On peut toutefois émettre des réserves d'ordre historique:
De fait, si l'on compare l'édition de 1687 à celle de 1694, on est frappé par le nombre de modifications qui affectent le texte du dictionnaire, dans la macrostructure comme dans la microstructure, dans le fond comme dans la forme.
Quelques éléments d'analyse choisis dans le corpus des premières pages de la lettre G [4] nous autorisent, par leur pertinence suffisante, à poser la question suivante: en quoi l'ébauche imprimée en 1687 correspond-elle à l'identité du dictionnaire de 1694? Dans quelle mesure serait-il pertinent d'envisager l'informatisation de cette première version?
Nous ne jugeons pas utile de détailler ici tout ce qui concerne les ajouts de limites des premières syllabes, comme l'ajout de la séquence GEA. dans 1694 pour regrouper les articles GEANT, GIGANTESQUE et GEAY qui figuraient dans 1687 dans le regroupement GAY; de même pour la suppression dans 1694 de la première syllabe GAB. au début de la lettre G qui figurait à deux reprises dans 1687, avant l'article consacré à la lettre G et avant l'article GABELLE; enfin nous ne détaillerons pas les ajouts de séquences syllabiques correspondant aux ajouts de familles de mots, comme c'est le cas de la séquence GAD. correspondant aux nouveaux articles GADOUE et GADOUARD dans 1694 qui ne figuraient pas dans 1687.
1.1.1.1. Suppression de vedette. L'ancien substantif GALAND [5], souvent confondu avec la forme GALANT du seul fait du pluriel identique galans [6], qui bénéficie d'un article dans 1687, sans aucune mention de marque d'usage vieilli, n'est plus traité dans 1694, alors qu'il y figure dans des emplois qui correspondent parfaitement à l'acception péjorative de la définition de 1687:
1.1.1.2. Suppression de sous-vedette. L'exemple de l'adjectif GABELLÉ, traité dans 1687 comme sous-vedette de GABELLE [8] et supprimé dans 1694, est significatif, pour deux raisons: il correspond à un emploi marqué dans 1687 comme limité, puisque restreint à l'expression sel gabellé, et, s'il ne figure plus dans 1694 comme unité de traitement, il est néanmoins présent comme simple exemple s.v. SEL sous la forme sel gabelé. Malgré le maintien de l'expression ancienne, le lecteur perd donc l'essentiel de l'information avec la définition de la notion.
1.1.2.1. Une sous-vedette avec renvoi dans 1687 donne une sous-vedette avec article
dans 1694.
Nous retiendrons ici les exemples des composés GAGNE-DENIER et
GAGNE-PAIN mis en sous-vedette de GAIN à la suite de GAGNER et GAGNÉ
avec des renvois respectifs à DENIER et à PAIN dans 1687 alors qu'ils figurent
accompagnés de l'article dans 1694, avec modification dans la graphie de
GAIGNE-PAIN: le déplacement du texte auparavant privilégié comme
sous-vedette de DENIER (la dernière des sous-vedettes) ou de PAIN ne nous paraît
pas anodin ni simplement pragmatique par rapport au fait de limiter le nombre des renvois: il
peut impliquer une réflexion sur la priorité étymologique de la base
verbale dans cette catégorie de composés.
1.1.2.2. Une sous-vedette avec renvoi de 1687 donne un alinéa à part entière dans 1694 pour des mots comme TROUSSE-GALANT dont les renvois respectifs à TROUSSER et à VERT dans 1687 produisent les deux derniers alinéas de GALANT dans 1694:
Ces ajouts répondent à un souci de clarification du statut de la nomenclature et de facilité de consultation. Nous distinguerons deux cas: les ajouts de renvois correspondant à des ajouts d'articles comme pour les mots GABATINE et GABER; les ajouts d'une vedette avec renvoi à une autre vedette, ce qui implique le statut de sous-vedette du mot faisant l'objet du renvoi comme pour GALEUX par rapport à GALE.
Notons le cas particulier de l'article consacré à l'interjection GARE dont le statut change de 1687 à 1694 [9]: en effet, l'ajout dans 1694 du verbe GARER comme vedette relègue l'article GARE au statut de sous-vedette, ce qui entraîne logiquement l'ajout d'une vedette formelle GARE avec renvoi à GARER. Ce genre de cas nous conduit à distinguer deux niveaux différents d'appréciation des grandes capitales pour des pseudo-vedettes suivies d'un renvoi, puisque ce renvoi lui-même matérialise un statut de sous-vedette.
1.2.1.1. Préparés dans le texte de 1687. Ainsi, le verbe DEGAINER figure dans 1687 comme sous-vedette de GAINE mais on note l'absence d'une entrée marquée consacrée au substantif DEGAINE: cette absence n'est cependant que formelle puisque le dernier alinéa de DEGAINER de 1687 est consacré au substantif:
Signalons aussi les cas du substantif GABATINE sous-vedette de GABE et de la vedette GADOUE accompagnée de sa sous-vedette GADOUARD. Pour ces derniers mots, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer qu'ils appartiennent à des registres inattendus, quoique bien représentés, dans le Dictionnaire de l'Académie. De fait, l'article GABER, présent dès 1687 malgré son contenu:
On appréciera les différents niveaux de la logique linguistique ayant présidé aux enrichissements de la nomenclature entre 1687 et 1694:
La création de tableaux comparatifs des nomenclatures de 1687 et de 1694 pour les lettres A et G offrira à cet égard un précieux outil d'analyse (à paraître sur les sites Académie de Toronto et de Lyon).
