CENSURE ET INTERNET
par

Antoine Barbier Bouvet

Séminaire internet de Sciences-Po
(Paul Mathias)
2000/2001


 
Depuis quelques années, Internet n'est plus seulement un moyen privilégié pour une communauté de scientifiques d'échanger des informations, d'accéder à des bases de données ou encore d'organiser des forums. Le « phénomène Internet » a transformé le réseau des réseaux en un formidable instrument de communication ouvert tant aux professionnels qu'au grand public. C'est une véritable révolution : chaque citoyen peut désormais propager ses opinions dans un espace public de délibération, à l'échelle du monde, sans passer par aucune des structures traditionnelles.La parole politique n'est plus monopolisée par les partis, les lobbies, les plus riches, mais se répand grâce à des relais de plus en plus influents : organisations non gouvernementales, forums de discussions, newsgroups et association de toute nature. Internet nourrit donc « une vie démocratique plus ouverte et plus participative » ( Lionel Jospin, allocution du 1er décembre 1999La véritable nouveauté de l'internet n'est donc ni technique, ni économique, elle est démocratique : pour la première fois les citoyens ont accès à l'expression publique.

  L'arrivée de ces nouvelles modalités d'expression bouleverse donc en profondeur les règles du jeu démocratique. Cette e-démocratie suscite passion et inquiétude : faut-il réguler cet espace de  liberté qu'est l'Internet ? Si oui, quels sont alors la nature et le degré des contraintes que les Etats peuvent imposer à leurs citoyens dans l'espace mondial dérégulé des réseaux ? Ces interrogations suscitent de vifs débats étant donné qu'elles concernent un des droits le plus sacré du citoyen. Dans un premier temps, nous présenterons brièvement la liberté d'expression et les limites qui découlent d'un exercice abusif de ce droit (I). Ensuite, nous verrons les enjeux politiques d'une régulation de cette liberté sur le réseau au travers des différentes conceptions qui s'opposent(II). Enfin, on soulignera la censure féroce de certains Etats autoritaires et les moyens techniques de résistance dont disposent les dissidents (III). 
 

I- La liberté d'expression 

  La liberté d'expression est l'un des droits les plus fondamentaux de notre démocratie. Il est doté d'une valeur constitutionnelle dans la plupart des Etats démocratiques. Aux Etats-Unis, il est garanti par le premier amendement. En France, il est mentionné comme « un des droits le plus précieux », dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789, partie intégrante du bloc de constitutionnalité dont le Conseil Constitutionnel assure le respect (décision du CC du 16 juillet 1972). Il est également consacré au niveau international par de nombreux textes, à portée obligatoire (Convention Européenne des Droits de l'Homme de 1950, le pacte international de 1966 relatif aux droits civils et politiques·) ou non (Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948).
Article 10 CEDH : Toute personne a le droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières.

  Cependant, cette liberté n'est pas absolue et il existe des limites à son exercice consacrées par ces textes.  En effet, comme tous les droits, ce droit trouve sa limite dans l'atteinte aux droits d'autrui ou du fait de de se retouver en contradiction avec les valeurs que veut défendre la société, comme l'ordre public et les bonnes mțurs. On parle alors d'abus de la liberté d'expression, abus que l'on rencontre sur Internet.
   Atteintes aux droits individuels d'autrui.
  On prendra deux exemples parfaitement représentatifs, l'un concernant la protection de la vie privée, l'autre le droit d'auteur. 
D'une part, la liberté de faire circuler des données sur les réseaux ne doit pas porter atteinte au droit des personnes de s'opposer à la collecte, au traitement ou à la circulation des données nominatives les concernant.(cf l'affaire Altern, publication de photos d'Estelle Halliday sans son accord). Ainsi donc, l'utilisateur d'Internet se trouve limité dans son droit à faire circuler l'information quand celle-ci contient des éléments suceptibles de porter atteintes à la vie privée d'autrui. D'autre part, la liberté d'expression est également limitée par la loi sur la propriété littéraire et artistique (cf l'affaire Napster). Pour diffuser ou reproduire des extraits d'une țuvre protégée et la faire circuler sur Internet, il est nécessaire d'obtenir l'autorisation de l'auteur (sauf exception : copie réservée à l'usage privé/« fair use » en droit américain.
  Atteintes à l'ordre public et aux bonnes mțurs.
  C'est le cas lorsque les informations publiées sont  considérées comme diffamatoires ou injurieuses ou que le message présenté est violent, pornographique ou de nature à porter gravement atteintes à la dignité humaine. La conception de l'ordre public et des bonnes mțurs varie selon les Etats, ainsi elle est beaucoup plus largement entendue en France qu'aux Etats-Unis, où la protection du premier amendement est hautement valorisée . 

