NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - 1993-2003

Le Livre 010101 (2003)
Tome 2 (1998-2003)
4. La librairie web se diversifie

Trois sortes de librairies cohabitent sur le web: les librairies établies en complément d’une librairie traditionnelle ou d’une chaîne de librairies, les librairies en ligne créées directement sur le réseau et dont la totalité des transactions s’effectue via l’internet, et enfin, apparues courant 2000, les librairies numériques, qui vendent uniquement des livres en version numérisée, le plus souvent par téléchargement.

4.1. Librairies traditionnelles
4.2. Librairies en ligne
4.3. Librairies numériques


4.1. Librairies traditionnelles

A la fin des années 1990, les chaînes de librairies ont toutes une librairie en ligne à côté de leur réseau de librairies "en dur". C’est le cas notamment de la Fnac, Virgin, France Loisirs, ou encore Le Furet du Nord (qui dessert le Nord de la France) et Decitre (qui dessert la région Rhône-Alpes). Mais la vente à distance n’est pas l’apanage des grandes librairies, comme le montrent les deux exemples pris ici, les librairies de voyage et les librairies d’ancien.

Librairies de voyage

Fondée en 1985 par Hélène Larroche, Itinéraires est une librairie de voyages située au cœur de Paris, dans l’ancien quartier des Halles. Dès les débuts de la librairie, le personnel crée une base de données informatique avec classement des livres par pays et par sujets. Dix ans après, en 1995, la consultation du catalogue est possible sur minitel. Trois ans plus tard, la librairie est présente sur le web. En juin 1998, Hélène Larroche relate: "Nous effectuons près de 10% de notre chiffre d’affaires avec la vente à distance. Passer du minitel à internet nous semblait intéressant pour atteindre la clientèle de l’étranger, les expatriés désireux de garder par les livres un contact avec la France et à la recherche d’une librairie qui 'livre à domicile' et bien sûr les 'surfeurs sur le net', non minitélistes. La vente à distance est encore trop peu utilisée sur internet pour avoir modifié notre chiffre d’affaires de façon significative. Internet a cependant eu une incidence sur le catalogue de notre librairie, avec la création d’une rubrique sur le web, spécialement destinée aux expatriés, dans laquelle nous mettons des livres, tous sujets confondus, qui font partie des meilleures ventes du moment ou/et pour lesquels la critique s’emballe. Nous avons toutefois décidé de limiter cette rubrique à 60 titres quand notre base en compte 13.000. Un changement non négligeable, c’est le temps qu’il faut dégager ne serait-ce que pour répondre au courrier que génèrent les consultations du site. Outre le bénéfice pour l’image de la librairie qu’internet peut apporter (et dont nous ressentons déjà les effets), nous espérons pouvoir capter une nouvelle clientèle dans notre spécialité (la connaissance des pays étrangers), atteindre et intéresser les expatriés et augmenter nos ventes à l’étranger."

Un an et demi après, en janvier 2000, Hélène Larroche ajoute: "Un net regain de personnes viennent à notre librairie après nous avoir découvert sur le web. C’est plutôt une clientèle parisienne ou une clientèle venue de province pour pouvoir feuilleter sur place ce que l’on a découvert sur le web. Mais l’expérience est très intéressante et nous conduit à poursuivre."

D’autres librairies se débrouillent au mieux avec des moyens limités, comme la librairie Ulysse, sise à Paris dans l’île Saint-Louis. Fondée en 1971 par Catherine Domain, Ulysse est à l’époque la première librairie au monde uniquement consacrée au voyage. Ses 20.000 livres, cartes et revues neufs et d’occasion recèlent des documents souvent introuvables ailleurs. A la fois libraire et grande voyageuse, Catherine Domain est membre du SLAM (Syndicat national de la librairie ancienne et moderne), du Club des explorateurs et du Club international des grands voyageurs. En 1999, elle décide de se lancer dans un voyage virtuel autrement plus ingrat, à savoir la réalisation d’un site web en autodidacte. "Mon site est embryonnaire et en construction, raconte-t-elle en novembre 2000. Il se veut à l’image de ma librairie, un lieu de rencontre avant d’être un lieu commercial. Il sera toujours en perpétuel devenir! Internet me prend la tête, me bouffe mon temps et ne me rapporte presque rien, mais cela ne m’ennuie pas..." Elle est toutefois assez pessimiste sur l’avenir des librairies comme la sienne. "Internet tue les librairies spécialisées. En attendant d’être dévorée, je l’utilise comme un moyen d’attirer les clients chez moi, et aussi de trouver des livres pour ceux qui n’ont pas encore internet chez eux! Mais j’ai peu d’espoir..."

