> le Fils: ostez le dit mot entier, restera Refit, commancement. Joignez la quatriesme Shin avec le Beth, et la derniere Tau, il y aura Sciabat, fin ou repos. Prenez les trois premieres seulement, elles feront Bra, il a creé: laissant le Beth, prenez les trois subsequentes, vous aurez Rosch, teste ou chef: les deux premieres retranchees, les deux d'apres feront Esch, feu. joignez la quatriesme avec la derniere, assavoir Shin et Tau, il y aura Seth, fondement. La second Res, avec la premiere Beth fait Rab, du grand. Si apres Aleph la troisiesme, vous mettes la 5. Jod, et puis la 4. Shin, il y aura Hisch, homme. Les deux premieres lettres Beth, et Res, avec les deux dernieres Jod et Tau, feront Berith, alliance: et la derniere Tau, avec la premiere Beth, Tof, bonne et louable: si que tout cela amassé ensemble il y aura en substance ces mors icy; LE PERE PAR LE FILS, LE COMMANCEMENT, ET LA FIN, A CREE LE CHEF, LE FEU, ET LE FONDEMENT DU GRAND HOMME, PAR UNE ALLIANCE TRES-BONNE: tout cela provenant des anagrammes, resolutions, et rassemblement des lettres de ce mot BRESIT. Que le Fils au reste soit le commancement et la fin de tout, l'Apocalypse le tesmoigne chap. premier. Je suis [G] et [G], le commancement et la fin, le premier et le dernier; ce qui est reiteré encore au dernier cha. Quant à ces mots, chef, feu, fondement du grand homme; il faut presupposer que si l'homme est appellé le Microcosme ou petit monde, le monde reciproquement sera le grand homme: et delà Moyse <f 136v> prenant occasion de representer les trois mondes par l'homme, assavoir l'intelligible, le celeste, l'elementaire, il a par le chef où consiste l'entendement, la cognoissance, et ratiocination, voulu denoter le monde intelligible: Depuis le col puisapres jusqu'au nombril, est la seconde partie où domine le coeur source de la chaleur, de la vie, et du mouvement; ainsi que le Soleil fait au ciel, qu'on tient estre de substance ignee, pour raison de sa pureté, et de sa continuelle agitation; aumoien dequoy le feu est icy pris pour le ciel, comme mesmes le disout Anaxagore: La troisiesme et inferieure depuis le nombril contre bas, où reside la faculté generative, est le monde elementaire, sous la sphere de la Lune, où consistent la generation et corruption. Et tout ainsi que les pieds sont comme une base et fondement sur lequel pose tout le corps de l'homme, aussi le monde elementaire, mesmement la terre qui est l'inferieure portion d'iceluy, est icy appellee le fondement; car elle est mise pour toute la masse des bas elemens corruptibles par le mesme Moyse, tout au commancement de la creation: et Hesiode l'appelle le fondement ferme de toutes choses; Orphee, le siege du monde immortel. Puis finablement est adjouxté, Par une alliance tresbonne; Parce que ces trois mondes se correspondent harmoniquement l'un à l'autre par une tresbien accordee concorde, que Platon appelle Amour, Homere la chesne doree; et l'escriture saincte, l'Eschelle de Jacob, qui consiste de 72. eschellons, autant <f 137r> qu'il y a de lettres au Schem hemmaphoras; et d'Anges qui montent de la terre au ciel, puis en redescendent, portans tous le nom de Dieu, avec ses loüanges, suivant ce qui est escrit au Cantique des enfans de Chore; secundum nomem tuum Deus, sic et laus tua. Et est ceste alliance appellee bonne, pour raison de souverain bien; qui à son exemple et portrait a institué de tout un si bel accord, ne produisant de soy que choses tresbelles et bonnes, selon qu'il est dit en Genese; Que Dieu vit tout ce qu'il avoit fait estre bon merveilleusement. Somme que ce seul mot de Bresit s'interprete et lit par les Cabalistes en plus de quarante ou cinquante sortes differentes, toutes pleines de grands mysteres. Et entre autres le docteur Elchana, de grand nom entre les Hebrieux, met que le Beth qui signifie maison, denote la Sapience superieure, en laquelle toutes choses estoient colloquees avant qu'estre deduites en formes; et par elle mesme ont esté procrees, suivant le pseaume 104. Tu as fait toutes choses en ta Sapience. Et l'autre lettre qui suit apres, assavoir le Res, à quel propos est-elle icy la seconde ? pourautant dit-il que le Beth qui és nombres importe deux, monstre la premiere emanation en la divinité, qui est LE FILS, la seconde personne d'icelle, et ce en la simplicité des neuf premiers nombres au dedans du dix; car Res importe deux centaines, et par consequant la premiere production és choses materielles grossieres, assavoir la matiere, que les Pythagoriciens representent par le Binaire, qui est <f 137v> le deux. En troisiesme lieu est la lettre Aleph, un des symboles de la divinité, et de la premiere source de tous les biens qui sont en ce monde; cela ne voulant signifier autre chose, sinon que la matiere fut de rien procree en Estre; et l'informateur influant là dessus dans le Beth, et le Res, fait qu'elle reçoive ses formes, et soit vivifiee par le FILS, qui est la sapience procreatrice, et la vie de toutes choses. Mais le plus beau de tout, est que l' Aleph joint avec le Beth, , fait AB, qui signifie le PERE, lequel ne peult estre sans son correlatif le FILS. Au reste le premier donneur des formes, introduisant en la matiere celles qui estoient au FILS, comme la souveraine Idee, et la vie de ce qui se devoit produire, charrie le Shin apres soy, qui importe trois centaines, et demonstre mystiquement que la forme est introduitte en la matiere crasse et grossiere. Et comme il n'y ait rien qui puisse consister en ce monde qui ne soit remply de divinité, selon le pseaume 104. Auferes spiritum eorum, et deficient, (assavoir la vie que toy ô souverain Dieu leur as donnee) et in puluerem suum reuertentur: et un peu audessus; Te aperiente manum tuam, omnia implebuntur ubertate; pour ceste occasion au cinquiesme lieu de Bresit est mis le Jod, qui denote la divinité estre infuse en toutes choses, qu'elle remplist, dit Jeremie au 23. Nunquid non caelum et terram impleo: Et en S. Jean 1. De plenitudine eius nos omnes accepimus; laquelle a esté tresparfaicte au CHRIST, comme le tesmoigne l'Apostre aux Colocens. 1. In ipso complacuit Patri <f 138r> omnem plenitudinem inhabitare. Toutes choses donques ainsi produites; et la masse du genre humain coacervee, delà fut trié à part le peuple que Dieu voulut choisir pour soy, appellé la congregation d'Israël, representee par le Tau: de maniere que tout ce que dessus raporté en un sens de la suitte de ces six lettres de BRESIT, ne veult dire autre chose sinon cecy: En la Sapience, qui est le verbe et le FILS du souverain PERE, a esté produitte la premiere matiere de toutes choses: puisapres de la source inexpuisable de tous biens, leur a esté donnee la forme et consequemment tout a esté remply de la bonté opulente de Dieu pour le genre humain; et en especial, pour ses esleuz.
  TELS mysteres, et autres encore se trouvent presque par tout en l'escriture, où ils sont noiez et enseveliz sous l'escorce du contexte apparent de la lettre, ainsi que le sens secret qui est caché dedans un chiffre; mais pardessus tout au sacresainct Tetragrammaton [H]; qui n s'en pourroit jamais espuiser, nomplus que la vraye essence de Dieu, que ces quatre caracteres portent en eux, ineffables pour nostre regard, et incomprehensibles mesme à la nature Angelique; dont en cest endroit la divinité se desrobbe pour s'aller plonger dans le vaste abisme de son Ensoph ou infinitude, qu'Orphee et Hesiode appellent la nuict; à laquelle est faite aussi allusion en Isaie chap. 16. Pone quasi noctem umbram tuam in meridie. A l'imitation de cela Platon a basty la plus grand part de son Cratyle, auquel entre les autres noms divins <f 138v> Socrate espluche celuy de A [G], non avec de moindres mysteres que les Cabalistes font celuy du Souverain Dieu, le tout dependant (ce dit-il là mesme) de la resolution des mots en syllabes et lettres, dont consiste la representation de l'essence des choses qu'on veut exprimer par leurs droites appellations;
L'essence des choses ne se peult mieux representer, que par les caracteres de l'escriture.
ny plus ny moins que fait la peinture par les traits de lineamens et couleurs; ce qui s'appelle les resouldre en leurs premiers Elemens, comme les mixtes et composez mineraux, vegetaux, animaux par les actions et effects du feu; our delà puis apres en former un nouveau sens et intelligence mystique, couverte exterieurement de la diction; et de cecy depend presque tout l'artifice de la Steganographie et Poligraphie de l'Abé Tritheme, tirees de ces chiffremens Hebraïques; tel pour le regard de la transposition des lettres, qu'en Jehoachin, et Jechoniah, qui sont le nom d'un mesme Roy, et de mesmes lettres, mais transposees. Dequoy nous amenerons encore icy cest autre exemple de la Metathese ou renversement de deux seuls lettres, qui diversement assemblees signifient diverses choses, non sans grand mystere; assavoir [H] EL Dieu, et [H] non; comme si dela on devoit comprendre, Dieu estre plustost en nostre endroit une negative et privation, qu'une affirmative; selon que nous avons desja allegué du pseaume 139. Ainsi que sont ses tenebres, telle est sa lumiere; car les tenebres symbolisent à la privation. Au moien dequoy la tres-absoluë Essence de Dieu se retirant de nostre <f 139r> sens et apprehension dedans son infinie obscurité pour nostre regard, elle est aussi appellee [H] Ain, non ou rien, à propos de ce texte du dixseptiesme d'Exode selon la verité Hebraïque; Num est Ens Adonai inter nos, an non Ens ? Si que les Cabalistes alleguent de ce lieu du vingthuitiesme de Job, Ipse ( [H] Hu) nouit locum illius, que la sapience est trouvee par privation, assavoir de l'endroit dict [H] Ain. A quoy bat ce qui est discouru en Platon au Dialogue du Sophiste; Hors de toute choses il n'y a rien, fors le rien mesme: Et pourtant l'un ne peut entourer fors ce qui est, si d'aventure il n'environnoit le rien. Et le traitté du Jezirah met, que les dix Sephiroths ou divines emanations procedent du [H] Belimah, qui entre autres choses signifie rien, et privation; par ce que l'imbecillité de nostre esprit faict que les choses que nous ne pouvons atteindre ne concevoir, et qui ne nous apparoissent aucunement, nous les tenons pour n'estre point: dont l'Apostre en la premiere aux Corinthiens premier; Dieu a esleu les choses qui ne sont point, pour abolir celles qui sont. Mais plus apertement encore Platon en l'epistre 6. à Hermias, Erate, et Corisque; Que dieu est le chef de toutes les choses, tant de celles qui sont, que des autres qui doivent estre, et ne sont encore. Aussi ceste note de nullité 0, qui est circulaire et revoluble en soy-mesme, sans fin et sans commancement, ne faict rien de soy, mais avec l'unité constitute le nombre de dix 10. Et de là se va multipliant en la compagnie des autres <f 139v> jusqu'en infiny, comme le demonstre Archimede au traicté de l'Arene: Car selon que met S. Denys en sa mystique theologie; DIEU n'est ny nombre, ny ordre, ny un, ny unité. Et en un autre endroit il dit; Nous oserons bien encore affermer par raison, que ce qui n'est, participe du bon et du beau. Tellement que ce NON-ESTRE pour nostre regard et capacité se raporte à Dieu; duquel avec Simonide au Roy Hieron, nous pouvons dire, que tant plus on y pense, tant moins on peult comprendre ce que c'est: Si qu'il est bien plus aisé d'apprehender Dieu n'estre le ciel, le Soleil, la terre, ny autre chose quelconque qui nous puisse tomber non tant seulement sous la veuë, mais nompas mesme en nostre imagination et pensee, que d'affermer que ce soit cecy ou cela: Parquoy tant plus nou-nous cuidons aprocher de luy pour en atteindre la cognoissance, tant plus il s'en fuit et reculle, ainsi que l'ombre fait du corps dont elle procede, quant on pense courir apres. Tous les efforts donques d'y parvenir par aucune ratiocination ny elevement de nos esprits, nous estoient vains et inutiles, avant que son [G] ou verbe qui est la parfaicte raison, se fust venu communiquer à nous, en prenant le vestment de nostre nature en la chair humaine, car nulle chose spirituelle descendant en bas, comme nous avons dit, n'opere point sans vestement. C'est pourquoy les sacremens et mysteres qui sont tous spirituels de soy, ont besoin d'estre accompagnez de quelque signe materiel; comme dient les <f 140r> Cabalistes dedans les portes de Justice de Rabbi Joseph fils de Carnitol, Superos, indigere auxilio inferiorum; à propos de ce, Rorate caeli desuper, et nubes pluant iustum: aperiatur terra, et germinet saluatorem, et iustitia oriatur simul. Isaie 45. Mais depuis l'incarnation du verbe, la divinité au lieu de se reculler de nous comme auparavant, au contraire se presente à bras estendus et ouvers pour se manifester à nous, et s'insinuer en nostre ame. Tout cela est par nous icy amené à l'imitation d'une escriture non aparente, ainsi qu'on peult faire avec de l'alum destrempé en de l'eau, et plusieurs autres artifices; laquelle estant seche se blanchist à pair du papier, si qu'on ne cuideroit pas qu'il y eust rien de marqué; mais mouillee en de l'eau, ou chauffee au feu, le papier se venant par là à noircir, elle se manifeste lors; et ainsi est-il des secrets mysteres de Dieu, qui à guise d'un fort secret chiffre se forlongeoient de nostre cognoissance, jusqu'à ce qu'ils nous aient esté revelez par son fils, qui est la vraye eau, eau de Sapience salutaire; et l'esprit SAINCT, le feu d'ardente charité et dilection. Il y a d'autres encore anagrammes communement en l'escriture, ainsi qu'en [H] Chamor, asne, et [H] Rechem Pieté ou debonaireté, qui sont les mesmes lettres mais transposees; à quoy s'aproprie fort bien ceste prediction du MESSIHE en Zacharie 9. Voicy ton Roy qui viendra pour toy, juste et sauveur, humble et debonaire, monté sur l'asne: et plusieurs semblables. Par les Acrostichides d'abondant des mots, se revelent de <f 140v> grands secrets dans les textes de l'escriture, et mesmes touchant le Messihe; tels que S. Augustin livre 18. de la Cité de Dieu, chap. 23. en ameine de la Sibylle en carmes Grecs, dont les premieres lettres reduites ensemble font ces mots cy: [G]; JESUS-CHRIST FILS DE DIEU, SAUVEUR. Et en premier lieu, en Genese 49. [H] Jabo Siloh Velo, donec veniat Messiah, les premieres lettres de ces trois mots font JESU: et de mesme au 72. pseaume; [H] Janin Semo Vait barcu: et au 96. encore en cest endroit; Laetentur coeli, et exultet terra: commoueatur mare et plenitudo eius, gaudebunt campi, et omnia quae in eis sunt; toutes predictions du Messihe, les premieres lettres des quatre premiers mots; Josmehu, Hassamaim, Vetagel, Haarez, font le grand tetragrammaton [H] Jehovah; et celles des trois subsequents; Irham Haiam Umluo, le mesme encore, sans le dernier He, qui denote la nature humaine, que le Christ lors de ceste prediction n'avoit point encore vestue: et les autres premieres lettres de trois dictions qui restent, assavoir Jahelaz Sadai Uccol asserbo, celuy de JESU. Infinis autres tels mysteres se presentent de tous costez dans l'escriture, à quoy les Juifs ferment les yeux esbloiz, et leurs endurcies oreilles, pour n'estre contraints d'advoüer ce qu'ils voient manifestement par les reigles de leurs propres chiffres, qui ne leur sont pas incogneuz.
  CE SONT à la verité de fort belles choses, dira quelqu'un, et bien propres pour tirer à soy, et retenir <f 141r> des cerveaux contemplatifs estant desormais de repos, hors de toutes occupations et charges publiques, et nompas de ceux dont la vie consiste encore en action; car à quoy peuvent estre bonnes ces si curieuses recherches, où paraventure Moyse, ne les autres prophetes ne songerent onques ? nomplus que les rencontres des Sibylles que Ciceron au 2. de la Nature des dieux tient pour suspectes, pour y avoir un sens si net et expres; Atque in Sibyllinis (dit-il) ex primo versu cuiusque sententiae, primis literis illius sententiae carmen omne praetexitur: Sed hoc scriptoris est non furentis, immo adhibentis diligentiam, et non insani. Mais je n'advoüe pas cela, ains tiens fermement que c'estoit un ouvrage du sainct Esprit, qui guidoit le leur parlant par leur bouche, et addressant leur plume à de tels rencontres non fortuits; esquels encore que la langue et escritures Hebraïques soient plus propres que nulle des autres, si n'en sont elles pas pourtant du tout desnuees, tesmoin les anagrammes de Lycophron, et les vers dessusdits Sibyllins; et quelques uns dans Ennius, au rapport mesme dudit Ciceron:
Divers anagrammes de ce mot ROY.
Si que m'estant pris un jour fantasie d'essaier si à l'imitation de cela, j'y pourrois rien atteindre en la nostre, ce mot de ROY se vint le premier presenter sur les rengs, comme l'un des plus magnifiques et dignes de tous; et que la divinité propre ne dedaigne pas; Rex meus, et Deus meus, pseaume octante quatre; et au nonante cinq, Rex magnus super omnes deos; et infinis autres passages de l'escriture: Estant en premier lieu de trois <f 141v> lettres ainsi que tous les primordiaux des Hebrieux; et au reste d'une syllabe, ce qui symbolise aucunement au tressaint et sacré TERNAIRE; et pour le regard des choses humaines, marque les trois principales parties que celui qui est honoré de ce tiltre doit avoir en luy; la foy assavoir, pure et nette envers Dieu; la charité et amour paternelle envers ses subjects; et la providence és affaires de la corone. Enapres je vins à examiner les trois lettres dont il consiste, selon les mesmes considerations que touche Socrate dans le Cratyle de Platon: [G] etc. En premier lieu la lettre R me semble estre comme un instrument de toute mouvement, parce que la langue en la prononçant se remue fort, et sans s'arrester. Cela me sembla soudain se raporter à la continuelle action où doit estre le souverain Magistrat, pour l'exercice du devoir et acquict de se charge. O puisapres denote la rotondité dont il doit egallement proceder envers un chacun: [G] Qu'en ce mot de Strongylon c'est à dire rond, l'on a meslé beaucoup de o, comme aiant besoin de ceste note laquelle de vray estant toute ronde, egalle et unie, sans aucunes pointes ny encoigneurs qui se forjectent endehors, en semblable la parole du Prince, et ses actions et effects doivent estre tous uniz et ronds, comme on dit en commun langage, quand on veult denoter quelque chose de candeur et syncerité. Et finablement la lettre I, represente <f 142r> une lenité et douceur, parce que la prolation en est la plus gracieuse de toutes autres; et en outre l'industrie et subtilité d'esprit, et son exacte intelligence: Toutes lesquelles choses signifie le mot de [G]; ensemble un conseil secret et caché, là au mesme endroit du Cratyle; [G] etc. OR suivant les traditions des Cabalistes la lettre [H] Res represente l'heredité et succession, comme si cela vouloit inferer que les royaumes, hereditaires soient trop mieux instituez, tel que fut celuy de Juda, qu'on ne doubte point avoir esté excellent sur tous autres, comme estably de Dieu sur son peuple particulier, et non par une usurpation tyrannique, que nompas les Electifs, où les combustions des brigues et partialitez mettent la plus-part du temps tout à vauderoutte, avec une extreme affliction et ruine des peuples. Dans le livre de Jezirah R est pris pour la bien-vueillance, vray lien de la societé humaine, qu'à l'exemple de l'amour pitoiable que Dieu a à l'endroit de ses creatures, en semblable le Prince est tenu de porter aussi à tous ses sujets. Au regard de o; c'est la plus aisee lettre à prononcer de toutes et comme moienne entre le gozier où s'enfonce a, la premiere des lettres et voix, et le bout des levres où se vient reduire la derniere u; si que Tohu et Bohu, les premiers et rudes principes de Moyse en la creation des choses, en consistent la plus grand part; et aussi le nom du premier homme Adam, appellé autrement Odom. Davantage les Hebrieux <f 142v> n'aians point proprement de voyelles, font servir ordinairement [H] Ain pour o, non sans mystere: car comme ain signifie non, ou rien, de mesme ceste note 0 au chiffre à compter n'importe aucun nombre seule à par soy, si elle n'est accompangee de quelqu'une des neuf. Au surplus ce caractere denote l'oeil, que le Roy doit avoir à tout, et par tout: et suivant cela les Egyptiens en leurs Hieroglyphiques representoient la Royauté par un oeil pacqué au dessus d'un Sceptre, ainsi que le specifient Orus et Plutarque au traité d'Osyris, le Sceptre signifiant la force, authorité et pouvoir; et l'oeil la prevoiance. Le Jod en apres assavoir I, duquel sont composees toutes les lettres Hebraïques; et qui par mesme moien constitue le nombre de dix, perfection, reposoüer et accomplissment de tous autres nombres, denote par là, que toutes les parties et membres d'un royaume dependent de la personne du Roy; et qu'en elle tout se parfait et accomplist; parquoy tout s'y doit raporter et reduire, ainsi que la circonference au centre. Le Jod en outre est pris pour exaltation et loüange, à quoy tout Roy doit aspirer par ses bons et loüables comportemens. PASSANT puisapres des mystiques interpretations et signifiances de ces trois lettres, à ce qui peult resulter de leurs divers anagrammes et renversemens; en premier lieu se presente Iro, quasi [G] demidieu, tels que sont les Rois, image du grand Dieu en terre: et à ce propos en l'ancienne loy les Rois, les Prophetes, et les prestres qui estoient oincts du sainct <f 143r> huille, estoient reputez estre plus qu'hommes, et comme demidieux; les Rois d'autant qu'ils administrent la Justice, qui appartient proprement au Messihe, le Roy des Rois; dont il est escrit en S. Jean 5. Omne iudicium dedict mihi pater: les prophetes à cause qu'ils estoient inspirez du SAINCT ESPRIT, qui parloit par leur bouche; si que les Cabalistes les appellent certains dieux cachez dans le corps humain, suivant le pseaume quarante sept Dii fortes terrae vehementer eleuati sunt: et les Prestres pour les haults mysteres et sacremens qu'ils manient; à quoy se raporte le pseaume cent trente trois; Sicut unguentum quod descendit in barbam, barbaram autem Aaron, le grand Pontife et Archiprestre: et estoit ceste onction, moiennant laquelle le don de prophetie se conferoit, comme on peult veoir au premier des Rois, chapitre dix, un signe exterieur de la vertu et efficace du nom divin, selon le premier des Cantiques, Oleum effusum nomen tuum. Car l'huille ou le chresme est un symbole de misericorde et cle-qmence, qui se confere par le moien du nom de CHRIST; Auquel, comme dit sainct Pierre au 10. chapitre des Actes; tous les Prophetes rendent tesmoignage, que quiconque croira en luy, oinct du SAINCT ESPRIT, recevra remission de ses pechez par son nom: Mais tous ceux qui estoient oints de cest huille, ne recevoient pas pourtant ceste grace, nomplus que nous celle de nos sacremens si de nostre part il y a de l'indignité.
I. aux Corinth. II.
  IRO derechef fait allusion à [G], gracieux, <f 143v> amiable, debonnaire; estant derivé de [G] amour, et de là paraventure le Latin Herus, maistre et Seigneur, qui doibt estre tel envers sa famille et ses serviteurs, comme le Roy à l'endroit de ses vassaulx. L'autre transposition de Roi est Rio, quasi [G], fluer, couller, emaner; parce que tout doit proceder de lui, et par consequent aussi affluer et couller à luy, ainsi que les rivieres dedans la mer, qui renvoie reciproquement de nouvelle eau doulce à leurs sources, par les occultes spongiositez de la terre, où elle laisse ses salsitudes. La troisiesme sera ori, de [G]; veoir, d'autant que l'oeil du Roy doit s'estendre de toutes parts, comme celuy d'un bon Pere de famille à son mesnage; et ce à l'exemple de Dieu selon Hesiode, [G] l'oeil du grand Dieu qui tout voit et cognoist. Celuy d'apres à ce mesme propos, est oir; lequel estant purement François n'a besoin d'autre explication, sinon que le Roy est tenu d'oyr et prester l'oreille sans acception de personne, aux plaintes et doleances de son peuple, pour faire droit à un chacun, et luy administrer justice: Et c'est pourquoy les Lacedemoniens representoient le grand Roy des Rois Juppiter, avec quatre oreilles. Finablement il y a Ior, car trois lettres ne se peuvent assembler qu'en six sortes, comme qui diroit [G], qui signifie portier, lequel prend garde à ce qui entre dans le logis, et en sort, selon que le doit faire un Roy en son royaume, qui luy est en lieu de domicile à une personne privee; ou une eschauguette assise au hault <f 144r> d'une montagne, où il est constitué en vedette, et en sentinelle, pour de là descouvrir tout ce qui se fait d'importance; mais nompas espier les privez et menus affaires des particuliers, qui n'attouchent en rien au publicq: y estant aussi exposé de sa part en veuë, afin que ses actions puissent estre observees de tous, mesme des estrangers. Que si nous voulons là dessus passer outre à une autre belle consideration dependant encore de ce propos, suivant les Thmurah, et Siruphs des Hebrieux, qui sont certaines commutations reciproques des lettres l'une pour l'autre; et changer R en L, car l'eschange de ces deux liquides est fort aisee, voire frequente, comme nous voions és petits enfans, et ceux qui ont la langue un peu grassette, dont ils besgaient aucunement, lesquels prononcent L, pour R; Il y aura Loi, de laquelle la justice est la fin intentionaire; et la loi l'ouvrage du Prince, comme met Plutarque au traicté Que les Princes doivent estre sçavans: Aumoien dequoy, disoit Agesilas Roy de Sparte, le bon Prince se doit laisser commander par les loix; car s'y soubsmettant, il soubsmet par mesme moien tout le peuple à son authorité et obeissance, puis qu'il est le manutenteur et executeur de la loy.
  VOILA aumoins d'assez plausibles petites recherches en un mot de si peu d'estendue; à l'imitation desquelles s'en peuvent forger assez d'autres, mais oisives au reste, et infructueuses, et dont l'on ne doibt pas faire beaucoup de mise ny de recepte; ne penser <f 144v> obtenir par là tant soit peu de reputation, car elle seroit trop mendiee à bon marché, joint que tous les mots ne se pourroient pas ainsi rencontrer si heureux; encore est-ce en langue estrangere pour la pluspart; là où les Hebrieux n'ont occasion de rien chercher hors de la leur, tresfertile en cest endroit sur tout autre; et tirent de ces anagrammatismes les principaux secrets mussez sous l'escaille de l'escriture, dont nous convenons mesmes avecques eux. Et encore qu'il ne nous soit point besoin de semblables choses pour la confirmation de nostre creance, qui depend de la seule foy, sans avoir affaire de raisons ne d'authoritez, suivant le dire d'Alpharabie, nonobstant que Mahometiste; Que les choses divines qui se doivent croire par la simplicité d'une pieuse et devote foy, sont d'un ordre et degré si hault, qu'il surpasse nostre entendement, comme estans tirees de la divine inspiration; aumoien dequoy, d'autant que là consiste la profondité des divins secrets, toutes les ratiocinations et discours humains viennent à s'y affoiblir et elangourer, si qu'ils ne les peuvent ny atteindre ny concevoir: N'aians dis-je point de besoin de toutes ces subtilitez en ce qui depend de nostre religion et creance, cela neaumoins peult servir pour combatre l'envieuse et perfide malignité, et obstination Judaïque par ses armes propres; qui fait l'aspic aveugle, et le SOURD, à ce qui luy est trop plus que manifeste; comme ont fait aussi de leur part les plus doctes Mahometistes Arabes, plus par une contumace et orgueil, <f 145r> qu'ignorance. Car par ces chiffres Cabalistiques de metatheses et commutations de lettres, equivalences de nombres, notes et marques, et autres tels artifices practiquez d'eux, se peut faire toucher au doigt et à l'oeil, le mystere de la Trinité, et sa substancielle union de trois personnes en une seule divine essence; mesmement par le nom des quatre lettres ineffables; celuy de douze; de quarante deux, et soixante et douze. Dieu donques qui est une tressimple unité tousjours une, a il plusieurs et divers noms, attendu ce qui est escrit en Zacharie 14. Erit dominus unus, et nomen eius unum ? A la verité non, aumoins pour exprimer par iceux diverses essences de deitez; mais trop bien des proprietez et attributions seulement; lesquelles nonobstant qu'elles procedent d'une mesme souche de la deité où elles sont enracinees, ne sont sinon qu'UN; mais pour nostre regard elles acquierent une certaine pluralité, à cause des diverses beneficences, dons de grace, et octroiz que nous en parcevons; comme si une mesme eau et d'un mesme vase degouttoit sur nous par divers tuyaux. Par ces chiffres Hebrieux outreplus, se manifeste l'eternelle generation du Primogenite, qui est le VERBE, et la sapience du PERE; l'introduction de la mort en l'homme par le peché originel; l'expiation d'iceluy par le sang du Messihe; son incarnation et nativité temporelle; sa mort, et resurrection; la penitence et remission des pechez; la consommation du siecle; et le jugement universel par le <f 145v> fils de l'homme: et semblables articles de nostre foy; avec infinies autres belles meditations, qui eslevent nos ames à Dieu.
Trois principalles procedures des Cabalistes.
Et en tout celà les Cabalistes procedent principalement par trois voyes; l'une en le retenant au sens literal, et contexte des mots; l'autre en reduisant l'escorce de l'escriture à un sens allegorique, et analogique; mais la troisiesme estoit parti-aculiere aux prophetes, qui illustrez de l'esprit de Dieu, penetroient aux profonds secrets d'iceluy, et raviz d'une sainte fureur et ecstase, s'unissoient presqu'à la divinité.
Chiffre du Notariacon.
  LA SECONDE maniere des chiffres Hebrieux, pour retourner au propos d'iceux intermis au fueil. 51. va par la voye du Notariacon, comme ils l'appellent, quand une lettre seule, ou une syllabe se mettent pour une diction entire; et un mot pour toute une clause: ce qui a esté autresfois practiqué mesme par les Romains, en l'escriture et langue Latine, dont il y en a infinies inscriptions et formules toutes de lettres capitales, importantes chacune endroit soy un mot complect; comme S.C. Senatusconsultum: S.P.Q.R. Senatus, populúsque Romanus: D.T. Duntaxat: D.M. Diis manibus; sur tous leurs tombeaux: H.M.H.N.S. Hoc monumentum haeredes non sequitur. Q.R.C.F. quando Rex Comitio fugit; ou, quando Rex comitiauit fas: A.A.A. F.F. Auro, argento, aere, flando, feriundo: et infinis autres qu'on peult voir és livres, marbres, bronzes, medailles, et camayeux antiques; dequoy Valerius Probus <f 146r> a faict un traicté, de Romanorum notis; que Paulus Diaconus a amplifié de beaucoup.
Les notes Ciceroniennes.
J'ay veu aussi en plusieurs endroits un gros volume intitulé de notis Ciceronianis, dont l'artifice tient plus du chiffre que le precedant; par ce que ce sont tous caracteres formez à plaisir, pour servir d'abreviations, plus convenables aux Greffiers qui recueillent les plaidoiers des Advocats, comme on faisoit anciennement ceux des Orateurs, et leurs harengues, que pour autre effect; à cause de la promptitude et vitesse de la parole, qui passe soudain comme une fleche bien empennee; car chacun de ces caracteres ou notes importoit pour le moins un mot, voire plusieurs la plus grand' part, selon que tesmoigne le poëte Ausone;
  Qua multa fandi copia
  Punctis peracta singulis,
  Ut una vox absoluitur.
Quelques uns attribuent cest oeuvre, et mesme Eusebe, à un affranchy de Ciceron, appellé Tyro; mais il fut depuis enrichy et accreu par Perennius Pilargyrus, et Aquila, autre affranchy de Mecenas; et encore quelques ans apres par Seneque, qui les arrengea en ordre alphabetique jusques au nombre de cinq mille: saint Cyprian y en adjousta aussi, et accommoda le tout à l'usage du Christianisme. Mais c'est une profonde mer de confusion; et une vraye gehenne de la memoire, comme chose laborieuse infiniment; <f 146v> et avec tout cela inutile; parce que chacun se peult dresser à par soy des abreviations à luy propres et particulieres, empraintes voire presqu'innees au profond de son souvenir; et quant et quant plus promptes, et courantes plus legierement sous la plume; comme nous voyons és greffiers des cours souveraines, dont la soudaineté de la main accompagne non seulement, ains devance les plus legieres et delivres langues des advocats; et aussi en tous les chaffourremens et minutes de notaires, procureurs, et exploits de sergens.
Plusieurs sortes de Notariacon.
QUANT au Notariacon des Hebrieux, il ne sort point de leurs lettres accoustumees, bien est-il de diverses sortes; assavoir quand une syllabe ou une lettre sont mises pour un mot entier; et un mot pour toute une clause, comme nous avons desja dit cy dessus: et au rebours une clause complecte pour un seul vocable; et un vocable pour une lettre, selon qu'on peult veoir en la Polygraphie de Tritheme, une assez gentille et ingenieuse invention à la verité, si ce n'estoit le prolixe et ennuyeux sens que rendent ces synonimes joints ensemble de suitte, et le peu de subject qu'en fin ils expriment. Une lettre se met pour un mot, ainsi qu'au Quadrilettre [H], auquel la premiere lettre Jod represente en plusieurs endroits tout le mot entier: mais au Targhum ou translation Chaldaïque, ce quadrilettre est ordinairement representé par trois Jod en triangle; un fort grand tesmoignage au Judaisme de la Trinité, encore que deslors ils n'en <f 147r> comprissent pas si parfaictement le mystere, comme nous avons fait depuis par l'incarnation du verbe, lequel nous l'a manifesté du tout: et c'est pourquoy ce tressainct nom leur estoit ineffable, selon qu'il est dit en Exode 6. Et nomen meum tetragrammaton [H] non indicaui eis. quelquesfois on tire ces seules et singulieres lettres qui representent un mot entier, de la fin, ou du milieu d'une diction; et les marque lon audessus d'un tiltre pour les discerner: ou bien l'on prend les premieres ou dernieres lettres d'une suitte de mots pour en faire un seul; ou de plusieurs clauses en bastir une; comme sur ce passage du 65. d'Isaie; Celuy qui sera benit sur la terre, sera benit au Seigneur A MEN. Et qui est ce Seigneur Dieu AMEN ? peult on demander, selon qu'annote Rabbi Racanat sur le 15. d'Exode: c'est respondent les Cabalistes, [H] Adonai melech Neeman, le Seigneur Roy fidelle, ou veritables; car les premieres lettres de ces trois mots font [H] Amen. De cest artifice à l'imitation des Hebrieux, a usé Roger Bacchon excellent philosophe Anglois, en son miroüer des sept Chapitres; qui se commancent par les mots suivans; In Verbis Praesentibus Inuenies Terminum Exquisitae Rei; lesquels assemblez font un sens qui manifeste son intention; et les premieres d'icelles reduittes en un vocable, ce mot icy, IUPITER; tout ainsi que les dernieres des derniers mots de chaque chapitre, assavoir Proiectionis, debet, tota, tamen, bitumen, nutu, inaeternum, font STANNUM, qui est le mesme que Jupiter, <f 147v> selon le chiffre Chimistique. De semblables choses se trouvent infinis exemples dans Rabbi Jehuda Marinus, Samuel Nagid, et autres qu'allegue Abraham Aben Ezra au livre du mystere de la loy. Il y a outreplus une autre branche de ce Notariacon, quand toutes les lettres d'une diction denotent autant de mots, ainsi qu'au 3. pseaume; Plusieurs s'eslevent contre moy: et qui sont ces plusieurs en Hebrieu ? [H] Rabim; les Romains designez là par le Res; les Babyloniens par beth; les Javan ou Joniens, peuples de la petite Asie par Jod; et les Medois par le mem final; ce qui est le vray Notariacon. LES Hebrieux ont encore un autre secret d'escriture dependant de cecy; quand on oste la premiere lettre d'un mot, ou qu'on l'y adjouxte; dont la signification d'iceluy se change; comme pourroit estre au Latin Claudo et laudo, tango, et ango; et pareillement au milieu, Surgo, et Sugo; En François Paris, et païs; mais cela quant à nous n'est d'aucune commodité et usage, pour le regard mesmement des chiffres, là où à eux il importe tousjours quelque grand mystere; dont en voicy un exemple tresnotable entre les autres, qu'allegue Rabbi Jehudah en son livre de l'Esperance: Que le Prophete Jeremie aiant un long temps medité dans le traicté de la formation, (JESIRAH) Un jour la fille de la voix (bath kol, ainsi appellent ils l'inspiration divine comme une tacite voix venant du ciel) l'admonesta d'y perseverer encore par trois ans de suitte; et mesmes sur les permutations procedans des Ziruphs <f 148r> et diversitez d'alphabets; au bout duquel terme luy fut, et a ses escoliers, creé soudain à l'imporveu un nouvel homme, ce leur sembloit, avec ces mots escrits au front, [H] Jahveh Elohim Emet, le Tetragrammaton Dieu vray: Ce qu'eux contemplans attentivement, il s'en va soudain effacer la premiere lettre du dernier mot, si qu'il n'y demoura plus sinon [H] MET, c'est à dire mort; dont le prophete tout indigné se prit à deschirer par courroux ses habillemens, en luy demandant pourquoy il avoit retranché Aleph de Emet ? Pource, respondit-il, que par tout on s'est departy de la fidelité du Createur, qui vois a formez à son image et ressemblance. Et à quoy le cognoistrons nous ? repliqua Jeremie: Escrivez, dit ceste representation en forme d'homme, les alphabets par espaces en ceste poulsiere espandue, selon l'intelligence de voz pensees: et tout à l'instant cest homme là fut reduit en pouldre, et s'esvanoüit de leur veuë.
Fueil. 95.
De là en avant le Prophete affermoit d'avoir eu la notice de la faculté et vertu de ces alphabets, et de leurs revolubles commutations literales, par la voye des accouplemens, dont il avoit des-ja apris la maniere dans le livre de Jezirah.
Mais ce Rabbi taist, que tout cela ne vouloit denoter, sinon que Dieu se devoit faire homme, et mourir en homme; le Dieu de verité assavoir, qui est le Messihe; Quoniam Christus est Veritas, en Sainct Jean cinquiesme chapitre: Et au pseaume octante cinq; Veritas de terra orta est. Ausurplus ce mot de [H] Emet n'est pas destitué de mysteres; <f 148v> car il est composé de trois lettres, qui sont le commancement, le milieu, et la fin de l'alphabet; et davantage representent, assavoir Aleph qui vaut un, la simplicité des nombres, qui est attribuee à Dieu, et au monde intelligible: Mem qui vaut 40. les dizaines, au monde celeste: et Thau, 400. les centaines, à l'elementaire. Et si il y a encore à considerer la quadrature ferme et solide, telle qu'il faut que la verité soit; laquelle quadrature s'apperçoit tant en la figure de ces caracteres qui sont tous carrez, qu'en leur valeur és suputations; d'autant qu' Aleph signifie mille aussi, qui est la fin de tous les nombres, et le Cube du dix: Mem 40. le mesme dix multiplié par quatre qui le constituent, parce que 1.2.3.4. font dix: et le Thau, 400. le carré du dix, qui est cent, multiplié par le mesme quatre, ou les quatre dizaines par dix, car 10. fois 40. font 400. Tellement que tant les figures que les nombres de ces trois lettres de [H] Emet verité, sont, de quelque sorte qu'on les puisse prendre, tousjours solides: et celles du mensonge [H] Secher au rebours debiles et chancellantes, suivant le proverbe, que la menterie a les tallons courts, comme presuposant qu'elle est bien aisee à renverser. Leurs nombres outreplus sont tous t de centaines, qui denotent la crassitude de la matiere, en perpetuel changement et alteration; car [H] Shin vaut 300. Coph 100. et Res 200.
Job. 38.
QUANT est d'enlever une lettre du milieu d'un mot, Rabi Simon, dans le Talmud, aiant esté interrogé, pourquoy en ce passage de l'escriture, LA LUMIERE SERA OSTEE <f 149r> AUX MESCHANTS, l'on eclipsoit hors de [H] Mersaim, qui veult dire impie ou meschant, la lettre [H] Ain, de façon qu'il restoit [H] Meresim par une syncope, qui ne signifie plus impie, mais indigent et souffreteux ? Pource respondit il, que qui en ceste vie temporelle se rendra nonchallant en la contemplation de la beauté du monde sensible, sera par mesme moien diseteux en la cognoissance des choses intelligibles, dont cest autre là est comme un portraict; et par consequant tombe en une misere pour le regard du siecle advenir: De vray, qui n'observe et ne prend garde à ce qui est icy bas exposé à nos sentiments, bien que caduc et corruptible, ne pourra nomplus penetrer à la perception de l'invisible et permanent qui est là hault; tout ainsi qu'on ne peult cognoistre la pensee interieure d'un homme, que par la parole, ou escriture; et semblables signes et marques apparentes par le dehors: Qui est ce que veult dire l'Apostre aux Rom. 1. desja allegué; Que les choses invisibles de Dieu, se rendent manifestes et appercevables à la creature du monde, par celles qui ont esté faites de luy. Plusieurs tels autres grands mysteres se descouvrent dans les Prophetes, par les diverses collocations et suittes de lettres; et par leurs additions et retranchemens;
Mysteres des noms d'Abraham et Sara.
ainsi que vous pouvez veoir en Genese 17. où le nom d' Abram est changé en celuy d' Abraham, par l'adjouxtement de la lettre [H] He, l'une de celles du Quadrilettre [H]; non sans grand mystere; car le cinq qu'elle vault és nombres, adjouxté aux 243, que montent ensemble ces quatre <f 149v> [H], fera 248. autant qu'il y a d'os au corps humain, et de preceptes affirmatifs en la loy: là où d'autre part le nom de [H] Sarai fut accourcy de cinq, parce que ces trois lettres vallans 510. celuy de [H] Sara ne fait que 505. En sorte que tout ainsi que pour la formation d'Eve fut distraicte d'Adam l'une de ces costes, à ce que du masle et de la femelle se vinst à faire la multiplication du genre humain subject à peché, en recompence fust osté à Sara le nombre de cinq, pour le donner à son mary Abraham; et par ce moien là rendre fertile, de brehaigne et sterile qu'elle estoit, dont consequemment vinst à naistre selon la chair, celuy qui devoit reparer la faute des premiers peres.
  LA TROISIESME espece de chiffres Hebraïques est encore de plusieurs sortes, aussi bien que les dessusdites, qui toutes reveiennent aux divers assemblemens et commutations des lettres, dont selon le livre de Jezirah, toutes les creatures tant du passé, que du present, et de l'advenir ont esté, et seront formees: car mesme le grand nom de Dieu [H] en est escrit, (Per quem fecit et saecula) ouquel se trouvent six anagrammes par les diverses transpositions des trois lettres dont il est tissu, pourautant que [H] He, y est redoublé: Assavoir [H] Ihu, qui denote l'infiny et le haut: [H] Iuh, le bas, et profond abisme: [H] Hiu, le devant, ou l'orient: [H] Hui, le derriere, ou l'occident: [H] Vih, la main droite, ou la partie du midy: et [H] Uhi, la gaulche, et le Septentrion; à raison que les <f 150r> Cabalistes constituent la face de Dieu comme si elle estoit tournee au levant, pour l'excellence et dignité de ceste partie, qui represente le jour, et la vie qui luy symbolise: le midy au milieu, est le plus haut, par ce que le jour monte jusque là, d'où il redescend puis apres vers l'occident, qui denote la nuit et la mort: et finablement le Septentrion, le profond ou le bas; et est au reste comme une marque de cest espace de temps, qui est entre la mort du corps, et la renaissance ou resurrection d'iceluy, avec sa propre ame qu'il reprendra au siecle futur. Mais n'entendez pas ce Profond, dit le Rabbi fils de Carnitol en ses portes de la Justice, estre le bas, comme pourroit estre le fonds d'un puits creux, ains toute chose qui est la plus esloignee d'acconsuivre et atteindre une autre, qu'on appelle proprement [H] Hamok, comprenant tant le hault que le bas; la montee et la descente; comme en ce cantique des graduations 130. De profundis clamaui ad te domine; que ce Rabbi interprete pour la profondité d'enhault, qui est le [H] ain Soph, ou l'infiny du monde intelligible, appellé [H] le profond profond. A ce propos le livre de Jezirah; la profondeur d'enhault, la profondeur d'embas; la profondeur de l'orient, celle de l'occident; la profondeur du midy, et celle du septentrion: Enquoy il l'estend de toutes parts. De maniere qu'en cecy se parfait la revolution accomplie de tout l'univers, qui n'est autre chose qu'un cercle, mais finy, borné, terminé; là où celuy de la divinité est infiny, suivant Hermes, <f 150v> Cuius circumferentia nusquam; car le monde n'est pas le lieu de Dieu, ains Dieu est le lieu du monde; Si que les anges viennent à exclamer en Ezechiel 3. benedicta gloria Dei de loco suo: Dequoy ne s'esloigne pas guere ce que Plotin met au liv. de l'Intellect et des Idees; Que ce monde sensible est limité, renclos et determiné seulement en un lieu; mais l'intelligible s'estend par tout: Et à cela se raporte encore le dire d'Heraclite en Plutarque, au traicté de la Superstition; Que les hommes pendant qu'ils veillent n'ont qu'un monde, lequel est commun à eux tous; mais en dormant, chacun a le sien à part.
  TOUT cecy au reste n'est à la verité autre chose, que le signe que nous faisons de la croix; pour le moins il le represente, et non par une payenne superstition; car y eut il onques gens plus scrupuleux, et alienez de l'Idolatrie, et tout ce qui en pourroit dependre, que les Hebrieux ? Neaumoins ils l'ont de tout temps practiqué, comme il se peult veoir au premier livre du Talmud, dans le Massechot berachot, le traicté des benedictions et prieres; Que chaque Juif estoit tenu pour l'observation de la loy, de repeter deux fois le jour pour le moins, au soir et matin, avec une fort grande reverence, et fervente elevation de pensee, ces mots icy du 6. du Deuteronome; ESCOUTE ISRAEL, LE SEIGNEUR NOSTRE DIEU EST SEUL DIEU; et en les proferant mouvoient la teste contremont, et en bas; puis à senestre et à dextre; qui sont les susdits quatre endroits du monde: Ce que les Mahometistes <f 151r> ont emprunté du Judaisme, et de nous encore, en ce que quand leurs enfans aprennent à lire, principalement l'Alchoran, ils hochent la teste en hault, en bas, de costé et d'autre. A cecy se raporte outreplus ce qui est au 29. d'Exode; Sumes quoque pectusculum de ariete, sanctificabísque; illus elevatum coram domino: Surquoy il fault entendre qu'il y avoit deux sortes d'elevations és sacrifices; l'une qui se mouvoit en hault, et en bas, ditte [H] Thrumah ou exaltation, autrement le sacrifice de Ventilation, qui n'est autre chose en la partie elementaire que l'eau, qui par l'attraction des raiz du Soleil et des estoilles, tout ainsi que si on la vannoit s'esleve de la terre en hault, et derechef se renvoie en bas sur la mesme terre, pour l'arrouser, et fertiliser. L'autre est en avant, en arriere; à droit, et à gaulche; de l'orient assavoir vers l'occident; et delà du midy au septentrion, appellee [H] Thenuphah agitable, ainsi qu'est l'air, qui flotte et ondoye de tous costez; par laquelle agitation ils signifioient que Dieu est le souverain Seigneur de la terre, c'est à dire du monde elementaire; parce qu'au commancement de Genese il est dit, que Dieu crea le ciel, et la terre, par laquelle est designee la partie elementaire, qui est sous la Sphere de la Lune. Et de cecy il y a encore pour le present quelque ombre entre les Juifs; car quant ils s'en veullent aller de leur synagogue, leur service estant parachevé de tous points, au lieu de nostre Benedicamus domino, le ministre a accoustumé dire cecy; Qui fait la paix la hault en son hault manoir, vueille faire aussi la paix dessus nous, et sur tout le <f 151v> peuple Israëlitique: à quoy l'assistence respond, Amen: Et ce en recullant trois pas en arriere; au premier desquels ils s'inclinent vers la main droicte; au second à gaulche; et au troisiesme, en avant: ce qui ne denote autre chose que la croisee du monde, et une forme du signe de la croix: de quoy participent aussi les diverses manieres d'escrire; de la main droicte vers la gaulche, comme des Hebrieux, Chaldees, Syriens, et Arabes: de la gaulche à la droicte, des Grecs, Latins, Esclavons, Armeniens, Ethiopiens: et du hault en bas, des Indiens Cathains, Brachmanes, et Gymnosophistes. Et pour le regard de ce demarcher du ministre, cela se conforme aussi à l'ancienne mode des Grecs en danssant leurs odes, peu esloignee de nos communs bransles simples, doubles, et entremeslez; dont la Strophe alloit quelques pas de la main droicte vers la gaulche, representant le mouvement de l'univers, de l'orient à l'occident, et de l'escriture Hebraïque; Ce que les Cabalistes referent à ce que la loy fut attiree, ce disent-ils, à la main gaulche de la droicte; et de ceste sorte donnee à Moyse, comme il est escrit au 33. du Deuteronome, A dextera eius de medio ignis lex scripta data est eis, comme l'interprete Rabbi Joseph fils de Carnitol. l'Antistrophe au rebours procedoit de la main gaulche vers la droicte, de l'occident à l'orient, à l'imitation de la huictiesme sphere, et des sept Planetes; de laquelle contrarieté de deux mouvemens viennent à se corrompre, et reproduire de nouveau toutes choses <f 152r> au monde elementaire. L'epode puispres qui alloit quelques pas en avant, et autant en arriere, monstroit le flux et reflux de la mer. Et la pause, finablement le repos, station et immobilité de la terre: car quant à l'air, qui est commun à tous les elemens, et est comme pour remplit le vuide, il participe aussi de toutes ces manieres de mouvemens; deçà, delà; avant, arriere; en hault, et en bas: Si que l'escriture de Moyse bat en partie sur les oeuvres de la nature, comme l'une des principales adresses pour parvenir à la cognoissance du grand ouvrier, selon le livre de la Sapience, au 13. A magnitudine enim speciei, et creaturae, cognoscibiliter poterit creator horum videri: et à cela onques nul autre ne parvint plus parfaictement que luy; car Dieu le luy accorda ainsi en Exode 33. Ego ostendam omne bonum tibi; et videbis posteriora mea, assavoir ses effects en ses creatures, comme est la maniere de disputer en logique, à posteriori, qui est le mesme que ab effectu; car autrement il n'eust pas descrit de la sorte qu'il a, l'arche du deluge, ny le tabernacle du Sainctuaire; enquoy est tresabsolument representé l'exemplaire et image du triple monde: de l'Archetype en premier lieu; puis du grand monde qui est le sensible; et du petit, à quoy tout finablement se raporte comme à un modelle, assavoir l'homme.
  IL Y A encore une autre chose dependant du propos dessusdit, parquoy elle se peult bien amener icy tout d'un train; qu'en l'ancienne loy Judaïque, quant le Prestre vouloit donner sa benediction au peuple suivant le 6. des Nombres;
<f 152v> Mystere de la Trinité en la loy Judaïque.
VOUS BENIREZ AINSI LES ENFANS D'ISRAEL, ET DIREZ; LE SEIGNEUR TE BENIE, ET TE GARDE; il mettoit les paulmes des mains devant sa face, quelque peu courbees; et quant il prononçoit le mot d' ADONAI Seigneur, (au lieu de l'ineffable Quadrilettre [H] Jehova, fault entendre) il dressoit les trois doigts contremont, assavoir le poulce, l'indice, et le moyen; et le mot proferé, il les rabaissoit comme auparavant: ce qui denotoit sans doubte le mystere de la Trinité: A quoy Innocent III. liv. 2. chap. 45. des mysteres de la Messe, s'efforce d'aproprier ce lieu du 40. d'Isaie; Quis appendit tribus digitis molem terrae ? Et Durandus en son rational apres luy, liv. 5. chap. 2. Ce que Mahomet voulant subvertir, a institué seulement de haulser le poulse en faisant profession de sa loy, pour denot qu'il n'y a que ce seul Dieu, envers nous appellé le PERE; comme le portent les paroles qu'on y profere, l' Allah, Illahah, etc. Et ce à l'imitation des Jacobites, et Euthychiens, qui ne mettans qu'une nature en JESUS CHRIST, ne faisoient aussi la benediction que d'un doigt.
Mysteres du sainct nom [H] Jehova.
  J'AY dit cy dessus, et ailleurs encore, qu'on proferoit ADONAI par tout ou se trouvoit le Quadrilettre [H] ineffable, parce qu'il n'estoit pas loisible à chacun de sçavoir comme il le failloit prononcer, ny quelles voyelles representoient les caracteres d'iceluy; ne s'il en failloit redoubler quelques-unes, ou les enoncier simplement; si que Rabbi Abina au <f 153r> livre des sanctifications au Talmud, sur cecy d'Exode 3. Je suis qui suis, fus, et seray; c'est mon nom eternellement; et ma remembrance au siecle des siecles; met qu'il ne se doit pas lire comme il est escrit [H], Ains [H] Adonai, qui signifie Seigneur. Et au livr. des Sanhedrin, Rabbi Abba Saul afferme que quiconque le prononcera apertement, selon que ses lettres sonnent, n'aura point de part au siecle advenir. De fait au 24. du Levitique il est dict, qu'un Israëlite pour avoir blasphemé le nom de Dieu, l'exprimant tout distinctement Jehova, et non Adonai, suivant la coustume, ce qui estoit tresabominable aux Juifs, il fut lapidé: pourtant estoit f ce saint nom, qui bien souvent en l'escriture sans autre plus particuliere expression est par certaine antonomasie appellé [H] Haschem, le nom, dit ineffable, non tant pour l'impossibilité de sa prolation, que pour les mysteres qu'il importoit de la pure essence et substance de Dieu, Trine en une tres-simple et tresabsoluë unité; et une en Trinité de personnes; chose du tout incomprehensible à l'esprit humain, fors que par la seule foy et creance; et par ce moien inefable, suivant mesme ce que tesmoigne Trismegiste au Pymandre; Que le nom de Dieu ne peut estre proferé de bouche humaine: et que le confesse aussi l'oracle d'Apollon Delphique; Que son nom ne peut estre exprimé par aucune diction ne parole. Car toutes les lettres de ce saint nom qui ne sont que trois, comme nous l'avons desja dit cy devant, [H] He y estant redoublee, sont comprises au verbe substantif, Je suis, et d'elles consistent les trois <f 153v> temps, le passé, le present, l'advenir; ce qui denote l'immuable et permanente stabilité de l'essence divine. Neantmoins Moyse Egyptien sur le lieu cy dessus allegué, met que les prestres, et les anciens du conseil en faisoient une leçon à leurs enfans, et à leurs disciples une fois la sepmaine sans plus, pour leur monstrer non tant seulement comme il le failloit prononcer, ains sa signification aussi, et les profonds secrets et mysteres qui en dependoient. Mais apres que par la depravation des Israëlites, il eut esté supprimé au sainctuaire; car du temps de Symeon le Juste, un peu auparavant l'advenement du SAUVEUR;
Les noms divins de 12. et de 42. lettres.
(ce fut le dernier de la grand' Synagogue, et qui benit le peuple en ce tetragrammaton ineffable) ceste benediction commença à se faire par le nom de douze lettres; et consequemment par celuy de quarante deux: encore n'estoient ils point communiquez sinon aux debonaires et humbles de coeur, de sainte et reformee vie; à qui il estoit expressement defendu de les divulguer trop à la volee; ains qu'ils les eussent à tenir secrets en leurs coeurs, de peur de les prophaner et reduire à un mespris d'une part; et de l'autre d'inciter par là le peuple à idolatrie; jusques en fin que ce mystere se deust cognoistre tout à descouvert sans aucun voile, ne couverture à l'advenement du Messihe: car deslors, et encores auparavant le quadrilettre Jehova, en vertu duquel, Moyse et les autres prophetes depuis, avoient fait toutes leurs merveilles, fut intermis; et les miracles faits apertement au nom de <f 154r> JESUS, ouquel l'autre par ce moien fut rendu effable. LE NOM au reste de douze lettres estoit tel; [H]; Ab Ben, Veruach, Hakados, PERE FILS ET SAINCT ESPRIT. Et pour ce que rien ne se trouve en Dieu qui ne soit Dieu; de là venoit à maistre, et s'estendre l'autre nom de quarante deux lettres; Ab el, Ben el, Veruach Hakados el; Abal la scheloschah Elohim, Chiim Eloha echadh. Le Pere Dieu, le Fils Dieu, le Sainct Esprit Dieu; toutesfois non trois dieux, mais un Dieu seul. Ou en ceste sorte; Ab Elohim, Ben Elohim, Ruach Hakados Elohim, Scheloschah Bechad, Echad bescheloschah; Dieu le Pere, Dieu le Fils, Dieu le Sainct Esprit, trois en un, un en trois. Tout cecy met Rabi Jehuda appellé communement Rabi Hakados le Docteur saint, en un traité intitulé Gale Razeya, le revelateur des secrets, qui fut quelque temps avant la nativité de JESUS-CHRIST, selon que le recite Rabi Nehemias en une epistre à son fils Hacana. Et faut en cest endroit noter, suivant ce que le remarque Rabi Joseph és portes de justice; Que par tout en l'escriture où le tetragrammaton Jehova precede celuy d' Adonai, tout le monde universellement est remply de joye, plaisir et bonheur à souhait: mais si Adonai precede, comme au 15. de Genese, Adonai Jehovi qu'est-ce que tu me donneras ? Et en un autre endroit; Adonai Jehovi tu és le comble de vertu et de force: Adonai Jehovi ne destruits point ton peuple, et ton heritage, adonc il en sort quelque persecution et desastre. Car quand ce nom vient à se presenter et ramentevoir en cest ordre de posteriorité, cela est en intention que les Sephirots <f 154v> et divines numerations, avec les noms y annexez s'eslevent contremont comme à contrepoil, pour s'aller d'icy bas reunir là hault; dont les choses inferieures demeurent vefves et denuees du Quadrilettre Jehova, à qui il appartient tousjours d'influer et couller en bas, comme est le propre de l'intelligence de ne remonter point en hault, nomplus que les rays du Soleil, qui luy symbolisent; suivant ce texte du 19. d'Exode; Gardez vous bien de monter en la montagne, ny de vous aprocher de ses confins, car quiconque y attouchera, mourra de malle-mort. Mais quand le Jehova precede, et que [H] El l'un des noms divins, ou [H] Adonai le secondent, celà denote que tout le monde joist de l'influence de ses graces et misericordes; si que tous les luminaires sont en leur plenitude et perfection. Jusques icy Rabbi Joseph: mais il ne fault pas entendre pour ces luminaires ceux qui luisent là hault au ciel pour la distinction du jour et de la nuict, des saisons de l'an, et des prognostiques, ains le Urim, et Thummim, comme il sera dit cy dessous. Donques le Tetragrammaton [H] Jehova est le nom de Dieu pour nostre regard le plus propre, entant qu'on luy en peult attribuer quelqu'un, et que nostre portee est capable de le comprendre; car son vray nom, et son essence sont en luy une mesme chose, cogneuz tant seulement du fils, selon qu'il le tesmoigne en l'onziesme de S. Mathieu; Nul ne cognoist le Fils sinon le Pere, et nul ne cognoist le Pere fors que le Fils; et à qui le Fils le veult reveler. Lequel nom (ce dient les Cabalistes) est la porte par où les justes entreront à luy <f 155r> (pseaume 118.) Et de fait onques les enfans d'Israël ne le peurent provoquer à ire et courroux en ce tressainct nom, qui fut par luy assigné en particulier à son peuple; si firent bien en tous les autres communiquez aux nations; comme infere ce lieu de Genese 25. Qu'Abraham donna toute sa chevance et heredité à Isaac, avecques sa benediction au nom du Tetragrammaton [H] Jehova, qu'il luy resigna, et consecutivement à sa posterité en ligne legitime et directe; et aux enfans de ses concubines il bailla des dons en deniers comptans, et en meubles, assavoir Shemoth Stelthoma, d'autres noms divins à invoquer, comme nous dirons plus à plain ailleurs. N'ayans peu donques les enfans d'Israël provoquer Dieu à indignation et courroux avec se sainct nom, combien qu'il soit entremeslé d'une justice rigoreuse, et de misericorde, ils l'irriterent en celuy de [H] El, le pervertissant par un anagramme et transposition de lettres en [H] non ou rien, suivant le dire du Prophete au 14. pseaume; Dixit insipiens in corde suo, non est Deus. Mais ce n'est pas ainsi du [H] Jehova; car en toutes ses douze transpositions, il ne se trouve rien de contraire à sa primitive signifiance naifve, ny autre sens que ce qu'il represente directement; ains tousjours une mesme chose, suivant Malachie 3. Ego dominus, et non immutor, Assavoir la vraye essence, et Estre de Dieu, que Platon et les autres philosophes Grecs appellent [G], les Latins ENS, l'ESTANT; S. Denis Areopagite, Je ne sçay quoy de suressentiel à <f 155v> tout Estre; et les Hebrieux plus apertement par [H] Ehieh: si que vous ne trouverez rien en tout cela que, DIEU LUY-MESME; denotant le mystere de la Trinité en une tres-simple unité d'essence: ce que les Cabalistes par leurs dechiffremens tirent en ceste sorte. Prenez les deux premieres lesstres de [H], vous aurez [H] Jah, qui signifie Dieu, et denote le PERE; Hallelu-Jah, loüez Dieu; depuis le pseaume 105. Confitemini, et inuocate nomen eius, JAH. La seconde lettre avec la troisiesme fait [H] Hu, qui designe le Fils: neaumoins ce nom se communique indifferemment aux trois personnses: Au PERE en Josue 22. Quod dominus IPSE sit Deus: et en Isaie 42. Ego dominus, HU est nomen meum; gloriam meam alteri non dabo: Du FILS, en Josue 35. Deus ipse veniet; et saluabit vos: Du S. ESPRIT, en Isaie 51. Ego ego ipse consolabor vos: La troisiesme lettre avec la quatriesme [H] Vehu, Idem; parce que l'ESPRIT SAINCT est un mesme avec les deux autres dont il procede. En toutes les autres dictions de ce monde, en quelque langue que ce puisse estre, cela ne sçauroit advenir de la sorte; car comment que ce soit que vous en puissiez transposer les lettres, elles signifieront tousjours une autre chose, ou rien du tout. VOICY donques les douze revolutions et anagrammes du Tetragrammaton Jehova, que les Hebrieux nomment Havaioth; enquoy se parfont tous les renversemens d'iceluy, chacun desquels influe en chaque signe du Zodiaque toutes les vertuz et facultez qui y sont;
<f 156r> Mysteres du nombre de douze.
d'où par apres elles s'espandent à travers les cieux, pour venir finablement s'imprimer en ce bas monde elementaire: à quoy semble faire quelque allusion ce qui est au dernier de l'Apocalypse, de l'arbre de vie qui porte douze fruicts l'an, par chaque mois rendant son fruict: Plus les douze portes de la saincte cité celeste; les douze Tribuz d'Israël; autant de prophetes en l'ancienne loy, et d'Apostres en la nouvelle: les douze pierres precieuses enchassees au gorgerin du Pontife, et pareil nombre de grosses pierres plantees au milieu du canal du fleuve Jourdain, (Josue 4.) douze pains de proposition: et en somme, tout ce qui se compartist et mesure par ce nombre là, fort celebre tant en l'escriture saincte, que dans Platon, qui en faict fort grand cas en son Phedon, et és livres de la Rep. où il limite la duree de tous Estats à 1728. ans qui est le Cube de douze; parce que 12. fois 12. font 144. le carré d'iceluy; et 12. fois 144. font 1728. Son cube ou solide; ouquel, si ma memoire ne me deçoit; Martianus Capella és nopces de la Philologie, met que l'arithmetique vint saluer. Voicy donques ces douze anagrammes ou transpositions des quatre lettres du nom [H] Jehova, qui vont de cest ordre selon les Cabalistes, et mesme Rabbi Joseph ben Carnitol.