C'est en partie grâce aux Factums de Furetière que nous pouvons apprécier les ajouts d'articles liés à des polémiques. Nous compléterons ici l'exemple tout-à-fait significatif de GENERALISSIME, dont nous avons traité le cas (Leroy-Turcan 1996b), par celui des mots de la famille de GEOGRAPHE. Dans la pré-édition 1687, aucun article n'est consacré à GEOGRAPHE ni aux mots de la famille, mais Furetière, dans le chapitre des Factums intitulé Critique sur le Dictionnaire de l'Académie, signale p. 156:
On notera en revanche que les critiques de Furetière concernant la définition de GLOBE [13] n'ont pas été prises en compte puisque les articles de 1687 et 1694 sont identiques excepté la suppression dans 1694 de l'exemple globe de fumée à la fin du premier alinéa de l'article de 1687.
Notes
1. Quelques feuillets sont conservés à la bibliothèque de la Mazarine à Paris, l'exemplaire complet se trouvant à la bibliothèque de l'Arsenal, sous la cote Folio B 270. Nous ne ferons pas ici référence à la contre-façon de Francfort parue la même année chez Frédéric Arnaud, sous l'intitulé « Le grand dictionnaire de l'Académie françoise », qui ne comprend que les articles des lettres A, B et C jusqu'au mot CONFITURE dont on a conservé un exemplaire (conservé à la bibliothèque de l'Arsenal, sous la cote 4°B.L. 507) où l'on peut observer des différences nettes dans la typographie avec l'exemplaire parisien (cf. l'exemple des graphies de feuille et de négociant à 3.4.3).
2. Pour plus de détails sur cette édition, cf. Les registres de
l'Académie, aux 10 may et 2 juillet 1687.
3. L'ouvrage était rempli d'erreurs d'impressions, dues aux relectures insuffisantes des
feuillets échangés trop à la hâte avec l'imprimeur (cf. les Registres de l'Académie,
Pellisson et Furetière).
4. Outre le fait que Vaugelas avait eu en sa possession un des cahiers imprimés du corpus
de la lettre G, le cahier correspondant aux pages 433-440, source du conflit qui l'a opposé
à ses collègues (cf. le premier Factum), ce corpus nous permet
différentes comparaisons puisque nous l'avons choisi pour l'analyse d'autres dictionnaires,
comme ceux de Ménage, Richelet et Furetière, puis ceux de Desroche, Guillet, Th. Corneille et enfin celui du Dictionnaire de
Trévoux.
5. Dont le correspondant féminin galande s'est maintenu plus nettement,
l'équivoque de la finale -t / -d n'étant plus neutralisée, et souvent
considéré comme forme de féminin de galant, la forme
galand n'étant qu'une variante sans identité propre (cf. Littré et
Académie 1798).
6. Excepté une attestation de galands dans Académie 1694 dans les
exemples donnés s.v. VERS: "vers galands".
7. Vaugelas, Remarques, 1647:
"Galant, galamment. Galant, a plusieurs significations, & comme substantif, &
comme adjectif. Je les laisse toutes pour ne parler que d'une seule, qui est le sujet de cette
remarque. C'est dans le sens qu'on dit à la Cour, qu'Un homme est galant, qu'il dit
& qu'il fait toutes choses galamment, qu'il s'habille galamment [...]. On demande ce que
c'est qu'un homme galant, ou une femme galante de cette sorte, qui fait & qui dit les
choses d'un air galant, et d'une façon galante. J'ay veû autrefois agiter cette
question parmy des gens de la Cour & des plus galans de l'un et l'autre sexe, qui avoient bien
de la peine à le définir. Les uns soutenoient que [...]; les autres que [...];
d'autres disoient que [...] mais on ne laissoit pas de dire que cette definition estoit encore
imparfaite, et qu'il y avoit quelque chose de plus dans la signification de ce mot, qu'on ne
pouvoit exprimer [...]. Mais quand on passe du corps à l'esprit, & que dans la
conversation des Grands et des Dames, & dans la maniere de traiter & de vivre à la
Cour, on s'y est acquis le nom de galant, il n'est pas si aisé à
définir; car cela présuppose beaucoup d'excellentes qualitez qu'on auroit bien de
la peine à nommer toutes, & dont une seule venant à manquer suffiroit à
faire qu'il ne seroit plus galant. On peut encore dire la mesme chose des lettres
galantes. [...] Au reste quoy qu'en une autre signification on die galand, &
galande, avec un d, aussi bien qu'avec un t, si est-ce qu'en celle que nous
traitons, il faut dire galant & galante avec un t, et non pas avec un
d."
8. Voici l'article: "GABELLÉ. adj. m. Il n'a d'usage qu'en cette phrase, sel
gabellé, qui signifie du sel qui a esté gardé un temps convenable pour
le laisser ressuyer dans les greniers de la gabelle."
9. Avec ajout de deux exemples dans l'article de 1694: gare le fouet. gare le baston.
10. Pour faciliter la consultation du dictionnaire, ont été rajoutées
plusieurs vedettes et sous-vedettes, dont il faudrait préciser la dénomination,
puisque simplement liées à des renvois, comme l'ajout de la "pseudo-vedette",
sommes-nous tentée de dire, GLADIATEUR avec renvoi à GLAIVE.
11. Sur la distribution des marques de catégorie grammaticale, cf. Wooldridge & Leroy-Turcan à paraître.