Actes des Journées "Dictionnaires électroniques des XVIe-XVIIe s.",
Clermont-Ferrand, 14-15 juin 1996
C. Buridant, "Glossaire des glossaires"

Pour illustrer ce projet et le bénéfice que les seiziémistes peuvent en retirer avant même l'exploitation lexicographique, l'on prendra ici deux exemples.

Le premier exemple touche le Registre-Journal du règne de Henri III, Tome I (1574-75), Droz, 1992; Textes Littéraires Français, éd. M. Lazard et G. Schrenck. Les premiers linéaments d'un glossaire révisé selon le protocole proposé, entrepris par Melle V. Louis, dans le cadre de l'Atelier de Lexicographie précité, et présenté à la journee d'étude "Autour du Huguet", sont déjà prometteurs.

L'extension beaucoup plus large du glossaire permet en particulier:

Articles-exemples du glossaire du Registre-Journal de Pierre de l'Estoile:

+ ENTREPRENDRE, verbe intr.
"Fomenter des conjurations, des complots": Ceux qui entreprenoient en ce temps estoient tous serviteurs du Roy (mais c'estoit pour le despouiller). (Estoile, 194, année 1575).
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FEW 4, 349a: absent en ce sens. Hu 3, 331b: absent en ce sens.

ENTREPRISE, subst. fém.
I. "Projet, dessein": En ces jours se descouvrirent plusieurs gens de guerre tant de cheval que de pied, tenans les champs vers Trappes... et vivans a discretion, desquels on ne peust onques sçavoir les noms ne l'entreprise (Estoile, 59, année 1574). A la Rochelle aussi, en mesme temps, il y eut quelques divisions sur les opinions diverses de l'intention de Monsieur, et sembloit que la Rochelle fust divisée en deux ligues: les uns magnifians jusques au ciel l'entreprise et dessein de Monsieur... (Estoile, 213, année 1575). On print en ce temps à Paris quelque doute et opinion mauvaise de quelque entreprise aux environs de la vile, pour surprendre Pontoise, Beaumont... (Estoile, 91, 1574). Les autres condamnoient ouvertement son entreprise, qu'ils apeloient surprise (Estoile, 213, année, 1575). Enquis et gehenné, il (i.e. un nommé Abraham) avoit declaré des secrets et entreprises de grande importance (Estoile, 197, 1575).
II. "Entreprise": le grant prest et avance de deniers qu'il avoit convenu et convenoit faire encores pour l'execution d'une si belle et haute entreprise (Estoile, 211, année 1575). Monsieur le Prince de Condé...; m'a chargé de supplier très humblement Vostre Majesté d'emploier vostre pouvoir et auctorité en une si sainte entreprise (Estoile, 161, année 1575).
III. "Menée subversive et séditieuse": Le coeur est une forge où forgent à deux mains / Sathan, la chair, le Monde, un monde d'entreprises (Estoile, 55, 1580). Entreprises et conspirations secrettes jà dès les Pasques precedentes descouvertes (Estoile, 58, 1574). Mais on le soupçonnoit de double intelligence en l'entreprise qu'il brassoit par l'entremise de la Roine Mere (Estoile, 97, 1574). le Roy et le Roine sa mere allerent au bois de Vincennes, et parlerent à un secretaire du prince de Condé et à un capitaine... qui y estoient prisonniers, et aians descouvert par leur bouche quelque entreprise qui se faisoit à Paris (Estoile, 176-177, année 1575). Cinq ou six pretendus capitaines, qu'on disoit estre consors et complices de ladite entreprise (Estoile, 177, 1575). Ceste entreprise (disoit on) se faisoit sous ombre d'une querelle lors attaquée entre les escoliers et Italiens (Estoile, 177, 1575). Le samedi XVIe, Vaumesnil... avec un autre nommé Jannin, furent constitués prisonniers au dongeon du bois de Vincennes, pour charge (ainsi qu'on disoit) de conjuration ou autre mauvaise entreprise (Estoile, 194, 1575). Dissimulant dextrement l'intelligence qu'il avoit en ceste entreprise (Estoile, 202, 1575).
IV. "Attaque": Peu de jours auparavant, la Noue avoit failli une entreprise sur Niort, qui fust descouverte par les faux freres (Estoile, 175, année 1575). Un Italien nommé le Bastardin, lieutenant de la compagnie du seigneur du Lude, aiant esté pris pour estre de l'entreprise de Poictiers, avoit esté decapité et mis en quatre quartiers dans ladite ville de Poictiers (Estoile, 195, année 1575). De ces entreprises, surprises et stratagèmes des Huguenos en divers lieus et contrees de la France, le Roy en recevoit tous les jours nouveaux et divers advis (Estoile, 175, année 1575).
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FEW 9, 349b, PREHENDERE: mfr. nfr. "agression, opération militaire" (15 jh. - Trév 1771; D'Aubigné); entreprise sur "attentat"; entreprise "action par laquelle on entreprend sur le bien ou sur les droits d'autrui" (Marg de Navarre, non. 42; Goub 1551); entreprinse "action de former un projet et de le mettre à exécution" (1393; B Périers), entreprise (depuis Palsg 1530); "projet" (Est 1538 - Pom 1715, aussi La Font). Hu 3, 332a-b: sens non répertoriés.