  Les abus dans l'exercice de cette liberté fondamentale existent donc bel et bien sur Internet comme l'illustre les exemples récents, que ce soit celui de la publication d'idées négationnistes, celui de la diffusion d'images pédophiles ou d'atteintes à la vie privée. Le développement de ces pratiques inacceptables et de ces comportements illicites, facilités par les spécificités techniques et la dimension mondiale du réseau amène un certain nombre d'acteurs (responsables politiques, organisations non gouvernementales et simples citoyens) à s'interroger sur la nécessité d'une régulation de l'Internet qui tienne pleinement compte des spécificités de cet espace virtuel. 
 

II- Nature et degré d'une net-régulation 

A/ Les enjeux d'une régulation : un débat virulent.

  Face à ces abus, l'idée d'une régulation fait l'unanimité. Cependant des divergences profondes interviennent quant à la nature et au degré de cette régulation.  Deux conceptions s'opposent: 
- celle selon laquelle les dangers et les dérives d'une éventuelle censure régulatrice, via des autorités nationales et supra-nationales,  remettraient fondamentalement en cause les principes sur lesquels repose initialement Internet (liberté d'échange et gratuité) 
- celle selon laquelle il vaut mieux une régulation, même imparfaite, que pas de contrôle du tout au nom du respect des droits d'autrui et de la protection d'un ordre public international.

1-Une régulation institutionnelle et marchande.
  Cette dernière conception est défendue par un courant qui regroupe à la fois les pouvoirs publics, les leaders d'opinions et quelques grandes multinationales de l'Internet marchand. Ce courant considère qu'il existe un vide juridique, un "no man's land" normatif, préjudiciable, qu'il faut combler pour ne pas laisser régner l'anarchie.Les législations et autorités existantes (dans le "monde réel") pour réprimer l'abus de l'utilisation de l'information, les excès de la liberté d'expression et la protection de la vie privée et des données personnelles ne sont plus suffisantes dans le "monde virtuel". L'idée étant qu'il faut une protection spécifique pour un moyen de communication spécifique. Cette nouvelle régulation doit obligatoirement passer par une large coopération internationale entre les Etats notamment par la conclusion d'accords de courtoisie afin que la décentralisation des serveurs n'aboutisse pas à vider les réglementations de leurs contenus et que les décisions de justice soient réellement contraignantes à l'étranger. 
  Les tenants de cette conception considère que l'autorégulation par les utilisateurs eux-mêmes, qui existait à l'origine d'Internet, est insuffisante (un chercheur qui ne respectait pas la "nétiquette" se voyait exclut de la communauté). Ils considèrent que celle-ci n'est plus transposable dans un système ouvert à tous, utilisé et manipulé par des individus peu scrupuleux. C'est pourquoi, à celle-ci, doit s'ajouter une régulation par  les pouvoirs publics. C'est la position du gouvernement en 1999 (année charnière pour les censeurs de l'Internet), pour qui l'Internet relève nécessairement d'une "corégulation", autorégulation et régulation étant complémentaires.