<f 156v> [FIGURE]
  DE maniere que ce n'est que pur chiffre par la voye des transpositions: et estoient ces douze revolutions du sainct nom, assignees aux douze Tribuz d'Israël, à chacune la sienne à part; differentes quant à l'assiette des lettres, mais representans tousjours une mesme chose: gravees au reste és douze pierres dont estoit enrichy l' Hoschen ou rationel du jugement, comme on appelloit l'affiquet placqué à la poictrine du grand Pontife, de neuf poulces en carré, de la sorte que vous le voiez portraict cy dessus. A l'imitation dequoy estoient façonnez les quatre principaux estendars desdites douze Tribuz, trois assavoir en chacun d'iceux, qu'elles suivoient par tout au camp: Dont le premier, de Jehuda, Isachar, et Zabulon, avoit un lyon pour devise: le second, de Reuben, Simeon, et Gad, la figure d'un homme: le troisiesme de Ephraim, <f 157r> Manasses, et Benjamin, celle d'un boeuf: et le quatriesme de Dan, Asser, et Nephtalin, d'une aigle; le tout plein de grand mysteres. Les Tribuz gardoient cest ordre icy à camper; là où en la benediction de Jacob, et és douze pierres de l' Urim, et Thummim, elles alloient de ceste façon: Ruben, Symeon, Levi; Jehuda, Zabulon, Issacar; Dan, Gad, Asser; Nephtalin, Joseph, Benjamin: En celle de Moyse, d'un autre encore; et aussi au denombrement de l'Apocalypse. En chaque pierre des 12. susdites, estoit outreplus gravé par le dedans le nom divin assigné à sa Tribu; et par le dehors celuy de ladite Tribu en 6. lettres: que si elle n'en contenoit tant, il y en estoit adjousté d'autres jusqu'à la concurrence desdites six;
L'oracle de l' Urim et Thummim.
affin que le tout ensemble parfist le nombre de 72. autant qu'il y avoit de lettres au nom expositif Scemhammaphoras, caché dans le reply de la doubleure de l'affiquet. Esquelles lettres quelques uns dient, que les noms des Patriarches, Abraham, Isaac, et Jahacob, autrement Israël, estoient meslez; affin de parfaire en son entier l'alphabet Hebraïque, dont toutes les lettres n'estoient pas contenues és susdits douze noms des Tribuz: et s'appelloit cela Urim et Thummim, comme qui diroit, la declaration de la verité; ou illuminations, et perfections; assavoir ceste interpretation extensine du Scemhammaphoras à 72. lettres, que Moyse, selon Rabbi Selomon, par le commandement de Dieu insera secretement dans la doubleure de ceste placque; et dont il enseigna de bouche la secrete maniere d'y proceder, comme l'escrit <f 157v> Nehemanides, avec les autres mysteres principaux de la loy, aux sages et discrets anciens d'Israël; à quoy il adjouste que ces Urim et Thummim estoient un ouvrage de Dieu, assi bien que les tables du Decalogue; aiant le tout esté donné ensemblement à iceluy Moyse sur le mont de Sina. URIM au reste estoient les sacrez noms, par la vertu desquels les lettres latentes venoient à estre elucidees; et Thummim, ceux qui rendoient lisables lesdites lettres: car l'esprit du prestre deputé à enquerir le Seigneur par le moien de ces Urim et Thummim, venant à estre illustré par le Madregah qui est l'un des degrez du SAINCT ESPRIT, inferieur quant aux visions prophetiques, mais superieur à ceste voix celeste qu'ils appellent Bath kol ou fille de la voix, qui fut en regne durant le temps du second temple, depuis le retour de Babylone, jusqu'à JESUS-CHRIST, pouvoit accommoder les lettres qui se presentoient en veuë à des Miztarphoth ou assemblages de dictions, dont il se tirout quelque sens; comme quant David liv. et chap. 2. des Roys, se conseille à Dieu, s'il monteroit en l'une des villes de Jehudah, ils disent que là dessus se produirent en evidence ces trois lettres cy [H] Aleh, qui signifie monte; la premiere assavoir [H], du nom de Schymeon; la seconde de celuy de Levi; et la tierce de Jehudah. Tellement que cela n'estoit qu'un divin oracle dont on usoit és grands affaires; suivant ce que est escrit au 27. des nombres; Ante Eleazarum sacerdotem stabit, qui interroget pro eo iudicium Urim coram domino: et se faisoit <f 158r> en ceste sorte, selon qu'il est declaré au Talmud dans le Massechtah Jomah, ou traicté des jours, chap. 6. En premier lieu il n'estoit loisible sinon qu'au Roy, et au president du consistoire, d'interroger ny enquerir Dieu par ceste voye d' Urim et Thummim; et encore en chose de grand' importance; comme pour entreprendre une guerre; ou si le consistoire, assavoir la cour qui administroit la Justice, ne pouvoit bonnement decider une cause, ny en opiner rien de resolu; En ces cas, le Roy, ou le Juge qui enqueroit, dressoit sa face vers le Prestre qu'il interrogeoit; et cependant le Prestre tenoit la sienne fichee droit vers l' Urim et Thummim, et le Schememmaphoras d'audessous, estans en l'affiquet dessusdit de l'estomach du Pontife. La voix au reste de celuy qui interrogeoit devoit estre doulce et tacite, et nompas esclattante et haultaine, ains seulement qui peust suffire à estre tant soit peu entendue du Prestre en mots distincts: et ne failloit pas demander deux choses tout à la fois, mais une seule, si d'aventure la necessité ne pressoit: car encore qu'on en proposast deux, la responce neaumoins ne se donnoit que pour une; et adoncq les lettres dont elle se devoit former par la vertu du grand nom JEHOVA, venoient à s'esclarcir, et rehaulser par dessus les autres; Si que le Prestre aiant bon moien de les remarquer, en recueilloit en son esprit ce qu'il y voioit estre representé. Que s'il en estoit incapable et indigne, elles ne s'illustroient ne rehaulsoient aucunement, et ne <f 158v> tiroit point de responce de sa demande. Quelques-uns veulent dire, que ces Urim et Thummim n'estoient point autrement les lettres du nom Schemhammaphoras, ny pierres aucunes adjouxtees aux douze de l'affiquet, ains celles-là tant seulement qui esclairoient à pair du feu presque, si la divinité admetoit la demande, sinon elles demeuroient en leur premier Estre; et de fait Ur signifie feu: et quant à Thummim, qui vient de [H] thom, integrité ou perfection, celà denotoit que ces pierreries, comme vrayz et exquis parangons en leurs especes, sans aucune tare ou default, rendoient toutes ensemble un lustre esclattant, entremeslé de diverses couleurs, telles qu'on voit en des opalles, ou l'arc en ciel, dont le prestre inspiré d'un Enthusiasme venoit à comprendre et conjecturer ce que presagioit la Divinité.
l' Ephod.
Mais il y avoit outreplus l' Ephod, ce que les septante deux ont torné [G]; et Aquila [G]; Nous dirions le Camail, pourveu qu'il n'y eust point de Capuchon; ou un scapulaire qui n'arrivast qu'à demy pied pres de la ceinture. Cest Ephod au reste estoit tissu d'or, et de trois manieres de pourpre, comme il est dit és 28. et 39. d'Exode, ayant sur chaque espaulette une grosse agraffe et estreinte, où estoit enchassé un [H] Soham, que les uns prennent pour Esmeraulde; Josephe livre troisiesme des Antiquitez chapitre 12. pour une sardoine; et ceux où il y a le plus d'apparence, pour une onyce: En chacune desquelles estoient gravez les noms <f 159r> de six Tribuz; assavoir des six aisnez fils de Jacob en celle de l'espaule droicte; et des autres six maisnez, à la gaulche; dont il se prenoit sensiblement des oracles, comme il est escrit au premier des Rois, 30. là où David pour sçavoir de Dieu s'il devoit poursuivre ceux d'Amalech, se fait appliquer l' Ephod par le prestre Abiathar; par le moien duquel Ephod il obtient responce de deux choses tout à une fois. Mais les effects tant de l' Ephod que de l' Hoschen de l' Urim et Thummim, comme tesmoigne le mesme Josephe au lieu allegué, avoient cessé environ deux cens ans devant qu'il se mist à escrire; quelques sept vingts avant l'advenement de nostre sauveur JESUS-CHRIST: Les autres le renvoient plus de quatre cens ans en arriere;
Les cinq principaux reliquaires du temple de Salomon.
parce que cinq choses defaillirent au second temple, qui souloient estre au premier; assavoir l'arche de l'alliance, avec le propiciatoire, et les Cherubins: le feu qui ardoit continuellement sur l'autel de bronze, où se brusloient les sacrifices à l'erte tout au descouvert, sans que jamais il s'esteignist par aucune pluyes, neges ou vents, ny autres impressions de l'air: et aiant esté ce feu là transmis du ciel sur un holocauste, du temps de Moyse et Aaron, (au Levitique 9.) il se maintint sans s'amortir, jusqu'a l'edification du premier temple par Salomon; car lors il fut renouvellé encore du ciel; et dura jusques au temps du Roy Manasses, à la <f 159v> captivité de Babylone, que les prestres le cacherent au profond d'un puits: et au retour leurs successeurs l'en cuiddans tirer, se trouva en son lieu une eau espoisse, qui espandue sur les sacrifices, le feu s'y prit, comme il est dit au 2. liv. des Machabees, chap. premier. LA troisiesme chose estoit la presence de Dieu appellee [H] Schechinah, qui se manifestoit autour de l'arche: Puis [H] Nebuah ou la prophetie: et finablement l'oracle de l' Urim et Thummim. D'abondant dedans l'arche, estoient contenues les tables du decalogue; la verge d'Aaron, garnie encore de ses fueilles, fleurs et amandres; le Ciboire remply de Manne; la burette du sainct huille à oindre les Rois, et prophetes; et le coffret de l'offrande des Philistins, (prem. des Rois, chap. 6.) Plus le fragment qui resta des deux premieres tables que Moyse rompit, en Exode 32. gravees à jour de part en part, si qu'elles se pouvoient lire des deux costez, comme met Rabbi Salomon, mais diversement: leurs anciennes traditions en parlent ainsi; Mem Setumah, vesamech beluchoth benisaion havu; que le Mem clos ou final [H], et le Samech [H] estoient en fort grande admiration, pour estre closes tout à l'entour; Parquoy il failloit necessairement qu'elles fussent comme suspendues en l'air, sans tenir à rien. EN toutes lesquelles choses je me suis un peu dilaté tant pour estre assez rares de soy, qu'aussi que tout depend de l'escriture non vulgaire, et pourtant du subject des chiffres. De ceste maniere d'Oracle d' Urim et Thummim, où il failloit renverser <f 160r> les lettres tant qu'on en obtinst quelque sens, ne s'esloignoit pas fort celle d'Apollon Pythien en Delphes, et maintes autres des Ethniques, où il failloit agencer la confusion de leurs embrouillees et confuses responces, en mots distincts: non toutesfois que j'en vueille faire comparaison, mais pour monstrer que l'ennemy s'est de tout temps voulu constituer comme un singe et emulateur des sacrez mysteres de la divinité. L'on en attribue encore d'autres à quelques Sibylles, qui espandoient des fueilles d'arbres ou petits bulletins de rouseaux au vent; à quoy se conformoit plus que rien autre, ce qu'on appelloit les Sorts Prenestines.
Trois sortes principales de devinemens les moins prohibez.
  TOUT ce que dessus nous fait veoir la sympathie et affinité des trois mondes; et les manieres des predictions qui en procedent: dont pour commancer à l'elementaire, lequel se vient tout reduire en la terre, on pourra deuement luy attribuer la Geomantie, qui aussi bien en prend son nom, comme fait encore la Geometrie, et ses mesures dependans des lignes, et les lignes des points: ce que practique de sa part la Geomantie, qui fait en premier lieu une projection de points, qu'elle accouple puis apres en lignes, dont elle forme finablement ses figures, qui luy sont pour sujet: Mais le fondement de tout cela gist au ciel, dont elle participe aussi, au moien dequoy elle est en lieu du Binaire, qui represente la matiere. LA Zairagia consequemment, qui n'est autre chose que la vraie Arithmantie. Je laisse l'Astrologie à part, sans <f 160v> laquelle rien ne se peut effectuer en ces deux; sera attribuee au monde celeste; lequel comme estably au milieu de l'elementaire et l'intelligible, outre le visible cours des estoilles, participe de l'un et de l'autre; et pourtant versé autour des points et mesures; des nombres aussi, ensemble des lettres, plus formelles et rationelles beaucoup que les mesures ny les nombres; et plus proches de la divinité; d'où vient le mot de divination: à quoy se rapporte cecy de la sapience 11. Omnia in mensura, et numero, et pondere disposuisti; estans là, non sans mystere, arrengez de ceste façon; par ce que la mesure comme plus materielle est assignee au monde elementaire; le nombre plus formel, au celeste; et le poix plus rationel, à l'intelligible, ou se viennent finablement raporter tous les nombres et dimensions, de longueur, largeur, profondeur: car ny les lignes, ny les superfices, enquoy consistent les deux premieres, comme sans aucune espoisseur qu'elles sont, ne peuvent point avoir de poix: auquel se refere le corps solide, qui est le propre de la terre, la plus compacte de tous les autres Elemens; celle de là haut fault entendre, qui est par dessus tous les cieux, et non ce petit point d'icy bas; appellee pour cest cause le firmament; non selon l'opinion seule des Cabalistes, ains mesme d'Anaximenes, qui tenoit que la circonference exterieure du ciel est de terre.
Plutarque, és opinions des philosophes liv. 2 chap. 11.
Ainsi la Geomantie avec sa projection de points ayant son fondement au ciel, participera des figures et nombres: <f 161r> l'Arithmantie, ou Zairagia gouvernee du Nessamah, ou intellect universel, des lignes, nombres, et lettres: et l' Urim et Thummim, des lettres seules; non se venans rencontrer fortuitement et à la vollee, mais conduites par le Schechinah, presence et intervention de la divinité qui y assiste: suivant le livre de Jezirah; Experire ex ipsis (parlant des lettres) et coniecta ex ipsis: consitue rem in sua claritate; à propos de l'illustration des pierreries en l' Urim et Thummim: pour autant, adjouste il puisapres, que, Spiritus sanctus ordinauit; et figuris suis expressit duas et viginti literas fundamenti; exquibus ipsis spiritus unus est. Quaequidem 22. literae fundamenti compactae sunt ad loquendum seu de bono seu de damno. Il les appelle fondamentales, Eo quod (dit-il) formata est ex illis anima omnis creaturae creatae et creandae; parce que ce sont celles dont toutes choses viennent à estre exprimees. Et d'autant que la parole, et l'escriture sont la plus precieuse chose qui soit en l'homme, parce qu'elles presuposent la raison, sans laquelle elles ne sçauroient consister; par consequent les lettres sont apropriees au monde intelligible, où est le fondement, source et racine de toutes choses; et les predictions qui s'en forment, plus certaines et infallibles que celles des figures et nombres.
  LES lettres donques et caracteres de l'escriture, sont comme notes de la parole et prolation, et façonnees sur la ressemblance d'icelle, tant dans le gozier, qu'au pallais par le battement de la langue, et és levres; et la parole un boutte-hors des interieures <f 161v> conceptions de nostre ame, selon Aristote au livre de l'Interpretation; Que le devoir de la parole est d'anoncer l'occulte project de la pensee, et mettre en evidence l'intention de celuy qui parle. A quoy se conformans les Rabbins, disent que tout ainsi que l'homme a en soy trois sortes de verbe (il fault necessairement user de ce terme) l'escriture, la prolation articulee, et les conceptions de l'ame; où est la source des deux autres; Surquoy certain Poëte Arable auroit dit, Que le vray verbe gist dans le coeur; et de là passe en la langue, qui en est comme un truchement; en cas pareil, Dieu le Createur qui a fait l'homme à sa ressemblance, a triple parole; assavoir l'escriture saincte, qui est és livres des Prophetes; et à quoy il semble que cecy se doive raporter, d'Isaie 34. Requirite diligenter in verbo domini, et legite; quia quod ex ore meo procedit, ille mandauit: Celle enapres que les docteurs aprouvez de l'universel consentement de l'Eglise, ont anoncee de vive vois, selon le premier chap. de Jeremie; Voicy que j'ay mis mes paroles en ta bouche: Mais la troisiesme qui luy est propre et particuliere, est en luy, et part de luy, non d'ailleurs; dont il est escrit au pseaume 33. La parole du SEIGNEUR est droicte: Et plus-avant, Les cieux ont esté establis par la parole du Seigneur; et par l'esprit de sa bouche toute l'efficace d'iceux: laquelle parole est son verbe ou [G], son fils; et le Beresit de Genese, c'est à dire l'executeur de la creation de tout l'univers.
<f 162r> Le parler des Anges, qui presupose une escriture y correspondente.
Parainsi les lettres sont plus spirituelles de soy que n'est la parole des hommes; et l'escriture, plus approchante du parler des Anges, qui se coulle tacitement entr'eux, et d'eux à nous sans aucun bruit, tout ainsi que la representation d'une image dans le miroüer, ou quelque figure à noz yeux: en sorte que telle que pourroit estre la langue de noz plus intimes pensees, telles sont en proportion les oreilles des Anges: et comme les Esprits divins parlent le langage des Anges; les esprits humains entendent de mesme par les oreilles de la pensee. Là dessus, les Cabalistes attribuent une maniere d'escritue aux intelligences, par laquelle sont representees au ciel toutes choses, à ceux qui y sçavent lire: ( Complicabuntur sicut liber caeli; Isaie 34.) Les estoilles servans de lettres, comme nous le monstrerons cy apres: et un langage aux cieux et aux astres, selon le pseaume 19. Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament anonce les ouvrages de ses mains: le jour communique sa parole au jour ensuivant, et la nuit manifeste son sçavoir à l'autre nuit. Il n'y a langages ne parlers, de qui leurs voix ne soient entendues. Surquoy Rabbi Moyse Egyptien au 5. chap. du 2. livre de son directeur, annote que le mot Hebrieu signifiant anoncer et racomter, ne s'attribue jamais aux choses inanimees, ains à celles tant seulement qui ont intellect. Au moien dequoy les Mecubales, comme aussi fait de sa part Platon, afferment les cieux estre animaux raisonnables, et qui apprehendent la cognoissance de leur createur, auquel ils sont obeissans; et nompas corps inanimez comme les Elemens: mais nous ne <f 162v> le tenons pas ainsi cruement, nonobstant ce qui est escrit en Hosee 2. Exaudiam caelos, et illi exaudient terram; dont il semble ne se pouvoir rien trouver plus expres. Leur parler au reste n'est pas en voix distincte et articulee pour se laisser entendre à nostre oreille, quant bien mesme nous serions tout contre, ainsi qu'est celle qui est formee par la langue, ains mental et tacite, à guise presque de celui des Anges, et de noz pensers; si cela toutesfois se doit dire parole, suivant le pseaume 4. Dicite in cordibus vestris, et tacete semper. Quelques uns là dessus se sont imprimez en l'opinion, que s'il y a quelque langage perceptible que parlent les Anges, ce devroit estre l'Hebraïque, attendu que ç'a esté le premier de tous, et qui emana de la propre bouche de Dieu au premier homme; outre ce qu'il s'est tousjours conservé en son entiere pureté, là ou tous les autres ont souffert plusieurs changemens et alterations; et que les demons és personnes qui en sont possedees, parlent plus volontiers Hebrieu que nulle autre langue, s'ils y peuvent estre entendus: parquoy les Cabalistes tiennent que les lettres Hebraiques doivent estre aussi les premieres; et qu'elles furent forgees au ciel quant et le parler que Dieu enseigna à Adam, aiant esté creé de luy en aage parfait, apte et capable de parler tel langage qu'on luy apprendroit. AU SURPLUS, il y a une telle correspondance à peu pres, de l'escriture commune et vulgaire envers la secrete et occulte des chiffres, comme du parler des hommes envers celui des esprits; ce qui <f 163r> bat à ce que le Jezirah veut dire au passage allegué cy dessus; Que la voix est l'Esprit saint qui procede de l'esprit de Dieu; et avec lequel il a formé de leurs figures les vingt deux lettres du fondement, où consiste l'esprit du verbe divin. Et pour ce que l'hommne dit le petit monde a esté non seulement façonné sur l'exemplaire du grand, ains à l'image et ressemblance di Dieu mesme, dont le verbe est l'archetype, et premiere idee de toutes choses, les trois esprits dessusdits, qui toutesfois ne sont que un seul, procedans l'un de l'autre, sont representez par les trois esprits de nostre parole; dont le premier est le soufflement, ou respiration et haleine, que les Hebrieux appellent [H] Ruach, commun à toutes choses qui ont vie: le second est la voix, commune aussi, combien que de maintes diverses sortes, à la plus part des animaux; car les poissons sont en general presque tous muets; et c'est pourquoy Ezechiel in descrivant le Merchava ou throsne de Dieu, ne les y a voulu comprendre avec les autres ames vivantes; laquelle voix se procree par le mouvement et agitation de l'haleine. Le troisiesme est la parole articulee et distincte, particuliere aux creatures raisonnables; si que les bestes brutes sont dites des Grecs [G], non seulement pour estre privees de l'usage de la raison, mais de la parole aussi; et encore plus de celuy de l'escriture, qui tient plus que lieu de parole; car il se trouve assez d'oiseaux que par une rottine et accoustumance on aprend à prononcer distinctement quelques mots, voire de suitte; là où il n'y a animal quel qu'il soit, <f 163v> oiseau ou beste fors que la creature raisonnable, à qui l'on puisse enseigner de former un seul caractere, si ce n'estoit fortuitement: Parquoy l'escriture aproche bien plus du discours de raison, et de l'intellect, que ne fait la parole; attendu qu'elle ne peult servir ny avoir lieu qu'en presence, et de proche en proche: mais l'escriture sert et de pres, et au loing, à quelque distance que ce puisse estre; tant pour le present, que pour l'advenir.
  DERECHEF en ces trois lettres Hebraïques [H] Aleph, [H], Mem, et [H] Shin, qui s'appellent meres, sont contenus de fort grands mysteres: car Aleph la premiere de toutes, est aussi comme une entree et ouverture du desliement de la voix et prolation, servant pour toutes les voyalles, dont elle est comme une racine, et la plus avant enfoncee dans le gozier: Mem au contraire comprime et reserre les levres, que rien n'entre dedans la bouche et n'en sorte; parquoy c'est une marque et symbole du Sacré-silence, et par consequent de l'escriture qui se taist; tout ainsi qu'on appelle la peinture, uner poësie muette; et la poësie une peinture parlante. Ce silence dis-je, outre ce que nous en avons ja touché cvy devant au fueillet trente huict, tant recommandé de Pythagore, mesmement és choses divines; et que le Comique Terence perstreint en ces deux mots, Fide et taciturnitate; Ce que quelques-uns ont voulu representer par un chien, le plus fidele animal de tous autres, et un poisson qui est <f 164r> muet, mais non assez proprement en cecy, qui ne veult denoter autre chose, que croire et se taire, sans autrement disputer de ce qui depend de la religion; laquelle consiste en la seule foy et creance des choses imperceptibles à nos sens, et qui surpassent la portee de nostre ratiocination; (Nam syllogismus non cadit in res diuinas;) de sorte que les premiers rudimens et introduction en la philosophie Pythagoricienne, empruntee la plus grand' part des Cabalistiques traditions des Hebrieux, estoit d'accoustumer ses disciples et sectateurs à la taciturnité, modestie, et obeïssance; et leur communiquer ses beaux secrets soubs le voile de certains symboles et notes tenans lieu de chiffres, conformement à la Cabale, qui comprend un mysterieux sens caché sous l'escorce de l'escriture: Si que pour eslever en hault son ame à la meditation des choses divines, il n'y a rien de plus propre que le silence; lequel tout ainsi que les couleurs sombres et mornes, comme est le noir, le tané, le viollet, le verd brun, et autres semblables reunissent et resserrent la veuë trop escartee par la lumiere, et affoiblie des couleurs haultes brillantes et cleres, telles que le blanc incarnat, et bleu celeste; rabat en nous, et ramasse les esprits dissipez d'un babil et parler excessif superflu; à guise des raiz du Soleil, qui espanduz en liberté ont moins de force, que quand ils sont recueilliz en un cente dedans la concavité d'un miroüer. LA troisiesme de ces lettres meres [H] Shin, n'est qu'une <f 164v> note de sifflement, et premiere emanation ou saillie de l'haleine hors de l'estomac, du gozier, palais, dents, et levres; lequel vient heurter à l'oye sans aucune distincte voix; de maniere que cela est comme une moienne disposition et passage entre luy et le soufflement; tout ainsi qu' Aleph avec ses voyelles l'est entre la voix et la parole articulee: ceste voix non en ore distincte en mots, tenant le quatriesme lieu apres les trois dessusdites principales lettres; dequoy vient à se procreer l'ineffable Tetragrammaton [H], où il n'y en a que trois differentes, qui sont accompagnees de tresgrands mysteres; tant par la raison arithmeticale pour les nombres qu'elles representent tous circulaires, que geometrique selon leurs formes et figures, comme il a esté dit cy devant; et se raportent aux trois superieures Zephiroths ou divines attributions, qui concernent la divinité seulement; parquoy on les dit n'estre point, parce qu'elles sont pardessus tout autre Estre; dont elles denotent ou l'infinitude d'enhault, où est la lumiere, ou l'abisme d'embas infiny aussi, qui sont les tenebres; ces deux en la divinité se correspondans l'un à l'autre; Amictus lumine sicut vestimento, porte le pseaume 104. Et abyssus sicut vestimentum amictus eius. En ces trois donques superieures numerations consiste le verbe divin, comme met le livre de Jezirah; lequel poulse impetueusement les sept subjacentes, et les fait aller et venir à guise de tourbillon et tempeste; ce qui cause la procreation de toutes choses, dont les Idees <f 165r> et exemplaires sont prosternez devant le throne du grand Dieu, attendans son commandement pour s'aller introduire és formes, et par ce moien leur donner ingrez dedans la matiere.
Les Idees instrumens de la Sapience à la procreation des choses.
Car les Idees selon les traditions Cabalistiques precedent en ordre les formes, comme estans creées de toute eternité, consistantes avec la Sapience divine; en laquelle, et par laquelle, dit le mesme pseaume, le grand Seigneur Adonai a fait toutes choses, afin que par leur ministere et cooperation à guise d'un artisan par ses instruments, il mist le monde sensible en Estre; ny plus ny moins qu'au Microcosme, assavoir l'homme, le corps est en lieu de matiere, comme composé des quatre Elemens; l'ame raisonnable en lieu de forme; et l'intellect ou Nessamah en lieu d'Idee. Car tout ainsi que la nature est pardessus l'art; Dieu de mesme est pardessus la nature: et comme l'ame est la vie et lumiere du corps, aussi l'intellect ou divine Idee est la vie et lumiere de l'ame, suivant ce passage du Deuteronome chapitre trente: Domino tuo adhaereas; ipse est enim vita tua. Parquoy il est escrit en Genese; Que la terre produise ame vivante selon son espece, assavoir comme l'interpretent les Cabalistes, selon ceste divine Idee qui influe la vie icy bas par le sainct nom ADONAI; car tout ce qui influe la vie tend contre bas, comme font les raiz du Soleil, et les influences celeste; et ce qui a vie tend contremont ainsi que fait le feu, comme si c'estoit pour aller rechercher sa premiere source <f 165v> establie là; Igneus est ollis vigor, et caelestis origo, dit le Poëte: A propos dequoy Rabbi Joseph Salemitain, en son livre intitulé l Jardin du Noyer, met que l'ame intellective infuse en l'homme, et representant en luy la forme des formes, ou supreme Idee, s'appelle [H] Esch feu; suivant cecy de Salomon é proverbes 20. Lucerna Dei spiritus hominis; dont Zoroastre est d'opinion que du feu soient engendrees toutes choses;
Plutarque és opinions des philosophes liv. 1. chap. 3.
quand il s'esteint, adjouxte Heraclite, qui l'a emprunté de luy. La premiere lettre donques du grand nom de Dieu [H] est le Jod ressemblant à un point indivisible, qui est le commancement de toutes lignes tant droictes que courbes, et des lettres par consequent; Neaumoins il vaut dix, qui est la fin de tous les nombres; parquoy il designe le PERE. La seconde puisapres est [H] He, laquelle estant formee de quatre Jod, denote le corps composé des quatre elemens, que le VERBE voulut vestir à certaine periode de temps. Et d'autant que ceste lettre ne represente és nombres que cinq, la moictié de dix, elle y est redoublee, et mise deux fois, au second, assavoir et quatriesme lieu, afin de parfaire le dix, et rendre par ce moien le VERBE egal au PERE: Joint aussi qu'il est mysterieusement formé du [H] Daleth qui vault quatre, et du Vau six; de sorte que secretement il importe dix: et cela nous monstre, que par ceste seconde lettre est designee l'une et l'autre generation du VERBE ou seconde personne; l'une eternelle, et l'autre temporanee. <f 166r> Mais pource que nous ne comprenons rien sinon à posteriori, Moyse en ce quadrilettre a voulu exprimer l'humanité du FILS par le [H] He, et soustraire la divinité d'iceluy en [H] Vau; lequel en ce mesme endroit est la troisiesme lettre, composee de deux Jod, en forme d'une ligne descendant en bas; Ce qui monstre le S. ESPRIT proceder du PERE et du FILS, comme le nombre de six qu'il designe, provient de la simple unité du PERE; et du cinq attribué au FILS, tant pour le He qui vault autant, qu'à cause du Shin representant la nature humaine, et la misericorde divine, qui a esté adjouxtee au quadrilettre pour le rendre effable. Par le mystere au reste de ces deux lettres Jod et Vau, on peul cognoistre que le MESSIHE comme Dieu, fut le principe de soymesme, entant qu'homme.
Autres mysteres des lettres Hebraïques.
  MAIS pour retorner encore aux trois lettres meres qui sont le fondement de toutes choses, [H] Mem qui par le resserrement des levres retient tout enclose et caché dedans le Palais, auquel il sert comme de portier, denote la puissance divine qui est le PERE, lequel en son taciturne silence et repos demeure restreint en son essence, incomprehensible à toutes sortes de creatures, et designee par le tetragrammaton ineffable, lequel represente Dieu selon qu'il est pardessus tout Estre: ADONAI, selon qu'il est maistre et seigneur de toutes choses: et SADAI suffisant à soymesme, n'aiant rien affaire d'ailleurs, ny hors de soy, et de son essence. Derechef Aleph, qui par <f 166v> le relaschement du Mem, vient à se jetter hors de la taciturnité et silence, represente la sapience, ou le VERBE procedant du PERE, lequel VERBE est le principe de tout, selon qu'il est dit en Genese; Au commencement Dieu crea le ciel et la terre; c'est à dire que le PERE crea tout en, et par le FILS: et en sainct Jean; Au commancement estoit le VERBE, et le VERBE estoit Dieu; et Dieu estoit le VERBE, par lequel toutes choses ont esté faites. plus au 8. Ego principium qui et loquor vobis. Finablement le Shin ou le sifflement, tient le lieu du SAINCT ESPRIT, lequel procede de tous les deux. Et ne faut pas trouver estrange si tous ces symboles et attributions sont tantost appropriees à l'une, tantost à l'autre des trois personnes; car cela infere que si bien il y a distinction de personnes, il n'y a pas pour cela difference aucune d'essence et substance en elles. EN APRES passant outre à la construction et fabrique du mone; Aleph represente le [H] Tohu ou Chaos, et masse confuse inordonnee. Aristote l'appelle la matiere premiere, sans forme quelconque, ny espece; et au reste de nature d'eau liquide et coulante, enquoy ce mot de Tohu ne s'esloigne pas beaucoup du Grec [G] courir, qui est le propre de l'eau; laquelle ne se pouvant retenir et borner de soy-mesme, a besoin d'un terme et limite endehors de nature seche pour l'arrester: Parquoy ce Tohu ou matiere informe designee par ledit Aleph ou espanchement, a mestier du Mem, c'est à dire d'une compresse et retinacle. Et pour ce que la matiere <f 167r> sans forme presuppose une forme sans point de matiere, s'ensuit de ce Tohu par consequent le [H] Bohu, assavoir la vacuité du lieu, et la forme destituee de matiere, qui est l'Entelechie d'Aristote; et de ces deux manques, provient son troisiesme principe qui est la privation, les tenebres de Moyse, qui ne sont rien de soy, ains seulement une absence et privation de lumiere, lesquelles estoient dessus la face de l'abisme, ou l' Ensoph et infiny des Cabalistes, dont Socrate dispute fort exactement dans le Philebe de Platon; le disant estre une seule chose, et plusieurs; et met là pour la substance de l'ame, l'infinité, qui est privation de tout nombre, mesure et proportion, qui n'a en soy ne fin ne terme, ne peu ne moins, ne similitude ou dissimilitude.
Plutarque au traité de la creation de l'ame.
Toutesfois Plutarque en la 2. question du 8. des Symposiaques, à propos de ce que dessus, met que les philosophes anciens souloient appeller infiny ce qui n'estoit point arresté ne determiné; et que Dieu n'avoit point par autre moien fabriqué ce monde, sinon en finissant et terminant la matiere, qui estoit nompas infinie en grandeur et en quantité, ains plustost non finie ne terminee, pour raison de la desordonnee et vague inconstance. Car quant à l'infiny, Chrysippe tout conforemement à ce que les Cabalistes appellent Ensoph, alleguoit hors de ce monde sensible estre un infiny, n'aiant ne commancement, ne milieu, ne fin. OR ceste matiere primitive dite [H] Hivili, qui aproche aucunement du mot Grec [G] que Moyse appelle <f 167v> aucunefois la terre; et la forme, la lumiere ou le ciel; est tousjours une mesme; mais la forme qui se doibt introduire au [H] Bohu l'informable, est diverse et de plusieurs sortes. Les Peripateticiens approprient la premiere en l'homme, à ce qu'ils nomment l'intellect passible, et susceptible de toutes choses, comme tenant lieu de la matiere; et l'autre a l'intellect agent, lequel enfante et produit hors toutes les conceptions interieures qui se reçoivent et impriment dedans cest intellect passible, ainsi que fait la creature en la matrice de la mere. Esquels deux, tant au recevant comme au produisant, se remarque le septenaire composé du trois, et du quatre; le Ternaire denotant la forme, le ciel, le simple, et le hault, dont sa quadrature est le neuf, et le Cube le vingt sept; et le Quaternaire la matiere, la terre, le mixte composé, et le bas, procedant du Binaire, dont il est le carré; et le Huict, le Cube. De maniere que la divinité en la formation du monde, comme met Platon au Timee, vint en premier lieu s'expliquer de son interieur en dehors, par le quatre et le neuf, et puis ordonna ce beau chef d'oeuvre en ses parties, par le huit, et le vingt sept: esquels nombres et proportions d'impair, et de pair, tenans comme lieu de femelle et de masle, toutes les vertuz, puissances et facultez productrices, tant passives, qu'actives sont contenues et representees. Le mot de Tohu au reste ne s'esloigne de rien quant au son du [G] des Grecs, si fait bien <f 168r> en partie par la signification d'iceluy; car [G] veult dire viste et aigu, ce qui ne conviendroit guere bien à la matiere, qui comme corporelle doibt estre par raison plus pesante, tardive, et mouce, que nompas la forme, qui est plus spirituelle, et pourtant plus agile et aiguë: Neaumoins le [G] se prend aussi pour ferme et solide: dont Homere souvent attribue l'epithete de [G] à la terre; combien que Plutarque au traicté de la cessation des oracles, et en celuy du rond de la Lune le vueille referer à aigu, pour raison que l'ombre de la terre nonobstant que ronde, se va tousjours amenuisant en pointe de forme conoide, plus camuse un peu que la pyramide; laquelle est proprement attribuee au feu, comme le Cube est à la terre. Ce Tohu donques envers Moyse represente la matiere informe, à quoy d'un costé s'approprie la terre pour raison de son immobile stupidité, qui la rend ainsi establie-ferme; ( Terra autem in saecula stat, au commancement de l'Ecclesiaste,) ce qui convient au susdit Epithete d'Homere; et de l'autre part l'eau, reduitte en une mesme masse globeuse avec la terre, toutes deux pour leur pesanteur tendans contre bas; l'eau au reste à cause de sa coullante et fluide instabilité n'estant capable de recevoir aucune forme, si elle n'est retenue de quelque borne subsistente et solide. Mais par le BOHU est signifiee la forme, à qui symbolisent l'air et le feu, dont la region <f 168v> superieure consiste toute; et qui sont en continuel mouvement, comme une forme qui cherche de s'introduire en la matiere pour avoir repos: et c'est ce que veult inferer à peu pres Homere en l'onziesme de l'Odissee; et Virgile apres luy au 6. de l'Eneide, par les ames vagabondes là bas és enfers; car l'ame en nous tient lieu de forme, et le corps, de la matiere; lesquelles ames sont ainsi ardentes et convoiteuses de boire le sang des victimes qu'Ulisse y a esgorgetees dans une fosse, mixtionné avec du miel, eau, et vin; toutes liqueurs participans grandement de l'humidité, et qui representent aucunement les quatre elemens, car cela n'est pas sans quelque mystere; assavoir le miel comme le plus visqueux et gluant de tous, fait la terre; l'eau, l'eau; le sang, l'air; et le vin, le feu; tesmoin l'esprit qui s'en tire que nous appellons eau ardente. Les ames Donques desirent de s'humecter, comme n'estans autre chose que feu, et par consequent secheresse, qui appete naturellement de l'humide; Si qu'Ulisse à toute peine les peult engarder d'aprocher, quelques menaces qu'il leur face à tout son espee:
  [G]
Ce qui ne s'esloigne pas fort de ce qui est escrit au 8. de Sainct Matthieu, des Cacodemons, qui s'estans mis en deux corps sortans des sepulchres en la contree des Gerazeniens, infestoient la voye de sorte <f 169r> que personne n'y eust sceu passer bagues sauves: mais nostre Sauveur les en ayant dechassez, ils le requirent leur vouloir octroier de grace, se pouvoir jecter en un trouppeau de porceaux pres de là; dedans lesquels tout à l'instant ils s'allerent precipiter en la mer, source de toute humidité, mesmement pour raison de son onctuosité adustible et grasse. Et pource que les choses spirituelles et corporelles s'entresuivent reciproquement, comme procedans toutes d'une mesme cause universelle, combien que par divers respects, nous pouvons veoir sensiblement cecy és esprits du salpetre en la distillation des eaux forts, où ils demourront en vapeur plus subtile qu'air, rouges et enflambez comme feu au recipient, sans se rasseoir qu'il n'y ait quelque humidité d'alum, vitriol, et semblables, où il se puissent submerger: mais plus sensiblement encore vous en pouvez voir une experience bien que mecanique, neaumoins assez admirable et estrange. Amalgamez 5. ou 6. onces d'argent vif avec son poix egal d'estain; et broyez le tout avec dix ou douze onces de sublimé: Mettez à dissouldre dessus le marbre à la cave, ou autre lieu humide et relent: en quatre ou cinq jours tout le sublimé coullera en liqueur ressemblant à huille d'olif, que vous mettrez à distiller, et sur la fin donnant feu de chasse, s'en sublimera en substance seche quelque portion. Remettez l'eau sur les terres, et dissolvez ce qui en sera dissoluble: filtrez le clair, et redistaillez; puis achevez de sublimer: et <f 169v> reiterez quatre ou cinq fois tous ces regimes, vos terres seront alors si subtiles, que vous les verrez en continuel mouvement tout ainsi qu'atomes aux raiz du Soleil; mais blancs comme nege, sans jamais avoir repos, si vous n'y jectez un peu d'eau où ils se puissent retirer. Et certes je les ay gardees ainsi plus de six ans, tousjours en ceste agitation sans cesse: chose plaisante à regarder, mais paraventure ridicule à d'aucuns, et nompas à ceux, qui prenans garde de plus pres à ce qui en peult resulter, parcevront en fin le fruict qui en peult provenir en la philosophie naturelle. LA troisiesme lettre est le [H] Shin; l'esprit d' ADONAI ou Seigneur, qui en la creation des choses estoit espandu sur les eaux, qu'il empreignoit de sa vivifiante chaleur, laquelle ne peult rien sans l'humide, nomplus que l'agent sans le patient, ne la forme sans la matiere; Pour estre la substance humide molle de soy, et obeïssante à concevoir toutes sortes d'impressions; et aussi que la primitive source de vie gist en l'humide assisté du chauld; comme l'on peult appercevoir au sang, vehicule, siege et maintenement de l'ame vivante dans le corps, et son lien d'association avecques luy, qui en demeure vivifié, comme il est dit au Levitique 17. L'ame de la chair est au sang; lequel n'est autre chose qu'eau vive cuitte et digeste, et pourtant rougie, selon qu'on peult appercevoir au vin, qui provient de l'eau decuitte de la chaleur du Soleil au sarment, et de là es grappes, selon que le veult Empedocle; Que le vin se <f 170r> fait d'eau, se putrefiant dans le bois sous l'escorce.
Plutarque au traité d'Osyris.
Parquoy le philosophe Callistene le souloit appeller le sang de la terre, conformement aux traditions Egyptiennes, Que les prestres ny les Rois anciens n'en beuvoient point; ny n'en faisoient aucunes offrandes ny effusions aux dieux; estimans que ce fust le sang des Geans qui leur firent la guerre; lequel meslé avec le terrein lors qu'ils furent accablez d'eux, vint de là à produire la vigne et son fruict. Aussi est-il dit au Deuteronome 32. le sang des raisins; Et sanguinem vuae biberent meracissimum: Dont le prophete à ce mesme propos au pseaume 36. s'exclame; Inebriabuntur ab hubertate domus tuae: laquelle yvresse Musee tres-ancien poëte Grec, appelle beatitude et felicité. A CES trois lettres donques appellees les meres dans le Jezirah, et aux significations qu'il leur donne, se raporte presqu'en mesmes mots, cecy de la premiere canonique S. Jean: Il y en a trois qui donnent tesmoignage au ciel; le PERE, le VERBE, et l' ESPRIT SAINCT: et ces trois sont un. Trois pareillement qui rendent tesmoignage en terre; assavoir l'esprit, l'eau, et le sang: là où il a mis le sang pour le feu: Et de fait le sang n'est autre chose que pur feu; tesmoin le baptesme d'eau et de feu dont l'Evangile fait mention, qui est le sang de JESUS CHRIST, et la grace du S. ESPRIT, conferee par l'effusion de ce sang; dont l'eau n'est que le signe exterieur, mais sacramentel. DU feu au reste furent creez les cieux, et la terre de l'eau; suivant ce que le confirme la Turbe ou Synode des philosophes congregez <f 170v> par un nommé Arislee Pythagoricien de profession, mais moderne; Ex grossitie aquae terra concreatur: Cela peult-on veoir par experience d'une eau agitee et battue; puis redistillee par plusieurs fois, separant tousjours la six ou septiesme partie qui passera la premiere. L'AIR enapres est formé de l'esprit, qui procede de ces deux extremes, ou contenans, comme les appelle la mesme Turbe; feu, et eau; laquelle se subtilie par l'action du feu en bouillant, et monte en hault en substance d'air. VOILA quant aux trois elemens; ausquels le Jezirah applique ces trois lettres meres: Puis il poursuit qu'en l'annee il y a aussi trois saisons meres, et principales varietez du temps, qui leur correspondent; l'esté assavoir qui est chauld, au feu, dilatant comme fait le Shin: l'hyver froid, à l'eau, et au Mem, qui resserre: et la temperature moienne du printemps et automne, ditte Reviah, à l'air, procedant de ces deux extremes, le feu et l'eau; dont se forme un doulx et simple halenement, tel qu'en la prolation de l' Aleph. CES trois lettres meres enapres representent les trois substances dont tous les composez elementaires consistent, tant mineraux, vegetaux, qu'animaux; sel assavoir, mercure et soulphre; ainsi qu'on peult appercevoir en leurs resolutions par les graduees actions du feu: le sel estant designé par Aleph, source, racine, et siege de toute humidité liquante, comme parlent les philosophes Spagyriques, ouquel l'eau doulce est incorporee avec sa terre arse et <f 171r> amere: car la salsitude gist en l'une des deux terrestreitez, qui se retrouvent mesme en l'eau marine avant que la faire glacer en sel: et de fait en separant d'elle toute l'eau doulce par distillation, car la salleure ne monte pas, restera le sel congellé au fonds; duquel par les resolutions à l'humide, le mettant sur du marbre en quelque cave ou lieu bien moicte, s'en separe une terre rousse doulceastre, qui n'a pas de moindres effects és medicamens, que la Lemnienne qu'on appelle vulgairement Sigilee; et nomment ceste terre rousse, aussi bien les Cabalistes que les Chimiques, [H] Adam, dont la premiere lettre est Aleph. L'autre terre participe de la salsitude; car distillez la dessusdite resolution par un legier bain, l'eau simple et douce qui y peut estre en assez bonne quantité montera, laissant du sel encore au bas. Reiterez tous ces regimes de resolutions à l'humide, et distillations par le bain, tant que la terrestreité vous demeure seiche et aride, sans se vouloir plus humecter de soy-mesme, et il restera une terre sallee et amere. Parquoy vous verrez manifestement comme ces deux Elemens plus grossiers, terre et eau, sont ensemble accouplez au sel; dont l'acuité mordicante participe du feu; et la grasse onctuosité qui y est, de l'air. Du mesme en bruslant tout sur ce que le feu peut exercer son action, ainsi que du bois, et autres telles choses adustibles, resteront des cendres; desquelles par une lexive d'eau simple, vous extrairez la salsitude qui s'y est revelee par <f 171v> la separation de l'eau qui s'en est allee en fumee; et de l'oleaginité soulphreuse qui a causé l'adustion. Faites les calciner de nouveau en four de reverberation, tel que des Verriers, ou celuy où l'on cuit les pots, en sorte que rien d'estrange ne se mesle parmy; vous en extrairez encore du sel. Poursuivez ces calcinations et dissolutions avec eau commune de fontaine, ou de puits bien nette, jusqu'à ce que tout le sel soit dehors, et que rien ne se vueille plus redissoudre, il vous demourra une terre morte privee de tous ses esprits, à sçavoir de couleur, odeur, et saveur; laquelle à forte expression de feu se convertira en verre; qui est la quatriesme substance, ou s'accomplist la revolution des accouplemens elementaires; que les Cabalistes en leurs chiffremens representent par les Ziruph, ou combinations literales. Il y a encore un autre mystere de ces trois substances Sel, Mercure, et Soulphre, par une triplication d'Elemens: car le sel consiste du feu, terre, et eau joints ensemble; la mordication d'iceluy provenant du feu y enclos; sa consistance et solidité, de la terre; et sa liquabilité de l'eau; car il se fond ny plus ny moins que le metal. La Mercure en apres participera de terre, eau, et air, comme vous avez peu veoir és figures des carrez et triangles chimiques: et cela se peut aiseement discerner en la separation de ses substances; là où vous trouverez des terres abondamment; de l'eau flegmatique; et de l'huile surnageant à l'eau. Le soulphre finablement participera d'eau, air, et feu, car il n'y a point d'onctuosité quelconque sans de <f 172r> l'aquosité meslee parmy: ce qui se manifeste tout apertement en la separation des substances, quand on le brusle dans quelque pot, avec une chappe d'alembic au dessus y aiant un peu d'air entre deux, autrement le feu s'esteindroit soudain; car la partie qui se brusle est de nature aëreuse, grasse et combustible; et la vapeur qui monte en la chappe, et puis se resoult en liqueur, participe de deux substances; l'une douceastre de nature d'eau commune; et l'autre aiguë, voire un peu caustique, et salsugineuse, de celle du feu. OR pour autant que le sel est comme la base et le fondement de tous les mixtes elementaires, la nature par son accoustumee providence en produit trois sortes, symbolisans aux trois substances dessusdites: le sel commun, fixe et permanent à toutes espressions de feu, sans qu'il se brusle ny envolle: le sel armoniac qui s'en fuit du feu sans ardoir, tout ainsi que l'eau, parquoy il correspond au Mercure: et le salpetre inflammable, au soulphre. Toutes belles considerations à la verité, mais couvertes de prime face souz une maniere de voile, à guise de quelque secret d'importance souz un desguisement de chiffre; ny plus ny moins que si l'on venoit à escrire en beaux caracteres dorez, azurez, diasprez, ou autrement embellis de figures d'arbres, herbes, fleurs, animaux, et semblables hierogliques, cela pourroit bien amener quelque contentement à l'oeil, comme feroit une autre peinture; mais à plus forte raison combien plus en aura de satisfaction celuy qui s'apercevra de ce qui <f 172v> est contenu là dessouz ? selon ce qui est escrit en la sapience 13. Si quelques uns prenans plaisir en la beauté du Soleil, de la Lune, et semblables choses visibles, les ont reputees pour dieux, qu'ils sçachent de là combien celuy qui y domine est plus beau sans comparaison. Et à ce propos le ciel est appellé des sages Hebrieux Tiphereth, par ce que tous les principaux ornemens et beautez visibles sont en iceluy, selon le Zohar, qui y approprie ce texte de Genese 2. Perfecti sunt caeli et terra, et omnis ornatus eorum: car la terre aride de soy, et pourtant dite des Hebrieux [H] Jabassah, des Grecs [G], est sterile et infructueuse si elle n'est arrousee du ciel: et de fait elle ne produit (au mesme chap.) rien quelconque, devant que la pluie degoutte dessus, qui l'empreigne et la rend fertile, comme le tesmoigne le 28. de Deuteronome; Le Seigneur Dieu ouvrira son tresriche thresor, assavoir le ciel, pour donner de la pluye à la terre en saison propre et convenable: car les pluyes, selon que le met en termes expres le Thargum ou paraphrase Jerosolymitaine sur le 30. de Genese, sont l'une des quatre choses de tout l'univers, dont Dieu s'est particulierement retenu les clefs de la dispensation en sa main, sans les vouloir commettre mesme aux Seraphins: et là dessus pour le regard d'icelles pluyes ameine le dessusdit passage de Deuteronome. L'autre clef est de la norriture quotidienne de ses creatures, dont il est dit au pseaume 145. Oculi omnium in te sperant domine; et tu das escam illorum in tempore oportuno. Aperis tu manum tuam; etc. La troisiesme est <f 173r> des sepulchres, qui concerne la resurrection de la chair; en Ezechiel 37. Cùm aperuero sepulchra vestra; et eduxero vos de tumulis vestris. Et la quatriesme, de la sterilité, et lignee; oudit 30. de Genese; Recordatúsque dominus Rachelis. Mais la terre ausurplus qui est fixe et immobile de soy, tant l'opaque en la separation de l'eau douce d'avec la saulmure, que la transparente consistant és cendres qui se convertissent en verre apres l'extraction des sels (ce qui denote mystiquement la terre par l'opaque, et le ciel par la transparente et lucide) represente l'immobile d'Aristote, autour duquel, et sur lequel tous les cercles d'autour se meuvent et tornent ainsi que sur le moyeu d'une rouë: car il y a plusieurs sortes de terre, et mesme le firmament immobile est dit la terre des vivants; et nous presupposons d'avantage avec Hermes et les Cabalistes, que les choses basses sont proportionnelles à celles d'enhault; comme le centre indivisible avecques sa circonference de quelque immense estendue qu'elle puisse estre;
L'excellence du sel.
et pourtant le sel à cause de sa fermeté permanente et fixe, est en la divinité comme une marque et symbole du PERE, lequel demeure ferme et coy en son silence, repos et immobilité eternelle; qui est le grand et universel sabbatisme de tous les Sabbats: dont il ne se faut pas esmerveiller si Homere a voulu attribuer au sel le tiltre de [G] ou divin; de maniere que les anciens au paganisme reputoient la table prophane, si la salliere n'y estoit mise, selon que le tesmoigne Arnobe; Sacras facitis mensas salinorum appositu: <f 173v> car pour le respect du sel seulement, elle estoit referee entre leurs sacrez vaisseaux; Tite Live au 26. Vt salinum paterámque Deorum causa habeant: Et Pline livre 33. chap. 12. Fabricius Imperatores plusquam pateram et salinum ex argento habere vetabat. Mais on peult voir en quel respect il estoit tenu en l'ancienne loy, dans le 2. du Levitique; Tu saleras avec du sel toutes les oblations de tes sacrifices; et ne faudras de mettre le sel de l'alliance de ton Dieu dessus ton sacrifice: Tu offriras en toutes oblations du sel. Plus és Nombres 18. Le pact du sel soit perpetuel devant le Seigneur, à toy et à tes enfans: Ce qui est resumé au 2. des Paralipomenes, chap. 13. Ignorez vous que le Seigneur, le Dieu d'Israël, ait donné le Royaume à David sur Israël à tout jamais, à luy, et à ses enfans masles soubs la paction du sel ? Qui est par tout envers les Juifs pris pour une ferme stabilité: et pourtant il estoit aposé en tous les sacrifices de leur loy, comme pour une marque de la fermeté de l'alliance reciproque de Dieu avec eux. Rabi Salomon sur les passages dessusdits, que le sel soit là appellé le sel de l'alliance, allegue une fort bizarre raison, que j'estimerois neaumoins avoir esté assignee par les Cabalistes anciens dont il l'a prise, par une forme d'allegorie; Que les eaux d'icy bas en la terre, à la creation des choses, se mutinerent de ce qu'on les eust ainsi separees des surcelestes, aiant esté le firmament interposé entre-deux: aumoien dequoy Dieu pour les apaiser leur promit de faire, qu'elles seroient perpetuellement emploiees à l'usage des sacrifices; comme il fit depuis en la <f 174r> loy qu'il donna aux Juifs: Ce qu'il dit pour ce que le sel consiste d'eau. Il y a d'autres Rabbins qui parlent moins fantastiquement là dessus, combien que celuy-là se retienne ordinairement à la lettre: Que le sel fait durer toutes choses, et leur eslargist une subsistance qui les empesche de pourriture: et à ce propos il se dit de la loy, qu'elle donne une bonne saveur à tout; parquoy elle est appellee alliance, et pact du sel eternel, à cause que toutes choses ont besoin de l'assaisonnement de la loy: qui est ce que veult inferer ce texte; NE FAITES POINT CESSER LE SEL DE L'ALLIANCE DE VOSTRE DIEU: Par où s'entend le pact eternel de son sacerdoce; car il ne se peult faire des sacrifices sans la prestrise; et il n'y a point de sacrifices sans sel.
Particularitez du sel.
Et de fait y a il rien de plus permanent et plus fixe au feu, ny de plus aprochant de sa nature ? parce qu'il est mordicant, acre, aceteux, incisif, subtil, penetratif, pur et nect, fragrant, incombustible, et incorruptible, voire preserve toutes choses de corruption; et par ses preparemens se rend clair et transparent comme l'air: dissoluble au reste à l'humide; et liquable avec tout cela, és fortes expressions de feu, ainsi que les metaux en leur endroit; qui sont neaumoins deux resolutions contraires, et repugnantes l'une à l'autre: Principe enapres de toute humidité liquable, onctueuse et inconsumptible. A ce propos le Tharghum Jerosolomitain, sur le 19. chap. de Genese; La femme de Lot regardant derriere soy, devint statue de sel; met qu'elle fut convertie en une colonne de sel, qui doit ainsi <f 174v> durer jusqu'au temps de la resurrection generale, où tout les trespassez revivront. Quelques autres, je ne sçay si on leur doit adjouster foy, se hazardent de dire que c'est une masse de sel, aiant je ne sçay quelle ombre et forme de femme, et qu'autant qu'on en peult oster, celà se repare soudain, et en renaist de nouveau autant en sa place, sans exceder l'accoustumee proportion, car David Kinthi l'interprete pour un morceau de sel: mais en la Sap. 10. celà est appellé Figmentum, ou effigie de sel, qui demeure ainsi pour une marque de l'incredulité de ceste creature; suivant ce qui est dit en S. Luc 17. Memores estote vxoris Loth; à propos de regarder en derriere, c'est à dire aux choses du monde. Le sel outreplus est premiere origine, tant des metaux que des pierreries, voire de tous les autres mineraux; des vegetaux pareillement, et des animaux; et en general de tous les mixtes elementaires: Ce qui se peult verifier en ce qu'ils se resolvent en luy; si qu'il est comme une vie de toutes choses; car comme porte le mot commun, Sole et sale omnia conseruantur; et sans luy selon le Philosophe Morien, la nature ne peult rien ouvrer nulle part; ny chose aucune estre engendree, ce dit Raymond Lulle en son Testament: Dont tous les philosophes Chimiques conviennent que rien n'a esté creé icy bas en la partie elementaire, de meilleur ne plus precieux que le sel: duquel, comme met Pline liv. 31. chap. 7. La vie humaine ne se sçauroit bonnement passer: et est un si necessaire element, que la signification de ce mot s'est transmise <f 175r> jusqu'aux delices et plaisirs de l'ame; car on appelle ainsi les sels au nombre plurier: et toute la grace et douceur de la vie humaine; la courtoisie, gentillesse, et gayeté qui y est; le soulagement et repos des travaux, ne dependent point plus d'un autre vocable que de cestui-cy, lequel est encores approprié aux charges, dignitez et honneurs: et mesme à la guerre, les salaires qui sont la paye et solde des soldats, en ont pris leur denomination: car sans doute le mot de salaire, qui s'estend encore bien plus-avant, vient de sel, comme de l'une des plus utiles choses qui soient, tellement qu'à beaucoup de nations il a cours en lieu de monnoye. Quelques-uns outreplus l'appellent les graces, parce qu'il rend savoreuses et aggreables au goust les viandes qui en sont deüement assaisonnees; et mesme l'Apostre aux Coloss. 4. [G], Vostre parole soit tousjours consite en sel avec grace:
Plutarque en la 10. question du 5. des Symposiaques.
Et Platon au Timee, outre la commodité qui s'en tire pour l'usage de la vie humaine, et les commoditez du corps, le dit estre sacré, selon la formule et teneur de la loy; l'appellant [G], une substance agreable aux dieux. Mais les Cabalistes le celebrent encore bien plus par une des reigles de la ghematrie et equivalence de nombres, appellee des Hebrieux ghilgul, en cete sorte:
Mysteres du sel par la ghematrie.
