J.-F. Féraud, Dictionaire critique (1787): préface de la réédition de 1994 |
6. A la recherche d'une réelle
exhaustivité
Du début à la fin du dictionnaire, les signes d'une
usure se font sentir: certaines rubriques sont moins
traitées ou moins complètes vers la lettre T
qu'à la lettre C. Rien de bien étonnant, le
phénomène en lexicographie est connu. Et l'auteur,
avec les 8OO pages de son Suplément manuscrit,
continuera inlassablement à compléter l'oeuvre de
sa vie. La constance, à ce stade, est admirable chez un
homme seul, même déchargé partiellement de
certaines de ses tâches par la disparition de son
ordre.
Reprenant l'effort
déjà très novateur du Dictionnaire
Grammatical, il note avec une systématicité
fort honorable, -même si là encore une
érosion évidente se laisse voir assez tôt
dans le répertoire-, la prononciation du mot par son
alphabet de substitution et l'accompagne d'un commentaire
prosodique sur la longueur, les timbres vocaliques ainsi que sur
la prononciation de certaines séquences consonantiques ou
vocaliques litigieuses. Dans la constance de cet effort,
jugé sans doute superflu pour certains, Féraud est
le premier lexicographe de la tradition française. Avant
lui les Richelet ou Furetière n'éclaircissaient
sporadiquement la prononciation que sur la base de certaines
fautes trop souvent constatées. Bref la faute était
la motivation de la remarque tandis que Féraud se livre
à une description exhaustive. Le point de vue est autre.
Il annonce la systématicité moderne et nous
renseigne plus qu'aucun autre répertoire sur la phonologie
du français post-classique à la veille de la
première Révolution française [22]
Dans les autres domaines de la
description lexicographique, un effort très neuf
d'exhasutivité se laisse voir. Ce scrupule se double,
chose rare en son temps, d'un sens aigu de la synchronie, aussi
bien dans l'enregistrement de mots nouveaux que dans la mise
à jour d'une remarque déjà
désuète ou dans l'observation des auteurs du
passé. Ces aspects d'un scrupule très neuf pour son
temps méritent plus qu'une mention.
l'attention à la néologie
Gunnar von Proschwitz, spécialiste de la langue de
Beaumarchais, a relevé avec admiration (1986:163-170) la
promptitude avec laquelle Féraud enregistre la
première occurrence ou la généralisation
d'un mot. Mais l'abbé a le mérite
supplémentaire d'en donner parfois la source et le statut
encore incertain. A l'article Responsable *
Responsabilité:
...* Responsabilité est un mot de M. Necker."La
confiance dans ce papier naît de la
responsabilité du Gouvernement. - Ce mot peut
être utile en certaines ocasions. On lit aussi dans
le Journ. de Gen. La responsabilité des
Directeurs (de la Compagnie)
L'abbé Féraud ne pouvait guère, en 1788, se
prononcer plus catégoriquement sur un mot qui a
commencé à réapparaître en
français en 1783 et qui fera carrière à
partir de 1789, commente G. von Proschwitz. Nombre de fois
Féraud est en avance sur l'Académie de une à
deux éditions.
D'autre part la façon dont
il relit son Dictionnaire Grammatical et l'amende atteste
la conscience d'un lexicographe qui ne cède pas à
la tentation du recopiage. A Modeler dans le
Dictionnaire Grammatical:
Se modèler sur est une expression nouvelle
et un peu précieuse. Les bons écrivains ne
s'en servent point encore
et dans le Dictionaire Critique vingt ans après:
Se modèler sur est une expression
nouvelle. Elle n'a d'abord été
employée que par les enfans perdus de la
littérature. Mais depuis peu de grands
écrivains s'en sont servis."La matière qui
sert à son acroissement, se modèle et
s'assimile au total. Buffon. En France, toutes les
classes se modèlent sur la première.
Linguet. Ce fut sur cette erreur de fait, que
la législation se modèla. Id.(...)
L'Acad. ne l'a pas encore admis dans son Diction.
Elle ne dit, en ce sens, que, se mouler.
La lecture intégrale de la communication de G. von
Proschwitz atteste donc une sensibilité très vive
aux nouveautés lexicales, sensibilité qui se
nourrit aussi bien de la lecture des journaux du temps,
très bien représentés dans son corpus, que
de celle des auteurs qui, comme Restif, Beaumarchais ou Mercier,
ne sont pourtant pas des auteurs estampillés.
