L'art roman dans la baie du Mont Saint-Michel (table / résumé) - Marie Lebert - 2006

Saint-Jean-le-Thomas

* Le site / Emplacement / Histoire
* L’église / Le plan / Les matériaux / Les appareils / Les enduits, sols, plafonds et toitures
* Description extérieure / La façade occidentale / La nef / Le choeur / La tour
* Description intérieure / La nef / Le choeur
* Datation / Le choeur / La nef
* Les restaurations des 19e et 20e siècles
* Les décors peints
* Les photos


Le site

Emplacement

Le bourg de Saint-Jean-le-Thomas se trouve sur la route côtière, à mi-chemin entre Granville et Avranches (voir la carte). Saint-Jean-le-Thomas était traversé par deux chemins montois: le chemin reliant le Mont Saint-Michel à Saint-Pair et le chemin reliant le Mont à Coutances. De plus, le chemin des grèves reliant le Mont à Saint-Pair traversait les dunes avant de gravir les falaises de Champeaux et de Carolles.

Histoire

L’église est placée sous le vocable de Saint Jean-Baptiste. La paroisse de Saint-Jean-le-Thomas appartenait au doyenné de Genêts et à l’archidiachoné d’Avranches.

En 917, Guillaume Longue-Epée, second duc de Normandie, donna à l’abbaye du Mont Saint-Michel le village de Saint-Jean prope littu maris avec son église, son moulin, ses vignes et ses prés. Il donna à Saint-Jean le titre de villa alors que la plupart des autres paroisses ne portaient que le titre de villulae.

Au 11e siècle, Robert Ier donna de nouveau au Mont la seigneurie de Saint-Jean-au-bout-de-la-mer avec ses dépendances, à savoir Dragey et son église, Obret, Tissey, la forêt de Bivie (l’actuelle lande de Bévet), les bois de Néron et du Crapoult. Ces terres occupaient l’espace occupé actuellement par les communes de Champeaux, Saint-Michel-des-Loups et Carolles. [1]

Au 12e siècle, le seigneur du lieu, Guillaume de Saint-Jean, reçut le titre de second fondateur de l’abbaye de la Lucerne (le premier étant Halsculphe de Subligny). En 1162, il donna à l’abbaye la terre et le bois situés entre le Thar et le Tharnet, l’église de Saint-Jean-le-Thomas avec ses dépendances, et de nombreuses propriétés aux alentours et en Angleterre. Cette charte figure dans le Cartulaire de la Lucerne: “Ego Willelmus de Sancto Johanne… dedimus Deo et ecclesie Sancte Trinitatis de Lucerna et canonicis regularibus ibidem Deo servientibus terram in quam fundata est abbatia, eam silicet qui est inter primum vivarium ipsorum et nemus et Thar et Tharnet, et ecclesiam de Sancto Johanne cum omnibus pertinentis suis; itam tamen ut per duos presbiteros serviatur, sive de religione, sive de seculo, in voluntate abbatis et canonicorum...” [2]

Au 15e siècle, l’église était toujours la propriété de l’abbaye de la Lucerne. Le Livre blanc (Pouillé de 1412) mentionne l’abbé de la Lucerne comme seigneur patron: “Ecclesia de S. Johanne de Thomas, regularis – Patronus abbas Lucernae...” [3] L’église était desservie par un curé appartenant à la communauté religieuse de la Lucerne.


L’église

Le plan

L’église est formée d’un vaisseau rectangulaire régulièrement orienté (d’ouest en est) composé d’une longue nef et d’un choeur à chevet plat (voir le plan). On entre dans l’église par un portail situé dans le mur latéral sud de la nef et précédé d’un porche. La tour s’élève au sud du vaisseau. Elle est accolée à la partie orientale de la nef.

Les matériaux

Les appareils

Les maçonneries de la façade occidentale, des murs latéraux de la nef et du mur du chevet présentent un appareil irrégulier formé de moëllons de schiste et de granit. Celles des murs latéraux du choeur sont faites d’un appareil assez régulier de petits blocs de granit pris dans un épais mortier.

