NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - De l'imprimé à Internet
Plutôt qu'une conclusion, difficile à envisager pour un sujet aussi neuf, on parlera plutôt de perspectives puisque, comme on l'a vu dans les chapitres précédents, Internet ouvre de nombreuses perspectives - avec son lot de problèmes à résoudre - dans tous les secteurs de l'imprimé.
Tout auteur a désormais la possibilité de faire connaître ses oeuvres en créant un site web, sans attendre de trouver un éditeur pour être publié, et il peut facilement échanger avec ses lecteurs grâce au courrier électronique.
Les cyberlibraires ont non seulement la possibilité de vendre les livres publiés dans leur propre pays, mais aussi celle de vendre des livres étrangers ou bien de vendre à l'étranger des livres publiés dans leur propre pays. Il leur faut encore convaincre les associations d'éditeurs ou de libraires dits "traditionnels" pour faire disparaître les frontières dans la vente de livres. Les lecteurs ont à leur disposition des extraits ou parfois même le texte intégral des nouveautés, qu'ils peuvent "feuilleter" tout à loisir à domicile. Plusieurs cyberlibrairies offrent aussi un véritable magazine littéraire avec un contenu éditorial chaque jour différent.
Les gestionnaires de catalogues peuvent enfin voir se concrétiser la possibilité de donner accès au texte du document à partir de sa notice bibliographique. Ceci est déjà vrai pour quelques milliers d'oeuvres appartenant au domaine public et, les cyberbibliothèques continuant de se développer rapidement, le mouvement ira en s'amplifiant. On étudie aussi la possibilité d'accéder au texte intégral de documents dits commerciaux moyennant une taxe correspondant au droit d'auteur, sans avoir recours à des prestataires aux tarifs souvent prohibitifs.
Les bibliothèques ont un nouvel outil de travail pour faire connaître leurs collections et développer des projets permettant de tisser davantage de liens avec leurs usagers réels et potentiels. Grâce à Internet, elles disposent aussi de la plus grande encyclopédie qui soit pour leur personnel et leurs lecteurs.
De nombreux journaux et magazines sont maintenant en ligne, avec des extraits ou l'intégrale de leur dernier numéro, ainsi que des dossiers sur les sujets d'actualité et les archives des numéros précédents. On assiste aux balbutiements d'une presse en ligne qui se voudrait différente de la presse papier. Quant aux périodiques spécialisés, rejoints par les éditeurs d'ouvrages universitaires et de recherche, ils songent à Internet comme une solution possible pour sortir de la crise éditoriale.
En plus de l'encyclopédie bouillonnante et multilingue que constitue Internet, tous les professionnels du livre ont désormais la possibilité d'un échange accru avec autant de correspondants qu'ils le souhaitent grâce au courrier électronique et aux forums de discussion.
Dans son courrier électronique du 8 juin 1998, Christiane Jadelot, ingénieur d'études à l'INaLF-Nancy (INaLF: Institut national de la langue française), racontait ses premiers pas sur Internet:
"J'ai commencé à utiliser vraiment l'Internet en 1994, je crois, avec un logiciel qui s'appelait Mosaic. J'ai alors découvert un outil précieux pour progresser dans ses connaissances en informatique et linguistique, littérature... Tous les domaines sont couverts. Il y a le pire et le meilleur, mais en consommateur averti, il faut faire le tri de ce que l'on trouve. J'ai surtout apprécié les logiciels de courrier, de transfert de fichiers, de connexion à distance. J'avais à cette époque des problèmes avec un logiciel qui s'appelait Paradox et des polices de caractères inadaptées à ce que je voulais faire. J'ai tenté ma chance et posé la question dans un groupe de News approprié. J'ai reçu des réponses du monde entier, comme si chacun était soucieux de trouver une solution à mon problème! Je n'étais pas habituée à ce type de solidarité! Les habitudes en France sont plutôt de travailler avec des cloisons étanches!"
Pour une fois, un nouvel outil (relativement) économique abolit à la fois les frontières et les distances puisque, que le cybernaute soit connecté à Paris, à Cuba ou à Hong-Kong, le tarif de connexion est celui d'une communication téléphonique locale. Nombreux sont les professionnels qui assistent ou participent à la création d'une toile artistique, scientifique ou littéraire francophone et multilingue abolissant les barrières de la distance et du temps.
Le bouleversement du monde de l'imprimé par Internet entraîne des perspectives nouvelles pour la propriété intellectuelle, le droit du cyberespace et l'édition électronique. La convergence multimédia entraîne elle aussi des changements majeurs dans les métiers du livre. Que nous réserve la société de l'information dont nous vivons les premières années?
9.1. Propriété intellectuelle
9.2. Droit du cyberespace
9.3. Document imprimé et/ou électronique
9.4. Numérisation et convergence multimédia
9.5. La société de l'information
Qu'est-ce qu'un texte du domaine public? L'Association des bibliophiles universels (ABU), qui propose une cyberbibliothèque d'oeuvres du domaine public francophone, répond à cette question sur son site web: en France, un texte tombe dans le domaine public cinquante ans après la mort de son auteur. Les années de guerre (1914-1919 et 1938-1948) comptent double. Quand un texte appartient au domaine public, il peut être diffusé et reproduit, mais non mutilé ou déformé puisque le droit moral de l'auteur (paternité et respect de l'oeuvre) est intemporel. Même si une oeuvre est du domaine public, une édition donnée de cette oeuvre n'est pas pour autant libre de reproduction si elle est récente. La traduction, l'appareil critique (notes, préface, etc.) et l'appareil éditorial (tables, index, pagination) sont soumis au droit d'auteur.
Les sites web sont également soumis au droit d'auteur. Sur le site consacré à sa bibliothèque électronique Gallica, inaugurée en 1997, la Bibliothèque nationale de France donne les précisions suivantes:
"En application de la loi française 92-597 du 1er juillet 1992, portant code de la propriété intellectuelle, la Bibliothèque nationale de France est titulaire des droits d'auteur sur le site dénommé 'Gallica' et la base de données ainsi constituée. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de la Bibliothèque nationale de France est illicite, et constitue une contrefaçon sanctionnée pénalement."
Le texte de la loi 92-597 du 1er juillet 1992, qui régit le droit d'auteur français, précise notamment que "l'auteur jouit sa vie durant du droit exclusif d'exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire. Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit, pendant l'année civile en cours et les cinquante années qui suivent."
Michael Hart, fondateur du Projet Gutenberg, grande cyberbibliothèque anglophone, explique aux volontaires fournissant des textes quelles sont les règles à suivre pour déterminer si un document appartient au domaine public et s'il peut donc faire partie des collections de la bibliothèque.
Aux Etats-Unis, une oeuvre publiée avant 1978 est sujette au droit d'auteur pendant soixante-quinze ans après la date de publication. Après 1978, elle est sujette au droit d'auteur cinquante ans après la date du décès de l'auteur s'il s'agit d'un auteur personnel et soixante-quinze ans après la date de publication s'il s'agit d'un auteur collectif. Au Royaume-Uni, l'oeuvre est sujette au droit d'auteur pendant cinquante ans après le décès de l'auteur.
L'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) est une organisation intergouvernementale qui fait partie des seize institutions spécialisées du système des Nations Unies. Elle est chargée de promouvoir la protection de la propriété intellectuelle à travers le monde grâce à la coopération des États et d'assurer l'administration de divers traités multilatéraux touchant aux aspects juridiques et administratifs de la propriété intellectuelle.