ESMEUTE, subst. fém.
"Trouble, émeute": Le vendredi XVIIIe, le Roy eut advis d'un remuement de Marseille advenu au commencement de ce mois par quarante ou cinquante hommes armés et masqués qui de nuict estoient allés à la Doane, avoient rompu les portes, poix et mesures, et jetté tout en la mer, en propos de couper la gorge à tous ceux qui dès lors en avant s'entremettoient de vouloir lever la dace d'icelle Doane. L'occasion de ceste esmeute fust que la dite Doane avoit esté accordée par ceux de Marseille au Roy, pour certain temps lors expiré... (Estoile, 156, année 1575).
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FEW 3, 300b, EXMOVERE: mfr. esmuete "émoi, soulèvement populaire"; nfr. émeute "émoi, soulèvement populaire". Hu 3, 653a: pas en ce sens.

ESMOTION, subst. fém.
"Trouble, émeute": on continuait de lever et exiger tousjours ladite Doane, ce qui fust cause de ceste esmotion (Estoile, 157, année 1575). En ce temps, le Roy eust advis d'une emotion populaire survenue à Bordeaux (Estoile, 200, année 1575).
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FEW 3, 300b, EXMOVERE: mfr. esmotion "excitation" (depuis Est 1538, 525); "émeute" (Bouchet); "ébranlement" (Du Vair); nfr. émotion "soulèvement populaire" (17e-18e s., vieilli au l9e s.). Hu 3, 655a: "agitation"; un seul exemple emotion civile. Lexique Ch. fr.: "émeute, soulèvement".

EXQUERRE <EXQUERIR>, verbe trans.
"rechercher": c'est un moien de rechercher et exquerir leur mort (Estoile, 158, année 1575). Et cependant (le roy) exquiert tous moiens de faire argent en toutes sortes que ses ingenieux peuvent pourpenser (Estoile, 158, année 1575).
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FEW 2/2, 1408b, QUAERERE: afr. mfr. esquerre "fouiller, examiner, parcourir" (12e s. - Froissart); afr. "rechercher, faire une enquête sur". Hu 3, 789a: exquerre.

REMUEMENT, subst. masc.
"Trouble, émeute": Remuement à Marseille. - Le Vendredi XVIIIe, le roy eust advis d'un remuement de Marseille advenu au commencement de ce mois par quarante ou cinquante hommes armés et masqués qui de nuict estoient allés à la doane, avoient rompu les portes, poix et mesures, et jetté tout en la mer, en propos de couper la gorge à tous ceux qui dès lors en avant s'entremettoient de voloir lever la dace d'icelle Doane (Estoile, 156, année 1575).
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FEW 6/3, 504b, MUTARE: nfr. "trouble excité dans un pays" (depuis d'Aubigné). Hu 6, 484a: "agitation". Cf. aussi esmotion.

La confection de ce glossaire, comme d'autres, ne va pas sans difficultés, et des mots résistent à une interprétation absolument sûre et univoque. Tel est le cas, par exemple, d'ingenieux dans la seule occurrence qu'il présente, dont l'essai d'interprétation me semble riche d'enseignements:

INGENIEUX, subst. masc.
"conseiller (aux finances?)": Et ce pendant exquiert (i.e. le roi) tous moiens de faire argent en toutes sortes que ses ingenieux peuvent pourpenser... (Estoile, 158, 1575).

Ni le Huguet (3, 21), ni le Godefroy (3, 171a), ni le FEW (4, 686a, sous INGENIUM), ne présente d'exemple d'ingenieux substantivé dans une acception satisfaisante pour notre exemple. Le contexte permet de penser qu'il s'agit des conseillers du roi qui mettent toutes les ressources de leur esprit (pourpenser) pour alimenter ses finances. Et effectivement, dans ce qui suit, sous le titre ironique Devotions d'argent mal agreables, qui fait pendant à celui du paragraphe précédent Devotions du Roy, Pierre de l'Estoile évoque tous les expédients imaginés par le roi pour trouver de l'argent:

L'on peut donc hésiter entre

[Suite]


Notes

5. C'est le lieu d'observer ici une des caractéristiques de Huguet lexicographe, qui donne souvent des mots un sens général, comme il le fait aussi pour l'expression de grande menee.