L'éducation dans l'internet
Yannick Philipbert
Institut d’Etudes Politiques de Paris
L’internet : Enjeux de théorie politique
Conférence de Paul Mathias 
2000/2001

Depuis près de 40 ans, le philosophe Michel Serres est un propagateur passionné de l’éducation du futur. L’e-education, traduction française du terme e-learning ( formulation de la communauté européenne qui concerne plus précisément l’apprentissage ), dont le glissement sémantique traduit la volonté de s’opposer à la " marchandisation ", consacrerait " une nouvelle aube ", la naissance d’un "  nouvel humanisme ". En effet, selon le philosophe, ce que nous vivons aujourd’hui est de l’ordre de ce que fut la " Renaissance ", porteuse elle-aussi d’un humanisme à travers le support de l’imprimerie. Il y aurait donc bien une révolution.

Peut-on souscrire à un tel optimisme, lorsqu’il est question d’un développement de plus en plus massif dans le cadre des NTIC ( nouvelles technologies de l’information et de la communication ) des TICE ( technologies de l’information et de la communication éducatives ) et surtout des NTE ( nouvelles technologies de l’éducation ), qui se distinguent des TICE par leur caractère désormais communiquant ?

Si l’e-education s’annonce bien comme une révolution porteuse d’espoir, elle n’en interroge pas moins la société et ses différents acteurs.

I. Par rapport à l’éducation traditionnelle, l’e-education peut apparaître comme une révolution.

  1. L’e-education englobe une multitude de pratiques.
Ce qui frappe avant tout lorsqu’il est question d’e-education, c’est le foisonnement incontestable et la diversité des pratiques qui y sont liées.

1) On ne compte plus les nouvelles expérimentations des TICE dans le cadre scolaire et universitaire.

En classe, les applications sont nombreuses. Certains éditent un cédérom où ils racontent la vie et l’histoire de leur commune. D’autres créent un site Internet pour publier en ligne un travail collectif : un exemple. Ailleurs, on a recours aux logiciels spécialisés en mathématiques ou en sciences de la vie. Plus loin, on a créé un réseau avec plusieurs écoles ou collèges pour permettre les échanges entre les élèves. Ici, on initie à l’utilisation de la messagerie électronique. Là, on fait un usage quotidien des logiciels de bureautique ou de la recherche sur Cdroms. Là-bas, Internet est intégré dans toutes les recherches documentaires. La mode la plus récente semble être à l’intégration des cartables électroniques

2) Des expérimentations qui se développent hors du cadre scolaire.

Pourtant, aujourd’hui, les expérimentations des TICE dans le domaine de l’éducation dépassent de plus en plus le simple cadre de l’institution scolaire ou universitaire : du bénévole le plus dévoué au commercial le plus intéressé se sont emparés de la " niche " Internet pour proposer leurs services. 

De plus en plus d’entreprises proposent des cours en ligne, des échanges d’information et des documents à distance : un exemple.

Les sites d’aide scolaire ou parascolaire ? un exemple - inondent donc le net et vont en nombre croissant au fur et à mesure que la Toile étend ses ramifications dans tous les secteurs d’activité. Il en existe de tous les genres : des gratuits ou des payants ( voire très payants ) , des bien faits, relativement exhaustifs et interactifs, et des mal " bidouillés ", aussi indigents que peu intéractifs. Les " cyberprofs " qui officient sur ces sites se distinguent du simple professeur " internaute ", enseignant ordinaire faisant classe à des élèves en chair et en os mais qui ne craint pas d’utiliser parfois Internet pour enrichir ses cours et les rendre plus attractifs. Contrairement à cet enseignant, le " cyberprof " ne fait pas face à des élèves mais à un clavier d’ordinateur. Bénévole ou rétribué, en poste ou à la retraite, plus ou moins diplômé, il attend les jeunes en difficulté pour les aider au mieux.

Dans quelle mesure peut-on dire justement que les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont porteuses de véritables bouleversements ?

B. La révolution pédagogique.

Quelques articles sur la révolution pédagogique.