2-Le sursaut citoyen.
  Cette conception n'est pas partagée par tous. Une autre position est soutenue par un mouvement que l'on pourrait qualifier de citoyen. En effet, les internautes-citoyens de la Cité Internet s'oppose à toute volonté d'encadrer la liberté d'expression sur Internet, soutenant que cette régulation condamnerait forcément des honnêtes gens à l'"ostracisme". Tel le mouvement anti-OMC, ce mouvement est une ramification d'associations citoyennes telles que la Coordination Permanente des Medias Libres* (qui rassemble des dizaines de Webzines francophones, des associations de webmestres indépendants comme minirezo, et des hébergeurs à but non lucratif dont Altern.org) , IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire), article 11 et  la Défaite de l'Internet ou encore Caméléon. Sur le web anglophone c'est la "Electronic Frontier Foundation" qui est le véritable chien de garde du premier amendement. 
  Ce mouvement dénonce la "diabolisation" d'Internet, les descriptions apocalyptiques qui en sont faîtes, et les soi-disant hordes innombrables d'ennemis patentés de la démocratie et des Droits de l'Homme qui le peupleraient. Il considère que ceux qui souhaitent réguler la liberté d'expression soit, n'ont qu'une connaissance parcellaire du réseau car ils ne sont pas au contact direct de la réalité Internet (hommes politiques et soi-disant spécialistes des nouveaux médias) soit, souhaitent tout simplement la marchandisation de l'Internet sous couvert d'une labellisation des sites (grandes multinationales largement engagées dans l'Internet comme Bertelsmann et Lagardère). 
  Pour les partisans de cette lutte contre toute velleité liberticide, le "vide juridique" est un mythe anti-démocratique qui vise à légitimer une censure institutionnelle et mercantile. Ils se fondent sur le principe général du droit selon lequel tout ce qui n'est pas explicitement prohibé est permis. Par conséquent, le prétendu vide juridique n'est rien d'autre que l'exercice de la liberté. Bien au contraire, ils soulignent qu'Internet, compte tenu de ses spécificités techniques, souffre d'un excès de législations applicables. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ces personnes ne sont donc pas radicalement opposés à un encadrement juridique de la liberté d'expression en vue de sanctionner les abus, ils contestent simplement l'idée d'une autorité de régulation destinée à "définir une déontologie des contenus" et sensibilisent les législateurs sur les dérives à éviter en ce qui ce qui concerne la responsabilité sur Internet.
 

B/ Autorité de corégulation et déontologie des contenus.

Nb: le site d'IRIS présente un dossier très complet sur les cheminements d'une régulation par les pouvoirs publics français (rapports, textes de lois et amendements etc.), les textes auquels je me réfère dans cette sous-partie s'y trouvent.

1-La mise en place d'une corégulation.
  En réaction à l'affaire Altern et suite à un rapport du Conseil d'Etat de 1998 et au sommet mondial des régulateurs de l'internet organisé par le CSA, Lionel Jospin a confié au député Christian Paul une mission d'étude pour la création d'un "organisme de corégulation" (et non une autorité indépendante de régulation "inadaptée aux caractéristiques du réseau"). Cet organisme, associant acteurs publics (les autorités de régulation françaises concernées par l'internet) et privés (éditeurs de contenus, techniciens et simples utilisateurs ), sera "un lieu d'échange", n'aura pas de pouvoir de sanction, ni de réglementation, mais sera chargé de la "déontologie des contenus". Corollaire obligatoire de ce concept de déontologie des contenus, l'idée d'une labellisation des sites fait son chemin complétant les logiciels de filtrage existants. Les sites seraient ainsi en quelque sorte "homologués" par l'autorité de corégulation.
  Cette idée en réalité n'est pas nouvelle, plusieurs organismes, largement financés par de gros consortiums privés, essaient depuis longtemps de mettre en place ce système de filtrage. Nous citerons à titre d'exemple le plus célèbre d'entre eux, le RSACi (Recreational Software Advisory Council's Internet) géré par l'ICRA (Internet Content Rating Association). Son filtre équipe déjà en série Microsoft Explorer et Netscape (soit 95% des navigateurs, bien que rien n'oblige leurs utilisateurs à activer le filtrage). Au niveau européen,  l'INCORE (Internet Content Rating for Europe) a été mise en place sous l'impulsion de l'Union Européenne qui encourage "le développement d'un environnement favorable à l'industrie de l'Internet".
  Enfin, soulignons que l'Australie est le premier pays démocratique à remettre entre les mains d'une instance "indépendante", l'Australian Broadcasting Authority (équivalent du CSA), le contrôle de l'internet. Cette régulation des contenus a pour objectif de protéger les enfants et les personnes sensibles de la pornographie, de l'incitation à la haine et autres contenus illégaux ou immoraux via une classification des sites web sur le modèle des films vidéos et l'établissement d'une liste noire des sites "hors la loi"...