Librairies d’ancien

Les librairies d’ancien sont parmi les premières à utiliser l’internet pour étendre leur champ d’activité. Dans un domaine où la vente par correspondance à partir d’un catalogue a toujours été primordiale, l’internet vient à point nommé pour faciliter les transactions. Courrier électronique, listes de diffusion, bases de données sur le web et commerce électronique prennent le relais des méthodes traditionnelles.

Dès novembre 1995, Pascal Chartier, gérant de la librairie du Bât d’Argent (Lyon), crée Livre-rare-book, un site professionnel de livres d’occasion, anciens et modernes. En juin 1998, il définit l’internet comme "peut-être la pire et la meilleure des choses. La pire parce qu’il peut générer un travail constant sans limite et la dépendance totale. La meilleure parce qu’il peut s’élargir encore et permettre surtout un travail intelligent!" En août 2003, Livre-rare-book propose un catalogue de plus d’un million de livres émanant de quelque 320 librairies, et un annuaire électronique international recensant près de 4.000 librairies.

Autre réalisation, celle du Syndicat national de la librairie ancienne et moderne (SLAM), un syndicat professionnel regroupant 220 librairies françaises. Le SLAM met en ligne un premier site web en 1997, puis le remplace en juillet 1999 par un deuxième site d’une conception plus dynamique. Alain Marchiset, président du SLAM, explique en juillet 2000: "Ce site intègre une architecture de type 'base de données', et donc un véritable moteur de recherche, qui permet de faire des recherches spécifiques (auteur, titre, éditeur, et bientôt sujet) dans les catalogues en ligne des différents libraires. Le site contient l’annuaire des libraires avec leurs spécialités, des catalogues en ligne de livres anciens avec illustrations, un petit guide du livre ancien avec des conseils et les termes techniques employés par les professionnels, et aussi un service de recherche de livres rares. De plus, l’association organise chaque année en novembre une foire virtuelle du livre ancien sur le site, et en mai une véritable foire internationale du livre ancien qui a lieu à Paris et dont le catalogue officiel est visible aussi sur le site. (...)

Les libraires membres proposent sur le site du SLAM des livres anciens que l’on peut commander directement par courrier électronique et régler par carte de crédit. Les livres sont expédiés dans le monde entier. Les libraires de livres anciens vendaient déjà par correspondance depuis très longtemps au moyen de catalogues imprimés adressés régulièrement à leurs clients. Ce nouveau moyen de vente n’a donc pas été pour nous vraiment révolutionnaire, étant donné que le principe de la vente par correspondance était déjà maîtrisé par ces libraires. C’est simplement une adaptation dans la forme de présentation des catalogues de vente qui a été ainsi réalisée. Dans l’ensemble, la profession envisage assez sereinement ce nouveau moyen de vente."

Résolument optimiste en 1999 et 2000, la profession revoit ensuite ses espérances à la baisse. En juin 2001, Alain Marchiset écrit: "Après une expérience de près de cinq années sur le net, je pense que la révolution électronique annoncée est moins évidente que prévue, et sans doute plus 'virtuelle' que réelle pour le moment. Les nouvelles technologies n’ont pas actuellement révolutionné le commerce du livre ancien. Nous assistons surtout à une série de faillites, de rachats et de concentrations de sociétés de services (principalement américaines) autour du commerce en ligne du livre, chacun essayant d’avoir le monopole, ce qui bien entendu est dangereux à la fois pour les libraires et pour les clients qui risquent à la longue de ne plus avoir de choix concurrentiel possible. Les associations professionnelles de libraires des 29 pays fédérées autour de la Ligue internationale de la librairie ancienne (LILA) ont décidé de réagir et de se regrouper autour d’un gigantesque moteur de recherche mondial sous l’égide de la LILA. Cette fédération représente un potentiel de 2.000 libraires indépendants dans le monde, mais offrant des garanties de sécurité et de respect de règles commerciales strictes. Ce nouveau moteur de recherche de la LILA (en anglais ILAB) en pleine expansion est déjà référencé par AddALL et BookFinder.com."


4.2. Librairies en ligne

Apparues au milieu des années 1990, les librairies en ligne ont pour vitrine un site web, et toutes leurs transactions s’effectuent sur le réseau. Le site web permet de consulter le catalogue et de passer commande. Il permet aussi de lire des résumés, des extraits et des critiques de livres. En 2003, les principales librairies en ligne francophones ont pour nom Alapage, Chapitre.com et Amazon.fr. Fondée en 1996 par Patrice Magnard, Alapage rejoint le groupe France Télécom en septembre 1999 puis devient en juillet 2000 une filiale à part entière de Wanadoo (le fournisseur d'accès internet de France Télécom). Librairie indépendante créée en 1997 par Juan Pirlot de Corbion, Chapitre.com comprend plusieurs secteurs: livres neufs, livres neufs à prix réduit, livres anciens, revues anciennes ou épuisées, gravures et affiches. Amazon.fr est la filiale que le grand libraire américain ouvre en août 2000 dans l’hexagone.