L’histoire de l’éducation est peuplée d’innovations technologiques censées révolutionner la pédagogie et oubliées ou rendues à leur marginalité une fois que l’effet de mode est passé. " Chaque génération de technologies entre dans le système porteuse de promesses souvent démesurées mais opportunément oubliées dès que survient la génération suivante ", signalent ainsi Serge Pouts-Lajus et Marielle Riché-Magnier, de l’observatoire des technologies de l’éducation en Europe, dans L’Ecole, l’état des savoirs, sous la direction d’Agnes Van Zanten. 

Il pourrait en être autrement avec les NTIC. 

1) Fondamentalement, l’arrivée des nouvelles technologies modifie effectivement le rapport avec les élèves. 

a) De manière conjoncturelle d’abord.

Tous les enseignants témoignent du surcroît de motivation chez les enfants lorsque, d’une manière ou d’une autre, le cours intègre les nouvelles technologies. "  Le fait de pouvoir produire quelque chose donne du sens aux activités scolaires " note Jean-Pierre Archambault, membre de la cellule veille technologique du Centre national de documentation pédagogique ( CNDP ). Pour l’écriture et la lecture au primaire, l’effet est indéniable, rappelé par exemple dans le Livre blanc sur l’opération Graine de multimédia, expérience réalisée par Microsoft auprès de18 écoles. En effet, " dans le cas de la production d’écrit, avoir à sa disposition via le Web ou la messagerie de vrais lecteurs donne du sens au travail, aux efforts de réécriture…On peut diffuser sur papier ou via un journal d’école traditionnel les productions des classes, mais symboliquement le Web élargit et favorise les retours. Il y a encore plus d’enjeux à écrire " pour de vrai " à destination d’authentiques lecteurs ".

b) De manière structurelle ensuite et de façon beaucoup plus forte. 

Les nouvelles technologies bousculent le maître qui perd sa place d’unique détenteur des connaissances. " L’enseignant n’est plus forcément en position de savoir plus, et avant les élèves. Il peut savoir en même temps. Le rapport au savoir, donc aux élèves en sortira bouleversé ", analyse Jacques Colomb, directeur du département didactique des disciplines à l’Institut national de recherche pédagogique ( INRP ).

2) Globalement, il en ressort une modification de la pédagogie.

La multiplicité des sources de connaissances, l’importance de la recherche et du traitement de l’information modifient la relation pédagogique. Le modèle du cours magistral en ressort fragilisé. " L’école française a toujours considéré qu’il n’existait qu’une seule forme d’enseignement : le travail en classe, où un professeur s’adresse à tous les élèves à la fois. Le maître est considéré comme la source essentielle de la vérité de la connaissance. Sa mission est la transmission des savoirs, beaucoup plus que leur construction ", indique Guy Pouzard, auteur de plusieurs rapports sur la question. " Les nouvelles technologies, et en premier lieu Internet, pourront faire évoluer cette conception. Et favoriser le passage de la 1ere forme d’enseignement, traditionnelle, à la seconde, plus proche du modèle anglo-saxon. Il faut alors transmettre les savoirs tout en les construisant, donc donner plus de responsabilités aux élèves dans leur apprentissage ", poursuit-il. 

Cette modification est réelle. Des travaux conduits aux Etats-Unis, à partir d’un échantillon de " classes branchées " soulignent ainsi l’importance du changement. "  Dans une classe où l’on pratique la transmission des connaissances, l’activité est le plus souvent la prérogative de l’enseignant. C’est lui qui a la liberté de bouger, d’amorcer des actions et des interactions, de planifier l’emploi du temps et des ressources et de poser les questions. (…) Les élèves sont la plupart du temps des auditeurs passifs. Dans une classe où l’on favorise la construction des connaissances, à l’inverse, l’activité et la liberté sont des privilèges qu’à tout le moins on partage avec les élèves. ", analysent les auteurs ( Judith Haymore Sandholtz, Cathy Ringstaff et David Owyer, La classe branchée, CNDP ).

On retrouve là le modèle ancien de la pédagogie active, à une différence toutefois : les nouvelles technologies entrent à l’école, soutenues par les parents et une très forte demande sociale, contrairement à la pédagogie active, restée le fait de quelque militants.

