Tout d’abord, quelques personnes avouent leur engouement spontané pour l’internet: « émerveillement devant la capacité à diffuser facilement de l’information de qualité »; « désir de sortir de l’hexagone, une sorte de voyage intellectuel »; « pure et simple fascination »; « remède à l’ennui ». Ces personnes assument leurs passions, voire leurs besoins de passions; mais elles ne sont pas seules à témoigner de leur curiosité ou du caractère ludique de leur activité sur l’internet: trois autres chercheurs mentionnent aussi de tels aspects, parmi d’autres. Citons un exemple: « diffusion de travaux. Jeu. Puis appui pédagogique. ».
Au-delà de ces facteurs, à ne pas négliger, le déterminant commun est bien sûr l’exigence professionnelle, doublée d’un volontarisme scientifique: « à cette forte motivation relevant d’une sorte d’éthique professionnelle s’ajoutait la curiosité personnelle et le désir d’apprendre et d’acquérir un nouveau savoir ». Et si quelques personnes mettent en avant des arguments propres à leur statut (un anthropologue des milieux scientifiques, un chercheur chargé de promouvoir l’informatique, un bibliothécaire incité par ses collègues), la majorité des enquêtés a surtout ressenti le désir de dynamiser une communauté scientifique; cette expression est parfois complétée par le détail de projets altruistes: désir de publier des textes difficilement accessibles, ou de dynamiser « la communauté en partageant le savoir, qui est la seule manière de le faire fructifier ».
Le goût de l’expérimentation est aussi prononcé (il va de pair avec le jeu et la curiosité) dans un domaine où les possibilités du travail collaboratif ont vite été pressenties. On lit par exemple: « volonté de découvrir les potentialités offertes, l’envie d’un mode de travail collectif », ou « caractère exceptionnel de l’outil, mêlant efficacité et souplesse. J’ai surtout apprécié son caratère décentralisé, ouvert, dynamique ».
En même temps, l’accent est mis sur la faiblesse et les limites des instruments classiques: « ayant vécu à l’étranger, je me suis rendu compte de la difficulté qu’il y avait de se tenir au courant de ce qui se passait [dans mon institution] quand on n’était pas sur place », ou « [je voulais] créer un espace de publication pour de jeunes chercheurs [...] qui n’ont pas souvent d’opportunité de publication dans les revues traditionnelles ». Et bien sûr, les possibilités de contact et d’échange sont mises en avant par plusieurs personnes, que ce soit par l’intermédiaire de listes de discussion ou de pages web de chercheurs: « nécessité de disposer d’informations à jour sur les activités (publications, conférences, etc.) de la communauté scientifique dont je fais partie et qui est principalement composée d’anglo-saxons ». Enfin, une personne cite expressément un argument économique: « il n’y avait plus d’argent pour financer les [...] diffusés sous forme de volumes imprimés »; une autre, parmi les premiers précurseurs, évoque le désir de transférer sur l’internet des bases de données acessibles par Minitel.
Il apparaît donc que ces initiateurs cultivaient le moindre des défauts du chercheur: la curiosité, souvent associée avec une volonté de développer des réseaux d’experts; sur ce point, déjà deux points apparaissent en filigrane: le réseau est international, et les étudiants et les jeunes chercheurs n’en sont pas exclus.
Pour la majorité de ces initiateurs, cette démarche était individuelle: 13 personnes le soulignent, auxquelles il faut en ajouter deux pour lesquelles, dans la pratique, ou sous pression de la hiérarchie, un projet collectif s’est retrouvé porté par une seule personne. Mais l’inverse s’est aussi produit: quatre personnes ont commencé leur travail en solitaire pour le finir collectivement, et neuf autres ont dès le début travaillé en groupe (et ont réussi à prolonger ce fait). Mais, par « démarche collective », la plupart des personnes évoquent plus un partage des tâches et des responsabilités décidé de façon informelle qu’une dynamique impulsée par leur institution.