NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - Entretiens 1998-2001 - Jean-Paul
Entretiens en français
Interviews in English
Webmestre des cotres furtifs, Jean-Paul - qui a choisi son prénom comme pseudonyme - s'est toujours intéressé à l'écriture, imprimée ou chantée, avant de centrer son intérêt sur les nouvelles formes qu'annoncent le numérique et la technique de l'hyperlien, l'architecture par liens, le système des correspondances dans un réseau où sinon les parfums du moins "les couleurs et les sons se répondent"... Depuis 1999, il anime des soirées publiques sur le thème de l'hypertexte à La Maroquinerie (Paris). En 2000, il fait partie de la grande aventure du Samarkande: www.thewebsoap.net, un feuilleton hypermédia collectif de onze auteurs diffusé en direct sur la toile.
Les cotres furtifs (un cotre est un bateau à voile) ont commencé à émettre le 20 octobre 1998. "L'image et le son font partie intégrante de chaque récit, avec un système d'échos de l'un à l'autre, mais le parti-pris est de laisser la priorité aux mots." Ils en sont à leur version 2, offrant "deux entrées sur deux histoires qui se croisent comme le ruban de Möbius". La version 3 est en vue, "consacrée à un avatar de Clément Ader".
Entretien 05/08/1999
Entretien 25/06/2000
Entretien 03/12/2000
Entretien 03/06/2001
L'internet va me permettre de me passer des intermédiaires: compagnies de disques, éditeurs, distributeurs... Il va surtout me permettre de formaliser ce que j'ai dans la tête (et ailleurs) et dont l'imprimé (la micro-édition, en fait) ne me permettait de donner qu'une approximation. Puis les intermédiaires prendront tout le pouvoir. Il faudra alors chercher ailleurs, là où l'herbe est plus verte...
Pour s'en tenir à la cyber-littérature, ou techno-littérature ou comme on voudra l'appeler, son avenir est tracé par sa technologie même : il est maintenant impossible à un(e) auteur(e) seul(e) de manier à la fois les mots, leur apparence mouvante et leur sonorité. Maîtriser aussi bien Director, Photoshop et Cubase, pour ne citer que les plus connus, c'était possible il y a dix ans, avec les versions 1. Ça ne l'est plus. Dès demain (matin), il faudra savoir déléguer les compétences, trouver des partenaires financiers aux reins autrement solides que Gallimard, voir du côté d'Hachette-Matra, Warner, Pentagone, Hollywood.
Au mieux, le statut du... écrivaste ? multimédiaste ? sera celui du vidéaste, du metteur en scène, du directeur de produit : c'est lui qui écope des palmes d'or à Cannes, mais il n'aurait jamais pu les décrocher seul. Soeur jumelle (et non pas clone) du cinématographe, la cyber-littérature (= la vidéo + le lien) sera une industrie, avec quelques artisans isolés dans la périphérie off-off (aux droits d'auteur négatifs, donc).
Il est ainsi appelé parce qu'il semble couper l'eau : "Cotre, Cutter, s.m. Petit bâtiment de guerre à un mât, fin dans ses formes de l'arrière, fortement épaulé & portant bien la voile (...). Les navires de cette sorte, très bien gréés & voilés pour le plus près et pour louvoyer, peuvent, en outre, naviguer avec avantage vent arrière (...). Un côtre porte environ 6 à 8 bouches à feu." (Bonnefoux et Pâris, Dictionnaire de la marine à voile)
Les cotres (héritiers des bateaux rapides des côtes de la Manche et de la mer du Nord) remontent donc très bien au vent. Souvent survoilés, rapides et maniables, les cotres étaient un élément important des flottes de guerre. Pour les mêmes raisons, ils furent avec les lougres les bateaux préférés des pirates, contrebandiers et... postiers maritimes (facteurs, en somme...).
"Aujourd'hui que la terre est plate et les mers dessalées, il est temps que nos cotres se faufilent entre les 6 milliards d'étoiles que nous sommes (bientôt 6,5). Et que de cotre à cotre se tissent nos liens." (Le cotre courant)
Ce qui me motive, c'est que tout est à faire, sur la toile. A part le CERN (Laboratoire européen pour la physique des particules) et le Pentagone (qui vont s'en faire une autre, de toile, limitée à leur désir), personne ne sait exactement ce qu'elle nous offre. On peut donc travailler librement en acceptant avec vraisemblance l'idée que tout est ouvert. Utiliser le plus largement, le plus vite possible cet espace d'autant plus illimité qu'il est intérieur, le temps que nous rattrape et nous double le vol rapace des bannières étoilées de 0 et de 1.
