NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - 1993-2003

Le Livre 010101 (2003)
Tome 1 (1993-1998)
2. L’internet dans la Francophonie

En décembre 1997, Tim Berners-Lee, inventeur du World Wide Web, déclare à Pierre Ruetschi dans la Tribune de Genève: "Pourquoi les francophones ne mettent-ils pas davantage d’informations sur le web? Est-ce qu’ils pensent que personne ne veut la lire, que la culture française n’a rien à offrir? C’est de la folie, l’offre est évidemment énorme." C’est chose faite l'année suivante. De nombreux sites français, belges et suisses viennent se juxtaposer aux sites québécois déjà présents.

2.1. Le développement du web francophone
2.2. Un exemple: la toile littéraire francophone


2.1. Le développement du web francophone

Le Québec est pionnier

Les Québécois sont présents sur le web dès ses débuts, contrairement aux Français, qui tardent à se manifester. En 1998, les Québécois attendent de pied ferme l’arrivée en masse de sites français, surtout dans le domaine du commerce électronique. Le 10 février 1998, lors d’une entrevue accordée au cybermag Multimédium, Louise Beaudouin, ministre de la Culture et des Communications au Québec, déclare: "J'attendais depuis deux ans que la France se réveille. Aujourd'hui, je ne m'en plaindrai pas." A cette date, le Québec (6 millions d’habitants) propose plus de sites web que la France (60 millions d’habitants). La ministre attribue le retard de la France à deux facteurs: d’une part les tarifs élevés du téléphone et du minitel, d’autre part les transactions commerciales possibles depuis plusieurs années sur le minitel, ce qui freine les débuts du commerce électronique sur l’internet.

Le minitel français

Poncif maintes fois répété, les débuts de l’internet en France sont freinés par le minitel, réalisation pilote en son temps, avec utilisation intensive par un quart de la population.

Lancé par France Télécom en 1982, le minitel est un terminal permettant la consultation de serveurs à domicile moyennant rétribution, grâce à un accès par Télétel, le réseau vidéotex français. Cette consultation est fortement encouragée par l’Etat français, qui distribue gratuitement des millions de terminaux. L’opération minitel est un succès, contrairement à des opérations similaires menées dans d’autres pays (Prestel en Angleterre, BX en Allemagne et Alex au Canada) qui, elles, ne remportent pas le succès escompté.

Même s’il est technologiquement limité, le minitel est "tout ce qu’internet doit encore devenir", explique Bruno Guissani dans le quotidien Libération du 5 décembre 1997. "Le coût de l'équipement est proche de zéro. Le système permet des transactions sûres et légalement fiables. Il garantit un bon degré de protection personnelle (privacy). Il est simple à utiliser. Et il génère des revenus tant pour ses opérateurs que pour les marchands qui s'y aventurent."

En 1998, de plus en plus de serveurs disponibles sur minitel le sont également sur le web, avec les avantages qu’offrent une consultation meilleur marché (le prix d’une communication téléphonique locale), une plus grande facilité de navigation et l’ajout de fonctions multimédias.

La société Alcatel, qui fut l’une des bénéficiaires du succès du minitel, compte mettre son successeur sur le marché courant 1999. Muni d’un téléphone et d’un écran couleur, cet appareil permettrait de naviguer en direct sur le web en utilisant le langage Java. Il serait équipé d’un modem de 33,6 Kbps (kilobits par seconde), d’une carte RNIS (réseau numérique à intégration de services) et d’un lecteur de carte bancaire permettant les paiements sécurisés. Cet équipement coûterait environ 3.000 FF (457 euros).

La France rattrape son retard

La France est raccordée à l’internet très exactement le 28 juillet 1988. Dix ans après, en 1998, le nombre d’usagers est estimé à 3 millions, avec une prévision de 12,6 millions d’internautes pour la fin 2000.

La grande majorité des usagers se connecte par le biais de la ligne de téléphone au moyen d’un modem 33,6 ou 56 Kbps (bits par seconde). Certains utilisent déjà une ligne RNIS (réseau numérique à intégration de services) ou ADSL (asymmetric digital subscriber line), procédés permettant d’augmenter considérablement la vitesse de transmission des données par la ligne de téléphone tout en préservant la circulation de la voix et du fax.

En octobre 1997, France Télécom et Alcatel lancent le service ADSL Turbo Wanadoo, avec une première plate-forme expérimentale à Noisy-le-Grand (région parisienne), suivie d’une deuxième plate-forme à Rennes (Bretagne) au printemps 1998. L’abonnement est de 422 FF (64 euros) par mois.