Le schiste et le granit sont des matériaux locaux. Le granit provient du massif granitique de Vire, qui se termine par les falaises massives de Carolles et de Champeaux au nord de Saint-Jean-le-Thomas. Le schiste provient de l’auréole métamorphique de ce massif.

L’ensemble des maçonneries a été entièrement rejointoyé à l’extérieur. On note aussi la présence de briques, qui forment les claveaux des arcs des petites baies dans le mur latéral sud du choeur.

Les enduits, sols, plafonds et toitures

A l’intérieur de l’église, le mur latéral nord de la nef et la partie occidentale du mur latéral sud sont recouverts d’un enduit de ciment. Le mur sud était recouvert d’un enduit de plâtre qui a été partiellement enlevé pour dégager des peintures murales. Les pierres de granit formant les piédroits sont apparentes, tout comme les arcs des baies de la nef. L’appareil des murs du choeur est en partie apparent. Il est recouvert par endroits d’un enduit de ciment.

Le sol est formé de larges dalles de granit dans la nef, et d’un carrelage fait de tommettes carrées rouges dans le choeur.

Une voûte en berceau de plâtre recouvre la nef, alors que le choeur est surmonté d’une voûte en berceau de bois réalisée en 1965 et 1973. L’ensemble est recouvert de toitures en ardoises d’Angers.

Description extérieure

La façade occidentale

Le mur de façade est surmonté d’un léger glacis recouvert de plaquettes de schiste, en arrière duquel s’élève le mur pignon. Cette façade ne comprend pas de porte. Sa partie médiane est occupée par un contrefort plat terminé par un glacis à la base du pignon.

De part et d’autre de ce contrefort sont percées deux étroites petites baies au cintre creusé dans un linteau monolithe de granit. Au-dessus du contrefort, dans le mur pignon, une troisième baie au cintre formé d’une rangée de claveaux de granit a été bouchée en 1973, et les deux baies inférieures jusque-là murées ont été dégagées [4].

La nef

Dans la nef, la partie supérieure du mur latéral sud est percée de trois étroites petites baies en plein-cintre. Leurs piédroits formés de gros blocs de granit supportent un arc creusé dans un linteau monolithe. Une grande baie en plein-cintre a été ouverte postérieurement.

Au-dessous de la petite baie percée dans la partie orientale du mur, une rangée semi-circulaire de claveaux de granit surplombe un linteau en bâtière très massif surmonté de pierres losangées formant un appareil réticulé. Cet ensemble correspond à l’arcade d’un portail aujourd’hui muré.

Plus à l’ouest, un autre portail (voir le schéma) permet l’accès à l’église. Son arcade en plein-cintre est formée d’une voussure ornée d’une simple moulure torique. La voussure repose sur deux colonnettes très engagées qui prolongent le tore et qui ont sensiblement le même diamètre que celui-ci. Les colonnettes sont surmontées de chapiteaux à tailloir carré dont la corbeille est sculptée de petits crochets d’angle à peine visibles. La base carrée est surmontée d’un double tore. Le portail est précédé d’un porche du 15e siècle.

Le mur latéral nord de la nef est percé de deux grandes baies trilobées. Une porte rectangulaire sous linteau de granit a été murée. Les maçonneries du mur présentent un appareil plus régulier qu’au sud, ce qui permet de supposer que le mur a été reconstruit en partie, peut-être au moment du percement des baies trilobées.

Le choeur

La partie supérieure du mur sud du choeur est percée de deux étroites petites baies en plein-cintre. Le cintre de l’une est creusé dans un linteau monolithe de granit alors que le cintre de l’autre est formé d’une rangée de claveaux. Une très grande baie en plein-cintre a été ouverte beaucoup plus tard, ce qui a nécessité la destruction d’une partie du mur. Une baie semblable a été ouverte dans le mur nord. Ces deux baies ont été percées au 19e siècle, au moment de la reconstruction de la tour.