2-Les critiques et les craintes du mouvement "anti-régulation".
  ...Pour Electronic Frontier Australia: "C'est une véritable  censure sous couvert de protection des enfants. Les sites illégaux sont de toute façon déjà contrôlés et poursuivis par des lois et des services judiciaires en place. Pourquoi rajouter une "régulation" aussi floue ? », d'autant qu'elle induit « dommages collatéraux » au développement de l'internet et surcoûts aux professionnels du commerce électronique. Et d'ajouter que « cette loi ne marchera tout simplement pas » (il est techniquement possible de contourner la censure, que l'on soit internaute lambda ou webmaster d'un site porno). 
  La plupart des associations reprennent ces arguments. Elles considèrent que ce n'est pas Internet qu'il faut réguler mais la liberté d'expression qu'il faut protéger, notamment en adaptant la justice à ce nouveau domaine d'expression publique. Car les "citoyens doivent "répondre devant la loi" et devant personne d'autre. Selon elles, les problèmes liés à l'utilisation d'Internet doivent rester du domaine des tribunaux et non relevé d'un quelconque organisme censeur.
  Les critiques fusent également en ce qui concerne le procédé même de filtrage qui recèle des dangers (cf pour plus de détails article de François Archimbaud) notamment du fait de leur inefficacité, puisqu'ils n'interdisent pas par forcément l'accès aux sites "inconvenants" et surtout qu'ils bloquent sur des critères simplistes (ainsi des sites d'infos sur le sida ou le cancer du sein peuvent se retrouver censurés).
  Mais c'est surtout le détournement de la labellisation de sa vocation originelle qui fait peur aux anti-régulateurs. En effet, ils craignent que soient sur-représentés les pouvoirs publics, les professionnels et marchands dans l'éventuel organisme de corégulation. Ce ne sera donc plus une "censure morale/éthique" mais  une censure à la fois économique ( les multinationales maîtresses des fournisseurs d'accès pourront bloquer l'accès à des concurrents et privilégier leurs filiales + risque de constituer un nouvel outil de protectionnisme), politique (cf dans logiciels de filtrage l'option "activisme") ou encore mercantile (privilégier les sites marchands sur les sites bénévoles afin de faire disparaitre le Web indépendant et non marchand). Pour eux donc, plus que moraux, les enjeux sont surtout économiques. Ils rappellent d'ailleurs que ce n'est pas un hasard si les bailleurs de fonds du lobbying ICRA ont pour nom Microsoft, Aol, Bertelsmann ou encore IBM. L'INCORE est financé quant à lui par Microsoft  et la filiale e-business de MCI WorldCom. Enfin, les anti-régulateurs craignent qu'à terme un site qui n'est pas encore labellisé ne soit pas accessible (sauf si option "aucun filtrage") et qu'on aboutisse par conséquent à une sorte de régime d'autorisation préalable.
 

C/ La responsabilité des contenus: de l'affaire Altern à l'affaire Yahoo.