Cette révolution ( simple évolution par rapport au concept de pédagogie active ) ne sera pas sans conséquences sur l’organisation du système éducatif, les horaires, la disposition des classes, la répartition des élèves. Le travail en groupe et l’interdisciplinarité pourraient en sortir renforcés, de même le suivi individualisé des élèves en serait facilité. 

C. La révolution des connaissances et du rapport au savoir.

Il s’agit d’une révolution en ce sens qu’elle oriente vers l’apprentissage de capacités plus que de certitudes.

Nos connaissances scientifiques et techniques sont multipliées par 2 tous les 8 ou 10 ans et la menace est grande que les contenus enseignés aujourd’hui soient rapidement dépassés. C’est là l’une des facettes de la crise actuelle de l’enseignement scolaire.

Une question peut dès lors se poser : à quoi bon alors faire siennes des connaissances alors qu’instantanément toutes les informations du monde sont disponibles en quelques clics. Quelques exemples : ressources en ligne, Lettres, XVIIe siècle, histoire-géo. Cependant, tous les spécialistes s’accordent sur le fait que l’on ne peut apprendre " à vide ", même si l’essentiel est d’apprendre à apprendre. On entre dans les savoirs que par des contenus, aussi datés soient-ils. 

Il est certain que ces " outils " que sont les nouvelles technologies n’entretiennent jamais un rapport de neutralité avec les contenus. L’ordinateur bouscule des enseignements élaborés pendant 4 siècles et en impose d’autres dont les contours commencent à peine à s’esquisser : un exemple pour se plonger dans les savoirs de demain. L’humanité a déjà connu plusieurs bouleversements de cette ampleur. Pierre Lévy ( Qu’est-ce-que le virtuel ?, in World philosophie ) : " Le premier , c’est l’invention de l’écriture, qui a donné une mémoire au langage. Le second, c’est la mise au point de l’alphabet, grâce auquel l’écriture devient universelle et permet l’émergence d’une connaissance universelle. Bien plus tard, il y a l’imprimerie, qui permet l’explosion des sciences expérimentales. La mise à disposition de données qu’il n’est plus nécessaire de recopier autorise à se concentrer sur l’observation…. A toutes ces époques charnières comme aujourd’hui, les modes de raisonnement se transforment inévitablement. Aujourd’hui, la simulation informatique permet de dépasser le logique cartésienne. En faisant bouger des milliers de variables, on change le rapport aux résultats scientifiques. Un résultat n’est plus vrai ou faux, il est plus ou moins pertinent par rapport à un modèle relatif ". 

Comme le souligne Edgar Morin, une nouvelle étape est ainsi franchie :  " les sciences nous ont fait acquérir beaucoup de certitudes, mais nous ont également révélé au cours du XXe d’innombrables domaines d’incertitude. L’enseignement devrait comporter un enseignement des incertitudes qui sont apparues dans les sciences physiques, les sciences de l’évolution biologique et les sciences historiques…Il est nécessaire que tous ceux qui ont la charge d’enseigner se portent aux avant-postes de l’incertitude de notre temps ". Ce n’est pas tant l’apprentissage de certitudes que la capacité à construire et déconstruire des savoirs qui devient essentielle avec les NTIC

Dans ce contexte, les briques de la connaissance ( Joël de Rosnay ), le " lire-écrire-compter " de base de nos civilisations modernes serait rendu encore plus nécessaire du fait de ces évolutions. A une limite près toutefois : notre lecture devra en effet intégrer aussi la " lecture " des images, la gestion de l’hypertexte, le tri des informations et plus que jamais savoir les replacer pour leur donner du sens. Comme le préconise Edgar Morin, dans Les 7 savoirs nécessaires à l’éducation du futur ( 2000, Seuil ), " il est nécessaire de développer l’aptitude naturelle de l’esprit humain à situer toutes ces informations dans un contexte et un ensemble. Il est nécessaire d’enseigner les méthodes qui permettent de saisir les relations mutuelles influences réciproques entre parties et tout dans un monde complexe ". Enseigner revient alors offrir aux élèves la capacité à donner du sens aux flots d’informations disponibles. Les analyses de Roger Chartier, historien du livre et de la culture écrite, sur ce qu’il advient de la " culture écrite à l’heure de la communication numérique des connaissances " confirment du reste que nous serions à la veille d’un nouveau changement, d’une nouvelle organisation de la lecture. Le livre électronique, la " page écran " se distinguent du monde réel imprimé par l’absence de rapport porteur de sens ( induit par la matérialité des livres, des journaux, des tracts…. ), mais aussi de hiérarchies ( auteurs, époques, supports ). Au contraire, livre électronique introduit une équivalence de tous les documents. 