Au nord, trois petites baies en plein-cintre haut situées sont surmontées de claveaux de briques, avec quelques briques perpendiculaires aux autres sur leur pourtour.

Le mur du chevet a un appareil différent de celui des murs latéraux. Il a dû être reconstruit, et avec lui l’extrémité orientale des murs latéraux. Il était percé d’une grande baie médiane en plein-cintre, aujourd’hui bouchée.

La tour

La tour, récente, est accolée à la partie orientale de la nef au sud. Elle fut construite en 1895 et 1896 pour remplacer le vieux clocher surmonté d’un toit en bâtière, qui menaçait de s’effondrer. Cette tour a été édifiée en granit des carrières de Saint-James. Elle est formée de deux étages surmontés d’une balustrade ajourée.

Description intérieure

La nef

Les deux petites baies en plein-cintre percées dans le mur occidental sont très ébrasées vers l’intérieur et vers le bas. Les pierres de granit formant les piédroits de la baie médiane bouchée dans le mur pignon sont très visibles.

Au sud, une grande cavité ménagée dans le mur et surmontée d’un arc en plein-cintre correspond à l’arcade du portail muré observé à l’extérieur. Une partie du mur sud est ornée de décors peints du 12e siècle.

Dans la partie orientale du mur sud de la nef, une chapelle carrée à plafond plat correspond à l’étage inférieur de la tour. La nef ouvre sur cette chapelle par une arcade en plein-cintre. L’arc à double rouleau aux arêtes légèrement chanfreinées repose sur deux pilastres par l’intermédiaire d’une imposte moulurée en forme de bandeau chanfreiné. Le bandeau se prolonge légèrement sur le mur sud de la nef.

Le choeur

Le choeur est plus étroit que la nef. L’appareil des murs est formé de petits blocs de granit pris dans un mortier très épais, et les claveaux de briques des baies du mur nord sont visibles à l’intérieur. Seules les maçonneries formées d’un appareil irrégulier de moëllons de granit et de schiste sont recouvertes d’un enduit de ciment.

Datation

Le choeur

Le choeur présente des similitudes avec l’église souterraine du Mont Saint-Michel, Notre-Dame-sous-Terre. On retrouve des caractéristiques semblables. Les arcs des baies sont formés de claveaux de briques et les murs présentent un appareil de petits blocs de granit assez réguliers séparés par d’épais joints de mortier. Notre-Dame-sous-Terre fut construite par les premiers Bénédictins, qui s’installèrent au Mont après 966. Or Saint-Jean était à cette époque la propriété du Mont Saint-Michel. Il est donc tout à fait possible que l’église ait été construite ou reconstruite dans la seconde moitié du 10e siècle.

La nef

La nef aurait été construite à la fin du 11e et au début du 12e siècle. Les indices de datation sont donnés par les portails.

Le portail muré pourrait dater du 11e siècle. “Avec ses petits carreaux irréguliers et son arc extérieur sans aucune mouluration, ni décoration, il semble archaïque. Les tympans similaires dont on peut le rapprocher paraissent être parmi les plus anciens. Il est en particulier très proche de celui de Saint-Amand près de Torigny-sur-Vire. Il se rapproche aussi de plusieurs tympans de l’Eure: La Houssaye, Rostes, La Sogue, tous édifices datés du 11e siècle.” [5]

Le portail actuellement utilisé date certainement du début du 12e siècle: voussure ornée d’une moulure torique reposant sur des colonnettes engagées, bases carrées ornées d’un double tore, corbeilles de chapiteaux surmontées d’un tailloir carré, les chapiteaux étant sculptés de crochets d’angles.

Les restaurations des 19e et 20e siècles

En 1895 et 1896 fut construit le clocher en granit des carrières de Saint-James. En 1964, on découvrit deux petites baies romanes dans la façade occidentale.