 1- L'affaire Altern, dans laquelle un hébergeur a été tenu pour responsable des contenus édités par un site qu'il hébergeait, a suscité une vaste mobilisation sur l'Internet et dans les médias. Le mouvement anti-régulation a crié au loup: cette décision de justice transforme obligatoirement les hébergeurs en nouveaux censeurs. Ces derniers sont, par conséquent, considérés comme aptes pour juger de la légalité des sites qu'ils hébergent.  Ils auront tendance à supprimer des sites dès qu'ils auront un doute (ou même reçu une simple protestation) puisque s'ils censurent, ils ne risquent rien, même si la mesure est abusive, alors que sinon ils pourraient éventuellement être poursuis.  C'est la négation directe des droits de la défense, l'institution d'une présomption de culpabilité et l'impossibilité pour chacun de défendre sa liberté d'expression devant la justice, seule apte à apprécier la légalité d'un contenu. La vague de protestation qui a suivi  a incité le gouvernement à intégrer dans la loi de1986 relative à liberté de communication audiovisuelle un amendement proposé par le député Patrick Bloche.
  Aux Etats-Unis, c'est en 1996 que la Cour suprême avait dénoncé comme contraire au premier amendement lle Communication Decency Act qui visait à poursuivre les hébergeurs. L'association Global Internet Liberty, qui défend la liberté et l'autorégulation d'internet, avait alors parlé "d'une décision qui aura un impact profond autour de la planète". C'est pourtant seulement en 2000, que cette décision se repercutera en France, après l'électrochoc de l'affaire Altern.

 2- L'amendement Bloche a donné lieu à un certain nombre d'aller et retour entre l'Assemblée Nationale et le Sénat.(cf dossier d' IRIS) pour finalement être adopté le 28 juin 2000 par l'Assemblée Nationale après une intervention du Conseil Constitutionnel allant dans le bon sens. L'hébergeur n'est plus tenu pour responsable des contenus a priori (et il n'a donc plus vocation à surveiller l'intégralité des contenus qu'il héberge). Il peut uniquement être responsable a posteriori, s'il refuse de se soumettre à l'avis d'un juge pour censurer un contenu. Le Conseil Constitutionnel  a déclaré comme contraire à la Constitution la disposition qui tenait, également, a posteriori pour responsable l'hébergeur qui n'ont pas procédés aux "diligences appropriées" après avoir été saisi par un tiers estimant qu'un contenu est illicite ou lui cause un préjudice. Disposition qui ouvrait de nouveau la porte à une "censure préalable et sur simple demande" et qui permettait de nouveau à n'importe quel sectaire, intégriste, aigri, de se plaindre auprès de l'hébergeur pour faire fermer un site qui le dérange. Cet amendement répond donc aux critiques faîtes par les associations d'utilisateurs mais seulement en partie, puisque d'autres dispositions de cet amendement instaure également, selon elles, sous la pression d'intérêts corporatistes, "un système insidieux de flicage" sur le net, véritable aubaine pour tous ceux qui font du commerce de bases de données. Cet article oblige en effet toute personne personne souhaitant s'exprimer publiquement sur le net à "tenir à la disposition du public ses nom, prénom et adresse" , et les hébergeurs à détenir ces identités et à les fournir en cas de problème et constitue une "législation d'exception".
C'est donc dorénavant l'auteur du contenu qui est tenu pour responsable. La récente directive de l'Union Européenne va dans le même.