Mais si c'est pour répéter les mêmes gestes qu'avant, à quoi bon?
Or cette histoire du nom (directement liée au problème du droit d'auteur) renvoie au pilier fondamental, tabou, de notre globe: la propriété privée. Rien que ça: en quelques siècles, on nous a réduit à un nom, un seul, d'autant plus "propre" maintenant qu'il a été nettoyé de toute humanité et réduit à un code-barre SS (Sécu Soc) (sécurité sociale, ndlr). Ce n'est pas un phénomène naturel : c'est un choix de civilisation, voulu par les gestionnaires, car comment faire fonctionner une société moderne, comment obtenir que soit rendu à César ce qu'il s'approprie, si on laissait chaque individu modifier son apparence administrative plusieurs fois dans sa vie, passant de "Casse-cou des Patins (à roulettes)" à "Le 68tard qui fume sous la véranda" après avoir été "Mob dans les virages" (alors que vous savez comme moi qu'un programme simple suffirait pour "gérer" ça)? "La nature humaine est foncièrement mauvaise et tous les maffieux en abuseraient. Mais nous sommes là pour vous protéger, protéger votre identité." (Le Pentagone) Et le premier acte d'affirmation du plus démuni, celui dont les papiers ne sont jamais en règle, c'est d'abord de tagger son nom sur les affiches signées "© Grande Marque".
Aux cotres, nous essayons furtivement autre chose.
Nous existons, nous avons une adresse. Nous savons qu'il est difficile de se parler dans l'anonymat ou le collectivisme, alors nous gardons certains points de repère: il y a le facteur temps, il y a le facteur humain, et chez les cotres, il y a le cotre facteur, qui répond souvent au nom de Jean-Paul. Un prénom qui n'est pas un nom propre puisque justement le propre d'un nom est qu'il ne nous est pas propre: c'est celui d'une dynastie, d'une série de pères déposée chez notaires.
Pas question de renier nos ancêtres: ils ont fait le monde que nous appelons réalité. Mais nous levons la toile pour un autre rêve. Et nous lançons nos cotres dans toutes les directions, pour les contacts.
Nous ne nous sentons pas concernés.
a) - S'il s'agit de "respect", c'est une question de morale et d'élégance, qui n'est pas suceptible de débat: sur la toile comme ailleurs, on cite ses sources. Total respect. Pour la plupart d'entre nous.
b) - S'il s'agit de "droit d'auteur", on est dans le domaine juridique, instable par essence. Le "droit" d'auteur est une notion récente -- que les Français attribuent à Beaumarchais, homme d'ombres, d'affaires, trafiquant d'armes et grand auteur. L'apparition du numérique, et donc du clonage (qui pose un autre problème que celui de la copie, résolu depuis longtemps), oblige à reconsidérer cette notion.
c) - S'il s'agit de "droitS d'auteur" (au pluriel, donc), on est dans la sphère de l'économie, dont la logique est connue: concurrence et rétention: devenir le premier de la classe, empêcher les autres de le devenir. Et pas vu, pas pris.
Sony est éditeur de CD (audio et Rom) parce que ça rapporte. Et il fabrique des graveurs (qui permettent de cloner ses propres CD, comme ceux de la concurrence) parce que ça rapporte. Philips faisait de même, jusqu'au jour où il a vendu sa division Polygram (que les lois de l'économie lui permettront de racheter le cas échéant).
"Il ne suffit pas d'être grand pour être performant, mais, dans un monde financier totalement mondialisé, ça aide. Surtout si on a l'ambition de jouer les premiers rôles." (Hervé Babonneau, Ouest-France du 6 août 1999). "Drôle d'ambition" dit le cotre carré. Jurassic Games et tyrannosaures plus ou moins rex.
