Depuis quelques années, Internet n'est plus seulement un moyen privilégié
pour une communauté de scientifiques d'échanger des informations,
d'accéder à des bases de données ou encore d'organiser
des forums. Le « phénomène Internet » a transformé
le réseau des réseaux en un formidable instrument de communication
ouvert tant aux professionnels qu'au grand public. C'est une véritable
révolution : chaque citoyen peut désormais propager ses opinions
dans un espace public de délibération, à l'échelle
du monde, sans passer par aucune des structures traditionnelles.La parole
politique n'est plus monopolisée par les partis, les lobbies, les
plus riches, mais se répand grâce à des relais de plus
en plus influents : organisations non gouvernementales, forums de discussions,
newsgroups et association de toute nature. Internet nourrit donc «
une vie démocratique plus ouverte et plus participative »
( Lionel Jospin, allocution
du 1er décembre 1999) La véritable nouveauté
de l'internet n'est donc ni technique, ni économique, elle est
démocratique : pour la première fois les citoyens ont
accès à l'expression publique.
L'arrivée de ces nouvelles
modalités d'expression bouleverse donc en profondeur les règles
du jeu démocratique. Cette e-démocratie suscite passion et
inquiétude : faut-il réguler cet espace de liberté
qu'est l'Internet ? Si oui, quels sont alors la nature et le degré
des contraintes que les Etats peuvent imposer à leurs citoyens dans
l'espace mondial dérégulé des réseaux ?
Ces interrogations suscitent de vifs débats étant donné
qu'elles concernent un des droits le plus sacré du citoyen. Dans
un premier temps, nous présenterons brièvement la liberté
d'expression et les limites qui découlent d'un exercice abusif de
ce droit (I). Ensuite, nous verrons les enjeux politiques d'une régulation
de cette liberté sur le réseau au travers des différentes
conceptions qui s'opposent(II). Enfin, on soulignera la censure féroce
de certains Etats autoritaires et les moyens techniques de résistance
dont disposent les dissidents (III).
I- La liberté
d'expression
La liberté d'expression
est l'un des droits les plus fondamentaux de notre démocratie. Il
est doté d'une valeur constitutionnelle dans la plupart des Etats
démocratiques. Aux Etats-Unis, il est garanti par le premier amendement.
En France, il est mentionné comme « un des droits le plus
précieux », dans la Déclaration
des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789, partie intégrante
du bloc de constitutionnalité dont le Conseil Constitutionnel assure
le respect (décision du CC du 16 juillet 1972). Il est également
consacré au niveau international par de nombreux textes, à
portée obligatoire (Convention
Européenne des Droits de l'Homme de 1950, le pacte international
de 1966 relatif aux droits civils et politiques·) ou non (Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme de 1948).
Article 10 CEDH : Toute personne
a le droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la
liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer
des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence
d'autorités publiques et sans considération de frontières.
Cependant, cette liberté
n'est pas absolue et il existe des limites à son exercice
consacrées par ces textes. En effet, comme tous les droits,
ce droit trouve sa limite dans l'atteinte aux droits d'autrui ou du fait
de de se retouver en contradiction avec les valeurs que veut défendre
la société, comme l'ordre public et les bonnes mțurs. On
parle alors d'abus de la liberté d'expression, abus que l'on rencontre
sur Internet.
Atteintes aux droits
individuels d'autrui.
On prendra deux exemples
parfaitement représentatifs, l'un concernant la protection de la
vie privée, l'autre le droit d'auteur.
D'une part, la liberté de
faire circuler des données sur les réseaux ne doit pas porter
atteinte au droit des personnes de s'opposer à la collecte, au traitement
ou à la circulation des données nominatives les concernant.(cf
l'affaire Altern, publication de photos d'Estelle Halliday sans son accord).
Ainsi donc, l'utilisateur d'Internet se trouve limité dans son droit
à faire circuler l'information quand celle-ci contient des éléments
suceptibles de porter atteintes à la vie privée d'autrui.