Les lettres de ce mot [H] Malach qui signifie sel, montent en la supputation de leurs nombres, 78. car mem vault 40. lamed 30. et heth 8. Or divisez en telle maniere que vous voudrez ces 78. il resultera tousjours quelque nombre qui representera un mystere des noms divins. Pour exemple, la moictié sont 39. <f 175v> autant que montent les lettres du [H] Chuzu, le fourreau, comme ils l'interpretent, du grand nom; assavoir Caph, 20. vau, 6. Zain, 7. et vau derechef 6. Si en trois parties, chacune montera 26. qui est le nom bre du tetragrammaton [H] : En six, ce seront 13. qui equipollent à la mesure de la pieté: En treze, ce seront 6. que vault le vau, lettre representant la vie d'enhault; et le six est le premier nombre perfaict: En vingt six, ce sera le nombre de la tressaincte et sacree TRINITÉ, trois. En trente neuf, DEUX, que vault le beth, symbole du verbe ou seconde personne; et la maison des Idees de l'Archetype: Et finablement les 78. denotent autant d'unitez, dont chacune represente l'unité d'un seul Dieu. Tout de mesme est il du mot [H] lechem pain, qui est un anagramme du precedant, parquoy les lesstres rendent de mesme 78. lamed 30. heth 8. et mem 40. Mais [H] Iain ou vin, ne vault que 70. un nombre procedant de la multiplication du dix par le sept, qui concerne l'ame, laquelle a son siege ou sang, où le vin se convertist fort facilement: aumoien dequoy la divinité s'est tousjours fort delectee de ces deux substances de pain et de vin, tant pour le mystere qu'elles denotent de son Eglise composee de plusieurs ames, unies en un commun consentement de creance, à l'imitation de ce que le pain se fait de plusieurs grains de froment empastez ensemble; et le vin s'espreint de ceux des grappes de raisin; qu'à cause de l'incorruptibilité dont ils participent plus que nulles autres, <f 176r> provenant de la quinte-essence de l'eau de vie qui y reside en grand' abondance: Aussi sont elles accomplees au prem. d'Esdras, chap. 6. avec le sel et l'huille, comme les quatre plus utiles et necessaires choses que la nature produise point. Que le sel au reste soit incorruptible, voire preservatif de corruption; cela est assez cogneu d'un chacun, qui en fait d'heure à autre l'experience: mais cecy le demonstrera bien plus practicalement encore: car estant dissouls à par soy en lieu humide, puis ceste liqueur bien clarifiee jusqu'à ne laisser plus de feces ne residences, mise à putrefier par deux mois en fiens de cheval qui soit souvent renouvellé, afin qu'il y ait tousjours bonne chaleur; par une tresforte distillation dans le sable, l'onctuosité salmastre montera avec l'eau flegmatique: Separez ceste eau par un bain legier, il vous restera une liqueur, en laquelle mettez tremper ce que vous voudrez, fust-ce des choses les plus corruptibles, elles demourront en leur entier par de longues revolutions de siecles, sans s'y alterer ne corrompre. Et de ceste liqueur; que Paracelse appelle Viriditas Salis, qui a des facultez et vertus incroiables, on a opinion qu'estoit embausmé ce beau corps de femme, que Raphaël Volaterran racompte avoir esté trouvé, il y a quelques 90. ans, du temps de Pape Alexandre VI. en une sepulture antique aupres d'Albane, aussi conservee, mesmement les longues tresses de ses cheveux blonds et dorez, qu'à l'heure qu'elle trespassa; combien que selon l'escriture gravee au marbre de son <f 176v> tombeau, il y deust avoir plus de treize cens ans qu'elle estoit decedee. Le corps aiant esté apporté à Rome, le Pape pour le grand cas qu'on en faisoit, car celà balançoit desja à l'Idolatrie, le fit secretement jetter dans le Tibre. Le sel donc est en lieu d'une autre ame, laquelle pendant qu'elle est au corps le preserve de pourriture; suivant ce que Pline apres les Stoïciens dit, que la chair de porc estant de sa nature ainsi que morte, Anima data est illi pro sale: car le sel a ceste proprieté, ny plus ny moins que les ferments ou levains, de convertir à la longue en sa nature, tout ce qui sera meslé avec lui, s'il y peut au moins penetrer; consommant la superfluité de l'humeur visqueuse sujete à putrefaction; et mesmement ceste liqueur espandue parmy tout le corps (Raymond Lulle l'appelle l'humeur urinale, et paracelse la mumie) laquelle empesche la corruption de la substance doulceastre nutritive, car rien ne passe en nourrissement que le doux, selon Aristote, par une providence de nature est salee, ainsi qu'on peut appercevoir au sang: dont quelques-uns pourroient paraventure avoir pris leur theme, de penser que la mer soit ainsi sallee par une mesme providence, pour en empescher la corruption: et de fait son eau ne se corrompt pas si volontiers que la douce, voire point du tout; car j'en ay gardé plus de deux ans en une fiolle toute ouverte sans qu'elle se soit alteree; là où dans l'eau doulce en moins d'un mois se procreeront des moisisseures et araignees; bien est vray que les distillees se corrompent plus tard; <f 177r> mais le plus seur est d'y jetter quelque peu de sel selon leur proportion; car l'eau et l'air comme les deux Elemens mols se corrompent plus aiseement que la terre; le feu en est du tout exempt; parquoy le sel qui participe de sa nature, empesche consequemment la corruption: Et pourtant au 2. chap. du Levitique allegué desja cy dessus, il est ordonné, mais mystiquement, Que toutes les offrandes des sacrifices soient sallees de sel; lequel on offrira en toutes sortes d'oblations: et Rabi Joseph files de Carnitol au lïure des portes de Justice, met que le fondement de la loy est le sel, lequel contracte l'alliance; si que le regne de la maison de David est dit l'alliance du sel. Pline au lieu devant dit, touche cela presqu'és mesmes termes; ce qui monstre que le Paganisme, les Romains principalement, ont emprunté la plus patt de leurs ceremonies des traditions Judaïques: Maxime autem (ce dit-il) in sacris intelligitur authoritas salis, quando nulla conficiuntur sine mola salsa; comme estant le sel un des symboles de l'alliance contractee entre Dieu et son peuple: Dont il est pris bien souvent en l'escriture pour la sapience; ( Accipe sal sapientiae, és ceremonies de nostre Baptesme) et pour la vraie doctrine Apostolique, voire la lumiere de l'Evangile: car aiant le Sauveur dit à ses Apostres (en S. Matthieu 5.) Vous estes le sel de la terre; en un autre endroit il les appelle la lumiere du monde: et en S. Marc 9. Tout homme sera salé de feu; et toute oblation sera salee de sel: c'est bonne chose que le sel; que s'il est fade, dequoy l'assaisonnerez-vous ? Aiez doncq du sel en vous <f 177v> mesmes; et soiez en paix les uns avec les autres: Enquoy le sel est proportionné au feu. Si donques il est un symbole de la Sapience, et la Sapience est le VERBE divin; et ce VERBE le Principe de toutes choses, à bon droit l' Aleph qui denote un Principe et commancement, representera le sel dont tout est produit icy bas: Ce qui appert en ce que la plus grande portion de tous les mixtes et composez, se resoult à la fin en sel; et qu'il ay de grandement à la generation, comme on voit par experience, sans avoir recours aux authoritez de Plutarque, en ce qu'à faute de fiens, qui n'est autre chose que sel, ou de marne, et semblables substances tenans lieu de fiens, on brusle pour engraiiser et fumer les terres, le chaume, les herbes, ronces, espines, genets et autres arbrisseaux qui y surcroissent: et en l'Ardenne fort aride de soy, ils n'ont autre recours qu'à brusler le bois d'un essart, ainsi appellent-ils les terres qu'ils veullent ensemencer; et puis les harser avec une maniere de fourche, qui mesle les cendres avec le terrein: car le sel est de nature grasse et onctueuse, toutes proprietez fort idoines à la production; voire inflammative comme le tesmoigne iceluy Plutarque apres Aristote, és symposiaques liv. prem. question 9. Et Pline au lieu preallegué; Est enim in sale pinguitudo quod miremur. Ce qui s'aperçoit bien facilement és lexives: et au 106. chap. du 2. liv. Marinas aquas celerius accendi, etc. Bien est vray que le sel commun est pris quelquesfois en mauvaise part; et comme pour une marque d'extermination <f 178r> et ruine; ainsi qu'au 9. des Juges, ou Abimelech seme de sel la ville de Sichem qu'il avoit destruite: mais celà est d'un autre propos.
  L'AUTRE substance d'apres designee par [H] Mem, est le mercure, de nature d'eau, comme le met le Jezirah où il est dit, Praefecit ipsum Mem aquis. ET la troisiesme est le soulphre spirituel encores, et volatil, aussi bien que le Mercure et l'eau: de nature de feu; designé par la lettre [H] Shin, au mesme livre, praefecit ipsum Shin igni; qui denote l'ESPRIT SAINCT au monde intelligible; le Soleil au celeste; et icy bas en l'elementaire, le feu: lequel soulphre non sans cause s'appelle [G] ou divin en Grec, qui est l'adjectif du sel; à quoy convient ce qu'en met Raymond Lulle apres Alphide; Sal non est nisi ignis; Nec ignis nisi sulphur; nec sulphur nisi arg. viuum reductum in preciosam illam substantiam caelestem incorruptibilem quam nos vocamus lapidem nostrum. Ce qui bat à ce qui est dit au 29. du Deuteronome, là où Dieu menace les Israëlites qui n'obeïront à ses commandemens, de brusler leurs terres par soulphre et ardeur de Soleil. Le soulphre au reste est purificatif, selon qu'on peult veoir en Homere au 16. de l'Iliade; [G] etc. Et Ovide en ses Elegiaques;
  Et veniat quae lustret anus lectúmque locúmque,
  Praeferat et tremula sulphur, et oua manu.
  QUELQUES uns taschent d'analogiser ces trois lettres meres, et les substances qu'elles designent, par les trois lois; car la quatriesme qui est bastarde <f 178v> et illegitime, representee és propheties de Daniel chap. 7. est la Mahometane: Par [H] Aleph assavoir qui est le sel et la terre, la loy de nature; dont [H] Adam homme terrestre comme il signifie, fut la racine et premiere souche, sans que luy ne ses descendans jusqu'à Abraham en cogneussent d'autre, sinon ce que par mysteres et adombrations pouvoit estre revelé aux saincts Patriarches, d'une speciale grace du S. ESPRIT, de l'advenement du MESSIHE, qui est la fin finale, et perfection de toutes les lois. Par [H] Mem, l'eau ou Mercure, la loy de Moyse, Car ce mot sonne autant, comme pris ou tiré de l'eau, en Exode 2. Mais tout ainsi que l'eau ne lave que par dehors, aussi ne faisoit la loy Judaïque sinon superficiellement les faultes du peuple, selon que le denote assez la piscine probatique, guerissant les infirmitez du corps seulement, en Sainct Jean cinquiesme chapitre. Et pourtant estoit il besoin d'une plus intime mundation, qui a esté faicte par le sang du MESSIHE, comme il est escrit en sa prem. cano. 5. Non in aqua solùm, sed in aqua et sanguine. Et de fait les Juifs avoient bien une maniere de Baptesme, mais comme mort, et non avivé encore de la grace de l'ESPRIT SAINCT, (au 3. de son Evangile) qui est ceste eau pure et munde, dont il est parlé en Ezechiel chap. trente six: J'espandray sur vous de l'eau pure et necte, de laquelle vous serez nettoiez en toutes voz ordures <f 179r> et souillemens. Et tout ainsi que l'eau est la plus prochaine matiere du vin, parce qu'elle se convertist en luy; aussi la loy Judaïque estoit la plus prochaine de la chrestienne, ains la vraye figure et tige d'icelle, à quoy elle devoit finablement se renger comme à son but et perfection; et tous ses sacrifices mystiques, au reel sang de JESUS-CHRIST; car le vin se convertist aiseement en sang: et comme le vin ne soit autre chose que l'eau distillee et decuitte au sep de la vigne, qui est un vegetal; le sang de mesme n'est sinon le vin, ou ce qui tient lieu de vin, passé et decuit par les officines du corps de l'animal. Il y a outreplus tout-plein d'autres mysteres de l'eau en la loy Judaïque; ainsi que le passage de la mer rouge; la nuee accompagnant les Israëlites au desert; l'eau de vie mentionnee au vingtiesme des Nombres; Aperi tu eis thesaurum tuum, fontem aquae vivae. ET par le [H] Shin, le feu et le soulphre purificatif, est designee la loy de grace, et le MESSIHE, purgationem peccatorum faciens; le second Adam, mais celeste; le Soleil de Justice etc. lequel ne baptise pas seulement en la nuee, et en l'eau enquoy elle se resoult, mais au feu aussi, c'est à dire au S. ESPRIT.
  OR és divers meslanges et assemblemens de ces trois meres lettres, et des trois substances qu'elles representent, qu'Hermes en son traicté des sept <f 179v> chapitres, appelle les grands elemens; Raymond Lulle, et Paracelse apres luy, les elemens redoublez; car suivant la maxime des Pythagoriciens; Omne et omnia tribus terminantur; ce que tesmoigne mesme Aristote au livre du ciel, s'accomplissent tous les Ethbaz, Thmurath, et Ziruphs, transpositions, commutations, et accouplemens, non des lettres, mais des elemens, tant par la ligne, que par le triangle, et par le carré. Comme pour le regard du sel, il consiste en premier lieu de terre et eau, cela est assez notoire par ses resolutions; puis du feu, qui est son acuité mordicante, incisive et penetrative; et finablement de l'air avec eux, pour raison de son onctuosité grasse et huilleuse, qui est de nature d'air. Le mesme est il des trois autres, ainsi que de tous composez et mixtes, lesquels participent des quatre elemens, selon le plus et le moins des uns et des autres: Dont pour parfaire de tous poincts la revolution circulaire desdites substances, tout ainsi que des elemens, où le feu vient finablement à se rencontrer avec la terre;
Fueil. 104. B.
le verre participera le plus de ces deux, voire sera terre pure; Parce que comme Platon met n'y avoir que trois corps convertibles, car il ne les daigne pas appeller elemens, assavoir l'eau, l'air, et le feu, à cause de leur continuel mouvement et agitation; et la terre comme immobile, ne se torner en pas uns d'eux; en semblable le verre est du tout inconvertissable en autre substance; d'autant que le feu, et tant moins encore la simple chaleur, ne peult avoir autre action sur luy, <f 180r> que tousjours de plus en plus l'affiner, et le maintenir en soy-mesme, ainsi que l'or: Aumoien dequoy non sans cause le prend on comme pour un exemplaire de l'estat du siecle advenir, à cause de son incorruptibilité, pureté, et lucidité transparente, plus propre à recevoir et rendre la lumiere que rien qui soit; à laquelle on estime devoir estre finablement reduit ce GRAND-TOUT par l'universelle conflagration, ou le feu aura entierement consumé le corruptible, comme nous le voyons faire sensiblement; selon le passage par nous des-ja cy devant amené du 21. de l'Apocalypse; Enapres je vey un nouveau ciel, et une nouvelle terre; car le premier ciel, et la premiere terre s'en estoient allez; et la mer n'estoit plus. Puis il adjouste; Que la saincte cité de Jerusalem, d'une clarté lumineuse comme cristal, estoit d'or pur semblable à pur verre: et les rues, ensemble les places d'or pur, comme verre tresreluisant.
  MAINTENANT si l'on veult aparier ces trois lettres meres en diverses transpositions, que le Jezirah appelle les six extremitez ou anneaux, il y aura six anagrammes: Car (dit-il) deux lettres edifient deux mansions ou cellules: Trois en edifient six; quatre, 24, cinq, 120, six, 720. Et de là passant outre imaginez en vostre pensee ce que la bouche ne sçauroit dire, ny l'oreille oyr. Esquelles metatheses et transpositions consistent infinis secrets et mysteres: que si en cela l'on vouloit passer à des suittes de dix ou douze lettres, et de plus, cela s'estendroit comme en infiny. Et ne faut pas trouver estrange d'approprier ainsi en les ravallant, <f 180v> les choses superieures aux inferieures; les spirituelles et intelligibles, aux corporelles et sensibles; les divines et permanentes, qui sont tousjours en un mesme estat, aux humaines, caduques et transitoires, qui vont et viennent incessamment en une continuelle alteration; et au rebours en remontant du bas en hault; par ce que toutes choses sont analogiques les unes aux autres; et comme disoit Anaxagore, toutes ensemble; ou toutes en toutes selon Heraclite, mais en, et par diverses manieres; la vraye eschelle de Jacob, le long de laquelle il vit monter et descendre les Anges, et le cordon retors triple, en l'Ecclesiaste 4. Toutesfois on le doit considerer sobrement, et par divers respects; car les causes divines ne vont pas d'un mesme bransle que les humaines; pour le moins, nonobstant qu'il y ait quelque proportionnelle convenance, ne sont pas les mesmes: et les choses naturelles et sensibles ne sont pas assez dignes, suffisantes ne propres, pour nous representer les divines; tant moins encore celles qui dependent de la seule foy; n;estant possible par aucune ratiocination ne discours de les amener souz nostre apprehension et notice, suivant le dire de l'Apostre, Que la lettre occist, et l'esprit vivifie, qui est quand on s'arreste à l'escorce de l'escriture, sans profonder plus avant au sens, et aux mysteres cachez dessouz; à guise des chiffres, dont il ne seroit pas possible d'assigner une plus propre ne convenante similitude. PARQUOY ces choses n'ont esté en vain si particulierement discourues sur ceux <f 181r> des Hebrieux, qui sont comme un moulle des autres; mais ils ne tendent qu'à cacher les sacre-secrets de leur loy, de la prophane communication du vulgaire, à qui aussi bien n'est il expedient en aucune sorte d'en avoir une trop claire cognoissance, de peur du mespris qui s'en ensuivroit, suivant les traditions mesmes des Sanhedrin, comme l'allegue Rabbi Moyse Egyptien, au 70. chap. du premier de son directeur; Les paroles que je t'ay communiquees pour les retenir seulement en ton coeur, il ne t'est loisible de les divulguer par escrit. Et un peu plus outre; On ne revelera les mysteres secrets de la loy à un estranger, ains à ceux du conseil estroit seulement; et encores qui soient sages, discrets, et sçavans. Au moien dequoy le sens mystique de l'escriture, comme il dit encore, estoit caché souz diverses envelouppes de chiffres, tout ainsi qu'un noyau souz plusieurs escorces, peaux et escailles; si que les choses qu'on voit couchees dans le Talmud, ne furent pas en l'ancien temps redigees aucunement par escrit, ne rien quelconque de la glose et explication de la loy, ains se les entrelaissoient les uns aux autres de bouche, comme il le dit en son exorde du Deuteronome; et ce pour raison des inconveniens qui en advenoient; jusques à six vingts ans apres la seconde desolution du temple faite par Vespasian, et son fils Titus; ce qui eschet environ l'an de la nativité de nostre Seigneur 190. lors que Rabbi Jehuda fils de Symon colligea la Misne. Les chiffres donques Hebraïques n'ont rien de commun avec les affaires du monde; <f 181v> et nous n'emploions point les nostres à d'autres effets; à quoy les anagrammes et renversemens de lettres ne nous peuvent pas de beaucoup servir, nomplus que les Equivalences de nombres, et le Notariacon; si qu'il ne nous reste rien à recevoir en cecy des Hebrieux, que la Ghematrie, avec les Ethbaz, Thmurah, et Zyruphs; non ainsi toutesfois limitez et restreints que les leurs, ains relaschez en toute pleine libert , en autant de sortes que leurs commutations revolubles se peuvent estendre, selon que vous l'avez peu voir par les deux tables fueil. 96. et 97. qui est l'une des principales voyes de tous nos chiffres, et occulte escriture: car celuy qui consiste en des caracteres nouveaux, et notes incogneuës que chacun se forge à sa fantasie; et les emploie à des lettres, mots, ou clauses comme bon luy semble, sans autre artifice, par ce que c'est une invention assez triviale et commune, et où il n'y a pas grande finesse ne dexterité, nous ne nous y arresterons point autrement, ains passerons outre à de plus ingenieuses recherches; mesmes à une en premier lieu où il y aura tousjours divers sens; si que l'un y aiant leu en François, l'autre le lira en Latin; et un autre encore en langue Grecque, Italiane, ou Espagnolle, et semblables; sans pour celà outrepasser un seul caractere pour nul, ny rien changer, transposer, ne immuer: enquoy nous procederons de degré en degré, de plus subtils en plus subtils, jusques à finablement parvenir au dernier but de tous les chiffres, qui est d'oster toute soupçon qu'il y <f 182r> ait rien quelconque d'escrit, ny de reservé en secret, que ce qu'on voit en apparence d'escriture commune et intelligible à chacun: car autrement les depesches venans à estre intercettes et surprises ne sçauroient de rien servir, par ce qu'elles ne parviendroient pas où elles s'adressent; ains au contraire nuire le plus souvent si l'on vient à les dechiffrer: que si l'on n'en peut venir à bout, le danger court lors tout manifeste pour le pauvre porteur du pacquet, d'estre gehenné, tortionné, tourmenté en toutes manieres, s'il ne revele le secret, dont on le mescroit consachant, ores qu'il n'en ait cognoissance aucune. De cest artifice l'Abbé Tritheme, en a le premier de tous revelé quelque chose en publicq, és deux premiers livres de sa Polygraphie; mais plus excellemment beaucoup en ceux de la Steganographie, s'il est vray au moins ce qu'il en promet, car des trois premiers que j'ay veuz, il ne s'en peut tirer rien quelconque d'instruction: l'exemple mesme qu'il en propose en la clef de sadite Polygraphie, me semble surpasser les termes de toute possibilité, de faire valoir chaque mot pour un autre revolublement, en tout ce qu'on voudroit exprimer par escrit de ses conceptions, si qu'il y ait un sens bon et intelligible sans aucune contrainte, ne secrete marque qui vueille representer autre chose, que ce qui est tout manifeste. Car comment est-ce que se pourroient rencontrer à propos tant de varietez dissemblables de genres, modes, et temps, és substantifs, adjectifs, et verbes, que l'oraison demeure tousjours <f 182v> en son entier, intelligible et congrue, et encore en divers sens ? mais sur tous les noms propres des lieux et personnes, qu'il n'est possible estans particuliers ainsi qu'ils sont, representer par des vocables generaux. Bien est vray qu'il y a certain artifice d'un papier persé par endroits (on l'appelle chassiz) les uns plus pres, et les autres à plus de distance; laissant vuide l'espace qui est entre-deux, afin de le remplir puisapres de quelque chose au mieux qu'on peult, pour desguiser ce qui aura esté escrit dans les overtures, et par ce moien alterer et confondre ce qui y est exprimé de secret; si que malaisément y pourroit-on rien discerner qu'en y appliquant un autre papier persé de mesme: Mais cela est fort laborieux, et bien rarement se peuvent rencontrer des mots, nompas seulement des syllabes bien propres, pour remplir la suitte et le contexte de l'oraison, qu'on ne s'apperçoive de l'artifice; outre ce qu'il n'y peult tenir que fort peu de matiere. Il y a donques plus d'apparence, que cela se face, si faire se peult, par diverses formes de lettres, dont chacune puisse servir pour toutes, comme nous en toucherons cy apres quelques ouvertures, n'estant pas raisonnable de divulguer cest artifice de fonds en comble, où tant de bons esprits se sont travaillez, jusqu'à y suer sang et eau; que nompas en mettant des dictions entieres pour d'autres dictions, selon que le porte l'exemple cy dessus mentionné qui est tel: Conspirauerunt in necem tuam Melancius, Tyberius, Ioannes, et Petrus, famuli <f 183r> comitis de Asoto; et quarta die post Laurentii in nocte circum vallabunt domum tuam: Prouide quid agas. Il pretend de l'escrire occultement, et le cacher sous les mots suivans, esquels on le pourra distinctement lire: Oro te amice carissime, vt mutuo mihi transmittas decem florenos cum latore praesentium, quia sunt valde mihi necessarij pro constructione cuiusdam aedificij: Eos tibi fideliter restituam. Il est vray que le nombre des mots est pareil, chacun d'iceux de vingt six; mais le nombre des lettres l'est presqu'aussi, le premier n'en aiant que 147. et l'autre dont il est couvert, car par consequant il doit estre plus grand, 157. qui sont dix de plus: mais au reste comme est-ce que se pourroient approprier ne convenir les noms propres y contenus ? ce qui me confirme en mon opinion que c'est plustost par les diverses figures de lettres que cela se fait, que par le rapport, une pour une, des dictions. L'AN 1569. que j'estois à Venice, le Turc Selim pere d'Amurath qui regne aujourd'huy, faisant sourdement ses apprests pour envahir le royaume de Chippre; de peur que le Bayle des Venitiens residant à Constantinople, ne les advertist de ce qu'il en pouvoit pressentir, defendit qu'ils n'eussent plus à s'entr'escrire par aucune sorte de chiffre, ains à pacquets tous patents et ouverts, et en lettre intelligible: dequoy eux se trouvans en peine, se presenta un medecin nommé Lorenzo Ventura, qui leur presenta le secret cy dessus; d'escrire tout ce qu'ils voudroient, sur toutes sortes de propos, et en escriture commune, <f 183v> qui eust autre sens caché audessous, tel qu'il leur plairroit, moyennant certaines conditions bien advantageuses qu'il demandoit pour son salaire. Ce que j'ay bien voulu alleguer icy pour monstrer de quelle estime et importance est cest artifice; duquel pour ceste occasion il me suffira d'en esbaucher quelques simples traicts, remettant le reste à l'ingenieuse investigation des bons esprits, ausquels je pourrois faire tort de prostituer ainsi temerairement, ce qu'ils ont paraventure obtenu avec une extreme fatigue. Tritheme au reste n'a pas esté le premier autheur de l'artifice des deux premiers livres de sa Polygraphie; car Reuchlin qui estoit de son temps, tesmoigne en avoir usé plusieurs fois, au 3. liv. de sa Cabale parlant du Notariacon, fort familier aux prophetes, dont sans doute est provenue ceste invention; Aut igitur vna dictio per literas dispersa plures efficit; aut multae dictiones per certas earum literas retractae vnam colligunt: Hinc ex multis vnum; et ex vno multa. Vnde oritur quaedam epistolarum technologia qua saepe lingua Germanica scripsi, quae à Latino viro in Thuscia cognosci desiderabam; et econuerso latinè scripsi, quod Alemannum hominem latinitatis imperitum scire volui.
DES CHIFFRES carrez à double entente.
  POUR poursuivre donques nostre propos, nous commencerons par les chiffres qui ont double sens et lecture; ce qui se fait en premier lieu par les entrerencontres et croisemens de quatre cens caracteres <f 184r> s'il y a vingt lettres, car 20. fois 20. font 400. afin que celà se puisse raporter de tous sens en carré: si que ces 20. lettres multipliees par elle-mesmes en autant de diverses combinations, font 40. alphabets; vingt assavoir de perpendiculaires en descendant du hault en bas; et vingt traversans de la main gaulche vers la droicte, qui les croisent en autant de chambres, dont chacune contient deux lettres appariees diversement. Et en celà l'on peult proceder de diverses sortes, tendans toutes à un mesme effect: Dont la premiere sera par lesdites combinations des vingt lettres en 400. accouplemens differends, esquels se parfait leur complette revolution de toutes en toutes, suivant mesme le livre de Jezirah: Aleph (dit-il) avec chaque lettre, et chaque lettre avec Aleph: Beth avec chaque lettre; et chaque lettre avecques Beth; et ainsi du reste. En voicy pour nostre regard la premiere table et figure; propre et distincte pour nostre usage, plus que celles qui ont esté aposees cy devant és fueillets 96. et 97. à l'imitation des Hebrieux.
<f 184v1-2> [FIGURE]
<f 185r> Par les accouplemens des lettres communes.
  DE ceste table se tireront tout-plein d'usages: et en premier lieu, les mesmes que de celles des fueillets 46. et 50. et 96. et 97. pour les chiffres simples, establiz sur les revolubles commutations des lettres, avecques les clefs, et sans les clefs. Mais cestui-cy outreplus est carré et a double entente; assavoir que chaque caractere va tousjours pour deux, de quelque costé qu'on le puisse prendre; si qu'on les pourra faire servir pour deux lettres de suitte; our pour deux sens, voire en deux langages, sans avoir rien de commun l'un à l'autre. Et ne fault pas trouver estrange, que j'aye dit chaque caractere, nonobstant qu'il y en ait deux,; car ces deux ne sont proprement qu'un, et ne servent que pour un seul caractere, comme on peult voir en huit ou dix capitales que j'ay ay semé tout expres, lesquelles vallent le mesme que les deux lettres accouplees ensemble; ainsi que L en la 3. chambre de la premiere colomne, va pour o b; et qu'on pourra voir plus à plain cy apres és tables d'autres chiffres carrez que j'ay reduits à seize lettres: cecy n'aiant esté basty que pour soullager d'autant le dechiffrement, quand la suitte des lettres y sera trouver soudain ce qu'on cherche: car encore que o b soient là mises pour representer le rencontre de e f, ainsi que a g, ou A, en la 6. chambrette de la 6. colomne, pour l i, ce n'est pas à dire pourtant que o doive signifier e à part, et b, f; ains estans adouees de ceste sorte, elles representent e f. L'invention de ces chifres carrez ausurplus a esté non tant seulement pour <f 185v> tousjours embrouiller les chiffres, et les obscurcir davantage, ains quant et quant pour un eschapatoire de ceux qui estans en lieu de subjection, et leurs actions esclairees de si pres, qu'ils n'eussent rien osé escrire qui ne fust veu, tant moins en chiffre, en danger s'il s'y fust rien trouvé de chattouilleux contre le gré et vouloir du superieur, d'encourir quelque chastiment et estrette. Mais, comme dit le Poëte, la necessité venant de jour en jour à produire et comme enfanter des nouveaux remedes, les chiffres doubles furent trouvez: car lors qu'on n'estoit pas si desniaisé comme on est, ny ces artifices tant rebattuz, si leurs lettres estoient surprises, à tout evenement ils en estoient quittes d'exhiber leur chiffre, sans lequel il eust esté impossible d'en venir à bout, comme il se verra; mais à demy et par l'un des costez seulement; exprimant lequel des deux sens ils vouloient, et reservant l'autre à par eux; assavoir par les colomnes perpendiculaires du hault en bas; ou les transversales de gaulche à droit. Et pour ce que la demonstration de cecy depend plustost de la practique que de la multiplication de langage, j'ameneray icy du tout des exemples, qui le feront trop mieux comprendre que tous les discours qu'on en pourroit faire.
  MAIS avant que d'en venir là, il est besoin de remplir icy, ce qui auroit esté obmis de l'usage des deux tables inserees és fueil. 96 et 97. qui ne sont toutesfois autres chose que les Ziruph du Jezirah, <f 186r> estendus par leur accomplie revolution, en nos caracteres; afin de ne laisser aucune occasion de soupçonner qu'elles aient esté apposees sans necessité, et en vain. Ce n'est au reste des deux qu'une mesme chose, nonobstant qu'arrengees diversement; car la practique en est semblable; et font le mesme effect, que celles des fueil. 46. et 50.
En la prem. de S. Jean 4.
Pour exemple prenons ce subject, Aimons Dieu qui nous a aimez le premier. Dont la clef soit, l'entree du ciel: Vous procederez en ceste sorte par la premiere des deux tables; en laquelle les capitales de la main gaulche marquees de noir, servent pour la clef; et les rouges et noires d'enhault, accouplees deux à deux, pour les lettres du subject qu'on veult exprimer; la rouge respondant à la rouge, et la noire à la noire, mais il les faudroit avoir ainsi marquees tant au chiffrer, qu'au deschiffrer, et nompas en l'escriture: ou pour mieux faire, tout au rebours, la premiere à la premiere, et la seconde à la seconde. Donques a de l donne a: i de e, h: m de n, u: o de t, z: n de r, c: s de e, l: d de e, d: i de d, z: e de u, g: u de c, l: q de i, m: u de e, m: i de l, e: et ainsi du reste en reiterant la clef. Tout le mesme reussira par sa compagne qui suit apres. Il s'en pourroit aussi tirer un chiffre double, et d'autres secrets de plus d'importance, Quae vetat et ratio, nec non natura profari; (diroit le Poëte Augurel:) mais il suffist d'avoir monstré en cest endroit, que ny Tritheme, ny Belasio, ny Baptiste Porte, ne sont pas les premiers autheurs
de cest artifice. <f 186v>   EN APRES vient icy à remanier ce qui auroit esté suspendu sur la seconde table, fueil. 50. aussi bien n'estoit il là question que des chiffres simples; car de peur d'embarrasser tant de choses ensemble, et les rendre par ce moien plus confuse et moins dilucides, il a esté plus à propos de les remettre en cest endroit:
Chiffre double du fueil. 50.
laquelle le table agencee de la façon que nous avons là, avec les deux alphabets des capitales rouges et noires, tant au front d'enhaut, qu'au costé gaulche, nous fournira d'une maniere de chiffre double tresgentille et ingenieuse; et invincible a descouvrir sans la communication du secret. Car encore qu'il y ait deux lettres pour chaques deux lettres aussi bien qu'en la precedente, neantmoins il n'y en a qu'une qui serve de lettre, assavoir la petite estant és carrez; et l'autre qui l' accompagne, marquee par les capitales, ne denote que l'ordre et assiette qui fait valoir la simple lettre pour les deux du rencontre où elle se trouve entre les rouges capitales du front, et costé: Raymond Lulle en la tierce distinction de ses Quint-Essences, voulant tacitement demonstrer le progrez de l'oeuvre Chimique sous la couverture et par le moien de son alphabeth, appelle cecy Angulus contingentiae; de sorte que par la practique de ces chiffres doubles on pourra descouvrir la plus grand part de ses secrets, qu'il s'est ingeré de cacher pour ne les prophaner aux indignes. OR pour exemple, prenons ce sujet, qui servira aussi pour ceux d'apres; assavoir pour le premier sens; Les causes premieres meuvent les secondes; les secondes les tierces: et <f 187r> c'est autre pour le second; Il ne s'effectue rien en la terre, qu'il n'ait premier esté esbauché au ciel. Mais il y a double maniere d'y proceder; l'une de suivre tout de reng des lettres de l'un des deux sens, deux à deux; comme l e s c a u; etc. l'autre de prendre une des lettres du premier, avec une aussi du second; l i e l s n c e: car cela va d'un mesme train. Voiez donques qu'elle lettre correspondra au rencontre des capitales rouges de ces deux cy L au front d'enhault, et E a costé, vous verrez que ce sera F: mais d'autant que F se trouve en toutes les rengees tant perpendiculaires que transversales, parquoy ce seroit à deviner pour lesquelles deux lettres des 20. elle seroit mise voire presque comme impossible, par ce qu'il y a quatre cens accouplemens tous divers; on l'associë d'une autre lettre, qui de soy ne sert d'autre chose que pour monstrer le lieu du rencontre de ces deux lettres l, e; si que c'est tout autant, comme qui y mettroit le nombre de la rengee, soit du front, soit de costiere; car il n'importe rien d'où ce soit; l'un et l'autre faisans un mesme office, combien que par divers respects: comme pour exemple si c'est d'enhault, vous prendrez le T, qui respond à F, en descendant; si c'est du costé, vous prendrez O qui semblablement y respond en traversant de gaulche à droit. Et cela se peut varier d'infinies sortes, tant pour la transposition de la suitte des lettres; que pour se servir des capitales noires avec les rouges; et les entremesler diversement. On peut <f 187v> faire tout ainsi des deux sens: l, i; au rencontre desquelles se trouvera l, et audessus de l, s: à costé de i, s aussi: et ainsi du reste. Quoy que ce soit ceste maniere de chiffrer est fort occulte, et ne seroit pas possible d'en venir à bout, ny que conjecture aucune d'humain esprit, pour subtile qu'elle sceust estre, peust mordre dessus, tant à cause de la revoluble transposition des lettres, qui d'elles-mesmes se commuent et eschangent les unes és autres par la varieté de leurs assiettes, et concomitances qui vont comme en infiny, que pour l'amusement que ceste lettre associee pourroit donner à ceux qui n'entendroient l'artifice, quand ils la voudroient prendre pour une lettre, et chercher en vain celle qu'elle devroit representer; là où elle ne sert que de nombre pour designer l'ordre de l'assiette de sa compgagne.
  QUANT à la practique de ceste derniere table où les lettres sont accouplees deux à deux, elle est du tout semblable à la precedente; car il ne fault prendre que le rencontre des deux lettres que vous voulez representer, en l'alphabet des capitales d'enhault, et celuy de costiere, marquez de noir, et qui sont transposez; car les rouges vont le train ordinaire; toutesfois il n'importe de rien, et les pouvez entremesler comme a esté dit cy dessus. Pour exemple, l, e; ou l, i; le premier l, e, se vient rencontrer par les deux alphabet noirs en s g; et par les rouges en d m: et l'autre l, i; en a, g; ou A capital, qui y est aussi apposé, pour monstrer que les deux ne servent que pour un caractere. <f 188r> Ce que ces lettres au reste sont marquees de rouge et de noir, ce n'est pas à dire pourtant qu'il les faille ainsi diversifier, car il ne serviroit de rien, et n'est sinon que pour les faire mieux et plus distinctement discerner; tout ainsi que les capitales des deux alphabets, dont l'un est en l'ordre accoustumé, et l'autre transposé; ce qu'on peult varier d'infinies sortes, pour avoir chacun le sien en particulier à par soy. Ces combinations d'autre-part, et accouplemens de deux lettres, ne sont que pour eviter la confusion d'un si grand nombre de caracteres, s'il les failloit faire tous differends; dont outre la difficulté d'en trouver ainsi de quatre cens sortes, qui soient de belle figure, et coherens les uns aux autres pour la liaison et egallité de l'escriture, le dechiffrement en est trop penible aux correspondans, pourautant qu'a chacun d'iceux il les fault parcourir de l'oeil presque tous, premier que de rencontrer ce qu'on cherche; de laquelle superfluité de labeur nous sommes excusez par ces adouemens de lettres, rengees d'un ordre qui se represente tout incontinent sans aucun travail d'esprit à nostre apprehensioin et memoire: et si rendent le chiffre plus admirable, et hors de soupçon de son double sens, quand on n'y apperçoit que vingt caracteres pour tout, au lieu d'une telle multitude que de quatre cens; mesmement de nostre commune escriture, qui va puisapres tout de suitte, comme faisoit celle de Moyse, sans aucune distinction de vocables; à quoy par le moien de y et z, et des doubles si <f 188v> vous voulez ll, rr, ss, et autres telles, vous pouvez bien remedier; lesquelles serviront aussi de nulles comme il semblera de plaine arrivee; et d'un sens secret quant et quant, reservé à part, comme nous en monstrerons cy apres l'usage et practique, non encore touchee d'autres quelconques qui soit venue en evidence. MAIS n'estant pas tout nostre but de nous arrester simplement aux chiffres, sans tirer de là par mesme moien quelque belle consideration de philosophie; ces lettres ainsi appariees deux à deux, faisans l'office de deux lettres, et ne sont neaumoins qu'un seul caractere, lequel separé en deux n'establiroit rien; à quoy est-ce que cela se peult bonnement raporter ? Tout ainsi donques que le temps est composé d'instants; les continuitez de poincts, ce dit Algazel; Sicut se habet punctus in continuis, sic instans in successiuis; et les nombres d'unitez: que les poincts au reste consistent de nombres; les lignes de poincts; et des lignes toutes les figures, du nombre desquelles sont aussi les lettres, et par consequant de figure, lignes, et poincts; les accents des lignes et poincts; et les voyelles du simple poinct; toute magnitude de mesme, soit en longueur, largeur, espoisseur, est congregee de trespetites et menues parcelles uniformes et semblables à soy, mais indivisibles pour leur extreme petitesse, parce qu'elles n'ont point de quantité; ce neaumoins estans jointes l'une avec l'autre, ce qui en sera composé en aura, et adoncq sera corps: voire qui est bien plus, si deux d'icelles viennent à se conjoindre, <f 189r> elles ne constitueront pas seulement un corps, ains l'une et l'autre sera corps, là où lors qu'elles estoient separees l'une ny l'autre n'estoit corps. Et ainsi est-il de ces associemens de deux lettres, qui en cest endroit estans disjointes n'expriment rien, et accouplees servent chacune pour une lettre: Ce qui derogeroit aucunement au traicté contre l'Epicurien Colotes; de Plutarque, où se meut un doute comme il est possible, que ce qui n'a aucune qualité de soy, ny en soy, puisse apporter toutes sortes de qualitez par leur assemblement et conjonction. Tout de mesme pourroit-on s'esbaïr comme la chaulx et l'eau commune estans à part, et ainsi froides quant au toucher, meslees ensemble peuvent engendrer à l'instant une telle chaleur qu'elle brusle: et de la lytharge dissoulte en du vinaigre distillé clair comme eau de roche, jectee sur de l'eau où il y ait un peu de sel dissouls dedans, transparente aussi comme l'air, seront un caillé blanc et espoix, tout ainsi que d'une jonchee ou fromage de cresme. En cas pareil les lettres qui ne signifient à part rien de soy, jointes ensemble produiront toutes sortes de divers sens: à quoy se peult approprier ce qui a esté dit cy dessus des atomes ou petites parcelles indivisibles, extrait la plus grand' part du 72. chapitre du premier livre des Perplexes de Rabbi Moyse Egyptien.
  NOUS avons desja dit cy devant tout le faict des chiffres dependre de trois differences, ainsi que <f 189v> de trois principales tiges, d'où procedent consequemment diverses branches et rameaux; la forme assavoir, ou figure des caracteres; leur valeur ou commutations; et leur assiette ou diverses transpositions: En chacune desquelles trois, il y a trois choses requises aussi pour rendre un chiffre en sa derniere et complette perfection: Qu'il soit en premier lieu inexplicable sans la communication du secret: en apres de quelque rare et gentile invention, nouvelle, et non encore trop battue ne practiquee; car celà estonne de prime face, et arreste court ceux qui se voudroient ingerer de donner dedans, quand ils ne sçauront par quel bout s'y prendre: et finablement d'oster entant qu'il sera possible, tout soupçon que ce soit occulte escriture, ne qu'il y ait rien de caché là dessouz, autre que ce qui se manifeste à l'oeil. Mais pas un de tous ces trois points ne nous peut pas estre conferé par ceste multiplication inutile de caracteres, usitee és cours des Princes; car elle est par trop manifeste, et cogneuë de tous pour un chiffre; qui n'est pas invincible pourtant, ains voit-on journellement par experience, que plusieurs personnes en viennent, et assez aiseement à bout:
Du retranchement des lettres.
Au moien dequoy en lieu d'accroistre le nombre des caracteres, il vaudroit bien mieux l'accourcir, et le reduire au moins qu'il se peut, et mesme à un tant seulement; qui est une voye assez nouvelle et incognuë jusques icy. Celà se peut effectuer en trois sortes: l'une de retrancher les lettres dont aussi bien se peut on passer, comme nous dirons <f 190r> cy apres: l'autre en desguisant un mesme caractere de plusieurs manieres; qui est une des plus grandes et secretes ruzes qui soit; comme s, et s; mais de façon qu'on ne s'en puisse presque appercevoir: la tierce procede par les redoublemens d'un mesme caractere ou lettre; et pour exemple, qui empeschera qu'un a seul servant pour d ou e; estant redoublé a a ne serve pour l; et triple a a a pour r; ou autrement. Et ainsi des autres: si que cinq ou six lettres, et encore moins, suffiront par ce moien pour exprimer tout ce qu'on voudra: joint leurs diverses transpositions, qui s'estendent infiniment, deslors qu'on passe sept ou huit, pourveu qu'elles soient diferentes: car une lettre ne se peut transposer; deux se varient de deux sortes, a b, et b a: trois de six: quatre de 24. cinq de 120. six de 720. sept de 5040. multipliant tousjours le nombre dernier resulte, par celuy des lettres qui succede apres; comme deux par trois pour trois lettres, et ce seront six: six par quatre que produiront 24. pour quatre: Ces 24. par cinq, 120. pour cinq: cestuy-cy par six, pour les six 720. Et ainsi du reste: ce qui se rapporte aux divers aspects, meslanges, rencontres, et changemens des sept Planetes és 12. signes du Zodiaque, dont procede la varieté de leurs influences à travers l'air, és Elemens; et de là se causent toutes les mutations qui y interviennent. Voicy toutes ces metatheses et transpositions des 22. lettres reduites en table par ordre: neaumoins pour y en avoir dix, douze ou quinze, en un, ou deux mots, autant du plus que du moins, ce n'est pas <f 190v> à dire pourtant qu'elles se puissent transposer en autant de sortes qu'il est marqué en ceste table, car cela s'entend si elles sont toutes differentes; sinon il ne les faudra prendre qu'au pro rata du nombre qu'il y en aura de diverses. Pour exemple ces a a a, Seigneur Dieu je ne sçay parler, par ou commance Jeremie, ne se peuvent pas transposer, pour raison qu'il n'y en a qu'une. Et en ce mot a r a qui se devroit varier de six sortes, parce qu'il y en a trois, neaumoins à cause qu'il n'y en a que deux differentes, ne se transposent qu'en la moictie, assavoir trois. En cest autre Pere qui est de quatre lettres, parquoy il y devroit avoir 24. renversemens, il n'y en a neaumoins que douze, nomplus qu'au Tetragrammaton [H] que vous avez veu cy devant:
Fueil. 156. B.
et en Sirij, qui en a cinq, dont il se transposeroit de six vingts sortes, neaumoins pourautant qu'il n'y en a aussi que trois differentes, car de caracteres semblables il n'y peult avoir de transposition, il ne se varie aussi qu'en vingt sortes, si je ne me suis mesconté, qui est la sixiesme partie; et ainsi du reste. Cecy ay-je bien voulu toucher icy en passant des anagrammes et transpositions de lettres, ou renversemens de mots, comme on les appelle; soit pour les noms propres, soit pour les devises, et autres usages à quoy on les voudroit appliquer; parce que c'est comme une maniere de chiffre: et se pourroient aisément dresser sur cecy des tables rondes et carrees, qui abbregeroient grandement le labeur extreme, que prennent ceux qui cherchent de cest artifice <f 191r> quelque gloire et reputation; non en vain, car cela est en fort grand' vogue pour le jourd'huy; si je ne craignois qu'on m'imputast de vouloir entreprendre sur leur marche; ou comme on dit en termes de vennerie, laisser courre dans l'enceinte, et sur les brisees des autres, qui se sont appropriez ceste chasse; parquoy je m'en deporte à tant. Au surplus il y a deux choses entre toutes autres, des plus vulgaires et mecaniques que nous ayons, dont neaumoins je ne me puis tenir d'admirer, quand j'y regarde un peu de pres, la si grande varieté qui y est; et encore en si peu de difference de figure et de volume, si qu'il semble que ce ne soit presque qu'une mesme chose; les clefs assavoir des serrures; et les mords de bride: car de petites dents et refentes és unes; et quelques piecettes és autres disposees diversement, font qu'ils se varient comme en infiny; si qu'à peine en trouverez-vous deux tant seulement, qui se ressemblent de tous points: Au moien dequoy je ne voy rien de plus conforme à ces innumerables transpositions de lettres; de l'ordre, suitte et meslange desquelles se produiroient plus de dictions et de divers sens, que l'esprit humain n'en sçauroit presqu'apprehender.
<f 191v> [FIGURE]
<f 192r> Chiffres doubles par les triplications des notes de algorisme.
  MAIS pour reprendre nostre propos des chiffres doubles par un retranchement de caracteres, et leur reduction à un moindre nombre que l'accoustumé, il n'y en a point de plus à propos que ceux du chiffre; dix en tout, 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 0. dont nous n'employrons icy que les huict, reservant 9. et 0. pour servir de nulles; et pour faire la separation des vocables; car sans celà en un double sens ce seroit un trop grand travail pour le correspondant au dechiffrer: et pour mesnager par mesme moien un troisiesme sens, plus secret encore que les deux autres. Il sont accouplez trois à trois pour arriver jusques au nombre de 400. autant qu'il fault de caracteres en ce chiffre carré de 20. lettres: car ce triplement va jusqu'à mille, où les notes se commancent à quadrupler, et non sans mystere; parce que mille est le Cube de dix, qui est constitué de 1. 2. 3. 4. Et d'autant qu'ils procedent par ordre, on les peult tout soudain trouver au dechiffrement, et sans peine; mais les lettres qu'ils representent se peuvent transposer en tant de sortes que l'on veult. La practique au reste en est tout de mesme que les precedentes, prenant le nombre marqué en la cellule du rencontre des deux lettres qu'on veult exprimer, en ceste sorte. Les causes premieres: et, Il ne s'effectue rien: l, et i, se rencontrent en 517. e, l, en 536. s, n, en 576. c, e, en 388. et ainsi du reste: enquoy, nomplus qu'és precedans, la diversité de couleur rouge et noire, n'est que pour une plus claire distinction. Et certes celà n'estant point encore <f 192v> esventé, tout homme se pourroit estonner de prime-face, ne voyant que dix caracteres, dont encore il n'y en a que les huict qui servent, les autres deux n'estans que pour embrouiller; car on les met à volonté, non tant seulement à la fin des trois caracteres qui vont ensemble pour deux lettres, ains au milieu, apres le premier ou second; et selon qu'ils se rencontrent pour le troisiesme sens; mais pour la distinction des mots, il fault qu'ils soient tousjours au bout des trois.
<f 192v1-2> [FIGURE]
<f 193r>   PAR ces triplications de caracteres, nous entrerons si nous voulons, comme en une mer d'infinis divers chiffremens, à guise d'un autre Archipel tout parsemé d'Isles: Et ainsi qu'és precedantes combinations de deux lettres, conjointes neantmoins ensemble, et non à les prendre une pour une, et apart, elles se changent circulairement en deux autres; icy trois associees de compagnie et sans division, n'iront que pour deux; et par consequent une et demie pour chacune s'il estoit question de les separer: dequoy naistront des artifices admirables, et non encore que je sçache guere divulguez jusqu'icy; combien que je ne les cuide pas avoir esté ignorez des Hebrieux; mais bien rarement en ont ils usé, et fort à cachetes. Car où est la vivacité d'esprit qui se peust imaginer ne comprendre, s'il n'estoit adverty de la ruze, ne voyant que noz lettres accoustumees, et tout d'une suitte et contexte, qu'elles fussent ainsi comparties en trois classes, chacune de huit; qui par leurs divers triplemens constituent chacune un alphabet à double entente, tout ainsi que le dessusdit des notes du chiffre; dont l'on n'a emploié que les huit, reservant 9. et 0, pour servir de nulles, et d'autres effets ? Et à leur exemple les trois doubles inserees icy, ss. ss. &. aller non seulement pour nulles, comme elles font en ces alphabets, ains par mesme moien faire encore deux sens apart; l'un par les diverses permutations de leur ordre, en les assemblant trois à trois pour faire une lettre; et l'autre par leurs differentes collocations et <f 193v> assiettes, comme il se verra en leur lieu ? Enquoy se verifie ce qui a esté cy devant allegué que tout le fait de l'escriture depend de la forme, de l'ordre, et de la situation des lettres. Icy donques les nostres communes vont pour les notes du chiffre; et les nombres en provenans sont en lieu de lettres, pour d'autant soulager la memoire, tant au chiffrer qu'au dechiffrer, selon la petite table que vous pouvez veoir cy dessouz; dont la premiere rengee sert pour le premier chiffre, basty des huit premieres lettres; et les deux subsequentes pour les deux autres, en les evaluant aux nombres tousjours triples aussi bien qu'eux; mais il y a en elles plus d'obscurité, quand on les cuideroit estre tant seulement commuees par transposition les unes és autres; si qu'il seroit totalement impossible d'en venir à bout sans la participation du secret. Et tout ainsi que la premiere chambre commance là par 111. cent et onze, qui vont pour r q, et nompas pour q r, car c'est 134. afin de monstrer qu'elles ne se peuvent point separer; et fine en 728. qui seroient q q; en semblable la premiere du premier de ces trois alphabets sera suivant la petite table a a a; et la derniere g b h. Du second elle commance par trois i i i qui correspond aussi à cent et onze, et à trois a a a; et fine par p k q: du 3. par r r r, et fine par Z s & : etc. Au moien dequoy, puis-je bien dire derechef, cecy se peut diversifier et estendre à infiniz rares usages et inventions qui en procedent; pour autant que les transpositions et eschanges en sont infiniz. La practique au <f 194r> reste en est toute telle que de la table precedente des triplications des notes du chiffre, parquoy il n'est point de besoin de la repeter. Mais on pourroit mesler encore ces trois alphabets tout de suitte, en sorte que la premiere lettre du premier fust la premiere; la seconde d'iceluy, la quatriesme en ordre; et la troisiesme la septiesme. Du second la premiere fust la seconde; l'autre d'apres la cinquiesme; et la tierce la huitiesme. Du tiers la premiere seroit la troisiesme; la seconde la sixiesme; et la tierce, la 9. Et ainsi du reste: qui seroit un embrouillement plus malaisé à s'en depestrer que de tous les labirinthes de Crete ou d'Egypte. Bien est vray qu'il y a du labeur bien grand, mais non tant encore qu'aux chiffres communs, lesquels avec tout celà sont fort peu seurs. Que s'il y a en ce traitté par endroits certaines choses moins esclarcies et facilitees, que par adventure aucuns ne le desireroient, qu'on l'impute partie à la difficulté du sujet, et au grand nombre de facheux points qui ont esté touchez en si briefves paroles; partie aussi, à ce que j'ay de propos deliberé espandu quelques tenebres à l'entour, pour ne les rendre, ensemble plusieurs autres artifices qui en dependent, communicables egallement, aussi bien aux indignes et ignorans, comme à ceux qui par leur sçavoir, estude et valeur le meritent.
<f 194v> [FIGURE]
  ON pourroit aussi accommoder en lieu de lettres, pour tous les chiffres que nous avons touchez jusqu'icy, et d'autres encore; et à leur practique et usage, les caracteres des sept planetes, avec une estoille denotant la huictiesme sphere, ensemble ceux des douze signes; en lieu des vingt lettres, de la sorte que vous voiez; là où ceux des planetes sont aposez pour les cinq voyelles, et les deux liquides; commançant à la Lune pour A; et non sans raison, parce que tout ainsi que la Lune est la plus basse de toutes les choses celestes, aussi A est la voix la plus profonde et enfoncee dans le gozier, voire presqu'en l'estomac; et ainsi des autres de reng en reng, tant qu'on vienne aux levres ou reside V; comme le touche sommairement le Jezirah, et apres luy Rabbi Joseph Cicatilia, en son Ghinat Egoz. Et combien que ces caracteres ne soient plus malaisez à dechiffrer, ny d'autre importance quelconque que les lettres communes estans transposees; car toutes les plus bizarres et fantastiques que l'on sçauroit imaginer reviennent à <f 195r> un mesme effect, s'il n'y a d'autres artifices meslez parmi qui les desguisent, et esloignent de la conjecture des dechiffreurs; neaumoins ceux-cy estans accouplez de la maniere que dit est, leur donneroient je ne sçay quoy à penser de pleine arrivee, qui plus longuement les pourroit tenir en eschec. De cest exemple vous pouvez imaginer tout le reste, car celà va d'un mesme bransle.
[FIGURE]
Amelioration de quelques chiffres de la Polygraphie.
  LES mots barbares pareillement, dont l'Abbé Tritheme dresse tant d'alphabets és trois, et quatriesme de sa polygraphie, ne les y faisant servir neaumoins que pour une lettre chacun, se pourroient trop mieux emploier à l'usage de ces chiffres doubles, quand l'on en arrangeroit quatre cens, voire huict en les accouplant deux à deux pour plus grande varieté, au lieu des deux lettres, ou trois notes du chiffre mises ensemble cy devant pour un mesme effect. Et si par un autre artifice encore, dont ledit Tritheme ne monstre pas en avoir eu seulement l'odeur, nomplus que des precedans, toutes les consonantes de ces mots, et semblables que chacun se vueille forger à sa fantasie, iront chacune pour une lettre; <f 195v> car les voyelles en cest endroit ne serviront que pour lier les consonantes à quelque diction prononçable, à guise du mortier ou ciment en un ouvrage de maçonnerie. Et en cecy il y a deux choses à remarquer, qui se toucheront plus à plein cy apres; la reduction assavoir des lettres à un moindre nombre; et la varieté de figures en des mesmes caracteres; dequoy dependent de tresgrandes commoditez és chiffres, selon la petite table suivante.
[FIGURE]
  ICY il n'y a que seize lettres qui servent, parce que f g q x et z s'en peuvent retrancher; assavoir a b c d e h i l m n o p r s t u. En la construction des vocables, les voyelles qui y sont apparentes, assisteront comme pour nulles; et ne serviront que de liaison: Pour exemple prenons derechef le mesme <f 196r> subject que dessus; Les causes premieres; mais il fault estre premierement adverty, que les dix consones qui servent, se transchangent l'une pour l'autre, comme vous voiez: h va pour h; et les cinq voyelles se couvrent sous les cinq consones inutiles; lesquelles se representent si vous voulez par les cinq caracteres qui leur respondent audessous, qu'il fault escrire ainsi differemment comme ils sont en lettre italique, horsmis le k si on ne veult, parce qu'il n'est point employé ailleurs; et ce pour les discerner de ceux qui servent secretement de voyelles. Donques l, se change en r, apres laquelle il fault adjouxter une voyelle pour la liaison; prenons la premiere venue a; au lieu de e se met g, adjouxtez o: pour s se met c; il y aura ragoc: car il ne faut point de suitte de voyelle si vous ne voulez, d'autant que c'est la fin du mot. Enapres c se represente par s; mettez o: a se reprsente par f, mettez e: u par z; vous aurez sofez: s derechef par c mettez a; e par g, mettez i; s par c; cagic: p par b; avec un o; r par l, avec a; e par g avec o; bolago: m par n; avec e; i par q avec u; e par g, avec i; nequgi: r par l, avec u; e par g avec o; s par c; avec a; lugoca. Somme qu'il y aura pour ces trois mots contenans 18. lettres ces six dictions; ragoc sophez cagic bolago nequgi lugoca. Mais il ne fault oblier de les separer, de peur d'embrouiller et confondre tout; et de les escrire par les caracteres tels qu'ils sont representez en cest alphabet: au lieu desquels six il en faudroit trois fois autant, selon le troisiesme de la polygraphie, <f 196v> en ceste sorte: Abran madu badil cadilin pasa adur laron masaru damis bodur omer dromu drel varon masiru phis laru medis. Par le quatriesme livre il est encore plus prolixe, et plus aisé à descouvrir, jusqu'à un enfant qui sçauroit lire tant soit peu; parce que la lettre qu'on veult exprimer est tousjours la seconde du mot; comme Elamach mesar astrafi, LES: Acalach daban durman asyphas meron osiel, CAUSES, etc. Mais il n'est pas question de courir icy de suitte tous les alphabets comme en l'autre si l'on ne veult; parce que vous pouvez chiffrer par un tout seul ce que vous voudrez, en ceste façon; bien est vray qu'un mesme mot y seroit repeté plusieurs fois; Elamach nerach asarach ecorach baldach lusaphac asarach nerac asarach; et si ces desinences toutes semblables seroient merveilleusement ennuieuses, et le chiffre plus aisé encore à descouvrir; neaumoins on peult transposer les valeurs de ces secondes lettres, les changeant les unes és autres. Mais avec tout les remedes et desguisemens qu'on y sçauroit faire, ce ne sont pas artifices dignes de comparoistre parmy tant d'autres plus exquis, s'il n'y a quelque finesse latente qu'il n'a voulu manifester: aussi ne les ay-je icy aposez, que pour monstrer qu'ils se peuvent meliorer.
  PLUS tolerable sans comparaison, et de plus grand abregement beaucoup; Frustra enim fit per plura, quod per pauciora fieri potest; porte la maxime commune; seroit d'emploier à ce mesme effect, les monosyllabes, fort familiers en nostre langue plus qu'en nulle autre: <f 197r> à propos dequoy je vous en ameneray icy une histoire, dont par mesme moien se manifestera l'artifice d'un chiffre, lequel s'estend à beaucoup d'autres; invincible au reste, de toute invincibilité. L'an 1551. que j'estois encore à Rome, Monsieur de Termes qui depuis a esté Mareschal de France, y aiant esté envoié au lieu de Monsieur Durfé, mais plustost pour dresser les preparatifs de la guerre qui se meditoit en Thoscane, et à la Myrande par le Pape Jules tiers de ce nom, à l'instance et subornement des Imperiaux, que pour les depesches des benefices, et autres telles negociations dependantes de l'ambassade, qui n'estoit pas si bien de son gibier que le fait des armes; comme les chemins fussent desja cloz par la voye ordinaire, si qu'il falloit aller prendre un fort long destour par la Romaigne, et delà par le Venitien à travers les grisons et les Suisses; et que toutes choses commençassent à se surveiller de plus pres, il y avoit lors un Messere Paulo Pancatuccio de Volterre, apointé du Pape pour les dechiffremens, en quoy à la verité il estoit assez honnestement versé, et y faisoit quelques petits miracles du bas bout; mais certains bons compagnons du party François, cherchans à luy donner une cassade, s'en vont contrefaire une lettre en chiffre, adressante, à Monseigneur, Monsieur le Baron de Grissemenisse, grand Superintendant, etc. telle estoit la subscription du paquet; et en la mesme couverture ces mots encore de l'autre part; Cestuy-cy soit recommandé sur tout autre pour l'importance dont il est: <f 197v> et advertissent le courrier de ce qu'il avoit à faire: lequel joüa fort bien son roolle; car arrivé qu'il fut à Espollette à la poste, feignant de chercher quelque chose dans sa valize, il oublie de propos deliberé ceste depesche sur le buffet; qui n'y fut pas plustost trouvee, que le maistre de la poste ne l'envoiast tout à l'heure mesme au Secretaire maieur de sa Saincteté; lequel la mit és mains de Messere Paulo: et luy de donner dedans d'estoc et de taille, à tort et travers; tant qu'assez aiséement il en arrache quelques mots; car ce n'estoit qu'une bien simple transposition de lettres, telle que vous avez veu cy devant au fueil. 11. Dont remply de grande allegresse il s'en va de ce pas porter au Secretaire ce qu'il en avoir dechiffré; contenant en substance ce qui s'ensuit. Les affaires vont icy de la sorte que je vous vois dire; et se font de toutes parts de fort chaudes menees souz main, par le moien de Monseigneur l'Illustrissime DINERO (ce mot estoit chiffré en capitales) qui commande à tout comme vous sçavez: mais je vous supplie de ne divulguer ce que je vous mande; car peut estre on ne trouveroit pas bon que vous en fussiés servi le premier. Pour commancer donques à vous le deduire de fil en esguille. S'en estant retorné poursuivre le reste, il trouve tout une autre chanson qu'il n'attendoit pas; et ce à l'exemple de ceste interieure inscription de la sepulture de Semiramis; Herodote l'attribue à Nitocris, là où par le dehors il y avoit escrit en grosses lettres onciales; QUE CELUY QUI AVROIT AFFAIRE D'ARGENT LA FIST OUVRIR; MAIS QU'IL N'EN PRIST QUE CE QU'IL LUY EN FAUDROIT PAR NECESSITÉ. Dequoy <f 198r> Darius, Prince avare aiant voulu faire espreuve, trouva d'autres lettres contr'escrites par le dedans, qui disoient ainsi: SI TU N'ESTOIS UN MAUVAIS HOMME ET INSATIABLE, TU NE TROUBLEROIS PAS AINSI PAR TON AVARICE LE REPOS DES MORTS, EN DEMOLISSANT LEURS SEPULCHRES. Il y avoit donques en ceste sorte: O pauvre miserable esclave que tu es de dechiffremens, où tu perds en fin ton huille et ta peine, que te sert-il de te ronger ainsi le coeur apres ces vaines curiositez, presumant par ta laborieuse recherche pouvoir atteindre à descouvrir les secrets des autres, qui sont reservez à Dieu seul ? Or emploie ton loisir et occupation desormais à de plus fructueuses choses, sans ainsi inutilement dissiper le temps, dont toutes les faveurs et thresors de ce monde ne sont bastants pour t'en rachepter une seule minute. Et de fait, espreuve encore si tu pourrois tant seulement parvenir à la moindre lettre de ce qui suit cy apres. C'estoit un chiffrement à double sens, tout formé de monosyllabes, selon la table que vous voiez, où chaque mot va tousjours pour deux lettres, de quelque costé que on les vueille prendre; le reng d'enhault marqué de noir monstrant celles dont lesdits monosyllabes commancent, affin de les pouvoir choisir plustost au dechiffrer; et les rouges y correspondantes, celles pour qui ils sont emploiez, avec les autres capitales rouges aussi qui sont à costé, au rencontre desquels deux ordres, l'un perpendiculaire, et l'autre transversal, se trouve le mot qui represente les deux lettres du double sens, dont l'un estoit, mais il ne le sceurent pas lire, et <f 198v> ne se pourroit en sorte quelconque sans le secret, Le Pape à l'appetit d'autruy a entrepris une chose: et l'autre; dont peult estre il ne mettra guere à se repentir. Car premierement cela estoit chiffré en ceste sorte: pour l, du premier, en hault, et d du second, à costé, à leur rencontre se presente ce mot poing: pour e, et o, nud: p, n, vous: a, t, gect: p, p, vueil: e, e, noir: a, u, gens; et ainsi du reste; de maniere qu'il y avoir ces mots icy, pour tous les deux sens, l'un quant et l'autre; poing nud vous gect vueil noir gens point gect vingt nect dent pain don moins gris fonds don bord flanc paix gaing nez seul deux bled nain vingt beau pair cinq faim sens nuict loin art teint clef nain. Mais tout cela estoit puisapres couvert d'une seconde envelouppe; et surchiffré lettre par lettre, par la premiere table du fueil.