Bien que tangent à la sphère économique (il faut payer le nom de domaine, et l'abonnement au serveur), notre cotre-espace ne s'y réduit pas, notre esprit n'est pas celui de la concurrence. Notre site est en téléchargement libre, et nous téléchargeons les sites que nous trouvons créatifs.
C'est normal de cloner une oeuvre d'autrui pour en faire cadeau; c'est partager. Ce qui est dégueulasse, c'est de vendre ce clone.
La fonction des juristes est de donner raison aux puissances du jour: hier guillotine pour les faiseuses d'anges, aujourd'hui remboursement des avortements par la Sécu (sécurité sociale, ndlr) (en France, pas en Pologne).
Copyright ou droit d'auteur, vision européenne ou vision américaine, qui va l'emporter? Le principe de propriété privée. La propriété tabou de ceux qui ont les moyens de la faire garder. Par l'OMC (Organisation mondiale du commerce) par exemple, chargée de régler la question des "droits" partout dans le monde (même virtuel) et, espèrent-ils, pour toujours.
Ceux dont la maison est sur le tracé d'une future autoroute savent le prix réel d'un tabou.
Alors les droits des auteurs, créateurs, inventeurs...
Mais si Orson Welles s'est fait bouffer par les studios, Kubrick s'est méthodiquement rendu indépendant des mêmes. Peu importe la loi que se fera tailler sur mesure Onc' Picsou. Les petits mammifères ont bouffé les tyrannosaures, avec le temps. Et les anciens rois, qui tenaient pourtant leur pouvoir des dieux, nous leur avons coupé la tête. En moins de temps.
"Maxim's pour un temps
Le reste jambon-beurre et kir
Pour tenir Juliette" (Rimes féminines, CD MT 104, Le Rideau
Bouge)
"Donner un sens plus pur aux mots de la tribu", disait S. Mallarmé. Et quand les cartes bancaires auront gagné (dans trois ans, paraît-il), inventer d'autres cartes vers un autre cap de Bonne-Espérance pour aller voir monter "du fond de l'horizon des étoiles nouvelles", comme J.M. 2 Heredia.
Votre livre (vraiment bon. Et utile. Gagne à chaque relecture. Adresses précieuses) fait le tour de la question: "Tôt ou tard, la répartition des langues sur le web correspondra à leur répartition sur la planète". En fonction du dynamisme de ceux qui les parlent.
Le vertige qui nous a pris à la réception du premier message... venant du Canada. 10.000 (?) ans après les Inuits, des cotres venaient de découvrir l'Amérique !
Tout ce sommeil en retard...
La navigation par hyperliens se fait en rayon (j'ai un centre d'intérêt et je clique méthodiquement sur tous les liens qui s'y rapportent) ou en louvoiements (de clic en clic, à mesure qu'ils apparaissent, au risque de perdre de vue mon sujet). Bien sûr, les deux sont possibles avec l'imprimé. Mais la différence saute aux yeux: feuilleter n'est pas cliquer. L'internet n'a donc pas changé ma vie, mais mon rapport à l'écriture. On n'écrit pas de la même manière pour un site que pour un scénario, une pièce de théâtre, etc...
En fait, ce n'est pas sur la toile, c'est dans le premier Mac que j'ai découvert l'hypermédia à travers l'auto-apprentissage d'Hypercard. Je me souviens encore de la stupeur dans laquelle j'ai été plongé, durant le mois qu'a duré mon apprentissage des notions de boutons, liens, navigation par analogies, par images, par objets. L'idée qu'un simple clic sur une zone de l'écran permettait d'ouvrir un éventail de piles de cartes dont chacune pouvait offrir de nouveaux boutons dont chacun ouvrait un nouvel éventail dont... bref l'apprentissage de tout ce qui aujourd'hui sur la toile est d'une banalité de base, cela m'a fait l'effet d'un coup de foudre (il paraît que Steve Jobs et son équipe eurent le même choc lorsqu'ils découvrirent l'ancêtre du Mac dans les laboratoires de Rank Xerox).
Depuis, j'écris (compose, mets en page, en scène) directement à l'écran. L'état "imprimé" de mon travail n'est pas le stade final, le but ; mais une forme parmi d'autres, qui privilégie la linéarité et l'image, et qui exclut le son et les images animées.
J'ai cru un certain temps que le CD-Rom était le but à atteindre, la forme la plus achevée de ces nouveaux outils extraordinaires.