En janvier 1998, pour un abonnement de 260 FF (40 euros) par mois tout compris, les Parisiens peuvent également accéder au réseau internet par le câble dans certains arrondissements. Plusieurs villes de province (Annecy, Nice, Strasbourg, etc.) disposent des mêmes facilités depuis 1997.

En janvier 1998, La Poste lance le projet Cyberposte en choisissant la région du Vercors, l’inauguration ayant lieu dans le bureau de poste d’Autrans (Isère). Cette inauguration marque la première étape d'un projet national visant à proposer une connexion internet dans 1.000 bureaux de poste d’ici la fin 1998. Dans tous les bureaux de poste du Vercors, l’internet est désormais à la disposition du public au moyen d’une carte à puce à glisser dans une borne informatique - la carte coûtant 90 FF (14 euros) pour trois heures de connexion - et d’une adresse électronique gratuite pour tous. Le projet Cyberposte a pour but de familiariser le public avec les nouvelles technologies et, à long terme, de lui permettre d’effectuer des téléprocédures.

En février 1998, France Télécom annonce à son tour un plan national d’ouverture d’espaces multimédias ouverts à tous, avec priorité pour les étudiants et les enseignants. En partenariat avec les collectivités locales, l’ouverture d’une centaine d’espaces multimédias est prévue sur trois ans, avec une vingtaine d’espaces opérationnels dès la fin 1998.

En avril 1998, le gouvernement lance trois appels à projets multimédias pour faciliter l'acquisition de matériel multimédia par les PME (petites et moyennes entreprises) des régions rurales et des zones en reconversion industrielle et par les bibliothèques, ainsi que par les établissements scolaires des petites communes. Un budget de 22 millions de FF (3,4 millions d’euros) est destiné aux initiatives sélectionnées, avec la répartition suivante: 5 millions de FF (76.000 euros) pour les PME, 5 millions de FF (76.000 euros) pour les bibliothèques et 12 millions de FF (1,8 millions d’euros) pour les écoles. Le projet incite notamment les bibliothèques des villes de moins de 5.000 habitants à s’équiper en ordinateurs et en connexions internet. Les villes intéressées doivent déposer leurs dossiers avant le 30 juin 1998. Une centaine d’espaces culture multimédia est prévue dans les bibliothèques et centres culturels d’ici la fin 1998.

L’objectif de ce programme est un souci d’équité territoriale pour faire face aux inégalités géographiques. Le but est que tout citoyen puisse accéder à l’internet quel que soit son lieu de résidence. A cette occasion, Catherine Trautman, ministre de la Culture, annonce que, "après le monde universitaire, le monde des entreprises, c'est le monde de la culture qui s'empare de l'internet". 1998 est "l’année de lancement de l’internet culturel". La ministre précise aussi que "cette politique ne vise pas seulement à améliorer notre position dans la compétition économique, mais aussi, fondamentalement, à garantir une nouvelle liberté d'expression et de communication pour nos concitoyens."

Toutefois, un certain nombre d'entreprises hésitent encore à connecter les postes de travail de leurs salariés à l’internet, par crainte que ceux-ci ne se ruent sur des sites n’ayant rien à voir avec leur activité professionnelle. On trouve heureusement plus souvent la tendance inverse.

Ingénieure d'études à l'INaLF-Nancy (INaLF: Institut national de la langue française), Christiane Jadelot écrit en juin 1998: "Je pense qu'il faut équiper de plus en plus les laboratoires avec du matériel de pointe, qui permette d'utiliser tous ces médias. Nous avons des projets en direction des lycées et des chercheurs. Le ministère de l'Education nationale a promis de câbler tous les établissements, c'est plus qu'une nécessité nationale. J'ai vu à la télévision une petite école dans un village faisant l'expérience de l'internet. Les élèves correspondaient avec des écoles de tous les pays, ceci ne peut être qu'une expérience enrichissante."

