La Réglementation de l'Internet
Regulating Cyberspace ?
Matthieu PROTARD et François-Régis GONON

La question de la réglementation de l'Internet alimente des débats passionnés, parfois même déraisonnables. Réseau transcendant les clivages traditionnels de la territorialité et de la souveraineté des Etats, l'Internet nourrit des inquiétudes quant à sa maitrîse que certains n'envisagent qu'au travers du prisme de la régulation ; terme qui d'ailleurs tend à être galvaudé sur le Net. Aux antipodes de cette revendication se trouvent les tenants d'un cyberespace enfin débarrassé des assauts réglementaires : ce qui d'ailleurs vient nourrir l'image d'une cyber-anarchie.

Comme le reconnaît le rapport du Conseil d'Etat de juillet 1998, sur lequel nous reviendons plus tard, l'Internet est un nouvel espace d'expression humaine, non seulement international mais encore hétérogène. Ce nouvel espace de liberté n'est à ce jour sous la tutelle d'aucun opérateur ni d'aucun Etat. Néanmoins l'Internet n'est pas une zone numérique de non-droit, loin s'en faut. Bien au contraire il va s'agir de tordre le coup aux idées par trop répandues selon lesquelles le droit n'a pas sa place dans le cyber-monde. En effet comme nous allons vous le montrer, l'Internet est non seulement régi par une architecture technique complexe et décentralisée, en même temps que se développe un embryon de coopération internationale, mais est également soumis aux arsenaux juridiques déjà existants, qu'ils soient nationaux, régionaux ou internationaux.
 

I. - L' "INTERNET GOVERNANCE" :
Quid d'une CyberConstitution ou d'une Charte Fondamentale des Réseaux ?
 

Malgré la volonté de quelques esprits de la mouvance anarcho-libértaire d'endiguer la contamination juridique de l'Internet (telle est l'ambition de la Declaration of Digital Independance), force est de reconnaître que le "réseaux des réseaux" est d'ores et déjà encadré par une sorte d'auto-régulation par ses acteurs.
 

Le thème de l'autorégulation de l'Internet a fait l'objet de plusieurs développements; partant de cette diversité des sources, quelques sites ont tenté d'offrir une grille de lecture de cette problématique de l'autorégulation de l'Internet : Bibliographie autour du thème Internet Self Regulation.
Egalement, le site de la John Marshall Law School.
 

1.2 - La CyberSouveraineté ou le Rejet du Droit.
 

En l'état actuel, l'Internet doit son auto-régulation à son architecture décentralisée, et technique qui accapare 99% de la régulation, le 1% restant relevant de la compétence d'une multitude d'organisations de tutelle. Telle est la thèse de deux chercheurs : The Self-Governing Internet : Coordination by Design
 

Toujours est-il que la spécificité de l'Internet, réseau par essence décentralisé, polymorphe et d'origine universitaire, en fait un réseau difficilement compatible avec les schémas classiques de réglementation ou de régulation : telle est la thèse de Dov Wisebrod in "Controlling the Uncontrollable : Regulating the Internet".
 

Plus généralement la tendance est à la responsabilisation du citoyen-internaute, plutôt qu'à l'érection de myriades de réglementations contraignantes :

    - Idée d'une plus grande reponsabilité parentale

    - D'où des programmes logiciels d'assistance au filtrage des contenus :
                - Information Highway Parental Empowerment Group
                - Logiciel de filtrage SoftWatch
 

Plusieurs organismes militent d'ailleurs pour un maintien et un renforcement de l'autodiscipline du Net:

-Programme "OneNet Campaign" du Computer Professionals for Social Responsibility (7 principes pour une ère Internet).
-Principes du Code déontologique de la Nétiquette. Mais il existe autant de Nétiquettes que de newsgroups.
-D'autres vont jusqu'à pousser la logique de l'autodiscipline jusqu'au-boutisme :    Exemple des CyberAngels.Mais cette privatisation du contrôle de l'Internet n'est pas sans soulever des critiques.
-Ou encore illustration avec les Virtual Magistrates dont une première décision a déjà été rendue.
 

Plus globalement l'essor de la "Self-Regulation" et des techniques d'auto-sanctions nourrit des inquiétudes ; d'ailleurs certains mouvements se sont radicalisés au point de se fédérer pour promouvoir une liberté pleine et entière de l'Internet :
- L'anti-Régulation du Center for Democracy and Technology
- Le Projet "Global Internet Liberty Campaign"
 

1.2 - Les alternatives à la  Self Governance : la tutellisation et la coopération internationale.
 