Mais le CD-Rom, c'est encore la galaxie Gutenberg. Il fixe, fige (et permet de vendre) l'état, le dispositif, la version d'un travail à l'instant T. Il est ainsi soumis aux mêmes contraintes. Tout comme l'arrivée de l'écriture avait appauvri la culture orale (l'aède-musicien-comédien-metteur-en-scène remplacé par l'écrivain immobile), la technologie de l'imprimerie a "plombé" l'écriture, induisant rapidement l'idée qu'il y a une version finale, ©, TM & intouchable. Masquant ainsi la nécessité technique ("On ne va pas refaire un tirage juste pour changer un §!..., à moins que les commerciaux l'exigent, bien sûr"), sous la théorie de la forme parfaite, celle de l'ultime brouillon, publiable. C'est Valéry parlant de la forme achevée des vers de Racine, c'est Flaubert dans son gueuloir. A l'opposé de maître Frenhofer qui modifia jusqu'à la mort son Chef-d'oeuvre inconnu (dans l'incompréhension générale); à l'opposé de je ne sais plus quel peintre qui allait au Louvre avec sa mallette pour retoucher ses tableaux.
C'est finalement dans la publication en ligne (l'entoilage?) que j'ai trouvé la mobilité, la fluidité que je cherchais. Le maître mot y est "chantier en cours", sans palissades. Accouchement permanent, à vue, comme le monde sous nos yeux. Provisoire, comme la vie qui tâtonne, se cherche, se déprend, se reprend.
Avec évidemment le risque souligné par les gutenbergs, les orphelins de la civilisation du livre: plus rien n'est sûr. Il n'y a plus de source fiable, elles sont trop nombreuses, et il devient difficile de distinguer un clerc d'un gourou. Mais c'est un problème qui concerne le contrôle de l'information. Pas la transmission des émotions.
Bref, pour répondre à votre question: oui, l'hypermédia a changé mon "écriture". Et c'est sur la toile mouvante que je trouve plaisir et sens à participer au site des cotres. A rouler mon hyper-caillou de facteur Sisyphe dans le grand fleuve de l'hyper.
Le réseau dominant est celui de l'e-bizz : information, données, rationalité, ca$h. Illusionisme. C'est la marge, l'ourlet de la toile qui m'intéresse, l'enchantement, la magie : "Achète-moi, je ne vaux rien puisque l'amour n'a pas de prix" (Léo Ferré). Et il n'y a évidemment aucun avenir professionnel dans la gratuité.
Il faudrait aussi revenir en détail sur la question de la "lecture" sur un écran. Ce sera (peut-être) pour les prochains épisodes de notre grand hyper-feuilleton: Nasdaq & boutons.
Les cotres roulent doucement sous la lune. Ils contemplent les constellations de la Toile, en attendant leur prochain décollage, dans la version 3.
A titre personnel, je participe à un jeu de rôles hypermédia dont l'avenir me paraît prometteur, parce qu'il est en rapport étroit avec les lois de fonctionnement du "cyberespace": www.thewebsoap.net. Cette @dresse renvoie à une constellation de sites centrés chacun sur un individu. Ils communiquent et interagissent par leur boîte à lettres, ouverte au public. L'internaute a ainsi accès à plusieurs portes d'entrée dans l'histoire. La nouveauté du feuilleton est qu'il se déroule en "temps réel" (ce qui est impossible dans le monde de l'imprimé; quant aux séries télé, elles aussi sont cantonnées à la forme de l'épisode à horaire fixe).
Les personnages correspondent quotidiennement, en quasi-direct, ce qui instaure pour les auteurs un rapport presque journalistique à leur imaginaire et à leur écriture. L'internaute suit, à son propre rythme, libre de s'intéresser ou non à l'intégralité des différentes intrigues (amours, galères, showbiz, ombres maléfiques, mystères et rebondissements) ou à l'ensemble de tous les personnages. C'est avant tout cette fluidité générale (apparente! c'est en fait un sacré travail!) qui m'a fait y participer. Elle permet de garder le côté impro-jazz que j'aime dans la mise en net.
