L’adjectif « technique » renvoie à ce qui « appartient tout d’abord à un domaine particulier, spécialisé de l’activité ou de la connaissance » 1, dans un contexte distinct de la science et de l’abstraction, induisant l’idée d’une maîtrise pragmatique, dédiée à une finalité précise. On entre alors dans le domaine de l’application, du savoir-faire, et on s’éloigne de celui de l’« inspiration ». C’est ainsi que le substantif est défini par un « ensemble de procédés empiriques employés pour produire une œuvre ou obtenir un résultat déterminé ». Suivant les situations, ces processus peuvent être « plus ou moins régularisés et structurés », ou ordonnés suivant une méthode scientifique rigoureuse.
La technologie, est, dans la tradition grecque, « l’inventaire des procédures qui caractérisent les savoirs et savoir-faire qui échappent aux déductions spéculatives, mais reposent sur des connaissances expérimentales » 2, ou encore, un « traité ou exposé des règles d’un art » 3. Par un retour des modernes à l’étymologie, on en arrive à un savoir (ou à une réflexion) relatif aux techniques: « théorie d’une technique », ou « réflexion philosophique sur les techniques, leurs rapports avec les sciences théoriques ou fondamentales, les conséquences politiques, économiques, sociales et morales de leur développement [...] qui s’exerce ainsi du point de vue pratique sur les sciences expérimentales et humaines, notamment sur la cybernétique » 4. Ainsi, les techniques contraceptives du XXe siècle ou les techniques biologiques actuelles se prêtent-elles à une étude technologique. Mais aussi les systèmes automatisés introduisant la notion d’information, qui ont effectivement généré toute une réflexion éthique, sociologique, en même temps que de vivaces idéologies 5. Gilbert Simondon propose aussi le terme de « mécanologie », et, dans cette conception philosophique, le métier de « technologue », ou de « mécanologue ». Il promeut une « attitude technologique, qui fait qu’un homme ne se préoccupe pas seulement de l’usage d’un être technique, mais de la corrélation des êtres techniques les uns par rapport aux autres » 6.
Entre ces sens précis de la technique et de la technologie, un sens commun s’intercale, considéré comme abusif par les défenseurs de la langue française que sont les Québécois: le Robert précise que le terme « technologie et ses dérivés » sont fréquemment utilisés pour signifier « technique de pointe, moderne et complexe [...] souvent pour des raisons d’emphase publicitaire ». Le Grand dictionnaire terminologique précise: « C’est un abus, et une erreur très répandue, non exempte d’un certain snobisme, que de remplacer systématiquement l’une par l’autre (la méthodologie et la technologie) : dire à tout propos la technologie du collage, la technologie de la haute-fréquence n’apporte rien, sinon une satisfaction vaine, et une complication supplémentaire pour les traducteurs » 7.
Dans les faits, les deux définitions rigoureuses de la technologie —ensemble de procédures non spéculatives ou philosophie des techniques— sont proches de celles que l’on rencontre aux États-Unis. Dans ce pays, où l’on emploie handicraft pour signifier « technique manuelle », le mot technology recouvre deux sens: le premier renvoie à la définition philosophique, épistémologique qui vient d’être précisée, l’autre à la notion de système technique: « industrial arts collectively » 8, que l’on pourrait traduite par « ensemble de règles et de méthodes appliquées à l’industrie dans son ensemble » 9, incluant aussi l’ensemble des connaissances et des savoir-faire associés. On pourra remarquer que ce second sens est très proche de celui de notre mot « technique », surtout si l’on prend comme référence la définition de technology proposée par la National Academy of Sciences: « moyens codifiés de manipuler délibérement l’environnement pour réaliser un objectif matériel » 10.
Hélas, de telles définitions semblent inadaptées à l’usage courant en France: peut-on imaginer définir une réflexion sur l’internet comme une technologie appliquée aux « nouvelles technologies »? Il semble au demeurant que ces « nouvelles technologies de l’information et de la communication » et leur acronyme « (N)TIC » servent surtout à masquer une incapacité à proposer une réelle réflexion sur les techniques passées et contemporaines, un peu comme l’expression « société de l’information ». Mais, plutôt que se battre contre la francisation de telles expressions, on rappellera la façon dont elles se sont construites et deux effets de leur diffusion.