Néanmoins, certains internautes osent reconnaître la nécesité d'injecter quelques grains de sable réglementaires pour préserver la communauté des internautes des comportements parasitaires d'un petit nombre d'utilisateurs peu soucieux de la cyber-civilité.
 

D'autres acteurs tentent de réfléchir aux futurs développements de l'Internet et proposent, non sans provoquer de vives critiques,  une réorganisation hiérarchique de l'Internet : tel est l'objectif du Global Internet Project.
Cela signifierait naturellement une tutelle organisationnelle de l'Internet à un niveau international.
 

Par ailleurs suit son chemin l'idée d'accompagner l'auto-régulation du réseau d'un renforcement de la coopération transnationale. Et telle est l'idée retenue par le Conseil d'Etat dans son rapport de juillet 1998 : c'est à dire d'une complémentarité entre la "Soft Law" (comme les codes de conduite), et la "Hard Law" d'inspiration réglementaire.
C'est ainsi que le Gouvernement français fut l'initiateur au sein de l'OCDE d'une proposition pour une Charte de Coopération Internationale sur Internet.
 

II) La réglementation du contenu du CyberSpace se fera par adaptation des règles existantes
 

    Internet représente un nouvel espace international d'expression humaine qui 
transcende les frontières. C'est un espace décentralisé qu'aucun opérateur ni aucun Etat ne peut maîtriser entièrement. C'est un espace hétérogène où chacun peut agir, s'exprimer et travailler librement. 

    Cet espace n'est pas naturellement celui du droit. Celui-ci, d'application territoriale, s'appuie sur des comportements et des catégories homogènes et stables qui font défaut dans le cas d'internet. Cet antagonisme avec le droit aurait, selon certains, favorisé l'essor initial du réseau, celui-ci étant libre de contraintes hormis celles fixées par les scientifiques à l'origine de sa création. 

    Au-delà de la mise en place de régulateurs du réseau, la majorité des acteurs 
politiques et économiques réclament au moins la fixation de règles destinées à 
contrôler le contenu de l'internet. 

    Pragmatisme oblige, il faut d'ailleurs remarquer que ce sont des professionnels du droit qui, les premiers, ont mis en place des forums de refléxion sur le contrôle du contenu. 

- les avocats: 
    Robert Carolina de chez Clifford Chance , Law firm anglaise qui a créé son site dès 1995 et qui s'efforce de présenter un panorama complet de l'état du droit anglais en la matière; 
    Alain Benssoussan, avocat parisien spécialisé en droit des nouvelles technologies, site créé en 1994. 

-les experts: 
    Blandine Poidevin, site créé en 1996. 

Puis, au travers des différents thèmes abordés, nous verrons que, pour la France, la réaction gouvernementale a été beaucoup plus tardive puisque cela fait seulement un an qu'un site officiel a été créé au sujet des problèmes liés a l'internet. En consultant ce site, on s'aperçoit d'ailleurs que les premiers rapports publics ne datent que de 1996. 

 Concrètement, de multiples problèmes juridiques se posent dans le cadre de la transposition des règles existantes à l'internet. Par exemple, on peut penser à: 
- l'internet et l'emploi de la langue française
- la publicité et internet; 
- au jeu sur internet (internet gambling); 

Mais, plus en fait, 5 problèmes juridiques majeurs se posent aujourd'hui: 

1) la protection des données personnelles et de la vie privée sur les réseaux (autre exposé à venir); 

2) La sécurisation et l'adaptation des règles de la transaction électronique, qui conditionnent le développement du commerce et de l'initiative privée sur Internet; 

3) La valorisation de la propriété intellectuelle, nécessaire à l'apparition de nouveaux contenus sur le réseau; 

4) la lutte contre les contenus et les comportements illicites, afin de faire des réseaux des espaces de "civilité" (autre exposé à venir); 

5) la cyberfiscalité ou l'emprise des Etats sur la réseau; 

Seuls les points 2, 3 et 5 seront développés ici: 

2.1 -  La sécurisation et l'adaptation des règles de la transaction électronique

Quel droit du commerce électronique? 

L'exemple de l'Etat du Utah au USA avec le Digitalized Signature Act de 1998 

Question: faut-il être aussi catégorique et dire que notre arsenal juridique est suffisant? 
Par exemple, certains aspects de la cryptologie sont critiqués. 