D'autre part, la liberté d'expression est également limitée
par la loi sur la propriété littéraire et artistique
(cf l'affaire Napster). Pour diffuser ou reproduire des extraits d'une
țuvre protégée et la faire circuler sur Internet, il est
nécessaire d'obtenir l'autorisation de l'auteur (sauf exception
: copie réservée à l'usage privé/« fair
use » en droit américain.
Atteintes à l'ordre
public et aux bonnes mțurs.
C'est le cas lorsque les
informations publiées sont considérées comme
diffamatoires ou injurieuses ou que le message présenté est
violent, pornographique ou de nature à porter gravement atteintes
à la dignité humaine. La conception de l'ordre public et
des bonnes mțurs varie selon les Etats, ainsi elle est beaucoup plus largement
entendue en France qu'aux Etats-Unis, où la protection du premier
amendement est hautement valorisée .
Les abus dans l'exercice de
cette liberté fondamentale existent donc bel et bien sur Internet
comme l'illustre les exemples récents, que ce soit celui de la publication
d'idées négationnistes, celui de la diffusion d'images pédophiles
ou d'atteintes à la vie privée. Le développement de
ces pratiques inacceptables et de ces comportements illicites, facilités
par les spécificités techniques et la dimension mondiale
du réseau amène un certain nombre d'acteurs (responsables
politiques, organisations non gouvernementales et simples citoyens) à
s'interroger sur la nécessité d'une régulation de
l'Internet qui tienne pleinement compte des spécificités
de cet espace virtuel.
II- Nature et degré
d'une net-régulation
A/ Les enjeux d'une régulation
: un débat virulent.
Face à ces abus, l'idée
d'une régulation fait l'unanimité. Cependant des divergences
profondes interviennent quant à la nature et au degré de
cette régulation. Deux conceptions s'opposent:
- celle selon laquelle les dangers
et les dérives d'une éventuelle censure régulatrice,
via des autorités nationales et supra-nationales, remettraient
fondamentalement en cause les principes sur lesquels repose initialement
Internet (liberté d'échange et gratuité)
- celle selon laquelle il vaut mieux
une régulation, même imparfaite, que pas de contrôle
du tout au nom du respect des droits d'autrui et de la protection d'un
ordre public international.
1-Une régulation institutionnelle
et marchande.
Cette dernière conception
est défendue par un courant qui regroupe à la fois les pouvoirs
publics, les leaders
d'opinions et quelques grandes multinationales de l'Internet marchand.
Ce courant considère qu'il existe un vide juridique, un "no man's
land" normatif, préjudiciable, qu'il faut combler pour ne pas laisser
régner l'anarchie.Les législations et autorités existantes
(dans le "monde réel") pour réprimer l'abus de l'utilisation
de l'information, les excès de la liberté d'expression et
la protection de la vie privée et des données personnelles
ne sont plus suffisantes dans le "monde virtuel". L'idée étant
qu'il faut une protection spécifique pour un moyen de communication
spécifique. Cette nouvelle régulation doit obligatoirement
passer par une large coopération
internationale entre les Etats notamment par la conclusion d'accords
de courtoisie afin que la décentralisation des serveurs n'aboutisse
pas à vider les réglementations de leurs contenus et que
les décisions de justice soient réellement contraignantes
à l'étranger.
Les tenants de cette conception
considère que l'autorégulation par les utilisateurs eux-mêmes,
qui existait à l'origine d'Internet, est insuffisante (un chercheur
qui ne respectait pas la "nétiquette" se voyait exclut de la communauté).
Ils considèrent que celle-ci n'est plus transposable dans un système
ouvert à tous, utilisé et manipulé par des individus
peu scrupuleux. C'est pourquoi, à celle-ci, doit s'ajouter une régulation
par les pouvoirs publics. C'est la position
du gouvernement en 1999 (année
charnière pour les censeurs de l'Internet), pour qui l'Internet
relève nécessairement d'une "corégulation", autorégulation
et régulation étant complémentaires.
2-Le sursaut citoyen.
Cette conception n'est pas
partagée par tous. Une autre position est soutenue par un mouvement
que l'on pourrait qualifier de citoyen. En effet, les internautes-citoyens
de la Cité Internet s'oppose à toute volonté d'encadrer
la liberté d'expression sur Internet, soutenant que cette régulation
condamnerait forcément des honnêtes gens à l'"ostracisme".