L'OMPI définit la protection du droit d'auteur de la façon suivante:
"La protection du droit d'auteur signifie en général que certaines utilisations de l'oeuvre ne sont licites que si elles sont autorisées par le titulaire du droit d'auteur. Les plus typiques sont: le droit de copier ou de reproduire n'importe quel genre d'oeuvre; le droit de diffuser des exemplaires dans le public; le droit de louer des exemplaires, du moins pour certaines catégories d'oeuvres (telles que les programmes d'ordinateur et les oeuvres audiovisuelles); le droit de faire des enregistrements sonores de représentations ou d'exécutions d'oeuvres littéraires ou musicales; le droit de représenter ou d'exécuter en public, spécialement des oeuvres musicales, dramatiques ou audiovisuelles; le droit de communiquer au public, par câble ou autrement, les représentations ou exécutions de ces oeuvres et, en particulier, de transmettre par radio, télévision ou par d'autres moyens sans fil toutes sortes d'oeuvres; le droit de traduire des oeuvres littéraires; le droit de louer, notamment, des oeuvres audiovisuelles, des oeuvres matérialisées dans des phonogrammes et des programmes d'ordinateur; le droit d'adapter toutes sortes d'oeuvres et en particulier le droit d'en faire des oeuvres audiovisuelles."
En résumé, la règle générale est un délai de protection qui commence à la création de l'oeuvre et qui expire cinquante ans (parfois soixante-dix ou soixante-quinze ans en fonction des pays) après la mort de l'auteur. Dans certains pays, on observe des exceptions, soit pour certaines catégories d'oeuvres (par exemple les photographies et les oeuvres audiovisuelles), soit pour certains usages (par exemple la traduction).
Le site de l'International Trade Law (ITL) permet l'accès à l'ensemble des textes et documents du Web ayant trait à la propriété intellectuelle, ainsi que ceux concernant particulièrement l'Union européenne.
L'arrivée en force des textes électroniques a rendu le problème du droit d'auteur encore plus complexe qu'il n'était. De par le monde, nombre d'auteurs, d'éditeurs, de journalistes, etc., étudient fébrilement comment venir à bout de la complexité du problème. Très attendue, la résolution de ce problème permettra une interaction encore plus grande entre le monde de l'imprimé et celui d'Internet en permettant la communication à grande échelle de livres et revues dans leur version électronique intégrale, et en réduisant parallèlement le nombre de documents sur support papier.
La communication de textes intégraux a déjà été amorcée dans nombre de cyberbibliothèques, sites d'éditeurs, sites de presse, sites de littérature, etc. Pour le moment, les cyberbibliothèques et les sites littéraires offrent le plus souvent les textes intégraux d'oeuvres tombées dans le domaine public, puisqu'ils se heurtent à la barrière infranchissable du paiement du droit d'auteur. Certains éditeurs comme la National Academy Press (NAP) offrent le texte intégral de certaines publications avec l'accord de leurs auteurs. Par contre, les journalistes voient souvent leurs articles réutilisés sans en en avoir donné l'autorisation.
Il est évident que le piratage de l'information est beaucoup plus facile sur Internet que par les moyens traditionnels. Dans le cas d'un article par exemple, les moyens traditionnels exigeaient qu'on photocopie l'article puis qu'on le télécopie ou qu'on l'envoie par courrier au destinataire. Il fallait donc absolument disposer d'une photocopieuse et d'un télécopieur ou bien, dans le cas d'un particulier, aller faire des photocopies à la poste ou au supermarché du quartier, trouver une enveloppe et un timbre, puis faire le trajet jusqu'à la boîte aux lettres (solution moins onéreuse en ce qui concerne l'équipement en machines, mais on n'imagine pas le nombre de documents dont l'envoi promis a été remis jour après jour pour être finalement oublié). Désormais, ceux qui sont connectés à Internet n'ont besoin que de quelques clics de souris pour localiser, reproduire et envoyer un document quel qu'il soit.
Par ailleurs, la preuve tangible de la propriété intellectuelle n'est plus du tout aussi évidente. Jusqu'à une époque récente, la page dactylographiée ou imprimée constituait la preuve physique de l'information protégée par le droit d'auteur. Depuis quelques années, cette sécurité légale s'est effondrée, ce qui ajoute encore à la complexité du débat de fond sur le contrôle des droits électroniques. Le débat est rendu plus difficile encore par le fait que chaque document peut être accompagné de liens hypertextes le reliant par exemple à d'autres documents du même auteur ou à des documents rédigés par d'autres auteurs sur le même thème. Pire encore, chaque site dispose de liens hypertextes avec des dizaines ou des centaines d'autres sites qui eux aussi autorisent l'accès aux dits documents au moyen de quelques clics de souris. Une chaîne sans fin qui, si elle est une manne d'informations pour le cybernaute, représente un vrai casse-tête pour les auteurs, les éditeurs et les instances chargées de faire respecter le droit d'auteur.
Le droit d'auteur est à la fois un problème crucial et une des clés de l'édition électronique. En décembre 1996, à Genève, une conférence mondiale a réuni des experts de 160 pays sous l'égide de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Les débats ont abouti au vote de plusieurs textes, notamment l'adaptation de la Convention de Berne de 1889 sur les droits littéraires et artistiques, convention dont le dernier amendement datait de 1971. La convention prévoit maintenant la protection des "transmissions et distributions numérisées". Le stockage d'une oeuvre sous forme numérique constitue une reproduction. En cas de diffusion sur Internet, l'émetteur est tenu au respect du droit d'auteur.
Par contre, les délégués n'ont pu se mettre d'accord sur l'extention du droit d'auteur aux copies électroniques temporaires stockées dans la mémoire vive de l'ordinateur quand l'utilisateur consulte une page web. Alors que l'OMPI aurait souhaité que ces reproductions relèvent aussi du droit d'auteur, les fournisseurs d'accès - qui transmettent plus de 500 millions de messages par jour - ont menacé de paralyser le réseau si une telle mesure était adoptée. Ils considéraient qu'ils ne pouvaient être tenus pour responsables de la protection d'un contenu original qu'ils n'avaient aucun moyen de vérifier.
Au niveau européen, les auteurs de Cyberplanète: notre vie en temps virtuel (Paris, Editions Autrement, 1998) mentionnaient la publication en 1996 par la Commission européenne d'un Livre Vert sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information. Ces droits recouvrent les oeuvres imprimées, les films, les oeuvres d'art graphiques et plastiques, les produits électroniques comme les programmes d'ordinateur, les émissions transmises par câble ou satellite, les disques, les représentations théâtrales et musicales, les expositions et ventes aux enchères de revues d'art, les oeuvres électroniques, les services à la demande et les prestations électroniques à distance, toutes ces activités représentant 5 à 7% du produit national brut des quinze pays membres. "Constatant d'importantes disparités' de protection entre les législations nationales, les auteurs du Livre Vert sont favorables à une harmonisation à l'échelon européen, même si la mise en oeuvre des dispositions relève des Etats. Pour en arriver là, il faudra adapter le cadre juridique de certains d'entre eux." La Commission précise aussi que "ces mesures ne doivent pas entraîner de modifications radicales du cadre réglementaire existant. C'est l'environnement dans lequel les oeuvres seront créées ou protégées qui doit changer."
Lors du Colloque sur la convergence multimédia organisé en janvier 1997 à Genève, Bernie Lunzer, secrétaire trésorier de la Newspaper Guild (Etats-Unis), insistait sur les batailles juridiques faisant rage pour défendre la propriété intellectuelle, notamment à l'encontre des directeurs de publications qui font tout pour avoir le contrôle et la propriété de celles-ci. Les contrats des écrivains indépendants sont particulièrement choquants puisqu'ils doivent céder tous leurs droits au directeur de la publication moyennant une contrepartie financière ridicule. Heinz-Uwe Rübenach, du Bundesverband Deutscher Zeitungsverleger (Association allemande de directeurs de journaux), insistait lui aussi sur la nécessité pour les entreprises de presse de gérer et contrôler financièrement l'utilisation des articles de leurs journalistes, afin d'avoir les fonds nécessaires pour continuer d'investir dans ce type de technologie.