Avec une enquête plus
ciblée et plus systématique sur les privatifs,
Françoise Martin-Berthet (Martin-Berthet 1986: 101-117)
aboutit aux mêmes conclusions.
un sens rare encore de la synchronie
Cette attention à donner de sa langue un état
mis à jour a une contrepartie également
attachante: Féraud ne donne pas dans le simplisme des
critiques d'auteurs classiques reprochant aux grands auteurs
leurs impropriétés. Pierre Larthomas (Larthomas
1986: 245-251) le montre bien lorsqu'il étudie dans le
Suplément manuscrit les fines scolies que le
lexicographe apporte au commentaire de Voltaire sur l'oeuvre de
Corneille. Voltaire méconnaît la langue de son
illustre devancier et lui reproche parfois naïvement des
impropriétés ou des barbarismes imaginaires. Par
exemple à propos de ce vers de Sertorius Et quel fruit
nous aurons de la violenter? Féraud note avec
pertinence:
Voltaire traite souvent ce tour de barbarisme et de
solécisme. Cela est vrai pour le tems présent
mais ne l'est pas pour le tems de Corneille
ou encore à propos de ces vers d'Héraclius
....pour mieux gêner Maurice
le forçant de ses fils à voir le
sacrifice
dont Voltaire dit : Forcer ce père à voir
égorger ses enfants, est-ce simplement le
gêner? N'est-ce pas lui faire subir un supplice
affreux? Féraud ajoute:
S'il s'était souvenu que gêner
signifiait alors tourmenter, Voltaire aurait
supprimé cette question (s.v. Gêner)
Avec ce premier portrait, le lecteur aura déjà une
idée générale de l'admirable
répertoire qui est ici présenté. Nous allons
à présent entrer dans certains détails qui
permettront et de cerner plus finement la physionomie du travail
lexicographique de l'abbé Féraud et de percevoir
l'apport irremplaçable de cette oeuvre pour la
connaissance de la langue française dans le dernier tiers
du XVIIIe siècle.
Là encore c'est sur la base
de certains sondages que les développements ci-dessous
sont élaborés. Mais un traitement informatique du
Dictionaire Critique est en cours [23] qui devrait permettre la validation de ces
enquêtes et, surtout, de naviguer dans un texte très
riche afin d'en tirer des informations par champ.
7. Le métalangage grammatical, ses sources et sa
fonction
Il ne sera peut-être jamais possible de savoir au juste ce
que l'homme Féraud pensait des récents
développements de la grammaire
générale [24]. Tout
laisse à penser qu'il ne l'ignorait pas mais
l'intéressait-elle? Tout au plus pouvons-nous savoir ce
que le lexicographe en faisait. Et la réponse est, sur ce
point, d'une grande clarté: à peu près rien.
La réponse à la question du pourquoi, Féraud
la donne lui-même: c'est la fonction pédagogique de
son dictionnaire et le public visé qui lui dictent un
profil terminologique que certains jugeront bas, voire
suranné puisque pour l'essentiel il emprunte à des
auteurs vieux de 6O à 8O ans : la Grammaire de
Régnier-Desmarais, celle de Buffier et celle de Restaud.
Girard n'est cité qu'au travers des Synonymes
François, Condillac et Beauzée sont
passés sous silence, sinon méconnus. L'auteur s'en
explique un peu à l'entrée article du
Dictionaire Critique:
Nos plus illustres grammairiens modernes sont du
sentiment que...du, des, au,
aux(sont)la contraction des prépositions
de et à avec
l'article;(...)Qu'ainsi il n'y a point de câs
dans notre Langue; et que nous exprimons avec des
prépositions, et surtout avec de et
à les raports que les Grecs et les Romains
exprimaient par les diverses terminaisons de leurs noms.
Cette notion de l'article paraît plus(...)
conforme au génie de notre langue. Nous ne
l'avons pourtant pas prise pour guide, malgré les
raisons et les autorités imposantes qui l'apuyent.
Nous avons pensé que les Gramaires
étrangères, et plusieurs mêmes des
françaises, qui ne sont point abandonées
étant travaillées suivant l'anciène
méthode, qui a aussi ses avantages, ce
Dictionaire serait moins utile aux Etrangers et
à beaucoup de Français s'il s'en
écartait.