Tel le mouvement anti-OMC, ce mouvement est une ramification d'associations
citoyennes telles que la Coordination Permanente des Medias Libres* (qui
rassemble des dizaines de Webzines francophones, des associations de webmestres
indépendants comme minirezo,
et des hébergeurs à but non lucratif dont Altern.org) , IRIS
(Imaginons un réseau Internet solidaire), article
11 et la Défaite
de l'Internet ou encore Caméléon.
Sur le web anglophone c'est la "Electronic
Frontier Foundation" qui est le véritable chien de garde du
premier amendement.
Ce mouvement dénonce
la "diabolisation" d'Internet, les descriptions apocalyptiques qui
en sont faîtes, et les soi-disant hordes innombrables d'ennemis patentés
de la démocratie et des Droits de l'Homme qui le peupleraient. Il
considère que ceux qui souhaitent réguler la liberté
d'expression soit, n'ont qu'une connaissance parcellaire du réseau
car ils ne sont pas au contact direct de la réalité Internet
(hommes politiques et soi-disant spécialistes des nouveaux médias)
soit, souhaitent tout simplement la marchandisation de l'Internet sous
couvert d'une labellisation des sites (grandes multinationales largement
engagées dans l'Internet comme Bertelsmann et Lagardère).
Pour les partisans de cette
lutte contre toute velleité liberticide, le "vide juridique"
est un mythe anti-démocratique qui vise à légitimer
une censure institutionnelle et mercantile. Ils se fondent sur le principe
général du droit selon lequel tout ce qui n'est pas explicitement
prohibé est permis. Par conséquent, le prétendu vide
juridique n'est rien d'autre que l'exercice de la liberté. Bien
au contraire, ils soulignent qu'Internet, compte tenu de ses spécificités
techniques, souffre d'un excès de législations applicables.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ces personnes ne sont
donc pas radicalement opposés à un encadrement juridique
de la liberté d'expression en vue de sanctionner les abus, ils
contestent simplement l'idée d'une autorité de régulation
destinée à "définir une déontologie des contenus"
et sensibilisent les législateurs sur les dérives à
éviter en ce qui ce qui concerne la responsabilité sur Internet.
B/ Autorité de corégulation
et déontologie des contenus.
Nb: le site d'IRIS présente
un dossier
très complet sur les cheminements d'une régulation par
les pouvoirs publics français (rapports, textes de lois et amendements
etc.), les textes auquels je me réfère dans cette sous-partie
s'y trouvent.
1-La mise en place d'une corégulation.
En réaction à
l'affaire Altern et suite à un rapport du Conseil d'Etat de 1998
et au sommet mondial des régulateurs de l'internet organisé
par le CSA, Lionel Jospin a confié au député Christian
Paul une mission d'étude pour la création d'un "organisme
de corégulation" (et non une autorité indépendante
de régulation "inadaptée aux caractéristiques du réseau").
Cet organisme, associant acteurs publics (les autorités de régulation
françaises concernées par l'internet) et privés (éditeurs
de contenus, techniciens et simples utilisateurs ), sera "un lieu d'échange",
n'aura pas de pouvoir de sanction, ni de réglementation, mais sera
chargé de la "déontologie des contenus". Corollaire
obligatoire de ce concept de déontologie des contenus, l'idée
d'une labellisation des sites fait son chemin complétant
les logiciels de filtrage existants. Les sites seraient ainsi en quelque
sorte "homologués" par l'autorité de corégulation.
Cette idée en réalité
n'est pas nouvelle, plusieurs organismes, largement financés par
de gros consortiums privés, essaient depuis longtemps de mettre
en place ce système de filtrage. Nous citerons à titre d'exemple
le plus célèbre d'entre eux, le RSACi (Recreational Software
Advisory Council's Internet) géré par l'ICRA
(Internet Content Rating Association). Son filtre équipe déjà
en série Microsoft Explorer et Netscape (soit 95% des navigateurs,
bien que rien n'oblige leurs utilisateurs à activer le filtrage).