En France, le Syndicat national des journalistes (SNJ) lutte pour que les journalistes aient leur juste part des profits apportés par les nouveaux médias électroniques. En mars 1998, le SNJ entamait sa troisième poursuite contre un employeur de la presse écrite pour l'obliger à rétribuer les journalistes dont les articles sont repris sur le Web. Après avoir poursuivi les Dernières nouvelles d'Alsace puis le Groupe Havas, le SNJ s'attaquait au Figaro pour "contrefaçon et exploitation ligitieuse" des articles de la rédaction mis en ligne sur Internet. Le cyberquotidien Multimédium expliquait:
La poursuite s'appuie sur l'article 9 de la convention collective qui stipule que "si un journaliste est appelé par son employeur à collaborer à un autre titre que celui ou ceux auxquels il est attaché, ou à exécuter son contrat de travail selon un mode d'expression différent, cette modification doit faire l'objet d'un accord dans les conditions prévues à l'article 20, c'est à dire qu' 'un échange de lettres sera nécessaire chaque fois qu'interviendra une modification du contrat de travail'. L'employeur ayant décidé de mettre en ligne les articles sans l'accord des journalistes, et ceux-ci estimant que la publication en ligne n'est pas la même que l'imprimée à laquelle ils sont liés, le syndicat estime que la convention collective n'est pas respectée."
Dans Digital Literacy (New York, Wiley, 1997), Paul Gilster précisait que, suite à l'extension du droit d'auteur à des supports autres que textuels, ceux-ci sont maintenant apréhendés au niveau international par l' Universal Copyright Convention (UCC). Adoptée par 70 pays, cette convention protège le droit d'auteur aussi bien pour les oeuvres d'un pays concerné que pour les oeuvres étrangères à ce pays. Parallèlement, des organismes travaillent à des projets de protection du droit d'auteur pour les documents électroniques. Cette protection exige un logiciel établissant une connexion entre les tenants de la propriété intellectuelle et les usagers, afin de permettre de localiser et de conserver la trace de tout affichage ou copie d'un texte donné, en exploitant par exemple le pouvoir des engins de recherche pour localiser l'information dans un contexte universel. Le logiciel déterminerait une taxe qui sera divisée entre l'auteur, l'éditeur et le service de protection. Paul Gilster donne l'exemple du système de Digimarc Corporation: un code transparent est attribué à une image numérique, un document audio ou un document vidéo, et l'utilisation du document entraîne l'activation de ce code transparent pour le calcul et le paiement du droit d'auteur.
La solution proposée par Paul Gilster serait une taxe par page ou par unité d'information. Le paiement basé sur le principe de l'abonnement tel que le pratiquent par exemple les grands fournisseurs de documents tels que Dialog, LEXIS-NEXIS ou UnCover serait remplacé par ce que Paul Gilster appelle le système de la microtransaction. Situés dans de multiples bibliothèques ou librairies numériques, les documents, qu'ils soient commerciaux ou diffusés gratuitement par les gouvernements, les organismes ou les individus, seront tous accessibles sans abonnement. Dans le cas de documents commerciaux, soumis donc au droit d'auteur, le fait de cliquer sur l'un d'eux générera un système de paiement qui taxera l'usager uniquement pour les pages qu'il lira, et ainsi de suite pour tout document du même type. La carte de crédit de l'usager sera automatiquement débitée de la somme correspondante. Cette somme devant le plus souvent être distribuée entre différents partenaires, à commencer par l'auteur et l'éditeur, elle sera donc divisée en microtransactions permettant de favoriser cette distribution.
Dans le même ordre d'idées, une équipe travaille à la mise en place du DOI System (DOI: digital object identifier). L'origine du DOI System est la suivante: Internet représentant un nouvel environnement pour l'industrie du livre, il est nécessaire de développer des technologies adaptées protégeant à la fois le consommateur et l'éditeur. Des systèmes devront authentifier le contenu afin de certifier que l'information fournie au consommateur est bien l'information demandée. Parallèlement, ils assureront le calcul et le paiement du droit d'auteur.
En étudiant l'utilité de tels systèmes, les éditeurs d'ouvrages et de périodiques diffusés à l'échelon international ont réalisé qu'un premier pas dans ce domaine serait le développement d'un nouveau système d'identification qui serait utilisé pour tout contenu numérique. Le DOI System procurerait non seulement une identification unique pour ce contenu, mais aussi un lien entre les utilisateurs et les tenants des droits du dit contenu, ceci afin de faciliter le commerce numérique informatisé.
Développé et testé en 1996, le DOI System a d'abord été utilisé par une dizaine d'éditeurs américains et européens (Academic Press, Authors' Licensing and Collecting Society, Copyright Clearance Center, Elsevier, Houghton Mifflin Company, International Publishers Association (IPA), John Wiley & Sons, Shepard's, Springer-Verlag) dans le cadre d'un programme pilote mis en place entre juillet et octobre 1997. Lors la Foire du livre de Francfort (Allemagne) d'octobre 1997, la participation à la deuxième phase du programme a été étendue à tous les éditeurs qui souhaitaient y participer.
Une fois que le DOI System aura dépassé le stade expérimental, sa gestion sera assurée par un organisme international à but non lucratif baptisé DOI Foundation et basé aux Etats-Unis et en Suisse. La fondation accordera les licences aux gestionnaires du système et à ses fournisseurs en technologie, elle déterminera la politique à adopter pour le développement du système, et elle encouragera le développement des technologies nécessaires à la création d'une infrastructure pour l'édition électronique, comme par exemple le développement des systèmes de gestion du droit d'auteur.
Dans un article de l'AJR NewsLink (AJR: American Journalism Review) consacré à la propriété intellectuelle sur le Web, Penny Pagano, journaliste indépendante, tentait aussi de cerner les problèmes légaux auxquels se heurtent à la fois les journalistes, les écrivains et les éditeurs sur les droits affectant les documents électroniques qu'ils produisent ou distribuent.
Elle relatait la création par la National Writers Union (Etats-Unis) d'une nouvelle agence dénommée la Publications Rights Clearinghouse (PRC). Inspirée du fonctionnement de l'ASCAP (American Society of Composers, Authors, and Publishers), qui gère les droits de l'industrie musicale, la PRC recense les transactions individuelles et paie des royalties aux auteurs dont les articles sont réutilisés. Ces royalties correspondent au droit d'auteur "secondaire". Pour 20 dollars (120 FF environ), les auteurs indépendants qui le souhaitent peuvent s'inscrire à la PRC, et leurs articles sont alors inclus dans leur fichier. Plusieurs sociétés se sont également inscrites, notamment UnCover, le grand fournisseur mondial d'articles de journaux et magazines.
Créées pendant l'été 1992 par Paul Southworth et hébergées par l'Information Technology Division de l'Université du Michigan, les ETEXT Archives rassemblent des textes électroniques de toutes sortes: textes politiques, textes personnels, textes sacrés, textes profanes, etc. Elles hébergent en outre gratuitement des périodiques, oeuvres de fiction, oeuvres politiques, poétiques, religieuses, etc., à la demande d'auteurs ou d'organismes souhaitant les faire connaître. Les volontaires qui composent l'équipe s'engagent à ne pas juger le contenu de ces textes, mais refusent les oeuvres à caractère pornographique.
"Vous êtes responsable des informations diffusées sur vos pages. En cas de non respect des lois en vigueur, ces informations sont susceptibles d'engager votre responsabilité civile et/ou pénale. Notamment, vos pages ne doivent pas être à caractère pornographique, raciste, diffamatoire, informait aussi Mygale (qui a depuis fusionné avec The (virtual) Baguette pour devenir MultiMania) dans sa charte à destination des particuliers ou des associations à but non lucratif qui souhaitaient disposer gratuitement d'un compte sur son serveur.