Des organismes actifs

Le premier annuaire internet français est lancé par l’UREC (Unité réseaux du CNRS - Centre national de la recherche scientifique). Créé dès janvier 1994, cet annuaire recense d’abord les sites académiques, puis son contenu devient plus généraliste. Il permet aux usagers francophones de se familiariser avec le web sans se noyer dans la masse d’informations mondiale. Il permet aussi de faire connaître les sites web qui fleurissent petit à petit en France et ailleurs. Trois ans après, la gestion de l’annuaire devient difficile du fait de l’accroissement constant du nombre de sites web, notamment de sites commerciaux. De plus, d’autres annuaires ont vu le jour, dont certains débutés avec l’aide de l’UREC. En juillet 1997, considérant que sa mission est accomplie, l’UREC arrête la mise à jour de cet annuaire généraliste. Après une pause de quelques mois, l’annuaire retourne à sa vocation première, à savoir un annuaire spécialisé consacré à l'enseignement supérieur et à la recherche.

La Délégation générale à la langue française (DGLF) se donne plusieurs missions: veiller à la promotion de la langue française, favoriser l’utilisation du français comme langue de communication internationale et développer le plurilinguisme, garant de la diversité culturelle. Sur son site web, la rubrique "France langue" propose trois listes de diffusion consacrées à la langue française (France langue, France langue assistance et France langue technologies). Ouvertes à toute question d'ordre linguistique (grammaire, orthographe, usage, etc.), ces trois listes de diffusion se veulent "un lieu convivial d'échanges d'informations et d'idées (manifestations, colloques, publications, etc.), ainsi qu'un lieu de discussion sur les thèmes liés à la langue française, à la diversité linguistique, à la dynamique des langues et à la politique linguistique". La DGLF mène aussi d’autres actions pour renforcer la place du français sur le réseau, notamment l’édition de guides techniques relatifs à la conception de logiciels en français (avec prise en compte des accents), en liaison avec l’AFNOR (Association française de normalisation), ou alors la traduction de logiciels étrangers commercialisés en France.

En Belgique, la Maison de la Francité agit pour la défense et la promotion de la langue française à Bruxelles, seconde capitale internationale de langue française après Paris, et dans la Communauté française Wallonie-Bruxelles.

Au Québec, le dynamique Office de la langue française (OLF) (devenu ensuite l’Office québécois de la langue française - OQLF) est un organisme gouvernemental chargé d’assurer la promotion de la langue française. Il définit et conduit la politique québécoise en matière de linguistique et de terminologie. Il veille aussi à l'implantation et au maintien du français dans les milieux de travail et des affaires et dans les services administratifs.

La Francophonie

Parlé dans près de cinquante pays, le français est le ciment d'une communauté linguistique vivante, comme en témoigne l’activité de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), une institution fondée sur le partage d'une langue et de valeurs communes, avec 47 états membres en 1997.

Une des tâches des instances politiques est de favoriser l’accès aux autoroutes de l’information. En application de la Résolution sur la société de l'information adoptée par les chefs d'Etat et de gouvernement à Cotonou (Bénin) en décembre 1995, une Conférence des ministres francophones chargés des inforoutes se déroule à Montréal (Québec) du 19 au 21 mai 1997. Datée du 21 mai 1997, la Déclaration de Montréal propose de "développer une aire francophone d'éducation, de formation et de recherche"; soutenir la création et la circulation de contenus francophones et contribuer à la sauvegarde et à la valorisation des patrimoines"; encourager la promotion de l'aire francophone de développement économique; mettre en place une vigie francophone (veille active); sensibiliser prioritairement la jeunesse ainsi que les utilisateurs, les producteurs et les décideurs; assurer la présence et la concertation des francophones dans les instances spécialisées."

S’il est le ciment de la communauté francophone, le français est aussi la deuxième langue officielle utilisée dans les organisations internationales, la première étant l'anglais. Malgré la pression anglophone, réelle ou supposée selon les cas, des francophones veillent à ce que le français ait sa place en Europe et dans le monde, au même titre que les autres grandes langues de communication que sont l’anglais, l’espagnol, l’arabe et le chinois. Là aussi, l’optique est aussi bien la défense d’une langue que le respect du multilinguisme et de la diversité des peuples.


2.2. Un exemple: la toile littéraire francophone

Même s’il reste beaucoup à faire, le web francophone se porte déjà fort bien en 1998, comme le montre la toile littéraire francophone, tissée d’un pays à l’autre et d’un continent à l’autre. Les amoureux de littérature peuvent désormais passer des journées entières à aller d’une oeuvre à l’autre et d’un site à l’autre, soit pour contribuer eux-mêmes au tissage de cette toile, soit pour en savourer les richesses par-delà les frontières.

