Actes des journées "Dictionnaires électroniques du français
des XVIème et XVIIème siècles"
Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 14-15 juin 1996

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Vers un Glossaire des glossaires du français du seizième siècle

Claude Buridant

Université des Sciences Humaines de Strasbourg


Si les spécialistes du seizième siècle français ont une activité éditoriale soutenue, en particulier dans la collection des Textes Littéraires Français, chez Droz, il faut bien reconnaître que de nombreuses éditions, même parmi les plus récentes, souffrent de glossaires hâtivement confectionnés, comme des tâches subalternes, sans le minimum de rigueur philologique requise en la matière, dont les critères ont été rappelés par C. Buridant (Buridant 1991). Conçus presque exclusivement pour l'intelligence immédiate du texte sans souci de servir l'histoire de la langue,[1] flottant entre deux écueils -- la traduction étroitement contextuelle des mots ou la traduction trop large calquée d'un dictionnaire et inadaptée à l'occurrence (Chambon 1993: 335)[2] -- les glossaires d'éditions seiziémistes présentent trop souvent des défauts majeurs que signalent les comptes rendus qui leur sont consacrés (cf. Roques dans la Revue de Linguistique Romane, et en particulier Chambon 1994):

Il est frappant de constater, en particulier, que des glossaires négligent le vocabulaire de champs lexicaux majeurs qui constituent la moelle même des oeuvres (cf. infra).

Sur le modèle du Glossaire des glossaires du Moyen Français, rassemblant des données rassemblées par des médiévistes bénévoles, destinées à l'élaboration du Dictionnaire du Moyen Français par l'Institut National de la Langue Française, sous la direction de Robert Martin, et des premiers lexiques constituant la collection de Matériaux pour le Dictionnaire du Moyen Français, dont viennent de paraître les deux premiers volumes -- le Lexique de Chroniqueurs français (XIVe, début du XVe siècle) établi par D. Lalande (Lalande 1995)[4], le Lexique des Miracles Nostre Dame par personnages établi par P. Kunstmann (Kunstmann 1996) --, je propose d'amorcer à présent un Glossaire des glossaires du français du seizième siècle.

Ce Glossaire des glossaires regroupera un ensemble de glossaires véritablement philologiques révisant et complétant les glossaires existants des textes édités, pour servir de base de données à un futur dictionnaire de la langue française du seizième siècle. Comme le souligne G. Roques, "les éditeurs de textes qui mettent tout leur soin... à faire aimer des textes qui le méritent bien, doivent considérer leurs glossaires comme des pierres pour un futur dictionnaire" (Roques 1987).

Un programme expérimental a ainsi été établi, dans le cadre de l'Atelier de Lexicographie du Centre de Linguistique et Philologie Romane de l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg, touchant la révision d'un certain nombre de glossaires d'éditions récentes. Ces glossaires devraient répondre aux critères suivants:

Ces paramètres doivent permettre de donner de chaque mot enregistré une fiche qui pourra être exploitée dans une banque de données alimentant un futur dictionnaire de la langue française du XVIe siècle.

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Notes

1. Cf. les remarques de V. Mecking à propos du glossaire de La nouvelle Fabrique établi par F. Joukovsky qui parle d'un "reichhaltiges Glossar (207-233), welches jedoch leider, wie bei fast allen Ausgaben dieser Art, ausschliesslich dem Leserverständnis dient und jegliche sprachhistorische Pespektive ausklammert" (Mecking 1993: X).

2. À propos du glossaire de la Chasse d'amours établi par M.B. Winn, édition critique, Paris/Genève, Droz (T.L.F. 322), 1984: "Les définitions sont souvent reprises de Hu, sans grand effort pour décrire le sens à partir du texte (l'éditrice reproduit parfois des acceptions en réalité contradictoires entre lesquelles il aurait convenu de choisir)."

3. Il arrive même aux glossaires relativement élaborés de laisser filer entre leurs mailles de précieuses attestations pour une moisson lexicogaphique en négligeant des expressions relevées en note ou en ne les enregistrant que partiellement. Ainsi, dans Le disciple de Pantagruel (Les navigations de Panurge, éd. G. Demerson et C. Lauvergnat-Gagnière, Nizet, 1982, Société des Textes Français Modernes, 175), marcher en pas de grue (note 21, p. 14, qui le rapproche d'une expression imagée similaire dans Pantagruel, "marcher au pas d'ostarde") n'est pas repris dans le glossaire, et la note sur suyvre a gauche, qui constituerait un excellent article de dictionnaire (note 1, p. 2: "Expression proverbiale signifiant 's'écarter de la direction', et donc, à propos de la vérité, 'prendre à contre-sens'") aurait mérité d'y figurer, en place de gauche (à): à contresens. Sur les 8 pierres précieuses faisant l'objet de notes explicatives, parmi les 18 énumérées au chapitre 14, seules 4 sont reprises au glossaire, sans critère de sélection apparent, etc. Autant de matériaux à repêcher pour un glossaire qui mériterait d'être augmenté, entres autres, des termes "techniques" désignant les mets variés du festin du pays des lanternes (ch. 14) inspiré de Rabelais (Pantagruel, V, ch. 32-33) ou les danses qui s'ensuivent (ch. 16).

4. D. Lalande y examine systématiquement, grâce à l'enregistrement électronique qui en a été fait, le Journal de Nicolas de Baye (éd. A. Tuetey, Société de l'Histoire de France, 21), et le Journal de Clément de Fauquembergue (éd. A. Tuetey, avec la collaboration de B. Lacaille, Société des Anciens Textes Français, 54), et y dépouille sélectivement quelque 7 textes (essentiellement des Chroniques, mais aussi des pièces diverses du XIVe siècle et de la première moitié du XVe). Il met ainsi à la disposition des chercheurs une ample matière lexicologique, d'un intérêt tout particulier dans le domaine des institutions.