Dans un monde changeant, il est en effet nécessaire de contextualiser ce qu’on apprend. Pour être mieux à même de mesurer la portée d’une information, il faut être capable de faire des liens comme sur Internet. Pour Joël de Rosnay, " il faut intégrer les données dans les informations, les informations dans les savoirs et les savoirs dans la connaissance, afin que les informations 1eres se transforment en un ensemble, cohérent, porteur de sens, et permettent d’éviter l’infopollution. Sinon, la révolution de l’information ne sert à rien ". 

C’est au prix de l’apprentissage de cette capacité à contextualiser l’information diffusée sur Internet que pourra être surmonté le cloisonnement artificiel de l’enseignement scolaire des disciplines. Comme le rappelle Pierre Lévy, le savoir du " cybermonde " est le produit de l’ensemble des interactions entre les gens. L’information d’Internet, n’obéissant à aucun cloisonnement disciplinaire artificiel, rendrait mieux compte de la complexité de la nature. Comme le rappelle Edgar Morin, "  l’être humain est à la fois physique, biologique, psychologique, culturel, social, historique. C’est une unité complexe de la nature humaine qui est complètement désintégrée dans l’enseignement, à travers les disciplines, et il est aujourd’hui impossible d’apprendre ce que signifie être humain, alors que chacun, où qu’il soit, devrait prendre connaissance et conscience à la fois du caractère complexe de son identité et de son identité commune avec tous les autres êtres humains ". 

Plus qu’une simple évolution, il semble bien qu’on puisse parler des NTE en termes de révolution, même si sur certains points ( cf : pédagogie active ) elles ne font qu’amplifier des évolutions déjà en cours. Ces technologies ne sont pourtant pas sans poser des questions.
 
 

II. Le débat autour de l’e-education.

Le développement apparemment inéluctable des TICE a conduit à poser les termes du débat essentiellement en termes d’optimisation de la réception et de l’adaptation à la révolution TICE au risque d’éluder certains débats plus vifs. Il ne s’agit aucunement de prétendre à une meilleure compréhension des enjeux de l’e-education que " ceux qui nous gouvernent ", sinon d’affirmer que certaines questions gagneraient à être davantage débattues et considérées au niveau politique.

A. Le débat tel qu’il est posé : comment optimiser la réception et l’adaptation aux NTE ?

Il est acquis que les NTE ( nouvelles technologies de l’éducation ) et Internet font leur entrée en force dans l’école. Tous les lycées sont aujourd’hui connectés, 91% des collèges et 40% des écoles. Le dernier sondage de France Télécom montre une évolution rapide, sur 3 ans, de l’intérêt des parents, des élèves et des enseignants. En 2000, 91% des enseignants pensent que l’introduction de l’Internet à l’école a été profitable aux élèves, contre seulement 50% en 1988 ( 79% et 47% pour les parents, 49% et 31% pour les élèves ). 

Face à l’inéluctabilité de ce qui peut apparaître comme une révolution, le débat s’est centré sur l’optimisation de l’adaptation de la société au NTE.

1) Les problèmes actuellement considérés et les pistes envisageables.

Le premier problème ainsi apparu est celui des équipements. Un taux de connexion ne dit pas grand chose de la réalité d’accès, de la formation des personnels non seulement à leur utilisation privée, mais surtout à leur utilisation pédagogique avec des élèves. Les questions de maintenance, de renouvellement restent largement posées. C’est d’ailleurs une des entrées possibles des sponsors. Face aux insuffisances financières de l’Etat et des collectivités locales, le risque est grand de voir de grandes entreprises " offrir généreusement leur services. Reste surtout ce qu’il est convenu d’appeler la " fracture numérique ", expression qui renvoie au taux d’équipement des ménages ( et à leur capacité de renouvellement face aux évolutions incessantes ) qu’à la compréhension et à l’utilisation de ces outils et dont on peut espérer qu’elle ne subira pas le même sort que la fracture sociale. 

