Actes des Journées "Dictionnaires électroniques des XVIe-XVIIe s.",
Clermont-Ferrand, 14-15 juin 1996
M.-L. Demonet, "Pour une édition électronique de la Briefve Declaration de Rabelais"

4. Les modèles

Les sondages effectués dans les sources possibles permettent de retenir quatre modèles formels:
  1. les dictionnaires et lexiques (alphabétiques): Nebrija, Estienne, Calepino, les encyclopédies médiévales et les premiers lexiques humanistes (Guarino de Vérone, Nestor de Novarre, Alde Manuce, etc.).
  2. les commentaires de langue (thématiques): sur le latin (Valla, Perotti, Dolet) et le grec (Budé, et les Adages d'Erasme).
  3. les commentaires sur les oeuvres littéraires dont les modèles sont Servius (mentionné dans la Briefve Declaration), et Donat. Ils sont à distinguer des précédents car ils suivent expressément l'ordre du texte commenté. Leur modèle est celui de l'exégèse scripturaire, déjà parodié dans le Sefer ha-baqbuq auquel Levi ben Gerson avait adjoint un commentaire. Ils ont pour caractéristique l'arbitraire des choix car le commentateur ne glose que ce qui l'intéresse et ne se sent nullement tenu à l'exhaustivité. Des chapitres entiers sont laissés dans l'ombre. Ils pratiquent souvent l'alternance entre la définition-explication d'un mot et celle des phrases, expressions ou passages entiers, comme dans la Briefve Declaration. A la même époque, les commentaires de Rémi Belleau et Marc-Antoine de Muret sur les Amours de Ronsard élèvent ceux-ci au rang des ouvrages immortels par la pratique d'une telle exégèse.
  4. les lexiques spécialisés (alphabétiques/logiques), qui accompagnent des ouvrages savants au vocabulaire difficile. Par exemple, le glossaire de Léonard Fuchs associé à son Historia Stirpium de 1542: Explicatio quarundam vocum toto hoc opere passim occurrentium, in quibus assequendis non admodum peritus lector haerere posset[10]; l'appendice de Nebrija, déjà cité; le d'Armando de Bellovisu, De declaratione difficilium terminorum tam theologiae quam philosophiae ac logicae (1491); ou encore le Vocabularius difficilium terminorum naturalis philosophie: ac medicine epitoma, de Symphorien Champier (1506).
Il serait dommage de se limiter au seul modèle dictionnairique, d'autant plus que la comparaison avec d'autres modèles nourrit la réflexion sur le statut de l'analyse linguistique pendant la première moitié du XVIe siècle. La détermination du rôle que jouent les auteurs dans le développement d'une langue savante et littéraire sera facilitée par la consultation d'une base de textes du XVIe siècle (celle de FRANTEXT complétée par celle de Clermont-Ferrand) qui donnera des indications complémentaires sur les usages contemporains.

Conclusion

Ce projet d'édition risque de perdre les quelques pages de la Briefve Declaration dans une masse d'informations issues de corpus hétérogènes. Une navigation rationnelle devrait éviter ce défaut et limiter la consultation à l'essentiel. La Briefve Declaration servira d'entrée burlesque dans le monde harmonieux de l'ordre alphabétique, sans interdire au lecteur d'explorer le texte normalement, page après page. La combinaison des deux types de lectures confirmera ou non l'hypothèse qui est la nôtre, que ce texte offre l'exemple rare d'un pamphlet lexicographique.

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Notes

10. Sur la relation entre le livre de Fuchs et le Tiers Livre de Rabelais, voir Demonet 1996a.