Au niveau européen, l'INCORE
(Internet Content Rating for Europe) a été mise en place
sous l'impulsion de l'Union Européenne qui encourage "le développement
d'un environnement favorable à l'industrie de l'Internet".
Enfin, soulignons que l'Australie
est le premier pays démocratique à remettre entre les mains
d'une instance "indépendante", l'Australian Broadcasting Authority
(équivalent du CSA), le contrôle de l'internet. Cette régulation
des contenus a pour objectif de protéger les enfants et les personnes
sensibles de la pornographie, de l'incitation à la haine et autres
contenus illégaux ou immoraux via une classification des sites web
sur le modèle des films vidéos et l'établissement
d'une liste noire des sites "hors la loi"...
2-Les critiques et les craintes
du mouvement "anti-régulation".
...Pour Electronic
Frontier Australia: "C'est une véritable censure sous couvert
de protection des enfants. Les sites illégaux sont de toute façon
déjà contrôlés et poursuivis par des lois et
des services judiciaires en place. Pourquoi rajouter une "régulation"
aussi floue ? », d'autant qu'elle induit « dommages collatéraux
» au développement de l'internet et surcoûts aux professionnels
du commerce électronique. Et d'ajouter que « cette loi ne
marchera tout simplement pas » (il est techniquement possible de
contourner la censure, que l'on soit internaute lambda ou webmaster d'un
site porno).
La plupart des associations
reprennent ces arguments. Elles considèrent que ce n'est pas
Internet qu'il faut réguler mais la liberté d'expression
qu'il faut protéger, notamment en adaptant la justice à
ce nouveau domaine d'expression publique. Car les "citoyens doivent "répondre
devant la loi" et devant personne d'autre. Selon elles, les problèmes
liés à l'utilisation d'Internet doivent rester du domaine
des tribunaux et non relevé d'un quelconque organisme censeur.
Les critiques fusent également
en ce qui concerne le procédé même de filtrage qui
recèle des dangers (cf pour plus de détails article
de François Archimbaud) notamment du fait de leur inefficacité,
puisqu'ils n'interdisent pas par forcément l'accès aux sites
"inconvenants" et surtout qu'ils bloquent sur des critères simplistes
(ainsi des sites d'infos sur le sida ou le cancer du sein peuvent se retrouver
censurés).
Mais c'est surtout le détournement
de la labellisation de sa vocation originelle qui fait peur aux anti-régulateurs.
En effet, ils craignent que soient sur-représentés les pouvoirs
publics, les professionnels et marchands dans l'éventuel organisme
de corégulation. Ce ne sera donc plus une "censure morale/éthique"
mais une censure à la fois économique ( les multinationales
maîtresses des fournisseurs d'accès pourront bloquer l'accès
à des concurrents et privilégier leurs filiales + risque
de constituer un nouvel outil de protectionnisme), politique (cf dans logiciels
de filtrage l'option "activisme") ou encore mercantile (privilégier
les sites marchands sur les sites bénévoles afin de faire
disparaitre le Web indépendant et non marchand). Pour eux donc,
plus que moraux, les enjeux sont surtout économiques. Ils rappellent
d'ailleurs que ce n'est pas un hasard si les bailleurs de fonds du lobbying
ICRA ont pour nom Microsoft, Aol, Bertelsmann ou encore IBM. L'INCORE est
financé quant à lui par Microsoft et la filiale e-business
de MCI WorldCom. Enfin, les anti-régulateurs craignent qu'à
terme un site qui n'est pas encore labellisé ne soit pas accessible
(sauf si option "aucun filtrage") et qu'on aboutisse par conséquent
à une sorte de régime d'autorisation préalable.
C/ La responsabilité des
contenus: de l'affaire Altern à l'affaire Yahoo.