La réglementation française en matière de cryptologie: 
- Définition et  principes techniques
- multiplicité des textes;
- glossaire

Le droit actuel de la cryptologie est-il adapté aux utilisateurs d'Internet? 
- Lex Electronica; rappel de la loi de l'Etat du Utah aux USA 
- Encryption privacy
 

Conclusion partielle 

 La confidentialité des échanges, assurée par le chiffrement des messages, est également essentielle pour rassurer les acteurs. Le cadre légal de la cryptologie doit s'efforcer de trouver un juste équilibre entre les besoins des acteurs et les préoccupations de sécurité publique. Ceci suppose une libéralisation des instruments de cryptologie, mais aussi la mise en place d'un dispositif derecouvrement des clés de chiffrement adéquat et, si possible,harmonisé au plan international. 

L'accueil réservé au nouveau dispositif légal issu de la loi du 26 juillet 1996 et de ses décrets d'application et la nécessité d'évaluer le nouveau dispositif ont conduit le Gouvernement à annoncer une vaste consultation sur ce sujet à la fin de l'année 1998, notamment en ce qui concerne le système des "tiers de clés de chiffrement des messages cryptés. Certains assouplissements de la réglementation pourraient être envisagés, visant notamment à permettre à des organismes professionnels, à des fournisseurs d'accès et à des administrateurs de réseau de jouer le rôle de "tiers de séquestre".

A plus long terme, le maintien du système des "tiers de séquestre" ne sera cependant possible que si d'autres Etats, notamment au sein de l'Union européenne, retiennent un dispositif analogue. Un dispositif de recouvrement des clés de chiffrement doit, en tout état de cause, être maintenu.

Le rapport Lorentz de février 1999 sur le commerce éléctronique.
 

2.2 -  La valorisation de la propriété intellectuelle
 

 Les régimes juridiques actuels des Etats sur  la propriété intellectuelle (i.e. littéraire et artistique, et industrielle) ne paraissent pas devoir être remis en cause par le développement des réseaux. Le droit américain et les droits des Etats européens ont juste cherché à s'adapter à ce nouveau mode de communication.

Notons à cet égard l'adoption en France de la loi du 1er juillet 1998, inspirée d'une directive européenne, sur la protection juridique des bases de données.

Les propositions en matière de propriété littéraire et artistique doivent viser à trouver un équilibre entre les aspirations légitimes des auteurs, dont les droits doivent être préservés dans l'environnement des réseaux, l'intérêt économique des entreprises, notamment à l'égard de leurs auteurs salariés, et enfin la préoccupation tout aussi justifiée de ceux qui veulent maintenir une certaine liberté d'accès à la culture et à l'information, et qui souhaitent tirer parti des potentialités offertes par l'Internet à cet égard.

Trois problèmes doivent toutefois être résolus. Les deux premiers sont  communs à l'ensemble de la propriété intellectuelle, alors que le dernier est spécifique à la propriété littéraire et artistique.

1) Le problème le plus aigu est celui de la contrefaçon : il appartient aux titulaires de droits de mettre en oeuvre des moyens communs pour y  remédier, avec l'appui des pouvoirs publics. En matière littéraire et artistique, les mécanismes  techniques de protection et d'identification des oeuvres devraient sensiblement restreindre la contrefaçon.

Il conviendra également d'inciter, notamment par le jeu de la responsabilité civile et  pénale, les fournisseurs d'accès et d'hébergement à bloquer préventivement l'accès aux contenus contrefaisants lorsqu'ils sont saisis à cet effet par les titulaires de droits.

En matière musicale, le débat est particulièrement intense sur les risques posés par Internet en matière de copies illégales.

Dépêche Reuters du  9 février 1999 (site: www.findlaw.com)
 

[02/09] EU copyright debate mixes glamour, high tech

  STRASBOURG, Feb 9 (Reuters) - The European Parliament mixed glamour with high technology on Tuesday as it thrashed out how to vote on hotly contested legislation designed to deter pirates from plundering music, films, photos or text from the Internet. Italian actress Claudia Cardinale, French composer Jean-Michel Jarre, Spanish conductor Luis Cobos and Irish music group The Corrs held a news conference in one room to press the parliament to adopt strong copyright protection.

  At the same time, Eurodeputies argued in another room over whether the measures those performers advocated would benefit starving artists or just big U.S. record companies. The parliament is set to vote on Wednesday on a directive to update European Union copyright law to take account of new technologies such as the Internet, CD-ROMS and video on demand.

The legislation has provoked intense lobbying, pitting groups representing copyright holders against telecoms companies, equipment manufacturers, Internet service providers and consumer groups. However, the music industry -- tired of illegal Internet music sites and wary of digital technology allowing consumers to make perfect copies of recordings --  supports the amendment.