Préoccupation pédagogique donc, puisqu'il s'agit
de ne pas désarçonner le lecteur moyen du
dictionnaire. Sonia Branca (Branca 1986 : 55) commente en
ces termes la citation suivante:
Quand je dirai qu'un nom, un verbe ou un adverbe
régit la préposition de ou
à, comment les jeunes gens, les
étrangers, les français même, qui, ne
sachant que confusément leur langue, consultent un
dictionnaire appliqueront-ils cet avis aux pronoms
...comme Féraud ne voit d'alternative aux cas qu'une
analyse en préposition + régime, il trouve
plus commode, même en français, d'avoir une grille
unique à appliquer à toutes les parties du
discours, y compris aux pronoms préverbaux qui ne sont pas
accompagnés de marques prépositionnelles. (...)
Cette démarche morphologique a donc pour pivot la
déclinaison.Elle vient de Régnier-Desmarais et de
Restaut, qui reprennent eux-mêmes la vieille tradition
jésuite de Chiflet.
On ne trouve donc, aux articles
proprement grammaticaux du dictionnaire, que des
développements maigres, quand le mot n'est pas absent.
D'autre part le contenu ne peut que faire constater la
conformité de la doctrine grammaticale à un
standard dépassé théoriquement (mais non
pédagogiquement). La bonne terminologie et le bon
commentaire grammatical sont ceux qui facilitent la description
de l'usage et qui sont reçus au mieux par le lecteur.
Préoccupation de lexicographe soucieux d'efficacité
et de communication [25].
8. Théorie et description de l'usage
On l'a compris d'après le développement
précédent: la fin dernière du D.C. est la
description fine de l'usage du temps à l'intention des
provinciaux, des jeunes gens et des étrangers. C'est en
vue d'un bien-dire raisonné qu'il est fait. On retrouve
là le programme des Remarques de Vaugelas, mais
avec la systématicité et l'exhaustivité du
dictionnaire. Bréviaire de l'usage (sinon du bon usage),
tel est bien le Dictionaire Critique. Et tout ce que les
linguistes du XXe siècle peuvent y recueillir ne peut
être convenablement expertisé qu'à la
lumière de cette finalité qui régule tout
le discours. La description de l'idiome, si nous la trouvons plus
fine et plus complète que dans le Dictionnaire de
l'Académie, reste tout de même subordonnée
à une loi de pertinence. Certes le public visé a
besoin d'une information plus exhaustive que celui de
l'Académie, mais comme ce public n'y cherche pas les
arcanes de la théorie linguistique ni des détails
d'archéologie langagière, l'usage ne sera
décrit qu'à la condition de renforcer la juste
pratique de la langue. Pour ne donner qu'un exemple qui suffira
à faire comprendre le propos, les français
régionaux du midi, s'ils sont assez mentionnés dans
le D.C., ne le sont que fragmentairement, c'est-à-dire
qu'ils n'y affleurent que pour leur non-conformité
à l'usage dominant. Toutefois le discours normatif n'est
ni sévère ni méprisant pour les
provincialismes et les termes de métier [26]. Il l'est infiniment plus pour certaines
intempérances de langage qui sentent leur esprit vicieux.
Le provincial a besoin d'être repris mais Féraud est
assez conscient de sa propre situation pour n'afficher aucun
mépris. On signale sans ridiculiser ni stigmatiser
violemment.
De plus la théorie du bon
usage est, par rapport à celle qu'explicite Vaugelas dans
la Préface de ses Remarques sur la langue
françoise de 1647, beaucoup plus riche et
nuancée. Le bon usage, c'est pour Féraud l'usage
qui convient à la situation de communication ou au genre
visés, d'où une vision stratifiée et non
monolithique dans laquelle Féraud apporte une finesse de
description qu'aucun répertoire avant lui n'avait obtenue
ni même recherchée [27].