Elle sera de plus en plus collective, donc chère. Or le public n'existe pas encore, ni donc les droits d'auteurs. La question centrale pour les "créateurs en ligne" sera alors celle du mécénat ou, plus généralement, des subventions. Jusqu'à ce qu'une masse critique de public se soit constituée, que ses goûts culturels se soient affirmés au point qu'il soit prêt à payer (sous la forme de péages ou de DVD). Alors les créateurs en ligne pourront affiner leurs propres recherches.
Je lis autant d'imprimés qu'avant. La lecture sur écran s'y est rajoutée. D'où des problèmes de temps: ces machines qui sont censées travailler à notre place contribuent en fait à nous bouffer le temps libre qu'elles nous ont dégagé.
Ses jours sont encore longs avant que la lecture sur écran présente la même souplesse que celle d'un livre ou d'un magazine que l'on peut lire n'importe où, dans la position que l'on veut, et ranger, rouler, plier, déchirer facilement (allez envelopper les pelures de pomme de terre dans un 15 pouces!).
Il a fallu inventer la hache de pierre avant de construire la Tour Eiffel. Le but des dinosaures industriels qui s'entretuent pour imposer leur format de livre électronique est de détourner vers eux la partie rentable du contenu des bibliothèques (rebaptisé "information"). Ils travaillent aussi pour nous, en contribuant à banaliser l'usage de l'hyperlien.
L'ordinateur qui parle et obéit à la voix de son vis-à-vis?
Un lieu isotrope en expansion pour l'instant infinie. Un modèle de la vision que nous avons aujourd'hui de l'univers. Jusqu'à l'invention du clic, le savoir humain était senti comme un espace newtonien, avec deux repères absolus: le temps (linéaire: un début, une fin) et l'espace (les trois dimensions du temple, du rouleau, du volumen). Le cyberespace obéit aux lois de l'hypertexte. Deux temps simultanés: le temps taxé (par le fournisseur d'accès ou par les impératifs de productivité, égrené par l'antique chrono), et le temps aboli, qui fait passer d'un lien à l'autre, d'un lieu à l'autre à la vitesse de l'électron, dans l'illusion du déplacement instantané.
Quant aux repères, quiconque a lancé une recherche dans cet espace sait qu'il doit lui-même les définir pour l'occasion, et se les imposer (sous peine de se disperser, de se dissoudre), pour échapper au vertige de la vitesse. A cause de cette "vitesse de la pensée", nous trouvons dans cet espace un "modèle" de notre cerveau. "Ça tourne dans ma tête", à travers 10, 20, etc... synapses à la fois, comme un fureteur archivant la toile. Bref les lois du cyberespace sont celles du rêve et de l'imagination.
Plus, plus vite. Mais les données ne sont pas l'information. Il faut les liens, c'est-à-dire le temps. Plus d'évènements, plus d'écrans pour les couvrir. Plus vite: l'évènement du jour est liquide. Effacé, recouvert par la vaguelette du lendemain, la vague du jour d'après, la houle de la semaine, le tsunami du mois. Cycles aussi "naturels" que les marées estivales du Loch Ness. Pas "effacé", d'ailleurs, l'évènement d'hier (qui n'est pas "tous les évènements d'hier"): déjà archivé, dans des bases de données (INA (Institut national de l'audiovisuel), Gallica, INSEE...), qui donnent l'illusion d'être exhaustives, facilement accessibles et momentanément gratuites.
Mais les données ne donnent rien par elles-même. S'informer, c'est lier entre elles des données, éliminer celles qui ne sont pas pertinentes (quitte à revenir sur ces choix plus tard), se trouver ainsi obligé de chercher d'autres données qui corroborent ou infirment les précédentes... L'information naît du temps passé à tisser les liens. Or le temps nous est mesuré, au quartz près. Productique ou temps libre, nous passons de plus en plus de temps à raccrocher au nez de spammeurs qui nous interrompent pour nous revendre nos désirs (dont nous informons les bases de données qui les leur vendent). Ce qui est intéressant dans ce bonneteau est que les infos que nous fournissons sur nous-mêmes, nous les truquons suffisamment pour que les commerciaux n'arrivent pas à en tirer les lois du succès: Survivor II est un bide, après le succès de la version I. De cette incertitude viennent les trous dans le filet qui laissent parvenir jusqu'à nous certaines infos.