En 1965, la restauration du choeur de l’église fut entreprise sous la direction d’Yves-Marie Froidevaux. Les travaux suivants furent réalisés: décapage des murs intérieurs pour laisser apparaître l’appareil des maçonneries, mise à jour de cinq petites baies dans les murs latéraux, consolidation des murs latéraux par la base (les murs sans fondations furent repris en sous-oeuvre), construction partielle de la voûte en berceau de bois (terminée en 1973). En 1973, la baie centrale du mur pignon de la façade occidentale fut également murée et les deux petites baies inférieures mises à jour.

En 1974 furent découvertes des peintures murales du 12e siècle. Le décor peint a été en partie dégagé en décembre 1974. [6]

Les décors peints

L’existence de décors peints dans l’église de Saint-Jean-le-Thomas était ignorée jusqu’en 1974. Lors de la réfection des enduits intérieurs de la nef, quelques taches de couleur sur le mur latéral sud ont attiré l’attention du curé, l’abbé Porée, qui a fait intervenir les fresquistes des Beaux-Arts.

Une partie des peintures murales a été dégagée en décembre 1974. Elles ont été datées du 12e siècle. Trois tableaux se succèdent d’est en ouest:

- Sur le tympan du portail muré, le combat d’un homme contre un ange, “un combat qui pourrait être celui de Jacob contre l’ange envoyé de Dieu, ou Dieu lui-même manifesté sous une forme visible…” [7]

- Puis une scène champêtre. Des épis de blé précèdent un personnage tenant une outre, qui verse du vin dans une coupe que lui tend un autre personnage. A droite, un troisième homme tient un instrument aratoire.

- Enfin, un troisième tableau dont une partie est manquante. On discerne une lutte opposant un personnage dont la tête est entourée d’une auréole et un autre personnage recouvert d’une armure qui semble avoir été jeté à terre. Ce serait “la lutte de Saint Michel contre le Démon” [7].

Ces tableaux sont surmontés de frises de rinceaux terminés par des feuillages. Les rinceaux sont entourés de deux larges bandes horizontales formées d’une ligne ocre et d’une ligne chamois séparées par une rangée de perles blanches.

Le décor est peint à même l’enduit à la chaux posé au préalable, si bien qu’il se trouve naturellement sur fond clair. Tous les contours sont dessinés en peinture ocre. Les surfaces intérieures sont peintes en ocre et en chamois. Seules ces deux couleurs sont utilisées. “Ces peintures murales peuvent être l’oeuvre de pèlerins du Mont Saint-Michel, Saint-Jean-le-Thomas se trouvant sur une voie montoise.” [7]

Une autre partie, située à l’est du tympan du portail muré, a dû être dégagée en 1978 ou les années suivantes.


Documents

* La bibliographie de Saint-Jean-le-Thomas
* Le plan de l’église de Saint-Jean-le-Thomas
* Le schéma du portail sud


Notes

[1] D’après: Seguin (Jean). Genêts, Saint-Jean-le-Thomas et leurs environs. 1932, p. 17-22.

[2] Cartulaire de la Lucerne, publié par M. Dubosc. Saint-Lô, 1878, p. 4.

[3] Pigeon (Emile-Auber). Le diocèse d’Avranches. Coutances, Salettes, 1888, tome II, p. 642.

[4] D’après: Percepied (Albert). Saint-Jean-le-Thomas. Coutances, 1976, p. 175.

[5] Guilbert (Michel). L’église de Saint-Jean-le-Thomas, in: Revue du département de la Manche, tome XII, avril 1970, p. 90.

[6] Source: Le registre paroissial de l’église de Saint-Jean-le-Thomas (1881-1978).

[7] Les citations sont extraites d'un article de l’abbé Porée, qui était le curé de Saint-Jean-le-Thomas à cette date. L'article est reproduit dans: Percepied (Albert). Saint-Jean-le-Thomas. Coutances, Imprimerie Arnaud-Bellée, 1976, p. 184-185.


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