La Préface du Dictionaire Critique (p. XI) en donne
un aperçu qui est, pour une fois, en-deçà
d'une pratique descriptive plus fine encore. Féraud
évoque ici les remarques qui constituent selon lui la
partie la plus considérable et la plus intéressante
de notre travail:
[Ces Remarques ont pour objet]...les diférens
styles et leurs nuances, plus variées
peut-être dans la Langue Française que dans
aucune aûtre Langue. Car outre le style
poétique ou oratoire, le style
élevé ou familier, dont on n'a
pas toujours distingué les diférentes
espèces; il y a le style du Bârreau ou
du Palais, où l'on parle une langue toute
particulière; le style médiocre ou de
dissertation; le style simple ou de conversation,
qu'on ne doit pas confondre avec le style familier
qui a un degré de plus d'aisance et de
liberté; le style polémique, qui a ses
licences, moindres pourtant que celles du style
critique, qui, à son tour, en a moins que le
style satirique; le style badin, plaisant, ou
comique, dont les nuances sont diférentes, et
vont en enchérissant l'une sur l'aûtre; le
style marotique, qui se done encore plus de
libertés, moindres pourtant que le style
burlesque.
Cette vision qu'on aimerait presque dire "feuilletée" de
l'usage, alliée à une "pédagogie du mauvais
usage", va avoir pour conséquence, providentielle pour le
dix-huitièmiste, un éclectisme appréciable
dans la nomenclature comme dans les remarques faites puisqu'aussi
bien tel terme, omis pour crime d'archaïsme par un puriste
étroit, figurera dans le Dictionaire Critique comme
bon pour le marotique, le burlesque ou le bas comique. Il
n'est pas proscrit du dictionnaire mais étiqueté
pour la convenance restreinte qui est la sienne. Si bien que
l'ostracisme radical des provincialismes, des xénismes,
des jargons et du bas se trouve modulé. Telle
expression juridique est bonne en son lieu, même si elle
est à proscrire dans l'usage commun. Et le jargon des
gazettes a ses idiotismes qui peuvent à la rigueur se
tolérer dans les bornes strictes de la situation de
communication qui leur a donné naissance. La poésie
aussi a ses licences qu'il faut préserver pour
éviter qu'elle ne perde les quelques privilèges
qu'elle détient encore sur la prose. La description d'une
entrée lexicale reçoit alors de cette vision un
degré de raffinement supplémentaire lorsque telle
distribution du mot est étiquetée barbare
tandis qu'une autre n'est que familière et la
troisième bonne pour le bâs comique.
La tolérance dont on vient
de parler se voit également dans l'attitude adoptée
par Féraud face aux archaïsmes [28]. Lorsque le besoin du mot se fait encore
sentir, il n'hésite pas à déplorer les
caprices de l'usage ou l'ostracisme imposé par les
grammairiens puristes. Il rejoint en ce sens une tradition bien
exprimée par Marmontel dans l'article USAGE du
Dictionnaire de Grammaire et de
Littérature.
Cette vision nuancée de
l'usage est pour partie le fait d'une époque:
Féraud a pris acte des idées neuves qui ont
présidé à l'enrichissement du Dictionnaire
de l'Académie de 1762. Il en a certainement lu la
préface et, en bon jésuite, il ne rejette pas
crûment la nouveauté mais essaye plutôt de
l'assimiler. On peut donc voir dans l'accueil qu'il fait assez
généreusement de la néologie un trait de la
Compagnie à laquelle il appartenait. Peut-être ses
origines modestes et provinciales, voire son tempérament
le prédisposaient-ils enfin à cette
modération. Après tout, si Féraud attaque
violemment le parti des philosophes dans sa petite
Encyclopédie, il sait aussi citer Voltaire,
Rousseau et, pour autant que les choses de la foi ne soient pas
profanées, un certain modernisme n'a jamais fait peur aux
Jésuites.
Ce développement ne doit pas
faire oublier les arêtes normatives évidentes de
l'oeuvre: Féraud taille et coupe, disions-nous. Par
exemple s'il accueille certains termes anglais acclimatés
et nécessaires selon lui, il traque les anglicismes
rampants [29], calques syntaxiques
par exemple ou extensions de sens jugées indues, avec une
vigueur qui annonce déjà les foudres anglophobes
contemporaines:
Les Traductions ne fournissent pas moins que les
Vers une riche récolte de Remarques critiques. On
peut le dire surtout de celles des Livres Anglais, qui se
multiplient journellement. Quelque habile que soit un
Traducteur, il ne se tient pas toujours en garde contre la
sourde influence de la Langue étrangère, dans
laquelle est écrit l'Ouvrage qu'il traduit; et, sans
trop s'en apercevoir, il en fait pâsser les tours et
les expressions dans la copie qu'il en fait. [30]
Il ridiculise la bigarrure des métaphores ou leur
malséance. Il juge et condamne bien des néologies
ou des distributions que l'usage adoptera et qui nous sont
devenues naturelles.