Fueil.49.
46. dont la clef estoit un P, en ceste sorte p, de p, donne l: o de p, i: i de o, p: n de i, f: g de n, n: si que voila ce mot de poing mis icy pour les deux lettres l, d, surchiffré par autant qu'il en contient, l i p f n. Et qui est celuy maintenant qui peust venir à bout de cela ? car en premier lieu il n'est possible d'obtenir ceste premiere couverture, dependant d'une clef mentale comme il a esté dit en son lieu: et quant l'on en seroit venu à bout, ce seroit meaumoins à recommancer, quant on ne trouveroit que ces monosyllabes qui servent d'un autre chiffre interieur, et qui est à double sens quant et quant. Mais de ces envelouppes à guise d'escorces et escailles, plus à plain cy apres: Cependant voicy la table de ces monosyllabes.
<f 199.1-2> [FIGURE]
<f 199r>   OR tout ainsi qu'és chiffres doubles d'icy dessus, un seul caractere sert pour deux lettres, mais il en fault aussi 400. au lieu de vingt; ou 256. en lieu de seize; et tous differends, pour faire les quadratures desdits nombres; au rebours nous en amenerons icy de simples, ou plusieurs caracteres ne feront qu'une seule lettre; non ja assemblez en des vocables signifians, comme ceux du premier, et du second livre de la Polygraphie, ains ineffables en apert, nonobstant que ce soient nos communes lettres; car il n'en aura que de trois sortes si vous ne voulez, voire de deux, et encorse d'une tant seulement; estant possible par ceste voye d'en escrire toutes vos intentions: dequoy nous amenerons icy quelques artifices, et par cy apres derechef de plus excellens; partie empruntez des autres, mais ameliorez de nous; et la plus grand part provenans de nostre pure invention. En premier lieu voicy une table où il y a jusqu'à 27. accouplemens des trois premieres lettres; au lieu desquelles vous pouvez user de trois autres telles que bon vous semblera, ou de caracteres faits à plaisir, car cela n'importe de rien: on peult mesme se servir de ceux du chiffre à compter, comme ils sont icy evaluez ausdites lettres; de points aussi, et de lignes toutes semblables; et d'autres qui sont differentes par leurs longueurs: Plus des notes dont se marquent les quantitez des syllabes, longues et briefves – +. Mais cela a diverses considerations et usages; car les <f 199v> points et lignes pareilles vont par certain ordre de leurs associations et redoublemens; comme font tout de mesme les quantitez, toutesfois non tant, parce qu'elles sont de deux sortes: quant aux lignes qui se varient par leurs longueurs, parquoy elles se pourroient infiniment desguiser, nous n'en prendrons icy que trois differences, pour correspondre aux trois lettres, et notes du chiffre: mais à l'imitation de cecy se pourront mediter plusieurs autres inventions, et tant qu'on voudra; parquoy il suffist d'en avoir touché les maximes. Le nombre au reste de vingt sept, a esté choisi tout expres; tant à l'exemple des Hebrieux, que pour ce que c'est le Cube du Trois, autant qu'il y a de lettres differentes icy; ouquel s'accomplist la parfaicte revolution de toutes les transpositions et assemblemens qui peuvent escheoir au Ternaire: et cela les pourroit bien avoit induit, d'adjouxter les cinq finales à leurs anciennes vingt deux lettres, pour arriver à ce nombre de 27. Finablement les lettres que representent ces 27. triplications, sont icy transposees hors de leur ordre accoustumé, pour tousjours obscurcir davantage le chiffre; mais celà se peult varier comme on veult.
<f 200r> [FIGURE]
<f 200v>   POUR exemple; L'esprit humain peult atteindre à tout; Celà sera escrit en ceste sorte de trois lettres seules, mais qui triplees ne serviront toutesfois que pour une; car celà se faict moiennant leurs diverses associations: a c b a a b b a c b b c b a b a b c b c a a b b b c b a c c c c b a b c b b b b b c a a b b c b a c b b c a c c b b c a b c a a a b a b c b b b a a a b a b a a b c c b b c a b b a b c b b c a. Tout de mesme il se peult faire avec les chiffres, les points, lignes, et quantitez, correspondentes ausdites lettres. Par les chiffres; 4 8 7 4 4 7 7 4 8 7 7 8 4 7 7 4 7 8 7 8 4, l'esprit. Par les points · ·· ·· ·· ··· ·· · ··· ··· ··· ··· ·· · ·· ··· ·· ·· ·· humain; les lignes – – – – –– – – – – – – –– – – – –– – – – – –– – peult: les quantitez – –. – – ++. – – ++. – +. – – +. – +. – –. ++. – – – – +. – +. atteindre. Icy il y faut des points pour distinguer les lettres, par ce que n'y aiant que deux sortes de caracteres – +. ils sont aucune fois seuls, ou doublez, triplez, quadruplez; et les autres tousjours uniment trois à trois. Il y en a eu de si curieux de chercher par ces quantitez une autre maniere de chiffre qui s'y rapporte, fort ingenieux à la verité, et subtil, mais penible ce qui se peut; assavoir au lieu de ces caracteres chercher des vocables, Latins principalement qui y correspondent. Comme pour a, qui est marqué par une longue toute seule avec un point – · ce mot de Vox, qui est long; pour t, deux longues et deux briefves; – – ++, haec flebilis; pour e, une longue et une briefve, alta, pour i, deux longues, et une briefve, proferret; pour n, une longue, une briefve, une longue, – + –, anxios; pour d, deux briefves ++, cruci; pour r, trois longues <f 201r> une briefve, – – – +, atus in pa; pour e, une longue, une briefve rente: Vox haec flebilis alta proferret anxios cruciatus in parente. Mais celà seroit si laborieux, principalement pour faire un sens congru, que je ne pense pas qu'il fust possible d'y arriver à la longue, nompas mesme en quatre ou cing lignes de suitte. Trop plus commode seroit l'artifice de la polygraphie; et ce qu'à l'imitation de Tritheme en a projecté Baptiste Porte en ses chiffres. Quant aux asterisques *, triangles ¥ , rondeaux O, et semblables notes qui n'ont aucune diference entr'elles; tout celà, comme une seule lettre, aussi, s'en va le mesme train que les points, en les separant aucunement l'un de l'autre ainsi qu'eux. Pour exemple, prenons o qui est rond; pour escrire le mot de Ateindre, il y aura en ceste sorte; ooo ooo oo oo ooo o o o oo o oo ooo oo oo oo o o o oo o oo o o oo. Mais ce seroit le meiller de remplir les espaces avec des lettres, une, deux ou trois à vostre fantasie et discretion; qui iroient pour nulles: comme si des trois dessusdites a b c vous ne voulliez prendre que le c qui servist, Il y faudroit aller ainsi: l'esprit; c b c c c a c c a c b c a c c b c c a c b c c c a c c b c c a c c c b c c a c b c c a c b c c a c c c b c c a c c c b c a. Et d'infinies autres manieres; mais il y va une grande perte de lettres; et si cela se peut plus commodément cy apres de nostre invention. Cependant pour poursuivre celles encore qui dependent de ce mesme suject de trois lettres, en voicy une table plus abregee, revenant neaumoins à un mesme effect.
<f 201v> [FIGURE]
  LA PRACTIQUE au reste en est telle. Voiez parmy les petites lettres marquees de noir, celle que vous voulez escrire; et en son lieu mettez les deux capitales rouges qui sont accouplees ensemble au front d'enhaut respondantes à ladite lettre, avec la capitale rouge qui les va croiser en travers, de la main gaulche vers la droicte; toutesfois il ne les faut mettre en capitales, car celà n'est ainsi marqué que pour les pouvoir discerner; ce qui s'esclarcira mieux par exemple: L'esprit humain; au dessus de l, se presente a b, et à costé a; mettez doncqu' a b a: au dessus de e, sont b b, et a costé b, b b b dessus s, b c, avec b a costé, b c b: sur p, a c, avec b; a c b: sur r, b c, et à costé, a; b c a: sur i, c c, avec c; c c c: et sur t, b c, avec c: b c c il y aura a b a b b b b c b a c b b c a c c c b c c et ainsi du reste. MAIS pour se resteindre des trois lettres qu'il faut emploier à deux seulement, il sera besoin se servir de cinq au lieu de trois, de ceste sorte, toutes-fois on les peut transposer à plaisir.
<f 202r> [FIGURE]
  POUR chiffrer donques; Atteint par tout; faites ainsi: au dessus de a se trouve e, és capitales d'enhaut, et en celles de costiere, d; mettez e d: au dessus de t, est e encore, et a à costé; e a: e donne a d: i, b d: n, c c: t, e a: p, d a: a, e d: r, d c: t, e a: o, c d: u, e b: t, e a. Assemblez, il y aura; e d e a a d b d c c e a d a e d d c e a c d e b e a. Chiffre double.
  DE CECY part encore un bel artifice, de se reserver un second sens caché parmy le premier, si l'on estoit surpris, et contraint d'exhiber son chiffre: et ce par le moien de cinq lettres des vingt-trois, qu'on reserveroit pour nulles; par ce qu'on se peut passer de dix-huit voire de moins, et retrancher q. mettant en lieu c u, et pour x, c s: Quant à y Z &, elles ne sont point autrement necessaires: lesquelles cinq nulles iront pour les cinq voyelles, qui joüeront le roolle de ce double sens, comme il s'ensuit: mais le tout se peut aussi transposer. C'est icy le chiffre que vous pourrez communiquer.
<f 202v> [FIGURE]
  ET cest autre sera l'occult, que vous reserverez à part pour le sens secret, qui sera beaucoup moindre; et s'escrira par les cinq voyelles qu'on alleguera estre inserees pour servir de nulles; en les accouplant deux à deux pour faire une lettre, comme au precedant.
[FIGURE]
  SOIT donques que vous vueillez escrire ce qui s'ensuit, tiré d'une sentence du Zohar; par le premier <f 203r> de ces deux chiffres: En toutes les divines persecutions le plus seur est de s'enfuir bien tost et au loin devant la face de l'Ange qui en est le ministre et executeur. Et l'autre qui est secretement meslé parmy; Cela n'est pas cogneu de tous; l'on procedera de maniere, que celuy-là ira son train par la transposition des lettres de la premiere de ces deux tables, ou autres semblables; et cestui-cy se meslera à la traverse selon la seconde: ce qui n'est qu'un esbauchement de plusieurs autres artifices, d'inserer un ou plusieurs sens souz le pretexte et couleur des nulles, qui se toucheront cy apres, non encore atteints de personne, et celà pouvons nous affermer, car jusques icy on ne les a point emploiees à de tels usages, aumoins dont on aye eu cognoissance: e en premier lieu se change en l: n en t: t en b: o en x: u en c: t en b: e en l: s en & ; somme, En toutes et ainsi du reste. Entremeslez y maintenant les voyelles servans de nulles selon ceste seconde table, pour le sens reservé à part; mais celà depend de vostre discretion de le faire bien à propos, combien que la carriere vous en soit libre; neaumoins il ne les y fault inserer que de quatre en cinq lettres; quelquefois les deux tout ensemble, car ces deux ne vont que pour une lettre; et aucune fois separees; parce que le consachant du secret les sçaura fort bien recognoistre au dechiffrement. Pour exemple, ce qui le donnera mieux à entendre; apres l t qui font en, mettez pour c qui est la premiere lettre du second sens; les deux qui luy correspondent au front et costiere, assavoir a e, apres s &, qui <f 203v> est la fin du mot toutes, adjoustez pour e la seconde lettre de a e: etc. Somme que l'escriture se trouvera estre telle que vous pouvez voir cy dessous. Enquoy il faut estre adverty, qu'icy les lettres qui servent pour le second sens, et qu'on voudra faire passer pour nulles U tous autres qu'à son consachant, sont marquees de rouge, afin de donner tant mieux à comprendre et faire discerner l'artifice; car en escrivant à bon escien il ne le fault pas faire ainsi, ains toutes de noir de peur de donner soupçon: [X] l t a e b x c b l & a o r l & h q c q t l & i a y l z u o & l g c i b q x t & i r l y r c & a o & l c z o l & b o h l & l t m c q z u a f q l t o b x & b a e b d c r x q t u o h l c d t b o o r d m d g l a e h l i o r d t n l e e g c q i i l t a l & b o r l u e s q a i t q & b z l a o l b u a l & l g c u e b l c z o o. Cecy tailleroit bien de la besongne aux dechiffreurs par conjecture sans alphabet; car l'une de leurs principales reigles estant de compter le nombre que chaque caractere se trouvera en tant de lignes; et de prendre les plus frequentes pour les voyelles, d'autant qu'en toutes syllabes il y en a pour le moins une; c'est ce qui les abuseroit, quand ils les trouveroient plus dru semez que nuls des autres, ne servans toutesfois de rien en l'un des sens; et en l'autre pour toutes les lettres.
  IL y a encore une autre maniere dont fut autheur certain Gueldrois, ce dit Cardan, qui procede aussi par trois caracteres; nompas par la triplication d'iceux, comme és precedentes, mais par leurs diverses collocations et assiettes; dont l'usage depend de <f 204r> ceste petite tablette, laquelle ne se doit eslargir davantage que vous voiez, car là consiste tout le secret; que je n'appreuve pas beaucoup quant à moy, estant fort laborieuse et penible, et avec cela de peu d'importance et engin. Pour x vous ferez comme cy dessus, ou bien vous adjousterez une virgule, ou un poinct, et pour h pareillement, ou en autre sorte; ce qui obscurcira le chiffre davantage, à cause qu'on pourra referer cela à autant de punctuations.
[FIGURE]
  AU SURPLUS elle doit estre carree, et couppee en la face d'enhault toute raze: Puis quand vous en voudrez escrire, il faudroit reigler vostre papier pour le mieux, avec du plomb ou du charbon, pour aller plus juste, et qu'on le puisse effacer apres avoir faict. Appliquez doncq' ceste face d'enhault sur la ligne trassee; et marquez tout premierement l'une des trois capitales que vous voudrez, car elle ne servira que pour conduire et addresser les petites lettres qui font l'escriture; esquelles vous chercherez la premiere de vostre subject; qui soit encore pour exemple le dessusdit, Es divines punitions; ce sera un e auquel <f 204v> correspond a és capitales. Transportez le second espace où est le petit a justement souz a ja marqué, Puis cherchez la seconde lettre de vostre theme, qui est s, et marquez celle qui luy respond, assavoir d: et poursuivez ainsi, mettant tousjours le petit a souz la lettre derniere escrite, et y marquant en lieu, l'une des trois capitales A B C en petit volume, car il n'y a qu'elles emploiees icy, à l'endroit où la lettre que vous voulez representer se rencontre. Mais le mal est qu'il se presente en certains endroits plus qu'en d'autres, des espaces bien plus distans; qu'on peut neaumoins remplir d'autres lettres qui ne serviront que de nulles. Au surplus ceste invention se peut dire avoir plus de subtilité que d'effect dont on puisse se prevaloir; et la subsequente de mesme, pour autant que les vuides en seront plus distans encore, et plus malaisez à remplir, et à discerner: mais je n'ay voulu laisser pour celà de les representer icy; parce que l'ordinaire des hommes est de convoitter plus ardemment, et faire plus de cas des choses absentes, que de celles qu'ils ont à leur veuë et en main: joint que cecy donnera lustre aux inventions qui sont trop plus ingenieuses, quand on les viendra confronter par ensemble.
<f 205r> [FIGURE]
  TOUT de mesme est, celle du chassis ou papier perlé par endroits, de la sorte qu'on voit cy dessouz, ou autre telle qu'on voudra; ou quel dans les fentes et ouvertures on escrit ce qu'on pretend estre cogneu du correspondant; puis on remplist les espaces de quelques syllabes ou mots entiers, qui confondent et pervertissent le sens qui y est exprimé: mais celà ne me semble pas gueres seur, parce qu'il reste tousjours quelque marque d'inegalité en ceste reiteration d'escriture, qui ne va pas tout d'un mesme fil et teneur; joint qu'il est assez malaisé d'arriver si precisement à trouver une suitte de mots sur ceste escriture premiere, où il y ait un sens si naïf qu'on ne s'aperçoive de l'artifice. Il faut au reste que ce chassis soit d'une lame fort deliee, d'argent ou de cuyvre, et proportionnelle au calibre dont on veut escrire: que vostre correspondant aussi en aye une semblable, et persee de la propre sorte: reigler quant et quant le papier de peur qu'on ne varie en escrivant. Quand on veut lire le contenu, et celà est bien plus aisé que d'accommoder l'escriture, il ne faut qu'apliquer le chassis là dessus, lequel couvre tout ce qui ne sert que pour desguiser <f 205v> ce qu'on veut mander, le lessant en veuë. En voicy un portrait, sur lequel s'en pourront former plusieurs autres tous differens, à la discretion d'un chacun: et la dessus se mesnager un sens secret par la voye des dimentions, selon les distances des trouz et des espaces comme il se verra cy apres; mais cela ne serviroit que pour un seul coup.
[FIGURE]
  IL y a un autre artifice que touche Baptiste Porte, non à rejecter de vray; ains assez subtil et ingenieux; au reste si c'est de son invention ou d'autruy, il n'en <f 206r> sonne mot: Tant est qu'il y procede avec des clefs, et par certain ordre des lettres, en ceste maniere. Il vous assiet autant de points à egalle distance les uns des autres, comme le subject qu'il veult exprimer contient de lettres: et sans les desguiser autrement les marque esdits poincts, selon qu'elles se rencontrent avec celles de la clef qui reiglent tout. Mais cela vous sera mieux manifesté par exemple; car je l'ay leu et releu plus que d'une fois, avant que d'y pouvoir mordre, ne comprendre ce qu'il vouloit dire: laquelle obscurité provient en partie, pour ne se sçavoir expliquer si bien les uns que les autres; en partie aussi pour ne nous estre la langue Latine si familiere et connaturelle comme elle estoit aux anciens Romains; et qu'à chacun de nous endroit soy est le vulgaire que nous succeons avec le laict de la norrisse; les autres ne nous pouvans jamais estre si naifves et si aisees, ains contraintes, d'autant qu'elles consistent seulement en une rottine. Il prend donques ce theme icy; et pour clef celuy qui est audessous appliqué lettre à lettre. P o s t b e l l o m a x i m o a c e r r i m o c a s t u m f o d e r a t l u c r e t i a p e q u e c o n f l a t o. c t u s a l g a z e l. La premiere lettre du subject estant p, et la premiere de la clef, c, qui est la troisiesme de l'alphabet, il met sur le troisiesme poinct, p. La seconde est o, a qui correspond a de la clef, qui est la <f 206v> premiere; parquoy il met immediatement o apres p: Pour s, la troisiesme du sujet, se retreuve un autre s aussi de la clef; et pource qu'elle est la 17. il passe dudit o, jusqu'au 17. point ensuivant, pour y marquer s. T suit apres au 4. lieu, tant du sujet que de la clef; et pour ce que c'est la 18. lettre, il saulte 18. points depuis s la dernier marquee, pour y asseoir t. Et va ainsi continuant comme vous le pouvez icy veoir: Que si d'aventure deux lettres se venoient rencontrer sur un mesme point, comme il peut souvent advenir, il faudra enjamber par dessus sans le comprendre au nombre, jusqu'au premier point vuide ensuivant. c · p o t · l o · i · a · · · · · · · l s m · b o x · · · m · · · · · · Post bello maximo : mais quant il y aura une lus longue suitte de sujet, celà dira mieux. Et certes ce n'est pas une invention trop disgraciee; bien que penible, et sujette à se traverser: au moien dequoy pour la rendre aucunement plus facile et moins dangereuse, il nous a semblé d'y proceder par une autre voye, qui est plus claire et abregee; sans estre sujette à laisser des vuides, ny sauteller ainsi par dessus les points qui seroient remplis, ains passer outre tout d'un train sans interruption; ny s'embarrasser à des clefs, qui en cest endroit n'est qu'un superflu surcrez de labeur: mais nous en reserverons l'usage et practique pour les chiffres à plusieurs escorces, dont nous parlerons cy apres; à quoy ceste tradition est la plus propre de toutes autres. <f 207r>
  QUI voudroit maintenant parcourir toutes les diverses sortes de chiffres, celà iroit comm'en infini, par ce que chacun s'en peut tous les jours inventer de nouveaux, où les autres n'auront pas encore pensé: mais en tout celà il n'y a que deux ou trois principaus buts où l'on doive tendre; assavoir de se dresser des alphabets non trop embrouillez, ne confuz d'une oisive multitude de caracteres, afin qu'ils ne soient ennuyeux, mais assez aisez à chiffrer et à dechiffrer; et avec cela invincibles à tous ceux qui n'en entendront le secret: et qui ne se puissent perdre, oublier, descouvrir, ne communiquer à personne si l'on ne veut: et tels sont sans doubte ceux des premiers tables; les carrez et doubles aussi; et en somme tous les autres que nous avons touchez jusqu'icy; qui se peuvent desguiser en tant de sortes qu'on voudra, neantmoins ce sera presque tousjours une mesme chose à peu pres. L'autre maniere est d'excogiter quelque bizarre et fantastique façon d'escriture, qui n'aura encore comparu sur les rengs, ny esté divulguee en publicq, telle que quelques-unes que nous donnerons cy apres; en quoi toute soupçon soit ostee que ce puisse estre lettre lisable par aucun artifice quelconque.
Artifices de la Steganographie, mais fort douteux.
Et finablement d'arriver, s'il se peut, à une du tout conforme à l'escriture commune, où il y ait exterieurement du sens, si qu'on ne puisse presumer qu'il y ait rien caché dessouz, ains tant seulement ce qui se voit en apparence; comme est l'artifice de la Steganographie, dont nous avons produit les exemples <f 207v> qu'en donne Tritheme. Cardan livre 12. de la varieté des choses, chap. 61. et Baptiste Porte en griffonnent je ne sçay quoy; qui est d'avoir deux gros livres d'un mesme autheur, impression, et volume; l'un pour soy, et l'autre pour son correspondant; et ce en la langue où l'on veut escrire; comme pourroit estre un Pline ou Plutarque, et autres tels, où il y ait une grande diversité de matieres, qui est requise en cest endroit: et cotter la page où l'on veut commancer, par la datte de la depesche, ou semblable signe qui vous puisse servir d'advertissement: Pour exemple, si c'estoit du 10. du mois, il faudroit que celuy à qui elle s'adresse, prist garde à la dixiesme page: mais de celà il n'y a qu'assez d'expediens trop plus propres, s'il ne tenoit à autre chose. On met donques au moins de paroles que faire se peut, ce qu'on veut escrire secretement: celà fait, il faut chercher le premier mot de vostre sujet en ceste page, où s'il ne se s'y rencontre, passer outre és autres suivantes; et au lieu d'iceluy prendre le precedant ou le subsequent, selon que vous en serez demeuré d'accord. Et pour marquer l'endroit de la depesche où le correspondant doit prendre garde au dechiffrer, ils enseignent que celà se face avec une capitale un peu grandelette, pour la faire discerner du reste; et finer ainsi, à fin de ne le travailler en vain: ce que je trouverois trop meilleur de faire en rayant ce premier mot, ou un autre en lieu, comme s'il y eust eu quelque faute en l'orthographe ou escriture : et de <f 208r> mesme à la fin du propos; ou par quelque autre marque et signal; car la campagne est belle et large en cest endroit pour s'y dilater à plaisir, chacun selon sa fantasie en maintes diverses manieres: puis faut ainsi poursuivre de mot en mot par la mesme voye. Mais quelque chose qu'ils veulent dire, je ne voy pas comme celà se puisse faire, m'y estant assez travaillé, et pour neant. Je ne dis pas qu'il ne puisse bien reüssir en quelque endroit, ainsi qu'és exemples par eux amenez, plustost à mon jugement asserviz sur la suite des livres, que les livres au sujet qu'ils ont voulu representer, ce qui est courre le contrepied; car il adviendra le plus souvent, que douze ou quinze mots qu'on voudroit escrire, ne se rencontreront pas peut estre à propos en cent ou deux cens fueillets; et encore fort rarement pourra-il avoir du sens au contexte et suite d'iceux. Puis, comment est-ce, selon que nous avons desja dit cy dessus, qu'on pense faire quant aux noms et surnoms; et infinies particularitez de ce siecle, qui n'ont rien que ce soit de commun avec les autheurs anciens, ny le plus souvent aux modernes, ny autres livres qui soient en estre ? Car celà se varie sans cesse selon les circonstances du sujet, et les occasions qui surviennent, rarement semblables les unes aux autres. Au moien dequoy c'est un trop extreme labeur; et qui quant et quant de cent fois n'en reüssira pas peut estre deux bien au net, qu'il ne le faille replastrer, rabiller, racoustrer avec plusieurs adjoustemens, qui en fin noyent et esteignent du tout <f 208v> ce peu de lumiere que le dechiffreur en devroit recueiller: comme mesme est contraint d'advoüer iceluy Porte, liv. 2. chap. 17. où il s'interprete un peu mieux: At cùm sine ordine, et sine aliqua vera significatione veniet, sic eam accommodabimus: multa inseremus verba, vt ordine aliqua significent; et vt supervacanea noscantur ab amico, linea notabimus. Vel etc.
Autre artifice.
LE mesme est-il de l'artifice qu'il traicte encore, de choisir les mots dont l'on a affaire, dans quelque livre; et marquer leur place en une fueille de papier huillé, pour le rendre par là transparent, de la mesme marge que sera le livre: Puis les pocher sur du papier blanc non huillé, et du mesme calibre, et l'envoier à son correspondant; lequel l'ayant huillé, et appliqué sur les mesmes pages, y discernera les mots ausquels se doivent raporter les marques.
Autre encore.
D'AUTRES procedent par une autre voye par le livre aussi, mais non avec des mots entiers, et hors de soupçon, comme ceux-là pretendent faire, ains lettre à lettre par des nombres; dont le premier accompagné d'un coma au derriere pour en faire la distinction, marque la page; le second avec une virgule, la ligne; et le tiers avec un poinct, la quantiesme lettre sera celle qu'on veult exprimer. Pour exemple soit ce mot icy charité; je prendray la 17. page de ce traicté, en laquelle la lettre e arrive à estre la premiere de la seconde ligne; parquoy je marque, 17: 2, 1. h estant la 21. de la 3. ligne; je mets 3, 21. a, la seconde d'icelle mesme, 3, 2. r la 31. je mets 3, 31. i la 19. de la 4. je <f 209r> mets 4, 19. t la 11. d'elle mesme 4, 11. et e la vi, 4, 6. Ce chiffre à la verité est inexpugnable sans la communication du secret; car que seroit-il possible de conjecturer là dessus ? mais il est fort laborieux tant au chiffrer qu'au dechiffrer; et subject à se mesconter: Puis il y a tant de caracteres pour chaque lettre, qu je n'y trouve pas grande faveur: Il suffist de l'avoir atteint en passant, parce que j'en ay veu quelques-uns le tenir fort cher, et en faire grand cas; comme fait du sien un Leon Alberti Florentin, degno, ce dit-il, d'un Imperator, o d'un Re; et au reste la plus fadde et ridicule invention qui sceust tomber en un foible et mince esprit de huict ou dix ans seulement. Il y a bien d'autres expediens plus aisez, comme nous le montrerons cy apres: Et mesmes quant à cestui-cy quelques-uns y procedent plus ingenieusement; deguisant ceste chiffrerie en forme de tables astronomiques, du hault en bas comme escrivent les Cathains: enquoy les signes monstrent l'ordre et suitte des pages; assavoir le mouton la premiere, le taureau la seconde, les jumeaux la tierce; et ainsi des autres: la premiere des deux colomnes qui est des degrez, denote la ligne; et la seconde, des minutes, la quantiesme lettre c'est que vous y devez chercher comme vous le pouvez veoir icy; ou le taureau monstre que c'est la seconde page à laquelle il se fault addresser. Bien est vray que celà donneroit un peu à penser à un qui entendroit les mathematiques, quand il le verroit ainsi desreiglé; mais il passeroit à la plus grand-part.
<f 209v> [FIGURE]
  CE chiffre donques de plusieurs escorces et envelouppes, lequel a esté promis cy dessus, n'a pas esté nomplus ignoré des Hebrieux, comme on en peult veoir assez de vestiges en plusieurs interpretations des Prophetes: à l'imitation dequoy quelques-uns qui en ont eu l'odeur de loin, s'y sont exercez, plus ou moins heureusement les uns que les autres, selon leur capacité et portee. Car comme la plus-part des esprits humains soient tendres et infirmes de soy; et fort subjects non qu'à broncher, ains à donner le plus souvent du nez à terre tout à plat, en des impertinences et absurditez rabotteuses, s'ils ne sont ferme-soustenus par les resnes de l'experience, et du jugement, quand on pense avoir trouvé la febve au gasteau, et se resjoir trop outre mesure de son [G] à guise d'un autre Archimede, c'est alors qu'on en est le plus esloigné, en danger de demeurer court avecques un empan de nez. Et certes à propos de l'artifice <f 210r> dont il est icy question, je vy un quidam, il y a quelques trente cinq ans, qui estoit si extremement aveuglé en son faict (Plustost l'appelleray-je de ceste sorte qu'affronteur impudent) qu'il n'eut point de honte de demander au feu Cardinal du Bellay, un seigneur qui se delectoit de toutes rares et gentilles inventions, deux mille escus pour la communication d'un sien chiffre, qu'il disoit transcender les nuees: mais il se trouva bien honteux, quand en moins de deux ou trois heures on le luy eut tout interpreté sur l'essay qu'il en presenta. Comme il y procedoit, nous le dirons par cy apres:
Chiffres de plusieurs couvertures reiterees.
cependent ce n'estoit autre chose comme n'est aussi l'artifice duquel nous pretendons parler, sinon qu'un mesme subject couvert de plusieurs chiffres reiterez les uns sur les autres; tout ainsi que pourroient estre diverses chaloppes, escailles, peaux et tuniques, dont un noyau de noiz ou amende est revestu et enveloppé avant que de penetrer jusqu'à lui: Chose à la verité non à desdaigner, pourveu qu'elle soit prise du bon biez. Et en premier lieu voicy ce que j'en trouve estre tacitement touché dans Rabbi Moyse Egyptien au 70. chapitre du premier livre de son directeur. CELA a esté de tout temps observé parmy nous, de ne rien rediger par escrit des profonds secrets de la Loy, à fin d'obvier aux sectes et partialitez d'opinions qui en pourroient sourdre, quand chacun les voudroit interpreter à sa fantasie, ains les communiquer seulement de bouche, pour les retenir dans le coeur Et en la pensee; et encores non à toutes personnes indifferemment, <f 210v> ny à autres qu'à ceux de nostre nation; qui soient quant et quant gens sages et modestes, sçavants et discrets: ce qui a esté cause que la plus part des principaux mysteres sont deperiz entre nous-mesmes, tant par la longeur du temps, que par la domination des estrangers, lesquels en estoient et ignorans, et incapables; si qu'il ne se trouve plus rien de celà, sinon quelques petits recueils et sommaires pour y refueiller les gens doctes et d'entendement, telles que sont les traditions Et maximes qu'on peut veoir dans le Talmud, et autres endroits: lesquelles sont au reste de deux ou trois especes, tout ainsi que le coeur d'un arbre armé par dessus de plusieurs escorces; ou un noyau revestu de diverses escailles: ce qui a travaillé tout plein de personnes, estimans qu'il n'y eust aucun fruit caché là dessouz. Et au second liv. chap. 44. il monstre comme par la transposition des lettres, se descouvrent de tres-admirables secrets en la sainte escriture. Le mercava mesme, ou chariot d'Ezechiel, et ses rouës l'une dans l'autre; et l'esprit de vie estant en icelles, auquel symbolise le sens contenu en un contexte d'escriture, semblent battre sur ces enveloppes de chiffres;
Plutarque livr. 2. des opinions des philosophes chap. 7.
à quoy se rapportent aussi d'autre part ces corones entrelassees l'une dans l'autre, de substance rare et espoisse; et comparties de lumiere et de tenebres, dont Parmenide alleguoit consister la structure de l'univers. Et de là ne s'esloigne pas encore beaucoup Aristote, bien qu'il se retienne sur ses adresses, et que par tout il s'esloigne assez de semblables speculations et mysteres, tout confit au sens commun, Que les choses naturelles ne sont point selon l'accident, ains <f 221r> ont une certaine cause qui les fait de necessité estre telles comme elles sont;
Moyse Egyptien liv. 2. chap. 21.
laquelle a besoin d'une autre cause superieure; et celle-cy encore d'une autre, tant qu'on arrive à la premiere qui est l'ordonnateur d'icelles; duquel depend la premiere intelligence motrice; de la premiere la seconde; et de ceste-cy la troisiesme; et ainsi du reste, par une concatenation qui parvient jusqu'au dernier, Et premier bout, qui sont un mesme. Ces trois enveloppes donques, et surcouvertures de chiffres, sont assez appertement practiquees tout au commencement d'Ezechiel en ces mots cy: Estant assis au milieu des captifs, sur la rive du fleuve Chobar; où les Cabalistes interpretent ce [H] Chobar par un Ethbas ou transposition de lettres, pour [H] Cherub, c'est à dire une influence des Cherubins, Anges du second ordre; car ce sont les mesmes lettres diversement colloquees; et en apres ce mot de fleuve se rapporte et convient fort bien à celuy d'influence; parce qu'ils viennent tous deux du verbe fluer ou couller, comme est le propre des rivieres de tendre tousjours contrebas, jusqu'à s'avaller en la mer, qui est le grand receptacle de toutes; et aussi de l'influxion, laquelle nomplus que l'intelligence ne remonte jamais, comme dit Zoroastre, [G] : et pourtant Dieu influë tousjours sans relasche, par ses canaux, ainsi qu'une source perpetuelle d'eau vive, sans jamais remonter: car où est-ce qu'elle se pourroit surhausser, attendu que le throne de son essenceest par dessus tout ? De ceste descente de la divinité és choses inferieures, parle ainsi Rabbi Joseph Castiglian, <f 221v> és portes de la lumiere apres les anciens Cabalistes: Au commancement de la creation du monde, la divine cohabitation estoit descendante és choses inferieures: et comme la divinité cohabitast icy bas, les cieux et la terre se trouverent unis ensemble; et estoient les sources et les canaux qui en decoulloient, agissans en perfection, tirez du hault encontre bas; Dieu accomplissant tout par mesme moien, tant dessus que dessouz. Ainsi donques le fleuve Chobar est en ce chiffre en lieu de la premiere escorce, ou couverture; et l'influence du Cherub à quoy celà est aproprié, la seconde; qui couvre la tierce, où est finablement le vray sens et intelligence; assavoir la lumiere du tetragrammaton [H] , dont il est escrit au pseaume 36. In lumine tuo videbimus lumen; c'est à dire que par la lumiere du FILS nous verrons celle du PERE. Ce fut elle qui descendit en l'entendement du Prophete, par le second ordre des Anges, ainsi que par un tuyau ou canal; qui est le rang des Cherubim, autrement Ophanim, c'est à dire formes ou rouës, dont Ezechiel parle tout soudain apres; lesquelles rouës au monde elementaire ne sont autre chose que les quatre Elemens, designez par les quatre animaux qui sont representez en ceste vision: au celeste les Spheres qui s'enveloppent l'une l'autre: et en l'intelligible les hierarchies et ordres des Anges et intelligences, que l'escriture appelle autrement administratoires esprits. Mais pour revenir à nostre propos, l'artifice dont le dessusdit pretendoit s'aider, estoit fort simple et mal entendu: dont pour vous <f 222r> en donner un exemple, prenons que ce soit ce subjet cy qu'on voulust escrire, pris des sentences de Zoroastre; On ne doit trop presser sa destinee: il le chiffroit en premier lieu par cest alphabet d'une simple commutation reciproque, de chaque lettre precedente en la subsequente; et au rebours:
[FIGURE]
  SI qu'il avoit ceste suitte et contexte de lettres; p m m f c p l a s s q p o o q f t t f q t b c f t s l m f f: laquelle il rechiffroir de nouveau par cest autre alphabet, qui va selon l'ordre commun des lettres departies en deux rengees, tout ainsi que le precedant, et en dix cellules, dont les caracteres de dessus et dessouz se transchangent alternativement l'un en l'autre:
[FIGURE]
  PARQUOY il y avoit ansi: d a a r o d x m g g e d c c e r h h r c h n o r h g x a r r. Et tiercement il le recouvroit par cest autre encore, ouquel les lettres sont accouplees selon que quelques nations les proferent l'une pour l'autre.
<f 222v> [FIGURE]
  DONT telle en estoit la disposition: t e e l u t s n i i a t q q a l f f l a f m u l f i s e l l. Mais ce n'estoient pas ces alphabeths proprement, ains de semblables qui leur equipolloient à peu-pres: ny le subject nomsplus; car il seroit trop malaisé de rien descouvrir en si peu de matiere. Au reste celuy-là cuidoit, et non sans quelque apparence de prime-face, que pour avoir esté les deux derniers surchiffremens reiterez sur un contexte d'escriture, où il n'y avoit sens quelconque, ne rien de lisable en l'assiette et suitte des lettres, que par toutes les transpositions qu'on sceust promener le dernier, il ne s'y en trouveroit point aussi, jusqu'à ce qu'en retrogradant sur le contrepied, on eust rebroussé chemin par ses destours, ainsi comme és ruzes et defaictes d'un cerf, de luy au second, et du second au premier, où s'estoit commancé à alterer la suitte des lettres d'un sens prononçable et intelligible, à une disposition comme morte, et du tout esteinte, par leurs diverses transpositions et eschanges. Mais je diray bien davantage, car non que de trois envelouppes tant seulement, ains de cinquante, voire cent mille, et encore plus jusqu'en infiny que celà s'estend, que puissent estre reiterez ces <f 223r> surchiffremens, d'alphabet en alphabet les uns sur les autres, il n'importe de rien ouquel de tous vouvous preniez pour le dechiffrer, estans en celà tous egaux, autant le dernier comme le premier ou second; parce que la disposition des lettres dont est tissu e sens qui en resulte, ores qu'elle s'altere de figure, comme pourroit estre un a pour un d , son ordre primitif ne se pervertist pas pour celà, que s'il y a deux mesmes lettres toutes de suitte, vous n'en trouviez deux aussi que s'entresuivront; si qu'il demeure tousjours arrengé selon son premier establissement, et composition, et sa forme particuliere renclose tacitement dedans soy, preste à s'en expliquer audehors, tout ainsi que l'espece de quelque oiseau dans un oeuf; et d'un vegetal en ses pepins, noyaux, greffes, ou semence, pour s'esclorre, germer et poindre hors de leur puissance endormie, en une resveillee action de leur consemblable. L'alphabet suivant vous peult faire veoir, que sur le troisiesme rechiffrement il est aussi aisé de l'interpreter comme par le premier ou second, car il est fort bien reiglé caractere pour caractere; ouquel les onze lettres rouges sont celles qui sont employees en se subject; et les autres neuf noires, non.
<f 223v> [FIGURE]
  DE CECY vient à naistre une tresbelle speculation, qui vaut bien la practique et usage d'un mauvais chiffre, car il ne s'en trouve qu'assez de plus exquis les uns que les lettres: C'est qu'il n'y a rien qui convienne mieux à la structure de l'homme, que le contexte d'une escriture; ouquel, les lettres tiennent le lieu des quatre humeurs principales, et de leurs meslanges, qui en produisent plusieurs autres; aussi sont elles appellees les principes où elemens: les syllabes se rapportent aux parties similaires, comme on les appelle; assavoir les cartilages, oz, ligamens, membranes, tendons, nerfs, veines, arteres, et chair musculeuse: les dictions aux membres: et la clause qui en est tissuë, au corps complet: puis le sens finablement contenu la dessouz, à l'ame ou esprit qui vivifie les parties du corps: ce qui se practique aussi és devises, ou l'on nomme la figure d'icelles, le corps; et l'ame, le mot qui l'accompagne et esclarcist. A quoy se confirme assez en termes expres le livre d' Habbahir ou Elucidaire, quand il dit que les lettres Hebraïques sont accomparees au corps humain; les accents, à l'esprit; et les <f 224r> point servans de voyelles, à l'ame; car ils meuvent les lettres muettes de soy, à quelque signification, tout ainsi que l'ame fait les esprits et le corps où ils sont plongez. Et de fait ce que nous voyons que les corps privez de l'esprit de vie qui les maintenoit en leur estre, se demolissent et resolvent en leurs parties elementaires et principes dont ils furent premierement composez, nous est fort familierement representé par une planche d'imprimerie, de laquelle apres avoir esté tiree, les caracteres venans à estre separez hors de leur suitte et assemblement, sont redistribuez, chacun en son propre lieu dans la caisse, pour estre recomposez de nouveau à quelque autre sens. Ainsi donques les lettres symbolisent aux substances constitutives du corps; desquelles, nonobstant qu'en si peu de nombre, par la varieté neaumoins de leurs assemblages et mixtions, se procreent tant de diverses especes és triples genres des composez, mineraux, vegetaux, animaus; et d'invididuz comme en infiny: estant au reste lesdites substances en un perpetuel changement et permutation des unes és autres, de la mesme sorte que sont les lettres, qu ipar leurs differentes assiettes, suites, entrelassemens et transpositions, forment tantost un texte d'escriture, puis tantost un autre tout dissemblable, combien que ce soient les mesmes caracteres; souz lesquels gisent les sens exprimez, qui tiennent lieu d'ames; et ces sens là estans une fois formez ne se peuvent plus pervertir en d'autres, ains demeurent tousjours les <f 224v> mesmes; quelque alteration que puisse souffrir leur couverture exterieure, pourveu que la proportion de leur ordre qui en constitue la difference, ne soit point changee de sa deuë et naïfve assiette; comme il se peut veoir par les diverses transpositions des trois alphabets dessusdits, là où par plusieurs desguisemens les lettres ayans esté jettees hors de leur premiere structure, celà a peu faire de vray que le sens qu'elles exprimoient en appert s'est caché intrinsequemment, et substraict de la cognoissance ou il estoit auparavant exposé, ainsi que sous la couverture d'un masque; mais nompas esteint et anneanti pour celà, qu'il ne demeure reellement en son premier Estre, bien qu'en secret, et imperceptible de prime-face à nostre apprehention et notice, comme defigureé qu'il est. De mesme l'ame raisonnable estant une fois procreée et jointe au corps, combien que les parties d'iceluy se defacent, pervertissent, alterent, et se transchangent en cent mille et mille façons, en estant separee elle ne laisse de subsister permanente à part en sa mesmeté à elle propre et particuliere, et divisee de toutes autres; ainsi que les individuz, voire les plus consemblables, tels que pourroient estre les mousches, fourmis, et pareils insectes; les moyneaux mesmes et herondelles, qui nonobstant leur si exacte ressemblance font leur cas à part chacun endroit soy, et pour soy, car ce que projecte, sent et patist l'un, l'austre pour celà ne le projecte sent ny ne souffre pas. L'ame doncq une fois produicte ainsi qu'un sens, est <f 225r> permanente et incorruptible à jamais; pour à tout instant qu'il sera besoin reprendre de nouveau son corps, et l'informer comme auparavant, sans qu'il luy faille retrograder par les mutations qu'il aura souffert en plusieurs millenaires d'annees, d'animal en vegetal, de cestuy-cy en animal, vegetal, mineral, etc. nonobstant lesquelles, l'affinité mutuelle et appetitive de l'un à l'autre leur est tousjours demeuree emprainte reciproquement en la forme et en la matiere, sans autrement se deperir; à guise d'une madaille coignee, ou autre ouvrage de relief, qui ne sçavroit s'aproprier à autre creux que celuy dont il fut moullé; ny le moulle, coing, ou cachet nomplus convenir à autre figure que celle qui en aura esté formee. Tout cecy se rapporte fort bien à ce que nous tenons de l'immortalité de l'ame, et de sa permanence reelle apres la dissociation du corps: car si elle estoit assignee tant seulement sur l'opinion d'Aphrodisee, Averrois, et leurs semblables, qu'en la resolution du corps, et de ses parties l'ame, qui les vivifioit ne s'amortist pas quant et quant, ains s'en va reconjoindre à son tout, qu'ils appellent l'intellect commun, dont elle estoit procedee c'est à dire à une nature etheree, qui est l'ame de l'univers, tout ainsi que le corps fait à ses parties elementaires, selon que l'escrit le Poëte Lucrece apres Empedocle;
  Caedit item retro de terra quod fuit ante,
  In terras; et quod missum est ex aetheris oris,
  Id rursum caeli fulgentia templa receptant,
<f 225v> Celà n'ameneroit pas beaucoup de consolation aux bons, ny guere de terreur aux meschants, sans l'asseurance qu'on doit avoir, qu'apres la demolition du corps elle garde encore son individuité particuliere, pour le reprendre en la generale resurrection, comme l'allegue Terrullian apres Mercure Trismegiste au 33. chap. de l'ame: Digressam animam à corpore non refundi in animam vniversi, sed manere determinatam, vti rationem patri reddat eorum quae in corpore gesserit. Ce qui se conforme au dire de l'Apostre; Que chacun selon ce qu'il aura fait de bien ou de mal, le doit rapporter par son corps. Morien aussi, pour monstrer tousjours la convenance des trois mondes, accommodant par similitude ce propos icy a son Elixir, dict presque le mesme; Hoc quoque te scire decet, quod anima citò suum corpus ingreditur, quae cum corpore alieno nullatenus coniungi potest. Laquelle reconjonction du corps et de l'ame, qui ne se doit entendre, si d'aventure ce n'estoit assimilativement, fors de la resurrection de la chair au dernier jour, a esté destournee par Pythagore, à je ne sçay quelle metempsychose ou transmigration de l'ame en divers corps, jusques à ceux des bestes brutes; ce que quelques-uns ont tasché de radoucir, comme chose par trop indigne que l'ame raisonnable vinst ainsi à degenerer, et l'ont restreinte aux corps humains tant seulement; la reduisans encore de ces perpetuelles, et comme circulaires reprises de corps, à trois fois et non davantage: enquoy ils tachent de se fonder sur ce 33. de Job; Liberauit animam <f 226r> suam ne pergeret in interitum, sed viuens lucem videret. Ecce haec omnia operatur Deus tribus vicibus per singulos, vt reuocet animas eorum à corruptione, Et illuminet luce viuentium. Mais ceste adaptation est un peu chatouilleuse, et comme participante de l'heresie de Carpocrates dans le mesme traicté de Tertullian, chap. 35. Metempsychosin necessariò imminere, sinon in primo quoque vitae huius commeatu, omnibus inlicitis satisfaciat. Caeterùm totiens animam reuocari habere, quotiens minus quid intulerit, reliquatricem delictorum donec exoluat nouissimum quadrantem, detrusa identidem in carcerem corporis:
Agripa li. 3. chap. 41.
A quoy ceste triple reiteration est bastante selon l'opinion d'aucuns Cabalistes. Toutes lesquelles choses, et assez d'autres se peuvent discourir et traicter sans aucune inconvenience, sur le sujet de ces trois escorces de chiffres, ou de plus grand nombre, lesquels procedent par la simple voye des transpositions et eschanges de lettres: toutesfois celà ne reüscist pas selon la voye que nous avons allegué cy dessus, en quoy plusieurs se sont aheurtez assez lourdement, sans obtenir ce qu'ils pretendoient. Ce Rabbi donques si renommé fils de Maimon, auroit-il escrit quelque chose de faux, de frivole, ou imaginaire ? Ce qui ne se doit attendre de luy, ains plustost mettre peine d'obtenir sa conception; et sauver ce qu'il en a dit, en l'apropriant au triple sens de l'escriture, representé par ce tant celebre cordon retors en trois, du 4. de l'Ecclesiaste;
Fueil. 80
Funiculus triplex difficile rumpitur;
le litteral, c'est assavoir, qui se rapporte comme au monde <f 226v> elementaire, plus materiel et grossier; l'allegorique au celeste; et l'anagogique à l'intelligible: lesquelles trois sortes d'interpretations et ententes à guise d'autant d'escorses ou tuniques, se couvrent et enveloppent l'une l'autre, ainsi que la peau de quelque animal fait la chair, qui contient puis apres les oz, où est finablement renclose la moüelle, qui denote le sens, et ses trois couvertures susdites oz, chair, et peau, les trois chiffres reiterez l'un sur l'autre, ou il est comme noyé et ensevely. Mais ce nombre de trois ne se restreint pas simplement à tant, et non plus, ains soubs ce mot là est comprise une certaine infinitude, suivant ce qui a esté cy devant allegué d'Aristote:
Fueil. 19.b.
et de Pythagore en apres;
Fueil. 179. b.
Omne et omnia tribus terminantur.
De ces enveloppes, et rayes, qu'il est besoin de demesler avant que de penetrer au sens qu'elles couvrent, nous en avons assez d'exemples en l'escriture; comme le dessusdit du fleuve Chobar, et du Cherub en Ezechiel: et du chandelier à sept lumieres dans l'Exode, et les nombres, quo denotoit les sept planetes au monde celeste, et les sept inferieurs Zephiroths en l'intelligible, dont decoulent incessamment és corps celestes toutes les facultez et vertus qu'ils influent de là icy bas dedans le monde elementaire. Au 4. de Zacharie ces sept lumieres sont interpretees pour autant d'yeux du Souverain, qui parcourent incessamment toute la terre en son circuit; ce qui l'Apocalypse en auroit transcrit mot à mot presque, pourroit-on dire, avec la plus grand part de <f 227r> ses mysteres: mais ne les a il peu pescher comme les Prophetes de l'ancienne loy, en la mesme source de l'archetype, où toutes choses sont tousjours semblables ? Dont à mesure qu'elles s'en esloignent, aussi se diversifient-elles, et alterent d'autant; tout ainsi que quelque plant et marcottes de Languedoc, transportees de là au vignoble de Blois; et de Blois successivement à Paris; il fault en fin qu'elles viennent à degenerer et s'abastardir de leur premiere naifveté et vigueur naturelle, que l'assiette et aspect du terroir et du ciel leur avoient imparty. CES tant belles speculations si sublimes, franchissans les dernieres bornes de l'univers jusqu'au throne de l'essence et gloire de Dieu, sont le propre gibier des Cabalistes, et s'appellent de Mercava; comme celles de la creation et nature des choses dittes delà du Berezit, sont le subject des Talmudistes: Celles-cy estans par eux accomparees à l'or d' Evilah en Genese 2. qui est simplement bon, selon que le porte la verité Hebraïque du texte; et de la Mercava, à l'or d'Ophir tresbon et tresfin en toute pureté et perfection; comme il est dit en Isaie 13. Je feray l'homme plus precieux que le trespur et meilleur or, voire plus que n'est l'or d'Ophir, qui est tresfin. Lesquels deux ors, et les deux sciences qui leur symbolisent, representent les deux mondes, l'intelligible, ou siecle advenir pour nostre regard; et le sensible, qui est le present; suivant les traditions du nom de Dieu, composé de 42. lettres: Mon bien-aimé enhault, et en bas, heritier des deux mondes, le present, et <f 227v> le futur: Ce qui se raporte au MESSIHE, et ses deux natures, divine et humaine; et quant à nous, à l'ame, et au corps; à la pensee, et à la parole, ou escriture; au sens apparent, et au mystique caché secretement dessous. Car tout ainsi que quelques-uns ont traicté leur philosophie par les nombres et proportions; les autres par les figures geometriques; d'autres par l'harmonie et accords de musique; d'autres sous des involutions de fables, enigmes, allegories; paraboles, et semblables voyes, differentes les unes des autres quant à la maniere de proceder, et selon les subjects qu'ils ont pris pour un fondement à eux propre; comme Epicure les Atomes, Pythagore les nombres, Platon les Idees, Aristote son Entelechie, qui arrivent finablement à un mesme but; en semblable les Cabalistes manient la leur par l'occulte escriture des chiffres, consistans non seulement en un deguisement de caracteres, mais de mots entiers: Ainsi que pour exemple, l'ame est par eux raportee au Malchut ou la Lune, qui est le miroüer non luisant, comme il a esté dit au commancement de cest oeuvre; parce que ce qu'elle a de lumiere, luy provient du Soleil ou du Tipheret, qui symbolise à la Divinité; de la splendeur de laquelle l'ame tout de mesme obscurcie par les coinquinations du corps vient à estre illustree: Aumoien dequoy non sans grand mystere, nomplus que toutes ses autres ceremonies, l'Eglise catholique a institué le commancement du caresme qui est le temps de penitence, tousjours à la nouvelle <f 228r> Lune; et encore à celle du dernier mois, Adar, qui respond à nostre Fevrier; comme si celà denotoit, que tout ainsi que quand la Lune par la privation de la clarté du Soleil pour nostre regard, est reduitte jusqu'au dernier poinct de ses ombrageuses tenebres, elle vient delà peu à peu à s'illuminer derechef par une nouvelle reception de ses raiz; En cas pareil celles dont nos ames par leurs ordes concupiscences et desbordemens, se sont toutes ternies et offusquees de la souïlleure d'une sombre sensualité, quand elles viennent à repentance de leurs mefaits, et se recognoistre en ce sainct temps à nous par especial ordonné pour cest effect, reçoivent peu à peu, s'il ne tient à elles, et de jour à autre, une clarté de la grace et misericorde divine; tant que finablement par de tresameres et poignantes contritions de coeur; de fort longues macerations de la chair; un deplaisir de ses offenses; devotions, prieres, jeusnes, aumosnes; elles soient complettement illustrees de la divine splendeur; droict à Pasques, où tousjours se rencontre la pleine Lune du mois de Nisan ou de Mars, le premier, et le renouvellent de l'annee; avec le flot de l'equinocce du printemps, lors que la mer d'icy bas est en son accroissement le plus hault; et que la mer supramondaine est toute comble remplie à plein bord de benedictions; car Malchut, et la Lune encore, sont aussi prises pour la mer, comme il est escrit dans les Portes de la lumiere:
fueil. 115.B.
qui est representee de Salomon entre les autres ustancilles du temple, par <f 228v> ceste ample cuve de fonte soustenue de douze boeufs, tornez trois à trois devers l'une des quatre regions du ciel, selon les douze signes du Zodiaque:
3. des Rois 7.
car de la mesme sorte que tous les fleuves et les rivieres s'en vont rendre en la mer; et les influences celestes reduire en la Lune, comme en leur matrice, pour estre de là transmises en bas; aussi toutes les divines benedictions se recueillent dans le Malchut, ou la Lune Archetype, qui est Cabalistiquement appellee la Cerve Unicorne, par qui tous les Patriarches jusqques à Moyse ont prophetisé, en l'une des deux branches de la prophetie, assavoir la lumiere des predictions; car l'autre branche qui consistoit en l'operation des miracles, ne fut oncq' octroyee à nul avant luy. Ceste mer mystique ausurplus, ou Malchut, designee en Genese 2. par le fleuve qui vint à sourdre du lieu de volupté et plaisir, pour arrouser tout le jardin, n'est autre chose que le sacresainct quadrilettre ineffable [H] ; A propos dequoy il est dit en S. Jean 4. Fiet in eo fons aquae salientis in vitam aeternam; lequel se divisoit en quatre principaux canaux, comme nous l'avons touché cy devant; qui sont Ghedulah, amour et dilection, grace et douceur; Geburah force, justice, et equitable dispensation de graces; Tipheret, la vertu masculine agente, laquelle influe; et Malchut, la vertu feminine qui reçoit de luy. De ces deux derniers davantage dient les Cabalistes, que le Tipheret est la source dont procedent toutes les bonnes influences d'amont, assavoir le Soleil Archetype et <f 229r> supramondain, lequel impartist sa lumiere au Malchut, tenant comme lieu envers luy de noz ames; et ce quant nous observons les commandemens de la loy: mais si nous venons à les transgresser, il en retire sa lumiere; y aiant telle convenance et relation de ces deux reciproquement, que de l'espousee à l'espoux, dans le 5. des Cantiques, c'est à dire de l'ame raisonnable à son Createur et Sauveur; Dilectus meus candidus, Et rubicundus; caput eius aurum optimum: et de ces deux blanc et vermeil, proportionnement meslez ensemble, comme nous l'avons desja dit cy devant apres Platon en son Timee; [G] provient ceste agreable citrinité de l'or Orphirien, qui est le tetragramme dessusdit, contemperé de clemence et misericorde à sa main droite, designees par la blancheur; et de severe chastiment quelque fois aussi, à sa main gaulche, quand il s'irrite et enflamme contre nostre rebell'-endurcie contumacité, ce que marque la couleur rouge, propre au sang: A quoy convient fort bien ce qu'apres les trespassement du Sauveur, de l'ouverture qui luy fut faite au costé, sortit de l'eau qui est blanche, et du sang vermeil; et ce qu'en met d'abondant le mesme Evangeliste au 5. chap. de sa premiere canonnique; Non in aqua solum venit, sed in aqua et sanguine. Il est donc blanc au costé droit ou est le siege de remission; et rouge au gaulche, où est celuy de sa rigoureuse Justice; comme luy-mesme le tesmoigne en saint Mathieu 25. et au pseaume 16. il est dit; Delectationes <f 229v> in dextra tua vsque in finem: ce qui est aussi designé par le laict, et le vin.
  OR voiez un peu je vous prie, comme ne nous cuidans qu'aller esbatre et soullacier bord à bord le long de la coste, dans un simple esquif, nous ne nous sommes donnez de garde que la courante tacitement nous a ainsi transportez au large, et ravis bien-avant en la haulte mer. Pour donc relascher d'où nous sommes partis, qui est ce chiffre à trois ou plusieurs couvertures, tant cherché de beaucoup de gens, et atteint de peu, comme en peut faire assez de foy ces grands rodemens et circulations si penibles où se promene comme à clos yeux Baptiste porte:
Liv. 2. cha. 20.
Ce chiffre dis-je, par toutes sortes de transpositions qu'on le sceust taster jusqu'en infiny, ne manifestera jamais rien quelconque du sens y enclos: Car comment s'en pourroit-il former aucun de son contexte et suitte de lettres, puis qu'il n'y est pas ? Entendez neantmoins depuis la seconde reiteration en avant; nomplus qu'un choul, laictuë, ou autre telle herbe à la prendre en sa derniere et complecte perfection, ne se peut trouver dans un petit grain de son espece, quelque anatomie qu'on en sceust faire. Toutesfois si y est le sens en quelque sorte que ce soit: Oy de vray, mais comme en Idee, qui de là nous conduit à sa forme; et sa forme finablement en retrogradant, à son materiel individu perceptible. Parquoy laissant toutes ces voyes si malaisees, et qui quant et quant n'ont rien de commun avec cest artifice, en voicy une procedant d'un seul et simple alphabet, moiennant lequel <f 230r> sans en sortir hors, vous pouvez couuvrir un mesme subject non que de trois escorces et envelouppes de chiffremens tous differends les uns des autres, ains de cent millions, s'il en est besoin; car celà n'a ne fin ne borne; à guise d'une ligne spirale, qui partant d'un centre se dilate et accroist peu à peu, tousjours tornant autour de soy, et s'envelouppant elle-mesme, sans jamais neaumoins se toucher ny se rencontrer, fust-ce en infiny. Ceste voye au surplus depend de la Ghematrie, dont nous n'avons pas encore parlé; à cause des nombres et dimensions qui la reiglent selon cest alphabet icy, qui se doit transposer pour le mieux; mais nous n'en donnerons la practique et usage que par la commune suitte et ordre des lettres, afin qu'avec moins de travail d'esprit le secret s'en puisse comprendre: Puis quant se viendra à bon escien qu'on s'en voudra servir et le mettre à execution, chacun le pourra varier pour soy à son appetit.