Comme pour la nétiquette, terme utilisé pour l'étiquette du Net et qui recouvre l'ensemble de règles de savoir-vivre régissant le réseau, notamment pour le courrier électronique et les forums de discussion, ce sont d'abord les cybernautes qui régulent le Web. La prolifération de sites pornographiques, pédophiles ou pro-nazis a amené la création de logiciels (par exemple Cyber Patrol, CYBERSitter, Net Nanny, SafeSurf et SurfWatch) pouvant être paramétrés par les parents et les éducateurs en fonction de l'âge des enfants et du degré de contrôle souhaité.
Une réglementation est également mise en place pour lutter contre les messages électroniques non sollicités, appelés spams. En avril 1998, l'Etat de Washington a proposé une loi prévoyant de "condamner toute personne morale ou physique qui envoie des messages intempestifs en masse en cachant son identité et en trompant les destinataires par des titres de messages fallacieux", écrivait Le Micro Bulletin Actu du 2 avril 1998. La mise en application de cette loi est intervenue début août, avec un dédommagement de 500 dollars pour les destinataires de tels messages et une indemnité de plus de 1.000 dollars pour les fournisseurs d'accès à Internet. Cette loi est le "premier pas vers un cadre législatif qui pourrait faire école".
Autre problème, un certain nombre d'organismes et de sociétés hésitent encore à mettre Internet en accès libre parce qu'ils craignent que leurs salariés ne se ruent sur des sites n'ayant rien à voir avec leur activité professionnelle. On trouve heureusement plus souvent la tendance inverse. Il est vrai que le fait d'être connecté pour la première fois provoque souvent une curiosité euphorique qui a au moins deux mérites: se familiariser très vite avec le Web et avoir une première approche de ses multiples possibilités. Ce n'est pas parce que le cybernaute débutant s'initie à Internet en cliquant sur tous les liens hypertextes qui passent à portée de sa souris qu'il faut lui interdire Internet à des fins professionnelles. Ce n'est pas non plus parce qu'on jette un coup d'oeil curieux à Paris-Match en attendant son rendez-vous de dentiste qu'on ne lit pas aussi Le Nouvel Observateur ou Time Magazine.
Autorité administrative indépendante, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) est un organisme public français chargé de veiller à l'application de la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, communément appelée loi "informatique et libertés" (loi n° 78-17 du 6 janvier 1978), dont l'article premier rappelle que "l'informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s'opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles et publiques." La CNIL veille notamment à ce que la gestion des fichiers informatiques tienne compte du respect de la vie privée du citoyen.
Parallèlement, la CNIL est en train d'adapter sa mission à Internet, sur lequel tout cybernaute est facilement repérable. L'annuaire Dejanews, par exemple, donne la possibilité à un employeur de connaître les forums de discussion auxquels participe un salarié. Utilisés à l'origine pour des raisons commerciales pour repérer les sites consultés par un cybernaute et connaître ainsi ses centres d'intérêt, les outils de filature (adresse IP, applet Java, cookie ou script CGI) peuvent très bien être servir aussi à d'autres fins mettant en péril la liberté individuelle et la vie privée. "Sur Internet, il n'y a pas d'anonymat, prévient aujourd'hui la CNIL. Ce qui impose à chacun d'être vigilant." Le site donne nombre d'indications pratiques et explique par exemple comment neutraliser ces outils de filature.
Consacrée aux annuaires des abonnés au téléphone, la délibération du CNIL du 8 juillet 1997 concerne entre autres les projets de basculement de ces annuaires sur Internet et l'absence de dispositifs de sécurité propres à éviter le télédéchargement. Des informations personnelles pourraient ainsi être massivement télédéchargées depuis un pays non soumis à des règles de protection de données, afin d'être cédées, vendues, stockées, traitées et exploitées sans garantie ni contrôle. Pour contrer tout télédéchargement, la directive de l'Union européenne du 24 octobre 1995 devait être transposée dans la législation de chacun des états membres d'ici la fin 1998. Les transferts internationaux de données devaient être autorisés seulement si le pays destinataire pouvait assurer une protection adéquate conforme aux normes européennes.
En ce qui concerne l'inscription à l'annuaire des abonnés au téléphone sur Internet, la CNIL recommande que la décision soit prise par les utilisateurs eux-mêmes, comme c'est déjà le cas pour l'inscription sur la liste rouge ou la liste orange. S'inscrit sur la liste rouge toute personne ne souhaitant pas figurer sur l'annuaire. 5,6 millions d'abonnés - soit le quart du nombre des abonnés de France Télécom - y sont inscrits. L'inscription à cette liste est payante malgré les recommandations de la CNIL qui prône sa gratuité, comme c'est le cas dans d'autres pays européens. La liste orange, elle, regroupe l'ensemble des personnes qui, si elles souhaitent être dans l'annuaire, s'opposent à l'utilisation commerciale de leurs coordonnées. Contrairement à la liste rouge, l'inscription à la liste orange est gratuite. En ce qui concerne la parution des coordonnées de l'abonné sur Internet, la CNIL préconise que, après avoir pris connaissance des caractéristiques du réseau, chaque abonné au téléphone juge lui-même s'il souhaite voir ses coordonnées apparaître ou non.
Lié à la fois au droit informatique et aux législations balbutiantes d'Internet tentées par certains gouvernements, le droit du cyberespace est en train d'émerger d'un monde en ébullition. On tente de redéfinir des domaines traditionnels tels que la propriété intellectuelle ou la censure. On tente aussi de définir de nouveaux domaines, comme la responsabilité ou non des fournisseurs de services Internet vis-à-vis de l'information circulant par leur intermédiaire.
Depuis ses débuts en septembre 1995, le UCLA Online Institute for Cyberspace Law and Policy (ICLP) (UCLA: University of California, USA) a les objectifs suivants: procurer des ressources aux universitaires, praticiens, étudiants et usagers d'Internet intéressés par le droit du cyberespace, aider à trouver des solutions aux problèmes propres au cyberespace, identifier les problèmes légaux et politiques, favoriser le développement du droit du cyberespace en tant que discipline propre, procurer un moyen de dissémination des idées nouvelles et favoriser de nouvelles communautés électroniques dans ce domaine.
Proposée par l'ICLP, Cyberspace Law Bibliography, bibliographie très complète sur le droit du cyberespace, renvoie à des documents ayant trait à de nombreux domaines: cryptographie, problèmes de juridiction dans le cyberespace, commerce électronique, communautés électroniques et droit, équité, accès au cyberespace, liberté d'expression, obscénités et pornographie en ligne, propriété intellectuelle et droit, droit du copyright, droit intellectuel, respect de la vie privée et sécurité.
Disponible en allemand, anglais, espagnol, français, occitan et portugais, le Manifeste du Web indépendant insiste sur la nécessité d'un Web respectueux de la liberté individuelle et de la diversité culturelle face à la main-mise croissante des "dynosaures" politiques et commerciaux.
"Le Web indépendant, ce sont ces milliers de sites offrant quelques millions de pages faites de passion, d'opinion, d'information, mises en place par des utilisateurs conscients de leur rôle de citoyens. Le Web indépendant, c'est un lien nouveau entre les individus, une bourse du savoir gratuite, offerte, ouverte; sans prétention. Face aux sites commerciaux aux messages publicitaires agressifs, destinés à ficher et cibler les utilisateurs, le Web indépendant propose une vision respectueuse des individus et de leurs libertés, il invite à la réflexion et au dialogue. Quand les sites d'entreprises se transforment en magazines d'information et de divertissement, quand les mastodontes de l'info-spectacle, des télécommunications, de l'informatique et de l'armement investissent le réseau, le Web indépendant propose une vision libre du monde, permet de contourner la censure économique de l'information, sa confusion avec. [...] Nous invitons donc les utilisateurs à prendre conscience de leur rôle primordial sur l'Internet: lorsqu'ils montent leur propre site, lorsqu'ils envoient des commentaires, critiques et encouragements aux webmestres, lorsqu'ils s'entraident dans les forums et par courrier électronique, ils offrent une information libre et gratuite que d'autres voudraient vendre et contrôler. La pédagogie, l'information, la culture et le débat d'opinion sont le seul fait des utilisateurs, des webmestres indépendants et des initiatives universitaires et associatives."