En somme, une vision complexe qui,
pour correspondre assez largement à l'évolution des
moeurs linguistiques du temps, n'en est pas moins, dans un
dictionnaire, audacieuse et novatrice.
9. Une réelle efficacité "dictionnairique"
Le Dictionaire Critique, continuateur formel du
Dictionnaire Grammatical ajoute au dictionnaire
général du français une dimension qu'il
n'avait pas dans les ouvrages de Trévoux, Richelet ou
l'Académie française: celle d'un texte
codifié au point de donner à l'article une forme
d'ensemble cohérente. Alors que chez ses devanciers
l'articulation des articles se faisait essentiellement par la
mise en paragraphes sériels, simple développement
des alinéas de la lexicographie bilingue du Moyen Age et
de la Renaissance, Féraud brise la linéarité
discursive du texte en lui donnant une structure plus
significative, plus visuelle, donc plus consultable. Elle est
basée sur la délimitation typographique des champs
informationnels par l'emploi systématique des
abréviations et des signes délimiteurs. Cette
codification connaîtra son aboutissement cent ans
après avec le Dictionnaire
général.
A la place des On dit, On
dit aussi, X signifie aussi hérités des
recueils antérieurs, Féraud pratique la
numérotation des sens (1°., 2°., 3°., ...),
accompagnée ou relayée, en subordination, par des
traits doubles (" ") ou simples (" "), les simples
étant subordonnés aux doubles.
Dans un article type, on trouve
d'abord le champ des adresses, dans lequel sont
généralement regroupés
alphabétiquement les différents membres d'une
famille dérivationnelle lorsque ceux-ci se suivent dans
l'ordre alphabétique absolu de la nomenclature.
Vient ensuite, -innovation absolue
(c'est la première fois qu'elle est donnée de
façon systématique dans un dictionnaire
général du français)-le champ de la
prononciation des mots-adresses; celui-ci est
délimité par un crochet ouvrant et un crochet
fermant, la prononciation étant donnée sous une
forme codée:
[Gaje, jé, jeur,jeû-ze, jûre: 2e
e muet au 1er; é fer. au 2d, lon. aux
3 derniers.] c'est-à-dire deuxième e muet au
premier mot en adresse; é fermé au second mot
en adresse; voyelle longue aux trois derniers mots en
adresse. (s.v. GAGE)
La Table des abréviations (à la fin de la
Préface p. XVI) donne, en plus de formules
utilisées dans d'autres champs, quelques unes des
abréviations utilisées pour la prononciation:
Diph., Dout. (Douteux, en parlant de la quantité
vocalique), Fer., Monos., Ouv. etc.
Le troisième champ est
généralement le plus large, puisqu'il contient le
traitement sémantique et syntaxique. La mise en un seul
paragraphe ou en plusieurs, l'emploi des chiffres et des tirets,
la hiérarchisation ou non des tirets, sont fonction de
l'importance des données.
A l'intérieur du
macro-article, le traitement des mots-adresses peut être
discret:
LOURD/LOURDE: 1° à 6° dans un premier paragraphe.
LOURDAUD/DAUDE, LOURDEMENT, LOURDERIE/LOURDISE
traités séparément dans un
deuxième.
imbriqué:
BÉGAYER, c'est .... BÉGAIMENT, c'est... Le
verbe se dit..., Figurément.... Il est quelquefois
actif
ou synthétique:
BEUGLEMENT, BEUGLER: ces mots expriment le cri du beuf et
de la vache;
La différence entre sous-adresses et exemples est une
question de degré de lexicalisation; Féraud tend
à marquer la distinction par l'emploi de l'italique pour
les premières (Voir venir de loin, se douter de
ce qu'on nous va dire), et des guillemets ouvrants pour les
seconds ("Loin de vous je m'ennuie), avec la
possibilité de degrés intermédiaires
("Parler de loin, d'un temps
éloigné). La signature des exemples
signés suit généralement la citation
("Loin d'eux s'enfuyoit le doux
sommeil.Télém.).