[FIGURE]
  SOIT donques que nous vueillions chiffrer le mesme suject que dessus; On ne doit trop presser sa destinee; <f 230v> on y peut proceder par plusieurs manieres, tant avec des clefs que sans clefs; dont nous donnerons des eschantillons de toutes. Mais afin d'abreger tousjours davantage, nous ne prendrons icy qu'une seule lettre pour clef, assavoir H; et voicy comme il faudra faire: regardons en premier lieu la quantiesme lettre est o, la premiere du subject, apres H, et je trouve que c'est la cinquiesme assavoir e, parquoi je mets e. n qui suit apres se trouve la 7. lettre apres e, parquoi je mets g, qui est la 7. lettre: n est la 5. lettre apres g; je mets doncq e: puis e est la 20. lettre apres elle mesme, et pourtant je mets x, qui est la 20. de l'alphabett: d apres x est la 4. elle mesme d: o apres d la 9. je mets i: i apres soi est la 20. qui eschet en x: b apres x la 2. elle mesme b: t apres b, la 16. Somme que pour chiffrer premierement on ne doibt, il y aura en lieu, e g e x d i x b r. Pour le dechiffrer faut faire ainsi. e est la cinquiesme lettre de l'alphabet; comptez donc cinq depuis la clef H, et ils se rencontreront in o. g est la 7. lettre, qui a compter depuis e se trouve en n. e la 5. à compter de g (tousjours la subsequente de la precedente) se trouve en n. x la 20. à compter depuis e, va retrouver, e. et ainsi du reste. L'AUTRE maniere va ainsi sur la mesme clef. La 13. lettre assavoir o la premiere du subject à compter 13. depuis H, se rencontre en a: n la 12. apres a eschet en o: n, derechef la 12. à compter de o eschet en e: e la 5. apres e eschet en l: d la 4. apres l en p: o la 13. apres p, en g: i la 9. apres g, en r: b la 2. À apres r, en t: t la 18. apres t, en r. Somme a o e l p g r t r. <f 231r> Pour le dechifrer: à compter de H la clef jusqu'en a, il y a treize espaces; et la 13. lettre est o, parquoy je marque o depuis a jusqu'a o il y en a 12. qui est n: de puis o jusqu'a e, 12. encore, le mesme n: depuis e jusqu'a l, 5. assavoir e: etc. Il y a assez d'autres voyes encore que nous laissons pour briefveté, à la recherche des lecteurs; et nous contenterons de leur representer icy ces trois couvertures, dependantes, assavoir la tierce laquelle doit demeurer en veuë, de la seconde; et ceste-cy de la premier, où se doit finablement rencontrer le sens, et plustost non, car il faut retrograder par le contrepied, sur les mesmes erres qu'on a tenuës, à cause qu'il a esté transposé et realteré de main en main par les suittes et revolutions de ses propres lettres: si que ce chiffre se peut bien dire, et à bon droit, l'un des rares et exquis de tous autres, pour plusieurs raisons que je laisse. Que si je suis un peu trop prolixe en cecy, la necessité le requiert, estant la chose un peu obscure de prime-face, si qu'elle a besoin pour le commancement d'estre exprimee par les menuz; mais y estant rompu et exercité tant soit peu, il n'y a rien de plus facile. Voicy au surplus ces trois surchiffremens sans clef, et par une voye aucunement different des deux susdites, mais presque conforme à la premiere, horsmis qu'icy on rentre tousjours dessus les lettres du subjet; et là sur celles qui auront esté transposees, en ceste sorte. O ne se transpose point puis qu'il n'y a point de clef, et il en sert aux lettres subsequentes: soit doncq icy o: n est <f 231v> la dixneufiesme lettre apres o, parquoy je mets u, qui est la dixneufiesme lettre de l'alphabet: n apres n est ls vingtiesme, et pourtant je marque la vingtiesme assavoir x: e apres n est la 13. je marque o, la 13. d apres e est la dixneufiesme u: o apres d est la 9. i: i apres o la seiziesme r: b apres i est la 13. o: t apres b la 16. r: Somme o u x o u i r o r. Pour le dechiffrer: o va pour o: u est la 19. lettre, et la dix-neufiesme lettre apres o se rencontre en n: x est la vingtiesme lettre qui apres n eschet en n: o la 13. lettre apres n se rencontre en e: u la dix-neufiesme apres e eschet en d: i la neufiesme apres d, en o: r la 16. lettre apres o, en i: o la treziesme apres i en b: r. la 16. apres b, en t. Tout le surplus tant de ce premier alphabet, que des deux subsequents, va de mesme, du tiers au second; du second au premier, et du premier chiffrement au sens contenu là dessous; comme vous le pouvez esprouver. Mais je serois bien d'advis d'user de transpositions, et de clefs pour le plus seur.
Premiere couverture. On ne doit trop presser sa destinee. o u x o u i r o r x t s a x b i n x h m a d c a n a m c o x.
Seconde dependante de la premiere. o f a o f l g s c d t u d u b g c h h c l c u t m i l n l g.
Troisiesme dependante de la seconde o o q n o d s l s a p a e q c e r e x q g o r u o t a b t s.
<f 232r>   POUR faire un essay de cecy, nous ne prendrons que quatre lettres; o o q n, car ce peu suffira pour reigler tout le demeurant. o fera pour o: o qui est la tresiesme lettre, à compter de luy ce nombre escherra en f: q la quinziesme à compter de f escherra en a: n la douziesme apres a en o: voila les quatre premieres lettres de la seconde couverture tirees; o f a o. Lesquelles je dechiffre par la mesme voye; o pour o: f la sixiesme apres o se rencontre en u: a la premiere apres u en x: o la treziesme apres u, en o: assemblees elles font o u x o, comme vous pouvez veoir au premier chiffrement: lequel en fin je desveloppe comme dessus; o pour o: u la dixneufiesme se rencontre apres o en n: x la vingtiesme apres n en n: o la treziesme apres n en e, qui est le subject descouvert à nud, on ne. QUE si vous voulez desguiser les lettres en notes du chiffre à compter, les appariant deux à deux pour faire une lettre, comme vous voyez en cest alphabet, ce seroit d'abondant espandre en ceste nuict obscure de soy comme en un decours de Decembre, un brouillaz si obscur, qu'il faudroit destranges flambeaux pour l'esclarcir et y veoir clair.
<f 232v> [FIGURE]
  IL Y AVROIT donques par ces notes du chiffre ainsi accouplees deux à deux pour chaque lettre, au lieu du tiers chiffrement dessusdit o o q n o etc. en ceste sorte; 2 2 2 2 2 4 2 1 2 2 1 3 2 6 1 9 2 6 1 0 2 3 1 0 1 4 2 4 1 2 1 4 2 5 1 4 2 9 2 4 1 6 2 2 2 5 2 8 2 2 2 7 1 0 1 1 2 7 2 6. Voiez comme pour les cinq premieres lettres se sont fortuitement rencontrez huict 2. presque tout de suitte: et qui est l'esprit, s'il n'estoit adverty du faict, qui peust rien conjecturer là dessus ? Et si tout cela se peult transposer. ENAPRES vient à considerer que n'aiant qu'onze lettres des vingt qui soient emploiees en ce suject, assavoir a b d e i n o p r s t, les autres neuf en estans bannies, il y avoit aussi és trois faulx chiffremens devant dits tousjours onze lettres precisement; ce qui denotoit assez leur simple transposition, ou l'ordre et proportion de leur theme que nous pouvons appeller l'ame, se conservoit <f 233r> tousjours en son entier là dessous: mais icy d'une autre façon en la premiere couverture il y a douze lettres; en la seconde, 15. et en la tierce, 16. Quant aux notes du chiffre, toutes y interviennent; ce qui monstre assez la circulation spirale dont consiste cest artifice; ouquel il y a infiny autres beaux et rares secrets.
  CES diverses ausurplus envelouppes de chiffres redoublez ainsi les uns sur les autres, charrient tout plein de belles comparaisons avec elles; comme pourroit estre d'un tresfort donjon ou roquette enclose dans une citadelle; et ceste citadelle en une ville, munie autour de marescages, ou precipices qui en defendroient l'advenue: ou de quelque palais d'un grand Roy, ouquel dans la salle soient establis les gentilshommes; en l'antichambre les seigneurs de marque: et en la chambre de parement où est la chaire de respect, avec ses oreilliers et coissins representant la majesté, les Princes; d'ou l'on entre finablement au lieu plus secret ou est sa personne propre. Mais en cas de Philosophie, elles auroient une fort grande convenance et affinité avec les differences des accidents; dont ceux qui primitivement consistent és corps, comme les couleurs, odeurs, et saveurs, se peuvent assez aisément concevoir; là où des autres dont le fondement depend d'un autre accident (et tel est le surchiffre d'un chiffre) ainsi que la clairté en la teinture, et le courbement en la ligne, la maniere de leur y-existence en est fort occulte et cachee: combien <f 233v> doncq'à plus forte raison le devra-elle estre, si un autre accident venoit encore à s'y adjouster de surcrez, dont mesme le fondement ne soit pas stable, ains transitoire et successif ? car la chose sera tant plus embarrassee et secrette. OR à prendre d'ailleurs et considerer ces trois escorces et recouvertures de chiffres, és composez elementaires, elles nous ramentoivent la façon dont leurs substances sont rencloses l'une dans l'autre; Parce que le sel ne se manifestera jamais que l'huille et onctuosité adustible n'en soit dehors; et l'huille ne deslogera pas que l'eau n'en soit premierement partie: de maniere que le mercure contient le soulphre; et le soulphre couvre le sel, qui est confondu et caché dans les cendres. C'est ce que Parmenide veult inferer dans la Turbe des philosophes, par ces mots cy; Natura natura laetatur: Natura naturam continet: Natura naturam superat. Mais ce livret là est moderne; et les philosophes y introduits, supposez: cecy quant et quant tiré mot à mot des scholies que jadis composa Synesius sur un traité de Democrite, intitulé [G]; l'adressant à un Dioscore archiprestre de Serapis dieu patron des Alexandrins; là où entr'autres choses il racompte, comme exerçant l'estat de ministre au temple de Memphis dessous le grand prestre Hostenes, avec les enfans d'iceluy, une fois qu'ils prenoient leur repas dans le temple, tout à coup s'alla crever une colomne, és fragmens de laquelle ils trouverent enchassees de petites tablettes de pierre où estoient escrits <f 234r> ces trois versets cy, et rien autre; qui signifient ce que dessus: [G] L'ordre de ces manifestemens de substances se peult assez voir par espreuve; que bruslant du bois, ou semblable chose, premierement une fumee s'en evapore qui n'est autre chose qu'eau; ce que vous appercevrez bien à l'aise, en la recevant dans une chappe d'alembic; par le bec de laquelle vous verrez tout incontinent distiller l'eau à grosses gouttes. Ceste substance comme plus contraire au feu dechassee, la flamme se prend au mesme instant à la liqueur grasse onctueuse, qui s'appelle huille ou soulphre; et ne cessera de brusler, tant qu'elle soit achevee de consommer. Alors le sel qui est fixe et incombustible, et lequel estoit envelouppé dans ces deux substances l'une sur l'autre, restera és cendres; dont il se separera aisément par une forme de lexive avec sa propre eau, ou autre de puits ou de fontaine qui soit bien necte.
fueil. 104.
Mais celà a esté desja touché cy devant; et n'est reiteré icy que pour l'adapter à ceste triple couverture de chiffres. Surquoy se peuvent encore approprier les trois esprits de tous corps, aux trois elemens; la couleur assavoir au feu, car elle gist sous le sentiment de la veuë, qui est le plus subtil de tous, et de nature de feu: l'odeur enapres à l'air: et le goust à l'eau. Lesquels elemens, esprits, et substances elementaire sont de deux natures; l'une corruptible, qui est l'exterieure; et l'autre pure et necte, qui est l'interne; à guise de l'escriture en chiffre, dont les <f 234v> caracteres {cacaracteres} apparens, en leur ordre et assiette couvrent le vrai et naïf sens mussé là dessouz; ny plus ny moins qu'un François oyant parler un Allemant ou Polonois dont il ignore le langage, apperçoit bien qu'il dit quelque chose, mais il ne l'entend pas pourtant: Et si y a plus, car il y remarquera beaucoup de mots à son advis, conformes aux nostres, ou à peu pres, mais qui signifieront une autre chose, et quelque fois tout le rebours; comme ceste diction d' Abe en Arabesque qui signifie ne voulant; et en Hebrieu le contraire voulant; en Latin à l'oyr seulement prononcer, on penseroit que ce fust l'imperatif du verbe Habeo; et en François une dignité ecclesiastique. Ainsi pourroit-il arriver és chiffres des orchemes et metatheses, où il se rencontreroit quelque sens, mais nompas celuy qu'on a pretendu d'y cacher: dequoy les Prophetes sont par tout semez en leurs secretes formes d'escrire, dependans des transpositions et commutations de lettres à eux fort propres et familieres; et tenans comme lieu de chiffre à l'endroit des autres, selon ce qui est escrit en Isaye 29.
Apocal. 5.
Et erunt vobis verba prophetarum sicut verba libri signati.
Plus en Jeremie 23. Peruertistis verba dei viui. Et mesme au [H] Chobar susdit d'Ezechiel, il y a encore deux autres anagrammes, [H] Becor ou primogenité; et [H] Rokeb, chevaulchant, ou monté à cheval: Et ascendit, seu equitavit, super Cherubim, pseaume 18. ce qui n'est qu'un mesme mot transposé.
  AU SURPLUS premier que de sortir encore du <f 235r> tout hors du propos de ces trois substances, je ne feray point de scrupule d'inserer icy un passage entier de Rhases du livre de la Triplicité, tant pour la rarité dont il est, et qu'il esclarcist beaucoup de choses atteintes legierement de nous en cest oeuvre; que pour nous condouloir avec les gens doctes de la perte de tant de bons livres; qui pour faire place à un taz de petits fatras miserables qui ont toute la vogue aujourd'huy, s'esvanoüissent de jour à autre, au tresgrand prejudice des arts et sciences: car certes je puis dire de verité, m'estre trouvé pour une fois jusqu' àcent douze petites traictez de pareil subject, du mesme Rhases, fort bien escrits en parchemin tout d'enlumineure, avant deux cens ans; lesquels avec plusieurs autres papiers d'importance, recueilliz de costé et d'autre avec une extreme peine et labeur, par la malignité d'aucuns me furent retenuz et substraits l'an 1569. à Thurin, hors le sceu et adveu du Prince. Ce fragment donques portoit ainsi. Il y a trois natures, dont la premiere ne peut estre apprehendee ny cogneuë, que par pitié, et une fort eslevee contemplation; c'est DIEU tout bon, tout puissant, autheur et premiere cause de toutes choses; et le souverain juge, magistrat et dominateur de tout l'univers. L'autre n'est ny voyable ny tangible, quand bien on seroit tout contre, assavoir le ciel in sa rarité. La troisiesme, qui est le monde elementaire, et lequel comprend tout ce qui est dessous la region etheree, s'aperçoit, se voit et cognoist par nos cinq sentimens, le voir, oyr, fleurer, gouster, et toucher: Dieu au reste qui fut de toute <f 235v> eternité avant toutes choses, et avec lequel rien n'estoit fors son nom propre à luy seul cogneu, et sa sapience, ce qu'il crea en premier lieu fut l'eau, en laquelle il mesla la terre, dont vint à se procreer puisapres tout ce qui a vie et estre icy bas, selon leur maniere: et en ces deux elemens espoix, grossiers et perceptibles à nos sentimens, son compris les deux autres subtils et rares, l'air et le feu: ces quatre corps liez ensemble d'un tel meslange, qu'ils ne se sçavroient totalement separer: deux desquels d'autre-part sont fixes, assavoir la terre et le feu; et deux volatils, l'eau et l'air. Parainsi chaque element symbolise et a convenance avec deux autres dont il est enclos: et en contient reciproquement deux en soy; l'un corruptible et subject à pourriture et adustion; l'autre permanent et incorruptible, de nature celeste: comme l'eau, dont il y en a de deux sortes; l'une pure et elementaire; et l'autre est l'eau commun: que nous voyons, tant des pluyes, et autres nuages, que des sources et rivieres qui en proviennent. Il y a tout de mesme une terre elementaire, blanche, clere et luisante, couverte neaumoins de plusieurs envelouppes, parquoy il n'est pas du tout bien aisé d'y parvenir; et l'autre, noire infecté et puante: le feu aussi; l'un perpetuel et se maintenant presque de soymesme; l'autre bruslant, et exterminable, comme il extermine ce à quoy il s'attache et peult mordre, Item un air sempiternel pur et nect; et un autre fetide et combustible. Toutes lesquelles substances estans de ceste sorte meslees és mineraux, vegetaux, animaux, sont cause de leur mort et destruction: Parquoy il fault de necessité que ce qui y est de substance pure, soit par art separé <f 236r> de ses elemens corruptibles, pour le reduire et amener à une clarté cristalline, nectoiee de toutes ses immondes terrestreitez: car au reste les trois elemens liquides, eau, air, et feu sont inseparables les uns des autres; pour autant que si l'air estoit distrait d'avec le feu, luy qui en a son maintenement et pasture, s'esteindroit soudain. D'autre-part si l'eau estoit separee de l'air, tout s'enflammeroit: et si l'air estoit retiré du tout hors de l'eau, d'autant que par le moien de sa legereté, il la tient aucunement suspendue, tout seroit submergé d'icelle. De mesme encore si le feu estoit separé d'avec l'air, tout seroit reduit en deluge. Estans donques ces trois elemens inseparables l'un de l'autre, ils se peuvent bien neaumoins separer d'avec la terre, mais nompas du tout; car il est requis qu'il y en demeure une partie pour donner consistance au corps, et le rendre tangible, par le moien d'une subtile et deliee portion d'icelle; qu'ils enleveront avec eux, hors de la crassitude grossiere, qui demeure en bas. Cecy se conforme aucunement, à ce que mettent les commentateurs du Jezirah, Rabi Jehuda, Rabi Jacob Cohen, et autres; Que des quatre elemens vint à sourdre la matiere des dix spheres celestes, despouillee de ses accidens corruptibles, comme nous pouvons mecaniquement voir au verre, qui par l'industrieuse depuration de l'humain artifice, est de la rarité spongieuse, et obscurité qui estoit és cendres, amené à un ferme et solide espoississement, avec une transparence tresclere. Boëce aussi ne s'en esloigne pas beaucoup quant il dit à l'imitation des Pythagoriciens;
  <f 236v> Tu numeris elementa ligas, vt frigora flammis;
  Arida conueniant liquidis; ne purior ignis
  Euolet, aut mersas deducant pondere terras.
  VOILA comment les Cabalistes en leur secrete philosophie, la supreme de toutes autres, qui en dependent comme les diverses manieres de parler et d'escrire de tous les peuples de la terre, font du langage, et des caracteres Hebrieux; se vont promenans à l'escart hors des grands chemins battuz et froyez de la multitude grossiere, par des solitaires sentiers incogneus aux autres, à travers les cimes des plus haut elevees montagnes; où peu s'en est fallu que sans m'en adviser autrement, ne cuidant sinon de les suivre de l'oeil loin à loin, ils ne m'aient substrait à moymesme, pour me charrier apres eux; sans me resouvenir de l'autre poinct qui auroit esté delaissé intermis; assavoir de reduire le nombre des lettres et caracteres de l'escriture de moins en moins, jusqu'a se passer finablement d'un tout seul; avec lequel, sans y en emploier davantage si l'on ne veult, se puissent exprimer toutes sortes de conceptions: car de ceste ouverture naissent tout-plein de beaux et rares artifices, dont nous donnerons les maximes plus generales, avec les practiques qui seront necessaires pour les faire mieux concevoir, et en enseigner l'usage et execution. Pour donques proceder en cela pied à pied, en premier lieu les Hebrieux, Il nous fault reigler là dessus; aians 22. lettres primitives, ils les distribuent en cinq ordres ou classes, selon les endroits <f 237r> dont depend leur prolation: quatre du gozier assavoir, dittes de là les gutturales, qui sont [H] aleph, [H] he, [H] cheth, et [H] ain: Pareil nombre de palatines; [H] gimel, [H] iod, [H] caph et [H] coph: cinq qui ont leur siege en la lange; [H] daleth, [H] teth, [H] lamed, [H] nun, et [H] tau: autant qui s'arrestent és dents; [H] zain, [H] samech, [H] saddi, [H] res, et [H] shin: et quatre finablement é levres; [H] beth, [H] vau, [H] mem, et [H] pe. Lesquelles lettres de chaque classe, se transchangent bien aisément, et se mettent l'une pour l'autre; Si que quasi on se passeroit en tout de cinq caracteres variez neaumoins aucunement ainsi que dessus. Mais nous n'en pouvons pas faire ainsi, qui avons nos lettres sans points, ny accents, les voyelles mesmement prescriptes et limitees; combien qu'il y ait des nations qui les proferent l'une pour l'autre; comme les Anglois e pour a, et i pour e: Les Allemands d pour t, et au rebours; f pour p; v consone pour f, etc. Pour nostre regard, nous avons seize consonantes à l'imitation des Latins; b. c. d. f. g. k l. m. n. p. q. r. s. t. x. z: qui se soubsdivisent on sept demy-voyelles; f. l. m. n. r. s. x; dont il y en a quatre qu'on appelle liquides, les Grecs les nomment immuables, l. m. n. r. Il y a puisapres cinq voyelles; a. e. i. o. u dont i et u tiennent par fois lieu de consones.
De la reduction des lettres à un moindre nombre, et des commoditez qui s'en ensuivent.
VOIONS maintenant comme nous les pourrons raccourcir, et reduire à moins: car & et: q sont abbreviations et non lettres: et y est pur Grec, au lieu duquel bien que les Latins, et nous encore plus frequentement l'employons, nous pourrons <f 237v> sans aucun inconvenient nous passer de nostre i et en lieu de z pareillement mettre s Pour x aussi cs, comme en Alecsandre pour Alexandre; et quelquesfois ss; et plus durement encore gs. Au lieu du q, nou-nous servirons du c, car aussi bien un u suit tousjours apres, au moins si c'est en un mesme mot; et pour le k pareillement; et le g encore, s'il est devant a. l. o. r. u. comme en Cabriel, cloire, Couverneur, cros, cuerdon; car mesme il y a plusieurs nations qui le prononcent de la sorte. Si c'est devant e ou i, la consone J pourra estra substituee en son lieu; ainsi qu'en Jentil, et Jilbert, pour gentil, et gilbert. Pour f, on accouplera ph; car il n'est pas question d'observer és chiffres une si exacte orthographe; au contraire il y en a qui la pervertissent et debauchent tout expres, afin d'obscurcir tousjours davantage; mais je ne serois pas de cest advis, car il y a assez d'autres expediens sans recourir à cest vaine superfluité de labeur pour le dechiffrant. H est necessaire, et malaisément s'en peult-on passer, mesme en nostre langue; neaumoins il est assez aisé de la representer tacitement par quelque petite marque secrete: et quand bien elle sera comprise en la reduction que dessus, le nombre n'arrivera qu'à seize; a. b. c. d. e. h. i. l. m. n. o. p. r. s. t. u; qui se pourront puisapres restreindre à huict, en diversifiant chacune de ces 16. lettres de deux façons, où il y ait tant soit peu de difference qu'elles se puissent discerner l'une de l'autre; et le moins qu'il y en pourra avoir sera le meilleur, pour oster davantage <f 238r> le soupçon: Que si on les deguise de quatre sortes, comme il est facile selon ce qui se demonstrera cy apres, ce sera reduire toute nostre escriture de chiffre à quatre caracteres tant seulement. Le fruict ausurplus et commodité qu'on peult attendre de ce retranchement de lettres, se peult assez apparcevoir par la table suivante, promise cy devant au fueillet 185. quant au lieu de 400. caracteres qui escheent à un chiffre carré de vingt lettres, il n'y en a icy que 256. le carré de 16. et par ce moien 144. sauvez par la substraction de quatre lettres: Enquoy pur la difference des seize nou-nous sommes servis des punctuations, avec les caracteres Grecs: mais on pourra trouver en cela assez d'autres expediens, chacun selon sa fantasie; comme mesme de renverser lesdites lettres de toutes les sortes qu'elles le peuvent endurer; y en ayant à cela de plus propres les unes que les autres, car elles tiendront lieu d'autant de divers caracteres: Dont pour se restreindre à un exemple qui pourra reigler tout le reste, nou-vous proposerons icy le B en ces quatre assiettes: [X]
<f 238v> [FIGURE]
<f 239r>   IL y a d'autres retranchemens encore qui se pourroient faire, bien qu'avec moins de facilité que les dessusdits; tels que de b, ou p, qui ont presqu'une mesme prolation; et pareillement d ou t, ainsi qu'en Pabtiste pour Baptiste; Alexantre pour Alexandre; drefves pour trefves; et semblables commutations, fort familieres aux Allemans: comme estoient aux anciens Romains celle de r en s; ainsi qu'en Valesius pour Valerius; Fusius pour Furius; dequoy font assez de foy leurs inscriptions tant és marbres, qu'en bronze: Ce qu'ont imité les Parisiens de treslongue main; mais le pollissement de la langue leur a en fin faict laisser ce masy masault, pour mary marault; et au contraire rairon pour raison. De tout cecy l'on ne s'en peult pas beaucoup prevaloir en ceste reduction de lettres, à cause de plusieurs equivoques qui pourroient aisément pervertir le vray sens, et mettroient en trop de peine le correspondant, mesmes si c'estoit à la teste des dictions, où ceste commutation seroit du tout intollerable, comme en saison pour raison, etc. Et en cas pareil ce que ces anciens Latins mettoient quelque-fois o pour i, ollis pour illis; et pour u o encore, Hecoba pour Hecuba, notrix pour nutrix: Et e pour i, Menerva pour Minerva; leber pour liber, qui est bien plus rude: Le tout à l'imitation de ce que dessus des Hebrieux; ce que nous ne pouvons pas ainsi librement faire: Bien est vray qu'en beaucoup d'endroits, soit par certaine affecterie, soit par le vice de la dialecte, quelques-uns voulants plus serrer les dents qu'ils ne doivent, proferent un [¨] au lieu d'un [¨] et un [¨] pour un [¨]: Joint qu'en <f 239v> chiffre celà se pourroit bien suporter par certaine petite marque d'un poinct ou accent, et semblables notes; mais il fault chercher d'autres adresses plus compendieuses et mieux alignees.
  TOUT ainsi donques qu'on tasche en ces artifices de chiffres les plus subtils et couvers de tous autres, de restreindre le nombre des lettres au moins qu'on peult; car là consiste l'une des principales reigles et maximes; il fault en contr'eschange chercher le plus de diversitez desdites lettres quant à leur forme, qu'on pourra.
Quatre principales maximes deschiffres.
Car les chiffres dependent de quatre principales sortes de mutations, que selon la traditive des Peripateticiens, touche tacitement le Rabi fils de Maymon en la 4. proposition du premier chap. du 2. livre: assavoir selon la substance, ce qu'on appelle generation et corruption; à quoy se raportent és chiffres les diverses figures des caracteres, ainsi que Rabbi Jehuda l'explique en son commentaire sur le Jezirah. Enapres, selon la quantité, qui depend de la grandeur ou petitesse, augmentation et diminution; comme nous le monstrerons cy apres en practique, par l'estendu et accourcissement des lignes et des espaces servans de lettres, sans autre difference de figure. Tiercement, selon la qualité où consiste l'alteration; à quoy se raportent les Thmurah, et les Ziruph, qui sont les eschanges des caracteres les uns és autres. Et finablement selon le lieu, qui est le changement d'assiette et de place; assavoir les Ethbas, metatheses, orchemes, anagrammes, et transpositions. <f 240r> Mais plus particulierement encore, et comme en detail, tout cecy se peult distinguer en neuf differences; qui sont la substance, quantité ou magnitude, figure, composition et assemblement, nombre, colligance, complexion ou temperament, action, et utilité.
  IL a esté dit au fueil. 190. qu'un des principaux artifices et ruzes des chiffres dependoint de la reduction des lettres à un moindre nombre; ce qui se pouvoit effectuer de trois sortes; ou en retranchant les inutiles et superflues dont on se pourvoit aisément passer, comme il a esté monstré cy dessus: ou en accouplant plusieurs mesmes lettres ensemble pour en faire une; et de cela en ont esté donnez assez d'exemples depuis le fueil. 200. quelques-uns plus ingenieux encore estans reservez à quand il sera question de la Ghematrie: Ou en diversifiant lesdites figures et caracteres; qui est augmenter d'un costé ce qui auroit esté accourcy d'un autre; car pour sept lettres eclypsees de vingt trois, pour reduire l'alphabet à seize, si de chacune de ces seize nous avons quatre differens caracters, qui arriveroient à 64. ce seroient quarante une d'augmentation: mais il ne le fault pas prendre de ceste sorte; car il est icy question du nombre des lettres ordinaires de nostre commune escriture, et nompas de celuy de leurs caracteres, qui se peuvent diversifier avec de tresgrandes commoditez: et entre autres que les 16. lettres à quoy ont esté reduittes les vingt trois, se peuvent restreindre encore à quatre, <f 240v> leur donnant à chacune quatre diverses figures, qui par ce moien parferont le nombre de seize: et de là viendront à naistre quatre differends alphabets, chacun de quatre lettres tant seulement, et neaumoins tousjours de seize caracteres: Je bats icy un chemin peu frayé des autres. Que si nous voulons estendre les lettres jusqu'à vingt cinq; et d'autre part les restreindre à quinze, parce qu'au lieu de H se pourra aiseement substituer une virgule, ou autre telle note secrete, il ne faudra que cinq lettres, chacune deguisee de trois manieres pour faire un alphabet de quinze; tellement que desdites vingt cinq lettres nous tirerons cinq alphabets differends, de la sorte que vous verrez subsequemment: mais il vaut mieux premettre devant un essay de ces varietez de figures; enquoy quatre suffiront pour ceste heure, qui doivent neaumoins estre les plus conformes qu'il sera possible; et qu'il n'y ait que tant soit peu de difference qui puisse suffire pour les faire secretement discerner, à fin d'oster le soupçon de l'artifice.
<f 241r> [FIGURE]
  MAIS en ceste table suivant il y a 25. lettres, comparties en cinq alphabets, chacun desquels n'en contient que cinq; qui diversifiees de trois façons font le nombre de quinze; H y estant representee au <f 241v> bout, par une virgule, ou semblable punctuation. Tout cecy se peult et doit transposer pour chacun en particulier; neaumoins je l'ay mis à l'accoustumé, pour plus facile intelligence.
[FIGURE]
<f 242r>   AU regard des commoditez et usages qui se peuvent tirer de ce retranchement de lettres, et de leur diversité de figures, il seroit bien malaisé de les limiter, estant ceste carriere ample et spacieuse, pour s'y exercer chacun endroit soy à son appetit, qui d'une façon, qui d'une autre; Si que tel se rencontrera en quelque belle invention, où les autres n'auront pas encore donné: parquoy je me contenteray d'en toucher icy quelqu'-essaiz; et sur la fin du livre d'autres encor de plus d'importance, qui en monstreront aucunement la practique. Et en premier lieu ces accouplemens de trois lettres pour en faire une, en la page 200. et leurs diverses transpositions pour les varier, se peuvent reduire à une seule, à tout le moins en apparence; car nonobstant qu'il y en ait trois, elles sont neaumoins si peu dissemblables, ains si conformes, que qui ne seroit adverty de l'affaire, malaisément s'en pourroit-il appercevoir ne douter. Mais encore que toutes les lettres se puissent desguiser en plusieurs sortes, commes vous l'avez peu voir cy dessus, si en y a il toutesfois de plus propres à cela que les autres: comme le d, qui se varie fort aisément selon qu'il est plus ou moins alongé; f par les diverses clostures de sa teste, et l'extention de son traict en bas; s de mesme; o l'un tout rond, l'autre en ovale, et le tiers un peu escarri sur les flancs; y estant ouvert à la teste, ou du tout clos; comme aussi le z: avec maintes autres <f 242v> differences qui se peuvent mieux representer en portraicture, que donner à entendre par escrit; et que chacun se peult forger à sa fantasie. Ces trois lettres donques a. b. c. proposees pour un exemple au fueil. dessusdit 200. se pourront eschanger à une seule, variee de trois façons; assavoir a en un o tout rond, comme vous le voiez icy en Romain: b en un o longuet et oval, tel qu'est l'Italique: et c en une autre maniere de o, tant soit peu carré sur les flancs qu'il suffise pour le discerner; mais on n'en use pas en l'Imprimerie. Ausurplus l'on procedera en tout et par tout de la mesme sorte que porte la practique qui est là traictee en ce fueil. pag. 2. Mais au suivant 201. il y en a encore une autre, non avec trois lettres, ains une seule par ses divers accouplemens; qui s'en va le mesme chemin que les poincts, asterisques, et autres figures semblables n'aians aucune difference entre'elles; là où o auroit esté pris pour exemple: et pour ce que les intervalles et separations qui les distinguent pourroient amener quelque soupçon, qui conduiroit finablement à la descouverture de l'artifice, ce sera pour le mieux de remplir lesdits espaces avec une autre mesme lettre variee aucunement, afin que l'escriture soit toute egalle sans point d'interruption ny de bresche, et par ce moien que la ruze demeure cachee: Ce que nous representerons icy puis que nous ne pouvons mieux, avec le o Romain pour les accouplemens qui forment les lettres, de la mesme sorte qu'en la pag. 201. Et le o Italique servira pour faire les separations, et <f 243r> remplir les vuides; Enquoy nous prendrons ce subject: Tout se peult à un bon esprit, qui ira de ceste maniere O O 0 O O O 0 O 0 O O 0 O O 0 O 0 O O 0 O O O 0 O O 0 O O 0 O O O 0 O 0 O O 0 O 0 O O O 0 O 0 O 0 O O 0 O O 0 O O 0 O O O 0 O 0 O 0 O O 0 O O 0 O O O 0 O O 0 O 0 O O O 0 O O 0 O O 0 O O O 0 O 0 O O O 0 O O O 0 O O 0 O O 0 O O O 0 O O 0 O O 0 O O 0 O O 0 O O O 0 O 0 O 0 O O 0 O O 0 O 0 O O 0 O O 0 O O 0 O 0 O 0 O O 0 O O 0 O 0 O O O 0 O O 0 O O 0 O O O 0 O O 0 O 0 O O 0 O 0 O O 0 O O O 0 O O 0 O O O 0 O 0. Certes cela n'estant point divulgué, donneroit assez à penser de plaine arrivee: Bien est vray qu'il y a une grande quantité de caracteres pour exprimer peu de subject; Parquoy nous en chercherons icy d'autres voyes plus compendieuses. Chiffre de cinq caracteres tant seulement.
  CY devant en la page 202. a esté inseree une petite table monstrant la maniere, qu'au lieu de trois caracteres qu'il failloit pour chaque lettre, on se pourra passer de deux; mais en recompence là où pour ces trois l'on n'en emploioit aussi que trois differends; il est en cest autre besoin d'user de cinq sur vingt lettres, dont ils font la quarte partie. Si donques ces vingt lettres sont reduittes à seize, il n'en faudra que quatre; lesquelles appariees deux à deux suffiront pour escrire tout ce qu'on voudra. Ausurplus cela se peult effectuer, tant avec les capitales marquees de rouge, que les notes du chiffre, qui iront pour lettres; et se reserver 9. et 0. pour nulles, ou pour entresemer un sens apart.
<f 243v> [FIGURE]
  LA practique en est toute telle que des cinq lettres, prenant celles qui sont marquees en capitales rouges au front d'enhault et à costé, au croisement desquelles se rencontrera la petite lettre de l'aire, qu'on veult exprimer; comme t en x et q; o en q q; u en x x: t en x q: Somme x q q q x x x q, qui veult dire Tout. Ce n'est que la mesme chose tousjours, peult-on alleguer: ouy; mais si au lieu de ces quatre lettres nous n'en prenons qu'une seule variee de quatre sortes, selon que vous avez veu cy dessus;
Chiffre d'une seule lettre.
si que la premiere de chaque carré serve pour f; la seconde pour g; la troisiesme pour q; et la 4. pour x; ce sera comme escrire d'une seule lettre, à cause de ce peu de difference qui y est marquee secretement. Aumoien dequoy voilà une autre commodité que nous ameine encore ce retranchement de lettres; et leurs diversitez de figures. Le mesme se peult practiquer encore <f 244r> par les caracteres du chiffre a compter, selon qu'ils sont cottez en la table susdite au bas des capitales rouges, deux pour chacune, dont l'on prendra laquelle qu'on voudra; comme pour exprimer t, au lieu de x q qui le representent, on peut mettre 43. ou 47. ou 83. ou 87. et ainsi des autres, en les accouplant à vostre discretion et plaisir, selon que vous l'aurez comploté avecques le correspondant:
Fueil. 199.
lesquelles manieres de chifres sont comme l'envers de ceux à double entente, où chaque caractere importe deux lettres; et en ceux cy, les deux ne servent que pour une. Et là ou és chifres doubles on choisist au bord d'enhaut et de costiere les lettres qu'on veut representer par les caracteres semez dans l'aire, qui respondent à la croisee du rencontre desdites deux lettres, icy au rebours on prend dans l'aire la lettre qu'on veut desguiser par les caracteres des bords, qui se vont rencontrer en ladite lettre.
  AU regard de la seconde table, qui consiste de cinq alphabets, chacun de cinq lettres tant seulement; mais variees de trois façons pour fiare quinze, car H y est exprimee par l'une des punctuations, part un autre artifice fort extravagant;
fueil. 37. 132. 188.
à l*imitation presque de ce chaos et confusion de lettres enquoy le Torah ou la loy fut donnee à Moyse, en un globe de feu: à sçavoir d'escrire cinq choses differentes, voire en cinq langages tout pesle-mesle, par les cinq alphabets dessusdits, dont il en a esté desja touché cy devant quelque chose au fueil. 193. mais là on procede par la triplication des trois caracteres; et icy par la triple <f 244v> varieté de figure en chacun des cinq. Et combien que de primeface cela semble devoir estre si embarrassé, qu'il n'y a esprit qui sceulst prendre la patience de le demesler; neaumoins rien n'est de plus dilucide et aisé; à cause que les alphabets sont fort bien distincts; et se peuvent facilement discerner les uns des autres, tant au chiffrer qu'au dechiffrer. Mais pource que cela se comprendra mieux par exemple, en voicy un ouquel il y a cinq mots, chiffrez chacun par son alphabet à part; Vertu n'a besoin de faveur.
[FIGURE]
Chiffre double de 72. caracteres.
  DE ce mesme retranchement, et de la varieté de figure, part une autre invention encore d'un chiffre carré à double entente, le plus exquis de tous ceux qui ayent esté descouvers jusqu'icy, car il consiste de peu de caracteres au prix des autres, dont il est tant moins embrouillé, et plus facile à faire croire qu'il n'y auroit que l'un des deux sens, si l'on estoit surpris, et qu'on fust contraint d'exhiber son chiffre: mais aussi a il fallu pour cest effect de seize lettres se restreindre à douze; enquoy neaumoins il n'y a pas beaucoup d'incommodité; car H en premier lieu passe par la punctuation; B se peult aisément suppleer par le P; D par T; et O par V: mieux assez que nompas au rebours V par O: T pr D: et P par B: parquoy nous <f 245r> les avons icy emploiez plustost que les autres. Chaque caractere ausurplus des 24. est diversifié en trois manieres, pour arriver au nombre de 72. à quoy monte la multiplication des douze lettres estendues de front, par les six accouplees deux à deux à costé, comme on peult voir en ceste table.
[FIGURE]
  EN voicy la practique, pour laquelle nous prendrons ce double subject; assavoir pour le sens qu'on voudroit tenir moins caché; Un tel monstre de vous aimer; et pour l'autre plus reservé; Mais il vous trahira s'il peult. Vous y procederz doncques ainsi, mais il fault entendre, d'autant que les lettres marquees en capitales à costé sont accoupplees deux à <f 245v> deux, parquoy il adviendroit souvent, qu'au dechiffrer on seroit en peine de sçavoir celle qu'on devroit prendre; qu'à cela il se remedie par le moien de ces deux caracteres f f et s s, ou de semblables; qui en apparence seront semez parmy les autres comme pour nulles tant seulement, mais en secret, par tout où il sera question d'exprimer la lettre de dessous, on mettra consecutivement apres celle qui la represente, l'une de ces deux notes, qui en servira d'advertissement: Pour celle de dessus, il ne fault que le seul caractere du rencontre, en ceste maniere; V et M, se viennent croiser au troisiesme q de la table: N et A, au second t: T et I, au troisiesme n: E et S, au premier y: et ainsi des autres. Vous pouvez encore adjouster si bon vous semble une tierce nulle comme z, ou autre telle, qui servira pour la separation des mots, et en eviter le meslange et confusion: et au reste transposer le tout comme il vous plairra.
  ON peult d'abondant proceder en ces chiffres doubles d'une autre sorte, estendant les seize lettres de front; et pour le regard de celles qui leur correspondent au costé gaulche, les reduire à douze; parquoy il les faudra tripler, afin qu'il n'y ait que quatre rengs;
Autre chiffre double de 64. caracteres.
si qu'il n'y aura que 64. caracteres en tout: comme vous pouvez voir par la table suivante, où nous avons employé ces caracteres de plusieurs sortes, et la plus grande part renversez, pour nous accommoder à l'Imprimerie; mais en leur lieu, l'on en peult forger à sa fantasie de tous nouveau. Que si c'est la premiere <f 246r> qu'on vueille exprimer, il ne faudra rien adjouster apres le caractere du rencontre: Si la seconde, on l'accompagnera d'un coma : si la troisiesme, d'un poinct. On y peult semblablement inserer des nulles, qui tiendront par fois le lieu desdites punctuations, afin de diversifier tousjours.
[FIGURE]
  MAIS on peult reduire les seize lettres d'enhault à douze, aussi bien que celles qui sont à costé, de façon qu'il n'y en auroit que 48.
Autre de 48. et de 24.
Et encores en les accouplant deux, à deux comme les autres sont trois à trois, que vingt quatre; moyennant cinq punctuations, en ceste maniere. La premiere des deux d'enhault avec la premiere de costé, rien que le caractere du rencontre tout simple. La premiere d'enhault avec la seconde costiere, une virgule subsequemment , . Ceste premiere avec la 3. costiere une disjunctive ; . La seconde d'enhault avec la premiere costiere un coma : avec la 2. un poinct . avec la troisiesme un interrogant ? . le tout selon ceste table. Que si ces accouplemens de deux lettres au front d'enhault estoient <f 246v> chacun reduit à trois comme les costieres, et restreints en quatre espaces, il ne faudroit que seize caracteres en tout pour ce chiffre double:
De seize.
Fueil. 236. b.
Qui est-ce que nous avions proposé cy devant, de monstrer les moiens comme d'une telle multitude et confusion de quatre cens caracteres és chiffres doubles de vingt lettres, on se pourra peu à peu, et par les menus, restraindre jusqu'à un tout seul; à l'exemple que toutes choses provenans de l'UN, ou de l'UNITÉ, et de là s'estendans comme en infiny, retournent finablement d'ou elles partirent.
[FIGURE]
Chiffres meslez.
  ICY me revient en memoire certain chiffre que je pourrois avoir oblié cy devant, lequel participe des clefs, et des chiffres carrez à double entente, bien qu'il soit simple, mais au reste indissoluble. Car ores que l'esprit humain par son industrie et sagacité puisse descouvrir quelque chose sur ce qui luy est proposé en veuë; que sçavroit-il neaumoins conjecturer <f 247r> ne gloser sur ce qui ne luy apparoist en aucune sorte ? Ignotum, à sçavoir, per ignotius; ainsi que pourroit estre quelque mot du guet complotté en la secrete pensee de deux persones qui s'entr'entendent: Ce seroit certes une trop outrageuse devinaille, surpassant presque la portee Angelique;
3. des Rois, 8.
car celà est reservé à Dieu seul; Qui nouit solus cor omnium filiorum hominum. Ce chiffre donques depend encore de la table du fueil. 50.b, ou autre semblable carree; dont l'usage se fourche en deux en cest endroit, avec bien peu de difference. Pour exemple soit ce theme icy pris du poëte Arat; Nous sommes tous d'une celeste race; au lieu de proceder à un sens double, nous n'en prendrons qu'un seulement; que nous contrechiffrerons sur quelque subjet tenant lieu de clef; comme, pour avoir plustost fait, le commancement cy dessus; Icy me revient en memoire:
Fueil. 48. & 49.
il faudra faire selon qu'il a esté dit és chiffres des clefs;
Fueil. 50.b.
c'est de regarder au front d'enhaut de la seconde table és capitales noires, qui sont en cest endroit plusapropos que les rouges, la premiere lettre de vostre clef, qui est i; et en sa colonne descendant en bas, à quelle autre lettre des carrez de l'aire elle se va rencontrer au croisement de la premiere de vostre sujet, és capitales noires aussi de la main gaulche; ce sera r. Poursuivez de mesme: Soubs c, o se retrouve en m: souz i, u en c: souz m, s en o: tellement qu'au lieu
de Nous il y aura r m c o.   L'AUTRE voye est de mettre au lieu de la lettre contenue és petits carrez respondant au rencontre <f 247v> des deux capitales; une qui soit la tantiesme de l'alphabet, qu'est le carré à compter descendant en bas, ouquel se rencontre laditte lettre; comme au lieu de r qui se trouve au dernier sous i, mettre x, qui est la vingtiesme lettre, parce que c'est la vingtiesme chambre et la derniere, comme x l'est de l'alphabet de vingt caracteres. Au lieu de m, qui se rencontre la premiere au croisement de c et o, mettre a, qui est la premiere aussi: au lieu de c la septiesme en la croisee de i et u, mettre g: au lieu de c en la croisee de m et s, où elle est au 5. carré, mettre e: ou bien prendre transversalement l'ordre desdites lettres és rengees de gaulche à droit, mais il faudroit transposer autrement les lettres, parce qu'ells ne sont pas là bien ordonnees pour cest effect. Vostre dexterité et discretion vous guidera pour le surplus. Et encore que cecy ne paroisse de primeface autre chose que les chiffres des clefs; c'est neaumoins une ouverture à d'autres fort ingenieux artifices, à qui y voudra un peu mediter de plus pres. Car tout ainsi que des lignes procedent les superfices; et des superfices les corps solides: et que de plusieurs demonstrations simples d'Euclides en forment d'autres composees; et de ces composees, d'autres encore qui le sont plus; en semblable des Maximes et reigles generales des chiffres de nous atteintes en cest ouvrage, s'en peuvent forger un grand nombre, qui seront meslez de deux, trois, ou quatre d'icelle; tel qu'a esté le precedant: auquel nous adjousterons de surcrez l'artifice d'escrire de quatre lettres du fueil. 143. mais practiqué d'une autre sorte.
<f 248r> Autre chiffre à clef, de quatre lettres.
Je chiffre donques ce que je veux tenir occult sur tel subjet qui aura esté convenu avecques mon correspondant: et pour exemple soit celuy mesme de cy dessus; Nous sommes tous, etc. Et la clef pareillement, ou contresujet; Icy me revient: n apres i se trouve estre la troisiesme en ordre; je mettray non la 3. lettre c, ains y procederay d'une autre façon, pour n'user que de quatre lettres, dont l'une encore ne servira que pour la distinction des nombres qui expriment icy les lettres: les nombres dis-je à l'imitation des Latins, qui jusqu'à cent n'en emploient que ces quatre icy; I. V. X. L. mais jusqu'à vingt les trois premieres suffiront; au lieu desquelles j'en substitue d'autres pour tousjours desguiser l'affaire;
Fueil. 230
prenons que ce soit F au lieu de I: G au lieu de V: et H de X: Q, ira pour la distinction: parquoy je fais en ceste sorte: n apres i se rencontre estre la troisiesme, qui seroit c, en lieu duquel je mettrois III qui font trois, mais je mets trois f f f, avec un q pour la separation. Poursuivez de la mesme sorte; o apres c est la dixiesme; au lieu de x qui fait dix, je mets h qui tient son lieu, et q pour la separation: u apres i est la dixiesme, je mets h q: s apres m est la vi. je mets g f q: et ainsi du reste: si que ce mot de nous, chiffré sur ici m, va de ceste sorte f f f q h q h q g f q. Et à la verité qui ne cognoistroit le secret, il seroit bien malaisé d'y rien deviner ny comprendre: et aussi peu, voire encore moins de venir à bout de le dechiffrer, parce que chacun peut diversifier <f 248v> ces caracteres, et les transposer à sa fantasie, pour son usage particulier: mais il seroit bien aussi bon les laisser és nombres, comme si c'estoit quelque compte qu'on eust à rendre; au lieu du q mettant un point pour separation en ceste sorte; III. X. X. VI. que si vous m'alleguez la pluralité desdits caracteres pour exprimer une seule lettre, usez de ceux du chiffre variez de deux façons, si que chacun representera le sien: ou bien de lettres en leur lieu comme vous verrez cy dessous. Mais n'employant que quatre caracteres, vous pouvez inserer parmy un contexte des autres seize qui restent, tant des notes du chiffre que des lettres; chiffré de l'une des manieres qui vous viendra le plus à gré. Voicy au reste la variation de ces caracteres, qui amenera de fort grandes commoditez;
Fueil. 192. b.
et mesme l'artifice d'un chiffre double, en les accouplant deux à deux au lieu de trois; car leur difference est si petite selon que vous le pouvez voir, que malaisément se peult-on douter de la ruze; principallement en l'escriture à la main, d'autant qu'elle ne consiste qu'en un peu plus ou moins de rondeur ou carreure. Et pour ce que les lettres estants reduittes à seize, il reste deux de ces notes du chiffre, qui disent quatre; ces quatre telles que vous les voudrez choisir, se pourront espargner non seulement pour des nulles en apparence, et pour la separation des mots, amsi par mesme moyen pour un sens à part, qui sera le troisiesme, suivant ce qui a esté redit desja plusieurs fois cy dessus; et que vous le verrez cy apres en practique.
<f 249r> [FIGURE]
  AU REGARD du chiffre double par les accouplemens desdits caracteres, il procede selon ceste table; de la propre façon que les autres: Surquoy on sera adverty qu'à cause que nous n'avons pas ceste difference en l'impression, les capitales marquees de noir, au front d'enhault, et à costé, monstrent qu'il faudra user de la note ronde pour la lettre qu'on veult exprimer; et les rouges, que c'est des carrees.
[FIGURE]
<f 249v>   POUR exemple, à ce que celà soit rendu plus intelligible; Tout est remply de la bonté divin; s et o se viennent rencontrer en 51. Et pource que t est rouge, il faudra marquer le 5. carré, et 1. qui denote o qui est noir, rond: mais le caractere carré estant icy exprimé en rouge, et le rond en noir, nous sommes contraints de l'exprimer en ceste sorte 51. Suivent apres u et t tous deux rouges, c'est à dire carrez, qui se croisent en 12. et ainsi du reste. Or quand celà ira tout d'un train, et de noir, joint le peu de difference qu'il y a en la varieté d'un mesme caractere, il semblera; qu'il n'y en ait en tout que huict; et malaisément se pourroit-on appercevoir de la ruze, que chasque caractere en si petit nombre peust aller pour deux lettres, en quelque sorte qu'elles se puissent accoupler; voire deux et demie encore, so on vouloit y employer toutes les dix notes, qui disent vingt; et se passer de seize lettres.
  AINSI les notes du chiffre à compter semblent estre fort à propos pour l'occulte et secrete escriture, tant à cause de la facilité de leur formation, que pource qu'en quelque sorte qu'on les arrenge, ils constitueront tousjours un nombre, dont l'on se pourra aisément souvenir, tant au chiffrer qu'au dechiffrer. Bien est vray que le mesme se pourroit faire, et pareillement au calcul, par toutes sortes de lettres usitees par les nations; et par des caracteres faits à plaisir, mettant a pour 1. b pour 2. c pour 3. etc. jusques à neuf; et h pour le zero O: Ce qui se peult <f 250r> transposer ainsi qu'on veult, et en changer le contexte en tous sens; à recullons, du hault en bas, du bas en hault, et autrement pour esteindre le soupçon que ce fust escriture desguisee, ny autre chose qu des nombres ou Sommes; ce que ces caracteres ont de preciput sur tous autres. Dont voicy encore un nouvel artifice, qui mettroit en grande perplexité d'esprit ceux qui n'entendroient le secret; parce que la moictié des seize lettres vont seule à seule; et le reste deux accouplees ensemble, comme ceste figure le vous demonstre. 1. au reste sert pour les distinguer, et O. pour la separation des mots.
[FIGURE]
  POUR escrire donques le mesme subject dessusdit; Tout est remply, etc. il y aura en ceste sorte: 23171241231O291221231O9129151814131O. Mais là dessus s'en peuvent bastir plusieurs autres.
  A CE propos, je me resouviens d'avoir veu autrefois des psaultiers exprimez par nombres en ces notes du chiffre à compter; non que cela formast aucune escriture, car il n'y en avoit point du tout, et n'estoit que pour un redressement de memoire:
Chiffre pour la memoire.
car <f 250v> les pseaumes estoient là compartis par tables, chacune appropriee au sien; contenant autant de doubles rengees divisees en dix espaces, qui disoient vingt, comme il y avoit de versets au pseaume: et autant de ces espaces remplis de suitte par ordre, comme le verset À contenoit de mots; Si que chacun d'iceux exprimoit le sien par le nombre premierement de syllables; et audessous, par celuy des lettres: le tout de la sorte que vous voiez icy representé le pseaume 117.
  Laudate dominum omnes gentes: laudate cum omnes populi.
  Quoniam confirmata est super nos misericordia eius:
  Et veritas Domini manet in aeternum.
[FIGURE]
  CELA avons nous bien voulu inserer icy; tant parce qu'il n'est pas hors du subject des chiffres, que <f 251r> pour faire voir combien les hommes de tout temps ont esté curieux de se trasser chacun endroit soy quelques notes secretes pour se receler de la cognoissance des autres: comme les marchans en leurs marques, et papiers de compte; les medecins en leurs pieds de mouche; les Jurisconsultes en leurs paragraphes; et autres semblables. Mais nous en monstrerons cy apres bien de plus bizarres et derobbees; non en forme ny usage de lettres hieroglyphiques, chaque caractere important quelque sens complect, ains d'escriture lisable et distincte ainsi que celle de tous les livres, combien que malaisément pourroit-on soupçonner que c'en fust: Et ce à l'imitation des Egyptiens, qui anciennement ont usé de l'un et de l'autre, selon que les tesmoigne ce lieu d'Apulee en sa Metamorphose de l'asne doré: Veteres AEgyptii libros habuere ignorabilibus literis praenotatos, partim figuris animalium concepti sermonis compendiosa verba suggerentes; partim nodosis, et in modum rotae tortuosis, capreolatímque condensis apicibus à curiositate personarum lectione munita.
fueil. 131.b.
  IL a esté dict cy devant que tout le faict de l'escriture, et des chiffres par consequent, car ils en dependent, consistoit en la forme des caracteres; en leur ordre; et en leur puissance: Que la forme au reste, gist ou en la figure des lineamens, ou en la varieté des couleurs, ou des deux ensemble; car un a noir peult representer une lettre; et un a rouge une autre: un verd tout de mesme, jaulne, ou bleuf, etc. <f 251v> De sorte que par la seule diversité des couleurs, sans difference de figure, on pourroit bien representer toutes sortes de lettres; et escrire de caracteres semblables; ny plus ny moins que d'autre-part nous escrivons communement d'une couleur seule, moiennant la varieté de figures. Et sur ce propos des couleurs diverses en des figures qui sont semblables, se presente une assez gentille invention, d'exprimer toutes ses conceptions au lieu d'escriture, par des cottoueres, ou patenostres, et autres tels desguisemens d'enfileures tenans lieu de lettres, selon que vous pouvez voir par cest alphabet; dont les huict couleurs y marquees representent autant de lettres doubles, qui par le moien de quelques petits grains l'un d'une couleur, et l'autre d'un autre, qui seront semez entredeux, se pourront discerner: Pour exemple si une patenostre d'esmail blanc sert pour un a, y ayant un grain de corail enfilé apres, la mesme servira pour un b, si elle est secondee d'un grain d'ambre, ou de Jayet; et ainsi du reste.
[FIGURE]
Fueil. 201.
  MAIS celà est un peu grossier; et se peult plus ingenieusement practiquer par la voye de poicts · ·· ··· et des O OO OOO. Employant pour des O Romains, qui par leurs divers appariements establissent les lettres, <f 252r> quelques grains de Jayet, ou d'Ebene; et pour les Italiques longuets en ovale, 0, qui font la separation, des grains de corail, d'or, d'argent, ou semblable estoffe, à la discretion et commodité d'un chacun. L'AUTRE maniere depend de la table du fueil. 243.b. avec quatre sortes de grains, accouplez deux À deux pour former les lettres, selon que vous le pou vez voir esclarcy distinctement par cest alphabet.
[FIGURE]
  DE ceste ouverture d'enfileures et de Patenostres, et de la diversité des couleurs, peuvent naistre infinis autres artifices de mesme, pour contrefaire l'escriture, par des grottesques, guillochis, entrelaz, fueillages antiques, et moresques; et autres telles fantasies, à guise des tapiz de Turquie, et ouvrages de damasquin. J'ay veu mesme arrenger et picquer desespingles par quarterons, en de gros papier comme on les vend communement, dont la difference consistoit à la teste, l'une un peu mieux arrandie et frappee que l'autre, faisans par ce moien un effect semblable, que les deux sortes de patenostres, ou grains <f 252v> susdits. De maniere qu'en cest endroit il est impossible d'en prescrire aucun limite ne borne; Il suffist d'en addresser le grand chemin, où ne se trouveront qu'assez de petits sentiers et addresses, toutes tendans à un mesme but. Aussi nou-nous estudions plus d'enseigner les maximes et reigles generales de bastir des chiffres de plusieurs sortes, que de les bailler mecaniquement tous maschez: et ce à l'exemple d'Euclide et d'Archimede, qui se sont contentez de traicter des demonstrations, dont on peust inventer infinis secrets d'engins, instrumens et machines materielles, presque d'un incroiable effect, dependantes toutes de certaines proportions, que l'esprit apprehende et comprend trop mieux que ne font les sens corporels, ausquels ils ne les ont voulu rabaisser ne assujettir; comme tresdoctement le deduict Plutarque en la vie de Marcellus. et en la seconde question du huictiesme des Symposiaques.
Mode de se faire entendre par des feuz de loin fueil. 115. fueil. 202.
  AU regard de l'artifice de faire entendre ses conceptions par des feux la nuict, et de la fumee sur jour, cela va presque conformement à l'escriture des lettres accouplees ensemble pour en faire une, que nous avons cy devant touchee, et que de surcrez ceste figure vous le demonstre; en laquelle les nombres d'enhault marquent les feux de la main droicte; et ceux de costé, de la gaulche: Si que pour representer un a, il fauldroit lever une torche ou flambeau allumé à droict, et un autre gaulche: Si un b, un à droict, et deux à gaulche: Si un g, deux à droict, et deux à <f 253r> gaulche: Pour un o, trois à droict et trois à gaulche: Pour un t, quatre à droict, et trois à gaulche; et ainsi du reste, selon que les nombres se viennent à rencontrer, et croiser en la lettre que vous voulez estre exprimee: mais cest alphabet se peult transposer comme les autres. Ceste practique passe encore à s'entreparler tacitement par les doigts, en les eslevant en lieu de flambeaux, ou les placquant par l'ordre dessusdit sur la bouche, ou sur l'un des yeux: sur laquelle ouverture se peuvent inventer mille autres petites gentillesses et subtilitez; parquoy je ne l'ay vouluë oblier icy.
[FIGURE]
  AU rang des chiffres, pour le moins occulte escriture, peult-on bien releguer aussi les minutes des grefiers, notaires, sergens, et semblables manieres de gens de practique: et encore l'escriture de beaucoup de personnes, qu'à peine autres qu'eux sçavroient lire; <f 253v> combien qu'elle ne soit que de nos lettres ordinaires, mais difformees de telle sorte, qu'on n'y sçavroit presque rien discerner. Or laissant à part ces vicieux chaffourremens qui procedent d'insuffisance, il y en a d'autres qui consistent en perspective, car en y regardant de front, on n'y sçavroit rien discerner de lisable; mais l'accommodant obligquement en l'assiette qui luy est propre, ce qui estoit imperceptible apparoist; Ce n'est pas chose toutesfois dont on se puisse prevaloir, ny en tirer aucun usage; il suffist de l'avoir remarqué en passant. Il y en a d'autres qui dependent de la seule acuité de la veuë; la lettre estant se deliee que l'oeil à peine la peult comprendre; telle que s'est veuë de nostre temps celle d'un gentilhomme Siennois appellé Spannochio, qui escrivoit sur du velin, sans aucune abbreviation, tout l' In principio de S. Jean, en autant ou moins d'espace que ne contient le petit ongle; d'une lettre ausurplus si exquise et si bien formee, qu'il ne seroit pas possible de mieux; mais qu'on n'eust sceu bonnement lire, sinon avecques les yeux d'un lyncee, ou à tout le moins des lunettes propres à ce, semblables aux miroüers improprement appellez ardents, qui rendent à la veuë toutes choses trop plus grandes qu'elles ne sont; tels que ceux dont Lampride escrit l'infame et debordé Heliogabale avoir eu un cabinet revestu, pour l'abbuz de ses detestables ordures: ou avec une phiole de cristallin pleine d'eau de vie, ou de vinaigre distillé au dernier degré de subtilité; car il n'y a rien de <f 254r> plus clair, ny plus transparent que ces deux liqueurs bien rectifiees, ny qui esclatte plus à la veuë; en mettant quelque lumiere au derriere, pour la reverberer sur la chose que l'on veult voir. Telle estoit aussi l'escriture, et les traits d'un peintre Anglois nommé Oeillarde, depuis huict ou dix ans en ça; d'autant plus à esmerveiller, que cela se faisoit avec un pinsseau faict des poils de la queuë d'un escurieu, qui ne resiste ny soustient pas comme feroit une plume de corbeau, qui est tresferme, et se peult tailler deliee sur toutes autres, ou de semblables; là où le pinsseau obeïst et traisnasse; si subtile pareillement, qu'il n'estoit possible aux yeux plus aigus d'y rien discerner, que par le moien de ces lunettes de perspective, et encore à un clair Soleil, ou avec le secours dessusdit de la phiole. Telles furent au temps jadis, et plus admirables sans comparaison, comme procedans des deux plus souverains maistres qui onques furent en cest endroit, les trois lignes de trois couleurs s'entrecoupantes en leur espoisseur, si espoisseur on doibt appeller des traits si subtils, que trasserent à l'enuy et emulation l'un de l'autre, Apelles et Prothogenes, selon que le racompte Pline liv. 35. chap. 10. lequel au 7. livre, chap. 21. apres Ciceron, allegue toute l'Iliade d'Homere, qui contient de quatorze à quinze mille vers, avoir esté escrite de si menue lettre en velin, qu'elle pouvoit toute en une coquille de noix, ainsi que nous voyons certaines paires de grands de Vendosme, propres pour une <f 254v> moienne personne. Zonare tome 3. de ses annales, en l'Empire de Basilisque, parle d'un boyau de serpent long de six vingts pieds, ouquel estoient escrites en lettres d'or l'Iliade, et l'Odissee: mais cela n'estoit pas si estrange que le precedant; et ce que Suetone touche en la vie de Neron, article 47. de deux gobelets qu'il avoit entre ses plus favorites et cheres besongnes; sur l'un desquels estoit gravee l'Iliade, et l'Odissee sur l'autre. Le mesme Pline au lieu cy dessus amené du 7. livre, met que Callicrates tailloit des formis, et semblables petits bestions d'ivoire; et Myrmecides des chariots attelez, de quatre chevaux, avec leur conducteur sur l'un; et des navires de la mesme estoffe; le tout si subtil et si delié, qu'il estoit comme impossible de faire distinction des parties: Ce qu'il resume encore au 35. liv. chap. 5. adjoustant que c'estoit de marbre, chose plus malaisee encore. Au surplus assez de gens ont peu voir de nostre aage, des coches de verre à quatre roües attellez de trois chevaux, avec le cochier tenant son foüet desployé en l'air, le tout couvert de l'aisle d'une mouche: et des ouvrages de plus fresche dacte d'un certain torneur de Crouttelles, presqu'incroiables: Entre autres un jeu de quilles avec la pirouette, dans une bouette garnie de son couvercle, le tout d'ivoire excellemment elabouré, qui ne pesoient pas ensemble trois grains. Je puis dire avoir veu aussi en mes jeunes ans un orfevre à Molins, natif d'Ansterdan en Hollande, qui avoit enchesné une pulce en vie, à une chesne <f 255r> d'or de cinquante chesnons, ne pesans pas toutesfois trois grains. Mais telles choses sont aucunement hors de nostre propos; aumoien dequoy il suffist d'en avoir incidemment parcouru ce peu que dessus.
