En effet, la cellule informatique littéraire a été fondée dans un esprit de service aux élèves et chercheurs de l’ENS littéraire sans que son rôle n’ait jamais été défini par écrit. Au fil de la demande, ses membres comprirent qu’ils avaient pour fonction d’enseigner l’informatique —vaste programme—, d’aider les demandeurs à résoudre des problèmes simples (conversion de disquettes, nettoyages de fichiers, remise en état d’ordinateurs personnels, etc.) ou un peu plus abouties (formation à un système d’exploitation ou à un logiciel, travaux statistiques, recherches sur des bases de données, etc.). L’expérience avait prouvé qu’il était difficile d’inciter les professeurs comme les étudiants à prendre une quelconque autonomie vis-à-vis de l’informatique si on se limitait à un enseignement général: les premiers préféraient que l’on résolve à leur place les problèmes qu’ils rencontraient, considérant que les « techniciens » de la cellule étaient à leur service; les seconds ne voyaient pas l’intérêt de cours d’informatique qui ne servissent pas immédiatement leurs travaux du moment, quand ils n’avaient pas déjà pris les habitudes des premiers. Aussi, le désir de relier l’informatique à des recherches précises était-il à l’origine de la (co-)fondation de divers « ateliers-séminaires » comme l’Atelier Internet, l’atelier cartographie, et le séminaire d’histoire sociale de l’immigration 1. Cette solution, combinée à des enseignements d’initiation à l’interrogation de bases de données textuelles (grecques, latines, ou françaises) s’avéra efficace: les élèves littéraires qui y participaient prenaient conscience des avantages de l’automatisation dans leurs propres disciplines et acquéraient une culture informatique satisfaisante. Et l’internet entrait naturellement dans leur panoplie des outils, sources et critiques.
Avec l’expérience acquise dans le domaine de la programmation, ces formes d’assistance aux élèves et chercheurs purent alors se compléter par des collaborations nettement plus complexes: mise en forme des corpus, anciens ou récents, numérisés par un élève ou obtenus grâce aux réseaux, dénombrement et classification d’expressions singulières, et enfin mise en forme graphique des résultats obtenus. Bien sûr, les intéressés 2 étaient en nombre restreint, de l’ordre de la poignée chaque année pour chacune des trois personnes de la cellule. Ce faible nombre était compensé par la longueur des séances de travail, qui se prolongeaient souvent durant plusieurs permanences, engageant les « informaticiens littéraires » et ceux qui faisaient appel à eux dans des problématiques intellectuelles et techniques souvent passionnantes.
L’informatique littéraire s’émancipait donc de sa fonction initiale: la mise en place d’ateliers autonomes, le dialogue avec leurs participants, mais aussi avec quelques élèves, incitaient à la prise en charge de recherches sur le thème de l’écriture informatique.
Ces activités, notamment l’Atelier Internet et cette curiosité lexicométrique, furent tout d’abord accueillies avec bienveillance, par la direction de l’École, incluant son pendant littéraire 3: celle-ci tenait un discours très séduisant, centré sur la « liberté » intellectuelle (liberté d’engager les recherches que l’on veut, de monter une équipe, d’attirer des élèves à son projet), et se montrait très sensible au prestige de l’École. Du coup, les membres de la cellule se sentaient légitimés dans leur statut d’oblats dynamiques par le sommet de la hiérarchie de l’ENS, ce qui est toujours réconfortant dans une institution qui fonctionne encore de façon princière.