1- L'affaire
Altern,
dans laquelle un hébergeur
a été tenu pour responsable des contenus édités
par un site qu'il hébergeait, a suscité une vaste mobilisation
sur l'Internet et dans les médias. Le mouvement anti-régulation
a crié au loup: cette décision de justice transforme obligatoirement
les hébergeurs en nouveaux censeurs. Ces derniers sont, par conséquent,
considérés comme aptes pour juger de la légalité
des sites qu'ils hébergent. Ils auront tendance à supprimer
des sites dès qu'ils auront un doute (ou même reçu
une simple protestation) puisque s'ils censurent, ils ne risquent rien,
même si la mesure est abusive, alors que sinon ils pourraient éventuellement
être poursuis. C'est la négation directe des droits
de la défense, l'institution d'une présomption de culpabilité
et l'impossibilité pour chacun de défendre sa liberté
d'expression devant la justice, seule apte à apprécier la
légalité d'un contenu. La vague de protestation qui a suivi
a incité le gouvernement à intégrer dans la loi de1986
relative à liberté de communication audiovisuelle un amendement
proposé par le député Patrick Bloche.
Aux Etats-Unis, c'est en
1996 que la Cour suprême avait dénoncé comme contraire
au premier amendement lle Communication Decency Act qui visait à
poursuivre les hébergeurs. L'association Global Internet Liberty,
qui défend la liberté et l'autorégulation d'internet,
avait alors parlé "d'une décision qui aura un impact profond
autour de la planète". C'est pourtant seulement en 2000, que cette
décision se repercutera en France, après l'électrochoc
de l'affaire Altern.
2-
L'amendement Bloche a
donné lieu à un certain nombre d'aller et retour entre l'Assemblée
Nationale et le Sénat.(cf dossier d' IRIS) pour finalement être
adopté le 28 juin 2000 par l'Assemblée Nationale après
une intervention du Conseil Constitutionnel allant dans le bon sens. L'hébergeur
n'est plus tenu pour responsable des contenus a priori (et il n'a donc
plus vocation à surveiller l'intégralité des contenus
qu'il héberge). Il peut uniquement être responsable a posteriori,
s'il refuse de se soumettre à l'avis d'un juge pour censurer un
contenu. Le Conseil
Constitutionnel a déclaré comme contraire à
la Constitution la disposition qui tenait, également, a posteriori
pour responsable l'hébergeur qui n'ont pas procédés
aux "diligences appropriées" après avoir été
saisi par un tiers estimant qu'un contenu est illicite ou lui cause un
préjudice. Disposition qui ouvrait de nouveau la porte à
une "censure préalable et sur simple demande" et qui permettait
de nouveau à n'importe quel sectaire, intégriste, aigri,
de se plaindre auprès de l'hébergeur pour faire fermer un
site qui le dérange. Cet amendement répond donc aux critiques
faîtes par les associations d'utilisateurs mais seulement en partie,
puisque d'autres dispositions de cet amendement instaure également,
selon elles, sous la pression d'intérêts corporatistes, "un
système insidieux de flicage" sur le net, véritable aubaine
pour tous ceux qui font du commerce de bases de données. Cet article
oblige en effet toute personne personne souhaitant s'exprimer publiquement
sur le net à "tenir à la disposition du public ses nom, prénom
et adresse" , et les hébergeurs à détenir ces identités
et à les fournir en cas de problème et constitue une "législation
d'exception".
C'est donc dorénavant l'auteur
du contenu qui est tenu pour responsable. La récente directive
de l'Union Européenne va dans le même.
3-L'affaire
Yahoo:
L'ordonnance
du 20 novembre du juge des référés du TGI de Paris,
Mr Gomez, a soulevé de nouveau un
rideau de protestation de la part du mouvement des internautes-citoyens.
Saisi par la Ligue internationale contre le racisme(Licra) et l'Union des
Etudiants Juifs de France (UEJF), puis par le Mouvement contre le racisme
et pour l'amitié des peuples (MRAP), le juge a confirmé la
condamnation du géant américain Yahoo.Inc qui devra filtrer
l'accès des internautes français à son site américain
vendant aux enchères des objets nazis. Il a trois mois pour se conformer
à cette décision..
Le juge reproche à
Yahoo.com, d'une part, d'autoriser sur son site d'enchères entre
particuliers la présence d'objets nazis et d'autre part, de référencer
des des sites négationnistes au sein d'une rubrique spécifique.