Frantext et l’ARTFL

Lancée par l’INaLF (Institut national de la langue française, France) en 1995, la base Frantext, en accès payant, comprend 180 millions de mots-occurrences émanant de 3.500 oeuvres des 16e-20e siècles dans le domaine des arts, des sciences et des techniques. Responsable du développement des bases textuelles à l’INaLF, Arlette Attali relate sa démarche en juin 1998: "J'ai été amenée à explorer les sites du web qui proposaient des textes électroniques et à les 'tester'. Je me suis donc transformée en 'touriste textuelle' avec les bons et mauvais côtés de la chose. La tendance au zapping et au survol étant un danger permanent, il faut bien cibler ce que l'on cherche si l'on ne veut pas perdre son temps. La pratique du web a totalement changé ma façon de travailler: mes recherches ne sont plus seulement livresques et donc d'accès limité, mais elles s'enrichissent de l'apport des textes électroniques accessibles sur internet. A l'avenir, je pense contribuer à développer des outils linguistiques associés à la base Frantext et à les faire connaître auprès des enseignants, des chercheurs, des étudiants et aussi des lycéens."

L’ARTFL Project (ARTFL: American and French Research on the Treasury of the French Language) est un projet commun du CNRS (Centre national de la recherche scientifique, France) et de l’Université de Chicago (Illinois, Etats-Unis).

L’ARTFL prépare une version en ligne exhaustive de la première édition (1751-1772) de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des métiers et des arts de Diderot et d’Alembert. 72.000 articles écrits par plus de 140 collaborateurs (dont Voltaire, Rousseau, Marmontel, d’Holbach, Turgot, etc.) font de cette encyclopédie un monumental ouvrage de référence, avec 17 volumes de texte, 11 volumes de planches, 18.000 pages imprimées et 20.736.912 mots. Destinée à rassembler puis divulguer les connaissances de l’époque, elle porte la marque des courants intellectuels et sociaux du 18e siècle. C’est grâce à elle que se propagent les idées du Siècle des Lumières.

En 1998, la base de données correspondant au premier volume est accessible sur le web en démonstration libre, à titre expérimental. La recherche peut être effectuée par mot, portion de texte, auteur ou catégorie, ou par la combinaison de ces critères entre eux. On dispose de renvois d’un article à l’autre, et de liens qui permettent d’aller d’une planche au texte, ou du texte au fac-similé des pages originales. Il reste encore à corriger les erreurs typographiques et les erreurs d’identification dues à l’automatisation complète des procédures de saisie. Il reste aussi à compléter la recherche textuelle par la recherche d’images par mot, portion de texte ou catégorie.

A la même date, l’ARTFL travaille aussi à d’autres projets du même ordre pour le Dictionnaire de l’Académie française (1694-1935), l’édition illustrée du Dictionnaire historique et critique (1740) de Philippe Bayle, le Thresor de la langue française de Jean Nicot (1606), un projet multilingue sur la Bible débutant par La Bible française de Louis Segond (1910), etc.

Chronologie littéraire et signets

Professeur de français et d'informatique dans des universités japonaises, Patrick Rebollar, basé à Tokyo, utilise l’ordinateur dès 1987 pour ses activités d'enseignement et de recherche. En 1994, il voit apparaître l’internet "dans le champ culturel et linguistique francophone". En 1996, il débute un site web de recherches et d’activités littéraires. Son site inclut une Chronologie littéraire 1848-1914, organisée par année. Une série de liens mène au texte intégral des oeuvres publiées cette année-là, avec des notes historiques, politiques et sociales, des informations scientifiques, techniques et médicales, et des renseignements sur le monde littéraire de l’époque.

Patrick Rebollar relate en juillet 1998: "Pour la Chronologie littéraire, cela a commencé dans les premières semaines de 1997, en préparant un cours sur le roman fin de siècle (19e). Je rassemblai alors de la documentation et m'aperçus d'une part que les diverses chronologies trouvées apportaient des informations complémentaires les unes des autres, et d'autre part que les quelques documents littéraires alors présents sur le web n'étaient pas présentés de façon chronologique, mais toujours alphabétique. Je fis donc un document unique qui contenait toutes les années de 1848 à 1914, et l'augmentais progressivement. Jusqu'à une taille gênante pour le chargement, et je décidai alors, fin 1997, de le scinder en faisant un document pour chaque année. Dès le début, je l'ai utilisé avec mes étudiants, sur papier ou sur écran. Je sais qu'ils continuent de s'en servir, bien qu'ils ne suivent plus mon cours. J'ai reçu pas mal de courrier pour saluer mon entreprise, plus de courrier que pour les autres activités web que j'ai développées."

