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Institut d’Etudes Politiques de Paris L’internet : Enjeux de théorie politique Conférence de Paul Mathias Janvier 2000 |
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Dès leur apparition, les nouvelles technologies de
l'information et de la communication ont été vues par un
grand nombre d'universitaires, de politiciens ou de militants comme un
instrument capable de renforcer la démocratie. A la fois moyen de
communication et d'expression, mais aussi outil pédagogique, l'internet
semblait pouvoir donner naissance à une nouvelle forme de démocratie
"virtuelle" dans un contexte de crise de la démocratie représentative
réelle.
Qu'en est-il 1)Les Communautés virtuelles Le livre de Howard Rheingold marque le début de l’étude sociologique du réseau, qui peut permettre d’étudier la démocratie qui peut s’y développer. Il s’agit de l’expérience d’une communauté qui s’appelle le WELL, qui est une sorte de news group limité à San Francisco et sa banlieue (en tout cas à ses débuts). L’auteur souligne l’intensification des relations humaines via le réseau, indispensable pour le développement d’une démocratie virtuelle. Pierre Lévy, le "philosophe du cyberespace" pour certains, considère cette "ingénierie des liens sociaux" comme l’enjeu majeur du prochain millénaire. Il s’agit selon lui de la prochaine évolution sociale majeure qui permettra de réduire le gâchis des compétences et l’exclusion.
Les forums de discussion sont le symbole du libre accès de chacun
à la démocratie sur le réseau et aux débats
qui y ont lieu. Ils peuvent, selon certains auteurs, montrer en quoi la
démocratie virtuelle est sans aucun doute plus proche du modèle
athénien que la démocratie "réelle". En effet, ils
permettent l’intervention de chacun dans le débat public, sans distinction
de quelque nature que ce soit et sans hiérarchie. On passe d’une
relation qualifiée de "one to many" à une de type
"many to many". En clair, si un homme politique s’adresse aux citoyens
par le biais de la télévision, il leur ôte tout droit
de réponse. Par contre, les internautes rétablissent un vrai
débat entre tous. S’agirait-il du gouvernement du peuple par le
L’aspect politique des forums de discussion se traduit par forte politisation de ces forums et une forte affluence aux forums de discussion politique. Le deuxième forum français le plus fréquenté après un forum dédié à l’informatique est le forum fr.soc.politique. En visitant ce forum (en se reportant aux débats récents ou plus anciens), on se rend compte que les discussions s'y déroulant sont différentes des débats existant ailleurs que sur l'internet. Il existe une grande liberté d’opinion sur des sujets comme la Serbie ou la Tchétchénie par exemple. De plus, des débats se développent, souvent éloignés des problèmes politiques directs et des solutions préconisées par les partis. Ces débats sont souvent déconnectés des agendas médiatiques et sans aucune imposition de problématique. 2) Limites des réseaux
Pourtant, les communautés virtuelles ont des limites, en particulier
les newsgroups. Rien ni personne ne contrôle Usenet dans son De plus, les groupes de news fonctionnent comme des espaces à la fois privés et couverts, où la participation suppose l’adhésion aux convictions du groupe fondateur. C’est ainsi que les partisans et les adversaires du droit à l’IVG s’ignoreront mutuellement sur les groupes consacrés à l’avortement par exemple. Enfin, le modérateur de ces forums peut se réserver le droit d’éliminer les interventions jugées déplacées.