Bref la "société de l'information", c'est le jeu des regards dans le tableau de de La Tour: "La diseuse de bonne aventure". Le jeune homme qui se fait dépouiller en est conscient, et complice. Il a visiblement les moyens de s'offrir les flatteries des trois jolies filles tout en exigeant de la vieille diseuse qu'elle lui rende l'une de ces piécettes dont il a pris la précaution de gonfler ostensiblement la bourse qu'on lui coupe.
The cotres furtifs was launched on October 20, 1998, after they had become a group. Following a break to show solidarity with the Altern web server (which fell foul of the inadequate French laws about the Internet), they are now offering two parts and preparing a third. The aim is to tell stories in 3D and explore how a 'link' opens the way for 'hyperwriting,' which is a set of characters, sounds and animations. It gives priority to words.
Jean-Paul is a writer and a musician. In June 1998, he wrote: "The Internet allows me to do without intermediaries, such as record companies, publishers and distributors. Most of all, it allows me to crystallize what I have in my head (and elsewhere): the print medium (desktop-publishing, in fact) only allows me to partly do that. Then the intermediaries will take over and I'll have to look somewhere else, a place where the grass is greener..."
Interview 05/08/1999
Interview 25/06/2000
(original interview in French)
The future of cyber-literature, techno-literature or whatever you want to call it, is set by the technology itself. It's now impossible for an author to handle all by himself the words and their movement and sound. A decade ago, you could know well each of Director, Photoshop or Cubase (to cite just the better-known software), using the first version of each. That's not possible any more. Now we have to know how to delegate, find more solid financial partners than Gallimard, and look in the direction of Hachette-Matra, Warner, the Pentagon and Hollywood.
At best, the status of the, what... hack? multimedia director? will be the one of video director, film director, the manager of the product. He or she's the one who receives the golden palms at Cannes, but who would never have been able to earn them just on their own. As twin sister (not a clone) of the cinematograph, cyber-literature (video + the link) will be an industry, with a few isolated craftsmen on the outer edge (and therefore with below-zero copyright).
It is called that because it seems to cut through the water. It's sturdy little naval vessel with a single mast. Cutters were an important part of naval fleets because they were quick and easy to operate. They were the favourite boats of pirates, smugglers and... maritime postal workers.
"Now that the earth is flat and the seas desalinated, it's time for our cutters to thread their way through the 6 billion (soon six and a half billion) stars that we are. And for them all to link up with each other." (The running cutter)
My reasoning is that, on the Web, there's everything to be done. Except for CERN (European Center for Particule Research) and the Pentagon (which are going to make another web, designed just for their own use), nobody knows what exactly it offers us. So we can work freely while believing that probably everything is open. And use this unlimited, internal space as widely and quickly as possible before the rapacious star-spangled banners of 0 and 1 catch up with and overtake us.
But if it's just a matter of repeating the same things as before, what's the point?
This business of using a surname (directly linked to the copyright problem) takes us back to basics, to the central untouchable principle of our planet: private property. Within the space of a few centuries, we have been reduced to a name, just one name, all the "cleaner" because it has been stripped of all humanity and reduced to a social security barcode. It's not something natural, but a choice of the society, desired by managers. How could we run a modern society and give back to Caesar his due if each of us could change our administrative identity several times in our lives, from "Daredevil on Rollers" to "Motorcycle on the Curves" and then "Hippy Smoking on the Verandah" (you know, like me, that a simple software programme could easily take care of all this)? "Human nature is basically evil and all criminals take advantage of that. But we're here to protect you and your identity." (The Pentagon) And the first thing a down-and-out person does to assert themselves, someone whose papers are never in order, is to scribble their name on a billboard advertising some big commercial product.
On our site, we discreetly try something else.
We exist, we have an address. We know it's hard to speak to each other in anonymity or in a group, so we keep a few landmarks -- the time factor, the human factor, and for the cutters, the cutter mailman, who happens to be Jean-Paul. A first name that is not really one's own name because the thing about a name is that it isn't ours, it's a name passed down by a dynasty, from a string of legally-registered names of our male ancestors.
But we're not rejecting our ancestors. They created our world, what we call reality. But we build up the Web to create another dream. And we launch our cutters in all directions, to make contacts.