Amazon.com est le pionnier des librairies en ligne. Son histoire est donc intéressante à ce titre. Fondé par Jeff Bezos, Amazon voit le jour en juillet 1995 à Seattle, sur la côte ouest des Etats-Unis. Quinze mois auparavant, au printemps 1994, Jeff Bezos fait une étude de marché pour décider du meilleur produit de consommation à vendre sur l’internet. Dans sa liste de vingt produits marchands, qui comprennent entre autres les vêtements et les instruments de jardinage, les cinq premiers du classement se trouvent être les livres, les CD, les vidéos, les logiciels et le matériel informatique.

"J’ai utilisé tout un ensemble de critères pour évaluer le potentiel de chaque produit, relate Jeff Bezos dans le kit de presse d’Amazon. Le premier critère a été la taille des marchés existants. J’ai vu que la vente des livres représentait un marché mondial de 82 milliards de dollars. Le deuxième critère a été la question du prix. Je voulais un produit bon marché. Mon raisonnement était le suivant: puisque c’était le premier achat que les gens allaient faire en ligne, il fallait que la somme à payer soit modique. Le troisième critère a été la variété dans le choix: il y avait trois millions de titres de livres alors qu’il n’y avait que 300.000 titres pour les CD, par exemple."

La vente de livres en ligne débute en juillet 1995, avec dix salariés et trois millions d’articles. Amazon devient vite une référence dans le commerce électronique, et son évolution rapide est suivie de près par des analystes de tous bords. En novembre 2000, la société compte 7.500 salariés, 28 millions d’articles, 23 millions de clients et quatre filiales (Royaume-Uni, Allemagne, France et Japon), auxquelles s’ajoute en juin 2002 une cinquième filiale au Canada. La maison mère diversifie progressivement ses activités. Elle vend non seulement des livres, des vidéos, des CD et des logiciels, mais aussi des produits de santé, des jouets, des appareils électroniques, des ustensiles de cuisine, des outils de jardinage, etc. En novembre 2001, la vente des livres, disques et vidéos ne représente plus que 58% du chiffre d’affaires. Admiré par certains, le modèle économique d'Amazon est violemment contesté par d’autres, notamment en matière de gestion du personnel.

La présence européenne d’Amazon débute en 1998. Les deux premières filiales sont implantées en Allemagne et au Royaume-Uni. En août 2000, avec 1,8 million de clients en Grande-Bretagne, 1,2 million de clients en Allemagne et quelques centaines de milliers de clients en France, la librairie réalise 23% de ses ventes hors des Etats-Unis. A la même date, elle ouvre sa filiale française.

A son ouverture, Amazon.fr compte quatre rivaux de taille: Fnac.com, librairie en ligne de la Fnac, Alapage, BOL.fr (fermé depuis), succursale de BOL.com, et Chapitre.com, librairie en ligne indépendante. Un mois après son lancement, Amazon.fr est à la seconde place des sites de biens culturels français, après Fnac.com. La société de mesure d’audience Media Metrix Europe donne les chiffres suivants pour septembre 2000: 401.000 requêtes individuelles pour Fnac.com, 217.000 requêtes pour Amazon.fr, 209.000 requêtes pour Alapage et 74.000 requêtes pour BOL.fr.

Contrairement à leurs homologues anglophones, les libraires en ligne français sont soumis à la loi sur le prix unique du livre. Ils ne peuvent se permettre les réductions substantielles proposées par leurs collègues situés aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, pays dans lesquels le prix du livre est libre. En revanche, les libraires en ligne français sont optimistes sur le développement d’un marché francophone international. Le nombre de librairies en ligne s’avère toutefois trop élevé par rapport au marché existant. En juillet 2001, BOL.com (BOL: Bertelsmann on line) annonce la fermeture de BOL.fr, succursale créée deux ans auparavant par les deux géants des médias Bertelsmann et Vivendi. A la même date, les difficultés rencontrées par d’autres libraires en ligne montrent la nécessité de revoir à la baisse des prévisions quelque peu optimistes, afin de laisser à la clientèle le temps de s’habituer à ce nouveau mode d’achat.


4.3. Librairies numériques

Dernière-née sur le web, la librairie numérique apparaît courant 2000, lorsque la vente de livres numériques commence à se généraliser. Comme son nom l'indique, la librairie numérique est une librairie vendant uniquement des livres numériques, le plus souvent par téléchargement, ou alors envoyés en pièce jointe à un courrier électronique. Les livres numériques sont diffusés dans plusieurs formats, les principaux formats étant le format PDF (lu par l’Acrobat Reader et l’Acrobat eBook Reader), le format LIT (lu par le Microsoft Reader), le format PRC (lu par le Mobipocket Reader) et le format PDB (lu par le Palm Reader).