Ensuite se pose la question de savoir qui peut participer à ces
communautés Par contre, l'internet peut aider à contourner un certain nombre de lois arbitraires ou de censures. On peut citer l’exemple du journal La Tribune en Algérie qui, après sa condamnation et son interdiction de publication, s’est tourné vers le site de Reporters sans frontières pour publier en ligne et contourner l’interdiction. Mais l'internet ne doit pas court-circuiter les parlements élus dans des conditions normales. Il y aurait sinon un totalitarisme technologique, une sorte de dictature de la majorité électronique, excluant de la société celles et ceux qui ne peuvent avoir accès aux nouvelles technologies. II
Une démocratie virtuelle est-elle souhaitable et En fait, il semble exister deux écoles de pensée en ce qui concerne la démocratie électronique. Ce concept de démocratie électronique s’appuie sur la conviction que l’Etat comme structure souveraine et représentative peut être régénérée par la technologie. Les deux écoles sont : - l’école plébiscitariste qui préfère étendre la démocratie et faciliter la prise de décision par le réseau : en effet, s’il est suffisamment étendu, la somme des opinions individuelles s'exprimant à travers lui permet l’expression rapide de la volonté commune. -
les modèles
délibératifs (Benjamin Barber,
Strong Democracy:
Participatory Politics for a New Age. Berkeley: University of California
Press, 1984.), qui conçoivent les NTIC comme le moyen de renforcer
la démocratie et la participation des citoyens. Ils soulignent la
délibération plutôt que le vote direct, et ancrent
la participation aux débats nationaux par des assemblées
locales. L’expérience américaine semble suivre cette
2) Critique de la démocratie directe
La démocratie directe est présentée comme le stade supérieure du développement de la démocratie alors que par son interactivité croissante et la recrudescence des sondages, elle brise le contrat politique. Les élus sont en réalité protégés des mouvements de l’opinion. Ceci explique la tendance actuelle des médias à favoriser l’émotion dans le traitement de l’actualité. La cyber démocratie
peut ainsi porter en elle le germe d’un paradoxe : trop de démocratie
tue la démocratie. Dans un débat sur la démocratie
paru dans The Economist, deux perspectives
extrêmes se détachaient dans l’utilisation de la démocratie
électronique, via le Le danger vis-à-vis
de la démocratie classique, c’est que dans cette dernière,
on enlève au peuple le pouvoir de faire des lois, en optant pour
une démocratie représentative, qui est plus réfléchie
et plus pratique. Cela évite le déchaînement de passions
populaires.
3) La démocratie représentative Pour The Economist, la démocratie représentative est plus propice au rêve : par exemple, les représentants élus n’arrivent pas à équilibrer le budget et chargent le peuple de régler le problème, avec plusieurs options présentées électroniquement. Si cette situation peut paraître utopique, elle va dans le sens d’une utilisation de la démocratie électronique comme complément de la démocratie traditionnelle. Ainsi, l’internet peut réellement constituer un palliatif des manques du débat politique et social véhiculé par les moyens de communication traditionnels. En effet, il permet à des opinions minoritaires de se manifester. Un exemple de l’utilisation de l’internet pour obtenir des informations à propos d'un vote pour les élections des représentants américains au Texas. De plus, si la démocratie traditionnelle établit des clivages entre partis ou entre groupes de pression, l'internet permet à de nouvelles solidarités de se créer, permettant à certains de débattre alors qu’ils n’auraient sans doute jamais eu l’occasion de le faire par d’autres moyens. Ainsi, comme on l’avait déjà vu en première partie, les communautés virtuelles peuvent jouer un rôle actif dans la démocratie par le biais d’échanges virtuels. Par exemple, devant le constat que la majorité des médias était dominée par des blancs, des communautés virtuelles noires se sont développées en Grande-Bretagne (The Chronicle) ou aux Etats-Unis (American Visions Society Online) pour discuter entre eux de tous les problèmes dans leur vie courante. Enfin,
un vide de la démocratie traditionnelle se trouve dans la puissance
des groupes de pression. L’intervention active d’un grand nombre de citoyens
pourrait empêcher le développement d’intérêts
On voit donc bien que plus qu’une fin en soi, la démocratie virtuelle doit surtout se développer dans le sens d’un outil au service de la démocratie. En effet, les exemples qui marchent le mieux sont ceux où on confie à l'internet certaines des pratiques de la démocratie traditionnelle, non pas en en faisant un gadget mais réellement un nouveau mode d’exercice de la citoyenneté (votes, questions aux élus...). Ceci est d’autant plus vrai que si l’internaute est aujourd’hui en moyenne doté d’un grand sens civique (ce qui avait permis au magazine Wired d’annoncer la naissance du "digital citizen", traduit en français par "netoyen"), cela doit beaucoup au fait que l’outil utilisé étant encore relativement élitiste, il touchait en priorité des hommes jeunes et ayant un niveau d’études élevé. Ainsi, la démocratisation de l’accès même à Internet pourrait faire baisser cet appel à la naissance d’une réelle nation numérique, toujours selon l'expression de Wired, et confiner encore quelque temps la démocratie virtuelle dans un cadre plus restreint. |
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