Dans un article de Libération daté du 9 janvier 1998, Esther Dyson, présidente d'EDventure Holdings et personnalité du monde informatique, précisait que, du point de vue commercial également, Internet devrait être réglementé moins par un gouvernement central qui en définirait les règles que par plusieurs organismes mis en concurrence dans l'intérêt du consommateur.
Disponible sur le Web depuis mars 1998, le Manifeste pour un technoréalisme fait le point sur les relations entre cyberespace et société:
"Plus le cyberespace devient populaire, plus il ressemble à la société réelle dans toute sa complexité. Chacun des côtés positifs ou habilitants de la vie en ligne est accompagné de dimensions malicieuses, perverses [...]. Contrairement à ce que certains prétendent, le cyberespace n'est pas un lieu distinct qui serait régi par des règles distinctes de celles de la société civile. Les gouvernements doivent respecter les règles et coutumes nées avec le cyberespace, mais cela ne veut pas dire pour autant que le public n'a aucun droit sur un citoyen qui déraille ou une entreprise qui commet une fraude. En tant que représentant du peuple et gardien des valeurs démocratiques, l'État a le droit et la responsabilité d'aider à intégrer le cyberespace à la société civile."
L'interaction entre document imprimé et document électronique est maintenant omniprésente, et elle s'accentuera encore dans les prochaines années, à tel point qu'il deviendra probablement ridicule d'établir une distinction entre document électronique et document imprimé. Déjà, à l'heure actuelle, pratiquement tous les documents imprimés récents sont issus d'une version électronique sur traitement de texte, tableur ou base de données. De plus en plus de documents n'existent désormais qu'en version électronique, et de plus en plus de documents imprimés sont numérisés.
Le Château, par exemple, propose "la mémoire vive des grands auteurs", à savoir une centaine d'hyperlivres qui sont les versions électroniques des chefs-d'oeuvre de la littérature classique. Ces hyperlivres sont vendus sur disquettes avec logiciel de recherche comprenant des outils de lecture tels que recherche de mots, recherches d'analogies, recherche de citations et lecture hypertextuelle.
Document électronique? Document numérique? Livre numérique? Livre électronique? Un vocabulaire adapté reste à définir. Comme l'explique le GIS Sciences de la cognition (GIS: groupement d'intérêt scientifique) dans Le livre électronique: réflexion de prospective, rapport de synthèse rédigé par Jean-Gabriel Ganascia, le terme "livre électronique", souvent utilisé en français, est "à la fois restrictif et inopportun". Le terme est restrictif parce que le livre désigne "un support particulier de l'écrit qui est advenu à un moment donné dans l'histoire" alors que le document électronique comporte à la fois de l'écrit, de l'image et du son. Le terme est également inopportun parce qu'on ne peut guère juxtaposer au terme "livre" le terme "électronique", "un nouvel objet immatériel défini par un ensemble de procédures d'accès et une structuration logique". De plus, qu'il s'agisse de sa forme exacte ou de sa fonction exacte, le statut même de ce qu'on appelle "livre électronique" reste encore à déterminer.
Outre sa facilité d'accès et son faible coût, le grand mérite du document électronique est que, dans le cas où ce document est régulièrement actualisé, le cybernaute/lecteur dispose toujours en ligne de la version la plus récente du document. Point n'est besoin d'attendre une nouvelle édition imprimée soumise aux contraintes commerciales et aux exigences de l'éditeur. On pense notamment à la diffusion en ligne d'ouvrages et de périodiques éducatifs et scientifiques, dans lesquels l'information la plus récente est primordiale.
Autre exemple, les universités américaines diffusent des manuels "sur mesure" composés d'un choix de chapitres sélectionnés dans une très importante base de données, choix complété par des articles et des commentaires de professeurs. Pour un séminaire, un très petit tirage peut être effectué à la demande à partir de textes scientifiques transmis à un imprimeur par voie électronique. L'édition électronique apparaît donc comme une solution à étudier de près pour les presses universitaires et les éditeurs axés sur la publication d'ouvrages de recherche.
Lors d'une très intéressante conférence donnée en septembre 1996 dans le cadre de l'International Federation of Information Processing (IFIP), Dale Spender tentait de cerner les changements fondamentaux apportés par Internet dans l'acquisition du savoir et les méthodes d'enseignement. Voici son argumentation résumée en quelques lignes.
Dans les cinq cents dernières années, l'enseignement était principalement basé sur l'information donnée par les livres. Or les habitudes liées à l'imprimé ne peuvent être transférées au monde numérique. L'enseignement en ligne offre des possibilités tellement nouvelles qu'il n'est guère possible d'effectuer les distinctions traditionnelles entre enseignant et enseigné. Le passage de la culture imprimée à la culture numérique exige d'entièrement repenser le processus d'enseignement, puisque nous avons maintenant l'opportunité sans précédent de pouvoir influer sur le genre d'enseignement que nous souhaitons.
Dans la culture imprimée, l'information contenue dans les livres restait la même un certain temps, ce qui nous a encouragé à penser que l'information était stable. La nature même de l'imprimé est liée à la notion de vérité, stable elle aussi. Cette stabilité et l'ordre qu'elle engendre ont été un des fondements de l'âge industriel et de la révolution scientifique. Les notions de vérité, de lois, d'objectivité et de preuve ont été les éléments de référence de nos croyances et de nos cultures. Mais la révolution numérique change tout ceci. Soudain l'information en ligne supplante l'information imprimée pour devenir la plus fiable et la plus utile, et l'usager est prêt à la payer en conséquence. C'est cette transformation radicale dans la nature de l'information qui doit être au coeur du débat concernant les méthodes d'enseignement.
Dans son courrier électronique du 7 juillet 1998, Patrick Rebollar, professeur de lettres et d'informatique à Tokyo (Japon) et auteur notamment de la Chronologie littéraire 1848-1914, analysait l'impact d'Internet sur sa vie professionnelle:
"Mon travail de recherche est différent, mon travail d'enseignant est différent, mon image en tant qu'enseignant-chercheur de langue et de littérature est totalement liée à l'ordinateur, ce qui a ses bons et ses mauvais côtés (surtout vers le haut de la hiérarchie universitaire, plutôt constituée de gens âgés et technologiquement récalcitrants). J'ai cessé de m'intéresser à certains collègues proches géographiquement mais qui n'ont rien de commun avec mes idées, pour entrer en contact avec des personnes inconnues et réparties dans différents pays (et que je rencontre parfois, à Paris ou à Tokyo, selon les vacances ou les colloques des uns ou des autres). La différence est d'abord un gain de temps, pour tout, puis un changement de méthode de documentation, puis de méthode d'enseignement privilégiant l'acquisition des méthodes de recherche par mes étudiants, au détriment des contenus (mais cela dépend des cours). Progressivement, le paradigme réticulaire l'emporte sur le paradigme hiérarchique - et je sais que certains enseignants m'en veulent à mort d'enseigner ça, et de le dire d'une façon aussi crue. Cependant ils sont obligés de s'y mettre..."
Comment Patrick Rebollar voit-il l'avenir du réseau, et son avenir professionnel avec Internet?
"Trouble. Entre ceux qui cherchent à gagner de l'argent à tout prix, et ceux qui en font une banque d'images pornographiques, ceux qui cherchent des amis pour pallier un manque et ceux qui cherchent du travail. Ceux qui... et ceux qui... le réseau devient progressivement une projection du monde lui-même, plus précise et exacte chaque jour. Mon avenir professionnel, qui sera de toute façon en liaison directe avec l'Internet, n'est pas plus clair que mon avenir lui-même. J'attends les opportunités professionnelles car l'enseignement universitaire n'est pas assez dynamique dans ce domaine, et je ne suis pas sûr d'y rester - pourtant j'aime enseigner et j'aime les étudiants."