  MAINTENANT pour venir au troisiesme article des chiffres, qui depend de l'ordre, suitte, et assiette des caracteres, dont le signifiances se changent selon leurs diverses collocations, j'en mettray cy des artifices qui consistent tout en cela; Parquoy il n'est point besoin d'y avoir difference aucune ny de figure, ny de couleur, ains seront les notes toutes semblables;
fueil. 76.b.
Comme de poincts, estoilles, fueilles d'arbres; et en somme tout ce qui se peult representer en nature, et hors d'icelle imaginer de fantastique en l'humain esprit. Bien est vray qu'en une telle page que pourroient estre celles-cy estendues au double, ne sçavroient tenir plus de cent ou six vingts caracteres qui servent: mais d'autant qu'és choses d'importance il n'est pas question de se dilater en langage, ains s'y restreindre le plus qu'on peult, ce nombre là pourra suffire pour exprimer assez de sens; à tout evenement il ne fault que reiterer, et desguiser le tout sous quelque pretexte qu'on verra le plus à propos; comme de mettre dans sa depesche en lettre aperte; Je vous envoie la figure et disposition du ciel, pour une telle, ou telle constellation; et choses semblables, pour <f 255v> effacer le soupçon que ce fust escriture. Davantage y a il rien en bonne foy, selon que vous le pouvez voir icy, qui mieux ressemble la face du ciel en une claire et seraine nuict paré d'estoilles, et l'assiette et collocation d'icelles en divers aspects et figures, telles que mesme les astrologues descrivent leurs astres ? car il ne faut pas estimer qu'elles aient esté ainsi temerairement arrengees ssans quelque mystere et signifiance, ainsi que l'a sceu fort bien remarquer Rabi Moses Egyptien liv. 2. chap. 20. de son directeur: Omnia ista sunt propter causam quam ignoramus; neque sunt frustrà, neque casu; sicut nec venae in corporibus animalium, ita vt vna fuerit grossa, alia subtilis, absque intentione aptatoris. In neruis etiam diuersitas etc.
fueil. 81.b.
Et pourtant est-il dit au pseaume 147. Que Dieu a compté la multitude des estoilles, et leur a imposé à toutes des noms; c'est à dire qu'il en sçait le nombre, et en cognoist les vertus, proprietez, et effects. Ce qu'il ne faut pas trouver si estrange de leur Createur, puis qu'un homme mortel Hipparque l'attenta bien, moiennant certains instrumens de luy inventez pour celà:
Pline liv. 2. chap. 26.
Ausus rem etiam Deo improbam, annumerare posteris stellas, ac sydera ad normam expangere, organis excogitatis per quae singularum loca atque magnitudines signaret:
De sorte qu'il en apperceut une à son dire, nouvellement nee de son temps, et adjointe à celles qui souloient estre: Ce qui le mit en opinion, et quelques-uns encore apres luy, que nos ames apres ceste vie venoient à estre transmuees en des estoilles: <f 256r> Là dessus mesme bat Mahomet au commencement de son Alchoran, de ceste belle jeune dame à qui les deux anges Aroth et Maroth aians declaré la maniere de monter au ciel, elle estant parvenuë là sans en vouloir plus redescendre, fut convertie en la lumineuse estoille du jour. Mais bien plus pertinemment au propos que dessus ce passage icy de Sainct Luc 10. [G] Resjouissez-vous plustost que vos noms sont escris au ciel; c'est à dire au livre de vie. Ce qui est confirmé encore par les traditions des Mecubalistes et Mages;
fueil. 54.b.
Que toute la nature n'est qu'un beau volume et registre, où sont escrites les merveilles du Createur; et mesme au ciel en belle lettre bien lisable, à ceux aumoins qui la cognoissent. Et de cela en fait un de ses articles le Comte Pic de la Mirande en la 74. des questions, ausquelles il se present de respondre par les proportions et les nombres; Vtrum in caelo sint descripta et significata omnia cuilibet scienti legere ? Et Agrippa apres luy au 2. liv. de son occulte philosophie, chap. 51. De maniere que ceste escriture celeste d'estoilles, est appellee des Cabalistes [H] Chetah Malachim, l'escriture des anges: Parquoy elle n'est point oisive ne fortuite;
fueil. 87.b.
ains tout ainsi que l'assiette des pieces sur un tablier en un jeu d'eschets ne signifie rien à ceux qui ne l'entendent pas; si fait bien à de bons joüeurs, qui ne sçavroient voir remuer une piece qu'ils ne comprennent aussi tost à quoy cela tend; de mesme est-il de la collocation des estoilles, et de <f 256v> leurs diverses assiettes en tant de differends compar-stimens, qu'il n'est possible de les nombrer, constituans par ce moien infinis aspects et figures. A quoy se raporte encore ce que mettent les Cabalistes; Que l'escriture des anges est placquee dans le creux et voulte du ciel, que est ce que nous pouvons voir d'icy;
fueil. 44.b.
et celle du souverain Dieu sur le doz et convexité d'iceluy, hors du monde sensible en la partie exterieure, si cela se doibt ainsi appeller, où la divinité reside, dans le throne de son Ensoph ou infinitude. Ce qui estoit aucunement representé par les tables de la loy donnee à Moyse, escrites dedans et dehors, et lisables de deux costez;
fueil. 124. b.
assavoir la partie de dedans à chacun; et celle de dehors à Moyse seul, par la revelation de Dieu; et à ceux à qui le Prophete en voulut depuis faire part. Voicy doncques deux exemples de cest artifice; dont le premier est d'un ciel parsemé d'estoilles; exprimans ce subject du pseaume 19.
  Les cieux en chacun lieu,
  La puissance de Dieu
  Racomptent aux humains:
  Ce grand entour espars
  Nonce de toutes parts,
  L'ouvrage de ses mains.

<f 257r>   TOUTE ceste escriture au reste depend du seul ordre, soit des estoilles, soit des points, ou semblables notes tenans lieu de lettres, et de leur collocation et assiette; parquoy la varieté ny de figure, ny de couleur n'y faict rien: et si celà se peult transposer d'infinies façons, dont le secret consiste au treillis que vous pouvez voir cy apres; ouquel il y a vingt colomnes et intervalles descendans en bas marquees de leurs nombres par ordre: et seize transversales rengees, qui les vont coupper en 320. carrez ou chambrettes, où se doivent asseoir les notes qui doivent representer les lettres, selon qu'elles leur correspondent en l'alphabet cotté à la main gaulche, et que l'ordre de leur situation le requiert. Mais d'autant qu'en tous les seize carrez de chacune des vingt colomnes, de quelque sorte que celà puisse escheoir, és uns plus, és autres moins, ou point du tout, ne se peuvent mettre plus de cinq notes, parce qu'il n'y a que cinq differences d'assiettes, aussi toute ceste maniere de treilliz ne peult contenir que cent lettres; c'est à faire puisapres à reïterer tant qu'on ait parfaict ce qu'on veult escrire. Il fault doncq avoir une deliee lame de cuivre, ou à tout evenement de papier de carte; et la marquer de la maniere qu'est ce treillis; tous les carrez vuiddez à jour, fors ceux des nombres, et des capitales, si qu'il n'y reste que les filets pour faire la separation des carrez: Il se presupose qu'il est besoin d'en avoir <f 257v> deux toutes semblables, l'une pour soy, l'autre pour son correspondant. Puis vous procederez par une telle collocation de poincts, que vous la voiez designee en ce carré, qui vous manifeste tout l'artifice, car le parensus va de mesme.
[FIGURE]
  ASSAVOIR le coing d'enhault de main gaulche pour la premiere lettre de chaque carré, ainsi qu'il est cotté icy; celuy de main droicte pour la seconde; du milieu pour la troisiesme; du coing d'embas au costé gaulche pour la quatriesme; et du droict pour la cinquiesme. Celà premis, placquez bien juste vostre lamine treillissee sur une fueille de paper du mesme calibre, et l'arrestez ferme qu'elle ne chancelle, car là gist toute l'importance: Puis vous marquerez au carré de la premiere colomne, qui correspond à la lettre que vous voulez representer, un poinct au coing gaulche d'enhault; comme pour ne sortir point du subject exprimé icy, au <f 258r> droict de la premiere lettre, qui est L: Au carré qui respond à E, en la mesme colomne, un autre point au coing droict d'enhault encore: En celuy qui respond à S. un au milieu: En l'autre de C. un au coing gaulche d'embas: et de I. un au costé droict, qui est pour la cinquiesme lettre de ceste colomne. Celà faict, vous passerez à la seconde, et y procederez de mesme; continuant ainsi de rang en rang jusque à la vingtiesme, selon que vous le voiez marqué de noir en ce treilliz, par les lettres que les poincts deguisez comme il vous plairra, representent. Mais tout celà se peult aussi commodeement executer, ou plus, avecq un semblable treilliz trassé sur du papier huillé, où vous pouvez voir à travers bien à l'aise, tant au chiffrer qu'au dechiffrer; et alors il ne sera point de besoin d'y marquer plus d'un filet, au moien dequoy vous aurez les carrez plus spacieux, et moins embrouïllez et confus.
  AINSI ces poincts servans de lettres, sont pour le subject dessusdit deguisez icy en forme d'un ciel semé d'estoilles, suivant la collocation declaree; ou s'il se trouve quelque tare, et à l'arbre subsequent aussi; assavoir qu'elles ne correspondent directement à leurs lettres, celà peult provenir de la faulte de la portraicture, qui ne les a du tout si bien adjustez comme il fault; et du treillis pareillement, qu'il est bien malaisé de former si <f 258v> exacte avec des reiglets de l'Imprimerie, comme à la main moiennant la reigle et compas: mais ces figures suffiront pour vous en monstrer la maniere, ainsi qu'un modelle de quelque edifice.
<f 259.1-2> [FIGURE]
<f 260r>   EN ceste autre planche, qui a la forme d'un laurier dont les bacques servent de lettres, car les fueilles n'y sont adjoustees que pour ornement, comme si c'estoit pour servir de nulles, la scituation n'en est pas telle que la precedent; ains en forme du signe de la croix que nous faisons communement, du hault en bas; de gaulche à droict; et finablement au milieu, en ceste sorte.
[FIGURE]
  QUE si les chambres ou carrez estoient un peu plus spacieux que ceux du treilliz cy dessous, on y pourroit adjouster aux quatre coings un caractere, qui seroient neuf en chaque carré; et neuf vingts pour page. Ces bacques donques ainsi assises, font ces trois versets du Pseaume 103.
  Sus loüez Dieu mon ame en toute chose;
  Et tout celà qui dedans moy repose,
  Loüez son nom tressainct et accomply.
Lequel subject est occultement exprimé par ce laurier revestu de fruicts et de fueilles.
<f 260v-261r> [FIGURE]
<f 261v>   MAIS vous pouvez encore renverser ce treilliz, et son ordre, en mettant les lettres en hault, et les nombres à costé, au rebours du precedant, qui est marqué de noir, et cestui-cy de rouge, pour vous le faire mieux comprendre; avec quelques mots, de l'un et l'autre des deux subjects.
<f 262.1-2> [FIGURE]
<f 263r>   JE ne veux pas nier au reste, que ceste maniere d'escrire ne soit un peu laborieuse, mesmement au dechiffrer; et qu'il ne s'en trouve assez d'autres de plus commodes et aisees; mais tant est qu'on s'en peult servir au besoin: et si nous ne les avons apposees, que pour faire voir en practique ce qui auroit esté dit cy devant; que tout ce grant univers n'est qu'un livre, où sont escrites les merveilles du Createur, en tresbelles et lisables lettres comme un contexte d'escriture, desquelles servent tous les individus qui y sont, selon l'ordre de leurs arrengemens et collocations, et non par les differences de leurs figures ne couleurs; tout ainsi que la terre selon ses diverses scituations, et aspects du ciel, produist en un endroit des simples, tant mineraux que vegetaux; des bestes aussi et oiseaux; et la mer des poissons, qui ne s'engendrent point ailleurs.
Autres chiffres doubles.
  CES treillis se peuvent encore emploier à un autre usage d'escrire, et mesme à un chiffre de double entente, avec les nombres; et plus deguisement beaucoup, avec les marques des sept Planetes, et des douze signes, tenans lieu de nombres, comme vous voiez cy apres: Neaumoins les uns ny les autres ne sont pas icy appliquez pour servir de lettres, ains ce sont les carrez qui en servent au rencontre des deux alphabets; et les nombres inserez dedans monstrent l'ordre qu'on les doibt prendre pour la suite de son subject; chacun d'iceux carrez exprimant deux lettres. Voicy doncq' comme on pourra approprier <f 263v> les caracteres des Planetes et signes pour ceux des nombres; en sorte que malaisément y sçavroit-on soupçonner autre chose, sinon que ce fussent quelques manieres d'Ephemerides, ou semblables astronomiques observations. Mais vous devez estre adverty, que par les nombres il faudra commancer à un, 1. et par les planetes et signes à onze, 11. afin de les accoupler ensemble, et par ce moien donner plus de couleur à l'affaire, quand on cuidera que ce soit tel ou tel planete en tel signe. Et pource que la marque de l'Escrevice est conforme au nombre de soixante neuf, 69. et celle du Capricorne un peu plus fascheuse à representer que les autres; et que nou-nous pouvons passer en cest endroit de dix seulement, autant qu'il y a de notes du chiffre, ces deux se pourront reserver l'une pour representer 100. et l'autre 200. là où il sera question de s'estendre en plus grand' quantité d'escriture. Tout cela au reste se peult varier à vostre appetit; et les lettres se transposer d'une autre sorte qu'elles ne sont, afin que chacun aye son alphabet à part, et que les autres n'y cognoissent rien.
[FIGURE]
  EN cecy l'on peult proceder doublement: par les caracteres en premier lieu des planetes et signes tenans <f 264r> lieu de nombres; et commencer comme a esté dit à onze 11. assavoir la Lune [X] qui marque 1. avec le mouton, [X] qui marque un 1. aussi, lesquels deux ensemble 11. font onze en chiffre, et les loger en la chambre du rencontre des deux lettres que vous voulez exprimer. Comme pour exemple en ce subject cy; On doibt s'efforcer de bien vivre, pour mourir puisapres de mesme; nous prendrons deux lettres de suitte assavoir o n, au rencontre desquelles vous trouverez marqué [X]. qui est le premier nombre par ceste voye, assavoir onze 11. Suit puisapres s e; au croisement desquelles j'ay mis [X] qui fait un 1. avec le [X] qui est le second signe, et faict deux 2. Et ainsi du reste; tousjours avec le caractere de la Lune, et de signe en signe, jusques à ce qu'on soit arrivé aux poissons [X], qui representent 0. et mis apres 2. font vingt 20. qui est, parce que l'on commance à 11. le dixiesme appariement de deux lettres. Cela fait, vous viendrez au second planete qui est mercure [X], representant 2. en l'accouplant apres le signe du mouton [X], qui est le premier en la chambre du rencontre de n u, si que vous exprimerez par ces deux, 21. qui est l'onziesme appariement. Poursuivez de ceste façon; il n'y a rien de plus aisé.
  L'ALTRE voye, qui n'est toutesfois comme en rien dissemblable, sinon de prendre une lettre du premier vers, et une du second, comme o et p, procede icy par les notes du chiffre, et suite des nombres: car pource que ces deux lettres sont le premier accouplement, <f 264v> je marque 1. en leur rencontre; ainsi que je fais 2. en iceluy de n et o, qui est le second: et ainsi de main en main tout le demourant; comme vous pouvez voir en ceste table, où ce qui va par les planetes et les signes est marqué de rouge; et de noir par les nombres, pour le mieux discerner icy; car à bon escien il faudra que le tout soit noir, et pouvez user des deux ensemble; car tant plus le treillis sera chargé de matiere, pourveu qu'il n'y ait point de confusion, le chiffre en apparoistra plus beau et occult: et si ces nombres apposez avec les planetes et signes persuaderont davantage, que ce doive estre quelque mystere d'astrologie. Mais pource que les degrez ne passent trente en chaque signe, et les minutes ne vont que jusqu'à soixante, comme font aussi les secondes, et tierces, ensemble les autres fractions subsequentes; si l'on vient à exceder ces nombres là, il sera bon de le marquer par quelque secrete note qui en serve d'advertissement; comme en usant de la seconde forme des caracteres du chiffre, tels que vous avez peu voir cy dessus; ou d'autres artifices semblables, afin qu'on puisse appercevoir ceux qui doivent aller les premiers, et qui apres.
<f 265r> [FIGURE]
<f 265v> MOIENS d'emploier les caracteres servans de nulles, pour des lettres qui feront un sens reservé à part; et ce par leur seule position et assiette.
  C'EST l'ordinaire en tous les chiffres, mesmement ceux dont l'on use communement és cours des Princes, de semer parmy l'escriture huict ou dix caracteres oisifs, qui ne forment rien que ce soit, ains sont seulement pour brouïller le sens qu'on pourroit atteindre par la suitte et rencontre des lettres, selon les reigles de cest art, et en rendre tousjours le dechiffrement tant plus malaisé. Cela au reste depend de la discretion d'un chacun, de les adjouster et espandre és endroits le plus à propos, pour troubler l'industrieuse conjecture du dechiffreur, laquelle estant paraventure sur le poinct d'en obtenir quelque lumiere, ces nulles se venans mettre à la traverse l'esbloïssent de nouveau, et offusquent, comme si l'on venoit soudain tendre quelque sombre et obscur rideau entre deux. Et encore,comme nous avons monstré cy devant, que ce surcrez de ruze et cautelle ne soit en rien quelconque necessaire és chiffres à clef, ensemble la plus-part des autres que nous avons touchez en ce livre, neaumoins pource que sous le pretexte de ces nulles situees comme il est besoin, et nompas fortuitement et à la vollee, se peult practiquer un sens à part, si couvert que malaisément s'en pourroit-on adviser qui ne cognoistroit le secret, Il nous a semblé d'en devoir recueillir icy quelques <f 266r> artifices, sur lesquels s'en pourront bastir plusieurs autres. Prenons donques que des vingt lettres nous n'en vueillions qu'emploier les seize plus necessaires, reservant f. g. q. x, pour ces nulles, qui joüeront le roolle du sens plus secret. Quant a y, z, on s'en pourra aider aussi si l'on veult, en les semant par cy par là à volonté sans aucune contrainte, pour servir simplement de nulles et non d'autre effect, afin de tousjours plus en plus desguiser et couvrir l'affaire. Et soit pour exemple ce theme icy; Le temps, et l'occasion sont les deux plus cheres choses de toutes, et pourtant il ne les fault pas laisser escouller en vain, car la penitence suivroit de pres. Et ce qu'on veult cacher par les nulles; Sage celuy qui en sçait bien user: Je viendray à chiffrer le premier ainsi que bon me semblera. Mais pour le mieux comprendre, usons icy de la plus simple commutation, car on pourra puisapres trop plus obscurcir le tout; Ce n'est que pour rendre la chose plus clere: et soit cest alphabet icy, où il n'y a pas beaucoup de finesse; neaumoins il suffira.
[FIGURE]
  LES nulles seront inserees parmy ces lettres où sera chiffré le subject plus ample, de façon que f apres la troisiesme servira pour a; apres la 4. pour l; apres la <f 266v> 5. pour h; et apres la 6. pour b: et ainsi des autres, selon que ceste seconde table vous monstre. Enquoy il fault estre adverty de compter les intervalles de ces lettres tousjours de la derniere nulle precedente.
[FIGURE]
  SELON l'alphabet dessusdit il y aura en ceste sorte, assavoir les lettres noires pour ce theme icy; Le temps et l'occasion sont les deux plus cheres choses de toutes; et pourtant il ne les fault pas laisser escouller en vain; car la etc. Et les rouges qui sont les nulles, que nous avons ainsi variees expressément, pour les faire tant mieux discerner, pour l'autre desrobbé sous leur couverture; Sage celuy qui en sçait bien user; u r i r q a d h f r i u q c o m g h t c b h c g b i u g r h p r f l h d x u l h q o s r e r h g o s c h r h q p r i g c l i r h q r i d c q l e i m b i g t u b f r u r q h d s m l x u i d m h u f m t h q h r e g r h o c l q u u r x e r b l q m t b g o m e u g.
  PAR l'autre maniere, l'on ne placque pas indifferemment ny à toutes heurtes les nulles pour servir <f 267r> de lettres, nomplus que par la precedente; combien que plus en liberté beaucoup, et frequentement si l'on veult; mais au lieu de quatre il en fault icy huict, dont chacune sert pour deux lettres, non par leur figure ou valeur, ains par leur assiette et collocation, autre neaumoins que la precedente; assavoir selon qu'elles sont apposees apres une lettre de nombre impair, ou pair suivant l'ordre de l'alphabet; comme il vous appert par ceste figure.
[FIGURE]
  POUR exemple soient encore les dessusdits themes, que je chiffreray de mesme qu'au precedant, de noir l'un, et de rouge l'autre, en ceste sorte: u f r i r a d q h r g i u & c o m h y t c b & h c k b i u k r g h p y r l h k d u l h o g s r e r h & o x s e h f r h y p r i c l q i g r h g r i d x c g l e i m b & i t x u b k r u f r h & d s m <f 267v> & l u i. Somme que les lettres noires font; Le temps, et l'occasion sont les deux plus cheres choses de toutes; et pourtant il ne les fault: et les rouges Saie celuy cui en sçait bien user. De ces ouvertures dependent infinies autres telles ruzes, dont l'on peult receller ses intentions; lesquelles n'estans point encor cogneues ameneroient autant d'esbaïssement, comme divulguees de mespris; ainsi que de tous autres secretes les plus rares: et d'icelles, principalement de la premiere jointe avec les diverses figures des lettres, vient à naistre l'une des plus exquise et occulte escriture de toutes autres. La Ghematrie des Hebrieux.
  RESTE à ceste heure de venir à quelques autres artifices plus subtiles encore, dependans de ce que les Cabalistes nomment la Ghematrie, mot sans doute corrompu de celuy de geometrie; mais ils comprennent aussi par là l'arithmetique, sans laquelle la geometrie ne peult consister, ne les mesures et figures sans les nombres; Si faict bien l'arithmetique qui est plus simple et plus formelle, sans la geometrie, qui est plus materielle et grossiere, comme sont les figures plus que les nombres; voire tout ainsi que la parole et l'escriture ne peuvent estre sans quelque premeditation de pensee, là où la pensee peult bien estre sans la parole, ne l'escriture. Ils pourroient aussi paraventure avoir esté meuz de donner à ces deux sciences jointes ensemble, plustost le nom de la seconde, assavoir la geometrie, car il est moderne, que de lapremiere ou arithmetique, de ce que Platon la magnifie <f 268r> tant au 7. de la Republique, qu'il l'appelle la notice du TOUSJOURS ESTANT, [G]. Et en un autre endroit, selon que l'allegue Plutarque en la 2. question du 8. des Symposiaques, il met que Dieu l'exerce continuellement: Surquoy il discourt que Lycurgue bannit hors de Lacedemone la proportion arithmeticale, pour y introduire la geometrique; denotant par celle-là une tumultueuse confusion de la Commune, qui consiste en nombre, et par consequant concerne l'egalité, en laquelle chacun est le maistre comme rats en paille, Nos numerus sumus, et fruges consumere nati, (dit Horace) Sponsi Penelopes, Nebulones, Alcinoique: et la geometrie la raison, parce qu'elle gist en la difference des lignes plus longues ou courtes: ce qui denote l'authorité que doivent avoir les grands, et les gens de bien et d'honneur, de conseil, et de prevoiance, pardessus ceste dereiglee cheurme du populace ignorant et brutif; la plus-part encore vicieux, desbauchez, temeraires, et precipitez; qui ne cherchent que l'egalité, dont il n'y a rien de plus injuste et pernicieux en un estat. Au moien dequoy Dieu en toutes choses, entant qu'elles le permettent, et que faire se peult, la sustrait du monde; et observe en son lieu le merite geometriquement, et la dignité; terminant le tout selon la raison. Platon donques par le grand et le moindre; descrit non seulement la matiere, comme le luy veult imputer Aristote, ains les formes aussi, ensemble tous les composez de ces <f 268v> deux, selon les degrez de leur essence et perfection; Ny plus ny moins que Pythagore avant luy, l'avoit fait par le nombre pair, et l'impair; et Empedocle par l'espoix, et le rare, qu'il constituoit entre les Principes.
Chiffres par la voye des nombres et mesures.
A ceste imitation les Cabalistes ont basty des artifices d'escriture occulte, par la voye de ladite ghematrie; establis sur des nombres de poincts d'une part; et de longueurs de lignes de l'autre; qu'ils desguisent puisapres de plusieurs sortes. Mais pour n'entrer point en une trop longue estendue desdites lignes, nou-nous contenterons icy de huict differences, dont chacune sert reciproquement pour deux lettres, qui se discernent par certains petites marques et notes secretes, malaisees à appercevoir, de peur d'engendrer quelque soupçon de la ruze; qui est-ce que nous cherchons le plus d'eviter: et entre autres, de couper les trois ou quatre plus longues lignes par endroits, avecques si petit intervalle et distance, qu'elle n'aproche à la moictié pres le moindre les espaces qui resteront entre les lignes, lesquels servent aussi bien de lettres que font les lignes, selon leurs mesures. Le mesme encore se peult effectuer par les esloignemens des poincts l'un de l'autre; et les accommoder en estoilles, triangles, carrez, lozanges, ronds, lettres semblables; et generalement en toutes sortes de façons qui viendront à la fantasie, sans difference de figure, de couleur, ny d'assiette; qui n'ont point de lieu en cecy, ains les nombres tant seulement, et les mesures. Dequoy nous en donnerons <f 269r> icy des exemples, sur lesquels s'en pourront former plusieurs autres. Au reste il y a bien plus de commoditez en ceste invention, que nompas en celles des treillis precedans; tant pource qu'il y pourra tenir de la matiere davantage, qu'aussi que de là procedera encore un autre artifice et mode de chiffre le plus secret de tous les autres, et dont l'on se pourroit douter le moins. Voicy doncq la figure des lignes servans de lettres, selon leurs quantitez plus longues ou courtes; Surquoy se reiglent aussi les espaces.
[FIGURE]
  L'USAGE de ceste table, et des artifices qui en dependent, consiste ainsi que vous pouvez cognoistre, à avoir quelque petit compas bien juste; et en premier <f 269v> lieu marquer un poinct au commancement de la ligne où vous voulez chiffrer par ceste voye; qu'il n'y aura point de mal de trasser legerement avec du charbon, afin d'aller plus droict, car cela n'est pas icy de peu d'importance, et puis on le pourra effacer avec de la mie de pain. De ce poinct donques vous commancerez à prendre vos dimentions avec l'une des jambes du compas, et estendrez l'autre autant que monte la ligne qui sert pour la lettre que vous voulez representer: Puis mesurer tout de mesme l'espace qui doibt demeurer vuide entre la premiere ligne et la seconde, selon la lettre qu'il denote; car ces espaces comme a esté dit servent aussi bien de lettres que font les lignes, et par les mesmes dimentions Si que vous pouvez poursuivre tout d'un train un subject; mettant la premiere ligne pour la premiere lettre; le premier espace ensuivant pour la seconde; la deuxiesme ligne pour la tierce lettre; et le deuxiesme espace pour la quatriesme; et ainsi du reste: ou bien poursuivre le subject par les lignes tant seulement; et reserver les espaces pour un sens à part, ainsi qu'és chiffres carrez à double entente, Que s'il reste quelque vuide au bout de la ligne qui ne soit capable de representer la lettre qui y doit estre exprimee, soit par les lignes ou par les espaces, vous y pourrez marquer un poinct . un coma : un virgule , pour en advertir le correspondant. Et pource que les lettres sont accouplees icy deux à deux, si qu'on se pourroit à tous propos mesconter à prendre l'une pour l'autre, <f 270r> vous pouvez remedier à cela par une section de la ligne en ceste sorte: Si c'est la premiere des deux lettres marquees en teste, il faudra laisser toute la ligne en son entier: si c'est la seconde, on la couppera par le milieu, y laissant un bien petit espace comme s en ceste-cy -- -- . Pour le regard des espaces, si c'est la premiere lettre, vous les delairrez tous vuides; Si la seconde vous y pourrez marquer un petit traict correspondant aux bresches et lumieres des lignes en ceste sorte . - . Mais vous le pourrez mieux appercevoir par la figure subsequente, où ce subject icy est exprimé; Ne faites à autruy ce que vous ne voudriez qu'on vous fist.
[FIGURE]

<f 270v>   AU lieu de ces lignes l'on peult encore se servir de poincts ou d'estoilles, et semblables notes comme dit est: Que si c'est la premiere des deux lettres qu'ils representent, il suffira d'y en mettre un: si la seconde, il en faudra coupler deux pres à pres. Et sera trouvee ceste maniere d'escrire fort occulte entre toutes autres; car à tout evenement, quand bien on entreroit en soupçon de chiffre, on cuidera que ce soient les poincts ou estoilles qui servent de lettres ainsi qu'és autres de cy devant; là où ce sont les longueurs des lignes et des espaces qui font cest effect; et ne se mettent ces poincts à autre fin que pour les distinguer d'ensemble. Toutes lesquelles inventions apres avoir esté divulguees semblent comme estre ridicules; mais ceux qui n'en cognoissent l'artifice, les reputent pour un miracle non que malaisé, ains presqu'impossible à concevoir. Et tels sont la plus-part des plus rares et exquis secrets; l'une des principales causes qui engarde de les reveler. A quel propos doncq, peult-on dire, les vois-je ainsi prostituant ? Et dequoy (puis-je repliquer à cela) peuvent-ils servir renfermez à guise d'un thresor enchanté, dont personne ne reçoit aucune commodité ne profit ? Neaumoins c'est une question ambigue, qui balance et se peult debattre en l'une et l'autre des deux parties; parquoy chacun en peult faire à sa volonté, comme de son propre: mais de cela plus à plain cy apres encore. Cependant voicy des exemples de poincts et d'estoilles; avecques quelques autres deguisemens, <f 271r> qui dependent tous de ces longitudes et dimensions. Et premierement par les poincts sur ce subject; De la mesme mesure que vous mesurerez les autres, serez vous aussi mesurez. En quoy il fault estre adverty que ces dimensions se doivent prendre du second poinct, quand ils sont doublez pour monstrer la seconde lettre: Toutesfois cela se peult varier à l'arbitre et discretion d'un chacun; comme aussi la transposition des lettres, que nous avons arrengees ainsi tout expres, parce que celles qui sont les plus frequentes en l'escriture, sont exprimees par les plus courtes lignes et espaces: et les autres qui interviennent plus rarement, par les plus longues, afin qu'on puisse comprendre plus de subject, quand l'estendue en sera moindre. On pourroit encore remplir les espaces de quelques caracteres, et notes; et mesmes du chiffre à compter, pour en former un second sens reservé à part; ou poursuivre tout d'un train le premier, en liant ces caracteres de suitte avec les lignes, et les espaces, pour tousjours embrouïller davantage. Voicy la figure où le subject cy dessus est contenu et exprimé.
<f 271v> [FIGURE]
  QUANT aux poincts, mais cela se faict par une autre voye, il y en a qui les sement parmy un chiffre de lettres transposees, en façon des bresches et fragmens de Festus, et semblables autheurs mutilez, de la maniere qui s'ensuit; assavoir pour le regard des lettres, selon le second alphabet du fueil. 222. pour plus grande facilité: et pour les poincts par cestui-cy.
[FIGURE]
  POUR exemple, prenons ce vers de Pythagore: <f 272r> Ne faites rien qui vous puisse offenser: Mais entendez, que les poincts representans la seconde lettre, doivent estre precedez d'un z. adjousté à la queuë des autres lettres, comme pour nulle toutesfois, et ne servant que d'une marque à discerner laquelle des deux: Si c'est la premiere il n'y en faut point. Il y auroit donques ainsi: b q r · · u h q g z · · · · u q b e i · · · i c i z · · · · · d i u g g z · · c r q b g z · · f. MAIS pour retourner à nostre propos, voicy encore le mesme subject cy dessus; De la mesure etc. deguisé en forme d'estoilles: Et pource qu'elles occupent plus d'espace que ne font les poincts, il faudra chercher un expedient de se passer d'une seule sans les redoubler; qui sera d'alonger un peu le traict du milieu en celles des secondes lettres; et pour les premieres laisser tous les quatre egaux, qui constituent huict rayons, comme vous pouvez voir icy: mais cela se peult varier de plusieurs façons; mesmes de faire les estoilles des secondes lettres un peu plus grandes que les autres; ou de six rayons seulement au lieu de huict; ou au rebours; et semblables marques secrettes qui sont de peu de'appercevance.
<f 272v> [FIGURE]
  L'ESCRITURE qui suit cy apres est contrefaitte à l'imitation de la Syriaque, à cause de ses liaisons et rotonditez; et va aussi par les mesures des longueurs; neaumoins il n'y en a que de quatre sortes, dont chacune est variee quadruplement; par le moien des ronds recoquillez au bout de chaque ligne; assavoir deux par dessus, et autant par dessous; l'un d'iceux marqué d'un poinct au milieu; et l'autre tout vuide; comme vous voiez en cest alphabet.
<f 273r> [FIGURE]
  AUSURPLUS le subject qui est representé en la table suivante, est cestui-cy; Peu sont encor cogneuz les secrets de nature.
[FIGURE]
<f 273v>   DU mesme artifice depend ce chiffrement, deguisé en façon d'une maçonnerie de pierre de taille ouvree à la rustique, par des longueurs aussi de quatre differences sans plus, chacune d'icelles variees de quatre sortes; deux sans aucuns poincts, et deux avec un poinct au milieu: et de chacune de ces deux sortes, l'une trassee à la main droicte d'une ligne tant seulement, l'autre, de deux; selon que vous le pouvez voir par cest alphabet, ouquel les carrez de la fin des lignes, où il y a deux poincts, ne servent que pour le remplissement d'icelles.
[FIGURE]
  LA figure suivante chiffree sur iceluy, contient ces mots: Le plus fort boulevard de tous autres, est le nom du Seigneur deuëment invoqué dessus nous; car il n'en faut pas abuser. Et à l'imitation de cecy s'en peult faire d'infinies <f 274r> sortes; dont nous en mettrons encore une autre cy apres qui procede par une autre voye.
[FIGURE]
<f 274v>   ON peult outreplus au lieu de ces dimensions, tant des lignes que des espaces, suivant l'autre branche de la Ghematrie, user de jambes distinctes par nombres, dont il en a esté touché je ne sçay quoy cy dessus, à propos des poincts, accommodees à la ressemblance d'une escriture Armenienne fort abondante en ces manieres de jambages. L'alphabet en pourroit estre tel à peu pres, ou pour la difference des deux lettres jointes ensemble, les unes sont closes par le dessus comme m, n; et les autres par le dessous ainsi qu'un u.
[FIGURE]
  QUANT à la separation des lettres, cela se fait par un plus grand esloignement entredeux; comme en ce subject pour exemple, qui est contenu sous ces caracteres de suite; On doit tenir secret ce qui est rare.
<f 275r> [FIGURE]
  J'EN ay veu autrefois quelques fragmens assez antiques, de Petrus Apponus, et d'un Bailum, de l'occulte philosophie: et à l'imitation de cecy on pourroit s'entr'escrire par des tailles comme les appellent les boullangiers, taverniers, et telles manieres de gens: Ce sont certains petits bastons escarriz ou ronds, qu'on adjuxte l'un avec l'autre, presqu'à guise de la Scytale Lacedemonienne; où l'on marque des hoches, et par intervalles des V. faisans cinq et des X. dix; lesquelles deux notes serviroient icy pour la separation des lettres: mais en maintes autres sortes cela se pourroit accommoder sur ceste ouverture: Dont à ce qu'on dit, le sieur de Salvaisons gentilhomme d'entendement et de valeur, l'an 1556. se seroit servy à l'entreprise du chasteau de Milan; car les soldats qui s'y acheminoient de divers endroits à la file, avec un baston blanc au poing, ne sachans rien de l'affaire, tout se venoit en fin comprendre et raporter au but projecté, moiennant ces hoches, qu'aucuns qui les attendoient à des carrefours, marquoient <f 275v> en leursdits bastons. Et fust reussie sans doute, sans la tare d'un pied et non plus, dont les eschelles se trouverent courtes: mais ce sont des tours de fortune; laquelle, comme dit Cesar, aiant un grand pouvoir par tout, le faict voir plus particulierement qu'en nulle autre chose, és occasions de la guerre.
  NE faict encore à oblier ceste invention que touche Agrippa liv. 3. chap. 30. autresfois en tresgrande recommandation envers les anciens Cabalistes; depuis l'on en a faict lictiere. Ce sont quatre lignes s'entrecroisantes à angles droicts; deux d'icelles perpendiculaires, et deux traversieres, qui par ce moien viennent à establir neuf caracteres differends, qu'on accommode à autant de lettres; Si que diversifiez par un poinct assis au milieu, des autres neuf qui en sont vuides, en resulteront dix huit lettres de ceste maniere.
[FIGURE]
  MAIS vous les pouvez transposer: et si, gardant <f 276r> neaumoins tousjours leur figure, vous voulez varier l'estendue des lignes en chaque caractere de deux manieres, comme il se peut voir, et non davantage, vous aurez pour chacun trois lettres; qui avec les espaces d'entredeux, comme dessus, seront quatre. Adjouxtez des nombres, ou autres notes servans de lettres dans les espaces, ce sera un chiffre à cinq ententes toutes ensemble; dont vous revelerez, et reserverez ce qu'il vous plairra. Pour un exemple de trois lettres en chacun de ces caracteres, prenons les trois premieres de ce mot honeur, assavoir HON; h en sera la fondamentale, selon qu'elle est figuree en cest alphabet: dont la ligne s'estendant de long en travers audessus, par les dimensions du fueil. 269. exprimera o; et les deux perpendiculaires de costé et d'autre, n; de la sorte que vous voyez au premier des deux ensuivans: là où pourautant que n, est la seconde des deux lettres associees, car o est la premiere, afin de la remarquer d'avec sa compagne m, il a esté besoin d'aposer un petit poinct aupres des deux lignes perpendiculaires qui la representent; mais cela se peult varier en diverses sortes. L'autre caractere est pour les trois lettres qui suivent, EUR; dont E sera de mesme la principalle, exprimee par la figure de l'alphabet, qui est un carré, sans poinct aussi; dont les deux lignes transversales d'enhault et d'embas, semblables entr'elles, servent pour U; et les perpendiculaires des deux costez, pour R; toutes deux les secondes, parquoy il y a des poincts appliquez. L'espace <f 276v> au reste qui est de l'un à l'autre de ces caracteres, par son estendue represente S: et les nombres estans entredeux selon la double difference de leur alphabet au fueil. 249. font ur tout: Si que cela assemblé exprime ces mots; HONEUR SUR TOUT; comme vous le voyez en la figure subsequente. Mais vous les pouvez prendre separeement; et mettre cinq sujets differends, voire en divers langages tout ensemble d'une mesme suite, qui seront neaumoins separez et distincts l'un de l'autre: Si que je ne voy pas qu'esprit quelconque tant subtil peust-il estre, sceust penetrer à le demesler, sans la communication du secret, duquel dependent infinis autres tels artifices et ouvertures.
[FIGURE]
  DE ces inventions enapres appropriees à une façon de chassis, part une autre maniere de chiffre, lequel nonobstant qu'il ne puisse guere contenir de matiere, si n'est-il pas à outrepasser sous silence, pour estre merveilleusement occult, et comme exempt de tout soupçon que ces traicts deussent aucunement servir d'escriture; Joint qu'on peult remplir les carrez par des nombres, selon qu'il a esté dit cy devant en plus d'un endroit; et reserver ce qui est exprimé <f 277r> par l'estendue de leurs lignes pour un sens à part; car qui est-ce qui se douteroit de ceste cachette ? Cela donques procede par la voye des dimensions, telles que vous les pouvez voir figurees en cest alphabet.
[FIGURE]
  ET voicy un exemple qui vous le fera trop mieux concevoir qu'on ne le sçavroit exprimer par escrit; ouquel par les longitudes des lignes est contenu ce theme icy; Ignorance est la mere de tous vices; deguisé en façon d'une muraille à la rustique, pourautant que celle de cy devant m'a semblé un peu trop embrouïllee et confuse.
<f 277v> [FIGURE]
  ET pource qu'il n'y a que quatre sortes de dimensions, chacune servant pour quatre lettres; deux se discernent d'une façon l'une d'avecques l'autre, assavoir par deux sortes des quartiers de pierre: et les deux autres, l'une qui ait ceste figure [G] comme d'un omega Grec; là où sa compagne n'en aura point. Mais cela se peult faire plus celeement, et par des notes moins evidentes. Voila comme se peuvent bastir diverses sortes de chiffres, meslez de deux ou trois des maximes simples; tout ainsi que les mots se forment des syllables; et ces cy des lettres.
  TOUS lesquels artifices et inventions comme nous avons desja dit ailleurs cy devant, dependent de ce que mettent les Cabalistes, et mesme Rabbi Joseph Salemitain fils d'Abraham, en son jardin du noyer apres le Roy Salomon, que tout le mystere de l'occultation des divins secrets, consiste sous l'escorce d'une escriture vulgaire, en nombre, figure, et poix, suivant ce qui est escrit en la Sapience II.
Fueil. 133. et 160.b.
Omnia in
<f 278r> numero, mensura, et pondere disposuisti.
Fueil. 132.
A quoy se raporte ce que nous avons amené de Rabbi Moyse Gerundense surnommé Ramban, sur les mysteres de la loy; Que tout fut revelé à Moyse par les portes de l'intelligence, au sens literal, et l'anagogique, par des proportions arithmeticales, et geometriques; assavoir selon le nombre, la figure, et la mesure des caracteres Hebraïques.
Plutarque liv. I. des opinions des philosophes, chap. 3.
Ce qui ne s'esloigne guere de l'opinion d'Epicure, que les atomes, envers luy les principes de toutes choses, ont ces trois qualitez, figure, grandeur, et poix: mais Democrite duquel il l'avoir emprunté, les restreint à deux; grandeur assavoir, et figure; à cause qu'estans ainsi indivisibles, et non appercevables fors par la raison, ils ne peuvent avoir de poix.
  OR pour ne laisser rien en arriere de ce qui est peu venir à nostre notice et invention, concernant le subject par nous entrepris, la musique mesme se peult deguiser en forme de chiffre; faisant servir les lignes et leurs entr'espaces de lettres, avec les notes briefves, semibriefves, et noires, selon qu'elles y seront scituees; dont se peuvent former plusieurs alphabets à la discretion d'un chacun: Bien est vray qu'il est malaisé, que cela estant ainsi contraint et assubjecty à l'escriture, la musique en puisse estre ne bien reiglee, ne guere plaisante; quand à tous propos elle sortira hors de ses limites et gonds, tantost en hault, tantost en bas; mais chacun n'est pas Orlando Lassus, Adrien Veillart, ne Josquin. Les tablatures pareillement <f 278v> tant du luth, que de l'espinette s'y pourront bien accommoder; soit à la mode d'Italie par les notes du chiffre, 1. 2. 3. 4. etc. ou à la Françoise avec a. b. c. Aumoien dequoy nous auron, outre les autres subtilitez de nos chiffres dependans de l'art de grammaire, assavoir des lettres et caracteres de l'escriture, par leurs diverses transpositions, commutations, associemens, figures, assiettes, et entresuittes, approprié encore a celà les quatre disciplines de Mathematique; comme les nombres et leurs proportions, par la voye arithmeticale: les points, lignes, et figures qui en procedent, par celle de la Geometrie; lesquelles deux comme a esté dit sont comprises des Cabalistes sous le mot de la Ghematrie: En apres les estoilles en leurs aspects et positions, avec les marques des planetes, et des douze signes, par l'astrologie: et finablement la Musique par les notes d'icelle, tant des voix que des instrumens. Puis il y a les animaux, arbres, herbes, fleurs, couleurs; et tous les deguisemens et varietez tant de la nature comme de l'art, qui representent je ne sçay quoy de la Physiologie. En sorte que tout ainsi que l'escriture comprend, et fait comprendre toutes chose; toutes choses au reciproque se peuvent aproprier pour servir d'escriture.
  MAIS de peur que l'excessive surabondance de tant de diverses sortes de chiffres, qui sont sans nombre, et ne se peuvent limiter, n'amenast quelque ennuy et degoustement aux bons esprits; qui se pourroient <f 279r> mesme indigner, et non sans cause, de se veoir ainsi tailler les morceaux de si court, qu'on ne voulust rien delaisser à leurs vives et ingenieuses recherches, il seroit bien temps desormais de fermer les canaux, la prairie aiant esté abreuvee plus qu'à suffisance;
Fueil. 207.
ce qui ne se peut faire plus convenamment que par le chiffre superlatif de tous les autres, comme estant hors de tout doubte et soupçon, qu'il y ait rien de caché souz ce qu'on voit en apparence;
Fueil. 182.
tel que pourroit estre celuy de Tritheme, et Cardan, duquel en ont cy devant esté produits les exemples, si au moins il est vray ce dont ils se vantent; qui est d'escrire en toutes sortes de langages, et congruement, avec un sens non contraint en aucune sorte, tout ce qui peut tomber en la fantasie, sans qu'on y puisse appercevoir autre chose, que ce que monstre la suitte des mots, desquels chacun en represente un autre comme ensevely là dedans. Quant à moy celà m'est un peu chatouilleux et suspect; et ne me peut tomber en l'entendement comme celà se puisse faire, par la voye au moins qu'ils alleguent. Parquoy je feray à guise de ceux, qui ne pouvans avoir place en la ville, se contentent de loger aux faux-bourgs; et presenteray liberalement icy au publicq, une partie de ce que j'ay peu concevoir de cest artifice, tant de moy-mesme, que des autres; car de le manifester tout à plat, il n'est ne loisible, ne raisonnable: Toutesfois ce ne sera pas de faire valloir chaque mot pour un autre, selon qu'ils dient, ne lettre pour lettre en tous rencontres, <f 279v> dont je me douterois plustost; ou un mot entier pour une seule lettre, ainsi qu'en la Polygraphie; mais trop bien d'enchasser occultement dans une plus grande quantité de matiere, quelque subject moindre, sans rien alterer ne corrompre de tout ce qu'on voudra escrire apertement, en quelque langue que ce puisse estre, car il n'y a rien d'astreint en celà; Qui va de la maniere qui s'ensuit. IL FAUDRA en premier lieu user de trois differences de lettres, telles, ou à peu pres, dont en a esté fait une monstre en la figure du fueil. 241. l'une desquelles, servira pour le sens apert, tousjours d'une mesme teneur, sans varier, ne se departir de la forme de ces caracteres; et les deux autres pour celuy qui sera caché là dessouz, selon l'assiette et suitte des lettres; c'est assavoir, que si vous voulez secretement representer un B. il faudra que ce soit tousjours apres une seule lettre du sens manifeste, et un P. de mesme, mais la difference est que le B. sera exprimé par la seconde forme de chaque lettre; et le P. par la troisiesme: entendez tout cecy selon la figure dudit fueil. 241. où il vous faut avoir recours. Si c'est un A. ou un E. apres deux lettres du sens apert, qui doit tousjours aller uniformement son grand train, vous formerez la lettre qui se presentera, par la seconde des carrez, et par la troisiesme pour E. Et ainsi du reste, comme ceste table vous monstre.
<f 280r> [FIGURE]
  MAIS le tout sera plus familier et intelligible par quelque exemple; car il est assez malaisé de le faire concevoir en escrit. Prenons donques que parmy ce subject icy: Encor que la vertu ordinairement soit mal recogneuë, et sans cesse traversee d'enuies; si ne peut on faillir toutesfois de s'y exercer, pour la grande consolation qu'elle ameine à nostre ame, dont elle est la vraye medecine et pasture; Nous vueillions inserer secretement: le merite nuist plus qu'il n'aide; sans accroistre pour celà le nombre des lettres du premier theme, ne rien changer de leur contexte; nous y procederons de ceste sorte. La lettre L qui est la premiere d'iceluy, se trouve arriver au cinquiesme reng; apres donc ces cinq lettres du sens appert, encor, nous formerons : q qui vient la sixiesme, par la seconde figure de la table du fueil. susdit 241. pourautant que : c qui va pour : g est la premiere des deux accouplees ensemble au dernier carré cy dessus; car la premiere forme des quatre <f 280v> va pour le sens appert. Suit par apres E. qui a sa place apres la seconde lettre d'iceluy; en comptant tousjours de la derniere precedente lettre du sens secret; et par ainsi apres ces deux lettres u e je formeray celle qui suit, assavoir l par la tierce figure, parce qu' e est la seconde des deux lettres associees. M consequemment estant au sixiesme reng, apres ces six lettres à vertu, nous formerons o par sa seconde figure pour autant qu' m est la premiere des deux: et ainsi du surplus qui seroit trop prolixe et ennuyeux d'espelucher par le menu, attendu que celà est maintenant assez aisé à concevoir suivant ce que vous le voyez representé icy tout du long. Et pource que ces differences de lettres ne se trouvent pas si a propos és caracteres de l'impression comme à la main, nous avons esté contraints de vous l'exprimer tellement quellement par une autre voye; assavoir les premieres des deux lettres du sens secret, qui se devroient former par la seconde de leurs digures, en gros romain, mais de rouge, car le sens appert va son train en gros romain noir; et les secondes, qui devroient estre par leur tierce figure, par d'autres rouges italiques: comme vous le voiez icy; ou les lettres rouges vont pour deux lettres, l'une du sens appert selon la teneur d'iceluy; et l'autre pour le secret, moiennant leur diversité de figures, et le lieu où elles viennent à estre posees par l'ordre des nombres qui leur sont assignez en la table d'icy dessus. Outre laquelle varieté de figure se pourront employer aussi <f 281r> à ce mesme effect, les capitales, les abreviations, et punctuemens; et telles autres notes secretes, qui ne se peuvent remarquer sinon de ceux qui s'entr'entendent: mesmement parce que nostre escriture et les autres encore fors l'hebraïque, consistent toutes en liaisons; les lettres qui seront lyees ensemble serviront seulement pour le sens apert, et là où il y en aura une à par soy separee des autres, ce sera pour l'un et l'autre des deux sens; le tout selon les collocations dessusdites. Somme qu'il y a infinis moiens que chacan se peult trasser à sa fantasie; voire trop plus exquis que ne sont ceux que nous avons icy esbauchez, dont voicy l'exemple. Encor que la vertu ordinairement soit mal recogneue, et sans cesse traversee d'ennuies, si ne peult-on faillir tout esfois de s'y exercer pour la grande consolation, etc. MAIS celà a bien meilleure grace, et quant et quant moins de soupçon, quand il est escrit à la main; Enquoy je serois bien d'advis pour tousjours tant mieux obscurcir et cacher la ruze, que ce soit de quelque lettre bastarde un peu longuette, italique, ou autrement, telle que celle dont les femmes ont accoustumé d'user, afin que la difference des caracteres soit moins apparente et appercevable, ce qui succede plustost en de grands mal formez, qu'en de petits de main exquise. Il n'y a rien au reste de plus facile quand on y est exercité.
  IL y a assez d'autres ruzes et expediens pour ce mesm'-effect; <f 281v> comme de choisir une suitte de mots où il y ait sens, composez au reste de certaines lettres, de la scituation desquelles vous soiez d'accord avec vostre correspondant; ainsi que de la deux, trois, ou tantiesme, à ce qu'il les puisse discerner des autres qui ne servent que pour amuser; et ces lettres-là distraictes et reduittes en un contexte d'escriture, soit à les prendre en leur droicte et propre valeur, a pour a; b pour b; ou transposees l pour d; m pour e, etc. formeront un sens à part occulte et caché sous la couverture de l'aparent: Mais outre que ce n'est pas une subtilité guere seure, ains subjecte à descouvrir, elle est bien penible, et quant et quant manque, si qu'elle ne reussiroit pas souvent; et contient fort peu de matiere: aumoien dequoy je la laisse à ceux qui y auront plus de goust que moy. Et pareillement ce laborieux dictionaire; lequel eschangé diction pour diction; substantif mesme pour substantif; adjectif pour adjectif; verbe pour verbe, etc. les nombres adjuxtez aussi, et les cas, les temps et autres particularitez de grammaire, pourroit à la verité succeder en quelques endroits, mais nompas par tout. OR voicy en lieu que j'estime estre plus à propos d'adjouster icy, avant que clorre de tous poincts les deductions de ces notes secretes inapercevables, forts à ceux qui tacitement s'entendans les appliquent chacun endroit soy, et font servir à leurs ententes, si qu'elles demeurent comme invisibles à tous les autres; qu'attendu la subtile et ingenieuse malignité <f 282r> de ce siecle, ouquel il n'y a escriture ne seing-manuel qui ne se contreface et falsifie; ce ne sera peu faict à ceux qui exercent les charges publiques, et ont les grands affaires en main, où à toutes heurtes il leur fault signer plusieurs depesches d'importance, d'avoir soing de s'armer et munir en cela de quelques remedes; comme de certains petits traicts derobbez, et marques latentes, tant en l'escriture du nom, qu'au seing et parasse qui l'accompagne, qu'autre qu'eux ne puisse descouvrir ne discerner: ce qui se peult aisément faire de plusieurs sortes; et entre autres en les variant selon la dacte de l'annee, du mois, et du jour; si qu'elles soient d'une façon en ceux qui font de nombre impair, et d'une autre en ceux du pair: car les faulsaires ne s'en sçavroient pas adviser pour le contrefaire, comme chose qui leur est du tout incogneuë; Parquoy leur fraude se descouvrira tout soudain de ceux qui auront faict l'expedition, en la confrontant et collationnant sur leurs marques: le mesme se peult encor practiquer sous le seeau.
  MAINTENANT on pourra icy m'objecter, que voulant enseigner les manieres d'escrire occultement, et donner des moiens, artifices et inventions pour ce faire, jusqu'à oster hors tout le soupçon qu'on pourroit concevoir que ce soit chiffre, ny escriture qui contienne autre chose que ce qu'on voit apertement, sans y avoir rien de caché dessous; au contraire je les descouvre et manifeste, et suis moy-mesme celuy qui interromps le but de mon intention: <f 282v> Ce qui est veritable sans doute; mais comment le pourrois-je faire autrement, si je ne voulois du tout supprimer la publication de cest oeuvre ? Ce qui me seroit faire autant de tort; et non d'autre sorte que si un impitoiable mere venoit à estouffer, ou jecter une pierre au col dans un profond abisme d'eaus, la creature qu'elle auroit enfantee à bien grand travail, et pourtant la devroit tenir tant plus chere; car certes je n'ay moins pené en cecy, si d'aventure je ne l'ay plus, qu'en nul autre de mes labeurs. Et de la communiquer seulement en particulier à d'aucuns, plustost que d'en faire part au publicq, celà seroit un peu dangereux et suspect, comme mesme je l'ay bien cognu par experience, qu'ils ne s'en voulussent trop prevalloir, et paraventure se l'aproprier, en le publiant sous leur nom apres mon decez, ce qui est assez advenue à d'autres: Parquoy j'ay mieux aimé d'en user ainsi; Joint que je n'ay faict icy qu'esbaucher en bloc les ouvertures, generales, et grossieres inventions de ces chiffres, reservant aux bons esprits, de les polir et amener à plus grande perfection; car sous ces maximes gisent infinis autres secrets et artifices, trop plus beaux que ceux que je puis avoir descouverts. QUE si l'on me veult assaillir d'un autre costé, que ce n'a pas esté bien faict de manifester ainsi indifferemment telles choses, dont plusieurs manieres de gens peuvent abuser en plus d'une sotte; à celà je dis qu'au contraire, je leur en ay plustost retranché les moiens, quand ils verront toutes les ruzes dont ils <f 283r> se voudroient aider en ce cas, estre esventees, et mises en aperte evidence; car certes je ne cuide pas qu'il y en puisse guere avoir, qui ne tombe sous quelqu'une des maximes que j'ay touchees; Joint que d'autres comme Tritheme, Cardan, et Baptiste Porte, en ont assez donné d'ouvertures, sans reprehension de personne: Si mieux ou moins heureusement que moy, c'est à faire à la voix publique d'en decider, et non à la particuliere affection d'aucuns envieux, qui pour s'introduire, advancer, et faire valoir, ne cherchent point de plus courte addresse, que de descrier à tous propos, et sans propos les oeuvres des autres. J'y ay faict au reste du moins-mal que j'ay peu; et si n'ay gueres emprunté de personne: Ne m'estant pas voulu arrester à deduire plusieurs artifices de lettres non apparentes; car celà est si trivial, si battu, rebattu, et prostitué, que ce me seroit une corvee trop ennuieuse voire indigne, d'y avoir emploié une seule plumee de mauvais ancre: comme d'escrire avec de l'alum bruslé; ou du sel armoniac; ou du camphre, destrempez en eau;
Escritures non apparentes.
ce qu'estant sec, blanchist à pair du papier; qu'il faut tremper puisapres dans de l'eau, qui le rend noir, et l'escriture demeure blanche; ou le chauffer devant le feu, tant que le papier roussisse, et l'ancre s'offusque: le mesme faict le juz d'oignons; et l'eau encore toute simple. Si l'on trasse quelque chose sur le bras, ou autre endroit du corps, avec du laict, ou de l'urine, en jectant de la cendre dessus, elle y adhere, et monstre ce qui y aura esté desseigné. Le <f 283v> sel armoniac resouls à par-soy à la cave, ou autre lieu humide, si l'on escrit de ceste liqueur, tout demeure blanc: frottez le papier avec du cotton trempé en eau distille de vittriol, ou de coupperose, l'escriture apparoistra noire.
Artifices de cacher les lettres.
Il y a un autre artifice de faire une petite incision à un oeuf, avec la pointe d'un trencheplume bien affilé, par laquelle on fourre dedans de petits billets de papier escris des deux costez, de la largeur de l'ouverture, non plus grande que du petit doigt; et y en peult assez tenir: Puis on la replastre avec de la craye ou ceruse, et de la chaulx vive, empastees avec de la glaire; si qu'il seroit bien malaisé d'y rien remarquer ne cognoistre, quand bien mesme on les auroit fait durcir et peller; car cela demeure enclos dans leur substance, sans que rien paroisse dehors. Il y en a qui font coudre les lettres qu'ils portent en la semelle de leurs bottes, ou soulliers; ou fourreau d'espee: Sous les fers encore de leurs chevaux: Font une incision dans une verge de saulz, estant en seue dessus l'arbre encore, et la creusent; puis y aians inseré les lettres, la laissent reprendre et reclorre; et couppent la verge: C'est de l'invention de Theophraste, non des plus spirituelles pour un si subtil philosophe; Joint que cela a besoin de temps, et si la cicatrice y demeure emprainte tousjours. Le mesme se peult effectuer, et encore plus commodeement, dans un baston de torche, ou semblable bois de sapin creusé, puis enduire la fente avec de la sieure fort subtile et sassee, de la mesme estoffe, <f 284r> destrempee avec de la colle blanche: Dequoy il semble qu'usa Brutus en allant à Delphes, comme le marque Tite Live à la fin du prem. livre. Et en un autre endroit de la 4. Decade, si je m'en souviens, Polycrate, et Diognet enfermerent un brief de plomb, dans une tourtre: Harpague, en Herodote, une lettre dans le ventre d'un lievre. D'autres les font avaller à des chiens, et puis les esventrent. Istiee fit raser la teste d'un sien esclave, et apres avoir escrit dessus avec un pinsseau, de noir à noircir destrempé à huille, ou de l'ancre des Imprimeurs, laissa recroistre ses cheveux d'un bon doigt; puis le depescha vers Aristagore, luy mandant de bouche de le faire raser derechef, pour un mal qu'il avoit aux yeux; si qu'il apperceut ce qui estoit caché là dessous. Il y en a qui enferment leurs lettres dans un caillou artificiel, faict de ceste sorte. On prend des cailloux de riviere qu'on faict calciner, et reduire en poudre passee par un subtil tamis: Puis on l'incorpore avec sa quarte partie de resine fondue, et une de poix, meslant bien le tout avec un baston; et estant ceste composition encore chaulde, et par consequent molle, envelouppent la lettre dedans; façonnant le caillou devant le feu à tout les mains trempees en eau tiedde, de la sorte que bon leur semble; Cela faict, on le laisse secher. Il y a un autre malin artifice qui se faict avec de l'alum bruslé, destrempé en eau, dont on escrit sur du papier: estant sec tout deviendra blanc. On brusle d'autre part de la paille de froment, qu'on estend en un linge, <f 284v> surquoy on passe de l'eau tiedde par tant de fois, qu'elle ait emporté toute la noirceur de la paille: Puis on escrit de ceste ancre sur l'escriture blanche dessusdite, ce qu'on ne veult pas tenir secret: et pour lire ce qui est caché, s'effaçant ce qui apparoist manifeste, il fault avoir de l'eau de vie, ou l'on aye fait tremper des noix de galle concassees grossierement, tant que l'eau de vie en ait attiré et embeu la teinture, avec du cotton mouillé dedans, l'escriture apparente s'esvanouïra, et l'occulte viendra à se descouvrir, noire comme est la commune: Enquoy il y a certain secret qu'il ne m'a pas semblé devoir divulguer; nomplus que d'une autre maniere d'ancre qui s'efface d'elle mesme en quinze jours ou trois sepmaines; composee de pierre de touche, sablon d'Estampes, sang de pigeon, noix de galle, et autres ingrediens, mesme de l'huille de tartre, avec laquelle il fault destremper le tout, y adjoustant un peu d'ancre affoiblie avecques de l'eau. Mais telles choses sont pueriles, et dangereuses quant et quant d'en abuser; Aumoien dequoy il n'est pas besoin ny loisible de s'y estendre plus avant.