                                                       Last Updated: 02/09/99 14:48 EST


2) La deuxième difficulté est celle de la détermination de la loi applicable et du tribunal compétent en cas d'atteinte à un droit de propriété intellectuelle (notamment en cas de contrefaçon). Il est proposé de retenir la solution vers laquelle s'oriente la jurisprudence actuellement, c'est-à-dire la loi et le  tribunal du (ou des) pays de réception, pour la part du préjudice subi dans chacun d'entre eux.

 Cependant, pour éviter la multiplication des procès, il faudrait donner au titulaire de droits lésé la faculté de saisir un tribunal, autre que celui du lieu du pays d'émission, qui serait reconnu compétent pour  réparer l'intégralité du préjudice subi au plan mondial (ou, à tout le moins,  européen).

3)  En troisième lieu, des adaptations apparaissent nécessaires en ce qui  concerne les exceptions au droit  d'auteur et tout particulièrement la copie privée : le principe légal selon  lequel celle-ci est présumée autorisée pourrait être conservé, tout  en permettant aux titulaires de droits de l'interdire par une mention expresse sur leur site.

Les titulaires de droits seraient néanmoins incités à ne pas s'opposer à la copie privée, car ils bénéficieraient du mécanisme légal de "rémunération pour copie privée". Celle-ci serait financée par la redevance existante, qui serait étendue à tous les  supports d'enregistrement.

3) Internet: cyberfiscalité ou cyberparadis fiscal?

Problématique vue de France et des USA.

La fiscalité est au carrefour de divers intérêts : la souveraineté des  Etats, la compétitivité des acteurs et la sécurité du consommateur. Il apparaît pour la France que des adaptations importantes des règles fiscales seront requises. C'est en particulier le cas pour la TVA, dont le prélèvement est très affecté par le développement de transactions portant sur des biens "dématérialisés".

Des indications sont données sur les principales voies à explorer en vue d'adapter la
 fiscalité au commerce électronique :qualification juridique des biens "dématérialisés" ; harmonisation  des règles de territorialité pour la TVA en retenant le lieu de consommation du service pour la taxation des services offerts par un prestataire établi à l'extérieur de l'Union européenne.

La tendance aux Etats-Unis est de rejeter l'idée d'un impôt "internet" et de favoriser l'adoption de règles fédérales allant dans ce sens.
- la tax cybrary
- l'impact de l'Internet Tax Freedom Act
- les mouvements libertaires (Internet Tax Fairness Coalition )
 

Conclusion

Citations du rapport du Conseil d'Etat sur internet (juillet 1998):

La philosophie générale de ce rapport pourrait être résumée dans l'objectif de faire des réseaux numériques un espace de "civilité mondiale", la civilité étant "l'art de vivre bien ensemble".

 - Tout d'abord, contrairement à ce que l'on entend parfois, l'ensemble de la législation existante s'applique aux acteurs d'Internet, notamment les règles de protection du consommateur et celles qui garantissent le respect de l'ordre public. Il n'existe pas et il n'est nul besoin d'un droit spécifique de l'Internet et des réseaux : ceux-ci sont des espaces dans lesquels tout type d'activité peut être pratiqué et toutes les règles régissant un  domaine particulier (publicité, fiscalité, propriété intellectuelle,...) ont vocation à s'appliquer.

 - Les réseaux numériques transfrontières induisent une modification substantielle des modes de régulation habituels des pouvoirs publics : d'une part, la réglementation d'origine étatique doit désormais se combiner avec l'autorégulation des acteurs, c'est-à-dire l'intervention de ceux-ci pour décliner les principes de la  règle de droit dans des environnements non prévus par celle-ci, et pour agir de façon préventive contre la commission d'infractions.

    D'autre part, compte tenu des limites inhérentes à toute initiative purement nationale, la coopération  internationale des Etats est nécessaire pour faire respecter  l'intérêt public dans un espace  largement dominé par l'initiative privée. En d'autres termes, Internet  et les réseaux introduisent une double interdépendance, entre acteurs publics et privés, entre Etats eux-mêmes, ce qui rend toute politique en la matière très  complexe à élaborer et à mettre en oeuvre.

 - Le Gouvernement français doit définir  des orientations stratégiques communes assurant la cohérence des positions françaises dans les diverses négociations internationales concernant Internet et les  réseaux numériques (OCDE, CNUDCI, OMC, OMPI, Conseil de l'Europe...). Le dispositif actuel de coordination sur ce sujet paraît insuffisant au regard des enjeux en  cause et de la multiplicité des enceintes de négociation, que ce soit pour la définition des orientations générales ou le suivi au  quotidien des travaux internationaux.