 3-L'affaire Yahoo: L'ordonnance du 20 novembre du juge des référés du TGI de Paris, Mr Gomez, a soulevé de nouveau un rideau de protestation de la part du mouvement des internautes-citoyens. Saisi par la Ligue internationale contre le racisme(Licra) et l'Union des Etudiants Juifs de France (UEJF), puis par le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié des peuples (MRAP), le juge a confirmé la condamnation du géant américain Yahoo.Inc qui devra filtrer l'accès des internautes français à son site américain vendant aux enchères des objets nazis. Il a trois mois pour se conformer à cette décision..
  Le juge reproche à Yahoo.com, d'une part, d'autoriser sur son site d'enchères entre particuliers la présence d'objets nazis et d'autre part, de référencer des des sites négationnistes au sein d'une rubrique spécifique. Enfin, il reproche à Yahoo (plus précisemment à sa filiale Geocities) d'héberger des sites proposant Mein Kampf et le Protocole des Sages de Sion. Quant à yahoo.fr, il lui est reproché ses liens hypertextes avec Yahoo.com. Contrairement à ce que prétend l'entreprise Yahoo, le juge considère, après un rapport d'experts "mondialement reconnus" qu'il est parfaitement possible pour elle de mettre en oeuvre une procédure de filtrage efficace qui identifierait à peu près 70% des utilisateurs français (90% si yahoo fait remplir une déclaration d'honneur à ceux dont l'adresse est ambiguë).Le juge prononce, par la même occasion, une sorte d'obligation générale de veiller à liceité des sites qu'ils hébergent. 
  Le mouvement anti-régulation  dénonce  l'"aspect extrêmement approximatif, vague" de l'ordonnance  et reproche au juge Gomez sa méconnaissance en ce qui concerne le réseau des réseaux et ses réalités. Ce mouvement craint de nouveau "un délire sécuritaire", les solutions apportées par le juge pouvant conduire à des dérives dangereuses pour la démocratie et la protection de la vie privée. Pour résumer ces critiques, je citerai le très bon article du webmestre et journaliste indépendant Arno
dans lequel il souligne " l'aspect totalement disproportionné et l'impression très répressive qui se dégagent de ces ordonnances." Il considère que le juge Gomez va à l'encontre des amendements Bloche puisqu'il reproche à Yahoo d'héberger des sites alors même que leur fermeture n'a pas encore été décidée par un juge. Il rétablit donc la responsabilité a priori de l'hébergeur, considérant que la société Yahoo aurait dû procéder d'elle-même à la suppression avant même l'intervention d'un juge.
  De plus, cette ordonnance entretient, selon Arno, le délire sécuritaire:"les obligations faites à Yahoo France sont délirantes (afficher un avertissement évoquant une interdiction de consultation qui n'existe pas dans notre droit) et quasiment paranoïaques (puisqu'un gamin en train de chercher des sites sur Britney Spears serait systématiquement averti que, s'il va sur Yahoo.com, sa recherche sur la chanteuse pourrait le conduire à des sites illicites). "
  Enfin les solutions techniques sont non seulement totalement inefficaces, elles sont de plus dangereuses (on ne filtre que ceux que ces informations nauséabondes n'intéressent pas et on laisse passer 100% de ceux qui voudraient contourner ce filtrage)."Le filtrage par mots clès risque de plus de nuire à des sites anti-racistes: "dans le doute on coupe tout. Tant pis pour les sites antiracistes lésés, au moins on aura coupé quelques nazis."
  "Sur le fond comme sur la forme (un procès pour « cyber-crime contre l'humanité » jugé au civil en référé !), ce jugement ne relève clairement pas de notre tradition démocratique, et encore moins d'une quelconque « raison démocratique ». 
Une chose est certaine : c'est tout sauf une victoire de la démocratie française sur l'envahisseur néo-libéral (ou libéral-libertaire) américain."

Pour  conclure, il est important de préciser que l'ensemble des associations formant ce que  j'ai qualifié le "mouvement anti-régulation et en faveur de la liberté d'expression" ne souhaitent pas être assimilés à des "libertaires". Elles critiquent ceux (notamment les médias) pour lesquels tout débat sur la liberté d'expression oppose forcément les partisans de l'application de la loi et les ultra-libertaires, qui défendraient le droit à la pédophilie au nom de la liberté d'expression. Cette réduction est beaucoup trop simpliste. Ce mouvement-citoyen est convaincu que la "démocratie doit primer sur le développement technique" et que la justice, et seulement elle, doit réprimer les abus. Il souhaite simplement être le nouveau chien de garde de cet espace de liberté d'expression  contre toutes velleités politiques et marchandes d'en contrôler le contenu. Il considère avant tout qu'il convient mieux d'éduquer et responsabiliser les internautes plutôt que de réguler et d'encadrer cette liberté fondamentale.
 
 

III- La censure et les droits de l'Homme.

A/ Autoritarisme et censure.