Autre problème de taille à résoudre, ces adresses de sites, dénommées URL (uniform resource locators), qui changent et qui rendent le document indisponible si le responsable du site et/ou l'auteur du document n'ont pas pensé à établir un lien de l'ancienne adresse à la nouvelle. Dans son mémoire L'accès aux catalogues des bibliothèques par Internet, Thierry Samain expliquait:
"Concernant la mobilité des URLs affectées à un document sur le Web, il a été adopté afin de remédier à ce problème, le terme d'URN (uniform resource name) qui identifie une ressource ou une unité d'information indépendamment de sa location, jouant en quelque sorte le même rôle que l'ISBN [international standard book number] pour les monographies traditionnelles. Les URNs sont, de manière universelle, uniques, persistantes et accessibles sur le réseau. Une URC (uniform resource characteristic) a également été proposée pour servir de connexion entre les URNs et les URLs. Si une URL change, les usagers autorisés peuvent la modifier à l'intérieur du service URC. Celui-ci inclurait des capacités de recherche bibliographique et dans le futur, il pourrait être possible de se connecter à une variété de serveurs URC en mesure d'assister les bibliothécaires dans le catalogage et l'archivage d'informations de qualité."
Par ailleurs, les livres électroniques sont pour bientôt. Un petit ordinateur ayant le format d'un livre permettra de lire plusieurs dizaines de documents dont les éditions électroniques pourront être achetées directement auprès des éditeurs ou des distributeurs. Quatre types de livres électroniques au moins seront disponibles dans quelques mois: le Rocket eBook (créé par NuvoMedia en partenariat avec Barnes & Noble et Bertelsmann), le SoftBook (créé par SoftBook Press en partenariat avec Random House et Simon & Schuster), l'Everybook (EB) (créé par Everybook) et le Millennium EBook (créé par Librius.com).
Toutes les informations, qu'elles soient du texte, du son ou des images, peuvent être converties en bits et en octets pour traitement informatique. C'est ce qu'on appelle la numérisation. La numérisation permet de créer, d'enregistrer, de combiner, de stocker, de rechercher et de transmettre des informations et des produits fondés sur l'information par des moyens simples et rapides. Des procédés similaires permettent le traitement de l'écriture, de la musique et du cinéma alors que, par le passé, ce traitement était assuré par des procédés différents sur des supports différents (papier pour l'écriture, bande magnétique pour la musique, et celluloïd pour le cinéma). De plus, des secteurs autrefois distincts comme l'édition (qui produisait des livres) et l'enregistrement sonore (qui produisait des disques) s'unissent maintenant pour produire des CD-ROM.
La numérisation a également considérablement accéléré le processus matériel de production. Dans la presse par exemple, le processus de mise en page automatique a été suivi de la modification des phases de réimpression, devenues un processus de production intégré et continu basé sur la numérisation. Alors qu'auparavant le personnel de production devait dactylographier les textes du personnel de rédaction, les journalistes et les rédacteurs envoient maintenant directement leurs textes pour mise en page. La numérisation a accéléré le processus de publication des livres. Le rédacteur, le concepteur artistique et le personnel chargé de la mise en page peuvent travailler simultanément sur le même ouvrage.
Les progrès des techniques de l'informatique et de la communication en général, et de la numérisation en particulier, entraînent progressivement l'unification de tous les secteurs liés à l'information: imprimerie, publication, conception graphique, presse, enregistrement sonore, réalisation de films, radiodiffusion, télécommunications, etc. C'est ce qu'on appelle la convergence multimédia. Reste à savoir si les technologies de l'information et de la communication créent des emplois nouveaux, comme l'assurent les employeurs, ou bien si elles sont source de chômage, comme l'affirment les syndicats.
Le Colloque sur la convergence multimédia organisé en janvier 1997 à Genève par l'Organisation internationale du Travail (OIT) comprenait des contributions particulièrement intéressantes à cet égard, et qui sont toujours d'actualité.
Suite à une enquête menée en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe par le biais de l'Association européenne des directeurs de journaux, Heinz-Uwe Rübenach, du Bundesverband Deutscher Zeitungsverleger (Association allemande de directeurs de journaux), assurait que les services en ligne créent de nouveaux emplois et qu'ils recrutent des journalistes ne provenant pas de services de presse classiques. Selon cette enquête, aucun poste n'a été supprimé dans des entreprises de presse suite au développement des services en ligne. Phil O'Reilly, directeur général de la Newspaper Publishers Association of NZ (New Zealand), précisait que, en Nouvelle-Zélande aussi, le développement des sites sur Internet a entraîné quelques créations d'emplois.
Cependant, sauf quelques cas particuliers comme ceux-ci, il est déjà démontré que la convergence multimédia entraîne des suppressions massives d'emplois, comme tous les changements récents liés à l'introduction de nouvelles technologies.
Selon Michel Muller, secrétaire général de la Fédération des industries du livre, du papier et de la communication (France), les industries graphiques françaises ont perdu 20.000 emplois au cours des dix dernières années (1987-1996). Les effectifs ont été ramenés de 110.000 personnes à 90.000. Les entreprises ont dû mettre sur pied des plans sociaux très coûteux pour favoriser le reclassement des personnes licenciées en créant des emplois souvent artificiels, alors qu'il aurait été très préférable de financer des études fiables sur les créations et suppressions d'emplois quand il en était encore temps.
Partout dans le monde, de nombreux postes à faible qualification technique sont remplacés par des postes exigeant des qualifications techniques élevées. Les personnes peu qualifiées sont licenciées. D'autres suivent une formation professionnelle complémentaire, parfois auto-financée et prise sur le temps de loisir, et cette formation professionnelle ne garantit pas pour autant le réemploi.
Lors du même colloque, Walter Durling, directeur des AT&T Global Information Solutions (USA), insistait sur le fait que l'humanité ne devait pas avoir peur de la technique. Ses arguments étaient les suivants: la technique ne changera pas fondamentalement les relations humaines, et les relations entre salariés et employeurs resteront les mêmes. L'invention du film n'a pas tué le théâtre, et celle de la télévision n'a pas fait disparaître le cinéma. La créativité ne doit pas être étouffée par les réglementations. Elle doit aussi s'appliquer aux entreprises qui devraient créer des emplois liés aux nouvelles technologies et les proposer à ceux qui sont obligés de quitter d'autres postes devenus obsolètes. Des arguments bien théoriques alors que le problème est plutôt celui du pourcentage. Combien de création de postes pour combien de licenciements?
De leur côté, les syndicats luttent pour la création d'emplois par l'investissement, l'innovation, la formation professionnelle aux nouvelles technologies, la reconversion des travailleurs dont les emplois sont supprimés, des conditions équitables pour l'établissement des contrats et des conventions collectives, la défense du droit d'auteur, une meilleure protection des travailleurs dans le domaine artistique, et la défense des télétravailleurs en tant que travailleurs à part entière. D'après les prévisions de la Commission européenne, l'Europe devrait compter 10 millions de télétravailleurs en l'an 2000, soit 20% du total mondial.
Malgré tous les efforts des syndicats, la situation deviendra-elle aussi dramatique que celle décrite dans un document de l'Organisation internationale du Travail demandant si "les individus seront forcés de lutter pour survivre dans une jungle électronique avec les mécanismes de survie qui ont été mis au point au cours des précédentes décennies?"
