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L'hypothèse selon laquelle les communautés virtuelles ne sont que des extensions de communautés préalablement constituées se vérifie empiriquement, mais ne permet pas de rendre compte de leurs modes de fonctionnement spécifiques, ni de l'originalité du dispositif que constitue la mise en ligne d'un groupe ou d'une institution.

Il faut en effet se rendre à une évidence, que l'Internet n'est pas seulement un miroir de la vie sociale, mais un mode princeps de sa formation et de sa régulation : non seulement les réseaux contribuent au développement d'une vie communautaire dont la police échappe aux schémas d'interprétation traditionnels, mais de surcroît ils sembleraient permettre une refondation et un mode singulier de légitimation des institutions autour desquelles s'organise la vie sociale et politique « réelle ».

On pourra constater en effet au moins trois choses :

  • certaines communautés virtuelles, et notamment celles qui se sont constituées autour de l'utilisation de programmes MOO (Multi-user Object Oriented), parviennent de façon tout à fait paradoxale à régler l'ordre de leurs interactions de manière qu'on serait pourtant tenté de qualifier de chaotique. Les archives du serveur Lambda-MOO font apparaître que les règles de fonctionnement de telles communautés ne sont pas instituées une fois pour toutes, et mises en œuvre par des administrateurs ou des modérateurs, mais déterminées selon des procédures de discussion dont une certaine redondance n'altère aucunement l'efficacité fonctionnelle. Autrement dit, une communauté virtuelle est une communauté dont l'agenda et la gestion peuvent résulter de décisions individuelles, sanctionnées par la communauté, et non pas de décisions institutionnelles, acceptées ou non par des usagers.
  • dans un autre ordre d'idées, l'Internet est apparu dans une réflexion récente de la mission Baquiast, comme l'occasion d'une modernisation attendue des procédures administratives et étatiques, et le garant, même, d'une exemplarité de l'État dans ses rapports avec les citoyens. Instrument d'une « démocratie évoluée », il permettrait d'« améliorer la qualité du service offert » et donc d'atténuer le sentiment de distance et d'incompréhension qu'ont les citoyens devant les institutions chargées de garantir les libertés fondamentales tout en définissant les devoirs de chacun. 
  • Enfin, et du même coup, la question se pose désormais de savoir si l'Internet n'est pas interprété dans un esprit et une ambiance qui ne sont pas exactement ceux de la politique et du traitement des affaires de l'État. La situation à laquelle renvoie cette question est du reste très peu claire en elle-même. Nous assistons en effet à la fois à une vulgarisation des procédures administratives et civiles, avec la mise en ligne d'informations substantielles et pointues, désormais à la disposition des citoyens des « grandes démocraties » ; et à une conversion du discours administratif et politique dans les termes d'une rhétorique ludique ou même publicitaire. Ce n'est pas que les textes de lois seraient « traduits » dans un langage populaire pour être accessibles, mais plutôt que les sites institutionnels et gouvernementaux trahissent dans le meilleur des cas un souci de « pédagogie ludique », dans d'autres une volonté d'exposition qui ressortit plutôt au dépliant publicitaire qu'à l'information institutionnelle. Autrement dit, la rhétorique liée à l'occupation par les institutions du « cyberespace » reste une rhétorique continuant de chercher ses règles et sa légitimité.

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