  Contrairement aux apparences, Internet n'est pas toujours un outil de démocratie. Le réseau des réseaux qui en principe n'admet pas de frontières fait encore peur à de nombreux états à travers le monde, symbole d'une liberté d'expression sans retenue. Dans ces pays-là, la censure fait rage et les défenseurs des droits de l'Homme tentent par tous les moyens de se faire une place sur la toile. De nombreux pays pratiquent la censure politique en utilisant des techniques de filtrage plus ou moins perfectionnées, ils rendent la connexion impossible pour les sites critiques à l'égard de leurs régimes Il est par exemple impossible d'accéder aux sites d'Amnesty International et de Human Rights Watch depuis la Chine, la Tunisie ou l'Arabie Saoudite. 
  Reporters Sans Frontières a selectionné, sur les 45 pays qui contrôlent l'accès au réseau des réseaux, les "vingt ennemis d'Internet", les plus acharnés "à dresser des lignes Maginot virtuelles". Ces pays utilisent divers moyens pour limiter l'utilisation de ce nouveau média par leurs ressortissants. Dans certains de ces pays il y a aucun accès à Internet possible (Irak, Corée du Nord, Lybie), dans d'autres, il n'existe qu'un seul opérateur, entièrement sous le contrôle des autorités (Biélorussie, Tadjikistan, Soudan). Parfois, la censure est moins directe, ainsi en Arabie Saoudite où 37 sociétés privées sont autoriséees à fournir des connexions à Internet,  tout le trafic transite par un organisme public, équipé d'un système de filtres (firewalls) interdisant l'accès à des informations contraires aux valeurs islamiques. Enfin, ce sont parfois les utilisateurs que l'on surveille: en Birmanie, tout possésseur d'ordinateur est tenu de le déclarer à l'administration, sous peine de quinze ans d'emprisonnement. En Syrie, l'accès au réseau est carrément interdit aux particuliers.
  Human Rights Watch a également épinglé huit pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient dans une étude entièrement consacrée à la censure sur Internet.
Un des responsables HRW, Eric Goldstein, considère que ces pays se lance dans une "bataille perdue". En effet, ils ne maîtriseront pas l'information comme ils l'ont fait auparavant, d'autant plus que les moyens de contourner cette censure sont nombreux.

B/ Les moyens de contourner la censure.

1- La cryptographie.
Il existe de nombreux systèmes techniques de chiffrement des informations sur Internet, qui permettent de rendre illisible les messages (e-mails).Bien qu'ils soient quasi impossible à déchiffrer, ces messages cryptés sont facilement identifiables et peuvent donc être bloqués. 

2- Le changement d'adresse IP
Pour contourner les filtres qui empêchent d'accéder à un serveur depuis l'interieur d'un pays, les serveurs peuvent modifier l'adresse IP de leur machine, voire répliquer leurs informations sur des dizaines de sites différents dits "miroirs". Une technique efficace tant que les censeurs  n'ont pas repéré la nouvelles adresse mais qui rend le site invisible à tous, le temps que le changement d'adresse se propage dans les milieux dissidents.

3- "L'art des métaphores"
Les dispositifs de filtrage de contenu sont très efficaces et toute page Internet comprenant un mot-clé sont bloqués ou renvoyés à l'expéditeur. Un moyen de contourner ce système est de se servir de métaphores pour piéger les logiciels peu doués pour les synonymes. 

4- Le recours à des relais d'anonymat.
Des serveurs jouent le rôle de leurre (tel que privacyx.com et anonymizer.com). Quand un internaute veut accéder à un site bloqué, il ira d'abord se brancher sur un de ces serveurs d'anonymat avant de demander à ce dernier d'accéder au document désiré. Celui-ci va chercher le document et le renvoie sous sa propre adresse, tandis que celle du site verouillé n'apparaît nulle part. Les serveurs officiels comme anonymizer sont parfois trop réputés et sont par conséquent facile à bloquer. Il est assez facile de mettre sur pied des serveurs d'anonymat et de nombreuses universités en disposent, plus ou moins discrétement.