Enfin, il reproche à Yahoo (plus précisemment à sa
filiale Geocities) d'héberger des sites proposant Mein Kampf et
le Protocole des Sages de Sion. Quant à yahoo.fr, il lui est reproché
ses liens hypertextes avec Yahoo.com. Contrairement à ce que prétend
l'entreprise Yahoo, le juge considère, après un rapport d'experts
"mondialement reconnus" qu'il est parfaitement possible pour elle de mettre
en oeuvre une procédure de filtrage efficace qui identifierait à
peu près 70% des utilisateurs français (90% si yahoo fait
remplir une déclaration d'honneur à ceux dont l'adresse est
ambiguë).Le juge prononce, par la même occasion, une sorte d'obligation
générale de veiller à liceité des sites qu'ils
hébergent.
Le mouvement anti-régulation
dénonce l'"aspect extrêmement approximatif, vague" de
l'ordonnance et reproche au juge Gomez sa méconnaissance en
ce qui concerne le réseau des réseaux et ses réalités.
Ce mouvement craint de nouveau "un délire sécuritaire", les
solutions apportées par le juge pouvant conduire à des dérives
dangereuses pour la démocratie et la protection de la vie privée.
Pour résumer ces critiques, je citerai le très bon article
du webmestre et journaliste indépendant Arno
dans lequel il souligne " l'aspect
totalement disproportionné et l'impression très répressive
qui se dégagent de ces ordonnances." Il considère que
le juge Gomez va à l'encontre des amendements Bloche puisqu'il reproche
à Yahoo d'héberger des sites alors même que leur fermeture
n'a pas encore été décidée par un juge. Il
rétablit donc la responsabilité a priori de
l'hébergeur, considérant que la société Yahoo
aurait dû procéder d'elle-même à la suppression
avant même l'intervention d'un juge.
De plus, cette ordonnance
entretient, selon Arno, le délire sécuritaire:"les obligations
faites à Yahoo France sont délirantes (afficher un avertissement
évoquant une interdiction de consultation qui n'existe pas dans
notre droit) et quasiment paranoïaques (puisqu'un gamin en train de
chercher des sites sur Britney Spears serait systématiquement averti
que, s'il va sur Yahoo.com, sa recherche sur la chanteuse pourrait le conduire
à des sites illicites). "
Enfin les solutions techniques
sont non seulement totalement inefficaces, elles sont de plus dangereuses
(on ne filtre que ceux que ces informations nauséabondes n'intéressent
pas et on laisse passer 100% de ceux qui voudraient contourner ce filtrage)."Le
filtrage par mots clès risque de plus de nuire à des sites
anti-racistes: "dans le doute on coupe tout. Tant pis pour les sites
antiracistes lésés, au moins on aura coupé quelques
nazis."
"Sur le fond comme sur
la forme (un procès pour « cyber-crime contre l'humanité
» jugé au civil en référé !), ce jugement
ne relève clairement pas de notre tradition démocratique,
et encore moins d'une quelconque « raison démocratique ».
Une chose est certaine : c'est
tout sauf une victoire de la démocratie française sur l'envahisseur
néo-libéral (ou libéral-libertaire) américain."
Pour conclure, il est important
de préciser que l'ensemble des associations formant ce que
j'ai qualifié le "mouvement anti-régulation et en faveur
de la liberté d'expression" ne souhaitent pas être assimilés
à des "libertaires". Elles critiquent ceux (notamment les médias)
pour lesquels tout débat sur la liberté d'expression oppose
forcément les partisans de l'application de la loi et les ultra-libertaires,
qui défendraient le droit à la pédophilie au nom de
la liberté d'expression. Cette réduction est beaucoup trop
simpliste. Ce mouvement-citoyen est convaincu que la "démocratie
doit primer sur le développement technique" et que la justice, et
seulement elle, doit réprimer les abus. Il souhaite simplement être
le nouveau chien de garde de cet espace de liberté d'expression
contre toutes velleités politiques et marchandes d'en contrôler
le contenu. Il considère avant tout qu'il convient mieux d'éduquer
et responsabiliser les internautes plutôt que de réguler et
d'encadrer cette liberté fondamentale.
III- La censure
et les droits de l'Homme.
A/ Autoritarisme et censure.