Une autre activité web de Patrick Rebollar est la gestion de ses Signets, un répertoire très complet des sites francophones littéraires: littérature et recherche (normes et règles, bibliothèques et éditeurs, bibliographies), revues littéraires, linguistique, dictionnaires, lexiques, recherche littéraire, documents littéraires par thème et par auteur (Malraux, Sarraute, Camus, Gracq, Robbe-Grillet, etc.), oeuvres littéraires, poésie, bandes dessinées, etc. "Animant des formations d'enseignants à l'Institut franco-japonais de Tokyo, je voyais d'un mauvais oeil d'imprimer régulièrement des adresses pour demander aux gens de les recopier, écrit-il à la même date. J'ai donc commencé par des petits documents rassemblant les quelques adresses web à utiliser dans chaque cours (avec Word), puis me suis dit que cela simplifierait tout si je mettais en ligne mes propres signets, vers la fin 1996. Quelques mois plus tard, je décidai de créer les sections finales de nouveaux signets afin de visualiser des adresses qui sinon étaient fondues dans les catégories. Cahin-caha, je renouvelle chaque mois."

Des sites de poésie

Les poètes sont très actifs sur le web. Sur son site Poésie d’hier et d’aujourd’hui, Silvaine Arabo propose de nombreux poèmes, y compris les siens. En juin 1998, elle raconte: "Je suis poète, peintre et professeure de lettres (13 recueils de poèmes publiés, ainsi que deux recueils d'aphorismes et un essai sur le thème: poésie et transcendance ; quant à la peinture, j'ai exposé mes toiles à Paris - deux fois - et en province). (...) Pour ce qui est d'internet, je suis 'autodidacte' (je n'ai reçu aucune formation informatique quelle qu'elle soit); j'ai eu l'an passé l'idée de construire un site littéraire centré sur la poésie: internet me semble un moyen privilégié pour faire circuler des idées, pour communiquer ses passions aussi. Je me suis donc mise au travail, très empiriquement, et ai finalement abouti à ce site (...) sur lequel j'essaye de mettre en valeur des poètes contemporains de talent, sans oublier la nécessaire prise de recul (rubrique: Réflexions sur la poésie) sur l'objet considéré.

Ma vie professionnelle n'en a pas été bouleversée puisqu'elle est indépendante de cette création sur internet. Disons que très récemment, dans le cadre de mon activité professionnelle, j'ai fait avec mes élèves quelques ateliers de poésie et que, devant la pertinence de leurs productions, j'ai décidé de leur consacrer une page sur mon site (rubrique 'Le jardin des jeunes poètes'). Je fais également un 'appel du pied' aux professeurs de lettres francophones pour qu'ils m'adressent des poèmes - qu'ils estiment réussis - de leurs élèves. Disons que ce site pourrait servir, entre autres, de motivation - donc de moteur - à la créativité des jeunes enfants ou des adolescents."

Le Club des poètes est un site de poésie francophone qui souhaite la "bienvenue en territoire de poésie de la France au Chili, de Villon jusqu'à de jeunes poètes contemporains, en passant par toutes les grandes voix de la poésie de tous les temps et de tous les pays". Son webmestre, Blaise Rosnay, relate les débuts du site en juin 1998: "Le site du Club des Poètes a été créé en 1996, il s'est enrichi de nombreuses rubriques au cours des années et il est mis à jour deux fois par semaine. L'internet nous permet de communiquer rapidement avec les poètes du monde entier, de nous transmettre des articles et poèmes pour notre revue, ainsi que de garder un contact constant avec les adhérents de notre association. Par ailleurs, nous avons organisé des travaux en commun, en particulier dans le domaine de la traduction. Nos projets pour notre site sont d’y mettre encore et toujours plus de poésie. Ajouter encore des enregistrements sonores de poésie dite, ainsi que des vidéos de spectacles."

Poésie française propose pour sa part un choix de poèmes allant de la Renaissance au début du 20e siècle. Claire Le Parco, de la société Webnet, raconte à la même date: "Nous avons créé ce site lors de la création de notre société, spécialisée dans la réalisation de sites internet et intranet. Nous sommes des informaticiens qui aimons la poésie, et nous avions envie de montrer que poésie et internet pouvaient faire bon ménage!"

