Cette étude a aussi mis en évidence des faits sociaux.
Nous avons découvert que nos dictionnaires habituels sont trop réduits pour être représentatifs du nombre inimaginable de mots que nous avons en tête; nous avons aussi montré que les internautes sont représentatifs des préoccupations de notre société, dans tous ses aspects: culturels, professionnels, ludiques, etc. Que leurs centres d’intérêt, leurs comportements sont mesurables, même s’il faut pour cela développer des outils sophistiqués. Et donc qu’une étude des usages, des pratiques à partir de telles archives est pertinente, à condition de s’en donner les moyens. Il y a là place pour une nouvelle approche scientifique. Proposer d’en faire une « discipline » semble cependant prématuré et dangereux. Prématuré car il n’est pas sûr que l’on dispose de la masse critique de spécialistes (de la langue, du nombre, de la société). Dangereux, car on s’expose à s’enfermer dans une tour d’ivoire où les échanges avec les autres « disciplines » se réduiraient comme peau de chagrin. Or, c’est bien parce qu’on travaille sur la technique commune à toutes les sciences qu’est l’écriture qu’une telle approche se doit de prendre le meilleur des unes et des autres.
Enfin, nous avons mesuré combien cet outillage mental contemporain se diffusait lentement: à partir d’un échantillon massif de 641 000 personnes, et en choisissant une série de critères minimalistes, nous sommes arrivé à la conclusion qu’au plus 13 % de ces personnes l’avaient plus ou moins assimilé, alors que les autres étaient condamnés à des comportements systématiques, plus proches de ceux d’un futur noyé sans planche ni bouée que de ceux du surfeur expérimenté que nous propose la publicité.
Ceci ne nous étonne pas. Une technique d’écriture en évolution, parce qu’elle est en relation directe avec notre pensée, notre perception du monde et d’autrui, ne peut être que violemment ségrégative.