La seconde question est celle des "  nouveaux acteurs pédagogiques ". Si jusqu’à présent, on a assisté au développement de formes numériques de pratiques pédagogiques connues, si encore trop souvent le produit multimédia annoncé ne se révèle qu’une compilation de documents imprimés ( agrémenté de quelques liens ), il faut bien reconnaître que les recherches en cours produisent d’ores et déjà des outils véritablement performants, capables d’analyser la réaction de l’élève et ses erreurs et, à partir de là, de varier ses techniques d’enseignement. Ceci exige la synthèse de compétences techniques de haut niveau et de recherches didactiques et pédagogiques. 

Surtout, c’est l’usage des NTE ( individuel ou collectif, dans un cadre familial ou dans un contexte d’apprentissage ) qui peut en changer radicalement les missions. Or, si les expériences et les études ne manquent pas, elles restent souvent à un niveau trop réduit. Il semble par exemple évident que les NTE changent la pédagogie par leur côté intéractif, leur dimension à la fois individuelle et collective. Dans de nombreuses écoles primaires, il semble que l’on assiste à une relance des pédagogies coopératives ( type Freinet ). Dans le secondaire, Guy Pouzard s’interroge sur la fin de " la classe simultanée et présentielle ". Quant aux développements des universités en ligne, la France semble vouloir rattraper son retard par rapport aux Américains. Tout cela évolue, mais la recherche sur les implications fondamentales de ces évolutions est très en retard.

Quelques pistes apparaissent pourtant.

L’introduction des NTE pourrait avoir ainsi pour conséquences des changements de structures : comment, en effet, concilier une forte hiérarchisation de l’Education nationale, y compris dans le domaine des savoirs, avec un fonctionnement en réseau qui semble destructeur des hiérarchies ? Le métier d’enseignant pourrait en être profondément transformé. Il est de bon ton d’opposer l’enseignant d’aujourd’hui au médiateur de demain. Cela signifie-t-il qu’il sera moins formé, moins exigeant, moins nécessaire ? Diane Laurillard de l’Open University affirme qu’il faudra autant d’enseignants, de personnels d’assistance. Au contraire, faudrait-il passer à une nouvelle étape en matière de formation des maîtres, des enseignants. L’enseignant ne serait plus ce " quelqu’un qui enseigne quelque chose à quelqu’un dans un contexte donné " mais désormais ce  " quelqu’un qui apprend quelque chose avec quelqu’un d’autre dans un contexte donné ". Cela impliquerait évidemment de repenser la formation des maîtres.

Porteuses de changements, les NTE contraindraient ainsi la société à une réflexion sur son adaptation à ces dernières. 

2) La réponse gouvernementale.

Considérant la révolution des NTE décisive pour l’avenir d’une société en pleine mutation, la démarche gouvernementale a été largement volontariste. 

Dès 1995, la démarche est amorcée avec la loi n°95-836 dite "  Nouveau contrat pour l’école ". Déjà le dispositif législatif prévoit, dans plusieurs de ses mesures, l’utilisation des technologies d’information et de communication ainsi que du multimédia, notamment pour l’enseignement des langues à longue distance.

Cette préoccupation prend un caractère interministériel en 1996. Une circulaire du 1er ministre lance la 1ere opération sur le thème de l’Internet pour la nation entière. Dès lors, tous les ministères mettent en place un site Internet, une dynamique est créée. La répercussion sur les services déconcentrés de l’Etat ne se fait pas attendre et les établissements scolaires sont rapidement concernés. 