  VOILA ce que nous avons peu sauver de nostre oeuvre DU SECRETAIRE, par nous elabouré en Italie l'an 1567. et 68. à l'imitation de l'orateur de Ciceron, et Quintilian; du Courtisan du Conte Balthasar de Castiglion; du Veneur, et du Faulconnier de Phebus; et du Pilote <f 285r> de Pierre de Medine: divisé au reste en trois livres; au premier desquels se traictoit de la norriture du Secretaire, et de l'instruction, doctrine, et enseignement, où il devoit estre exercé en ses jeunes ans; ensemble de la cognoissance qu'il luy estoit requis d'avoir des bonnes lettres, et des langues; parce que moiennant l'aide et secours de celles-là, il se pouvoit accommoder d'infiniz beaux traicts et exemples tirez des livres, qui luy aportent un grand advantage et soulagement à la conduicte des affaires á quoy il est appellé: et la varieté des langues luy fournira de plusieurs riches locutions pour en embellir son stille, d'autant qu'elles se pollissent les unes les autres, tout ainsi que les diamans qui reciproquement s'entretaillent. Et de faict quelque bon esprit et heureux naturel, qui neaumoins sert beaucoup en toutes choses, que puisse avoir quiconque faict ceste profession: Quelque rottine, rompement aux affaires, et experience que le temps, et le long maniment d'iceux luy acquierent; Tout cela neaumoins s'il n'est secondé de science acquise, ne peult pas reluire si excellemment, comme quant l'un est secouru de l'autre; selon que le tesmoigne fort bien Horace en son art poëtique:
  Ego nec studium sine diuite vena;
  Nec rude quid prosit video ingenium: alterius sic
  Altera poscit opem res, et coniurat amice.
Le second livre contenoit aucunes reigles et maximes de nostre parler, jusqu'icy permis z trop d'habandon <f 285v> et de liberté, ainsi qu'un genereux poullain, qui n'aiant encore esté adressé, ny retenu de mords et de bridde, va de gaieté de coeur bondissant, sautellant, trepignant de costé et d'autre, hors de toute cadence, temps, et mesure: avec quelques formules et exemplaires des lettres qu'on appelle missives; de memoires et instructions; passeports, saufconduits; patentes, et semblables depesches; de celles principalement qui sont affectees aux affaires d'Estat, et des finances; dont je puis aucunement parler sans mesprendre, comme celuy qui en sa jeunesse a esté norry par six ou sept ans, avecques feu monsieur Bayard, premier secretaire des commandemens du grand Roy François; et l'un des plus disers et mieux escrivans de son aage: aiant du depuis par plus de trente ans faict cest exercice, sinon sous des Rois, à tout le moins aupres des Princes et grands Seigneurs, qui n'ont pas esté sans charge d'armees, et d'affaires de grand' importance: Voyagé outre-plus bien longtemps, et en plusieurs lieux; enquoy s'il ne tient à nostre default, le jugement a de coustume de s'affiner tousjours de plus en plus, et ruzer; car toute Domination et Estat a le mesme respect à l'endroit des voisins qui l'entourent, que le centre d'un cercle envers sa circonference. Ces deux livres là me furent par la malignité d'aucuns, substraits l'an 1569. à Thurin;
Fueil. 31. 43.
et du tout pour jamais adirez pour moy. Quant au troisiesme, qui estoit de la dignité et excellence de l'escriture, voire par dessus la parolle; ensemble des occultes <f 286r> manieres d'escrire, j'en avois envoié desja les esbauchemens par deça en main seure; à quoy j'ay eu assez de loisir l'espace de dixsept ans, d'adjouster beaucoup de choses à ce que j'en avois projecté comme en blocq dedans mes secrets ruminements et discours; sans les reveller à personne jusqu'à maintenant, que j'en fais liberalement un don et present gratuit au publicq; à ce que le briz de ce mien naufrage ne s'acheve de s'engloutir et submerger dans les ondes d'une obliance perpetuelle.
  OR pour faire fin, d'autant que la curiosité des personnes pourroit paraventure avoir plus cher de se servir en leurs escritures secretes, de caracteres incogneuz, que de ces transpositions, eschanges, et adouemens des communes lettres; ny des proportions tant des nombres que des mesures; avec telles autres subtilitez, enquoy nos chiffres versent pour la plus-part; il nous a semblé valoir mieux de satisfaire à leur desir avec une varieté d'alphabets de divers peuples et nations, dont par mesme moien se pourra puiser quelque usage et enseignement, que de s'arrester à de fantastiques notes bizarres de pieds de mouche faits à plaisir, qui n'importent rien que ce soit, fors la seule valeur et signifiance des lettres qu'ils representent, et pour lesquelles on les employe et fait servir. Pour commancer donques aux caracteres Hebraïques, qui sont les plus anciens de tous, voire formez du propre doigt du <f 286v> souverain Dieu, avant la creation du siecle, si nou-nous en voulons raporter à ceux que nous avons là dessus alleguez cy devant;
Fueil. 37.
quelques-uns ont opinion, que Moyse en avoit de deux sortes; l'une de ceux dont estoient escrites les deux tables du decalogue, pleins de grands et profonds mysteres en leurs figures, toutes dependantes du Jod, comme a esté dit:
Fueil. 22.b. et 57.b.
Et estoit ceste escriture la Sacre-saincte, reservee à luy seul en secret; ensemble aux prestres, et levites, pour la spiritualité seulement, combien que les Sanhedrin n'en fussent pas exclus aussi: laquelle il ne fault point douter que ce ne fust celle que nous avons; comme en faisoient foy ces deux lettres [H] samech, et [H] mem final, conservees entieres és fragmens des premieres tables qui furent rompues pour raison du veau d'or:
Fueil. 159.b
Mais ceste escriture fut depuis divulguee indifferemment au publicq par Esdras, au retour de la captivité Babylonienne. Quant aux poincts et accent, je les laisse, car cela traisne une trop longue queuë apres soy; les uns alleguans que ce fut iceluy Esdras qui les inventa; et les autres, ou il y a plus de certitude, les attribuent aux Massorets, qui vindrent quelque temps apres S. Jerosme. Il y a d'autres caracteres encore de la mesme escriture et langage, qui sont sans poincts et sans accents, desquels ont usé la plus-part des Rabbins en leurs commentaires et traditions, ce qu'on appelle lettre courante, parce qu'elle va plus viste que l'autre, comme estant moins carree, et plus arrondie; Parquoy elle n'a pas une telle <f 287r> grace et plaisir à l'oeil: on l'appelle la petite ou menue escriture, ou masket; mot approchant de ce qu'en Arabesque signifie mince, et extenue: En voicy les deux alphabets tout ensemble, dont la signifiance des lettres selon les anciens Cabalistes, a esté desja cy devant expliquee.
Fueil. 87. 88.b. 89.b.. et 91.
[FIGURE]
  ET cest autre icy est de capitales, extraict des vieils marbres de la terre Saincte: mais aucunement differentes des ordinaires usitees.
<f 287v> [FIGURE]
  EN voicy encore un autre, qui fut pareillement apporté il y a desja bien long temps de ces regions là à Venise, durant que les Prince et Barons Chrestiens y faisoient la guerre contre les infideles Mahometistes, qui est de fort beaux et plaisans caracteres, presque tous autres que les communs; et contretirez sur ceux d'une fort antique inscription qui estoit en Jerusalem: departiz au reste en trois rengees, chacune de neuf caracteres; dont la premiere commance en bas de la main droicte vers la gaulche à la mode Hebraïque: la seconde assavoir celle du milieu, suit de gaulche à droict en montant: et la tierce, celle d'enhault, de droict derechef à gaulche, ainsi que vous le pouvez voir icy; où cela est bien à noter, que la sixiesme lettre qui est Vau est du tout semblable à une croix, comme le Vau des Samaritains, tel qu'il se verra cy dessous.
<f 288r> [FIGURE]
En la Uvoarchadumie de Panthee, part. 2.
  ON attribue cest alphabet à Enoch, qui servit mesme de scribe et de secretaire à Adam selon que dient les Mecubalistes; et que ce fut de ces caracteres dont Seth, et luy engraverent és deux colomnes mentionnees au prem. des antiquitez de Josephe, chap. 4. l'une de bricques, et l'autre de marbre, tout ce qu'ils avoient peu apprendre des secrets des astres, et des elemens, pour le garentir des universels accidents et conflagrations et deluges qui devoient quelquesfois advenir. Et de faict comment eust-il esté possible qu'en ce peut d'espace de 300. ans qu'il y eut du deluge jusqu'a Abraham, du temps duquel l'astrologie estoit en sa plus grand' vogue en Chaldee, on eust peu establir les regles et maximes de ceste science, qui ont besoin d'une si longue et particuliere observation du cours du ciel et des estoilles, s'il n'y en eust eu quelques esbauchemens precedans, à eux laissez de main en main ? Car on tient qu'Adam fut creé avec pleine et entiere cognoissance de tous les ouvrages du Brezit, c'est à dire de la creation. Pour le jourd'huy mesme encore en Ethiopie <f 288v> ils ont un traicté d'Enoch, ds choses divines, tenu là en fort grand respect, et advoué pour canonique. Et certes nous sommes plus illustrez de la moindre apprehensions que nous puissions concevoir des substances celestes, et intelligences qui leur assistent, que si par toutes nos ratiocinations et discours nous avions atteint tous les plus profonds effects de nature en ce bas monde elementaire. Car puis que de toute Eternité en Dieu sont immuablement ordonnees les dispositions de toutes choses advenir, il s'ensuit de là, que ceux seront les plus proches et plus aptes à les prevoir, qui par un supreme exces et ravissement de pensee, et par un amour souverain envers celuy dont tout procede, tascheront de s'avoisiner le plus-pres de luy. Et pourtant est nostre esprit plus propre et idoine à celà durant le dormir du corps qu'en veillant; parce que les affections d'iceluy sont alors plus brillantes et desbandees; ai qu'elles prevalent à la partie contemplative. Aumoien dequoy les predictions des Hebrieux, se raportent à ces Ecstases et transportemens au troisiesme ciel, qui est le monde intelligible, et le livre de vie, ensemble le miroüer luisant, où se voient nectement et distinctement toutes choses, sans aucun voile ne couverture, et par consequent és lettres et langue Hebraïques aussi, mieux qu'en aucunes de toutes autres. CELLES des anciens Chaldees souverains maistres en l'astrologie, au monde celeste, ouquel, outre ce qui se peult atteindre et comprendre par le mouvement tant du ciel de l'orient à l'occident, que des Planetes et de leurs spheres <f 289r> au rebours, preside ce qui s'appelle Bathcol, la voix universelle, que le Zohar, et autres signalez Cabalistes intepretent pur la puissance mediatrice et motricede tout l'univers; assavoir l'Intellect du Messie ou du Verbe, ( mens mentium ), comme ils l'appellent, par qui le souverain Pere meult tout. CELLES des Slbilyes, estoient dediees à l'elementaire et inferieur, pour la conduitte et reiglement des choses humaines; ce qui fut cause que les Romains les embrasserent plus volontiers, comme du tout tenduz et inclinez à cela. Si qu'il y a eu trois disciplines principales envers les Sages anciens: Celle en premier lieu des Hebrieux, qui ne tend qu'à conformer nos pensees, actions et comportemens à la droicte voye, presripte par les ordonances et preceptes divins, qui expriment comme Dieu veult estre honoré et servy; et que nou-nous devons maintenir par une charité mutuelle et reciproque prochain à prochain, l'un envers l'autre, pour la conservation de l'humaine societé, dont il n'y a rien de plus aggreable en la terre à ce grand monarque et recteur de tout l'univers, au tesmoignage mesme de Ciceron, nonobstant qu'Ethnique.
Au songe de Scipion.
La seconde est des effects provenans du ciel, et de la varieté de ses diverses influences en bas; dont la prevoiance nous est octroyee pour y prevenir, s'y accommoder, ou y obvier; Vir sapiens dominabitur astris, dit l'astrologien Ptolomee: et ceste-cy estoit plus particuliere aux Chaldees, Puis aux brachmanes, gymnosophistes, et autres sages de l'orient, qui humoient les <f 289v> premiers rayons du Soleil journellement à son lever de l'ocean, comme s'il se fust venu reffreschir de sa couche, et ravigorer de nouvelles forces, tout ainsi qu'un cerf au partir de sa reposee. LA troisiesme estoit des choses constituees sous le ciel, dedans le monde Elementaire, dont la terre est en lieu d'une base et de fondement; là ou les notions et presages ne se peuvent mieux assigner, qu'en ce qui est és animaux le plus conjoint de l'esprit de vie à la materielle masse du corps; comme au coeur, foye, et autres precordes où cest esprit à son principal siege et demeure: et ce pour l'interpretation des Prodiges, et semblables signes, qui nous admonestent de quelque signalé desastre et calamité advenir: Et cela fut comme en propre aux Egyptiens et Hetrusques excellens en l'aruspicine. Desquelles trois meslees ensemble, les mages en composent la leur quatriesme. Tellement qu'en cecy apparoist je ne sçay quelle croisee du monde, dont les Hebrieux tiendroient le centre; les Chaldees, et Indiens le bout du levant; les Celtes, et Hetrusques de l'occident; les Egyptiens et Ethiopiens du midy; et les Scythes du septentrion; ainsi que les quatre principaux gonds de la terre, à quoy tout le demeurant se raporte.
  IL y a un autre alphabet Hebraïque, qu'on allegue avoir esté donné à Abraham au passage de la riviere, lors qu'il sortit de Chaldee pour venir en la terre de Chanaan, depuis ditte la Palestine, la Judee, et la Terre Saincte, dont voicy les caracteres. Au regard des <f 290r> Samaritains qu'on attribue aussi à Moyse, nous les donnerons cy apres.
[FIGURE]
  ICY se presente incidemment une chose qui merite bien n'estre teuë, ains examinee un peu de pres; qu'en cest alphabet, d'Enoch, et au Samaritain aucunement, la sixiesme lettre qui est le Vau, combien qu'elle se raporte à l'ypsilon grec, monstre la figure <f 290v> d'une croix renversee; comme si par là estoit denoté le mystere du crucifiement de nostre Sauveur, qui intervint le vi. jour ou ferie de la sepmaine; et encore à la vi. heure du jour. Mais Origene, et S. Jerosme depuis luy, alleguent, que de leur temps mesme le Tau Hebrieu avoit la forme d'une croix; Origene en ces propres termes en l'omelie In diversos; CEUX estoient exemps seulement qu'on avoit marqué du caractere du TAU aiant la forme d'une croix. Et S. Jerosme sur le 9. d'Ezechiel; En l'ancien alphabet des Hebrieux, dont usent encore pour le jourd'huy les Samaritains, la derniere lettre TAU a la ressemblance de croix; qui se voit marquee ordinairement au front, et és mains des Chrestiens. Parquoy il faut bien dire, que les Juifs malignement l'aient depuis perverty et deguisé comme il est: et de faict les Ethiopiens Abyssins qui ont emprunté la plus-part de leur langage et caracteres des Hebrieux, marquent leur Ta par une croix; là où celuy des Juifs n'y convient en rien que ce soit, ains à un gibet, et fourches patibulaires; et encore moins le Samaritain: car il n'est pas à croire que des personnages de si grand nom, et si saincts preudhommes, eussent voulu controuver cela; our la corroboration de nostre foy, pourroient arguer là dessus les Juifs; mais à l'instant mesme ils eussent peu estre atteints et convaincus de chacun, d'une trop evidente faulseté, et pourtant rendu nostre cause pire; qui au reste n'a point de besoin d'un si foible renforcement; parce que ce qui est escrit au 9. d'Ezechiel, que ce Tau fut <f 291r> marqué par l'ange au front des personnes gemissantes et contristees, peult avoir encore une autre interpretation, que les nostres mesmes ne rejectent pas; que c'estoit principallement pour denoter le regret, douleur et ennuy, qu'avoient les gens de bien de voir l'observation de la loy qui en Hebrieu s'appelle Torah, dont la premiere lettre est le Tau, ainsi à mespris qu'elle estoit: Et c'est chose assez familiere aux Hebrieux, par la voye de leur Notariacon; et aux Grecs et Latins encore, de representer tout le mot entier, par la premiere lettre d'iceluy;
Fueil. 45.b.
comme il a esté assez amplement touché cy devant. Mais d'autre-part en confirmation de ce que mettent Origene et S. Jerosme, cecy vient bien à considerer, que le Taf grec qui imite le Tau hebraïque, et qui suit tout de mesme le Ro et le Sigma, comme cestui-cy faict le Res et le Shin; tant en capitale T, que menue lettre [G], est du tout semblable à une potence qu'on appelle de S. Anthoine, fort approchante d'une croix, il ne s'en fault que le croisillon d'audessus, où posoit la teste du patient, et estoit attaché l'escriteau contenant le dicton de sa mort: car on sçait assez, que les caracteres Grecs ont esté empruntez des Hebraïques, et Samaritains, comme nagueres a esté dit. Enapres, ce qui fait encore à cecy; est que d'autant que ce mot [H] Tau signifie signe, par certaine Antonomasie, on peult dire que ce devoit estre celuy de la croix; que mesmes les mages, Perses, et les Egyptiens tenoient estre la plus excellent figure de toutes autres; comme <f 291v> consistant de deux lignes s'entrecroisantes à quatre angles droits, dont rien ne se peult trouver de plus ferme ny de plus solide, si qu'elle ne peult chanceller nulle part nomplus qu'un Cube: et les quatre bouts denotent les quatre parties du monde; Orient, occident, midy, et septentrion; le hault, et le bas; le costé droict et le devant; le gaulche et l'envers, ou derriere, selon le livre de Jezirah: mais avec plus d'authorité l'Apostre aux Ephesiens 3. [G]; Afin que vous puissiez comprendre avec tous les saincts, quelle est la largeur, et la longueur; la profondeur, et la haulteur. Tellement que non sans mystere, la benediction des Juifs propres se faisoit par ce signe icy;
Fueil. 150. b.
auquel il y a grande apparence que le Tau devoit ressembler, puis que mesme il le signifie; comme si la croix, tout ainsi que ceste lettre est la derniere de l'alphabet, deust estre aussi la fin et accomplissement du Torah ou la loy, designee par icelui, qu en estoit le premier caractere. Car quand j'ay dit que [H] tau veult dire signe, il faut entendre d'une borne ou limite, en Grec [G], et [G]; et en Latin limes ou terminus: lequel se consideroit en deux sens; l'un du levant au ponant, qui s'appelloit Decumanus; et l'autre du midy au septentrion, Cardo; comme met Pline liv. 18. chap. 34. Si que ce n'estoit autre chose qu'un croisement; lequel se procreoit de deux lignes se venans entrecoupper à un centre. Mais ce qui est tresadmirable, tout ainsi que non <f 292r> seulement le caractere du Tau representoit une croix, ains le mot encore [H] la signifioit, la secone lettre de ce mot là, qui est [H] Vau, monstre la figure d'un cloud; et si le mot composé de ces deux ensemble [H] le signifie. QUANT au supplice de la croix, il a esté de vray particulier aux Romains envers les estrangers, et esclaves; mais nompas qu'ils en aient esté les premiers autheurs, ny seuls usé; car nous lisons au 14. de Strabon, et ailleurs encore, que Polycrates tyran de Samos fut crucifié par le Satrape Orantes, lieutenant du grand Roy de Perse és basses regions de l'Asie, et és isles circonvoisines, l'an 230. de la fondation de Rome, comme met Pline liv. 33. chap. 1. Ce qui eschet vers la reedification du temple sous Zorobabel, plus de 500. ans avant l'advenement du Sauveur: et dans Plutarque en la vie de Cleomenes, que Ptolomee Roy d'Egypte le fit pareillement mettre en croix, apres qu'il se fut entretué avec un autre: Plus és commentaires d'Hircius, de la guerre Aphricaine, que Juba Roy de Mauritanie fit crucifier tous les Numides, qui s'en estoient fuys du combat dans le camp. De la forme de ce supplice, par six ou sept ans que j'ay demeuré à Rome, j'ay faict autrefois tout ce qui m'a esté possible, et par la communication des gens doctes les plus versez en l'antiquité Romaine, et en revisitant tous les marbres, bronzes, medailles, et camaieux antiques, dont l'on en peust tirer quelque cognoissance et instruction, mais je n'en ay peu rien redresser. Dans les autheurs mesmes <f 292v> nomplus ne s'en trouve rien de plus clair et de plus preignant, que ce passage de Ciceron en la 7. des Verrines; exagerant la cruaulté de Verres encontre un nommé Gauius, lequel il fit crucifier; Quamuis (dit-il là) ciuis Romanus esset, in crucem tolleretur: Et pour luy accroistre plus son martyre, qu'il appelle crudelissimum et teterrimum supplicium; il fit planter la croix sur le bord du far de Messine, qui est un petit bras ou destroit de mer, separant l'isle de Sicile d'avec la Terre-ferme de l'Italie; audeça duquel s'il eust peu passer il estoit hors de la puissance et jurisdiction de cest inhumain: Et le fit attacher la face tornee devers Rome: Dixisti palam (suit apres) te idcirco illum locum deligere, vt ille qui se ciuem Romanum esse diceret, ex cruce Italiam cernere, ac domum suam prospicere posset. Et derechef; Italiaeque conspectus ad cam rem delectus est, vt ille in dolore cruciatúque moriens, perangusto freto diuisa seruitutis ac libertatis iura cognosceret: Spectet inquit Patriam, in conspectu libertatisque moriator. De ce lieu nous aprenons quatre ou cinq particularitez concernans ce supplice; l'une que c'estoit le plus cruel et atroce de tous les autres, ainsi qu'est à nous mettre un forfaicteur tout vif sur la rouë, sans luy donner rien des coups qu'on appelle de grace, parce qu'ils abregent la vie, et par consequent leur enorme passion et douleur: l'autre, que les Romains n'en usoient point à lendroit de ceux qui avoient le droit de leur bourgeoisie, ains seulement envers les esclaves, et les estrangers; mesmement les brigands et voleurs <f 293r> insignes; les perturbateurs du repos publicq, les seditieux qui voulussent attempter quelque chose contre l'estat; et les seducteurs taschans d'introduire quelque nouvelle doctrine contre l'ancienne religion; dequoy les Juifs calomnierent JESUS-CHRIST envers Pilate. En apres qu'on dressoit ces gibets croisez tous neufs et expres hors des villes. Puis que le condamné avoit la teste droict eslevee; car autrement il n'eust pas peu veoir au loin devant soy, et distinctement, pour luy rengreger son regret et douleur, parquoy il n'estoit pas penchant contre bas, ou de travers en ceste maniere de croix que nous appellons Bourguignonne, comme aucuns taschent de subtiliser, parce que le sang qui se fust affaissé en la teste, y affluant de toutes parts, l'eust incontinent estouffé: et finablement, ce qui corrobone tant plus cecy, qu'il expiroit attaché-là peu à peu en tormens extremes, tout transi de faim et de soif, et molesté à toute outrance de l'ardeur du Soleil en esté, et de la rigueur du froid en hyver, mais plus encore des mouches et des oiseaux, qui en toute liberté luy venoient bequeter les yeux, le visage, et toutes les autres parties du corps; principalement, comme il est a croire, és playes que les clouds dont ils estoient fichez avoient faites; car les mots de Crucisigere et suffigere emportent que ce deust estre plustost ainsi, que nompas liez de cordages; joinct cest autre passage de Ciceron, contre Pison: An ego si te et Gabinium cruci suffixos videam, maiore afficerer laetitia, ex corporis vestri <f 293v> laceratione, quàm afficior infamia ? ce mot de laceration important quelque deschirement du corps, et navreure. Et de fait les deux larrons, quoy qu'on les represente en quelques endroits autrement, de relief et platte-peinture, furent executez de la mesme sorte que JESUS-CHRIST, comme le tesmoigne S. Augustin sur S. Jean: et l'histoire Ecclesiastique à l'invention de la vraye croix, met en termes expres, qu'on ne la peut pas discerner des deux autres, que par le miracle de la resurrection d'un mort qu'on placqua dessus. Mais en cest endroit les Juifs nous reprochent, qu'à tort nous les calomnions d'avoir crucifié JESUS-CHRIST, d'autant qu'ils n'userent onques de ce supplice, n'en ayans jamais eu que de quatre sortes: de vray le mot de [H] Ets qui se trouve ainsi traduit en Genese 40. et 41. Josue 8. et Esther 5.8. et 9. et que les paraphrastes Chaldaïques, et le nouveau Testament Syriaque tornent [H] tzelib, ne signifie propreement autre chose qu'un arbre, pieu, perche, et semblable bois; comme aussi fait le grec [G], combien qu'il soit plus particulier à la croix, et aux trellisseures que l'autre. Mais ce n'est pas ce qu'on leur dit, sachans assez que depuis qu'ils furent reduits en province souz le joug et obeissance de l'Empire Romain, on ne leur laissa que leurs loix municipales, et policé particuliere, dont l'execution de la croix n'estoit pas; autrement ils n'eussent point crié tout haut; Nobis non licet interficere quemquam; ains que ce furent eux qui calomnieusement instruirent <f 294r> la procedure, subornerent des faux-tesmoins, et finablement contraindrent Pilate, le menaçant de le deferer à l'Empereur, de condamner à mort l'innocent juste, qu'il chercoit d'absoudre et faire eschapper.
Quatre sortes de supplices aux juifs.
Donques les quatre sortes de supplices qu'avoient les Juifs, et les cas affectez à iceux estoient tels qu'il s'ensuit; ce que nous avons bien voulu inserer icy, comme chose non impertinente, et qui n'est pas des plus vulgaires à un chacun. La premiere, comme il est expliqué au Talmud, et en l'abregé de la Mischne sur le traicté des Sanhedrin, estoit le lapidement;
Le lapidement.
qui est tousjours soubsentendu devoit estre, quand en l'escriture se trouvent specifiez ces mots cy, et sanguis eius in eo; dont dixhuit especes de crimes estoient punis: Qui eust eu affaire à sa mere, à sa marastre, à sa tante, ou à sa bru: qui defloroit une fille desja fiancee à un autre: un Sodomite, tant envers les garçons, que les bestes, et une femme qui se fust prostituee à icelles: le blasphemateur; l'idolatre, et qui induisoit les autres à idolatrie: celuy qui offroit de sa semence à moloch: un Necromantien qui enquist l'esprit d' Ou, et de Jedain: les devins: Quiconque prophanoit le Sabat; qui maudissoit ses pere-meres; ou leur estoit rebelle, desobeissant, et injurieux: qui trahissoit sa patrie, ou conspirout à l'encontre: un empoisonneur, et sorcier. Avant que d'arriver au lieu de l'execution, on admonnestoit le criminel de so confesser et se recognoistre; ce qui estoit commun aussi à tous autres condamnez à la mort; car selon leurs traditions, qui ne se <f 294v> confesse n'a point de part au siecle advenir en l'heritage des bien-heureux: et celà se voit au 7. de Josue où il admonneste ainsi Achan: mon fils donne gloire au Seigneur Dieu d'Israël et te confesse; et si me declare ce que tu as fait; ne m'en celle rien. A quoy l'autre respond; Veritablement j'ay peché encontre le Seigneur Dieu d'Israël, et ay fait ainsi telle chose et telle. A ceux qui ne sçavoient pas la formule de la confession, on la leur dictoit mot à mot en la sort; La mort que je vois recevoir, me puisse estre en expiation de tous mes mefaits et offenses. Et là dessus on luy donnoit à boire du vin mixtionné avec de l'encens, afin de l'enyvrer d'avantage et luy troubler l'entendement, si qu'il apprehendast moins l'horreur de la mort: Ce qui a quelque affinité avec ce passage icy de S. Marc. 15. [G] Et luy donnerent à boire du vin mixtionné avec de la myrrhe. Celà fait on le despouilloit tout nud, horsmis d'un linge devant les parties honteuses; aux femmes on laissoit leur cotte et chemise: Puis on le montoit les mains liees sur un eschaffaut dressé expres à la haulteur de deux statures d'homme; d'où l'un des tesmoins le precipitoit de toute sa force sur une grosse pierre placquee au dessous: Que s'il ne mouroit de cela, les autres tesmoins estans en bas, luy en rejectoient un autre du poix de plus de deux cens livres sur la poictrine et sur le ventre: que s'il tardoit encore à expirer, la multitude l'achevoit là à coups de pierres. Et de ce pas on l'alloit pendre au gibet, la face tournee en dehors vers le peuple; <f 295r> si une femme, en dedans contre la potence: Aucuns dient qu'on les enterroit, excedé les idolatres, et blasphemateurs.
Le bruslement.
L'autre maniere de supplice estoit le bruslement, duquel ils usoient en dix crimes: Envers la fille d'un prestre qui estant mariee commist adultere: celuy qui avoit affaire à sa fille, ou à sa niepce; ou à la fille de son fils; ou à la fille de sa fille, ou à la fille d'elle; à la mere de son beaupere, à la mere de sa belle mere: tous cas dependans de l'ardeur de luxure, parquoy il estoit bien raisonnable de les chastier par le feu. La maniere de l'execution estoit telle: On enfonçoit le condamné dans un taz de fiens, jusqu'aux escelles; et lors on luy mettoit une nappe ou longiere au col, que deux hommes forts et robustes tiroient de toute leur puissance des deux costez, tant qu'il ouvrist la bouche bien grande, par où on luy jectoit en la gorge une petite bille d'acier toute rouge, laquelle s'avallant dans l'estomac luy brusloit soudain les entrailles, et ainsi rendoit l'esprit.
Le decollement.
LA TROISIESME estoit le decollement, presqu'à nostre mode; qui s'estendoit en premier lieu envers les habitans d'une ville qui se fust destournee à l'idolatrie: Puis aux homicides, tant par glaive, qu'à coups de baston, et de pierre; ou qui eussent poulsé quelqu'un dans le feu, ou dans l'eau, dont il ne se seroit peu retirer, ains y seroit mort: que s'il s'en pouvoit retirer, nonobstant que de cest inconvenient il mourust apres, l'autre n'en estoit point coulpable.
<f 295v> L'estranglement.
<f 295r> ET LA <f 295v> QUATRIESME estoit d'estrangler, ceux assavoir qui auroient frappé leur pere ou leur mere; ou emblé et destourné un Israëlite pour le vendre à des estrangers: un du conseil qui s'opposast et contredist à l'unanime consentement d'iceluy, et en partroublast l'execution: un faux prophete, ou qui prophetisast au nom et vertu d'un idole: un adultere: Celuy qui eust desbauché la fille d'un prestre, et l'eust violee. L'execution en estoit toute telle que du bruslement, fors du fer chaud; car quand le criminel estoit enfoncé dans le fiens, et la longiere jectee au col, on l'estreignoit tant qu'il fust du tout estranglé. Tous ceux-cy estoient enterrez dans la fosse commune ou se mettoient les executez par justice, jusqu'à ce que la chair fust du tout consommee: et alors on rendoit les ossements à son parenté, pour les ensevelir au sepulchre de leurs ancestres: Puis les parents et alliez du defunct s'en alloient trouver les Juges, et les tesmoins, pour leur declarer en public de ne leur en porter aucun maltalent ny mauvois vouloir, hayne ou rancune; advoÜans la deposition contre luy pour bonne et loyale; et le jugement equitable. Mais pour retourner à la croix, Pline liv. 8. chap. 16. met Polybe avoir escrit, qu'estant en Afrique avec Scipion, il vit des Lyons crucifiez; ayant le peuple esté contraint d'en user ainsi pour en espouventer les autres, qui les venoient mesme assieger dans les villes. Josephe vers la fin du livre qu'il a fait de sa vie; et cecy est l'un des plus speciaux et poignans tesmoignages <f 296r> qui se trouve point nulle part és anciens autheurs non Chrestiens, pour nous instruire de ceste forme de supplice, racompte qu'apres la prise de Jerusalem par Titus, au retour d'une ville appellee Techue, il trouva toute la campaigne semee des croix de ceux qui y avoient puisnagueres esté attachez; dont entr'autres il en recogneut trois de sa familiere accoinctance, qui vivoient encore: Parquoy il s'alla jetter au pieds de Titus, qui luy octroya grace de les dependre; dont les deux en les medicamentant de leurs playes rendirent l'ame; et le troisiesme reschappa. Ce qui monstre tout apertement, que la mode Romaine en ce cas, estoit de les clouer à la croix, la teste toute droicte eslevee.
  AINSI Moyse eut deux sortes de caracteres, l'une pour les choses sacrees, assavoir l'Hebraïque, qui est celle que nous avons;
Fueil. 127. et 128.
et l'autre pour les prophanes, comme la Justice, police, commerces, et semblables affaires du monde; et pourtant vulgaire, et usitee de tout le peuple Judaïque; qu'on tient estre la Samaritaine, celle dont usoient les anciens Chaldees, et qui se communica depuis aux Pheniciens: Dont tout ainsi que de l'Hebraïque sont provenues la Syriaque et l'Arabesque, fut enfantee la Grecque; et consequemment la Latine, qui consiste toute ou peu s'en fault des capitales Grecques, comme on peult voir; et que le tesmoigne Pline liv. 7. chap. 58, où il cite un ancien tableu de bronze apporté de Delphes à Rome, ayant ceste inscription icy: <f 296v> [G] Par où il s'estudie de prouver que les lettres Grecques anciennes estoit presque les mesmes que les Romaines ou Latines. Et au chap. 56. precedant, il met ces lettres-là avoir esté les Assyriennes, ou selon les autres les Syriaques, mais ce sont sans doubte les Samaritaines: lesquelles horsmis l' Aleph et le Jod, deux caracteres mysterieux, sont si conformes aux Grecques et Latines si on les considere et prend à l'envers, que ce n'est presque qu'une mesme chose. Ce que dessus confirme encore Eusebe par la propre denomination des Grecques; où à l'imitation du Chaldaïsme a esté adjousté à la pluspart un a pour leur desinence, avec quelques transpositions en d'aucunes, comme Alpha au lieu d' Aleph; Betha pour Beth; Gamma pour Gamel, ou gimel; Delta pour Daleth, etc. Au reste selon l'opinion de plusieurs, ce fut bien en la langgue Hebraïque qu'Adam imposa à chaque chose son droit nom et appellation; et que ce parler se maintint seul par tout l'univers jusqu'à la confusion Babylonienne, qu'il se varia en soixante douze langages, autant que de principautez;
Genese II
mais pour le regard, de l'escriture il y a quelques difficultez là dessus, que nous avons amenez cy devant du Talmud.
Fueil. 128.
S. Jerosme au passage ja allegué sur le 9. d'Ezechiel; Antiquis Hebraeorum literis, quibus hodie vtuntur Samaritani, semble tenir que les caracteres Samaritains furent les premiers qu'eut le peuple Hebrieu: et plus particulierement <f 297r> encore au proëme du livre des Rois; Que les Hebrieux eussent vingt-deux lettres en leur alphabet, la langue mesme Syriaque le tesmoigne assez, qui pour la plus part est fort aprochante de l'Hebraïque; ayant aussi vingt-deux lettres, et d'un mesme nom, mais de differends caracteres. Les Samaritains encore ont le Pentatheuque de Moyse escrit par autant de lettres, dissemblables tant seulement de figure, et d'accents. Et est chose toute certaine qu'Esdras apres la prise de Jerusalem, et la restauration du temple sous Zorobabel, inventa d'autres caracteres, ceux assavoir desquels nous usons maintenant; jusqu'à ce temps-là ceux des Samaritains et des Hebrieux ayans esté tousjours les mesmes. Ce qui le put inciter de le croire ainsi, fut que les Israëlites à la revolte des dix Tribuz, quant elles se desmembrerent de la corone Judaïque sous Roboam fils de Salomon, avec lequel ne persisterent que Judah, et Benjamin, s'estans allez establir sous Jeroboam au milieu de Judee en la contree de Samarie, à Sychen ville capitale de tout leur Estat, declinerent à idolatrie. Et pource qu'ils garderent les anciens caracteres, Esdras et les Juifs qui s'estoient retenus en la vraye religion du seul et vray Dieu, afin de n'avoir rien de commun avec eux voulurent user d'autres lettres et escriture: et les Samaritains, ensemble leur posterité jusqu'aujourd'huy, ont tousjours gardé l'ancienne. Car en tout le Levant il y a trois sortes et manieres de Juifs: les Talmudistes, autrement les communs; qui esposent la loy à leur fantasie: Les Caraim ou literaux qui s'arrestent du tout à la lettre, et au texte <f 297v> de l'escriture, que seule ils reçoivent, rejettans toutes humaines traditions: et ceux-cy sont fort abhorrez des autres: la troisiesme est des Samaritains; dont voicy l'alphabet lequel tout ainsi que l'Hebrieu, le Chaldee, Syriaque et Arabesque, procede en dedans, à l'imitation du cours et mouvement de nature, de la mains droicte vers la gaulche, ou du dehors en tirant vers l'estomac.
Alphabet Samaritain.
[FIGURE]
  EN voicy un autre, advoui et receu à Rome pour tel, selon le tesmoignange qu'en ameine Theseus Ambrosius.
<f 298r> [FIGURE]
Jerem. 21.a. I. Esdr. 5.c.
  L'ANCIEN langage Chaldaïque devoit estre le Babylonien, ceste ville estant pour lors le chef de toute la domination des Chaldees: Au regard des lettres, les uns tiennent que ce fussent les Samaritaines; et les autres, que c'estoient celles qu'on appelle du passage de la riviere, que vous avez veu cy dessus. <f 298v> Mais tant la langue que l'escriture ont souffert plusieurs mutations du depuis: car durant les lxx. ans que les Israëlites demeurerent captifs en Babylone, il se fit un meslange de l'Hebrieu et du Chaldee, tel qu'on peult voir par les escrits de Daniel et d'Esdras; plus és Targuns ou paraphrases de Jonathan, et d'Onkelos; le Targun aussi Babylonien, la Mischne, et les deux Talmuds, tant le Jerosolimitain, que le Babylonien, et assez d'autres oeuvres; dont les characteres neaumoins sont purs Hebrieux: mais ces paraphrastes son plus vulgaires et familiers en leur stille, que les deux dessusdits Prophetes; et ne sentent pas tant leur antiquité. Car d'autant qu'on ne lisoit pas au commun peuple la Saincte Escriture en Hebrieu, ains au lieu de cela les paraphrases qui en estoient aucunement explicatives, les autheurs d'icelles s'estudioient de s'accommoder à l'intelligence et portee de la multitude imbecille, qui parloit un langage moins elabouré et elegant que l'Hebrieu; tel à peu pres, s'il s'en pouvoit faire quelque assez propre et pertinente comparaison, que pourroit estre l'Italian, ou plustost l'Espagnol envers le Latin. Ceste-cy fut la premiere alteration de l'Hebrieu, et du Chaldaïque: depuis il s'en est fait tout-plein d'autres, tant du langage que de l'escriture; dont usent encore pour le jourd'huy plusieurs nations espandues ça et là par l'Asie, et l'Arabie, vivans sous la domination du Turc, qui ont retenu le nom de Chaldees: et sous celle du Sophy Roy de Perse, qui les tollere en ses <f 299r> pays, bien que Chrestiens, mais tous entachez de l'heresie d'un Nestorius jadis Evesque de Constantinople, dont l'erreur fut condamnee en la tierce Synode d'Ephese; mettans en nostre Sauveur deux personnes, l'une divine, et l'autre humaine; et n'advouans la vierge Marie estre mere de Dieu, ains seulement de JESUS-CHRIST entant qu'homme: Nient au reste la presence de son corps en l'Eucharistie, fors quant on l'use; consacrent de pain levé, ainsi que les Grecs; et communient sous deux especes, jusqu'aux petites creatures. Mais le fort de leur residence est en Tartarie, en une tresample estendue de terres, plus que ne contiennent toute la France et Italie jointes ensembles. Ils celebrent le divin service en un langage qu'ils disent estre le Chaldaïque; et en leurs livres de doctrine, usent de ces caracteres icy; mais en leurs traffics et commerces, ils s'accommodent au vulgaire tant du parler que de l'escrire, des lieux où ils conversent et traffiquent.
<f 299v> [FIGURE]
  CEST autre alphabet, Chaldee encore, est de ceux qui conversent en Perse et Medie.
<f 300r> [FIGURE]
  AUTRE alphabet Chaldee des particuliers habitans de Babylone, maintenant dicte Bagadet en la Mesopotamie, sous l'obeïssance des Othomans Empereurs des Turcs, qui fait frontiere au Sophy Roy de Perse. Et encore que tous usent vulgairement du parler Turquesque, et en leurs escrits du langage et caracteres Arabicques, neaumoins les naturels du pays, se sont de fort longuemain reservé à par eux, ceux qu'ils avoient receuz de leurs ancestres.
<f 300v> [FIGURE]
Chaldee au rebours des atres.
  MAIS en voicy un autre que je trouve inscrit Babylonien en la bibliotheque des Seigneurs Grimani Venitiens; ou cecy semble un peu estrange, que toutes les lettres sont inscriptes à la mode Grecque, et de gaulche à droict, au rebours de tous les Chaldees. Ce qui pourroit paraventure proceder (autre chose est-il bien malaisé d'en conjecturer) des peregrinations et voyages que ces gens-là auroient faict parmy les <f 301r> Grecs habituez és basses regions de l'Asie, et les caloiers du mont de Sinaj, et autres endroits de l'Arabie; les Armeniens pareillement, Jacobites, Georganiens, Copthites, Abissins, et semblables, qui escrivent tous de la mesme sorte que les Grecs, et les Ponantins: Si que du commerce qu'ils ont eu par ensemble, retenans la figure ancienne de leurs caracteres, ils auroient seulement changé l'ordre de l'escriture. Mais si en cest endroit le conjecturer peult avoir quelque authorité et credit, je mescroirois plustost que ce fust l'alphabet des Maronites, attendu mesmes que les lettres assignees aux caracteres, sont Grecques. Ces Maronites prindrent jadis le nom d'un certain Maron Heretique, qui ne mettoit qu'un intellect et volonté en JESUS-CHRIST, et par consequant qu'une seule operations; ouquel erreur, dont fut autheur un Antiochien nommé Macaire, condamné en la VI. Synode à Constantinople, ils persisterent bien cinq cens ans; et finablement l'abjurerent és mains d'Emery patriarche d'Antioche, se rengeans à l'obeïssance du siege de Rome: là où au concile de Lateran celebré sous le Pape Innocent III. ils receurent avec les autres traditions Catholiques, l'usage des cloches, des mittres, crosses, et gros anneaux que les Prelats portent és doigts pardessus leurs gands; car en toutes les Eglises de l'Orient ces choses là n'ont point de lieu. Pour le jourd'huy ce sont encore tous Chrestiens, mais composez de plusieurs pieces; et espandus en divers endroits de l'Asie; mesme en Babylone, <f 301v> au monastere de Sinaj; et en celuy de S. Anthoine, ou S. Macaire, au grand desert qui s'estend le long de la mer rouge front à front de l'Ethiopie, depuis la ville du Thor, jusqu'en Adem principal apport de toute l'Arabie heureuse; les uns Grecs, les autres Syriens, et Arabes; qui usent de differends langages, et façons d'escrire.
[FIGURE]
<f 302r> Le Syriaque.
  L'AUTRE signalee alteration du Chaldaisme, a esté en la langue Syriaque ou Jerosolymitaine, qui garde quant et quant le nom de Chaldee, parce qu'elle participe de l'Hebrieu et du Chaldaïque, mais les caracteres sont differends des Hebrieux, et Samaritains. Le Thargum ou paraphrase Jerosolymitaine, ensemble celle des proverbes, sont presque pur Syrien: le nouveau Testament aussi, fors l'Apocalypse, et quelques epistres des Canoniques, se trouvent escrits et imprimez en ce langage et caracteres;
Chrestiens de la ceinture en Syrie.
aportez de la terre Saincte, où certains Chrestiens qu'on appelle de la ceinture, espanduz par toute Syrie, mais principallement habituez és environs du mont Liban, en nombre de plus de quatre mille mesnages, en usent encore pour le jourd'huy au service de leurs Eglises; allegans les avoir euz de main en main successivement depuis le temps de JESUS-CHRIST, qui le parloit, comme le vulgaire practiqué alors entre tous les Juifs; car l'Hebrieu n'estoit que pour les hommes doctes, selon que le semble inferer ce passage de S. Jean, 7. Dequoy les Juifs s'esmerveilloient (assavoir de la doctrine du Redempteur) en disant; Comment est-ce que cestuy-cy peut sçavoir les escritures, veu qu'il n'a point apris les lettres ? Ces gens-là sont les lreliques des Chaldeens, tous chrestianisez aujourd'hui, et reduits sous le Patriarchat d'Antioche, mais entachez des anciennes Heresies; jardiniers au reste, vignerons et labourreurs, cars ils sont inutiles à la guerre, au trafic et manufacteures; malins, doubles, rapineux, et desloyaux entre tous autres.
<f 302v> Premier alphabet Syriaque, de plus grosse lettre.
[FIGURE]
  ET cest autre est de la menue lettre courante, qui s'escrit plus commodeement, pour raison de ses liaisons, et se forme mieux, en la ramenant comme du hault en bas sur le papier, comme aussi faict l'autre; ou d'endehors vers l'estomac.
<f 303r> [FIGURE]
  CECY ausurplus merite d'estre remarqué en passant, comme chose loüable en l'institution des jeunes enfans, et qui est digne d'estre imitee; Que les leurs aprenans l'A. B. C. ont accoustumé d'accompagner chaque lettre d'un nom qui commance par elle; le tout ensemble venant à former un preambule de prieres sainct et devot, en ceste sorte. <f 303v> A. Olaph; Aloho, Dieu: B. Beth; Baruio, le Createur: G. gomal; Gaboro, puissant: D. Dolath; Daiono, Juge: H. He; Hadoio, l'humble; V. Vau; Vag do, Promis; Z. Zain; Zaiono, norrissier: Hh. Hheth; Hhanono, misericordieux: Th. Theth; Tobo, bon: I. Iudi; Iohubo, liberal: C. Coph; Cino, droicturier: L. Lomad; Lmino, pacifique: M. Mim; Morio, Seigneur: N. Nun; Nuhero, lumiere: S. Somchath; Sabro, esperance: A. Ain; Ga. Gain; gobado, gouverneur: P. Pe, Phe; Pharuquo, Saulveur: zz. zzode; Zlibo, crucifié: Q. Quoph; Quadiso, Saincte, R. Ris: Romo, tres-haulte: Sc. Schin; Sbihho, glorieuse: Th. Thau; Thlithoiutho, TRINITÉ face nous mercy de nos faultes: ou semblable requeste, qui suit les tiltres et qualitez dessusdites, à la volonté d'un chacun. Il y a vingt-deux lettres comme aux Hebrieux; et s'escrit de mesme de la main droicte vers la gaulche.
  IL se trouve deux autres alphabets sous le nom encore de Syriaques; mais je les prendrois plustost pour Pheniciens, ou Ioniques; parce qu'ils procedent tout au rebours, de la main gaulche vers la droicte, à la mode des Grecs et Latins; des Ethiopiques aussi, et Armeniens; mais avec une telle inscription de lettres, qui n'a rien de commun avec celles-là.
<f 304r> Premier alphabet Phenicien.
[FIGURE]
<f 304v> Autre alphabet Phenicien ou Ionique.
[FIGURE]
  MAIS en cestui-cy, pour raison qu'il n'y a que les caracteres tant seulement, et des capitales romaines au bas, il a esté de besoin d'adjouster à part leurs appellations qui sont telles. <f 305r> A. Alemon: B. Bendi: C. Cathi: D. Delphim: E. Epheti: F. Foiti: G. Gaipoi: H. Hethim: I. Ioithi: K. Kiti: L. Lechim: M. Malathil: N. Nabeloti: O. Oithi: P. Porzeth: Q. Quitolath: R. Rasith: S. Salati: T. Tothimus: V. Vatolith: X. Xiroam: Y. Yaroiuth: Z. Zocium.
L'Arabesque.
  L'AUTRE langage qui est procedé de l'alteration de l'Hebrieu, selon qu'il a esté dit cy dessus, est l'Arabesque;
Fueil. 296.
fort ancien, comme venu d'Ismaël fils d'Abraham, et de sa servante Hagar, lequel s'alla habituer en Arabie;
Genese 16. 17. et 10.
et de luy, ses descendans ont tousjours gardé le nom d'Ismaëlites en general, autrement les Madianites: mais ils en ont deux autres subalternes; l'un d'Hagareens, en l'ancien Arabesque dicts El Magherin, et des Hebrieux Hagrim, mot venant de laditte Hagar; et l'autre de Elsarak Sarrazins, de Sarra femme legitime d'Abraham, selon quelques-uns, mais ineptement comme nous dirons cy apres. Au regard des Hagareens, leur residence ferm'-arrestee fut establie anciennement en l'Arabie Petree, où est le mont de Sinaj, sur lequel fut donnee la loy à Moyse; qui avec les enfans d'Israel au sortir d'Egypte, demeura trent huict ans là és environs à rodder de costé et d'autre, sans advancer plus d'une journee de chemin, comme le cocte Rabbvi Rambam fils de Maimon au 51. chappitre du 3. livre de son More Haneuochim. Ceste contree prit son nom de la ville capitalle d'icelle, <f 305v> appellee Petra, assise sur le torrent d'arnon, où jadis establit sa domination le Roy Areta, il y a quelques seize cens ans; du nom duqeul furent depuis appellez les autres Rois ses successeurs, ainsi que ceux d'Egypte du premier Ptolomee fils de Lagus. Apres la mort de Mahomet, les Pontifes qui luy succederent tant au temporel qu'au spirituel, partans de là firent de grandes inondations et saillies de costé et d'autre; et s'emparerent de plusieurs provinces circonvoisines, mesme de toute la Surie, où ils se fermerent de pied-coy à Damas, envoians leurs capitaines avec de grosses et puissantes armees conquerir au long et au large. Et certes sous ces Pontifes il y eut d'aussi braves guerriers, et gens de lettres et d'entendement, qui furent onques en tout le reste de la terre: mais les Sarrazins, que nous prenons communement pour Mahometistes, ont de tout temps esté les plus insignes bandolliers et volleurs de tous autres, sans avoir aucune demeure arrestee, ains voltigeans incessamment sans feu sans lieu à travers les desers, et destroits des montagnes, adjacentes à l'Assyrie, Mesopotamie, Surie, et Egypte; pour destrousser tant les passants en petit nombre, que les caravanes mesmes bien accompagnees, par toute la Palestine, Egypte et Afrique; et faisans à l'imporveu de grosses incursions et entrees sur les peuples circonvoisins. Ce n'est pas ausurplus de Sarra femme d'Abraham que ce nom procede, comme abusivement on le cuidde; ains de l'ancienne appellation, de ce peuple; dont Ptolemee <f 306r> parle en la description d'Idumee: mais plus particulierement Ammian Marcellin au 14. de ses histoires; Saraceni tamen nec amici nobis vnquam, nec habendi, vltro citróque discursantes, quicquid inueniri poterat, momento temporis parui vastabant etc. où il met que de son temps, qui fut plus de 250. ans avant Mahomet, tout estoit infesté de ces Saracins, depuis l'Assyrie jusqu'aux cataractes et saulx du nil, qui separent l'Ethiopie d'avec l'Egypte; exerçans les mesmes brigandages et destroussemens que font encore pour le jourd'huy ceux qu'on appelle les Alarbes. Mais ce seroit chose par trop prolixe de parcourir tous les affaires des Arabes, et les divers peuples à quoy s'eslargist et estend ce nom là; qui par l'espace de cing ou six cens ans a dominé la plus-part de l'Asie, et Afrique, voire une bonne portion de l'Europe; pour le moins toutes les Espagnes, dont les Rois de France les ont par plusieurs fois chassez: Il n'y a pas mesme cent ans qu'ils occupoient encore le royaume de Grenade, et l'Andelousie. Le parler au reste Arabic est le mesme que l'ancien, corrompu de l'Hebrieu et Chaldee; Si que c'est un bien grand advantage et abregement à ceux qui l'aprenent, de sçavoir quelque peu de l'Hebrieu; ayant tousjours eu fort grand cours, et mesme depuis que ceste gross masse d'Empire Turquesque s'est establie; Si que des dix parts du monde, il se peult dire qu'il est en usage envers les six ou les sept, d'autant que toute la doctrine des Mahometistes est en ceste langue. Or combien elle est ancienne, <f 306v> ce seul passage de S. Jerosme en son prologue sur Daniel nous l'aprend assez, où il met que le langage de Job convient beaucoup avec l'Arabic; ce qui monstre son affinité avec l'Hebraïque et Chaldee; mais il a ses caracteres à part, qui ne ressemblent en rien quelconque ceux de l'Hebrieu, ny gueres plus aux Samaritains; si font bien aux Syriaques, estans ronds les uns et les autres, avec de belles et gracieuses liaisons. En voicy l'alphabet.
[FIGURE]
  A PROPOS des Sarrazins dessusdits, l'autheur des passages d'outre mer leur attribue l'alphabet suivant, <f 307r> sans s'en expliquer davantage; mais il tient aucunement de l'Arabe.
[FIGURE]
Punctuations.
  LES Chaldees au reste, et les Syriaques, au lieu du coma : ou de la virgule , au milieu de la clause n'estant encore parachevee, mettent un poinct; et <f 307v> à la fin quatre, variez de noir et de rouge, en ceste sorte [X]. LES Arabes en ont de quatre façons; le poinct hault ainsi que les Grecs [X] ou bas comme les Latins . en lieu de virgule; ou bien le coma à guise du Shevah Hebrieu, qui sert de mesme: et pour le coma, et l'interrogant, il ont trois poincts en forme de Segol [X] mais ils en usent de trois manieres; la poincte tornee contre-mont en façon de pyramide [X] ou à droict [X] et à gaulche [X]. La quatriesme, qui sert de poinct à la fin de la clause, est de quatre poincts en forme de lozange ou de crois [X] Ce qui se cognoistra plus apertement par cest exemple de l'Evangile:
S. Jean 9.
JESUS leur dit [X] Je suis venu en ce monde pour faire que ceux qui ne voyent goutte voyent clair. Et que les voyans soyent aveuglez [X] Ce qu'oyans quelques Pharisiens qui estoient venuz avec luy demanderent [X] Et ne sommes nous pas aveugles nous aussi [X] Il leur fit responce [X] Si vous estiez aveugles vous n'auriez point de peché [X] mais pource que vous dites que vous voyez clair . vostre peché demeure en vous [X] LES Abyssins ou Ethiopiens à la fin de chaque mot mettent communement deux poincts l'un sur l'autre en façon de coma : et
au bout de la clause quatre en carré [X]   AINSI donques que la langue Chaldee et la Syriaque sont venues de l'Hebraïque, en semblable de l'escriture Samaritaine sont procedez les caracteres Pheniciens, dont les Grecs ont pris la plus-part des leurs: Et par consequant les Latins emprunté
<f 308r> ceux des Grecs, comme il a esté dit cy dessus. Voicy en premier lieu le commun alphabet Grec, tant des lettres capitales, que des menues et courantes.
[FIGURE]
  LES trois qui suivent cy apres, Grecs encore, sont moins frequents et usitez, ains plus rares; extraits au reste de diverses medailles, camaieux, marbres, et bronzes antiques: et ne fault pas trouver cela estrange, car nous voyons comme a changé depuis trois ou quatre cens ans nostre escriture; et les caracteres aussi de l'impression depuis cent ou six vingts.
<f 308v> Alphabet Grec.
[FIGURE]
<f 309r> Autre alphabet Grec.
[FIGURE]
<f 309v> Autre encore venu du levant.
[FIGURE]
ARMENIENS.
  RESTE à ceste heure de poursuivre icy tout d'un train les alphabets des nations qui ont pris l'ordre et suitte des lettres Grecques; ensemble leurs appellations: et premierement des Armeniens, peuple autrefois venu des Arameens, que Pline liv. 6. chap. 17. prend pour les Scythes. Il ne vivent pas seulement en la grande et petite Armenie, mais par tous les pays en general des Mahometistes, avec de bien grandes immunitez et franchises; car il ne se faict point d'esclaves d'eux comme des autres peuples Chrestiens, par un privilege special à eux octroié du legislateur Mahomet, pour l'avoir quelquefois receu et traicté debonairement; et aussi qu'ils estoient Nestoriens comme luy, ouquel erreur ils persisterent jusques au temps du Pape Eugene III. environ l'an 1150. Ce sont au reste bonnes gens et paisibles, la plus-part vignerons et jardiniers, des meilleurs de tout le levant: mais il y an a aussi de marchants fort riches, qui font de grands trafficqs de costé et d'autre, en camelots, mocayars, toilles de cotton, draps de soye; d'or et d'argent; et tapis exquis de Perse, Bourse, et <f 310r> du Caire. Ils portent des dolimans ou longues juppes, et des cafftans, robbes longues à mettre pardessus, presque conformes à ceux des Turcs; le Turbant aussi tout de mesme, mais billebarré de blanc et de rouge. Geoffroy de Vill'hardhuyn au 8. de son histoire, met que du temps que les François et Venitiens liguez ensemble conquirent Constantinople, ils firent tout-plein de bons services au Prince Henry, frere du Comte Bauldouyn de Flandres, esleu lors le premier Empereur François, de la Grece, pendant qu'il faisoit la guerre aux Grecs de l'Anatolie, pres la ville de Landrimiti, il y peult avoir quelques 380. ans: Mais comme il fust repassé en Europe, eux qui le suivoient estans demeurez derriere avec leurs mesnages en nombre bien de vingt mille ames, furent acconsuiviz des Grecs, et tous jusqu'aux femmes et petits enfans taillez en pieces sur la place. De faict ils ont esté de tout temps si mortels ennemis des Grecs, qu'ils s'allieroient plustost aux Juifs et Mahometans qu'avec eux; tant pour l'infamie qu'ils en crecurent autrefois, les ayans rejetez de leur communion comme heretiques, que pource qu'ils conviennent en la plus-part de leurs traditions et ceremonies avec l'Eglise Romaine; mais ils ressentent encore je ne sçay quoy de leur ancien Nestorisme. L'Armenie au reste a esté de fort longuemain divisee en deux; la grande, et petite: Celle-là appellee à ceste heur la Turcomanie, dont le Sophy en passede la meilleure part; car mesme la ville de Tauris capitale maintenant de <f 310v> tout son Empire, y est scituee, confine devers le Septentrion à la Zorzanie, et la Mengrelie; au levant, à la mer Hyrcanique, autrement Caspienne, et d'Abacuc, et à la Medie; au midy, elle a la Mesopotamie et Assyrie; et au Ponant, le fleuve d'Euphrate, et la petite Armenie. Au milieu de la grande il y a une montagne fort haulte, en tout temps couverte de nege, dont le circuit contient deux bonnes journees de chemin;
Marco Polo liv. 1. chap. 4.
au hault de laquelle l'on dit que l'arche de Noé s'arresta apres le deluge universel, parquoy on l'appelle encore à cest heure Thaura aram Noé, La montagne de Noé en Armenie, qui en Hebrieu est dicte Aram. LA petite Armenie est bornee du mont du Taur, en leur vulgaire Corthestan, de la Galatie, Cappadoce, Paphlagonie, et la mer majour; maintenant reduitte presque toute sous l'obeïssance du Turc. Quelques-uns la veullent confondre avec la Cilice, qu'on appelle Caramanie, et en plusieurs endroits de Chalcondyle, Aladoly; meuz de ce que la ville de Seleucie, maintenant Silephica, qui sans doute souloit estres anciennement de Cilice, est comprise pour le jourd'huy dedans la petite Armenie;
Josapho Barbaro en son voyage de Perse, chap. 4.
laquelle prit ce nom là environ l'an 1230. que deux Princes appellez Rubin et Leon freeres de l'Infante Armenie, luy donnerent son nom, l'ayans retiree des mains des Turcs, lesquels s'en estoient emparez. Car quand ils sortirent de la Tartarie, les Armeniens furent les premieres assaillis et troussez par eux, si qu'ils perdirent leur Royaume; neaumoins ils continuerent <f 311r> tousjours du depuis en la foy Chrestienne, où ils se sont si constamment maintenus, que mesme nommant un Armenien par tous les pays du Turc, on entend soudan par là un Chrestien; mais quand ils se Mahometisent, ils perdent ce nom d'Armenien. Quant à leur creance et religion d'aujourd'huy, nonobstant qu'ils different en certaines choses de l'Eglise Latine, si sont-ils bien plus esloignez de la Grecque: car pour tousjours s'en plus diviser, et des Suriens aussi qui sont leurs partialistes et emulateurs, ils mangent de la chair certains Vendredis; et y boivent du vin, ensemble tels autres enyvrans breuvages. Autrefois pendant qu'ils estoient encor gouvernez sous une royauté particuliere, leur Melich c'est à dire Roy, estoit souverain aussi bien en la spiritualité comme au temporel; à propos de ce que dit Virgile, Rex Anius, Rex idem hominum, Phaebíque sacerdos; mais maintenant ils ont un Primat qu'ils appellent le Catholique. Leurs prestres sont mariez; mais avant que de dire messe, ils s'abstiennent trois jours de suitte de coucher avec leurs femmes; les Grecs un seulement; et ont une large et ample corone au sommet de la teste; le surplus de leur cheveleure espandue tout à l'entour tant qu'elle peult croistre; et la barbe pareillement, à guise des Nazareens; car ils n'en roignent jamais rien fors la dessusdite tonsure, que les seculiers portent aussi au mesme endroit, mais trassee en forme de croix, depuis l'an 744. que se trouvans fort molestez de guerre par <f 311v> les Suriens, ils furent admonestez in revelation de s'accoustrer de ceste sorte, dont tout incontinent apres il vainquirent leurs ennemis. Les prestres sont fort venerables et reformez autant que nuls autres: et encore que leur service aproche plus des ceremonies Latines que nompas des Grecques, mesmes quant à la façon de leurs calices et platines, neaumoins ils le celebrent en leur vulgaire, et l'assistance y respond de mesme:
Osculum pacis.
et quant on chante l'Evangile ils se levent tous, et s'entrebaisent à la joüe en signe de reconciliation, paix et amour fraternelle. Leur Eucharistie est azime comme la nostre, c'est à dire de paste sans point de levain, en forme d'une hostie ronde; laquelle estant consacree ils mettent sur la platine, et ainsi la levent et monstrent au peuple; Puis le calice consequemment, qui est ou de cristallin, ou de bois; et n'adjoustent point d'eau dans le vin. Ils font confirmer les jeunes enfans par un simple Prestre: Ne reçoivent point les ordres de Diacre ne de soubsdiacre, ains de Prestrise tant seulement. Ne festent pas la nativité de nostre Seigneur ainsi que nous, ains jeusnent austerement ce jour là;
Cela leur est commun avec les Ethiopiens.
et en recompence solemnisent d'un bien grande devotion le jour de l'Epiphanie, qu'ils prennent pour sa naissance spirituelle; estimans qu'en ce propre jour il fut baptizé par S. Jean au fleuve Jourdain. Ils font leurs prieres et oraisons presqu'à la mode des Turcs ou Arabes, bas accroupis sur les tallons, et baisent la terre par trois fois; là où les Turcs deux seulement; <f 312r> les Grecs prient tout debout.