Le dernier champ systémique
est celui de la remarque critique, normalement introduit par le
délimiteur REM ou Rem.. Il est souvent plus
étendu que le traitement sémantique et
syntagmatique, puisqu'il donne son plein sens au deuxième
terme du titre de l'ouvrage (Dictionaire Critique) et
qu'il renferme un texte plus discursif, moins codé que les
autres champs. Sa place est, soit à la fin de l'article,
soit à la suite d'un traitement sémantique ou
syntagmatique particulier. Tout comme le troisième champ,
celui-ci peut être ponctué par des numéros
d'ordre et des tirets. Les remarques de Féraud
appartiennent à la tradition des traités d'usage,
allant de Vaugelas à Grévisse, plutôt
qu'à celle du dictionnaire de langue.
Il faut mentionner enfin deux types
d'informations occasionnelles: la synonymie (certains,
sûr, assuré, s.v. CERTAIN; bénin,
doux, humain, bénignité, douceur,
humanité, s.v. BÉNIGNEMENT) et
l'étymologie, cette dernière n'étant
mentionnée que quand elle explique un fait de
prononciation ou de graphie (BEUF, BELVEDER).
Si le système mis en oeuvre
par Féraud dans le Dictionaire critique
connaît un certain nombre d'inconséquences:
- BERNEUR, celui qui berne, dans un article à part
à la suite du macro-article BERNE-BERNEMENT,BERNER au lieu
d'en faire partie
- prononciation absente (BETA;LUBIE) ou entre
parenthèses (BELLONE) ou sans délimiteur (BELVEDER)
- absence de séparateur typographique entre deux
sémèmes (INTITULÉ, s.m. INTITULER, v. act.
Titre. Doner un titre
- absence de délimiteur Rem. devant une
remarque (LOQUENCE; LOYER)
il réussit à donner à la micro-structure du
dictionnaire de langue une forme d'ensemble, cohérente et
multi-dimensionnelle, que les modernes Littré,
Darmesteter, Robert, Dubois et Rey ont su perfectionner.
[Retour à la table] -- [Suite]
Notes
22. Sur ce point, voir les travaux de Louise Dagenais.
Féraud éclaire avec une grande netteté la
rupture de la corrélation timbre/longueur qui
caractérise cette fin du XVIIIe siècle. Les
voyelles qu'il note douteuses ne sont-elles pas ces
voyelles mutantes qui subissent la réorganisation du
système? Or Féraud note des évolutions entre
son Dictionnaire Grammatical de 1761 et le D.C.,
preuve de son attention vigilante à l'évolution de
l'usage. Cette question passionnante est déjà bien
documentée par l'équipe de recherche
Morin-Dagenais. Une publication à venir présentera, on l'espère, une synthèse de premier plan sur cette phase décisive de la phonologie du français moderne.
23. Travail mené conjointement, sous les auspices du
G.E.H.L.F., par l'équipe de recherche Morin-Dagenais du
département de linguistique et de traduction de
l'Université de Montréal et par deux équipes
de Sciences du Langage implantées à
l'Université de Limoges, le Ressac (REcherches
Syntaxiques et Sémantiques sur l'Age Classique , direction
Philippe CARON) et, pour le savoir-faire informatique, le Telmoo
(TExte Lyrique Médiéval Oc et Oïl), direction
Gérard GONFROY
24. à moins que des recherches, jusqu'à
présent vaines, nous permettent de retrouver une partie
de la correspondance perdue de Féraud avec l'abbé
d'Olivet. Tout espoir n'est pas perdu et la découverte
fortuite du Suplément nous encourage à
continuer la filature.
25. Nous renvoyons le lecteur, pour cette question, aux travaux
de Françoise Berlan et de Sonia Branca-Rosoff.
26. Sur la place des vocabulaires de spécialité,
nous renvoyons aux études successives de Danielle Bouverot
qui a longuement scruté la matière dans
Féraud.
27. On se réfèrera pour s'en convaincre à
l'article collectif signé par J.P. Seguin sur Les
marqueurs de mauvais usage dans le Dictionaire Critique (Seguin 1990) ainsi qu'à l'article de Pierre Larthomas sur
L'analyse des niveaux de langue dans le
Suplément (Larthomas 1987)
28. Voir les travaux de Nathalie Fournier, Geneviève et
Jean-Pierre Seguin (Seguin 1987 : 99-126)
29. Voir, pour un premier aperçu, la communication de John
Humbley au colloque Féraud de 1984 (Humbley 1986 :
147-155)
30. Préface du Dictionaire Critique p. XII (version en ligne).