Dans Cyberplanète : notre vie en temps virtuel (Paris, Editions Autrement, 1998), Philip Wade et Didier Falkand indiquaient que les Etats-Unis, le Canada et le Japon, pays qui investissent le plus dans les nouvelles technologies, sont aussi ceux qui créent le plus d'emplois. D'après une étude réalisée en février 1997 par le Cabinet Booz.Allen & Hamilton pour les ministres européens de l'Industrie, le retard de l'Europe lui aurait coûté un million d'emplois en 1995 et 1996, du fait d'une croissance technologique de 2,4% (9,3% aux Etats-Unis). Selon une autre étude menée par Bipe Conseil en janvier 1997 pour le compte de la Commission européenne, 1,3 million d'emplois pourraient être maintenus ou créés dans l'Union européenne d'ici l'an 2005. Les 300.000 suppressions d'emplois d'opérateurs traditionnels seraient compensés par 93.000 postes créés par leur concurrents et 1,2 million d'emplois créés dans les secteurs suivants: télécommunications, construction électrique et électronique, équipement et distribution de produits de communication.
Pour en revenir au monde de l'imprimé, la distinction traditionnelle entre bibliothèque, maison d'édition, éditeur de presse ou librairie existera-t-elle encore dans quelques années? Tous les sites peuvent déjà constituer une cyberbibliothèque. De plus en plus de bibliothèques, librairies et maisons d'édition n'ont ni murs, ni rayonnages, ni vitrines. Leurs locaux sont un site Internet, et toutes leurs transactions s'effectuent sur le Web. Concernant la distribution, on peut toujours acheter les grands titres de presse chez son marchand de journaux ou les recevoir dans sa boîte aux lettres, mais on peut aussi les lire sur le Web, et de plus en plus de journaux et magazines sont uniquement électroniques.
Il y a quelques années, le monde de l'imprimerie a dû être profondément remanié suite à l'apparition de la PAO (publication assistée par ordinateur). Les catégories professionnelles forgées au fil des siècles: bibliothécaires, éditeurs, journalistes, libraires, etc., résisteront-elles à la convergence multimédia tout en s'adaptant au cyberespace, comme c'est le cas maintenant avec les cyberthécaires, les cyberéditeurs, les cyberjournalistes, les cyberlibraires, etc., ou bien toutes ces activités seront-elles progressivement restructurées dans de nouveaux métiers?
Le développement récent de l'édition électronique amène déjà des changements substantiels dans les relations entre auteur, éditeur et lecteur. Internet offre aussi de réels avantages à tous les professionnels, notamment la possibilité de chercher du travail en ligne et de recruter par le même biais. Changer d'emploi est plus facile et le télétravail ouvre de nouveaux horizons à ceux qui préfèrent travailler chez eux.
Dans son courrier électronique du 8 juin 1998, Isabelle Aveline, rédactrice de la cyber-revue ZazieWeb, déclarait:
"Grâce à Internet les choses sont plus souples, on peux très facilement passer d'une société à une autre (la concurrence!), le télétravail pointe le bout de son nez (en France c'est encore un peu tabou...), il n'y a plus forcément de grande séparation entre espace pro et personnel."
Reçu le même jour, le courrier électronique de Claire Le Parco, de la société Webnet (société qui a créé le site Poésie française), précisait:
"En matière de recrutement, Internet a changé radicalement notre façon de travailler, puisque nous passons maintenant toutes nos offres d'emploi (gratuitement) dans le newsgroup 'emploi'. [Nous utilisons] un Intranet pour échanger nombre d'informations internes à l'entreprise: formulaires de gestion courante, archivage des documents émis, suivi des déplacements, etc. La demande des entreprises est très forte, et je crois que nous avons de beaux jours devant nous!"
Fabrice Lhomme, qui est notamment le webmestre du site Une Autre Terre, consacré à la science-fiction, expliquait dans son courrier électronique du 9 juin 1998:
"Il faut d'abord préciser que Une Autre Terre est un serveur personnel hébergé gratuitement par la société dans laquelle je travaille. Je l'ai créé uniquement par passion pour la SF et non dans un but professionnel même si son audience peut laisser envisager des débouchés dans ce sens. Par contre Internet a bel et bien changé ma vie professionnelle. Après une expérience de responsable de service informatique, j'ai connu le chômage et j'ai eu plusieurs expériences dans le commercial. Le poste le plus proche de mon domaine d'activité que j'ai pu trouver était vendeur en micro-informatique en grande surface (je dois préciser quand même que je suis attaché à ma région et que je refusais de m' 'expatrier'). Jusqu'au jour donc où j'ai trouvé le poste que j'occupe depuis deux ans. S'il n'y avait pas eu Internet, je travaillerais peut-être encore en grande surface. Actuellement, le principal de mon activité tourne autour d'Internet (réalisation de serveurs web, Intranet/Extranet,...) mais ne se limite pas à cela. Je suis technicien informatique au sens large du terme puisque je m'occupe aussi de maintenance, d'installation de matériel, de réseaux, d'audits, de formations, de programmation, ... [...]
J'ai trouvé dans Internet un domaine de travail très attrayant et j'espère fortement continuer dans ce segment de marché. La société dans laquelle je travaille est une petite société en cours de développement. Pour l'instant je suis seul à la technique (ce qui explique mes nombreuses casquettes) mais nous devrions à moyen terme embaucher d'autres personnes qui seront sous ma responsabilité."
Avec l'explosion d'Internet, plusieurs professionnels de l'imprimé ont également décidé de se reconvertir et de rejoindre des sociétés informatiques. Malgré cela, les perspectives restent assez inquiétantes. Les professionnels du livre et de la presse pourront-ils tous se recycler grâce à des formations professionnelles complémentaires liées aux nouvelles technologies, ou bien seront-ils frappés de plein fouet par le chômage?
Dans son courrier électronique du 21 juin 1998, Jean-Paul, internaute amateur de musique et d'écriture, écrivait:
"Une navigation sur la toile se fait en rayon (j'ai un centre d'intérêt et je clique méthodiquement sur tous les liens que contient sa base, sa page d'accueil) ou en louvoiements (de clic en clic, à mesure qu'ils apparaissent). Bien sûr, c'est possible avec l'imprimé. Mais la différence saute aux yeux. L'Internet n'a donc pas changé ma vie, mais mon écriture. On n'écrit pas de la même manière pour un site que pour un scénario, une pièce de théâtre, etc..."
Il rappelle aussi que toutes les fonctionnalités d'Internet étaient déjà en gestation dans le premier Macintosh, créé par Apple et qui a révolutionné le rapport entre l'utilisateur et l'information:
"Ce n'est pas Internet qui a modifié ma manière d'écrire, c'est le premier Mac, que j'ai découvert à travers l'auto-apprentissage d'Hypercard. Je me souviens encore de la stupeur dans laquelle j'ai été plongé, durant le mois qu'a duré mon apprentissage des notions de boutons, liens, navigation par analogies, par objets, par images. L'idée qu'un simple clic sur une zone de l'écran permettait d'ouvrir un éventail de piles de cartes dont chacune pouvait offrir de nouveaux boutons dont chacun ouvrait un nouvel éventail dont... bref l'apprentissage de tout ce qui aujourd'hui sur la toile est d'une banalité de base, cela m'a fait l'effet d'un coup de foudre (il paraît que Steve Jobs et son équipe eurent le même choc lorsqu'ils découvrirent l'ancêtre du Mac dans les laboratoires de Rank Xerox).
Depuis, j'écris directement à l'écran: l'imprimé ne me sert plus que pour fixer de temps en temps l'état d'un texte, pour en donner, à quelqu'un d'allergique à l'écran, une sorte de photo, d'instantané, une approximation. Une simple approximation parce que l'imprimé nous oblige à une relation linéaire: le texte s'y déroule page à page (la plupart du temps). Alors que la technique des liens permet une autre relation au temps et à l'espace de l'imaginaire. Et, pour moi, c'est surtout l'occasion de pratiquer l'écriture/lecture 'en sphère', dont l'action de feuilleter un livre ne donne qu'une idée, vague parce que le livre n'est pas concu pour ça."