Une Autre Terre

Une Autre Terre, site de science-fiction, est mis en ligne en novembre 1996. Fabrice Lhomme, son créateur, retrace les débuts du site en juin 1998: "J'ai commencé en présentant quelques bibliographies très incomplètes à l'époque et quelques critiques. Rapidement, j'ai mis en place les forums à l'aide d'un logiciel 'maison' qui sert également sur d'autres actuellement. (...) Ensuite, le phénomène le plus marquant que je puisse noter, c'est la participation de plusieurs personnes au développement du serveur alors que jusque-là j'avais tout fait par moi-même. Le graphisme a été refait par un généreux contributeur et je reçois régulièrement des critiques réalisées par d'autres personnes. Pour ce qui est des nouvelles, la rubrique a eu du mal à démarrer mais une fois qu'il y en a eu un certain nombre, j'ai commencé à en recevoir régulièrement (effet d'entraînement). Actuellement, j'ai toutes les raisons d'être satisfait car mon site reçoit plus de 2.000 visiteurs différents chaque mois et toutes les rubriques ont une bonne audience. Le forum des visiteurs est très actif, ce qui me ravit. Concernant les perspectives d'avenir, j'envisage pour très bientôt d'ouvrir une nouvelle rubrique proposant des livres d'occasion à vendre avec l'ambition de proposer un gros catalogue. Eventuellement, j'ouvrirai aussi une rubrique présentant des biographies car je reçois pas mal de demandes des visiteurs en ce sens. (...) Si l'activité de vente de livres d'occasion se montre prometteuse, il est possible que j'en fasse une activité professionnelle sous la forme d'une micro-entreprise."

Le roman interactif

On assiste aussi à l’apparition de la littérature interactive, à savoir des oeuvres de fiction auxquelles participent les internautes. La première est "lancée par le grand écrivain américain John Updike, qui, l'an dernier, balança sur le web le premier chapitre d'un roman que les internautes étaient censés poursuivre", raconte Emmanuèle Peyret, journaliste, dans le quotidien Libération du 27 février 1998. Cette première expérience de littérature interactive est réalisée à l'initiative de la grande librairie en ligne Amazon.com.

En France, lors de la fête de l’internet des 20 et 21 mars 1998, ATOS et France Loisirs lancent à leur tour le premier roman interactif francophone. Le thème est le suivant: "Une femme, condamnée à mort aux Etats-Unis, bénéficie d'un sursis de trente jours accordé par le gouverneur, avant son exécution. Que va-t-elle faire de ce répit? A quoi pense-t-elle et quel message va-t-elle laisser aux partisans et aux opposants de la peine de mort?" Signé par le romancier Yann Queffélec, le premier chapitre est disponible sur le site de France Loisirs le 20 mars 1998, premier jour de la fête de l’internet. Les internautes disposent de deux semaines pour proposer un deuxième chapitre. Le jury du club sélectionne le meilleur chapitre, qui devient la suite officielle du roman, et ainsi de suite jusqu’au 27 juillet. Yann Queffélec prend à nouveau la plume pour rédiger le huitième et dernier chapitre. France Loisirs publie le roman en septembre 1998.

Zazieweb

Depuis 1996, toute l’actualité littéraire est présentée avec punch et humour par Zazieweb. Revue en ligne conçue et réalisée par Isabelle Aveline, avec un graphisme d’Oliver Cornu, Zazieweb comprend un édito, une rubrique d’actualité, un agenda, une revue de presse, un annuaire des sites et un self-service multimédia. En juin 1998, Isabelle Aveline écrit: "Zazieweb est né il y a deux ans environ: juin 1996. C'était à l'époque un projet personnel qui entrait dans le cadre d'un master multimédia et que j'ai essayé de 'vendre' aux éditeurs. (...) Découvrir internet m'a ouvert d'autres possibilités et surtout maintenant je ne conçois pas de ne pas travailler 'on the web'!"

Sur le site, elle explique: "Zazieweb est un site World Wide Web professionnel et grand public indépendant, spécifiquement dédié aux libraires, éditeurs... et grand public de culture 'livre'. Conçu comme une librairie virtuelle, un espace de documentation, d'orientation et de ressources pour un public de culture 'papier' s'intéressant à internet, il se situe aux frontières de l'écrit et de l'édition électronique. L'originalité du traitement des rubriques par rapport à un média papier étant évidemment de 'mailler' l'information avec un site sur internet. C'est donc un site 'passerelle' vers internet pour un public curieux et désorienté, avide de connaître ce qui se passe 'de l'autre côté de l'écran'."


Chapitre 3: Libraires
Table des matières


Vol. 2 (1998-2003)
Vol. 1 & 2 (1993-2003)


© 2003 Marie Lebert