Les grandes librairies en ligne Amazon.com et Barnes & Noble.com ouvrent toutes deux un secteur numérique à quelques mois d’intervalle. Barnes & Noble.com ouvre son secteur eBooks en août 2000, suite à un accord passé avec Microsoft en janvier 2000 pour la vente de livres lisibles sur le Microsoft Reader. Amazon.com suit son concurrent de peu. Après avoir conclu une alliance avec Microsoft en août 2000, Amazon ouvre son service eBooks en novembre 2000, avec 1.000 titres disponibles au départ. En septembre 2001, Yahoo! leur emboîte le pas en créant son eBook Store, suite à des accords passés avec plusieurs éditeurs (Penguin Putnam, Simon & Schuster, Random House et HarperCollins).

Mais les librairies numériques ne sont pas l’apanage des mastodontes du métier, comme en témoigne l’activité de Numilog, librairie numérique française qui ouvre ses portes en septembre 2000.

En février 2001, Denis Zwirn, PDG de Numilog, relate: "Dès 1995, j’avais imaginé et dessiné des modèles de lecteurs électroniques permettant d’emporter sa bibliothèque avec soi et pesant comme un livre de poche. Début 1999, j’ai repris ce projet avec un ami spécialiste de la création de sites internet, en réalisant la formidable synergie possible entre des appareils de lecture électronique mobiles et le développement d’internet, qui permet d’acheminer les livres dématérialisés en quelques minutes dans tous les coins du monde. (...) Nous avons créé une base de livres accessible par un moteur de recherche. Chaque livre fait l’objet d’une fiche avec un résumé et un extrait. En quelques clics, il peut être acheté en ligne par carte bancaire, puis reçu par e-mail ou téléchargement." Quelques semaines plus tard, le site offre "des fonctionnalités nouvelles, comme l’intégration d’une 'authentique vente au chapitre' (les chapitres vendus isolément sont traités comme des éléments inclus dans la fiche-livre, et non comme d’autres livres) et la gestion très ergonomique des formats de lecture multiples".

Fondée en avril 2000 par Denis Zwirn, Hervé Zwirn et Patrick Armand, la société Numilog a une triple activité. Elle est à la fois une librairie en ligne, un studio de fabrication et un diffuseur. "Numilog est d’abord une librairie en ligne de livres numériques, explique Denis Zwirn. Notre site internet est dédié à la vente en ligne de ces livres, qui sont envoyés par courrier électronique ou téléchargés après paiement par carte bancaire. Il permet aussi de vendre des livres par chapitres. Numilog est également un studio de fabrication de livres numériques: aujourd’hui, les livres numériques n’existent pas chez les éditeurs, il faut donc d’abord les fabriquer avant de pouvoir les vendre, dans le cadre de contrats négociés avec les éditeurs détenteurs des droits. Ce qui signifie les convertir à des formats convenant aux différents 'readers' du marché. (...) Enfin Numilog devient aussi progressivement un diffuseur. Car, sur internet, il est important d’être présent en de très nombreux points du réseau pour faire connaître son offre. Pour les livres en particulier, il faut les proposer aux différents sites thématiques ou de communautés, dont les centres d’intérêt correspondent à leur sujet (sites de fans d’histoire, de management, de science-fiction...). Numilog facilitera ainsi la mise en oeuvre de multiples 'boutiques de livres numériques' thématiques."

Répartis en trois grandes catégories - savoir, guides pratiques et littérature - les livres sont disponibles dans plusieurs formats: format PDF (portable document format) avec lecture en pleine page sans défilement et sans zoom, format PDF avec mise en page reproduisant celle du livre imprimé, format LIT (abrégé du terme anglais: literature) pour le Microsoft Reader et format PRC (Palm resource) pour le Mobipocket Reader. Seront ajoutés progressivement les nouveaux formats utiles sur le marché.

En 2003, le catalogue comprend 3.500 ebooks (livres et périodiques) en français et en anglais, grâce à un partenariat avec une quarantaine d’éditeurs. Le but à long terme étant de "permettre à un public d’internautes de plus en plus large d’avoir progressivement accès à des bases de livres numériques aussi importantes que celles des livres papier, mais avec plus de modularité, de richesse d’utilisation et à moindre prix".


Chapitre 5: Bibliothèques
Table des matières


Vol. 1 (1993-1998)
Vol. 1 & 2 (1993-2003)


© 2003 Marie Lebert