Les Ethiopiens font de mesme.
DE tous les saincts ils ont en plus grand' reverence l'Apostre S. Jacques le Majeur, qu'ils tiennent pour leur protecteur et patron; duquel ils ont une fort belle Eglise en Jerusalem, bastie pres du lieu où il fut decollé; et d'autres encore, où ils s'assemblement en grand nombre.
En tout cecy ils conviennent avec les Grecs, et Ethiopiens.
QUANT au caresme, ils le font au mesme temps que nous, mais bien plus austerement sans comparaison, cars ils n'y boivent point de vin, et ne mangent chose quelconque qui ait eu vie, nompas mesme du beurre et de l'huille, ny autre maintenement et liqueur savoureuse, ains vivent seulement d'herbes, et quelques maigres potages de legumes assaisonnez seulement d'un peu de sel; d'olives seches non confittes, et semblables choses de peu de goust, et moins d'appetit. ILS ont finablement leurs cemetieres à part, ainsi que toutes les autres sectes et religions. LEUR commun parler et vulgaire est le Turquesque; et leur escriture, l'Arabique, parce qu'ils conversent et traffiquent parmy eux; mais en leur service divin; et en leur devis et negoces privez, ils usent de leur langue particuliere, et de leurs caracteres; dont il s'en trouve de deux sortes, l'une plus ancienne que l'autre, comme le marque Josapha Barbaro en son voyage de la Perse, chap. 17. Le chasteau dit-il de Curcho, au frontispice de la grand' porte à certaines inscriptions gravees en marbre, qui monstrent estre de lettres bien formees, Armeniennes comme on tenoit là, mais d'autre façon que celles dont usent les Armeniens <f 312v> d'apresent, attendu que ceux qui estoient en ma compagnie ne les peurent lire. En voicy deux alphabets aucunement differends l'un de l'autre, mais non tant que semble inferer la relation dessusdite.
Premier alphabet Armenien.
[FIGURE]
<f 313r> Autre alphabet Armenien, avec l'appellation de leurs lettres.
[FIGURE]
  LES Jacobites on aussi leur alphabet arrengé a la mode Grecque, et les appellations de leurs lettres fort en aprochantes; usans mesme de ceste langue, qu'ils escrivent de leurs caracteres qui sont tous Grecs, mais depravez et pervertis, au service ecclesiastique: et pour les affaires du monde, de leur vulgaire, qui est comme moyen entre l'Armenien et le Tartare. Mais <f 313v> ce n'est pas une nation, ains secte et heresie aiant pris son nom de certain Jacob disciple d'un Patriarche d'Alexandrie qui les empoisonna de l'erreur de Nestorius, qu'ils ont tousjours depuis tenue sans la desmordre, differente des traditions de l'Eglise Latine et Grecque, dont ils furent long temps a banniz et excommuniez par Dioscore Patriarche de Constantinople;
Marco Polo liv. 1. chap. 6.
et encore pour le jourd'huy le leur s'appelle Jacolit, lequel ordonne leurs prelats et ministres, avec les sacremens à leur mode. Ceste secte prit son origine d'Eutyche, qui entre ses autres impietez maintenoit JESUS-CHRIST n'avoir pas pris son corps de la Vierge Marie, ains estoit penetré dans son ventre ainsi qu'un clair rayon de Soleil; rejectans au reste toutes sortes d'images és temples. Ils ont une chappelle pour eux en l'Eglise du S. Sepulchre dans la ville de Jerusalem, où ils font leur office à part, tout ainsi que les Latins, Grecs, Abissins, Armeniens, Georgiens, et Maronites, qui sont le mesme que les Chaldees ou Syriens, chacun endroit soy; car ces sept nations et sortes de gens sont admises en ceste Eglise, et y on leur residence pour leurs consemblables qui y vont en pelerinage. Mais ces Jacobites sans avoir nulle part demeure à eux propre et ferm'-arrestee, sont espanduz en divers endroits de l'Asie, et Egypte, voire jusqu'en Nubie, et Ethiopie, et en plus de 40. royaumes tant de terre-ferme que des isles à l'orient et au midy, parmy les Mahometistes, dont ils ont emprunté leur circoncision; outre laquelle ils cauterisent d'un fer <f 314r> chauld les petits enfans au front, joües et mains, de certaines marques; estimans par là d'accomplir et effectuer ce baptesme au S. ESPRIT, et au feu, que S. Jean Baptiste remet à nostre Sauveur.
S. Matthieu 3.
Ils font encore les mesmes stigmates et marques à leurs bras, mais en forme de croix, pour la reverence qu'ils portent à ce tressainct et vertueux signe; et mettre quelque difference entr'eux, et les autres, tant Chrestiens, que Juifs, et Mahometistes, où ils conversent pesle-mesle. Ils ne confessent pas leurs pechez aux prestres, mais à Dieu seul; prenans pour cest effect un rechauld où ils jectent un peu d'encens; et estiment qu'avec la fumee leurs offenses montent là hault, où elles leur sont remises et effacees. N'admettent au reste qu'une nature en JESUS-CHRIST, tout ainsi (dient-ils) qu'il n'y a qu'une seule personne, suivant les traditions dudict Euthyches; et en remembrance de ce ne font le signe de la croix que d'un doigt. Quelques-uns d'entr'eux se sous-divisent encore à une autre secte, constituans des deux natures estans en luy, une tierce qui en resulte: Communient petits et grands indifferemment sous deux especes. Et quant à leur langage, ils en ont un propre et particulier pour entr'eux, ainsi que l'Hebrieu est aux Juifs, et une escriture pareillement, telle qu'elle est icy representee; mais ils usent par mesme moien de ceux des contrees où ils habitent et conversent, qui est communement plus au Caire.
<f 314v> L'alphabet des Jacobites.
[FIGURE]
  LES Cophtites ont l'appellation de leurs lettres tout de mesme que les Jacobites, mais les caracteres sont aucunement differends, en nombre aussi de trente-deux. Postelle en son traicté des lettres Pheniciennes <f 315r> les confond avec les Jacobites, combien qu'ils soient plus particulierement Egyptiens; et Chrestiens de plus longuemain: dits ainsi au reste de la ville de Coptus, dont parle Plutarque au traicté d'Osyris; et Pline liv. 5. chap. 9. qui luy attribue l'un des Sieges et gouvernemens de l'Egypte. Diocletian l'an 19. de son Empire qui eschet au 306. de salut, en fit bien martyriser sept vingts mille, et confiner infinis autres en exil; Parquoy d'une si horrible boucherie et execution, ils ont tousjours depuis commancé à compter leur aera, qui est la dacte de leurs annees, comme à nous la nativité du Sauveur. Ils appellent le PERE Phiot, et le FILS Pscirim: et comptent par les lettres de l'alphabet, ainsi que les Hebrieux, Chaldees, Grecs, Macedoniens, Dalmates ou Esclavons, et autres: mais les Arabes, et Indiens, par certaines notes numerales destinees à cest effect; et les Latins pareillement.
<f 315v> L'alphabet des Cophtites.
[FIGURE]
  LES Georgianiens, dits des Turcs et Tartares Jurgianlar, ont aussi la mesme appellation et nombre de lettres que les dessusdits Jacobites, et Cophtites, mais leurs caracteres plus conformes beaucoup à ceux des Grecs, dont ils ne different de gueres. Ils ont pris ce nom du valeureux martyr S. <f 316r> George, l'image duquel ils portoient en leurs bannieres et enseignes, parce que ce fut luy qui planta le premier en ces quartiers là, proche-voisins de Cappadoce, dont Angorie est la ville capitale, la foy Chrestienne, si qu'ils l'ont eu tousjours depuis en fort grande veneration. Toutesfois Calchondyle met que du temps du grand Constantin, leur Royne aiant esté guerie d'une tres-griefve maladie par une femme Chrestienne, ils furent lors convertis à la foy. Au reste la Georgianie, comme on l'appelle maintenant, est ce que Strabon, Pline, Ptolemee, et autres Geographes nomment Hiberie, qui fait une portion de l'ancien royaume de Colchos, pres de Trebisonde, et du fleuve Phasis, maintenant le Fasso, qui se va rendre dans le Pont Euxin ou mer majour; là où ceste province se va estendre d'un costé, et de l'autre atteindre la mer Hircanique, et la grand' Armenie. Mais outre ceux qui y habitent pour le jourd'huy, gens tres pauvres et miserables en toutes leurs façons de vivre, il y en a d'espanduz en divers endroits de l'Asie; et mesmes en Jerusalem un bon nombre, qui outre l'oratoire qu'ils ont en l'Eglise du S. Sepulchre, y occupent tout-plein de lieux saincts, par especial le mont de Calvaire, où au propre endroit ouquel fut plantee la vraye croix, ils ont une chapelle et autel; et une Eglise dicte des Anges, où estoit la maison du Pontife Anne. Autrefois ils furent si craints et respectez des Mores, du Souldan du Caire, et apres des Turcs, qu'ils entroient <f 316v> enseignes desploiees jusque dans la ville; exemps avec cela du Tribut appellé Carazzi qui se leve pour chaque teste, sur toutes sortes de Chrestiens:
Heresie de Nestorius.
ny encore jusqu'aujourd'huy personne ne les a osé assaillir, nompas le Turc, ny le Perse, ny les Tartares, nonobstant qu'ils tiennent la religion Chrestienne, neaumoins de la secte de Nestorius, jadis Evesque de Constantinople, dont l'erreur fut condamné en la tierce Synode d'Ephese, mectant en nostre Sauveur deux personnes, l'une divine et l'autre humaine; et nioit la presence de son corps en l'Eucharistie, fors quand on l'use; n'advouans la vierge Marie estre mere de Dieu, mais seulement de JESUS-CHRIST, entant qu'homme: et autres telles impietez, communes avec celles des Jacobites: Mais paraventure que les dessusdits ne se sont pas donné grand' peine de leur courir sus, pour raison de leur pauvreté et misere, et de la difficulté du pays, qui ne meritoit pas le conquerir; les laissant là pour tels qu'ils sont, afin de leur servir reciproquement de barriere des uns aux autres, car ils ne sont pas si vaillans qu'ils souloient, ains la plus-part gens pusillanimes, hebetez, et faitsneans. Ils suivent maintenant en tout et par tout les traditions de l'Eglise Grecque, et usent de ceste langue et escriture en leur service, mais de caracteres aucunement differends: En leurs negociations et affaires, ils s'accommodent du Turqusque, Arabe, et Chaldee.
<f 317r> Alphabet des Georgianiens.
[FIGURE]
  QUANT aux Egyptiens peuple si ancien et si renommé en toutes sortes d'arts et sciences; si puissant au reste, qu'il se lit qu'autrefois il y eut bien jusqu'à vingt mille villes habitees, là où pour le jourd'huy à peine s'y en trouve il cinq ou six, avec dix ou douze <f 317v> bourgades, et en outre si belliqueux, qu'ils ont estendu leurs conquestes, et donné la loy à la plus grand' part de la terre, il ne fault point faire de doute qu'ils n'aient eu aussi un langage à part, et une escriture, non tant seulement des notes et marques qu'on appelle les Hieroglyphiques, leur servans de chiffre secret reservé aux Rois et aux Prestres, mais de lettres communes aussi, dont se peust former un contexte exprimant par le menu lettre à lettre toutes sortes de conceptions, ainsi que l'Hebrieu, Grec, Latin, selon que l'infere assez ce passage allegué cy devant d'Apulee au fueil. 251. Et Tacite en l'onziesme de ses annales: Que les Egyptiens furent les premiers, qui par figures d'animaux representerent leurs pensees et conceptions; dont se voient encore de tresanciennes marques de remembrance à la memoire des personnes, gravees en marbre; eux se maintenans avoir esté les inventeurs des caracteres à escrire. Et au second: De là Germanicq s'en alla visiter les reliquats des anciennes Thebes, où il y en avoit de tressignalez demeurans; et en de grosses masses de pierre des lettres Egyptiennes taillees, qui contenoient leur tant grande par le passé opulence et pouvoir. Surquoy aiant esté commandé à l'un de leurs plus anciens Prestres d'interpreter ce qu'elles vouloient dire en leur langue, il racomptoit, que jadis en ceste cité il y auroit eu d'ordinaire bien sept cens mille combattans; avec lesquels le Roy Rhamses avoit sujugué la Lybie, et Ethiopie, les Medois et les Perses; Plus conquis la Province de la Bactrienne, et la Scythie; ensemble toutes les terres que possedent les Syriens, <f 318r> Armeniens, et Cappadociens leurs proche-voisins; ayant estendu son Empire le long de la coste, depuis la mer de Bythinie jusqu'à celle de la Lycie. Se lisoient outre-plus les tributs imposez à ces nations; le poix de l'or et de l'argent qu'ils devoient fournir chacun an; le nombre d'armes, et de chevaux; l'ivoire, les aromates et parfums pour offrir és temples, la quantité de bled, et autres vivres, ustancilles et municions que chaque pays contribueroit: Tout cela non moins magnifique que ce que levent pour le jourd'huy les Parthes sur leurs subjects de forece, et la domination des Romains sur les peuples par eux conquis. Toutesfois Ammian Marcellin au 17. de ses histoires, apres avoir deduit comme és obelisques d'Egypte estoient gravees en chaque face infinies notes et marques appellees hieroglyphiques, d'oiseaux et bestes estranges, voire (dit-il) d'un autre monde; il adjouste ces mots icy, qui semblent aucunement contrarier à ce que dessus: Les anciens Egyptiens n'escrivoient pas comme à ceste heure, qu'un nombre limité de lettres, et fort aisé, exprime tout ce que la pensee humaine peult concevoir, ains chaque caractere servoit pour un mot à part; et par fois formoit un sens complet de plusieurs parolles. Par où il semble inferer que les anciens Egyptiens n'avoient pas l'usage des lettres et de l'escriture distincte ainsi que nous, mais tant seulement de certaines notes qui representoient un sens entier, selon les deux exemples qu'il en ameine; du vaultour qui signifioit la nature, d'autant qu'entre ces manieres d'oiseaux il ne se trouve point de masles, ains tant <f 318v> seulement des femelles, qui à certaine saison de l'annee s'empregnent du vent: et la mousche à miel denotoit le Roy, ensemble les deux conditions qu'il devoit avoir, l'une de debonaireté et douceur conforme au miel; et l'autre de severité et rigueur representee par l'esguillon. De ces hieroglyphiques il ne s'en voit qu'assez de restes encore, en de grands et petits obelisques, bases de sphinges, et autres marbres apportez à Rome d'Egypte, dont Pline fait bien ample mention au 36. liv. chap. 9. Et le mesme Ammian Marcellin au lieu preallegué, insere en lettres et langage Grec l'explication du plus grand, sous le nom dudit Rhameses. Au regard du parler commun, et de l'escriture, nous n'en avons, ce crois-je, rien, ou fort peu: Aumoien dequoy ces deux alphabets attribuez aux Egyptiens, me sont un peu incertains et suspects: nonobstant cela toutesfois je n'ay laissé de les adjouster icy avec les autres, dont il y en a encore de plus scabreux: Joint que le premier me semble tenir je ne sçay quoy de ce capreolatim d'Apulee; et les appellations des lettres s'y conformer, telles que vous les voyez cy apres; vingt quatre en nombre, autant qu'il y en a en l'alphabet Grec: Neaumoins Plutarque au traicté d'Osyris, en met 25. selon la multiplication carree du Cinq, autant qu'Apis vescut d'annees.
<f 319r> Premier alphabet Egyptien.
[FIGURE]
<f 319v> Autre alphabet Egyptien.
[FIGURE]
Les appellations des lettres Egyptiennes.
A. Athoim. B. Beinthin. C. Chinoth. D. Dinain. E. Eny. F. Fin. G. Gomor. H. Heletha. I. Iamin. K. Kaita. L. Luzain. M. Miche. N. Nain. O. Olelath. P. Pilon. Q. Quyn. R. Iron. S. Sichen. T. Thela. V. Vr. X. Xiron. Y. Yph. Z. Zain.
TH Thou. <f 320r>   ET pour ne partir point encore de ce propos, voicy un autre alphabet inscrit et receu communement par tout pour hieroglyphique; mais à quel tiltre, je ne le puis pas affermer. Il est pareillement de 24. lettres.
[FIGURE]
<f 320v>   SI les deux alphabets cy dessus sont un peu suspects et douteux, les subsequents ne le doivent pas guere estre moins: car c'est chose assez cogneuë depuis cent ans en ça, quels peuvent estre les vrays caracteres des Ethiopiens Abyssins, qu'on appelle Indiens aussi, ensemble leur maniere d'escrire, qui va de gaulche à droict ainsi que la nostre; là où ce premier alphabet assigné ausdits Indiens en la bibliotheque Grimanienne, procede au rebours de droict à gaulche, comme fait l'Hebrieu, le Syriaque, et l'Arabesque; bien est vray que la langue Abyssine est presque toute tissuë de ces trois là: Aumoien dequoy ce ne le peult estre; ny des Indiens nomplus de la Chine, et de Cataj, qui escrivent du hault en bas, ainsi qu'il a esté dict cy devant. Neaumoins l'appellation des lettres de cest alphabet se conforme à celle de l'autre qui suit apres, assigné nommeement ausdits Abyssins par l'autheur des passages d'outre mer, où il afferme l'avoir eu tel de leur ambassade, lors qu'ils vindrent prester l'obedience au S. Siege Apostolique sous Sixte quart, environ l'an 1482. On appelle communement, mais mal à propos, leur Aceque ou Empereur, autrement leur Neguz ou Roy, Prestegiani, qui en langage Persien, lequel a grand cours par toute l'Asie, signifie autant qu'Apostolique, comme qui voudroit dire Roy Chrestien et fort Catholiq, assavoir Negusch Chavvariavvi. Or ce qui leur donne encore ce nom d'Indiens, nonobstant qu'ils soient ainsi loing de là, en Afrique, vient de ce <f 321r> qu'un grand Terrien nommé Prestegian domina autrefois la plus grand'-part de la profonde Asie, jusqu'aux dernieres extremitez de la terre vers le Levant en la Chine, et à Chataj; tant qu'à la parfin, il y peult avoir pres de 400. ans, ces Seigneurs là furent depossedez de la meilleure part de leur heritage par Cingis Can premier Empereur des Tartares, qui de l'aneantissement de ceste domination establirent la leur si puissante. Cin Can puisapres fils dudict Cingis; et Bathi fils de Cin Can, acheverent de chasser du tout les Abyssins et leur principaulté hors d'Asie, les rembarrans jusques pardeça la mer rouge en Ethiopie, où ils ont tousjours regné du depuis. Mais nous traicterons celà plus à plain et par le menu Dieu aidant, en nos annotations sur l'histoire de Chalcondyle.
<f 321v> Alphabet des Indiens, de la bibliotheque Grimanienne.
[FIGURE]
<f 322r> Autre alphabet des Indiens Abyssins tiré des passages d'outre-mer.
[FIGURE]
  MAIS voicy celuy qu'ils ont eu de fort longuemain en usage, et ont encore; ouquel il y a vingt six caracteres, dont les quatre derniers sont lettres accouplees <f 322v> en syllabes par forme d'abreviation, enquoy ceste escriture abonde fort, comme on peult voir au traicté de Postelle des douze langues, et au calendrier Abissin inseré par le sieur de la Scala en son livre de l'Emendation des temps: Enquoy cecy est bien à remarquer sur le propos du fueil. 290. b. que leur Teth, a la figure d'un T. ou potence de S. Anthoine; et le Tau celle d'une croix parfaicte. Au reste leur alphabet procede non à la façon des Hebrieux, Samaritains, Syriens, et Arabes, de droict à gaulche, nonobstant qu'ils en aient pris la plus grand' part de leur langage et escriture, et qu'eux-mesmes se nomment Chaldees, ains des Grecs et Latins, de la main gaulche vers la droicte, selon le cours en particulier des Planetes dont le Soleil est le Principal, au contraire du premier mobile; car pour cause de leur adustion, que tesmoigne leur teint si noir, et de leur proche voisinage de ce luminaire, qui les rostist incessamment, ils se tiennent comme pour ses enfans icy bas.
<f 323r> Alphabet Ethiopique, ou des Nubiens.
[FIGURE]
  NOUS avons ausurplus apris puis-nagueres, mesme de ceste ambassade du Giapan, qui l'an passé 1585. au mois de Mars, vint prester de si loin, comme de cinq à six mille lieües, l'obedience au sainct Siege Apostolique de Rome, Qu'és Indes Orientales, et <f 323v> encore deux mille lieües audelà, en la Chine, et au Cathaj, dont l'art de l'Imprimerie est venue à nous; pour le moins elle leur a esté long temps auparavant cogneuë, il y a deux especes d'escriture, de mesme qu'Apulee racompte d'Egypte; l'une de lettres hieroglyphiques; et l'autre de lettres communes, qui par leurs assemblemens peuvent former tous les mots qu'on veult exprimer: Toutes deux procedans non en travers ainsi qu'aux Hebrieux d'une sorte, et à nous d'une autre, ains du hault en bas. La premiere, qu'ils appellent l'escriture de la Chine, est commune generalement à toutes les regions des Indes, tant des Isles que de terre-ferme, mais employee seulement pour les choses spirituelles, et les non vulgaires doctrines, par les Bonzes, comme ils les appellent; Ce sont les puisnez des Rois, Princes et grands Seigneurs, et autres principaux personnages, qu'on reduist en des monasteres avec de gros revenuz, et de grands respects et auctoritez, pour obvier au desmembrement de l'estat, et aux partialitez intestines: ausquels Bonzes appartient l'administration et conduicte de tout ce qui depend de la spiritualité et religion à leur mode, selon leurs anciennes traditions idolatres, qui sont d'infinies manieres, et eux en nombre presqu'infiny, comme de six à sept mille de leurs monasteres jadis en une seule montagne pres la ville de Meaco. Et encore que la plus-part soient gens vicieux, ignorans, si s'en trouve-il neaumoins tousjours quelques-uns de plus grand entendement <f 324r> et sçavoir que les autres; non ja par une doctrine acquise à l'escolle, ne par la lecture des livres, dont, nonobstant que le papier ne l'Imprimerie ne leur soient pas inusitez, ils n'ont telle commodité que nous, ains par une inveteree rottine; et des meditations si assiduelles, que tel y a qui s'y sera occupé trente ou quarante ans tout de suitte, sans communication de personne qui luy peust traverser ses conceptions; ainsi qu'un autre Aristomaque de Soles, qui demeura 58. ans sans s'amuser à autre chose, qu'à observer le faict des mouches à miel, pour en escrire plus seurement. Aumoien dequoy ils se forgent d'estranges et fort bizarres fantasies, n'estans en cela retenus d'aucun bridde de religion, ny de reprimende du magistrat, qu'ils ne puissent endroit soy abonder chacun en son sens, possedé d'une vaine et legiere inconstance. Mais ce enquoy ils conviennent le plus unanimement entr'eux, et de l'Eternité du monde, et deperissement de l'ame quant et le corps; se persuadans que ce qui est venue de rien, doit aussi retorner à rien. Surquoy l'un d'entr'eux, pensant par cela exprimer ce qu'il pouvoit avoir esté avant sa procreation et naissance; ce qu'il estoit durant sa vie; et deviendroit apres sa mort, fit portraire un arbre sec au milieu d'un pré; aux racines duquel d'un costé il aposa ces deux vers cy, qui renduz de Japonoys en Latin sonnent à peu-pres de la sorte;
  Cedo, qui nam te seuit arbor arida ?
  Ego, cuius principium nihil est, et finis nihil.

<f 324v> Et de l'autre, ces autres deux:
  Meum cor, quod neque esse, neque non esse habet:
  Neque it, neque redit, nec retinetur vspiam.
Tellement que toute leur creance bat à cela, que l'Estre de toutes creatures, soient animaux, tant raisonnables, que bestes brutes; vegetaux, mineraux, depend d'un RIEN. Et cela n'est pas guere esloigné de ce qui a esté touché cy devant au fueil. 139. Ny pareillement du 33. de Job au fueil. 226. entant qu'ils constituent trois ames en l'homme, qui par ordre l'une apres l'autre s'introduisent au corps, et le delaissent. Et encore qu'ils proposent au peuple plusieurs Deitez à adorer sous divers noms, si n'admettent-ils rien en leur secret fors ce qui est perceptible au sens; ce spacieux assavoir, et vaste Univers, où tout est compris et enclos; mesme le temps, avec son cours, suitte & duree; à quoy ils ne limitent point de borne, soit du devant, ny de l'apres; du passé, ny de l'advenir. Orphee l'appelle JUPPITER en ses hymnes:
  Juppiter est ce que tu vois;
  Tout ce que mouvoir apperçois
  Au ciel, en la terre, et en l'onde;
  Et brief ceste machine ronde.
Et au reste, tout ainsi que la terre qui n'est qu'un poinct indivisible au regard du premier mobile, demeure suspendue au milieu dudit Univers, luy en semblable quelque immense qu'il puisse estre, jusqu'à le prendre de la convexité du ciel Empyree, demeure <f 325r> envelouppé egallement de toutes parts, comme une petite pelotte, en ce vuide ou Rien, que les Stoiciens appellent l'INFINY; les Cabalistes ENSOPH; les Prophetes en tout-plein d'endroits les TENEBRES; Orphee, et Hesiode LA NUICT. Ce que dessus me fait souvenir d'un passage de Rabi Moyse Egyptien au 46. chapitre du troisiesme livre de son Directeur; Que la nation des Zabiens, mot du tout approchant et conforme à celuy des Zaponiens, ne cognoissant pas qu'il y eust un Createur, estimoient que l'ENS Eternel, à qui jamais la privation ne convient, fust le ciel, avec ses estoilles. Et pource que de là se derivent quelques facultez et vertus sur des images, et certains arbres, il conceurent une opinion, que ces arbres et ces images anonçoient les choses futures, tant les utiles, que les nuisibles. MAIS ce seroit s'extravaguer trop avant, d'entrer en ce propos plus outre. CES lettres donques hieroglyphiques de la Chine, et de Chataj, sont tres-difficilles d'apprendre à lire, et à former; parce qu'elles consistent de diverses figures de bestes, oiseaux, arbres, herbes; et en somme de tout ce que la nature produist, qui leur sert de notes; les unes seules et à par-soy, et les autres jointes et accouplees plusieurs ensemble, pour en dresser un caractere qui represente plus d'un mot; comme pourroient estre des Hypocentaures, Chimeres, Sphinges, et semblables monstruositez composees de diverses natures; Si que ces Bonzes quelque bon esprit qu'ils aient, <f 325v> y consument la meilleure part de leur aage, avant que d'en pouvoir estre bons maistres; selon que porte la relation d'un Jesuite nommé Loys Froës, emanee de Bongo l'un des royaumes du Giapan, au mois de Juin 1577. en ces propres termes. Cicatora en ceste si grande jeunesse est doüé d'une telle vivacité d'esprit, qu'en cas des lettres de la Chine; ce sont certains caracteres, pour lesquels apprendre les Bonzes emploient toute leur vie; il n'y a homme en tous ces royaumes pour expert et versé qu'il y soit, qui sache mieux former ces caracteres là que luy, ny en faire de plus de sortes. Ce qui nous monstre que sur les notes generales de ceste hieroglyphique escriture, en les deguisant et accouplant de diverses manieres, se peuvent former des caracteres composez tous nouveaux, ainsi qu'és notes Ciceroniennes, et en nos devises, et chiffres de noms: comme le tesmoigne ce qui suit un peu plus outre puisapres en la mesme Epistre. Cicatora changea son nom en celuy de Simon; lequel escrit en caracteres de la Chine, signifie et represente tout autant que, CELUY QUI EST ENSEIGNÉ DU MAISTRE. par où nous sommes acertenez, que ceste escriture va à guise d'un chiffre à plusieurs ententes. Et à ce propos je me resouviens, que l'an 1559. un peu apres la mort du feu Roy Henry, que je fuz envoié en Flandre et Zelande, à l'embarquement du Roy d'Espagne qui regne encore pour le jourd'huy, le cachet de sa signture estoit comme d'un passement ou rattellier de lettres entrelassees de telle sorte, qu'elles formoient <f 326r> le nom de PHILIPPO, et quant et quant ces mots icy, YO EL REY, qui se presentoient encore plustost à la veuë, et plus distinctement beaucoup, lors que d'abordee on venoit à jecter l'oeil dessus, nonobstant que la plus-part desdites lettres soient differentes de figure. OR avant que sortir de ceste matiere, je n'estimeray pas faire chose impertinente ny ennuieuse, bien que parergue aucunement, d'inserer icy tout d'un train, le cours de la navigation de ceste Ambassade, qui demeura trois ans sur mer tout de suite et sans sejourner que pour prendre en passant leurs necessitez; aiant par trois fois changé de vaisseaux où le besoin le requeroit, avant que d'arriver à Rome; Joint qu'il n'y en a rien de specifié par le menu autre-part, mesme en l'advis qui en est venu; et que cela n'est de peu d'importance pour la geographie, et le navigage. AU partir du Giapan ils tindrent la routte du cap de Lango, où il y a un goulphe à traverser de cent lieües, et jusques à la Chine 200. costoians toute la liziere orientale d'icelle, tant qu'ils parvindrent au Royaume de Mangi:
Marco Polo, liv. 2. chap. 55. et 68.
Et de là poursuivans leur navigation à main droicte, donnerent à veuë des Isles Moluches, d'où viennent la canelle, les clouds de girofle, et noix muscades, avec autres semblables aromates et espiceries. Puis laissans ces isles à la main gaulche, tirerent outre, aians à droict la Chersonese doree, maintenant ditte Malaca, distante plus de 500. lieües dudict Giapan; et l'isle de la Taprobane en vulgaire Sumatra. De là passent la <f 326v> bouche du fleuve Ganges, et le goulphe qui de luy prend le nom de Gangetique.
Marco Polo Liv. 3. chap. 19. et 20.
Et laissans à gaulche e l'isle de Zeilan, et à droicte la pointe du Malabar, où sont les royaumes de Calicut, Cochin Cananor, et autres provinces fertiles en poivre, gingembre, or, et pierreries, arrivent à Goa, 500. autres lieües de Malaca; et rengent toute ceste coste, jusqu'à la bouche du fleuve Indus, et aux rivages de la Gedrosie. Se coullent viz à viz d'Ormus, ville et isle du mesme nom, tresriche et abondant en perles, qui est sur le goulphe Persique; qu'ils traversent tout sans donner dedans, ains prenans le large le long de l'Arabie heureuse, qui leur demeura à main droicte, avec le Canal de la mer rouge. Lizent consequemment la partie occidentale du royaume de Prestejan en l'Ethiopie: et poursuivent de reng ceste coste qui regarde au Soleil levant: Passent le tropique de Capricorne; et doublent le cap de bonne Esperance: d'où ils dressent la proüe de leurs vaisseaux vers nostre pole, tout le long de la coste de la Guinee, et de l'Aphrique. Puis se rengoulphans derechef, atteignent les isles Canarries: Et de là finablement s'en viennent surgir en Portugal. S'y estans raffreschis quelques jours, ils traversent par terre en Espagne; et s'en vont rembarquer au port d'Alicante sur la mer mediterranee, tant qu'ils arrivent à Livorne en Thoscane pres Pise; d'où ils s'acheminent à Florence, et à Rome.
<f 327r> Alphabet de la Chine, et du Giapan.
[La page est blanche; il lui manquerait une figure.]
<f 327v>   LES deux alphabets ensuivans sont deferez à Salomon; mais à quel tiltre je ne sçay pas, si ce n'estoit pour certains traictez, que faulsement on luy attribue; esquels de mesme on a suposé le nom d'Apollonius Thianeen, pour leur interprete et commentateur, qui a son alphabet à part.
Premier alphabet de Salomon.
[FIGURE]
<f 328r> Second alphabet de Salomon.
[FIGURE]
<f 328v> Alphabet d'Apollonius Thianeen.
[FIGURE]
  CESTUI-CY est de l'Ange Raphiel, selon le dire de Raziel au second traicté de ses Institutions, où il parle des pierres precieuses, au livre intitulé du feu; lequel apporta ces caracteres du ciel à Adam; dont il en met là l'interpretation et vertu.
<f 329r> [FIGURE]
  IL n'y a guere plus d'apparence d'avoir assigné cestui-cy à Virgile en qualité de Philosophe, dont il se racompte des fables trop ridicules: comme d'avoir esté laissé suspendu dans une corbeille, à my-estage d'une tour fort haulte, par une dame à qui il vouloit faire l'amour: mais pour s'en venger il fit esteindre par son art tout le feu qui estoit à Rome, sans <f 329v> qu'il fust possible d'en r'allumer, si on ne l'alloit prendre és parties secretes de ceste mocqueuse. Et encore le mal estoit de ne se pouvoir communiquer l'un à l'autre, parce que soudain il s'amortissoit; Avec semblables resveries pour entretenir les vieilles et petis enfans: mais les caracteres en sont assez beaux.
Alphabet de Virgile le Philosophe.
[FIGURE]
<f 330r>   LES cinq alphabets ensuivans tirez de la polygragraphie de Tritheme, sont d'assez plaisans caracteres, et trop plus aisez à former que les dessusdits; Si que l'escriture n'en seroit pas de mauvaise grace, ny guere embrouillee: dont le premier et par Pierre de Apono attribué à un Honorius surnommé le Thebain, qui en escrivoit ses observations magicales, pour ne les divulguer indifferemment à chacun.
[FIGURE]
  CEST autre est particulier aux Chimistes.
[FIGURE]
  ET cestui-cy est de Jaimiel surnommé Megalopien, <f 330v> Roy des Artiques tresdocte et prudent, qui en usoit en ses depesches d'importance.
[FIGURE]
  EN voicy un qui est extrait, mais ce n'est qu'un eschantillon de la grose masse de notes ciceroniennes, dont il a esté parlé cy devant au fueil. 146.
[FIGURE]
  ET ce cinquiesme est de la forge d'iceluy Tritheme.
[FIGURE]
<f 331r>   TOUS au reste en general sont tres-faciles à dechiffrer, si on les vouloit employer à cela, comme estans simples s'ils n'estoient accompagnz des clefs, ou quelqu'-autre des artifices lesquels ont esté touchez cy dessus.
  LES Tzerviens ont l'appellation de leurs lettres presque conforme à celle des Dalmates ou Esclavons, dont l'on attribue l'alphabet à S. Jerosme; mais la figure en est aucunement different: Nous n'avons inseré icy que l'Esclavon, où il y a jusqu'à trente deux caracteres. Ceste escriture, au reste et le langage encore plus, ont eu une fort grande vogue en plusieurs endroits de la terre, non tant seulement en l'Esclavonie, Albanie, Croatie, Carinthie, mais aussi en Pologne, et Uvalachie, Chiovie, Lithuanie, Livonie, et Moscovi; par toute la Grece, et la plus grand-part de l'Asie, Egypte, et Afrique, jusqu'à ce que l'Arabic et Moresque ou Punique, à cause que toute la loy Mahometane y est escrite, et que les Turcs qui dominent ces quartiers là s'en servent en tous leurs escris, luy ait diminué une partie de son credit.
<f 331v> L'alphabet Dalmatic, de S. Jerosme.
[FIGURE]
  LES HETRUSQUES furent des plus anciens peuples de l'Italie, là où tost apres le deluge universel, Janus <f 332r> qu'on pretend estre le mesme que le bon patriarche Noé, restaurateur du genre humain, vint fonder douze citez, ainsi que le marque Caton en ses Origines; D'où par succession de temps du depuis, les Romains emprunterent la plus-part de leurs mysteres et ceremonies, au tesmoignage de Ciceron en ceste formule de loy; ETHRVRIAE PRINCIPES DISCIPLINAM SACRORVM DOCENTO; QVIBUS DIIS CREVERINT, PROCVRANTO: Et outre-plus, ce qui concernoit les augurements et predictions par les entrailles des victimes, et le vol, et chant des oiseaux; l'interpretation des fouldres, et feux du ciel; gresles et pluyes extraordinaires; monstres, et autres prodiges; dans le mesme autheur, és livres de la Divination. Quant à leurs lettres et escriture, on tient que toutes ces douze Citez ou Tribuz usoient de pareils caracteres, commis aux prestres tant seulement, qui les transposoient chacun endroit soy, et en varioient l'ordre, valeur, et situation à leur fantasie, à guise des chiffres; quelquesfois en tirant de gaulche à droit, ainsi que nous; et quelques autre-fois au rebours, à la maniere des Hebrieux; afin de se tousjours tant mieux receler envers les peuples circonvoisins; lesquels ne peussent descouvrir les noms secrets des Genies ou anges gardiens, protecteurs et Patrons qui leur assistoient; ensemble la maniere de leurs prieres, sacrifices, et offertoires pour se les avoir favorables, de peur que les autres ne les evocassent à eux, comme firent puisapres les Romains; l'un des principaux moyens <f 332v> dont s'accreurent ainsi leurs affaires: lesquels sacrifices et ceremonies qui peussent plaire à ces Deitez tutelaires, avoient eu besoin d'une fort longue observation, establie sur une parfaicte cognoissance des astres; car c'est du ciel que se tire le nom et office de chaque Genie; et de la nature consequemment, et proprieté des choses elementaires, qui ont chacune leur estoille particuliere respondant à l'intelligence qui luy preside: le tout se raportant en fin à la gloire du premier intellect immobile, dont ils dependent, et ont leur estre et mouvement; le Souverain Dieu assavoir, deguisé à eux sous le nom de [G] ou JOVIS, mot perverty du JEHOVA, Qui diligit portas Zion, plusquam omnia tabernacula Iacob.
Psaume 87.
De ces transpositions des lettres Hetrusques, font foy les deux alphabets ensuivans, dont l'un procede à la maniere des Hebrieux de droict à gaulche, et l'autre au rebours comme les Grecs et les Latins; car au reste la plus-part des characteres s'entreressemblent. Et combien qu'on ne trouve point nulle part que je sache, que les Latins aient emprunté les leurs des Hetrusques, neaumoins puis que nous y voyons une si grande conformité, il est a croire qu'autrefois ils furent les mesmes. A Volterre l'une des susdites douze citez, se voient encore pour le jourd'huy force vieils Epitaphes, et inscriptions en tables de marbre, urnes sepulchrales, et statues, qu'on tient estre de lettres Hetruriennes, mais personne n'y peult rien entendre, à cause que le langage en est esteint de fort longuemain: <f 333r> Voila ce que c'est d'une antiquité trop remote, qui tant plus se forlonge et reculle en arriere de nostre temps, tant plus aussi s'obscurcist-elle, et se charge de troubles et sombres nuages; ou s'en va tout à fait plonger dans un profond goulphre d'obliance et effacement.
Premier alphabet Hetrusque ou Thoscan.
[FIGURE]
<f 333v> Autre alphabet Hetrusque.
[FIGURE]
  LES GOTHS descendirent premierement de certains peuples de l'Asie appellez Getes, et se vindrent habituer en Gothie, isle fort grande en l'occean septentrional, plus de 400. ans avant l'advenement du Sauveur. Car l'an du monde 3637. ils envahirent premierement <f 334r> le pays de Saxe; et quelques 230. ans apres se voulurent aussi jecter dedans la Hance Teuthonique, où sont de present scituees Lubek, Amborg, Gottinghen, et autres villes maritimes proches de Brandebourg, et Pomeranie, sous la conduite de leur Roy Borbuste, où ils furent defaicts lourdement. L'AN 3885. avec leur Roy Sithalque, ils saccagerent tout le pays de Franconie: et depuis firent de fois à autre de grandes courses et ravages en divers endroits de la Germanie, par l'espace de 300. ans; Tant qu'à la parfin l'an de salut 253. ils entrerent en Hongrie, et de là en Thrace, bien en nombre de trois cens mille hommes, où ils defirent l'Empereur Decius, et tuerent son fils sur la place; de luy, il se noya en fuyant dans la riviere d'Abricie: et contraignirent son successeur Gallus luy paier tribut. Puis quelques dix ou douze ans apres inonderent derechef toute la Macedoine et la Grece: et estans passez en Asie, saccagerent entierement les regions maritimes, depuis le Royaume de Pont jusqu'en Surie: mais au bout de six ou sept ans ils receurent une griefve estrette en la Macedoine et Esclavonie, où il en demeura plus de trois cens mille de tuez au combat par l'Empereur Claudius: et une autre encore par Aurelian, et Probus. L'AN 382. ils defirent l'Empereur Valens, qui les avoit faict infecter de l'heresie Arriane; et le bruslerent dans un village de la Thrace, sous la conduitte de leur Roy Alanus. L'AN 385. Theodose les ayant rompuz en plusieurs rencontres, les chassa du tout <f 334v> de la Thrace; Si que leur Roy Athanaric fut contraint de venir à appointement: lequel estant depuis decedé à Constantinople, les Goths destituez de chef, demeurerent à la soulde des armees Romaines bien dixhuict ans, jusqu'à l'an 404. qu'ils creerent Roy Alaric; lequel quictant Thrace, se vint emparer de Hongrie, où il regna onze ans. L'AN 409. Rhadagaiz avecques deux cens mille Goths entra en Italie, où ils furent entierement desconfits, et luy pris par Stilcon capitaine d'Honorius, lequel octroya à ceux qui se sauverent de la defaicte, les Gaulles pour s'y retirer; mais ils furent chargez frauduleusement le propre jour de Pasques par un Juif appellé Saul, à la suscitation du mesme Stilcon l'an 413. Dequoy irritez leurs confreres, se rejecterent derechef dans l'Italie, qu'ils saccagerent d'un bout à autre, et prirent Rome. A ALARIC succeda Ataulphe, lequel fleschy de sa femme Placidie soeur d'Honorius, s'abstint de desoler la ville; et quictant encor l'Italie, passa és Espagnes, que ses successeurs Westgoths dominerent plus de 300. ans; jusqu'à l'an 720. que Roderic pour ses excez, et mesme le violement de la fille du Conte Jullian, qui introduit les Sarrazins, aiant esté tué par eux au combat, en luy prit fin le regne des Goths en ceste Province, faisant place à celuy des Mores, qui s'y maintindrent bien 700. ans. LES Ostrogoths s'estans emparez de Hongrie environ l'an 460. sous leur Roy Valamir, y regnerent 33. ans; jusqu'à ce que Theodoric aiant esté invité par l'Empereur Zenon de passer <f 335r> en Italie contre Odoacre, dont il redoutoit les efforts, apres l'avoir defait, et finablement mis à mort à Ravenne l'an 494. il y planta sa domination, ou luy et ses successeurs se maintindrent 58. ans. L'AN 512. comme les François eussent osté aux Uvissegoths Rois des Espagnes, toute l'Aquitaine, Theodoric envoia contr'eux une grosse armee, qui en eut la victoire, si qu'il rendit aux Wissegoths tout ce qu'ils avoient perdu en ces quartiers là; et se saisit par mesme moien d'une bonne partie des Gaulles: mais l'an 530. Lothaire recouvra le tout, et en deposseda de vive force le jeune Athalaric. Theodoric doncq' regna en Italie 33. ans, là où il fit assez de maulx; et exercea tout-plein de cruautez envers les Catholiques, parce qu'il estoit Arrian; car pour ceste cause il fit emprisonner le Pape Jean premier de ce nom; et mettre à mort Symmaque, avec son gendre Boëce, deux tressignalez personnages tant en noblesse qu'en doctrine; desquels nous avons encore les doctes escris. Mais une fois comme on luy eut servy à soupper la teste d'un fort grand poisson, il entra en telle perturbation d'esprit, pensant proprement voir le chef de Symmaque, qui le regardoit d'une horrible mine, la gueulle ouverte hideusement, et les yeux embrasez pleins de feu, que de frayeur, joint le remords de sa conscience, bien tost apres il en mourut. IL laissa une seule fille Amalasunthe, fort vertueuse et sage Princesse, ayant lors un fils nommé Atalaric aagé seulement de huict ans, avec lequel elle <f 335v> en regna huict autres; et apres la mort de son fils advancea au royaume Theodate, qu'elle espousa; mais dés la premiere annee il la resserra en prison, et bien tost apres luy osta la vie. THEODATE apres ce forfaict ne dura que deux ans; cars les Goths cognoissans sa meschanceté et insuffisance, et qu'ils avoient besoin d'un plus valeureux capitaine pour faire teste à Bellisaire, qui ja avoit pris pied en Italie pour l'Empereur Justinian, creerent Roy Vitiges; lequel se mit incontinant à poursuivre Theodate, et ne cessa qu'il ne l'eust pris, et mis à mort. VITIGES regna cinq ans, qui sont les plus insignes et memorables qui se trouvent point és histoires modernes; car il y eut lors continuellement une des plus brave guerre, qui fut onques en Italie, tant à cause de l'excellence des chefs qui la manierent, que du grand nombre de soldats de part et d'autre, exercitez de fort longuemain, et endurciz au faict des armes; tellement que l'un gagnoit une fois, et perdoit l'autre. Cependant le pays souffroit d'estranges calamitez et desolations; mais finablement Vitiges succomba; et s'estant retiré à Ravenne, fut trahy des siens, et mis és mains de Bellisaire qui le mena depuis captif en Constantinople. De là en avant la puissance des Goths se trouva fort rabaissee; neaumoins ils ne quicterent pas pour cela l'Italie du tout, ains retindrent encore plusieurs villes et places fortes le long du Pau, et du Thesin; temporisans sourdement ainsi jusqu'à ce que Bellisaire fut revoqué. TOTILAS leur cinquiesme <f 336r> Roy en Italie fut le plus valeureux de tous; car n'aiant du commancement que bien peu de forces; il recouvra nonobstant cela presque tout ce qui avoit esté perdu sous son predecesseur; et prit Naples, puis Plaisance, et en fin Rome, que de despit et de colere il gasta fort vilainement; et y eust faict pis encore, s'il n'eust esté raddoulcy par les prieres du Pape Pelage, et de S. Benoist. Bellisaire ayant du depuis refait les murailles, Totilas y retourna, et la ruina derechef: mais aiant esté depesché l'Eunuque Narses au lieu de Bellisaire, il gaigna une grosse bataille sur Totilas, qui fut tué ainsi qu'il se pensoit sauver, apres avoir regné dix ans. TEYAS dernier Roy luy succeda; lequel combien qu'il fut tresprudent et hardy, dés la premiere annee neaumoins fut du tout defaict par Narses: au moien dequoy prit fin le regne des Goths en Italie, au bout de 58. ans qu'il s'y establit; faisant place à la domination des Lombards qui commença bien tost apres. J'AY paraventure insisté plus prolixement que je ne devois, et que le present subject ne comporte, en ces choses Gothiques, sur le propos de leurs caracteres et mode d'escrire:
Les desolations des Goths, Huns et Vandales en Italie.
A quoy je me pourrois estre ainsi relasché par le souvenir des piteuses marques qui se voient à Rome, et presqu'en toute l'Italie, de la felonnie inhumaine de ces Barbares, qui n'a pardonné aux choses mesmes insensibles, dont les bestes brutes auroient eu plus de consideration et respect; ains ruiné presque de fonds en comble ceste triomphante eternelle ville, dame jadiz et <f 336v> maistresse de toutes autres; Cui par nil fuit, et nihil secundum, à dit le Poëte Martial. Les edifices les plus superbes qu'onques le Soleil apperceut, explanez jusqu'à fleur de terre: tout pesle-meslé de ruines à guise d'un autre Chaos: les Obelisques renversez: ceste tant admirable colomne de Trajan difformee en tout-plein d'endroits; et celle d'Antonin bien plus encore, fort endommagee du feu: le temple de la paix tout esteint, et des huict colomnes du porche les sept dissipees, dont celle qui reste remplist d'esbaïssement ceux qui prennent garde à son estoffe qui est de marbre Parien, et a sa desmesuree grandeur toute d'une piece, avec l'artifice et bonté d'ouvrage: les sepultures inimitables du Mausolee d'Auguste masse Adrianique, Septizone de Severe, et infinis autres trop prodigieux bastimens, qui faisoient presqu'honte à ceux d'Egypte, aneantiz entierement: Toutes les plattepeintures perdues; et ce qui peult estre resté des testes et statues, mutilé en la plus-part de leurs parties, mais toutes en general du nez. Somme, tout ce qui auroit esté là par de si longues revolutions de siecles comme surentassé par despit, gasté, diffamé, villenné d'une vraye rage et forcenerie; ou plustost par quelque secrete divine disposition, qui auroit suscité ces gens là à venir venger de si loing les pilleries, saccagemens, et extortions, dont l'ambition insatiable du peuple Romain avoit au precedant parcouru, molesté, vollé, destroussé toutes les nations de la terre; et au nom d'elles repeter le tout <f 337r> à leur tour. Or laissant à part tels discours, comment que ce soit ces Gothiques desolations, gastz et ruines ont laissé leur nom à tout ce qui s'est depuis ensuivy de grossier, goffe, lourd et rural, tant és arts et sciences, qu'és mestiers; et mesme en l'architecture, peinture et sculpture; dont en portent bon tesmoignage ce qu'on voit en infinis endroits de verrieres, images et tableaux des Eglises, et lieux publiques de l'Europe; et pareillement l'escriture des sepultures et tombeaux, qu'on appelle lettre Gothique. Mais particulierement les Goths ont eu des caracteres pour eux, tels qu'on peult voir en cest alphabet, tiré de plusieurs inscriptions d'Italie. Quant à leur langage, il ne s'en trouve point de marques dont on peust seurement parler: mais les Epistres de Cassiodore secretaire de Theodoric nous apprennent, qu'en leurs actes publiques ils usoient de la langue Latine.
<f 337v> L'alphabet Gothique.
[FIGURE]
  OR tout ainsi que les Goths soubsdespaiserent du Septentrion en divers endroits du Ponant, les Northmans de mesme s'en vindrent de Dannemarc, Norwege, Suedde, et des isles Scandianes, espandre d'un autre costé dans les Gaulles; et mesmement en Normandie, à laquelle estant lors appelle Neustrie, ils donnerent leur nom, quelle a tousjours gardé depuis. Et pendant les ravages qu'ils exercerent de costé <f 338r> et d'autre par l'espace de quarante ans, avant que de s'arrester nulle part de pied-ferme; pour mieux couvrir les deliberations et conseils de leurs entreprises, ils inventerent une nouvelle maniere d'alphabet, comme le tesmoigne Beda moyne Anglois, ouquel il n'y a que les dix premiers characteres, presque conformes à ceux des Grecs, et aux nombres où ils les appliquent: les quatorze lettres qui restent, sont puisapres representees par le redoublement d'iceux, comme vous le pouvez icy voir: Dequoy ne s'esloigne pas fort la petite table inseree cy devant au fueil. 230. mais plus encore s'en aproche celle du 250. La collocation s'en peult transposer à la volonté d'un chacun.
Alphabeth Northmanique.
[FIGURE]
  CEST autre est encore extrait du mesme Beda.
[FIGURE]
<f 338v>   LES FRANÇOIS, reliquats jadis demeurez de la destruction des Troians, quelques 440. ans avant l'incarnation du SAUVEUR, s'en vindrent finablement des larges et spacieuses solitudes de la Scythie, sous la conduicte de Marcomir rendre en la basse Allemagne, où leurs confreres les Saxons leur departirent une demeure vers les bouches du Rhin, en Phrise et Hollande: Et de là faisans force grosses saillies sur les terres circonvoisines, guerroierent les Romains et Gaullois par plus de 900. ans de suitte; Si qu'ils estendirent leur domination en la plus grand'-part de l'Europe, selon que le tesmoigne bien au long leur Croniqueur Hunibauld és dixhuict livres qu'il a laissez de leurs conquestes; où il met entr'-autres choses qu'un nommé Wastbald auroit escrit leurs faicts et gestes de 758. ans en leur propre langue, et és caracteres tels qui s'ensuivent, ressentans je ne sçay quoy d'escriture Grecque: mais l'ordre des lettres en est transposé; qui sont au reste un peu douteuses; pour raison pourroit estre, de leur trop grande antiquité, qui en auroit faict depraver aux escrivains la vraye figure.
[FIGURE]
<f 339r>   IL y a un autre alphabet des François encore dans le mesme Hunibauld, qui en refere l'invention à un appellé Doracq.
[FIGURE]
  AVEC Marcomir vint és Gaulles un Hichus, François aussi, qui inventa à ce qu'on dit, cest autre alphabet; duquel plus de 800. ans apres, Pharamond dernier Roy Payan se servit en ses plus secretes depesches.
[FIGURE]
  MAIS cestui-cy, extrait aussi de la Polygraphie de Tritheme comme les quatre dessusdits, et les trois cy dessous, qui sont chiffres, et non escriture commune de quelque nation, fut autrefois de Charlemagne, au rapport d'un moyne appellé Otfrid, lequel allegue cest Empereur là en avoir usé de plusieurs, selon le nombre des provinces à luy subjectes; dont le premier est tel qu'il s'ensuit.
<f 339v> [FIGURE]
AUTRE alphabet dudict Charlemagne, destiné specialement pour l'inquisition, par luy establie au pays de Saxe.
[FIGURE]
Autre du mesme Empereur.
[FIGURE]
Autre derechef, ouquel il y a quelques lettres redoublees à l'imitation des Hebrieux.
[FIGURE]
<f 340r>   DES DEUX alphabets ensuivans, venuz de la bibliotheque à Treviz, ville du domaine des Venitiens, d'un grand et fort renommé personnage en toutes occultes sciences, appellé Antonio de Fantis, il y peult avoir cinquante ans, ce premier est inscrit pour Geomantique, et Astrologique.
[FIGURE]
<f 340v>   ET cestui-cy,
De la secrete Philosophie.
[FIGURE]
  A QUELLE occasion l'un ne l'autre de ceste sorte, je ne le puis pas bien comprendre: car quelle convenance peuvent avoir ces caracteres avecques la Geomantie, qui n'est qu'une projection de poincts, fortuite de soy sinon entant qu'elle est guiddee de la <f 341r> constellation qui regne ? lesquels sont reduits puisapres en des lignes; et ces lignes accommodees à des figures, dont se tire la prediction selon les reigles de cest'-art: Aumoien dequoy je croirois plustost qu'ils aient esté faicts à plaisir; et par consequent sans aucune signification ne mystere qui importe quelque efficace, tout ainsi que ceux qui sont receuz de longuemain, et usitez de chaque nation endroit soy. Bien est vray qu'encore que Dieu ait doüé tous les hommes d'un entendement et raison de mesme faculté et vertu, selon Mercure Trismegiste, dont ce qui s'en retrouve de moins és uns qu'és autres, vient ou de leur nonchallance et default, ou de quelque vice accidentel; il a toutesfois diversifié leur parler de plusieurs sortes de langages, et l'escriture pareillement; ce qu'il ne fault pas estimer avoir du tout esté inventé à la vollee, ny par un casuel rencontre; ou à s la premiere fantasie et apprehension de quelqu'un, qui en ait formé les mots, et les caracteres à son bon plaisir, comme pourroient estre ceux des communs et vulgaires chiffres; car ce consentement universel de tant de personnes, qui par une si longue suitte de siecles, les aient gardez et retenuz sans varier, presuppose je ne sçay quelle inspiration venant d'en-hault, qui les ait tels revelez; de maniere que leurs figures et proportions, tant numerales que geometriques, semblement avoir une fort grande correspondance et affinité, non seulement avec les facultez et vertuz celestes, ains avec les divines <f 341v> puissances encore, dont elles soient en lieu de marques, symboles, et vehicules de leurs occultes effects icy bas; et sur tous autres les Hebraïques, qui consistent plus distinctement que nuls autres, de la matiere, forme et esprit, y representez par les figures des lettres, par les poincts remarquans les voyelles, et les accents dont depend la deuë prolation, qui leur donne vie: le tout en premier lieu formé visiblement au ciel, qui est le throne et siege de Dieu, par l'assiette et collocation des estoilles, et leurs aspects et regards des unes aux autres; Puis de là empraint consequemment en tous les individuz de la terre, au triple genre des animaux, vegetaux, mineraux, desquels ces caracteres contiennent en eux les plus pregnantes et occultes proprietez; principallement quand ils sont arrengez et tissuz en des paroles et vocables, qui expriment la vraye et connaturelle signification de la chose à quoy ils furent primitivement appliquez par le Protoplaste, à qui Dieu les revela tels qu'ils sont, et dicta ainsi que de sa propre bouche; au tesmoignage mesme de Mahomet, au commancement de son Alchoran: Deus Adam vocabula rerum semotim edocuit, nondum angelis agnita: Et pourtant Origene dit que ces mots là estans changez et transportez en autre langue, ne gardent pas leur precedente force et vigueur, dont tant moins ont encore ceux qui sont formez à plaisir: le mesme est-il de l'escriture qui les represente. Aumoien dequoy pour donner credit aux deux alphabets dessusdits, les lettres à l'imitation <f 342r> des Hebrieux en estoient assignees, assaboit les cinq voyelles A. E. I. O. U. et les deux d'icelles servans quant et quant de consones, I. V. aux sept planetes, et aux sept jours de la sepmaine: les 12. consonantes, B. C. D. F. G. L. M. N. P. R. S. T. aux douze signes, et douze mois: K. Q. X. Z. aux quatre elemens, aux quatre saisons de l'annee, et à autant d'humeurs du corps: et finablement H. qui est une aspiration, à l'esprit du monde. Mais je persiste derechef que ces characteres sont faits à plaisir, si qu'ils n'ont aucun pouvoir, efficace, ne vertu latente en leurs figures, nomplus que les autres de la mesme farine, si ce n'est selon qu'ils peuvent signifier envers les uns d'une façon, et envers les autres d'une autre: comme aux Romains la lettre A. en la promulgation des Edicts denotoit un rejectement et cassation d'iceux; et és jugemens criminels plaine et entiere absolution; le C. au contraire un condamnement. Ce n'estoit doncques pas aucune energie renclose en ces lettres qui peust absouldre ou condamner une personne, ains seulement un signe externe servant à exprimer l'intention de ceux qui l'y appliquoient. Le semblable est-il de toutes sortes de characteres, esquels il n'y a aucune efficace; ny pareillement és parolles et mots tant prononcez de vive voix, comme escrits en quelque estoffe que ce puisse estre, si le tout n'est accompagné de certaine vertu spirituelle procedant d'une forte elevation de pensee, qui les vivifie selon la foy qu'on y adjouste; ainsi que le deduit bien au <f 342v> long apres le Talmud, Rabbi Moyse Egyptien au 61. chap. du premier liv. de son directeur. O COMBIEN (dit-il) s'eslogne ce que les hommes cuiddent entendre de l'escriture selon la lettre, en l'interpretant à leur fantasie, de ce que portoit l'intention de celuy dont elle est venuë: car la plus-part pensent qu'il n'y ait que les lettres seules qui parlent, sans y avoir rien de caché dessous, pourautant que leurs ratiocinations et projects ne se peuvent pas eslever si hault qu'ils atteignent à la cognoissance de ces mysteres si occults: Estans assez manifeste à quiquonque vouldra peser les raisons des choses divines, que les lettres et caracteres ou figures d'icelles, fussent mesmes les Hebraïques, bien que formees du plus excellent escriture qui fut onques, ne sont toutesfois forts simples creatures tant seulement; dont il ne fault pas estimer qu'elles aient aucune puissance ne vertu de soy, si nous ne voulions encheoir en l'erreur des Idolatres, qui reverent les creatures pour leur Createur; blaspheme envers luy trop execrable. Mais ç'ont esté les fols malins, qui aians rencontré ces mots là, se sont advancez là dessus de mentir tres-impudemment, affermans que les characteres à par-eux, et les parolles encore plus, qui estoient tissues de certain contexte de lettres, assemblees de ceste sorte, ou de celle-là, auroient plein-pouvoir d'accomplir et effectuer telle et telle chose, à quiconque les porteroit, ou profereroit. Tellement que les gens simples, faciles à estre persuadez, apres la mort de tels engeolleurs <f 343r> venans à trouver ces abuz et deceptions parmy leurs plus chers et secrets memoires, en ont faict grand cas; et ont reputé ces mots là, et les caracteres pour une tressaincte et miraculeuse besoigne:
Prov. 14.
y allans à la bonne foy, suivant ce que dit le Sage, l'Innocent croit à toute parole. VOILA à peu pres ce qu'en mect ce docte Rabi; par où nous sommes admonestez, de n'adjouster foy trop legierement à ces frivoles superstitions, qui ne tendent qu'à decevoir ceux qui ne se tiennent sur leurs gardes, et ne sont soigneux de les examiner un peu de pres, pour discerner le vray du faulx. ET en cest endroit nous jecterons l'ancre, et ployerons les voiles de nostre navigation, à la loüange, honneur et gloire de celuy qui nous a faict la grace d'arriver au port desiré; Dont son tressainct nom soit benit eternellement és siecles des siecles.
  AINSI SOIT-IL.

[Suite] – [Table des matières]