A la fin 1997, un plan gouvernemental est défini, intitulé " Programme d’action gouvernemental, préparer l’entrée de la France dans la société de l’information ". Pour l’enseignement, ce programme fait ressortir parmi les 6 "chantiers " qui le composent, plusieurs axes de développement. Le 1er de ces chantiers est intitulé :  " Les nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement ". Il répond à un double objectif :

  • donner aux futurs citoyens la maîtrise de nouveaux outils de communication qui leur sont indispensables ;
  • mettre les richesses du multimédia au service de la modernisation pédagogique.
Il s’agit donc, après avoir introduit modestement les nouvelles technologies, de viser l’ensemble des établissements scolaires. A cette fin, la globalité du système éducatif est pris en compte. Au-delà de ces nouveaux outils, ce sont des pratiques nouvelles pour les enseignants et les élèves qui vont se développer, en d’autres termes : enseigner à l’aide de ce que l’on nomme désormais les TICE. Dans ce but, l’accent est mis non seulement sur la formation des personnels enseignants mais également sur celle des personnels d’encadrement. Par ailleurs, le principe même des TICE amène à penser plus globalement, les limites de la classe étant repoussées bien plus loin. Un vaste dispositif de mutualisation et d’échange est mis en place : il s’agit d’un réseau décentralisé nommé Educnet sur lequel vont se raccrocher tous les établissements d’enseignement. Enfin, la démarche est conduite au sein de chaque académie selon un plan qui se veut cohérent et équilibré.

L’activité des équipes pédagogiques va s’orienter vers la production de ressources numériques. Tout cela dans une perspective de mutualisation et d’échange. Le site baptisé Educasource, prévu par le programme gouvernemental, est un guide d’accès à ces ressources. Dans ce but, les services de documentation seront équipés et la diffusion directe par les enseignants encouragés.

La mutation que connaît la société est ainsi plus que jamais lisible dans le domaine de l’éducation et dans l’un de ces canaux privilégié, l’école. Cependant, les débats considérés plus haut ne peuvent être isolés des questions philosophiques, politiques, sociales que pose globalement ce que Philippe Breton appelle " le culte d’Internet " face à ceux qu’il présente comme les thuriféraires de la " société de l’information " parmi lesquels il rangerait sans doute Michel Serres.

B. Les débats, pourtant vifs, qui ont peut-être été éludés : les peurs liées à l’e-education.

1) une marchandisation de l’éducation. 

Philippe Breton, cité dans Le Monde intéractif du 29 novembre 2000, déclarait :  " Ce qui a changé et explique le succès d’Internet, c’est (…) une nouvelle alliance entre le courant libertaire et le courant du libéralisme économique. C’est une alliance contre nature, mais avec un pont commun : c’est l’idée selon laquelle il faut faire disparaître l’Etat ". Et de fait, c’est ce que développent nombre de dirigeants politiques ( surtout au niveau européen, la France étant encore une exception ) et de start-up qui guignent sur un marché captif conséquent.

Les NTIC seraient ainsi le cheval de Troie du marché dans l’éducation. Certains comme l’ATTAC en sont convaincus.

Il conviendrait toutefois de rappeler que les marchands sont entrés dans l’école depuis longtemps : éditeurs, vendeurs de voyages ou d’échanges, cours privés de rattrapage ou de préparation, mais surtout maintien du dualisme entre l’enseignement public-privé ( ou libre pour certains ). Pour autant, en France notamment, le " public " reste le cadre et la référence. L’arrivée de technologies, dont la principale différence avec celles qui les ont précédées est qu’elle règnent en maître à la fois dans le monde productif et dans le monde familial, peut bouleverser considérablement les choses.

C’est peut-être ce dont rêve l’Europe, qui multiplie les rapports et autres " appels " à devenir " l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ". C’est du moins ce qu’attendent les marchands ? opérateurs de télécommunication, éditeurs de produits multimédia, fournisseurs et concepteurs de produits en ligne, entreprises de télé-enseignement - qui ont tenu leur premier salon, en mai dernier, à Vancouver. Le dernier salon de l’éducation, organisé par la Ligue de l’enseignement avec le soutien du ministère, leur a fait une très large place.

Le danger principal serait de trop privilégier la technique, les matériels, mais aussi les produits clés en main, au détriment d’une véritable réflexion sur la formation et les objectifs pédagogiques. Cela est d’autant plus inquiétant que, plus encore que la télévision, ces produits font leur entrée par la famille, les associations et qu’ils répondent, comme hier les cours particuliers, à une demande forte dans une société où la réussite scolaire est sacralisée.