We don't feel involved.
a) If it means "respect", it's a matter of morality and style, so there's nothing to discuss. On the Web, as elsewhere, we quote our sources. Complete respect. For most of us.
b) If it means "copyright", we're on legal ground, which is by nature shaky. Copyright is a recent notion the French attribute to Beaumarchais, a business man with a dark side, an arms dealer and great writer. The advent of digitization, and therefore cloning (which raises a different problem to the one of copying, which was solved long ago), forces us to reconsider this notion.
c) If it means "author's rights" (in the plural), we're in the economic field, where we know what the attitude is: competition, withholding information, being top of the class and stopping others from getting there.
Sony publishes CD (audio and ROM) because it earns them good money. And it makes CD-engravers (which enable you to clone its own CDs, as well as those of its rivals) because it earns them more good money. Philips was doing the same thing until it sold its Polygram division (which, according to the rules of economics, it could buy back if it wanted).
"It's not enough to be big to be successful but, in a totally globalized financial world, it helps." (Hervé Babonneau, Ouest-France (French daily newspaper), August 6, 1999). "A funny aim", says the sturdy cutter. Jurassic Games and tyrannosaurus more or less rex.
Although it's marginally economic (we have to pay for a domain name and a subscription to the server), our cutter-space isn't limited to that and we don't have a competitive attitude. Our site can be freely downloaded, and we download sites we think are creative.
It's normal to clone someone else's work and give it away as a gift. It's a way to share. What's disgusting is to sell a clone.
The job of legal experts is to prove the authorities right: yesterday it was the guillotine for backstreet abortionists, today the social security reimburses the cost of abortions (in France, though not in Poland).
Copyright or author's rights, a European vision or a US one, which will prevail? The sacred principle of private property. The property of those who have the means to keep it. Through the World Trade Organization (WTO), for example, which is in charge of settling "rights" issues anywhere in the world (even the virtual world) and, they hope, permanently.
If your house is the path of a future highway, you know the real price of something untouchable.
So the rights of authors, creators, inventors...
Orson Welles was gobbled up by the big studios, but Kubrick carefully stayed independent of them. The law made to measure by Uncle Picsou matters little. Over time, small mammals have eaten tyrannosaurs. And we've cut off the heads of kings, who supposedly drew their power from the gods. And we did that more quickly.
"To give a purer meaning to the words of the tribe", Stéphane Mallarmé wrote. And when the credit cards have won (apparently in three years time), we must invent other ways to take us to another Cape of Good Hope, where we can watch "new stars rise from the distant horizon", like J.M. de Heredia.
Your book (which is really good and useful -- I get something out of it every time I read it, and it has good addresses too) deals with this whole subject: "Sooner or later the presence of languages on the Web will reflect their strength around the world." Depending on the energy of those who speak them.
How light-headed we felt when we received our first message... coming from Canada. 10.000 (?) years after the Inuits, our cutters had just discovered America!
All the sleep I'm missing...
(original interview in French - partial translation)
Surfing the Web is like radiating in all directions (I'm interested in something and I click on all the links on a home page) or like jumping around (from one click to another, as the links appear). You can do this in the written media, of course. But the difference is striking. So the Internet didn't change my life, but it did change how I write. You don't write the same way for a website as you do for a script or a play.
But it wasn't exactly the Internet that changed my writing, it was the first model of the Mac. I discovered it when I was teaching myself Hypercard. I still remember how astonished I was during my month of learning about buttons and links and about surfing by association, objects and images. Being able, by just clicking on part of the screen, to open piles of cards, with each card offering new buttons and each button opening onto a new series of them. In short, learning everything about the Web that today seems really routine was a revelation for me. I hear Steve Jobs and his team had the same kind of shock when they discovered the forerunner of the Mac in the laboratories of Rank Xerox.
Since then I've been writing directly on the screen. I use a paper print-out only occasionally, to help me fix up an article, or to give somebody who doesn't like screens a rough idea, something immediate. It's only an approximation, because print forces us into a linear relationship: the words scroll out page by page most of the time. But when you have links, you've got a different relationship to time and space in your imagination. And for me, it's a great opportunity to use this reading/writing interplay, whereas leafing through a book gives only a suggestion of it -- a vague one because a book isn't meant for that.
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