Contrairement aux apparences,
Internet n'est pas toujours un outil de démocratie. Le réseau
des réseaux qui en principe n'admet pas de frontières fait
encore peur à de nombreux états à travers le monde,
symbole d'une liberté d'expression sans retenue. Dans ces pays-là,
la
censure fait rage et les défenseurs des droits de l'Homme tentent
par tous les moyens de se faire une place sur la toile. De nombreux pays
pratiquent la censure politique en utilisant des techniques de filtrage
plus ou moins perfectionnées, ils rendent la connexion impossible
pour les sites critiques à l'égard de leurs régimes
Il est par exemple impossible d'accéder aux sites d'Amnesty
International et de Human Rights Watch
depuis la Chine, la Tunisie ou l'Arabie Saoudite.
Reporters
Sans Frontières a selectionné, sur les 45 pays qui contrôlent
l'accès au réseau des réseaux, les "vingt ennemis
d'Internet", les plus acharnés "à dresser des lignes Maginot
virtuelles". Ces pays utilisent divers moyens pour limiter l'utilisation
de ce nouveau média par leurs ressortissants. Dans certains de ces
pays il y a aucun accès à Internet possible (Irak, Corée
du Nord, Lybie), dans d'autres, il n'existe qu'un seul opérateur,
entièrement sous le contrôle des autorités (Biélorussie,
Tadjikistan, Soudan). Parfois, la censure est moins directe, ainsi en Arabie
Saoudite où 37 sociétés privées sont autoriséees
à fournir des connexions à Internet, tout le trafic
transite par un organisme public, équipé d'un système
de filtres (firewalls) interdisant l'accès à des informations
contraires aux valeurs islamiques. Enfin, ce sont parfois les utilisateurs
que l'on surveille: en Birmanie, tout possésseur d'ordinateur est
tenu de le déclarer à l'administration, sous peine de quinze
ans d'emprisonnement. En Syrie, l'accès au réseau est carrément
interdit aux particuliers.
Human Rights Watch a également épinglé huit pays
d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient dans une étude entièrement
consacrée à la censure sur Internet.
Un des responsables HRW, Eric Goldstein,
considère que ces pays se lance dans une "bataille
perdue". En effet, ils ne maîtriseront pas l'information comme
ils l'ont fait auparavant, d'autant plus que les moyens de contourner cette
censure sont nombreux.
B/ Les moyens de contourner la
censure.
1- La cryptographie.
Il existe de nombreux systèmes
techniques de chiffrement des informations sur Internet, qui permettent
de rendre illisible les messages (e-mails).Bien qu'ils soient quasi impossible
à déchiffrer, ces messages cryptés sont facilement
identifiables et peuvent donc être bloqués.
2- Le changement d'adresse IP
Pour contourner les filtres qui
empêchent d'accéder à un serveur depuis l'interieur
d'un pays, les serveurs peuvent modifier l'adresse IP de leur machine,
voire répliquer leurs informations sur des dizaines de sites différents
dits "miroirs". Une technique efficace tant que les censeurs n'ont
pas repéré la nouvelles adresse mais qui rend le site invisible
à tous, le temps que le changement d'adresse se propage dans les
milieux dissidents.
3- "L'art des métaphores"
Les
dispositifs de filtrage de contenu sont très efficaces et toute
page Internet comprenant un mot-clé sont bloqués ou renvoyés
à
l'expéditeur. Un moyen de contourner ce système est de se
servir de métaphores pour piéger les logiciels peu doués
pour les synonymes.
4- Le recours à des relais
d'anonymat.
Des serveurs jouent le rôle
de leurre (tel que privacyx.com et
anonymizer.com).
Quand un internaute veut accéder à un site bloqué,
il ira d'abord se brancher sur un de ces serveurs d'anonymat avant de demander
à ce dernier d'accéder au document désiré.
Celui-ci va chercher le document et le renvoie sous sa propre adresse,
tandis que celle du site verouillé n'apparaît nulle part.
Les serveurs officiels comme anonymizer sont parfois trop réputés
et sont par conséquent facile à bloquer. Il est assez facile
de mettre sur pied des serveurs d'anonymat et de nombreuses universités
en disposent, plus ou moins discrétement.