De nombreuses voix s’élèvent ainsi pour souligner que ces techniques doivent rester sous le contrôle des enseignants, voire du public, puisqu’en effet, rien n’interdit de concevoir une maîtrise publique de ces outils. Pourquoi le CNED ou EDU France, organismes publics, ne seraient-ils pas de tels fournisseurs, à condition de ne pas basculer dans la logique marchande ? Or, dans le cas d’EDU France ? agence créée en 1998 par Claude Allègre pour faire face au " commerce mondialisé de l’esprit " -, il semble que le basculement se soit opéré, puisque l’agence a notamment pour but de labelliser ce qui se fait de bien dans le privé et ne défend aucunement un enseignement totalement public. Dès lors, ce qui inquiète n’est pas tant la pénétration du discours euphorisant sur le marché-roi dans le domaine de l’éducation et de la formation que le fait qu’il soit repris par ceux qui devrait lui opposer une conception universaliste de l’homme et de la culture.

2) Le risque d’un savoir incontrôlé. 

Le risque d’un savoir incontrôlé est sûrement des plus inquiétants lorsqu’il est question d’e-education.

Le débat sur " l’e-style " nous permet d’appréhender un débat beaucoup plus large. Le site cyberpapy.com, site bien intentionné au demeurant et qui utilise les compétences de séniors pour venir en aide aux élèves ayant des difficultés, stipule d’emblée " qu’il ne garantit pas la qualité des réponses fournies par les papy cyberprofs ". C’est justement là tout le problème. Sous prétexte de régler une difficulté en mathématique un " cyberélève " se voit répondre "….en fait, c’est ce que tu fait ( sic ) quand tu utilise ( sic ) ? racine ( delta ) et + racine ( delta )…. ". Comme si la connaissance était régie par un système de vases communicants, celui de l’orthographe se vide au fur et à mesure qu’on remplit celui des maths. Après une visite sur cyberpapy.com, il n’est donc pas inutile d’aller sur le site du Conseil international de la langue française, organisme sérieux qui propose des corrections de textes, et même des jeux très amusants et instructifs sur la langue.

 Ainsi, en matière d’e-education, les craintes les plus fondées concernent les savoirs mis sans contrôle à disposition des élèves. Pour Hervé Barro, secrétaire général du SE-FEN, " il ne sert à rien de vouloir nier la mondialisation des sources de savoirs. Le vrai danger, c’est que les sites en ligne sur lesquels l’élève se branche à partir de chez lui échappent à tout contrôle. Au contraire, l’outil informatique manié à l’école l’est sous la surveillance et la direction du professeur. " Vouloir développer l’autonomie des élèves est une bonne chose mais il ne faut pas que cette autonomie se transforme en atteinte à l’individualité. Avant d’apprendre par l’ordinateur, il faudrait que les élèves apprennent à déterminer si les savoirs exposés sont crédibles ou non, notamment en histoire ou la désinformation est aisée. 

Face à ces craintes, la solution résiderait dans un meilleur contrôle. Ce dernier serait tout d’abord l’œuvre de l’Etat, car il est aujourd’hui déplorable que ni l’éducation nationale, ni le CNED n’aient déjà créé des sites d’assistance scolaire en ligne labellisés et donc dignes de confiances. En second lieu, ce contrôle doit émaner de ceux-là mêmes qui diffusent les informations car, plus que jamais, les formidables potentialités des NTE nous renvoient à notre propre responsabilité et conscience de diffuser tel ou tel contenu. En cela, l’e-education impliquerait une véritable confrontation 

L’e-education peut apparaître à plusieurs titres comme une révolution et une chance de démocratisation du savoir. Toutefois, les NTE ne sont pas sans poser des questions, dont la plus importante est sans doute celle d’un savoir incontrôlé. Plus que jamais, ceux qui diffusent des contenus, des enseignements sur Internet sont renvoyés à leur propres responsabilités afin de garantir la qualité de leurs diffusions.