En plus de ce changement dans la relation information-utilisateur, nous assistons aussi à une transformation radicale de la nature même de l'information. L'information contenue dans les livres restait la même, au moins pendant une période donnée, ce qui nous a encouragé à penser que l'information était stable. Mais la révolution numérique change tout ceci. Soudain ce n'est plus l'information statique qui est la plus fiable, mais l'information la plus récente qui, elle, est en constante mutation.
Internet ne supprimera sans doute pas plus l'imprimé que la télévision n'a supprimé le livre, ou que le livre de poche n'a supprimé le beau livre. "Toute ma vie, j'ai eu une histoire d'amour avec les livres et la lecture. Elle continue sans être affectée par l'automatisation, les ordinateurs, et tous les gadgets du XXe siècle", écrivait Robert Downs dans Books in My Life. Une façon de rappeler que, bien qu'excellents outils de connaissance et de communication, l'informatique et Internet ne sont pas une fin en soi.
Par contre, il est vrai que le monde de l'imprimé amorce un virage sans précédent parce qu'il doit maintenant compter avec Internet, et "digérer" ce nouveau moyen de communication qui évolue très vite. Jusqu'à une époque récente, certains professionnels restaient méfiants devant ce nouvel outil, alors que d'autres, précurseurs enthousiastes, ont absolument tenu à sa lancer dans l'aventure en se connectant à Internet puis en créant leur site.
La facilité et la rapidité de communication par le Web n'ont pas d'équivalent. La messagerie électronique permet de communiquer avec ses interlocuteurs en quelques secondes dans le monde entier. Les forums de discussion autorisent des échanges fréquents sur de nombreux sujets. On peut lire la presse à l'écran, feuilleter les nouveautés à l'écran, acheter les livres en ligne. On peut rechercher des informations, avoir à sa disposition des oeuvres en texte intégral ou pratiquer la recherche textuelle sur l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, les différentes versions de la Bible, les oeuvres de Dante ou de Shakespeare, etc.
A la question de Pierre Ruetschi: "Sept ans plus tard, êtes-vous satisfait de la façon dont le Web a évolué?", Tim Berners-Lee, créateur du Web en 1989-90, répondait dans la Tribune de Genève du 20 décembre 1997 qu'il était heureux de la richesse et de la variété de l'information disponible, mais que le Web actuel n'avait pas encore la puissance prévue dans sa conception d'origine. Son idée première était "que le Web soit plus interactif, que les gens puissent créer de l'information ensemble". Il doit être un véritable "média de collaboration, un monde de connaissance que nous partageons et que beaucoup de gens doivent pouvoir manier ensemble". Il doit avoir des possibilités plus performantes que la simple utilisation de signets, et devenir un véritable réseau de données permettant à l'utilisateur de poser des questions intelligentes aux machines.
Il nous faut cependant garder la tête froide. Il n'est pas utile d'adorer ou de haïr la technique, il est seulement utile de la comprendre. Pour contrer à la fois ceux qui mettent la technologie sur un piédestal et ceux qui y sont systématiquement hostiles, un mouvement appelé Technorealism a été lancé en mars 1998 aux Etats-Unis. Les idées émises dans Technorealism Overview ont ensuite été reprises au Québec dans le Manifeste pour un technoréalisme qui, comme l'explique la cyber-revue Mémento, veut faire le point entre "ces prophètes nouveau genre qui nous promettent un monde meilleur grâce à la technologie, et les nostalgiques qui veulent faire marche arrière et revenir au poêle à bois, au crayon de plomb et aux chevaux de trait".
Ce Manifeste s'appuie sur les huit principes suivants: 1) la technologie n'est pas neutre, 2) Internet est un média révolutionnaire, mais ce n'est pas une utopie, 3) le gouvernement a un rôle important à jouer dans le cyberespace, 4) l'information n'est pas un gage de connaissance, 5) brancher les écoles n'assurera pas une éducation de meilleure qualité, 6) l'information veut être protégée, 7) les ondes sont du domaine public et c'est le public qui devrait en tirer les bénéfices, 8) une bonne compréhension de la technologie devrait constituer un des fondements de la citoyenneté.
Plutôt que de placer en concurrence le monde de l'imprimé et celui d'Internet, ou bien de craindre une concurrence réciproque de l'un ou de l'autre, on a tout à gagner à les rendre complémentaires, comme le montrent les expériences de Logos, société internationale de traduction dont le siège est à Modène (Italie), de la National Academy Press, éditeur universitaire basé à Washington, D.C. (USA), ou de la Bibliothèque des Nations Unies à Genève (Suisse).
Logos a décidé de mettre ses outils de traduction en accès libre sur le Web.
Dans un entretien accordé en décembre 1997 à Annie Kahn, journaliste au Monde, Rodrigo Vergara, directeur de Logos, expliquait que, comme les outils de traduction de sa société étaient déjà disponibles sur le Web à l'intention de tous ses traducteurs de par le monde, sa société avait décidé d'ouvrir également le site au public, décision qui a rendu Logos très populaire. De nouveaux clients ont pris contact, ainsi que de nouveaux traducteurs. L'enrichissement des bases de données est également significatif, le public faisant des propositions qui sont ensuite validées par les traducteurs de la société.
Une politique dynamique porte aussi ses fruits dans le domaine de la vente des livres, comme le montre l'expérience de la National Academy Press. Cet éditeur universitaire américain a mis en accès libre sur le Web le texte intégral de 1.700 titres de son catalogue, et ses ventes ont augmenté de 17% l'année suivante. "Qui a dit que personne n'achèterait la vache si on pouvait avoir le lait gratuitement?", commente Beth Berselli, journaliste au Washington Post.
Internet "relance" aussi les bibliothèques. En juillet 1997, la Bibliothèque des Nations Unies à Genève a ouvert un Cyberespace de vingt-quatre postes informatiques en libre accès avec plusieurs dizaines de CD-ROM en réseau et connexion Internet. Or "la consultation électronique induit une plus grande consultation imprimée et un renforcement de toutes les formes de recherche". Dépassant les prévisions les plus optimistes du personnel de la bibliothèque, ce Cyberespace est désormais un catalyseur qui amène un nouveau public, jeune, varié et enthousiaste, à consulter les collections imprimées et à utiliser aussi les autres services de la bibliothèque. Un deuxième Cyberespace de six postes informatiques a été ouvert en avril 1998, avec une vue imprenable sur le lac Léman et la chaîne des Alpes.
Le futur sera-t-il le cyberespace décrit dans les dernières pages de Chaos et cyberculture de Timothy Leary (Paris, Editions du Lézard, 1997)? Totalement différent de notre univers actuel, ce "monde d'information pure" serait un immense espace situé au milieu de banques de données stockées dans de hautes tours scintillantes.
"Toute l'information du monde est à l'intérieur. Et grâce au cyberespace, tout le monde peut y avoir accès. Tous les signaux humains contenus jusque-là dans les livres ont été numérisés. Ils sont enregistrés et disponibles dans ces banques de données, sans compter tous les tableaux, tous les films, toutes les émissions de télé, tout, absolument tout."
Voilà sans doute, à mon sens, l'apport majeur d'Internet au monde de l'imprimé: on ne court plus désespérément après l'information dont on a besoin, parce que l'information dont on a besoin est enfin à notre portée. Le tout est de se connecter, ce qui n'était pas facile par le passé, mais est en train de le devenir (avec le iMac par exemple), et d'avoir aussi des délais de réponse rapides, y compris pour les sites comportant des images, une amélioration qu'on nous promet pour bientôt.
Mais, une fois de plus, Internet n'est jamais qu'un moyen, comme le rappelle cette phrase du Manifeste pour un technoréalisme:
"Peu importe la puissance de nos ordinateurs, nous ne devrions jamais nous en servir pour pallier la lucidité, le raisonnement et le jugement."
De l'imprimé à Internet
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© 1999 Marie Lebert